M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je voudrais faire plusieurs réflexions sur ces amendements, dont nous mesurons l’utilité, mais aussi les limites. Nous sommes là devant un sujet très complexe, mais – je vous rejoins sur ce point – qu’il nous faudra bien évidemment traiter.
L’une des difficultés vient du fait que la plupart des utilisateurs de ces plateformes – elles sont d’ailleurs diverses, et ce n'est pas la même chose d’échanger des services, de partager des frais ou de faire des bénéfices – ignorent la réglementation.
Aujourd’hui, sans changement législatif, un certain nombre de revenus qui peuvent être tirés de l’utilisation de ces plateformes doivent normalement être déclarés, sous le régime de l’auto-entrepreneur – avec les seuils bien connus –, des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux, du micro-foncier ou du foncier…
Certes, c’est assez peu fait, c'est le moins que l’on puisse dire !
M. Philippe Dallier. Oui, c’est bien le problème !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous connaissons tous des personnes qui utilisent ces plateformes et qui déclarent, par exemple à l’impôt sur le revenu, leurs bénéfices fonciers lorsqu’ils utilisent le site Airbnb, pour ne pas le citer.
Il y en a qui déclarent leurs revenus, et beaucoup qui ne le font pas, parce qu’ils disent ne pas être au courant ou parce que cela les arrange de ne pas savoir.
Votre proposition d’abattement de 5 000 euros sur les revenus – je vous le dis comme je le pense – ne me paraît pas une bonne solution (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), parce qu’elle provoquera immanquablement une inégalité entre les contribuables.
Je prends un exemple : celui qui fait des bénéfices fonciers est imposé à partir du premier euro, celui qui fera des bénéfices fonciers au travers d’une plateforme comme Airbnb ne le sera qu’à partir du cinq mille et unième euro. Je doute que le Conseil constitutionnel considère qu’il y a là égalité devant l’impôt. C'est toute la complexité de la question. Encore une fois, je ne vous en fais pas grief ; cette proposition existe, elle doit être examinée et prise en compte.
Je prendrai un autre exemple : les partages de frais lors de déplacements, avec le site BlaBlaCar qui est, me semble-t-il, le plus connu, ne correspondent pas à un revenu supplémentaire ou à un bénéfice. Celui qui se déplace de Paris à Nancy par exemple aura à sa charge tous les frais s’il se déplace tout seul ; s’ils sont plusieurs, ses frais vont diminuer, mais son bénéfice ne sera un revenu que si ce qu’il perçoit est supérieur à ses frais d’amortissement du véhicule, d’assurance, de carburant, de péage – j’en passe et des meilleurs.
Je ne suis pas en train de complexifier le problème, mais de montrer certaines limites de votre proposition.
Quelle est la position du Gouvernement ? Compte tenu des difficultés et des limites que j’ai citées, il ne sera pas favorable à ces amendements, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne fait rien.
Première décision prise par le Gouvernement, nous avons, à la fin du mois d’août dernier, pris un décret qui donne à l’administration le pouvoir de demander à certains de ces sites des informations non pas précises et nominatives – on ne demande pas si monsieur X a utilisé cette plateforme et quels ont été ses revenus –, mais, par exemple, la liste des utilisateurs qui ont fait plus de quinze opérations ou des transactions financières supérieures à 2 000 ou 5 000 euros.
Cette possibilité existe maintenant sur le plan des pouvoirs de l’administration, et elle est utilisée. Je ne peux pas vous en dire plus, car le reste relève du secret fiscal.
Elle permet de faire un premier tri entre les professionnels de la chose, parce qu’il y en a qui en vivent, et les utilisateurs plus occasionnels, lesquels en font une utilisation plus mesurée.
Deuxième décision du Gouvernement, il faut informer les particuliers des droits et devoirs qui leur incombent quand ils utilisent ces plateformes de services. À l’image de ce qui a été fait en matière de taxe de séjour pour les locations occasionnelles, notamment à Paris, mais partout où cette taxe existe, il s’agit d’obliger les plateformes à informer les utilisateurs de leurs sites de veiller à se mettre en règle, s’agissant des revenus qu’ils en tirent, avec l’administration fiscale.
Vous me rétorquerez qu’une telle mesure ne mange pas de pain et que nous ne sommes pas certains d’y gagner grand-chose,…
M. Richard Yung. En effet.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … mais c'est déjà une première étape ! Nous faisons tous le constat que les utilisateurs, la plupart du temps de bonne foi, mais pas toujours, ignorent qu’ils doivent accomplir un certain nombre de démarches.
Troisième étape, qui, à mon avis, pourrait intervenir plus tard, mais tout de même pas dans un délai trop lointain, il faudra demander aux plateformes d’informer annuellement, par exemple, leurs utilisateurs, par un document récapitulatif, comme ce que nous faisons avec les déclarations récapitulatives, du montant global des ressources qu’ils ont touché durant l’année écoulée.
On ne demande pas aux plateformes de prélever l’impôt, même si cela pourrait être une idée. On veut simplement qu’elles communiquent à leurs utilisateurs – il faut voir sous quelle forme – le montant qu’ils ont « récupéré » de l’utilisation de ces plateformes et qu’elles leur disent de se mettre en conformité avec la réglementation.
Il faudra certainement aller plus loin. Est-ce qu’on peut le faire plus vite ? J’en doute. Pascal Terrasse a été chargé par le Gouvernement de rendre un rapport sur le sujet avant le 31 décembre prochain. Vous avez fait un travail dont j’imagine qu’il a eu bien évidemment connaissance : il peut s’en inspirer, l’améliorer ou le contredire.
Nous aurons évidemment à reparler d’un sujet aussi important, mais, à ce stade, tout en prenant en compte l’intérêt du travail qui a été fait, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de ces amendements, pour diverses raisons – j’en ai cité quelques-unes.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de vos explications, mais il faut bien comprendre que l’abattement que nous proposons n’est pas lié à la nature des revenus, puisque le droit fiscal existant règle la question. Vous avez évoqué le covoiturage : il est aujourd'hui exonéré par le code des transports. S’agissant du foncier, le droit existant permet de taxer toutes les situations. Il s’agit d’un problème de déclaration : l’abattement prévu dans notre amendement est lié à la méthode de déclaration et à la nature spécifique de celle-ci.
Prenons deux contribuables : le premier, qui est affilié à un centre de gestion agréé, a droit à un abattement de 25 % ; le second, qui ne l’est pas, n’y a pas droit. Le Conseil constitutionnel considère que cela ne pose pas de problème du point de vue de l’égalité devant l’impôt. La contrepartie de l’abattement, c’est le fait que l’on déclare aujourd’hui des revenus qui ne l’étaient pas avant et qui sont néanmoins taxables au regard du droit fiscal existant.
J’entends ce que vous soufflent vos conseillers : si vous le voulez, monsieur le secrétaire d'État, on peut trouver une autre rédaction et transformer l’abattement en avantage !
Il faut prendre conscience de la situation : le sujet doit être traité. Nous avons rencontré Pascal Terrasse ; il va reprendre nos propositions.
Dans un article sur les statistiques d’un grand site, Airbnb pour ne pas le citer, on peut lire que 19,6 % des logements proposés aujourd'hui à Paris le sont en meublé. Un certain Fabien gère ainsi à lui seul 143 offres !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je vous l’annonce, j’irai faire un contrôle sur place à Bercy pour voir si vous vous occupez vraiment de ces personnes ! C'est aujourd'hui un véritable sujet.
On veut faire avancer le débat, mais on nous dit que c'est compliqué. Après avoir rencontré les opérateurs, nous proposons aujourd’hui un système qui « tourne ». Le groupe de travail a passé un an à recevoir tous les acteurs de l’internet. On a fait un travail approfondi, sérieux. Je ne dis pas que notre amendement n’est pas perfectible, mais, encore une fois, il ne nous semble pas poser de problème d’égalité devant l’impôt, dès lors que l’abattement est lié non à la nature des revenus, mais à la méthode de déclaration. De ce point de vue, le parallèle avec les centres de gestion agréés montre bien qu’il n’y a pas de problème.
Mme la présidente de la commission l’a dit, l’honneur du Sénat c'est peut-être de pouvoir, par rapport à l'Assemblée nationale, mener des travaux qui dépassent nos groupes politiques et nos clivages. Il faudrait écouter la Haute Assemblée lorsqu’elle travaille de manière unanime sur de véritables sujets ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann ainsi que MM. Bernard Lalande et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je me permets d’intervenir de nouveau parce que, vous le voyez bien, se profile une vérification constitutionnelle de ce qui est en train d’être bâti.
Encore une fois, le Gouvernement ne souhaite pas autre chose que de tirer profit d’un travail collectif permettant de combler ce qui s’apparente aujourd’hui à des trous dans la raquette fiscale, lesquels sont évidemment liés à la complexité du sujet.
Pour que le débat soit clair, monsieur le rapporteur général, je maintiens que votre comparaison avec les centres de gestion agréés n’est pas pertinente. Adhérer à un tel centre signifie qu’on accepte un système de contrôle plus rigoureux, plus fiable…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C'est la même chose quand on adhère à un site !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mais que fait la plateforme ? Elle vous permet de développer votre activité – je ne dis pas que c'est mal ! –, cependant elle ne vous demande pas de le faire dans un esprit de plus grande rigueur.
Pour bénéficier de l’abattement de 5 000 euros, il faut avoir des revenus déclarés – il faudrait que je relise la formulation de votre amendement – par la plateforme. Or, assez souvent, les plateformes utilisées sont logées à l’étranger, ce qui fait que nous n’avons pas toujours la possibilité de leur imposer un certain nombre d’obligations. Voilà un obstacle que je n’avais pas relevé dans ma précédente intervention, mais qui existe et dont il faut être parfaitement conscient.
Néanmoins, si votre amendement était adopté, je n’en serais pas heurté. Je vous devais, par honnêteté, de vous signaler qu’il a ses limites et qu’il pose quelques difficultés techniques, voire constitutionnelles. Il ne faudrait pas sortir de cette affaire en pensant que le problème est réglé.
M. Philippe Dallier. Mais non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous avez mené votre propre travail et nous avons, nous aussi, conduit quelques réunions qui se sont avérées être parfois un peu difficiles, parce qu’elles posent – pardonnez-moi de ne pas faire preuve de finesse pour l’annoncer, mais c'est ma nature ! (Sourires.) – des problèmes de coordination entre différents ministères. Là, on parle de l’impôt, mais il y a aussi les cotisations sociales. Nous avons eu des contacts avec le ministère des affaires sociales. Une coordination doit être faite. La question de l’impôt est importante, mais celle des cotisations sociales, notamment l’affiliation des droits à retraite et l’affiliation à l’assurance maladie, l’est tout autant. Nous avons entamé ce travail. Vous pouvez en douter et venir nous contrôler : il n’y a pas de problème !
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Ce sujet a pris une place de plus en plus importante dans notre société. Si j’ai beaucoup apprécié le rappel de notre collègue André Gattolin sur le sens de l’économie collaborative, avec cette économie des ressources naturelles, cette notion de partage, d’association des citoyens, on voit bien qu’on est allé très au-delà dans ce qui est en train de se développer.
La démarche a pris une dimension économique bien plus large, et je crois qu’on ne peut pas ne pas s’interroger sur ce que l’on appelle aujourd’hui « l’ubérisation » de la société. Elle va entraîner une déréglementation importante du marché du travail, qui aura des conséquences très lourdes pour de nombreux salariés, notamment dans l’hôtellerie et la restauration.
Que l’on puisse faire restaurant chez soi au risque de faire mourir le petit restaurant de quartier me pose problème.
Cette situation soulève d’autres questions très importantes. Tous ceux qui perçoivent des revenus et peuvent vivre de cette façon ne contribuent absolument pas à la vie en société (M. Roger Karoutchi opine.), aux besoins du budget de l’État, à l’ensemble des comptes sociaux. Or c’est grâce à cela qu’ils bénéficient de la couverture santé qui est offerte à tous, que leurs enfants vont à l’école, qu’ils ont à leur disposition ces services publics. D’une certaine façon, ils ne participent pas à ce qui constitue l’intérêt commun de notre société. On ne peut pas considérer que ce n’est pas un vrai sujet.
M. le secrétaire d'État a indiqué les pistes de travail du Gouvernement.
Madame la présidente de la commission, nous n’avons pas pu participer au groupe de travail parce que nous n’avons pas réagi au moment de sa création ou parce que nous n’avons pas su qu’il se créait !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est une décision du bureau de la commission !
Mme Marie-France Beaufils. Je le dis sereinement : il faut améliorer la communication interne de la commission. Sur le logement, j’ai su qu’un groupe de travail avait été constitué, mais…
Mme Catherine Procaccia. Et le respect du temps de parole ?
Mme Marie-France Beaufils. Madame Procaccia, j’essaie d’aller au plus vite, je n’ai pas trop consommé de temps.
Quand un groupe n’a qu’un seul de ses membres dans une commission, comme c’est le cas pour André Gattolin, seul représentant écologiste au sein de la commission des finances, et même quand il en a deux ou trois, il est difficile d’être présent en permanence. Il faudrait donc que les membres de la commission soient informés beaucoup plus vite.
M. le président. Veuillez conclure, madame Beaufils !
Mme Marie-France Beaufils. Nous voterons ces amendements identiques que nous considérons comme des amendements d’appel, pour signaler qu’il faut poursuivre le travail...
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Marie-France Beaufils. ... et que nous apportons notre soutien à la réflexion et à la recherche d’une solution.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour ma part, je suis extrêmement gêné. Certes, on a trouvé un joli vocable – « économie collaborative » –, mais il recouvre tout et n’importe quoi. Je voterai ces amendements identiques, même si, sur ce sujet, n’en déplaise au rapporteur général, je me sens plus proche de la ligne du Gouvernement.
M. Philippe Dallier. Allons bon ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Je prendrai un seul exemple. La région d’Île-de-France, comme la Ville de Paris, a largement financé et soutenu depuis vingt ans les structures hôtelières, tous niveaux de structures hôtelières, et les appart’hôtels, tous niveaux d’appart’hôtels, avec, par définition, de l’argent public.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas son rôle !
M. Roger Karoutchi. Si, l’attractivité touristique, c’est son rôle !
Et voilà qu’un système met par terre tous les efforts réalisés par l’hôtellerie moyenne de la capitale et de la petite couronne ! Face aux bénéfices réalisés par ce biais, ceux qui ont d’abord loué leur appartement quinze jours par an le louent désormais quasiment à l’année. Certains partent même vivre dans leur maison de campagne pour ce faire.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est bien pour cela qu’il faut faire quelque chose !
M. Roger Karoutchi. Résultat, l’argent public qui a été massivement consacré à la mise à niveau de l’hôtellerie, des appart’hôtels et d’un certain nombre de structures n’a servi à rien !
Mme Sophie Primas. Effectivement !
M. Roger Karoutchi. Je trouve cela un peu fort de café ! Je ne veux pas la mort du petit cheval. Que l’on puisse louer son appartement quinze jours une ou deux fois par an me va très bien. Le problème, ce n’est pas l’abattement forfaitaire de 5 000 euros, c’est le côté répétitif et systématique (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) d’un système qui était au départ une sorte de bol d’air, mais qui devient courant dominant. (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est ce que l’on vise !
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie des éléments de réponse que vous avez apportés. Pour avoir été longtemps parlementaire avant d’être au Gouvernement, vous savez que les parlementaires sont aussi capables d’appréhender la complexité. Si nous mesurons la difficulté du sujet, nous avons aussi des convictions.
En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un simple trou dans la raquette. Si nous nous trouvions dans une impasse en matière de collecte de l’impôt dans un secteur qui n’aurait pas été identifié, ce serait facile. Or, cela a été souligné, nous assistons à une mutation complète des pratiques économiques, face à laquelle nos outils traditionnels sont inadaptés.
Nous savons bien que prévoir une information sur les plateformes ne suffira pas, singulièrement dans le secteur du tourisme. Il n’est qu’à voir comment la taxe de séjour est perçue dans le pays pour avoir conscience que, en la matière, on ne pourra jamais maîtriser les choses. On y parviendra d’autant moins que certains peuvent avoir plusieurs activités en même temps. Nous sommes face à une pluriactivité inédite, avec tous les problèmes qui en découlent.
À travers ce dispositif, nous plaidons en faveur d’une approche différente de la problématique. Nous considérons qu’il faut passer par les plateformes pas seulement pour qu’elles envoient un papier déclaratif, mais parce que des consolidations doivent intervenir par rapport à ces nouvelles pratiques.
Cela étant dit, sur cette question, il faut progresser. Ces amendements identiques ont le mérite de nourrir la réflexion et de présenter une première solution. Si le Gouvernement a de meilleures solutions, bien évidemment nous nous en réjouirons, comme nous nous réjouissons qu’un travail soit engagé, et peut-être apparaîtront-elles d’ici à la fin de la discussion budgétaire.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a urgence ! Quand on sait que, dans notre pays, 31 millions de personnes ont déjà acheté ou vendu sur une plateforme collaborative, on ne peut plus parler de phénomène limité.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. On pourrait au moins reconnaître au Sénat le mérite d’avoir défriché le terrain. Deux rapports ont été rendus récemment, après un travail engagé voilà dix-huit mois. Bien avant, Jean Arthuis et Philippe Marini avaient mené une réflexion sur les problèmes que posaient les grands groupes du net.
Mes chers collègues, ce qui nous fait peur dans cette affaire, c’est que les choses changent à une vitesse très importante.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Philippe Dallier. La question n’est pas de savoir si l’économie collaborative ou l’e-commerce, c’est bien ou non. Il faut s’y adapter parce que l’on ne pourra pas s’y opposer.
À Paris, 40 000 appartements sont loués sur Airbnb. Avis et Hertz, dont nous avons rencontré les représentants, ne sont plus les plus gros loueurs de voitures en France : ils ont été supplantés par ces plateformes.
Cette mutation se fait à une vitesse que nous n’avons pas appréhendée. Il est donc urgent d’adapter nos règles ; sinon, nous serons complètement dépassés.
En matière d’e-commerce – sujet que nous aborderons à l'article 3 –, le géant chinois Alibaba va s’installer en Europe pour concurrencer les grandes plateformes en ne vendant que des produits fabriqués en Chine. Comment le Gouvernement récupérera-t-il la TVA que le consommateur paiera en achetant sur internet ? Il ne le pourra pas ! On n’est pas dans l’espace communautaire. Et, même quand c’est le cas, les difficultés et les interrogations sont grandes (M. André Gattolin opine.) et il est probable que des milliards d’euros s’évaporent. Lorsque tout viendra de Chine, mes chers collègues, on pourra toujours demander aux services de Bercy de se rendre dans ce pays pour contrôler : on ne contrôlera rien !
Si nous ne nous adaptons pas, vous verrez les recettes de TVA, qui sont les premières du budget de l’État, fondre comme neige au soleil. Les conséquences se chiffreront en milliards d’euros, voire en dizaines de milliards d’euros.
La question n’est donc de savoir s’il faut faire quelque chose. Oui, il faut faire quelque chose et il faut le faire vite !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Bien et vite !
M. Philippe Dallier. Monsieur le secrétaire d'État, certes, cette proposition n’est peut-être pas parfaite, mais il serait bon d’adresser un signal en la votant. Nous verrons ensuite ce que nous pourrons en faire.
J’insiste : il y a urgence. L’idée clef qu’il faut retenir de ce débat, c’est qu’il nous faut nous adapter. C’est ainsi. Le monde est en train de changer et les consommateurs aussi.
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac, pour explication de vote.
M. Thierry Carcenac. Je suppose que, en 1954, lorsqu’il a créé la TVA, qui était un impôt indirect sur la consommation à paiement fractionné, Maurice Lauré a dû se heurter à peu près aux mêmes difficultés que celles que nous rencontrons face à une économie qui change. À l’époque, il s’agissait d’éviter les effets en cascade des divers impôts sur la consommation. Aujourd'hui, face à un modèle qui change, d’aucuns l’ont souligné, il nous faut essayer de nous adapter.
Nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l’e-commerce, la directive européenne concernée est très intéressante, mais sa très grande complexité la rend quasi inapplicable.
Lorsque l’on examine les services fiscaux, notamment la Direction générale des finances publiques, et que l’on voit que 10 agents s’occupent du data mining, on se dit qu’il faut sans doute essayer de bouger un peu les marques et d’aller vers des expérimentations. D’autres pays s’y sont essayé, ils ont obtenu de l’Union européenne la possibilité de s’engager sur des expérimentations.
Cet amendement est un amendement d’appel, qui nous permettra d’aller plus avant dans la réflexion. C’est dans ce sens que le groupe socialiste et républicain s’engage. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Je reviens sur ce que j’ai dit tout à l’heure, mais je le formulerai différemment.
Madame Beaufils, ce groupe de travail a été créé par le bureau de la commission des finances, lorsque nous avons décidé de faire nos missions de contrôle, plusieurs d’entre vous ayant émis l’idée de travailler de cette manière.
Ce groupe de travail était initialement composé de Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, qui avaient déjà travaillé sur ce sujet et souhaitaient continuer, de Bernard Lalande et Jacques Chiron, car ils sont les rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », et de Michel Bouvard et Thierry Carcenac, car ils sont les rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». Lorsque les décisions prises par le bureau ont été annoncées à l’ensemble des membres de la commission des finances, certains ont souhaité s’associer à ce groupe de travail.
J’ai conscience que, lorsqu’un groupe politique n’a qu’un seul membre dans une commission, et même s’il en a deux ou trois, c’est un peu moins facile, mais convenons que c’est un travail collectif.
Je tiens à rendre hommage à tous ceux qui se sont engagés dans ce chemin et qui l’ont fait avec cette clairvoyance. Il vient d’être question de ceux qui ont inventé la TVA. Ceux qui, voilà cent ans, ont cru possible d’électrifier les campagnes ont fait montre eux aussi de clairvoyance.
M. Jean-Claude Requier. Et pour l’impôt sur le revenu !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Espérons être dans la même veine !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Je ne comprends pas très bien la réaction de mon collègue altoséquanais M. Karoutchi : nous cherchons justement à éviter une dégénérescence totale du système économique et donc à donner un cadre !
Cela me choque toujours : chaque fois que l’on fait un travail parlementaire fouillé, on nous répond que l’on vient de nommer un rapporteur – en l’occurrence, M. Terrasse – pour approfondir la question. Résultat, on recommence et on perd encore six mois ! Je suis un jeune parlementaire – je ne suis élu que depuis quatre ans –, mais c’est la quatrième fois que cela se produit.
Je me rappelle l’excellent rapport d’information de notre ancien et excellent collègue Jean-Pierre Plancade, au nom de la commission de la culture, sur la question des droits audiovisuels et de leur financement et de la répartition des droits par rapport au service public qui les finance, dans lequel figuraient des observations tout à fait capitales. Il a été très bien reçu ; un amendement a même été voté à une large majorité lors de l’examen de la loi relative à l’indépendance de l’audiovisuel public. Malheureusement, les décrets d’application, publiés un an après, ont mis par terre le dispositif et l’ont rendu inapplicable. Entre-temps, un rapport inutile a été produit, qui lui aussi a été enterré.
Or aujourd’hui se produit ce que l’on avait annoncé : une société pratiquement entièrement financée par des fonds publics – en l’occurrence, Newen, qui produit Plus belle la vie – est rachetée par une entreprise privée – TF1 – qui va en posséder les droits pour les revendre à France Télévisions, laquelle diffusera la série ! On le dit depuis trois ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Michel Bouvard applaudissent également.)
Si nous sommes des idiots, que la direction du budget et la grande administration nous disent que nous, les parlementaires, ne servons à rien, et que ce soit clair ! Sur une économie qui va à toute vitesse et où on commence à être débordés, que l’on n’attende pas la production d’un nouveau rapport : cela va prendre six mois ! Une fois que l’on sera débordé, on se demandera quoi faire : se rendre ? (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.