Mme Catherine Troendlé. Cet amendement vise à assujettir les personnes condamnées pour terrorisme à la possibilité d'être placées en rétention de sûreté ou sous surveillance de sûreté à l'issue de l'exécution de leur peine, dès lors que serait établie leur particulière dangerosité.
La rétention de sûreté pourrait être décidée dans les mêmes conditions que celles qui sont définies par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
L'examen de la situation des personnes concernées devrait en conséquence être expressément prévu lors de leur condamnation par la juridiction de jugement. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la rétention de sûreté ne trouverait à s'appliquer qu'aux personnes qui seraient condamnées pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.
De même, les personnes condamnées pour terrorisme pourraient être assujetties, à l'issue de leur condamnation, à la surveillance de sûreté sur décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente.
La décision de placement sous surveillance de sûreté comprendrait des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l'article 723-30 du code de procédure pénale, en particulier, après vérification de la faisabilité technique de la mesure, le placement sous surveillance électronique mobile.
Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié quater, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cantegrit, Reichardt, Bouchet, Savin, G. Bailly, Fouché, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. Gilles et P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :
Après l'article 4 ter A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article 706-53-13 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est de même pour les crimes prévus aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Dans un esprit de rassemblement, je retire cet amendement au profit de celui qui vient d’être présenté par Catherine Troendlé, dont la rédaction est plus complète. En matière de rétention de sûreté, il me semble emprunter la bonne direction ; j’y apporte donc mon soutien.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié quater est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 67 rectifié bis ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Dans mon propos de présentation du texte, j’ai indiqué que sur les quelque 102 articles que comporte le texte, nous avions six désaccords de principe avec la commission.
La rétention de sûreté est l’un de ces six points de désaccord, pour des raisons de cohérence avec notre opposition, en 2008, à l’adoption du projet de loi relatif à la rétention de sûreté.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous ne pouvons pas accepter cette idée de rétention de sûreté.
En 2008 – nos réserves, à l’époque, étaient déjà très importantes –, la loi visait des délinquants auteurs d’infractions sexuelles, la perspective étant de les soumettre à des examens psychiatriques.
Aujourd’hui, vous proposez d’aller plus loin, au nom de la « dangerosité du sujet ». Le résultat, ce seront des peines de prison sans fin, qui ressembleront fort à de la perpétuité – nous en avons beaucoup parlé tout à l’heure. On dira aux condamnés : « vous êtes condamnés, et, si ça va, on vous permettra éventuellement de sortir. »
S’il y a sanction, celle-ci doit correspondre à une peine ! Ou alors, il nous faut inventer des mesures de police administrative qui soient de nature à protéger la société contre tous les individus dangereux – ces mesures existent déjà en partie, notamment lorsque la dangerosité est liée à des motifs psychiatriques. Mais c’est un autre sujet, plus global.
Il me semble donc véritablement inadmissible d’instituer ce genre de « peine après la peine » – la peine réelle étant différente de la peine prévue.
Si nous devions en adopter le principe, je suis convaincu que la première question prioritaire de constitutionnalité ou saisine de la Cour européenne des droits de l’homme venue nous mettrait en difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous voterons évidemment contre cet amendement.
Je ne souhaite pas rouvrir ici le débat sur la rétention de sûreté, mais sa suppression avait été promise, et même fermement annoncée, à plusieurs reprises, par la garde des sceaux précédente. Nous l’attendons toujours !
Je rappelle que dans un avis publié en novembre dernier, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, jugeait ce dispositif inutile et « contraire aux principes fondamentaux du droit pénal français ». Elle en recommandait d’ailleurs l’abolition. Il ne nous semble donc pas judicieux, bien au contraire, de l’élargir.
Nous avons déjà eu ce débat : notre droit doit être construit, clair, intelligible. Il permet d’ores et déjà – plusieurs intervenants l’ont rappelé avant moi – de placer à l’écart de la société les personnes ayant commis des crimes odieux.
Madame Troendlé, je vous invite à relire ce que vous aviez dit en 2007, au moment de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort. Je me permets de vous citer : « la démocratie a tort de se croire faible, sous prétexte qu’elle ne manie pas le fer et le feu des tyrans. ».
Je crois qu’en effet notre force, face à de tels drames, de tels meurtres barbares, de telles émotions, est de ne pas tomber dans le « toujours plus » sécuritaire. Ce serait trop simple, trop facile, et nous savons, malheureusement, que cela n’empêchera jamais la perpétration d’autres actes terribles. Cela reviendrait, en outre, à dénaturer notre droit, et donc, en définitive, à donner raison aux barbares. Je m’y refuse ! C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous soutiendrons la position du Gouvernement sur cet amendement. Nous avons constamment dit notre opposition au principe même de la peine de sûreté. Qu’est-ce, en effet, que la rétention de sûreté, sinon une peine après la peine ?
M. Jean-Pierre Sueur Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Que l’on prononce des condamnations longues, très longues, voire des peines de réclusion à perpétuité, dans les conditions dont nous avons parlé tout à l’heure, c’est une chose : je ne suis ni pour l’angélisme ni pour le laxisme. Mais le principe même de la rétention de sûreté est vicié : il signifie qu’une fois la peine exécutée, on considère qu’il est légitime de ne pas libérer la personne qui a été condamnée.
Cela pose également le problème de la confiance à l’égard de l’institution judiciaire, qu’il faudra bien finir par soulever.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Si nous considérons que notre justice fonctionne mal, donnons-lui les moyens de mieux fonctionner ! La remise en cause systématique du travail des magistrats n’est pas la solution.
Je ne suis pas toujours tendre avec les magistrats : j’ai plaidé pendant trente-huit ans, et j’ai, à ce titre, mon opinion sur la question. Néanmoins, je considère que, globalement, nos magistrats font consciencieusement leur métier. Inscrire dans la loi des instruments de défiance à l’égard de leur action, ce n’est pas positif !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite revenir sur cette notion de peine de sûreté introduite dans la loi il y a quelques années.
En principe, on est condamné pour des actes qu’on a commis. Avec la peine de sûreté, on est condamné pour des actes qu’on est censé pouvoir commettre. C’est quand même fort ! Cela semble un peu scandaleux, mais c’est bien ça, la rétention de sûreté !
Lorsque nous avions discuté du texte, en 2008, nous avions auditionné Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Il avait défendu cette position : ce n’est pas parce que ce sont des magistrats qui prennent des mesures de police que ce ne sont pas des mesures de police !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4 ter A.
Article 4 ter B
(Non modifié)
Le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal est complété par un article 421-8 ainsi rédigé :
« Art. 421-8. – Les personnes coupables des infractions définies aux articles 421-1 à 421-6 peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire selon les modalités prévues aux articles 131-36-1 à 131-36-13. » – (Adopté.)
Article 4 ter
I. – Après l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 811-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 811-4-1. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de mise en œuvre des techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les établissements pénitentiaires, ainsi que les modalités des échanges d’informations entre, d’une part, les services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 et, d’autre part, l’administration pénitentiaire pour l’accomplissement de leurs missions. Il définit les conditions dans lesquelles l’administration pénitentiaire peut signaler toute personne détenue à ces services aux fins de mise en œuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du même livre, d’une technique mentionnée au même titre V et avoir connaissance des renseignements recueillis utiles à l’accomplissement de ses missions. »
II (nouveau). – Le dernier alinéa de l’article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est ainsi rédigé :
« Le contrôle des communications électroniques est effectué dans les conditions définies aux articles 727-1 et 727-2 du code de procédure pénale. »
III (nouveau). – Après l’article 727-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 727-2 ainsi rédigé :
« Art. 727-2. – Sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent et aux fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, l’administration pénitentiaire est autorisée à :
« 1° Prendre toute mesure de détection, brouillage et interruption des correspondances émises ou reçues par la voie des communications électroniques ou radioélectriques par une personne détenue au moyen de matériel non autorisé ;
« 2° Recueillir, au moyen d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé. Cet appareil ou ce dispositif ne peut être utilisé que par des agents individuellement désignés et habilités par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
« 3° Accéder, dans des conditions fixées par décret, aux données informatiques contenues dans les systèmes de traitement automatisé de données que possèdent les personnes détenues et détecter toute connexion à un réseau non autorisé. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 145 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Cécile Cukierman. Voici venu le moment où nous allons arrêter de suivre les avis du Gouvernement !
Nous demandons la suppression de l’article 4 ter, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État définit les conditions dans lesquelles le bureau du renseignement pénitentiaire peut recourir aux techniques de recueil de renseignement dans les centres pénitentiaires. Nous avons échangé sur ce point lors de votre audition, monsieur le garde des sceaux.
Cette disposition, introduite par le Sénat, contre l’avis du Gouvernement, dans le projet de loi relatif au renseignement, avait été retirée du texte finalement adopté.
Depuis, le garde des sceaux a changé et il semble que la nouvelle chancellerie ne partage pas la conviction exprimée par le garde des sceaux précédent.
Le personnel pénitentiaire risquerait, si cette disposition était adoptée, d’être exposé à des violences. Vous aviez vous-même évoqué ce risque, Monsieur le garde des sceaux, en votre qualité, à l’époque, de rapporteur du projet de loi relatif au renseignement, en affirmant qu’« il est bien évident que ce ne sont pas les surveillants qui circulent dans les coursives, qui s’occupent du quotidien, qui seront chargés demain de sonoriser des parloirs ou des cellules ! »
Vous nous avez répondu, lors de l’audition que j’évoquais, que ce ne sont évidemment pas les surveillants eux-mêmes qui seraient chargés de ce genre de missions, et que celles-ci seraient confiées à une cellule particulière.
Cela reste quand même assez flou ! Nous sommes donc très étonnés de retrouver dans ce texte des dispositions que vous aviez dénoncées il y a moins d’un an.
Quelles garanties allez-vous apporter aux surveillants pénitentiaires ? Quelles garanties seront prises pour assurer le respect des libertés des citoyens, même détenus ?
Nous refusons ce mélange des genres. À ce titre, et comme le préconise la Commission nationale consultative des droits de l’homme, il convient d’exclure l’administration pénitentiaire de la communauté du renseignement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 145.
Mme Esther Benbassa. Dans sa rédaction issue de la commission des lois, l’article 4 ter facilite les échanges d'informations entre l'administration pénitentiaire et les services du premier et du second cercle du renseignement. Il prévoit la possibilité pour l'administration pénitentiaire de signaler des personnes méritant de faire l'objet d'une technique de recueil de renseignements. Dans ce cadre, les IMSI-catchers pourront également être utilisés.
Fidèles à la position que nous avions défendue lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, nous considérons, comme le Gouvernement le soutenait lui-même à l’époque, que « l’utilisation secrète des techniques de renseignement modifierait considérablement la relation surveillant-détenu, et risquerait de déséquilibrer profondément les détentions, ce que les personnels pénitentiaires font eux-mêmes valoir ».
La mission première du service public pénitentiaire n’est pas de surveiller les détenus, mais est de contribuer « à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues », selon les termes de l’article 2 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Nous sommes tout à fait opposés à ce que la même administration soit chargée de gérer au quotidien des personnes et de mettre en œuvre des techniques secrètes pour les surveiller.
En conséquence, nous proposons la suppression de cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression : elle entend pouvoir faire des propositions alternatives à celles de l’Assemblée nationale en matière de renseignement pénitentiaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sans surprise, madame la présidente, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Le Gouvernement souhaite l’inscription définitive dans la loi du renseignement pénitentiaire. Depuis 2002, il existe un bureau du renseignement pénitentiaire, longtemps appelé état-major de sécurité n° 3.
La précédente garde des sceaux avait chargé l’Inspection générale des services judiciaires de donner une doctrine au bureau du renseignement pénitentiaire. Elle a d’ailleurs créé un certain nombre de postes destinés à renforcer cet outil sur le plan des principes. À présent, il est temps d’adapter notre droit.
La situation de nos prisons s’est évidemment dégradée. Des trafics, pour ne pas dire des complots, s’y organisent. Des pressions sont exercées sur les familles des détenus les plus fragiles.
Depuis deux mois, j’ai rencontré l’ensemble des organisations syndicales, qu’il s’agisse des personnels de surveillance ou des directeurs d’établissement. Aucune ne m’a fait part d’un éventuel désaccord avec cette perspective d’évolution. Certaines m’ont même adressé des contributions proposant une doctrine. Je les lirai évidemment, et je les intégrerai dans les réflexions du Gouvernement. Il faut stabiliser le travail, en collaboration avec les autres services de renseignement, comme le renseignement territorial, qui agit en périphérie des établissements, la Direction générale de la sécurité intérieure, ou DGSI, et la sous-direction à l’anticipation opérationnelle.
La présence d’outils de renseignement pénitentiaire à l’intérieur des établissements est déjà une réalité. Il reste simplement à l’inscrire dans la loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.
M. Christophe Béchu. Monsieur le garde des sceaux, je vous prie de transmettre nos remerciements à l’ensemble des organisations représentant les services pénitentiaires.
Nous avons bien conscience que ces personnels travaillent dans l’ombre, au quotidien. Les missions qu’ils exercent, y compris les missions de renseignement, concourent à la protection des Français. Certes, compte tenu de leurs conditions de travail, nous n’en sommes pas forcément conscients.
Chère collègue Cécile Cukierman, je respecte les convictions profondes de chacun, et je peux comprendre que vous vous opposiez à une telle mesure. Mais je m’étonne des arguments que vous avez mis en avant.
Vous avez indiqué que le fait d’autoriser l’existence d’un renseignement pénitentiaire – en fait, il s’agit plus exactement de l’officialiser ! – et de l’intégrer dans la famille du renseignement créerait un risque pour la sécurité du personnel travaillant dans les prisons.
Mme Éliane Assassi. C’est évident !
M. Christophe Béchu. Cela revient à accepter le principe d’un renoncement à des mesures de sécurité ou de défense des libertés de nos concitoyens au motif que des agents publics pourraient être menacés !
Bref, c’est raisonner à l’envers ! Si de telles menaces existent réellement, il faut prendre les mesures qui les feront cesser !
Mais ne nous interdisons pas d’utiliser des dispositifs qui existent et dont nous avons besoin aujourd'hui !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes favorables à l’existence d’un renseignement pénitentiaire. Il serait paradoxal, alors que le renseignement existe partout, de ne pas avoir de service de renseignement dans ce milieu.
Les évolutions qui ont eu lieu récemment me semblent très positives. D’ailleurs, elles vont dans le sens des préconisations de la commission d’enquête sénatoriale sur la lutte contre les réseaux djihadistes, qui a été plusieurs fois évoquée.
Il est très important – je pense que vous y êtes très attentif, monsieur le garde des sceaux – de bien définir les tâches. Il y a celles des personnels pénitentiaires et celles des agents chargés du renseignement. Des personnels pénitentiaires peuvent avoir reçu une formation spécifique pour assumer les tâches de renseignement.
Votre prédécesseur avait insisté sur ce point. Elle avait d’ailleurs indiqué que certains fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, les surveillants, pouvaient être discrédités ou perturbés dans leur travail s’ils étaient soupçonnés ou susceptibles d’être soupçonnés d’exercer en même temps une tâche de renseignement.
Il me semble donc très important de savoir qui fait quoi. Nous avons besoin d’un service du renseignement pénitentiaire efficace qui travaille avec les chefs d’établissement et, comme vous le prévoyez, selon des configurations spécifiques à définir avec l’ensemble des services de renseignement.
Dès lors que l’on respecte les métiers et les fonctions, dès qu’il y a les formations nécessaires, c’est positif !
Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête, nous sommes allés à Fleury-Mérogis, plus grande prison d’Europe. Nous avons demandé à rencontrer les responsables du renseignement. Il n’y avait qu’une personne, assistée d’un surveillant. Honnêtement, c’est peu !
L’évolution actuelle est extrêmement positive. Nous devons la soutenir, sur les bases claires que j’ai rappelées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je formulerai deux remarques.
Premièrement, il est assez fréquent que des missions soient délimitées au regard des impératifs de sécurité des agents concernés.
Je suis certes pour que l’instruction s’adresse à toutes et à tous. Mais elle ne peut pas se faire de la même manière dans les centres fermés et en milieu ouvert ! Il ne s’agit évidemment pas de renoncer à l’exigence d’instruction des mineurs ou des majeurs en prison ; c’est un faux débat !
Le mot que j’ai employé était peut-être un peu fort. Cependant, nous savons tous en quoi consiste aujourd'hui le travail des personnels pénitentiaires.
Bien sûr qu’ils doivent assurer la sécurité dans les prisons, y compris celle des détenus ! Mais, entre deux rondes, il leur arrive aussi de s’arrêter dans une cellule pour discuter avec les personnes incarcérées, pour échanger avec elles, voire pour les inciter à reprendre leur vie en main. Or, avec le problème de la surpopulation carcérale, le temps qu’ils peuvent consacrer à cette activité se réduit. S’ils deviennent demain de potentiels agents du renseignement, le lien très fragile qui existe actuellement – il s’agit parfois de quelques secondes dans une journée – se brisera définitivement !
Si le dispositif envisagé ne remet pas en cause la sécurité des agents – je reconnais que le terme était peut-être excessif et je regrette qu’il vous ait heurté, monsieur Béchu –, il change à tout le moins la nature de leurs missions.
Deuxièmement, j’ai entendu votre réponse, monsieur le garde des sceaux, mais je ne partage pas votre sentiment quant à l’unanimisme des organisations syndicales. Il y avait sans doute une majorité – je veux bien vous en donner acte –, mais pas une unanimité pour soutenir une telle position. D’ailleurs, certaines organisations attendent les protocoles auxquels vous avez fait référence.
Au demeurant – mon intention n’est pas d’ouvrir une quelconque polémique –, n’oublions pas que les représentants des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, font aussi partie des organisations syndicales de la pénitentiaire. Or ils n’ont pas été consultés. Pourtant, ils ont beaucoup à faire. Mais je referme la parenthèse, car mon propos visait simplement à nuancer vos affirmations sur un prétendu consensus.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 145.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 215 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
I. – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la première phrase de l’article L. 811-4, les mots : « et de l’intérieur » sont remplacés par les mots : « , de l’intérieur et de la justice » ;
2° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 821-2, après les mots : « l’intérieur », sont insérés les mots : « , du ministre de la justice ».
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Par cet amendement, nous suggérons une modification rédactionnelle à la commission. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un désaccord de fond.
L’article 4 ter, dans sa version actuelle, reporte le soin de déterminer les modalités de mise en œuvre des techniques de recueil du renseignement sur le pouvoir réglementaire.
À nos yeux, une telle disposition présente un risque d’inconstitutionnalité non seulement au regard de l’article 34 de la Constitution, mais également pour incompétence négative : elle ne prévoit pas les garanties suffisantes en contrepartie d’ingérences dans la vie privée des personnes détenues.
Nous proposons donc tout simplement d’ajouter le ministère de la justice à la liste des ministères mentionnés à l’article L. 811-4 du code de sécurité intérieure.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Lors de sa première réunion sur le présent projet de loi, la commission a jugé plus pertinent d’en revenir à ce que le Sénat avait décidé unanimement lors de l’examen du texte sur le renseignement : écarter le renseignement pénitentiaire de la famille du renseignement.
Il nous avait alors semblé préférable de formaliser des échanges d’informations entre l’administration pénitentiaire et les services de renseignement, et de donner à celle-ci la possibilité de signaler une personne détenue à des fins de mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignements.
La commission souhaite maintenir sa position. Toutefois, je pense qu’un large débat sur le sujet s’impose. Des évolutions sont toujours possibles. L’intervention de M. Sueur en témoigne.
À ce stade, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Mais nous verrons bien quelle sera la suite des événements.