M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec la réforme proposée pour le mode de nomination du juge des libertés et de la détention.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat, dans la mesure où il est opposé à la modification proposée par la commission concernant le mode de nomination du juge des libertés et de la détention.
Mme la présidente. L'amendement n° 24, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
2° L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, le mot : « six » est remplacé par le mot « huit » ;
b) À la deuxième phrase, les mots : « celle des deux juridictions mentionnées » sont remplacés par les mots : « l’un des tribunaux de grande instance mentionnés » et le mot « sixième » est remplacé par le mot « huitième ».
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement a pour objet d’allonger de deux années la possibilité, pour un magistrat, d’exercer, sur l’ensemble de sa carrière, les fonctions de magistrat placé. Un tel allongement constitue un moyen de pallier la désaffection pour cette fonction, en répondant aux besoins des juridictions et au souhait de certains magistrats de l’exercer au-delà de la limite de six ans sur l’ensemble de la carrière, limite qui apparaît parfois trop restrictive. Des magistrats qui ont déjà exercé ces fonctions peuvent en effet solliciter une nouvelle nomination sur de tels postes pour favoriser le développement de leur carrière, afin notamment d’accéder plus rapidement au premier grade, pour obtenir, à la suite par exemple de changements survenus sur le plan personnel, un poste dans une cour d’appel particulièrement demandée ou tout simplement par choix, ces fonctions donnant droit, sous certaines conditions, au remboursement des frais engagés à un taux de prime forfaitaire fixé à 39 %.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement a pour objet d’étendre de six à huit ans la durée pendant laquelle un magistrat est autorisé à exercer les fonctions de magistrat placé.
Ces fonctions sont particulièrement utiles, parce qu’elles permettent de répondre temporairement aux problèmes de vacance de postes.
Toutefois, l’emploi de magistrat placé constitue une atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège. Certes, un magistrat ne peut occuper cette fonction que s’il y consent, mais, lorsqu’il a accepté d’être placé auprès des juridictions d’une cour d’appel, il revient au seul chef de cour de décider discrétionnairement de l’emploi qu’il occupera dans le ressort de la cour.
C’est la raison pour laquelle le législateur organique a limité strictement la durée d’exercice de cette fonction. D’ailleurs, en 2011, le Sénat avait refusé, sur l’initiative de notre collègue Jean-Yves Leconte, que cette durée soit allongée.
Faut-il passer de six à huit ans ? Je suis assez réservé sur ce point. Je rappelle que, pour attirer des magistrats dans cette fonction, l’ordonnance statutaire leur garantit une priorité d’affectation dans le ressort de la cour d’appel à partir de deux ans d’exercice. Les intéressés cherchent à en profiter le plus rapidement possible, afin de progresser dans leur carrière. Il est rare qu’un magistrat exprime le vœu de rester magistrat placé plus de six ans. Ceux qui souhaiteront le rester huit ans seront encore plus rares, à moins de développer une stratégie consistant à être successivement magistrat placé pendant deux ou trois ans, afin de bénéficier à chaque fois de la priorité d’affectation. Je ne suis pas certain qu’il faille encourager ce genre de stratégies… J’émets donc un avis plutôt défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est plutôt favorable…
J’ai écouté les arguments du rapporteur avec la plus grande attention ; ils révèlent son souci du bon fonctionnement de la magistrature.
Toutefois, l’adoption de l’amendement ne bouleverserait pas le fonctionnement des juridictions et des affectations sur ces postes, et il convient de tenir compte des besoins et des demandes des juridictions. En effet, plus les promotions de l’ENM sont importantes, plus nous créons de postes et plus il y a de postes vacants, la formation des magistrats durant trente et un mois. Nous commençons toutefois à recueillir les fruits des efforts consentis, puisque nous enregistrons en 2015 pour la première fois un solde positif en termes d’arrivées effectives dans les juridictions.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 9
Mme la présidente. L'amendement n° 63, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 6 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’harmoniser la formulation du serment prêté par les magistrats de l’ordre judiciaire avec celle du serment des magistrats des juridictions financières, en supprimant l’adverbe « religieusement ». Cette formulation, fixée par l’article 6 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, qui n’a pas été modifié depuis, est la suivante : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission n’a pu examiner cet amendement, qui a été déposé tardivement ; c’est donc un avis purement personnel que je vais exprimer.
La suppression par coordination de l’adverbe « religieusement », qui ne figure plus dans le serment prêté par les autres magistrats, me choquerait d’autant moins que, si mes souvenirs sont bons, il a également disparu, à une certaine époque, du serment prêté par les avocats.
Il n’y aurait rien de choquant non plus à conserver ce mot, sa présence ne signifiant évidemment pas que le magistrat prête serment sur un quelconque texte religieux. L’adverbe « religieusement » renvoie plutôt à la dimension sacramentelle du serment. Il ne faut pas plus prêter de mauvaises intentions aux mots qu’aux êtres !
J’émets, à titre personnel, un avis favorable sur cet amendement, ne serait-ce que pour des raisons de coordination. Par ailleurs, toujours par coordination, il serait souhaitable de supprimer le même terme à l’article 20 de l’ordonnance statutaire, relatif au serment des auditeurs de justice. Je vous suggère donc, madame la ministre, de rectifier votre amendement en ce sens.
Mme la présidente. Madame la ministre, que pensez-vous de la rectification proposée par M. le rapporteur ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’y souscris et je rectifie mon amendement en ce sens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 63 rectifié, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au deuxième alinéa de l’article 6 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
II.- Au troisième alinéa de l’article 20 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 9.
L’amendement n° 26, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat intégré au titre des articles 22 et 23 nommé dans une juridiction d’outre-mer et effectuant son stage préalable sur le territoire métropolitain peut prêter serment devant la cour d’appel de sa résidence. »
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement vise à régler les problèmes pratiques rencontrés pour recevoir les prestations de serment des magistrats intégrés nommés outre-mer qui souhaitent effectuer leur stage préalable dans l’Hexagone et veulent éviter le déplacement pour procéder à la prestation de serment devant leur cour d’appel d’affectation.
En effet, à compter de la parution du décret de nomination, les candidats à l’intégration au titre des articles 22 et 23 de l’ordonnance statutaire ont la qualité de magistrat et doivent prêter le serment prévu par l’article 6 de cette ordonnance, quand bien même ils sont soumis à un stage de six mois préalable à leur installation. Or la prestation de serment prévue par l’article 6 doit impérativement intervenir devant la cour d’appel d’affectation. Les magistrats intégrés nommés outre-mer sont donc actuellement contraints d’effectuer un aller-retour outre-mer uniquement pour prêter serment avant de commencer leur stage de six mois dans l’Hexagone. En outre, les frais occasionnés par ces trajets grèvent les budgets des cours d’appel concernées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’une mesure de bon sens. La commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Il faudrait ajouter deux virgules : l’une avant « nommé » et l’autre après « métropolitain ».
M. Alain Richard. Le droit, c’est aussi du français !
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, acceptez-vous cette suggestion de rectification ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 26 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat intégré au titre des articles 22 et 23, nommé dans une juridiction d’outre-mer et effectuant son stage préalable sur le territoire métropolitain, peut prêter serment devant la cour d’appel de sa résidence. »
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 9.
Article 10
L’article 12-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « et à l’occasion d’une candidature au renouvellement des fonctions » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Cette évaluation est précédée de la rédaction par le magistrat d’un bilan de son activité et d’un entretien avec le chef de la juridiction où le magistrat est nommé ou rattaché ou avec le chef du service dans lequel il exerce ses fonctions. S’agissant des juges de proximité et des magistrats exerçant à titre temporaire, elle est précédée d’un entretien avec, selon le cas, le président du tribunal de grande instance ou le magistrat du siège de ce tribunal chargé de l’administration du service du tribunal d’instance dans le ressort duquel est située la juridiction de proximité ou auprès duquel le magistrat exerçant à titre temporaire est affecté. L’évaluation est intégralement communiquée au magistrat qu’elle concerne. » ;
3° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité qui procède à l’évaluation prend en compte les conditions d’organisation et de fonctionnement du service dans lequel le magistrat exerce ses fonctions. S’agissant des chefs de juridiction, l’évaluation apprécie, outre leurs qualités juridictionnelles, leur capacité à gérer et à animer une juridiction. »
Mme la présidente. L’amendement n° 50, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4, deuxième phrase
1° Supprimer les mots :
dans le ressort duquel est située la juridiction de proximité ou
2 ° Après la deuxième occurrence du mot :
temporaire
insérer les mots :
ou le juge de proximité
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. L’adoption de cet amendement est rendue nécessaire par la suppression de la juridiction de proximité à compter de janvier 2017.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’adoption de cet amendement ne permettra pas de procéder à l’intégralité de la coordination souhaitée pour prendre en compte la suppression de la juridiction de proximité. En effet, l’entretien précédant l’évaluation ne pourra plus avoir lieu avec le magistrat chargé de l’administration du tribunal d’instance, mais avec le président du tribunal de grande instance.
J’émets cependant un avis favorable, sous réserve que la rédaction évolue au cours de la procédure législative.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10, modifié.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11
L’article 13 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « au siège » sont remplacés par les mots : « dans le ressort » ;
b) Sont ajoutés les mots : « ou dans le ressort d’un tribunal de grande instance limitrophe » ;
2° (Supprimé)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article additionnel après l’article 11
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du premier alinéa de l’article 27 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est supprimée.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. L’amendement a pour objet de supprimer de l’article 27 de l’ordonnance statutaire des dispositions qui deviennent inutiles eu égard aux nouvelles dispositions introduites par le présent projet de loi à l’article 36 de la même ordonnance. En effet, selon ces dernières, les magistrats non inscrits sur la liste établie chaque année par les chefs de cour de présentation en vue de l’inscription au tableau d’avancement pourront dorénavant saisir directement la commission d’avancement, ce qui est actuellement prévu à l’article 24 du décret statutaire du 7 janvier 1993.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement établit une coordination avec les modifications introduites à l’article 36 de l’ordonnance statutaire. Avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 11.
Article 12
(Non modifié)
L’article 27-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa, les mots : « et organisations professionnelles » sont supprimés ;
2° À la première phrase et au début de la seconde phrase du dernier alinéa, les mots : « ne s’appliquent pas aux projets de nomination de substitut chargé du secrétariat général d’une juridiction. Elles » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 13
(Non modifié)
La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 28 de la même ordonnance est complétée par les mots : « et aux magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur des services judiciaires ». – (Adopté.)
Article 14
Après l’article 28-3 de la même ordonnance, il est inséré un article 28-4 ainsi rédigé :
« Art. 28-4. – Le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège exerçant la fonction de président, de premier vice-président ou de vice-président. Il est désigné par le président du tribunal de grande instance, après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
« Le juge des libertés et de la détention peut être suppléé, y compris par un magistrat du siège n’exerçant pas les fonctions mentionnées au premier alinéa, en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement, ainsi que pour l’organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, dans des conditions définies par la loi. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 37 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 47 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 28-3 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « Les fonctions de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, après les mots : « en qualité de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de » ;
3° À la première phrase du troisième alinéa, après les mots : « Nul ne peut exercer plus de dix années la fonction de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 37.
Mme Cécile Cukierman. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, nous n’approuvons pas la réécriture de l’article 14. La rédaction initiale de cet article modifiait l’article 28-3 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 pour renforcer le statut des juges des libertés et de la détention, notamment afin que ceux-ci, au même titre que les magistrats chargés de fonctions spécialisées, soient nommés par décret et non désignés par le président du tribunal de grande instance.
La commission des lois a modifié en profondeur la rédaction de l’article 14, en particulier en adoptant un amendement du rapporteur aux termes duquel le juge des libertés et de la détention resterait un magistrat du premier grade désigné par le président du tribunal de grande instance, mais après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège du tribunal concerné. Cette formalité, selon le rapporteur, devrait « protéger l’exercice de la fonction, sans pour autant occasionner les rigidités liées à une nomination par décret ».
Certes, l’introduction de l’avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège représente une forme de garantie, le rôle de celle-ci n’étant aujourd’hui que consultatif : les chefs de juridiction exercent encore, pour l’heure, un pouvoir discrétionnaire en matière d’affectation des magistrats au service du juge des libertés et de la détention. Toutefois, cette disposition ne suffira pas à limiter les risques d’exercice de pressions par les chefs de juridiction sur ces magistrats. L’actualité a montré, très récemment, qu’un juge des libertés et de la détention pouvait faire l’objet de pressions de la part de sa hiérarchie pour tenter de l’empêcher de prendre une décision de remise en liberté de migrants, par exemple.
Par ailleurs, la question de l’ancienneté des magistrats est évidemment importante, mais si tel est véritablement le souci de la commission, pourquoi ne pas prévoir, dans la loi organique, que les fonctions de juge des libertés et de la détention soient réservées aux magistrats du premier grade ?
Enfin, l’argument tenant aux difficultés de gestion qui pourraient résulter de la mise en œuvre de cette réforme dans les petites juridictions est infondé. En effet, elles comptent déjà des juges de l’application des peines, des juges d’instruction et des juges des enfants nommés par décret et, a priori, elles s’en accommodent bien.
Ainsi, une telle réforme ne posera pas de problèmes de gestion : si le poste ne constitue pas un emploi à temps plein, rien n’interdira de confier d’autres compétences au juge des libertés et de la détention pour compléter son temps de service, comme cela se fait pour d’autres juges spécialisés. Au contraire, cette réforme permettra une reconnaissance institutionnelle de nature à favoriser l’investissement des magistrats dans cette fonction.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous proposons de rétablir la rédaction initiale de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite également le rétablissement du texte initial, faisant du juge des libertés et de la détention un juge spécialisé, qui recevra une formation et sera mieux protégé grâce à son statut particulier.
Nous tenons à cette mesure. J’ai répondu tout à l’heure aux préoccupations exprimées pour ce qui concerne les petites juridictions. D’autres juges spécialisés y sont affectés et participent à la vie de la juridiction au-delà de l’exercice de leur spécialité. Le juge des libertés et de la détention est garant des droits des droits et des libertés : nous pensons qu’il est bon qu’il soit un juge spécialisé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les amendements nos 37 et 47 visent à rétablir le texte initial de l’article 14 du projet de loi organique. Je souhaite exposer les raisons qui ont conduit la commission des lois à proposer une solution alternative à la réforme présentée par le Gouvernement.
Je tiens tout d’abord à rappeler que la fonction de juge des libertés et de la détention a été créée par la loi du 15 juin 2000 pour retirer au juge d’instruction la compétence en matière de détention provisoire, afin d’instituer un « double regard » – selon l’expression du moment – sur les affaires instruites et de confier à un magistrat expérimenté le soin de prendre les décisions qui portent, avant condamnation éventuelle, le plus lourdement atteinte à la liberté.
Depuis cette date, les compétences du juge des libertés et de la détention n’ont cessé de s’étoffer dans le domaine de la procédure pénale, mais également dans de nombreux autres secteurs. Désormais, vingt codes prévoient son intervention –je pense, en particulier, au contentieux des étrangers ou à l’hospitalisation psychiatrique. La liste de toutes les compétences du juge des libertés et de la détention figure d’ailleurs en annexe du rapport que j’ai l’honneur de présenter : c’est assez effrayant !
Ainsi que l’a souligné un haut magistrat que nous avons auditionné, le juge des libertés et de la détention « s’est très vite affranchi des limites fixées par la loi du 15 juin 2000 », au point de s’imposer désormais « comme le juge de droit commun lorsqu’il s’agit d’autoriser des mesures privatives ou restrictives de liberté » et de s’affirmer « comme un juge pénal de l’urgence ».
On nous a fait valoir que les compétences que le juge des libertés et de la détention tire des textes applicables sont trop importantes pour qu’il ne bénéficie pas des mêmes protections statutaires que ses collègues magistrats du siège. À cet égard, son mode actuel de désignation – par le président du tribunal de grande instance parmi les magistrats du premier grade exerçant une fonction de premier vice-président ou de vice-président – ne le mettrait pas à l’abri des pressions pouvant s’exercer sur lui.
Madame la ministre, je n’irai pas par quatre chemins : tous les magistrats qu’Yves Détraigne et moi-même avons entendus nous ont fait part des réserves que leur inspirait la réforme que vous proposez, seules les organisations syndicales de magistrats approuvant celle-ci.
M. François Pillet, rapporteur. Après en avoir délibéré, la commission des lois a estimé que la réforme que vous proposez ne fonctionnerait pas. C’est bien dans un esprit constructif, animés par le souhait de déboucher sur une réforme pragmatique, que nous vous proposons un autre projet.
Nous avons tout d’abord considéré qu’il était indispensable que le juge des libertés et de la détention demeure un magistrat expérimenté. Devant, dans la plupart des cas, statuer dans l’urgence et sur des dossiers complexes, le juge des libertés et de la détention doit en effet avoir une grande expérience, d’autant plus que, face à des pressions multiples – de la part des services enquêteurs de police ou de gendarmerie, du parquet ou des avocats –, ce n’est pas une nomination par décret après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature qui fera son indépendance, mais bien sa connaissance de la mécanique judiciaire.
Ensuite, les conditions d’exercice de cette fonction la rendent peu attractive aux yeux des magistrats. Et la spécialisation n’aura aucun effet ; la mission restera « subie ».
Il est à craindre – vous avez d’ailleurs prévu cette éventualité, madame la garde des sceaux – qu’il ne faille désigner d’office de jeunes auditeurs sortis de l’ENM et peu préparés à une telle fonction pour pourvoir les plus de 200 postes de JLD en France ou que les candidatures proposées soient motivées non pas par un intérêt professionnel, mais par des préoccupations géographiques.
En outre, et c’est un élément important, la nomination par décret pourra également se retourner contre le bon fonctionnement de la justice. Le magistrat, juge des libertés fondamentales, ne pourra jamais statuer en collégialité, hormis dans les très grands TGI dotés de plusieurs JLD. C’est donc un argument supplémentaire en faveur du choix d’un professionnel expérimenté et totalement indépendant !
Par ailleurs, un président de TGI n’aurait aucun recours face à un JLD qui exercerait ses fonctions de manière insatisfaisante et dont la pratique et la jurisprudence seraient décriées par l’ensemble des intervenants auprès du tribunal, à commencer par ses collègues.
Nous avons donc estimé que le système proposé présentait de nombreuses rigidités et qu’il serait difficilement applicable.
Notre solution a le mérite, tout en répondant à vos objectifs, d’accroître les garanties dont disposent les JLD sans soulever les inconvénients que je viens d’énumérer. Nous ne prônons donc nullement le statu quo.
Premièrement, le JLD resterait un magistrat du premier grade exerçant les fonctions de président, de premier vice-président ou de vice-président du TGI. Cette exigence serait désormais posée dans l’ordonnance statutaire.
Deuxièmement, sa nomination interviendrait après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège ; c’est une nouveauté. Cette solution avait d’ailleurs été esquissée dans l’étude d’impact du projet de loi, sans être retenue. Nous avons considéré qu’il s’agirait là d’une bonne méthode, alliant accroissement des garanties d’indépendance, protection contre la révocation arbitraire et souplesse. Là encore, cette disposition figurerait dans l’ordonnance statutaire.
Troisièmement, les cas dans lesquels le JLD pourrait être suppléé seraient limitativement énumérés dans l’ordonnance de 1958, mais la définition des modalités de mise en œuvre de cette suppléance serait renvoyée à la loi ordinaire.
En d’autres termes, madame la garde des sceaux, la commission des lois, loin d’écarter totalement vos préoccupations, a seulement jugé que l’objectif ne serait pas atteint avec le texte présenté. Nous proposons un autre dispositif, mais nous ne voulons pas transiger sur le fait que le JLD doit être du premier grade.