Sommaire
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
2. Organismes extraparlementaires
5. Dépôt d’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
6. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire chypriote
8. Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
9. Conventions internationales – Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
10. Organisation de la manutention dans les ports maritimes. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
11. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire belge
12. Organisation de la manutention dans les ports maritimes. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
13. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire hongroise
14. Organisation de la manutention dans les ports maritimes. – Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 6 de Mme Odette Herviaux. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public, de l’article.
L’article demeure supprimé.
Adoption, par scrutin public, de l’article.
L’article demeure supprimé.
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État
16. Lutte contre le système prostitutionnel. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission, modifié
Discussion générale :
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
Amendement n° 7 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Amendement n° 18 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 19 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 20 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 13 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 21 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 16 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 3 rectifié de M. Mathieu Darnaud. – Non soutenu.
Amendement n° 1 de Mme Catherine Troendlé. – Rejet, par scrutin public, de l’amendement.
Adoption de l’article.
Amendement n° 2 de Mme Catherine Troendlé. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
L’article demeure supprimé.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 22 de Mme Esther Benbassa. – Retrait.
Amendement n° 17 de M. Jean-Pierre Vial. – Adoption.
Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Vial. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission spéciale
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État
17. Communication relative à la procédure d'examen en commission d'un projet de loi organique
18. Communications du Conseil constitutionnel
19. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organismes extraparlementaires
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation, d’une part, d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique en remplacement de M. François Calvet, d’autre part, de deux sénateurs appelés à siéger au conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.
La commission des affaires économiques a été invitée à présenter la première candidature et la commission des lois, à présenter les deux autres candidatures.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.
3
Commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l’expérimentation du renforcement des garanties contre les impayés des pensions alimentaires.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu’à la commission des lois.
5
Dépôt d’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par courrier en date du 13 octobre 2015, les avis formulés par le congrès de la Nouvelle-Calédonie au cours de sa séance publique du lundi 28 septembre 2015 sur la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française (n° 572, 2014-2015), et la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 574, 2014-2015).
Acte est donné de la communication de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des lois.
6
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire chypriote
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, de M. Averof Neofytou, président de la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des représentants de Chypre, accompagné de ses collègues M. Georgios Georgiou et Mme Athéna Kyriakidou. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État chargé des transports, se lèvent.)
Cette visite fait suite au déplacement, en 2014, d’une délégation du groupe d’amitié France-Chypre, présidé par M. Didier Marie.
Elle intervient alors que les négociations intercommunautaires, entre les parties chypriote-grecque et chypriote-turque, connaissent une nouvelle dynamique. Le règlement de la question chypriote, auquel nous sommes tous très attachés, contribuera incontestablement à accroître la stabilité et la sécurité dans la région. La délégation aura d’ailleurs l’occasion d’aborder ces aspects lors de ses entretiens ici, à Paris.
Nous souhaitons à nos collègues chypriotes la plus cordiale bienvenue au Sénat français et un fructueux séjour ! (Applaudissements.)
7
Renvoi pour avis unique
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (n° 34, 2015-2016), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
8
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 14 octobre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- la saisine d’office et sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence (n° 2015 489 QPC) ;
- l’interdiction administrative de sortie du territoire (n° 2015 490 QPC) ;
- la demande tendant à la saisine directe du Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2015 491 QPC).
Acte est donné de ces communications.
9
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord relatif aux mesures visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord relatif aux mesures du ressort de l'État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (ensemble cinq annexes) signé à Rome le 19 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (projet n° 794 [2013-2014], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).
(Le projet de loi est adopté.)
amendement à la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'amendement à la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, pris par décision II/1 adoptée dans le cadre de la deuxième réunion des Parties à la convention, à Almaty le 27 mai 2005, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’amendement à la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, pris par décision II/1 adoptée dans le cadre de la deuxième réunion des Parties à la convention (projet n° 482 [2014-2015], texte de la commission n° 28, rapport n° 27).
(Le projet de loi est adopté.)
ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, signé à Genève le 10 janvier 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (projet n° 696 [2014-2015], texte de la commission n° 24, rapport n° 23).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
10
Organisation de la manutention dans les ports maritimes
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes (proposition n° 565 [2014-2015], texte de la commission n° 17, rapport n° 16).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les ports constituent des maillons essentiels de notre chaîne de transports. On estime d’ailleurs qu’ils représentent quelque 40 000 emplois directs.
Vous le savez, les premières années d’existence des grands ports maritimes, ou GPM, procédant de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, ont permis d’assoir leur rôle d’ensemblier des activités de la place portuaire, garant de leur développement.
Les résultats sont encourageants, mais il nous faut encore poursuivre les efforts. Les trafics conteneurisés sont en hausse avec une croissance annuelle moyenne de 5,3 % depuis 2012, soit plus que l’augmentation moyenne que connaissent les ports européens de la façade Manche–mer du Nord.
Le développement d’un système logistique compétitif et durable incluant la chaîne logistique de bout en bout doit permettre de renforcer l’attractivité des ports auprès des chargeurs et des armateurs.
C’est le travail que nous avons effectué avec le nouveau cycle qui s’ouvre : les instances de gouvernance des ports ont été renouvelées et de nouveaux projets stratégiques ont été définis dans chaque grand port maritime, afin de fixer le cap pour plusieurs années, au plus près des enjeux propres à chaque territoire.
Une dynamique s’est également enclenchée, dans le droit fil des recommandations du rapport établi en 2014 par Mme Herviaux, que je salue, dynamique tendant à renforcer la coopération portuaire avec les ports décentralisés et les ports intérieurs, qui sont des maillons complémentaires de la chaîne logistique.
Des efforts sans précédent sont prévus pour accompagner financièrement ces différentes initiatives. Ainsi, au titre des contrats de plan État-région, ou CPER, pour la période 2015-2020, les ports représentent un volume d’investissements de 1,6 milliard d’euros, contre 1,1 milliard d’euros pour le CPER 2007-2013.
En outre, à l’échelon européen, la France a déposé vingt-trois projets portuaires et fluviaux dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion de l’Europe. Sur ce front également, les résultats sont très encourageants : pas moins de 53 millions d’euros de subventions ont été accordés à la France au titre de la modernisation de ses grands ports, somme à laquelle s’ajoutent les 82 millions d’euros fléchés sur le projet « Calais Port 2015 ».
Le Gouvernement a une stratégie globale de développement de l’attractivité et de la compétitivité de nos ports, pour permettre de transformer l’essai de la réforme portuaire et donner à la France, en métropole comme dans les outre-mer, une place de premier plan dans le commerce mondial.
À présent, je tiens à rappeler le contexte qui nous conduit aujourd’hui à légiférer sur le statut des dockers et la démarche qui a permis d’aboutir à cette proposition de loi.
À la suite de tensions survenues dans le port décentralisé de Port-la-Nouvelle à la fin de l’année 2013, lesquelles étaient liées à certaines ambiguïtés des articles du code des transports, le Gouvernement a joué son rôle de facilitateur du dialogue en réunissant un groupe de travail chargé d’évaluer l’opportunité d’une évolution des règles d’emploi des dockers.
Des travaux de cette mission est sorti un texte équilibré entre les positions des différents acteurs œuvrant pour le développement de nos ports, à savoir les entreprises de manutention, les industriels implantés sur les terminaux et les représentants des ouvriers dockers. Cet équilibre a été obtenu par un dialogue riche et constructif et par un travail approfondi. Il résulte de près de trente réunions de travail qui se sont succédé entre les mois de février et de juillet 2014.
L’objectif était bien de concilier des enjeux essentiels à l’attractivité de nos ports et à leur développement économique : d’abord, la sécurité des personnes et des biens, fondée sur la qualification et le professionnalisme des dockers ; ensuite, la liberté d’entreprendre ; enfin, le respect des travailleurs et de leurs conditions d’emploi.
Les élus du groupe socialiste à l’Assemblée nationale ont alors décidé de déposer une proposition de loi respectant à la lettre le contenu de l’accord.
Ainsi, le présent texte instaure une définition de l’ouvrier docker professionnel fondée sur l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, soumis à la convention collective nationale unifiée « ports et manutention », la CCNU ; une consolidation du principe de priorité d’emploi pour les ouvriers dockers ; une définition modernisée du périmètre dans lequel devrait s’appliquer la priorité d’emploi des ouvriers dockers, fondée sur le service au navire ; une charte nationale pour les nouvelles implantations industrielles dans les ports maritimes de commerce, comportant une obligation de négociation entre les différents acteurs de la place portuaire et des engagements réciproques de compétitivité, de fiabilité sociale et de respect des emplois portuaires et des clauses de la convention collective précitée.
L’Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi sans y apporter aucune modification, afin d’en respecter l’équilibre.
L’objectif de ce texte est de sécuriser juridiquement le régime de priorité d’emploi, en vue de pérenniser l’emploi des dockers dans un cadre modernisé, répondant aux enjeux de développement de nos places portuaires. Le savoir-faire et l’expérience de cette profession sont des atouts précieux en matière de sécurité pour nos ports.
Il s’agit ainsi de contribuer à améliorer la fiabilité et la compétitivité de nos ports, dans un environnement fortement concurrentiel. Ce sujet est essentiel, et j’y suis très attaché.
J’ai rappelé le contexte particulier de l’élaboration de cette proposition de loi, car il marque sa singularité et induit la question qui doit, à l’évidence, être au cœur de votre discussion d’aujourd'hui : que doit faire le Parlement face à un texte qui résulte d’un accord des partenaires sociaux ?
Écartons tout de suite le débat sans fondement sur le conflit de légitimité qui opposerait la démocratie politique et la démocratie sociale. Dans notre République, il n’y a qu’une légitimité pour élaborer la loi, celle du Parlement, expression du peuple souverain.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ah !
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. La question n’est donc pas juridique : nul ne songe à contester à l’Assemblée nationale, hier, ou au Sénat, aujourd’hui, l’exercice de la plénitude de ses droits. La question est politique : le Parlement préfère-t-il imposer ses propres conceptions quand les partenaires sociaux sont parvenus à un accord majoritaire ?
Lorsque les employeurs et les salariés sont parvenus à un accord, n’est-il pas opportun d’en respecter l’équilibre ? Lorsque les partenaires sociaux élaborent eux-mêmes la solution d’un conflit, le respect de celle-ci ne constitue-t-il pas la garantie de son application par les acteurs eux-mêmes ? À partir du moment où le législateur constate le respect de l’ordre public social, faut-il s’immiscer dans l’équilibre proposé par les syndicats et le patronat ?
À cette question, politique et non juridique, je le répète, la majorité du Sénat a manifestement choisi, au vu du texte issu des travaux de votre commission, une réponse lourde de conséquences sur le principe et, naturellement, en l’espèce.
J’observe au passage que les groupes de droite de L’Assemblée nationale ne s’étaient pas opposés à la démarche du groupe socialiste.
J’espère que chacun ici sera au moins d’accord pour ne pas poursuivre les débats dans l’ambiguïté, en invoquant le prétexte ou, en tout cas, le faux-semblant que constituerait l’affichage d’une ambition d’amélioration du texte.
Le texte adopté par la majorité sénatoriale en commission modifie les dispositions essentielles de la proposition de loi, et donc de l’accord.
Soyons clairs : l’adoption par votre assemblée du texte proposé par votre commission constituerait un geste de défiance envers les partenaires sociaux et, surtout, signifierait la disparition de l’accord.
Faut-il rappeler les incidents qui sont à l’origine de ce texte et le risque de voir, demain, les mêmes causes produire les mêmes effets ?
Vous l’avez compris, le Gouvernement prend acte du choix de la majorité de la commission du Sénat, mais il le regrette profondément.
Dans une société où les tensions sont fortes et où elles constituent le fonds de commerce d’une extrême droite toujours prompte à exploiter le moindre incident, n’est-il pas plus judicieux, aujourd’hui, de choisir l’apaisement, le compromis, le respect de l’accord des partenaires sociaux ?
C’était l’attente des organisations patronales et salariales signataires de l’accord, ainsi, bien sûr, que du Gouvernement. La procédure législative se poursuivra, mais il est dommage que le signe de rassemblement donné par les partenaires sociaux se heurte aujourd’hui à une fin de non-recevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi relative aux dockers, dont le régime d’emploi actuel est issu de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, dite « loi Le Drian ».
Cette réforme courageuse a mis fin à quarante-cinq ans de monopole syndical des dockers, hérité d’un statut datant de 1947 qui avait, au fil des années, gravement fragilisé la compétitivité de nos ports.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de remettre en cause l’équilibre de 1992. La proposition de loi que nous examinons n’a vocation pas à réformer le régime des dockers, non plus que les ports. Il s’agit d’abord de corriger une difficulté d’interprétation juridique posée par la disparition progressive de la catégorie des dockers intermittents au profit des dockers mensualisés en contrat à durée indéterminée, processus prévu par la loi Le Drian de 1992.
Cette ambiguïté juridique a entraîné, durant l’été 2013, un conflit sur le port décentralisé de Port-la-Nouvelle. L’une des entreprises, implantée depuis longtemps sur le site, reprochait à l’autre de lui faire une concurrence déloyale en employant du personnel non docker pour ses travaux de manutention.
À la suite de cet épisode, monsieur le secrétaire d'État, votre prédécesseur, Frédéric Cuvillier, a constitué un groupe de travail autour de Martine Bonny, inspectrice générale de l’écologie et du développement durable et ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque.
Ce groupe de travail a largement consulté les acteurs du monde portuaire et a fourni un rapport d’une grande qualité, proposant une série de modifications dans le code des transports. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale traduit fidèlement ces propositions.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est favorable au toilettage qui vise à « décorréler » la priorité d’emploi et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire, puisque ceux-ci sont en voie de disparition. Il est indispensable de lever l’ambiguïté juridique qui est à l’origine de l’affaire de Port-la-Nouvelle, tous les acteurs en sont conscients.
Toutefois, cette proposition de loi ne s’arrête pas là. Chacun s’accorde à dire qu’il ne faut pas perturber les pratiques existantes, qui varient d’une place portuaire à l’autre. Nos ports ont avant tout besoin de stabilité et de fiabilité. D’ailleurs, leur activité s’améliore peu à peu depuis 2011 et la mise en œuvre de la réforme de 2008, grâce à la forte baisse de la conflictualité sociale. Or, alors que tout le monde revendique le statu quo, cette proposition de loi va dans la direction inverse !
En effet, l’affaire de Port-la-Nouvelle sert de prétexte à la modification d’autres points de la réforme Le Drian de 1992, ce qui me paraît au mieux inutilement précipité, au pis dangereux. Le point névralgique du texte est l’article 6, qui vise à clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des ouvriers dockers. La définition de ce périmètre est un sujet extrêmement sensible : d’un côté, les dockers sont attachés à leur pré carré, qui leur apporte une certaine garantie d’emploi, de l’autre, les entreprises peuvent être tentées d’avoir recours à une main-d’œuvre moins onéreuse.
À l’heure actuelle, des équilibres ont été trouvés dans chaque port. Pourquoi perturber un cadre juridique, certes probablement imparfait, mais qui a le mérite de fonctionner ? De surcroît, selon nous, les améliorations proposées ne suppriment pas ces imperfections, mais les repoussent dans le détail et dans la technique juridique.
J’en veux pour preuve que, de l’aveu même de plusieurs défenseurs de cette proposition de loi, personne ne sait réellement comment s’appliquera concrètement la charte nationale qui est proposée.
Celle-ci risque de faire fuir tout investisseur privé : beaucoup d’industriels et de porteurs de projets ne comprennent pas l’obligation de devoir négocier avec un syndicat avant même d’envisager une implantation industrielle. Pourtant, nos ports ont réellement besoin d’investissements privés, que la réforme Bussereau de 2008 visait d’ailleurs précisément à encourager.
Quant aux termes de « première amenée ou reprise », présents dans le projet de décret d’application de l’article 6, ils ne font l’objet d’aucune définition normative précise : que se passera-t-il lorsque la première amenée sera effectuée depuis le quai par voie automatique jusque dans le hangar, par exemple par le moyen d’un tapis roulant pour du vrac solide ? Faudra-t-il faire prioritairement appel à un ouvrier docker pour réceptionner les marchandises dans le hangar ?
De même, comment traiter la situation d’un conteneur directement chargé du bateau sur le châssis d’un camion de transport ? Celui-ci devra-t-il être prioritairement conduit par un ouvrier docker ?
Des us et coutumes sont suivis dans chaque port et ils sont différents d’un port à l’autre !
Enfin, la nouvelle définition du docker occasionnel pose également des problèmes à certaines entreprises, par exemple aux céréaliers, qui s’inquiètent de ne plus pouvoir recourir à des contrats d’intérim en fonction de leur volume d’activité.
D’une façon générale, le rapport de Martine Bonny fournit une analyse juridique de qualité, mais ne dit absolument rien sur les conséquences économiques des modifications proposées.
Une solide étude d’impact aurait dû nous éclairer sur ce point. Or, monsieur le secrétaire d'État, vous avez fait le choix de déguiser un projet de loi en proposition de loi, à laquelle vous avez de surcroît appliqué la procédure accélérée, alors qu’aucune urgence ne le justifie, nous privant ainsi de ces éléments précieux.
Vous le savez bien, le Parlement ne peut pas être considéré comme une simple chambre d’enregistrement, fût-ce pour un texte issu du dialogue social !
Nous attendons une analyse port par port de l’impact des modifications proposées. Seuls ces éclairages nous permettraient de voter, en toute connaissance de cause, des modifications qui risquent de perturber les fragiles équilibres économiques et sociaux de nos ports.
Vous ne pouvez pas non plus faire valoir une quelconque urgence européenne. Contrairement à celles de la Belgique et de l’Espagne, notre réglementation n’a, à ma connaissance, fait l’objet d’aucune mise en demeure de la Commission européenne.
Si votre objectif était réellement d’offrir des garanties de compatibilité avec le droit européen, alors, il faudrait également ouvrir, dans cette proposition de loi, le chantier de la formation et de la qualification des dockers : c’est le corollaire de l’exigence de sécurité des personnes et des biens qui justifie les dérogations aux principes du droit de la concurrence, de la liberté d’installation et de la libre prestation de services que nous impose l’Europe.
Or des discussions sont prévues en 2016, au comité du dialogue social sectoriel européen, pour les travailleurs portuaires, afin d’élaborer des lignes directrices pour la formation des ouvriers dockers et d’éviter le dumping social.
Aucune urgence ne justifie donc d’anticiper les conclusions de ce dialogue européen. N’inversons pas les rôles !
Notre commission salue le travail de Martine Bonny, mais regrette les mauvais choix du Gouvernement en matière de calendrier et de méthode. L’absence d’étude d’impact économique est bien fâcheuse, quand nos ports connaissent déjà une situation difficile, même si celle-ci s’améliore légèrement. Les modifications proposées n’apporteront probablement pas grand-chose aux ports de Marseille et du Havre, mais elles risquent, en revanche, de fragiliser d’autres ports plus petits, comme Dunkerque, Rouen ou d’autres, et de faire fuir certains investisseurs privés.
Pour cette raison, notre commission a choisi de ramener ce texte à son objectif initial : corriger l’ambiguïté juridique qui découle de l’extinction progressive de l’intermittence, et rien de plus. Elle a écarté toute autre modification susceptible d’emporter des conséquences économiques mal maîtrisées ou difficiles à cerner, en supprimant, à l’article 5, la nouvelle définition des dockers occasionnels, en supprimant l’article 6, relatif au périmètre d’emploi et à la charte nationale pour les implantations industrielles en bord à quai, en réécrivant l’article 7, qui porte sur la double priorité d’emploi, et en supprimant l’article 9, qui tendait à la remise d’un rapport sur la charte nationale.
Gardons-nous de la tentation technocratique de chercher à rendre parfait le code des transports et à border chaque situation par une norme précise. Il y a le droit et il y a la pratique. Chaque port a sa propre culture, ses propres rapports de force, sa propre manière de résoudre les problèmes. Aucune loi ne saurait embrasser parfaitement cette réalité. Nous ne sommes pas là pour faire, en urgence, de l’embellissement juridique hasardeux, mais pour clarifier un point précis. Sachons préserver ce qui fonctionne : c’est avant tout de stabilité que nos ports ont besoin !
Il sera temps, une fois que toutes les négociations qui vont s’ouvrir se seront déroulées, de présenter au Parlement un projet de loi en procédure normale, et ce projet de loi devra être assorti de l’évaluation de toutes ses conséquences en matière économique pour les entreprises installées sur les espaces portuaires comme pour les entreprises qui font usage de ces espaces, afin de respecter l’objectif essentiel : la sécurité, la formation, le développement de l’activité et donc de l’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
11
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire belge
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, de Mme Julie de Groote, présidente du Parlement francophone bruxellois, accompagnée de ses collègues MM. Serge de Patoul, vice-président, et Jamal Ikazban, premier secrétaire. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État, se lèvent.)
Cette visite fait suite à une réunion de travail organisée par le groupe interparlementaire d’amitié France-Belgique et Luxembourg, dont le président est M. Philippe Leroy et le président délégué, M. Olivier Cadic.
À cette occasion, ont été évoqués des sujets entrant dans le champ de compétence du Parlement francophone bruxellois, notamment l’aide aux personnes, la formation professionnelle et l’enseignement.
Nous souhaitons à nos collègues belges la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Applaudissements.)
12
Organisation de la manutention dans les ports maritimes
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblé nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention viendra bien entendu en appui de celle du rapporteur, Michel Vaspart, que je remercie de son travail approfondi et rigoureux. Pour son premier rapport, notre collègue a en effet réalisé un travail remarquable, sur un sujet qui n’est pas simple, procédant à de nombreuses auditions et rencontrant l’ensemble des parties prenantes.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai été un peu surpris, pour ne pas dire choqué, que vous ayez parlé de défiance de notre part à l’égard des partenaires sociaux, et plus surpris encore que le rôle du Parlement se limite selon vous à valider les accords conclus par les partenaires sociaux.
Je ferai une observation préalable sur la procédure retenue par le Gouvernement. Il s’agit officiellement d’une proposition de loi adoptée par les députés le 25 juin dernier, soit à peine plus d’un mois après son dépôt. En réalité, nous l’avons bien vu – je dirai même que nous l’avons entendu, tant vous avez paru vous exprimer en « père naturel » de ce texte –, il s’agit plutôt d’un projet de loi déguisé, comme cela est, hélas, de plus en plus souvent le cas, en vue d’éviter les arbitrages interministériels, les avis du Conseil d’État, et pour faire en sorte qu’un texte soit examiné rapidement.
Nous allons donc examiner un texte législatif d’origine gouvernementale sous forme d’une proposition de loi, et je ne crois pas que cela contribue à revaloriser le rôle du Parlement !
Le Gouvernement, très impliqué sur ce texte, je le répète, a décidé d’engager la procédure accélérée, jadis tant critiquée à la gauche de cet hémicycle, et ce sans réelle justification, si ce n’est, semble-t-il, la volonté de « classer promptement le dossier ».
L’attitude de nos collègues socialistes en commission l’a bien montré puisqu’ils ont refusé tout amendement, y compris rédactionnel, dans le but évident d’obtenir un vote conforme.
Est-ce vraiment satisfaisant et judicieux pour un texte qui concerne l’ensemble de nos ports et plusieurs milliers de salariés ?
Sur le fond, actualiser le statut des dockers est évidemment souhaitable. Il y va de la compétitivité et de l’avenir de nos ports. Il y va également de l’importance du maintien d’un régime adapté pour une profession bien particulière, dont les tâches sont en constante évolution. En outre, il est important de trouver le bon équilibre entre ces deux impératifs. C’est précisément ce à quoi se sont efforcés le rapporteur et la commission.
Celle-ci a ainsi très largement soutenu le principe d’une rectification à la marge des lois antérieures, pour lever uniquement les incertitudes juridiques, notamment l’incertitude qui a conduit, il y a quelques mois, à des mouvements sociaux à Port-la-Nouvelle. Entre la disparition progressive de la catégorie des dockers intermittents et une difficulté d’interprétation de la loi, il était en effet nécessaire de procéder à cet ajustement.
En revanche, et c’est cela qui nous sépare, monsieur le secrétaire d’État, la commission n’a pas souhaité que ce texte aille au-delà, et surtout sans le dire, modifiant presque en catimini des points aussi importants que le périmètre d’emploi prioritaire des dockers, l’implantation industrielle en bord à quai et la définition des dockers occasionnels.
Nous ne l’avons pas souhaité pour plusieurs raisons.
La première est que deux lois mûrement réfléchies et discutées – la loi Le Drian de 1992 et la loi Bussereau de 2008 – ont procédé, elles, à une véritable réforme du statut des dockers et sont parvenues à un équilibre satisfaisant, qu’il ne faudrait pas remettre en question à la légère, sous couvert d’un simple ajustement juridique.
La deuxième raison est que des négociations sont en cours à l’échelon européen et devraient aboutir au cours du premier semestre 2016. Il est donc parfaitement prématuré de légiférer avant de savoir quelles seront les conclusions de ces négociations.
La troisième raison, enfin, est que le Parlement est pour ainsi dire « pris en otage » par la méthode retenue, car une partie des évolutions devrait figurer dans une charte prévue à l’article 6, sans qu’il nous soit donné de réelles assurances quant aux modalités concrètes de son application. Ce flou est d’ailleurs reconnu par la plupart des défenseurs de la proposition de loi.
La commission a donc considéré que la priorité, aujourd’hui, était la situation économique de nos ports, encore fragile, et la compétitivité de notre dispositif maritime, fondamentale pour un certain nombre d’entreprises et de secteurs de notre économie.
C’est le sens de la position exposée au nom de la commission par notre rapporteur, qui est soutenue par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Président de la République a récemment inauguré un nouveau porte-conteneurs géant et visité des chantiers navals à Saint-Nazaire. Il a pu, à cette occasion, réaffirmer très fortement sa volonté de promouvoir la « croissance bleue », dont les transports maritimes et, bien sûr, les ports font partie intégrante.
Formidable relais de croissance pour notre pays, gisement d’innovations et d’emplois non délocalisables, acteur majeur de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique, qui seront bientôt à l’ordre du jour de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui se tiendra prochainement à Paris, notre potentiel maritime doit être davantage et mieux exploité.
Cette proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes s’inscrit dans cette perspective.
Nous accueillons donc très favorablement cette initiative de nos collègues députés, qui rejoint la volonté du Président de la République et du Gouvernement de permettre à la France de valoriser pleinement ses atouts maritimes, sur le plan européen comme sur le plan international, tout en confortant notre appareil industriel et les emplois liés dans les zones portuaires.
Héritage de notre histoire sociale et administrative, le régime complexe de priorité d’emploi des dockers se trouve remis en cause avec l’extinction programmée, à l’horizon 2018, de la catégorie des intermittents.
Par ailleurs, ce régime repose sur des notions devenues inadaptées, comme celle de « poste public », eu égard à l’évolution de l’organisation et des trafics portuaires.
Susceptibles de remettre en cause à terme les spécificités statutaires des dockers, au détriment de la sécurité et de l’efficacité, les actuelles ambiguïtés juridiques pourraient donc avoir des conséquences néfastes sur la compétitivité et le dynamisme des infrastructures portuaires et, in fine, sur l’emploi et la solidité des bassins économiques qui en dépendent.
Pour répondre à ces difficultés, qui se sont manifestées sur le terrain judiciaire à l’été 2013, le secrétaire d’État chargé des transports a mis en place un groupe de travail dès le mois de janvier 2014.
Je tiens donc à noter très favorablement la réactivité et le sens des responsabilités du Gouvernement et du département ministériel dont vous avez la charge, monsieur le secrétaire d’État, ainsi que le sens des responsabilités de tous ceux qui ont œuvré à l’aboutissement équilibré de ce texte.
Présidé par Mme Martine Bonny, inspectrice générale de l’administration du développement durable, ce collectif a permis de trouver, après de très nombreuses auditions et plus de trente réunions officielles, un accord entre les différentes parties prenantes, au terme d’un intense travail en commun, fondé sur un dialogue social exemplaire.
Il est totalement infondé de laisser croire que seules quelques entreprises auraient participé à la construction de cet accord. Celui-ci n’est pas une « entente » entre quelques-uns, comme certains l’ont prétendu : c’est un compromis soutenu par les organisations nationales représentant les industriels comme les dockers professionnels.
Il s’agissait en effet, ni plus ni moins, de remédier à la menace d’une « suppression du métier d’ouvrier docker et à la disparition de la règle de la “priorité d’embauche” des dockers », pour reprendre les termes du rapport remis par Mme Bonny en juillet 2014 et dont la présente proposition de loi est directement issue.
Fruit d’un consensus, elle a donc été très peu modifiée par nos collègues députés, à l’exception d’un article additionnel et de modifications rédactionnelles.
C’est une étape importante dans le processus de modernisation du secteur de la manutention, engagé depuis 1992.
L’introduction de la mensualisation de l’ouvrier docker a été un élément décisif de sécurisation professionnelle et sociale, après des années de précarisation croissante.
Les chiffres communiqués dans le rapport de Mme Bonny attestent par ailleurs que la loi du 9 juin 1992 a permis d’abaisser la moyenne d’âge des dockers et de diversifier les profils recrutés, preuve d’une nouvelle attractivité du métier grâce à une organisation réformée et rationalisée. Ainsi, 60 % des 4357 dockers mensualisés avec un contrat à durée indéterminée ne sont pas issus de l’intermittence.
Ces orientations ont été confirmées par les décisions du comité interministériel de la mer, en 1998, qui ont mis l’accent sur la formation, et prolongées en 2004 avec des actions en faveur de l’embauche et de la formation professionnelle des ouvriers dockers. Il faut également rappeler l’engagement en ce sens des entreprises de manutention portuaire.
La présente proposition de loi poursuit ce cheminement qui conjugue progrès social, simplification administrative et dynamisme économique. Cet équilibre délicat ne doit absolument pas être remis en cause, sauf à vouloir à tout prix refuser les accords issus d’un dialogue social exemplaire, et l’on pourrait alors se demander pourquoi...
J’évoquerai d’abord le progrès social.
L’article 3 lie le statut d’ouvrier docker mensualisé à la signature d’un CDI avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises et insère une référence à la convention collective nationale unifiée « ports et manutention » du 15 avril 2011. Les dockers intermittents, s’il en reste sur les ports, conservent également leur priorité d’accès aux postes de docker mensualisé.
Dans le même esprit, l’article 5 définit le statut de docker occasionnel à partir du contrat de travail qui le lie à un employeur, en l’occurrence pour une durée déterminée, et sécurise son recrutement en cas d’insuffisance du nombre d’ouvriers dockers professionnels, en rappelant le droit commun d’encadrement des CDD – contrats à durée déterminée – prévu par le code du travail et en faisant également référence à la convention collective nationale unifiée.
J’en viens ensuite à la simplification.
S’agissant de la définition des activités concernées par la priorité d’embauche, l’article R. 5343-2 et l’article L. 5343-1 du code des transports renvoient à une liste de ports maritimes de commerce comptant des ouvriers dockers intermittents, dont la loi de 1992 a par ailleurs programmé l’extinction.
Le risque était donc de voir la règle de priorité d’embauche devenir inapplicable et la pérennité même du statut de docker professionnel remise en cause, comme pouvait le laisser penser le contentieux de Port-la-Nouvelle.
Le rapport de Mme Bonny a dénombré 149 ouvriers dockers professionnels intermittents, dont 83 actifs et donc disponibles pour des travaux de manutention.
L’essentiel des départs est programmé pour 2017-2018, le dernier étant attendu en 2026. D’ores et déjà, seuls six des trente et un ports maritimes de commerce fixés par l’arrêté interministériel du 25 septembre 1992 disposent de dockers intermittents relevant d’un BCMO – bureau central de la main-d’œuvre – encore actif.
En supprimant la référence aux dockers intermittents, la réécriture de l’article L. 5343-1 du code des transports clarifie donc l’application du régime de priorité d’embauche.
Quant à l’article 6, qui nous oppose tant, monsieur le rapporteur, il visait à réécrire, dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, l’article L. 5343-7 du code des transports, lequel définit la règle de priorité des dockers sur les autres personnels, en précisant notamment la nature des travaux, à savoir le chargement et le déchargement des navires dans les ports maritimes de commerce. Cette rédaction était juridiquement plus sécurisée que le droit actuellement en vigueur dans la mesure où il est fait uniquement référence aux « travaux de manutention ».
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Quelles sont les conséquences ?
Mme Odette Herviaux. Surtout, la définition d’un périmètre d’activité réservé aux dockers était fondée sur la nécessité d’intérêt général de « garantir la sécurité des personnes et des biens ».
L’article 7 modifie l’article L. 5343-7 du code des transports, consacré à la définition de la règle de priorité entre les différentes catégories de dockers. Il lève définitivement les ambiguïtés qui demeuraient quant aux dockers intermittents en précisant la possibilité d’y avoir recours « tant qu’il en existe sur le port ».
J’évoquerai enfin le dynamisme économique, qui est assuré, dans le respect des règles européennes, par la mobilisation de toutes les forces vives.
En se fondant sur un arrêt de 1991 de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne considère que le caractère économique de la manutention portuaire est établi et que cette dernière est, par conséquent, soumise au droit européen de la concurrence.
À ce titre, rappelons que la Commission européenne a engagé plusieurs procédures, contre l’Espagne en 2012, contre la Belgique en 2014, pour défendre cette exigence qui, au-delà de son aspect concurrentiel parfois excessif, participe aussi à la construction d’un espace économique commun.
Dans son rapport, Mme Bonny estime néanmoins que « la Commission admet la reconnaissance d’un métier d’ouvrier docker, assis sur des considérations d’intérêt général, pour des motifs liés à la sécurité des personnes et des biens, et reposant donc sur une qualification professionnelle spécifique ».
À l’opposé des réserves que vous avez émises, monsieur le rapporteur, nous saluons ce sens des responsabilités et cette volonté d’anticiper, qui fait généralement défaut à la France en matière de réglementation européenne. Selon le rapport de l’Assemblée nationale, « l’actualité récente confirme la nécessité pour le législateur français d’être particulièrement vigilant sur ce sujet ». Parfois, il vaut mieux être en avance, monsieur le rapporteur…
Ce constat s’avère d’autant plus fondé que les doubles discours et le refus de s’engager au plus tôt dans la bonne voie se paient quelquefois lourdement sur le terrain social, comme l’a malheureusement démontré le cas belge.
Les dispositions issues du rapport Bonny sont donc de nature à écarter le risque d’une procédure d’infraction.
La proposition de loi mettait en effet en place une solution souple, fondée sur la négociation entre les différentes parties prenantes. L’alinéa 2 de l’article 6 prévoyait en l’espèce que, pour les installations industrielles à venir, comportant le bord à quai, les travaux de chargement et de déchargement seraient effectués conformément à une charte nationale. L’exposé des motifs de la proposition de loi initiale précise que « cette charte sera destinée à faciliter, au niveau local, les relations entre les parties prenantes dans un souci de développement équilibré du port et d’optimisation du service rendu aux utilisateurs ».
Le projet de charte prévoit une procédure pour les nouvelles implantations industrielles, en faisant la place à une large concertation, associant toutes les parties prenantes – dont les dockers, bien entendu –, au respect du droit social applicable et à la prise en compte des spécificités locales, avec l’objectif d’un développement économique durable et partagé. Elle permettra donc, si elle voit finalement le jour, de promouvoir et de sécuriser les investissements privés, contrairement à ce que vous craignez, monsieur le rapporteur.
En outre, l’adoption de cette charte correspondrait parfaitement à l’une des recommandations formulées dans le rapport parlementaire relatif aux enjeux et perspectives de la décentralisation portuaire que j’ai remis au Gouvernement en mars 2014, à savoir « bien prendre en compte la diversité des situations dans les ports décentralisés, s’agissant des équilibres entre performance/productivité/satisfaction des clients et protection des professionnels concernés ».
Le groupe socialiste déplore donc que la majorité sénatoriale au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ait décidé de remettre en cause l’équilibre subtil, adapté et efficace auquel était parvenue l’Assemblée nationale. Cet acte parlementaire est susceptible de prolonger inutilement l’insécurité juridique qui entoure l’exercice de l’activité de docker, au détriment de l’attractivité de nos ports.
C'est la raison pour laquelle nous proposerons des amendements visant à rétablir le texte initial, au service de la croissance bleue française et du dynamisme de nos ports. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
13
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire hongroise
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de Mme Marta Demeter, députée du parlement hongrois, membre de la commission des affaires étrangères. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État, se lèvent.)
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que vous portez, madame, à notre institution.
Cette délégation est accompagnée par notre collègue Claude Kern, président du groupe d’amitié France-Hongrie.
Au nom du Sénat de la République, je vous souhaite la bienvenue et je forme des vœux pour que votre séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays. (Applaudissements.)
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Organisation de la manutention dans les ports maritimes
Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblé nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de citer, en guise d’introduction à mon propos, une déclaration qu’a récemment faite Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et homme d’expérience, à propos du conflit d’Air France : « Avec les crises, la violence monte. Contre elle, il n’y a que le droit et les valeurs : dialogue, respect, cohésion. »
Mmes Évelyne Didier et Odette Herviaux. Bravo !
M. Ronan Dantec. Pour ce qui concerne le droit, nous avons constaté des difficultés d’application de la loi de 1992. Le Gouvernement n’a pas inventé les problèmes qui se posent à Fos-sur-Mer et qui l’ont conduit à confier à Mme Bonny la direction d’un groupe de travail chargé de formuler des propositions de nature à répondre à cette insécurité juridique.
Le rapporteur, que j’ai écouté attentivement, a une approche « culturelle » étonnante. Selon lui – je ne pense pas trahir son propos ! –, chaque port a sa culture, et il convient de la respecter. Je suis impressionné ! (Sourires.)
Certains, ici, savent à quel point je suis attaché à la question du droit au respect des cultures. Mais faire du respect de la diversité culturelle des us et coutumes en vigueur dans chaque territoire un argument politique pour détricoter un accord social de branche, c’est une première ! (Nouveaux sourires.)
Certes, la réforme du code du travail est sur la table. Certains voudraient le simplifier, et je ne suis pas nécessairement d’accord avec toutes les raisons qu’ils avancent… En tout cas, si l’on ajoute la dimension de la diversité culturelle dans le code du travail, cela ne va pas faciliter la tâche de simplification !
Quoi qu'il en soit, monsieur le rapporteur, j’espère que vous soutiendrez autant la diversité culturelle quand il s’agira de modifier la Constitution pour sauvegarder les langues régionales. Je saurai alors vous rappeler vos propos d’aujourd'hui ! (Nouveaux sourires.)
Mais je ne crois pas qu’il ait jamais été question d’harmoniser les langues utilisées sur les quais de nos ports, une harmonisation contre laquelle je me serais évidemment dressé (Nouveaux sourires.), et j’en reviens au droit du travail.
Pour reprendre les termes de Jean-Pierre Raffarin, il est bien question ici des valeurs que sont le dialogue, le respect et la cohésion.
En matière de cohésion, nous avons, me semble-t-il, réellement progressé. Il y a eu, je ne le nie pas, dans les ports français, des moments difficiles, des affrontements, liés à un manque de dialogue social, ainsi que des périodes de fragilisation économique. Mais la loi Le Drian de 1992 avait déjà réussi à éliminer bien des blocages.
Les chiffres semblent montrer que l’activité des ports français est maintenant repartie dans le bon sens.
Il importe – c’est notre responsabilité collective ! – d’accompagner la reprise du dialogue, de favoriser cette vision partagée, qui a bien progressé. Aussi, je ne vois pas l’intérêt de fragiliser cette démarche.
Je rejoins les propos de M. le secrétaire d’État : dans une société en souffrance, une société anxieuse, veillons à envoyer le bon message aux acteurs concernés pour que, même si leurs intérêts sont parfois divergents, ils arrivent à discuter et à trouver un accord. Si nous n’accompagnons pas le dialogue, nous renforcerons le sentiment déjà très répandu que nous sommes dans un théâtre de postures, des postures auxquelles nous nous conformerions un peu trop en pensant que c’est ce qu’attendent nos électeurs. Or, selon moi, aujourd'hui, les Français attendent de nous que nous prenions en compte l’intérêt général et que nous mettions un peu d’huile dans les rouages, pour apaiser la société.
En l’espèce, je déplore que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont les avis sont souvent inspirés par un souci d’apaisement, adopte une position politique qui ne me semble pas de nature à porter le bon message, surtout quelques jours après le conflit d’Air France. Là aussi – je tiens à le dire même s’il s’agit d’un autre débat –, il conviendrait peut-être d’envoyer quelques signaux d’apaisement.
Pour conclure, j’évoquerai l’avenir du transport maritime.
En tant qu’écologistes, nous sommes extrêmement soucieux du devenir des ports. Le transport maritime constitue en effet, à nos yeux, une alternative majeure au transport routier. Il s’agit d’un enjeu important à quelques semaines de la Conférence sur le climat.
Nous avons précédemment défendu, notamment dans mon département de Loire-Atlantique, les autoroutes de la mer. Nous restons convaincus de l’importance du cabotage, qui renforcerait les petits ports et leur culture spécifique. Soulignons également l’importance du transport combiné entre le transport maritime et le transport fluvial, qui nécessite, du fait des ruptures de charge, des créations d’emplois de dockers et de manutentionnaires.
Le signal que nous devons donner, c’est celui de notre volonté d’accompagner les partenaires sociaux dans cette voie.
Je profite de l’occasion pour souligner que nous nous mobilisons aussi pour l’intégration du transport maritime dans les objectifs de réduction et de régulation des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.
Il faut absolument mettre sur la table de la négociation internationale, à Bonn, dans quelques jours, le transport maritime et le transport aérien. Il faut que ceux-ci contribuent, eux aussi, au développement d’une économie décarbonée.
Je tenais à évoquer ce sujet devant vous, monsieur le secrétaire d'État, car cela aurait probablement quelques impacts sur l’activité de certains de nos ports. Ainsi, les navires qui empruntent le canal de Suez pourraient passer par les ports méditerranéens, dont Marseille, plutôt que par ceux du nord de l’Europe.
La France aurait donc tout intérêt à traiter au plus vite la question de la réintégration du transport maritime et du transport aérien dans le texte devant faire l’objet des négociations sur le climat. Pour suivre ce dossier, je sais combien il est complexe, mais il s’agit là d’un enjeu important.
Quoi qu’il en soit, le groupe écologiste respecte le dialogue social, qui a permis de parvenir à l’accord qui se trouve traduit dans la proposition de loi que nous ont transmise les députés. Aussi voterons-nous contre toute modification du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que la France dispose du deuxième espace maritime mondial, ses ports de commerce ont connu une longue période de déclin, dans un contexte de concurrence intense avec les autres ports européens.
Les réformes de 1992 et 2008 ont tenté d’enrayer cette tendance et de relancer la compétitivité de nos ports en agissant, notamment, sur l’organisation de la manutention portuaire.
Les difficultés liées aux travaux de manutention, en particulier leur dangerosité et leur pénibilité, imposent de disposer sur place de dockers, employés dotés de qualifications professionnelles très spécifiques.
Afin de conserver une main-d’œuvre indispensable pour des raisons de sécurité des personnes et des biens, mais sujette aux fluctuations du commerce, un système de priorité à l’embauche sur les autres personnels des ports maritimes a été mis en place dans notre pays, créant une entorse pleinement justifiée à la liberté d’entreprendre.
Ainsi qu’il a été rappelé, ce droit dérogatoire au droit commun est loin d’être une spécificité française.
La présente proposition de loi a pour objet de préserver l’existence du métier de docker en procédant à une clarification essentielle du droit, rendue nécessaire par l’apparition de contentieux tels que celui de Port-la-Nouvelle, à la suite duquel un groupe de travail rassemblant l’ensemble des acteurs concernés a été mis en place autour de Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et Dunkerque.
En contradiction avec l’esprit de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, dite « loi Le Drian », le code des transports lie l’application de la règle de la priorité d’emploi des dockers à l’existence de dockers intermittents sur les ports maritimes de commerce figurant sur une liste, liste qui, n’ayant jamais été actualisée, ne correspond plus à la réalité. Or la disparition progressive du régime des dockers intermittents sur les ports maritimes de commerce risque d’entraîner de nouveaux conflits si les dispositions en cause du code des transports ne sont pas revues. En supprimant cette corrélation, l’article 1er de la proposition de loi améliore l’intelligibilité du droit sur ce point.
Par ailleurs, le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale poursuivait le toilettage du code des transports d’une manière à nos yeux utile en modifiant le périmètre de la priorité d’emploi des dockers sur deux points.
D’une part, si la détermination des travaux de manutention pour lesquels cette priorité s’applique relève de la partie réglementaire du code des transports, qu’il suffirait d’actualiser, préciser dans la loi le champ du décret présentait l’avantage de donner un fondement législatif au recours aux ouvriers dockers, justifié par des motifs d’intérêt général liés à la sécurité des personnes et des biens, ainsi que Martine Bonny le souligne dans son rapport.
D’autre part, le texte adopté par l’Assemblée nationale prenait en compte la situation des nouvelles installations industrielles titulaires d’autorisations d’occupation du domaine public comportant le bord à quai ; il offrait une solution intéressante en renvoyant à l’adoption d’une charte nationale négociée entre les différents acteurs.
Ces deux mesures, que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a malheureusement supprimées, n’entravaient en rien les évolutions qui seront éventuellement nécessaires à l’issue du comité du dialogue social sectoriel européen de 2016. Pour l’heure, l’état du droit peut induire en erreur les entreprises de manutention ; il convient donc de rétablir l’article 6 de la proposition de loi, qui leur éviterait de naviguer en eaux troubles et préviendrait les conflits susceptibles de naître de ce fait dans les ports maritimes.
Enfin, bien que l’article 5 de la proposition de loi protège les dockers occasionnels du recours abusif au CDD d’usage et fixe le principe de la mensualisation, nous regrettons que la commission ait supprimé la définition de cette catégorie de personnel, qui ne me semblait pas remettre en cause le recours à l’intérim classique dans la mesure où les dockers occasionnels bénéficient d’une priorité d’embauche pour les travaux inclus dans le périmètre de la priorité d’emploi.
Le travail collectif dont la proposition de loi initiale était le fruit a été fondé sur la concertation et animé par le souci de la sécurité et de l’organisation sereine de la manutention portuaire. Malheureusement, nous ne retrouvons que partiellement cet esprit dans le texte issu des travaux de la commission. Aussi ai-je déposé, avec plusieurs de mes collègues du RDSE, des amendements visant à revenir à la rédaction de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Si le travail collectif qui a été mené ne doit pas faire obstacle à l’adoption de nouvelles dispositions, le législateur devant exercer pleinement son rôle, nous estimons que les équilibres fragiles qui ont émergé de la concertation méritent d’être préservés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends la parole à la place de ma collègue Évelyne Didier, qui a étudié les questions dont nous débattons avec le sérieux que chacun lui connaît,…
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Tout à fait !
M. Michel Le Scouarnec. … mais qui, aujourd'hui victime d’une extinction de voix, n’est pas en mesure d’intervenir entendre.
La proposition de loi soumise à notre examen vise à clarifier juridiquement la priorité d’emploi reconnue aux ouvriers dockers, priorité que nous souhaitons voir préservée.
Elle est issue d’un travail de concertation approfondi, mené sous l’égide du Conseil général de l’environnement et du développement durable pour répondre à une situation d’urgence. Pendant six mois, ce sont tous les acteurs du secteur de la manutention portuaire qui ont été entendus : syndicats de dockers, représentants des entreprises de manutention, représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, autorités portuaires, membres de l’administration en charge du transport maritime et personnalités qualifiées. Les préconisations présentées par Mme Bonny à l’issue de ce travail sont des propositions d’équilibre, traduisant un consensus entre l’ensemble de ces acteurs.
Or les amendements adoptés en commission sur l’initiative du rapporteur ont profondément modifié le texte, réduisant à néant plusieurs mois de travail et les espoirs de nombreux salariés. Il est suffisamment rare qu’un tel consensus soit obtenu pour que nous, parlementaires, ayons la sagesse d’en prendre acte. C’est pourquoi nous en appelons à la raison et demandons à la majorité du Sénat de bien vouloir reconsidérer sa position, faute de quoi nous serions tentés de penser que certains aimeraient voir la situation se bloquer… Je n’ose l’imaginer !
Je ne doute pas du sérieux du travail accompli par M. le rapporteur ; mais peut-être a-t-il été trop sensible à certaines dissonances et, surtout, à l’idéologie qui veut casser tous les statuts protecteurs pour les salariés.
J’ajoute que certains ont voulu faire peur en laissant croire que tous les accords seraient caducs, alors que la charte ne s’appliquerait que pour l’avenir.
Si la majorité du Sénat ne revient pas à la raison, nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à faire adopter à l’Assemblée nationale, à l’issue de la navette parlementaire, un texte conforme à l’accord trouvé grâce au dialogue social et à l’intelligence collective, en d’autres termes un texte qui soit fidèle aux préconisations du rapport Bonny.
Le texte issu des travaux de la commission maintient la clarification juridique consistant à rompre le lien entre priorité d’emploi et présence de dockers intermittents et conserve le travail de définition qui a été opéré, ce dont nous nous réjouissons. Malheureusement, la commission a effacé tous les autres aspects positifs de la proposition de loi.
Ainsi, à l’article 5, elle a supprimé la définition du docker occasionnel, c'est-à-dire un docker dont le contrat est régi par la convention collective unifiée, ce qui revient à favoriser le recours à l’intérim classique. Il y a là une position de principe qui ne résiste pas à l’analyse. Monsieur le rapporteur, dans l’exposé des motifs de l’amendement que vous avez fait adopter par la commission, vous expliquez vouloir lutter contre les corporatismes. Est-ce à dire que votre position est d’abord dogmatique ?
Pour notre part, nous considérons qu’il convient de maintenir la priorité d’emploi des ouvriers dockers occasionnels sur les intérimaires, parce que le statut de docker est associé à une convention collective unifiée qui protège l’ensemble de ces salariés, dans l’intérêt de tous.
Est-il donc si grave de protéger les salariés ?
Par ailleurs, ce régime répond aux objectifs de sécurité et de continuité des opérations de manutention. Il contribue aussi à mieux garantir le savoir-faire spécifique des ouvriers dockers, un savoir-faire d’autant plus précieux que l’amélioration des conditions de chargement et de déchargement de cargaisons qui sont parfois dangereuses est un objectif d’intérêt général.
Nous regrettons également que la commission ait fait le choix de s’abstenir de toute réflexion sur l’avenir du périmètre de la priorité d’emploi, alors que, à l’évidence, celui-ci semble menacé.
L’article 6, supprimé par la commission, prévoyait qu’un décret en Conseil d’État définirait un périmètre de priorité d’emploi justifié par la nécessité de garantir la sécurité des personnes et des biens. Il n’incluait pas dans ce périmètre les entreprises titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, renvoyant cette question à une charte nationale conclue entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives du secteur de la manutention portuaire. En effet, toute disposition législative établissant une priorité d’emploi générale serait regardée par l’Union européenne comme une atteinte aux règles de la libre concurrence. C’est d’ailleurs ce même argument que vous invoquez, monsieur le rapporteur, pour ne pas légiférer sur ce point.
Vous arguez également que des discussions sur les qualifications professionnelles requises auront lieu l’année prochaine au sein du comité du dialogue social sectoriel européen pour les travailleurs portuaires, de sorte qu’il conviendrait d’attendre. Nous ne partageons pas votre position. Nous considérons au contraire que la France doit agir vite pour promouvoir son modèle, celui du service public, dans les domaines mettant en jeu la sécurité et l’intérêt général, et qu’elle doit montrer le chemin d’une mise en conformité laissant du champ à la négociation collective.
Ainsi, nous souhaitons que la charte négociée entre en vigueur le plus rapidement possible, afin que le modèle français soit protégé.
Nous appelons également à un débat plus large sur la situation des ports français, dont ni la réforme de 1992 ni celle de 2008 n’ont enrayé le déclin. Alors que la mer recèle des possibilités immenses de développement industriel, comme le soulignent les conclusions du Grenelle de la mer, il serait intéressant d’approfondir l’analyse et les propositions au sujet de l’ensemble du secteur.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons contre la proposition de loi amendée par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Natacha Bouchart. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Natacha Bouchart. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes répond à plusieurs enjeux, qui, j’en suis convaincue, doivent être appréhendés avec quelques exigences de bon sens : d’abord, celle de la considération profonde que nous portons au métier de dockers ; ensuite, celle du pragmatisme, qui doit nous guider dans le traitement de ces questions.
Les ouvriers dockers exercent une activité qui reste liée à une culture maritime à laquelle, en tant que maire de Calais, je suis attachée.
Bien sûr, au-delà des symboles, le métier de docker a beaucoup changé au cours des dernières décennies ; mais il a gardé son importance stratégique à mesure que sa technicité s’accroissait. Pouvoir compter sur une main-d’œuvre efficace et compétente est indispensable à notre économie des flux comme à la sécurité des opérations de manutention.
J’ai parlé de pragmatisme. Tel est, en effet, l’esprit qui doit prévaloir dans un secteur économique stratégique pour l’ensemble de notre pays, dont la compétitivité passe aussi par celle de ses ports.
Notre compétitivité passe également par la préservation du consensus social qui s’est construit au cas par cas, au niveau local. Le conflit de MyFerryLink, dont nous sommes récemment sortis à Calais, a rappelé ce que coûtent à une place portuaire des blocages qui pourraient être évités.
Forte de ces convictions, je tiens à formuler plusieurs remarques au sujet de la présente proposition de loi.
D’abord, la résolution de la question soulevée par le conflit de Port-la-Nouvelle est la priorité à laquelle le législateur doit se consacrer.
Alors que le statut d’intermittent est appelé à disparaître dans quelques années, il est essentiel de prévenir d’éventuels conflits qui pourraient résulter de la rédaction inadaptée du dispositif actuel. En dissociant la notion d’intermittence de celle de priorité d’embauche, nous confortons le cadre juridique dans lequel évoluent les ouvriers dockers. Le texte initial de la proposition de loi est à cet égard tout à fait pertinent.
En revanche, je considère, comme notre rapporteur, qu’il importe de ne pas troubler les équilibres fragiles qui existent localement. C’est pourquoi j’estime que notre commission a fait preuve de sagesse en s’en tenant à dissiper le flou juridique actuel, sans ouvrir de nouveaux fronts.
En particulier, l’introduction d’une charte suscite certaines interrogations. Pourquoi créer un dispositif qui instaure une méthode à l’échelon national sans prévoir explicitement de déclinaisons au niveau local ? De ce point de vue, il me semble que la charte est non seulement inutile, mais aussi source d’ambiguïtés et de tensions futures.
Je veux également dire combien les dockers occasionnels constituent une catégorie importante pour les activités de manutention. À Calais, par exemple, le principal opérateur emploie douze dockers professionnels et quarante-deux dockers occasionnels. En cas de surcroît important d’activité, le recours à l’intérim peut porter les effectifs à cent, voire cent cinquante personnes. Quoi qu'il en soit, le professionnalisme des dockers occasionnels leur permet naturellement d’être retenus de manière privilégiée.
À la lumière de cette expérience locale, je n’aurais pas été opposée par principe au renforcement de leur statut, tel que le prévoit le texte transmis par l’Assemblée nationale. Toutefois, ces dispositions ne changeront pas la donne, pas plus que leur suppression !
En résumé, je partage le souci exprimé par M. le rapporteur de soutenir en priorité le métier de docker, en cherchant des solutions aux défauts de la législation actuelle. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur du texte issu des travaux de la commission.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Natacha Bouchart. Pour le reste, soyons pragmatiques : faisons en sorte de préserver le consensus social indispensable à l’activité portuaire et continuons de renforcer la compétitivité des ports français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail réalisé par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et par son rapporteur pour améliorer ce texte.
Il y a quelques jours, le Président de la République était au Havre pour rappeler l’importance de la « croissance bleue ». La mer représente en effet un vrai potentiel de développement pour notre pays.
Monsieur le secrétaire d’État, votre responsabilité est d’agir pour que la France puisse soutenir son ambition maritime, ce qu’elle n’a pas toujours fait. Du reste, l’ambition que nous nourrissons pour nos ports, puisque c’est d’eux qu’il est question aujourd'hui, doit s’étendre au secteur de la pêche et aux énergies renouvelables liées à notre espace maritime.
Pour ce qui est du transport maritime, le texte que nous examinons aujourd’hui n’apportera pas des changements révolutionnaires : cette proposition de loi est même de portée plutôt modeste au regard des textes dont nous débattons habituellement au Sénat. Elle succède aux lois de 1941 et de 1947, mais surtout à la loi de 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes. Par la suite, deux autres lois ont également été adoptées : la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004, qui a transféré la gestion des ports aux collectivités territoriales, et la loi de 2008 portant réforme portuaire, qui a créé la notion de « grand port maritime ».
Je l’ai dit, le Président de la République s’est récemment rendu au Havre pour inaugurer le Bougainville, un nouveau porte-conteneurs qui est désormais le plus gros navire de la flotte de commerce française.
S’agissant de notre flotte de commerce, précisément, force est de constater, monsieur le secrétaire d’État, que son importance n’a cessé de décroître depuis la dernière guerre : alors que l’on comptait environ 500 navires de commerce français en 1945, on n’en dénombrait plus que 301 en juillet dernier, dont 125 dédiés à des activités de service maritime. Cela signifie que la flotte dédiée aux activités de transport est extrêmement réduite.
Il est tout à fait anormal qu’un pays qui s’enorgueillit de posséder le deuxième espace maritime le plus étendu du monde l’exploite aussi peu et aussi mal. Il y a là, pour nous tous, un défi à relever !
Cette proposition de loi a été déposée à la suite de différents incidents qui ont impliqué des dockers. Je pense, en particulier, au conflit de la SNCM de 2012, lors duquel il a fallu renflouer un navire, ou encore au conflit qui a éclaté à Port-La-Nouvelle en 2013 et qui est à l’origine du rapport commandé à Mme Martine Bonny, rapport dont cette proposition de loi reprend les conclusions.
D’autres événements survenus dans les ports français ont récemment émaillé l’actualité, comme celui qui a concerné la compagnie maritime Bretagne–Angleterre–Irlande – la BAI – à Ouistreham, lorsque les responsables de cette compagnie ont dû, en avril dernier, prendre les commandes d’un de leurs navires bloqué à quai par les dockers. Je citerai encore le conflit qui a opposé une entreprise céréalière aux dockers à Rouen en août dernier.
Ces conflits montrent non seulement la nécessité d’évoluer sur le sujet, mais aussi de l’aborder avec beaucoup de souplesse.
Pour ma part, à la différence de M. Dantec, je ne crois pas avoir entendu M. le rapporteur expliquer qu’il fallait respecter l’identité culturelle de chaque port. Néanmoins, je pense que l’on doit tenir compte de la diversité portuaire de notre pays. Il importe de ne pas aborder la problématique de la manutention portuaire de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national ; il faut prendre en compte les spécificités et les pratiques de chacun des ports français, et vos propositions, monsieur le rapporteur, vont dans ce sens.
Disons-le clairement, malgré la façade maritime très étendue dont dispose notre pays, nos ports n’ont pas, aujourd’hui, l’activité à laquelle on pourrait s’attendre. En effet, on le sait bien, les principaux ports en Europe sont ceux de Rotterdam, d’Anvers ou d’Amsterdam.
En France, les principaux ports demeurent Marseille, Le Havre – on parle désormais d’HAROPA, ce groupe d’intérêt économique qui rassemble le Havre, Rouen et Paris – et Dunkerque. Mais seul le premier apparaît parmi les cinquante premiers dans le classement mondial des ports, et il est loin de la tête. Cela est absolument anormal !
Il reste, en vérité, beaucoup à faire pour que nos ports soient compétitifs. S’ils ne sont pas bien classés dans la hiérarchie mondiale, c’est notamment parce que les armateurs se sont tournés vers des ports leur proposant des services sans doute plus appropriés, et leur assurant probablement aussi une fiabilité beaucoup plus grande en matière de manutention. Les exemples que je donnais à l’instant montrent que notre pays a, hélas ! dû faire face à des mouvements sociaux qui ont altéré cette fiabilité.
Nous devons donc faire en sorte que la compétitivité de nos ports se renforce. Cela signifie que nos entreprises doivent être compétitives au niveau tarifaire, afin de pouvoir faire face à la concurrence internationale. Car s’il est un domaine dans lequel cette concurrence joue, c’est bien celui du transport maritime, qui assure 80 % des échanges internationaux de marchandises !
Monsieur le secrétaire d’État, cette compétitivité résultera de l’alignement de nos coûts sur ceux que supportent les ports étrangers les plus proches de la France. C’est ainsi que le trafic maritime passera moins par ces ports et davantage par les ports français.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie des adaptations que la commission a apportées à ce texte. Elles favorisent, je l’ai dit, cette plus grande souplesse qui est au cœur de nos préoccupations.
En conclusion, j’ajouterai, monsieur le secrétaire d’État, que nos ports doivent pouvoir bénéficier d’investissements technologiques afin qu’ils soient plus compétitifs à l’avenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc de la commission.)
(M. Claude Bérit-Débat remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. . Je remercie l’ensemble des intervenants. Chacun a pu faire valoir l’approche qui lui est propre.
Je souhaiterais tout d’abord rappeler que, dans cette affaire, nous devons avoir deux objectifs.
Le premier est celui de la sécurité des ports. À cet égard, tout le monde semble s’être accordé pour reconnaître que le professionnalisme des dockers est un atout pour les ports de notre pays.
Le second objectif a trait à la concurrence.
Si salariés et patrons sont parvenus à un accord, c’est bien que leur démarche était inspirée par cette double préoccupation, même si les deux parties n’ont peut-être pas fixé les mêmes priorités derrière ces objectifs !
On défend les principes de libre entreprise ou de liberté de commerce, mais encore faut-il que la concurrence soit loyale, que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Le concept de concurrence loyale est très intéressant, car celle-ci, d’un côté, emporte des conséquences sociales – la concurrence déloyale implique souvent la mise en cause d’un certain nombre de règles sociales – et, d’un autre côté, suppose le respect des règles de la concurrence, c’est-à-dire le principe d’une compétition à armes égales.
Que trouve-t-on à l’origine du problème et quelle vision en ont les uns et les autres ?
Du point de vue des salariés, les pratiques concurrentielles mettent en cause ce qu’ils regardent comme un statut ainsi que l’esprit qui découle du droit social positif.
C’est sur la vision qu’ont les patrons à cet égard que nous avons un désaccord. Je n’approuve pas du tout la démarche suivie par la commission et la majorité sénatoriale sur ce point. En effet, si un accord a été possible, c’est aussi parce qu’un certain nombre d’entreprises ont constaté que la concurrence était faussée du fait de pratiques sociales qui ne respectent pas ce qui devrait constituer la règle commune.
Après que Mme Bonny a été désignée pour conduire la réflexion et formuler des propositions, il y avait deux issues possibles.
On pouvait choisir celle de la « loi de la jungle » : chacun fait ce qu’il veut et on verra bien ce qu’il adviendra… Dans cette hypothèse, un certain nombre d’acteurs économiques auraient été tentés d’utiliser le paramètre social comme facteur de concurrence, afin de faire la différence dans la compétition que les entreprises se livrent à travers les prix. On se serait alors retrouvé dans une situation de conflit entre entreprises et organisations représentatives des salariés.
Mais, aujourd’hui, nous ne sommes tout de même pas devant une page blanche ! Nous n’abordons pas ce débat en nous demandant ce qu’il est possible de faire pour améliorer les choses. Si cela avait été le cas, j’aurais compris votre démarche, monsieur le rapporteur ! Nous aurions été dans la situation habituelle où le Parlement délibère hors de toute contrainte. Mais, en l’occurrence, notre réflexion doit prendre en compte deux réalités que personne ne peut ignorer.
Tout d’abord, nous avons connu un conflit grave. Ce sont, du reste, les parlementaires concernés par celui-ci, monsieur le président de la commission, qui sont à l’origine de cette proposition de loi, et c’est bien normal.
Ensuite, nous sommes en présence d’un accord signé à la fois par les salariés et par l’UNIM, l’Union nationale des industries de la manutention, qui représente les intérêts patronaux dans les ports français, intérêts dont, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, vous entendez vous faire les défenseurs. Mais vous le faites en allant au-delà de la position que ces patrons ont eux-mêmes adoptée. Comprenez que nous soyons interloqués !
À la rigueur, nous aurions pu nous emparer de la première de ces deux réalités, puisque le Parlement peut être amené à intervenir à ce niveau. Cependant, nous nous trouvons devant un cas de figure auquel nous pourrions être confrontés de plus en plus souvent à l’avenir, et je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à y être très attentifs.
Au fond, je crois que l’évolution de notre société nous conduira assez fréquemment à rencontrer des situations dans lesquelles tout ne figurera pas nécessairement dans la loi ou dans un cadre juridique extrêmement strict et où il faudra faire confiance aux acteurs – sans que cette confiance soit aveugle, bien sûr – lorsqu’un accord majoritaire aura été conclu.
Lorsque les acteurs sur le terrain, opposés parfois par des intérêts contradictoires, annonceront qu’ils ont trouvé une solution, oui, nous aurons à nous interroger sur ce que doit faire le Parlement !
Ce problème ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui : en tant que parlementaire, alors même que je me trouvais dans l’opposition, je me rappelle la réaction que j’avais eue – on me l’a parfois reprochée – face à l’accord conclu sur la rupture conventionnelle du contrat de travail. J’étais alors plutôt hésitant sur l’intérêt de l’introduction d’une telle disposition dans le droit positif. Toutefois, alors porte-parole de mon groupe, j’avais déclaré qu’il fallait respecter cet accord parce qu’il était majoritaire – il avait été signé par tous les syndicats, à l’exception de la CGT.
Nous touchons là, me semble-t-il, au cœur du problème. En matière de démocratie sociale, il ne s’agit pas simplement d’être croyant ; il faut aussi être pratiquant ! (Sourires.) Or, bien évidemment, la mise en pratique est souvent ce qu’il y a de plus exigeant.
Ainsi – je réponds à l’intervention de Mme Natacha Bouchart –, lorsque l’on m’oppose le pragmatisme, tout en expliquant en fin de démonstration qu’il faut, pour ce motif, remettre en cause l’accord survenu entre les partenaires sociaux, je me dis que l’on peut aussi avoir de cette notion une lecture politique. Le pragmatisme que, pour sa part, le Gouvernement défend consiste à enregistrer l’accord !
Certes, on pourrait considérer que certaines précisions juridiques méritaient d’être apportées. Toutefois, cet accord est un bon signal pour la société française. Face à la situation que nous connaissons, ceux qui, peut-être, ont davantage la préoccupation de la compétitivité, comme l’UNIM, l’Union nationale des industries de la manutention dans les ports français, et ceux qui défendent les salariés – tout à fait légitimement, puisque cela entre bien dans les attributions syndicales –, nous montrent une porte de sortie, à l’issue de trente séances de travail ! On peut donc y voir aussi un très bon indicateur pour un certain nombre de conflits futurs.
Je l’ai dit, ce débat ne porte pas sur la légitimité. Une telle discussion n’aurait pas lieu d’être dans une République, la seule légitimité qui vaille étant la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous sommes dans une discussion politique. Ce n’est pas la première de ce genre et, me semble-t-il, nous serons régulièrement confrontés à ce type de situations dans les années à venir.
Vous l’avez donc compris, le Gouvernement en fait une question de principe, non pas parce que c’est la seule solution – tout est toujours possible –, mais parce que nous nous trouvons probablement à un croisement dans notre histoire sociale. Lorsque des partenaires sociaux sont capables de nous dire qu’ils vont prendre la situation en main, il vaut mieux y regarder à deux fois avant de rejeter leur proposition, au motif qu’il faudrait recommencer le travail pour répondre à d’autres exigences juridiques.
C’est une fausse route que nous propose aujourd'hui la majorité sénatoriale, et je confirme, notamment à l’attention de M. Michel Le Scouarnec, que le Gouvernement est déterminé à aller jusqu’au bout sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes
Article 1er
(Non modifié)
L’article L. 5343-1 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-1. – Dans les ports maritimes de commerce, les travaux de manutention portuaire sont réalisés par des ouvriers dockers, dans les conditions fixées au présent chapitre. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Après le mot : « mensualisés, », la fin du dernier alinéa de l’article L. 5343-2 du code des transports est ainsi rédigée : « au sens de l’article L. 5343-3, soit intermittents, au sens de l’article L. 5343-4. » – (Adopté.)
Article 3
L’article L. 5343-3 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-3. – Les ouvriers dockers professionnels mensualisés sont les ouvriers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire mentionnés à l’article L. 5343-7, concluent avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises un contrat de travail à durée indéterminée.
« Ce contrat de travail est régi par la convention collective nationale applicable aux entreprises de manutention portuaire.
« Les entreprises de manutention portuaire ou leurs groupements recrutent en priorité les ouvriers dockers professionnels mensualisés parmi les ouvriers dockers professionnels intermittents, s’il en reste sur le port, puis parmi les ouvriers dockers occasionnels qui ont régulièrement travaillé sur le port au cours des douze mois précédents.
« Les ouvriers dockers mensualisés issus de l’intermittence conservent leur carte professionnelle et restent immatriculés au registre mentionné au 1° de l’article L. 5343-9 tant qu’ils demeurent liés par le contrat de travail mentionné au premier alinéa du présent article. Ils conservent leur carte professionnelle lorsque ce contrat de travail est rompu à l’issue de la période d’essai ou du fait d’un licenciement pour motif économique, si ce licenciement n’est pas suivi d’un reclassement ou s’il est suivi d’un reclassement dans un emploi d’ouvrier docker professionnel.
« Lorsque le licenciement intervient pour une autre cause, le bureau central de la main-d’œuvre, institué par l’article L. 5343-8, décide, dans des conditions définies par voie réglementaire, si l’intéressé conserve sa carte professionnelle ou non. »
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mme Herviaux, M. Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani, Cornano, Filleul, J. C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mmes Tocqueville, Espagnac et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Les entreprises ou les groupements d’entreprises mentionnés au premier alinéa du présent article recrutent (le reste sans changement)
La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Cet amendement vise à substituer « les entreprises ou les groupements d’entreprises » aux termes « les entreprises de manutention portuaire ou leurs groupements ».
M. le rapporteur a précédemment évoqué une opposition de principe, y compris aux amendements rédactionnels. Or, contrairement à ce qu’il avance, cet amendement n’est pas simplement rédactionnel.
En effet, la modification apportée en commission crée une incohérence au sein même de l’article 3 de la proposition de loi : le quatrième alinéa mentionne les entreprises de manutention portuaire ou leurs groupements, tandis que le deuxième alinéa, resté en l’état, fait référence aux entreprises et groupements d’entreprises.
Il ne doit pas y avoir d’ambigüité sur le lien entre ouvriers dockers, opérations de manutention et application de la CNU. C’est pourquoi, par souci de cohérence, il nous paraît nécessaire de rétablir la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Neuf amendements ont été déposés, qui visent à revenir au texte de l’Assemblée nationale. Mon avis sera défavorable sur ces neuf amendements.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’objectif du texte adopté en commission est de se limiter aux seules modifications rendues nécessaires par l’insécurité juridique découlant de l’extinction des dockers intermittents à l’origine de l’affaire de Port-la-Nouvelle.
S’agissant des autres modifications, relatives au périmètre de la priorité d’emploi des dockers, aux implantations industrielles en bord de quai, aux dockers occasionnels, comme je l’ai précisé tout à l’heure, nous ne remettons pas en cause la qualité du travail de Martine Bonny, ni celle du dialogue qui a eu lieu.
Il se trouve simplement que le Gouvernement n’a pas jugé bon d’accompagner ce travail purement juridique d’une étude d’impact économique des mesures proposées – nous n’avons pas du tout parlé d’économie ! –, afin de s’assurer que la compétitivité de l’ensemble de nos entreprises et de nos ports ne serait pas affectée.
Au cours de mes auditions – j’en ai mené un certain nombre –, j’ai entendu à ce sujet plusieurs craintes que nous ne pouvons appréhender correctement en l’absence d’une analyse économique sérieuse, port par port. En effet, je le rappelle à mon collègue Ronan Dantec, les us et coutumes des ports présentent des différences, notamment sur les périmètres d’intervention des dockers. C’est une réalité !
Aucune urgence, ni sur le terrain ni au niveau européen, ne justifie de s’affranchir de ce travail précieux, alors que nos ports ont besoin de stabilité pour accompagner la modeste reprise de leur activité.
En tout état de cause, le Parlement ne saurait se cantonner à un rôle de chambre d’enregistrement, fût-ce d’un dialogue social réussi, monsieur le secrétaire d’État.
Par conséquent, ma collègue Odette Herviaux ne sera pas surprise de ma position sur l’amendement n° 6. La formulation proposée introduit une ambigüité suggérant une extension potentielle du champ d’application de la priorité d’emploi des dockers. Cette suggestion est sans lien avec la correction du problème juridique que je viens de mentionner, lié à l’affaire de Port-la-Nouvelle. Or c’est là l’objectif premier du présent texte.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je souhaiterais évoquer deux points qui me paraissent importants.
Premièrement, nous traitons là d’une question institutionnelle majeure. M. le secrétaire d’État évoquait un débat d’ordre politique. Je pense, pour ma part, que nous discutons d’une problématique institutionnelle de première importance.
J’ai tout de même beaucoup de mal, monsieur le secrétaire d’État, à vous entendre dire et redire que, dès lors que le dialogue social a débouché sur un accord, le Parlement doit purement et simplement entériner ce dernier. Que faisons-nous ici ?...
Puisque vous avez le pouvoir d’amender à tout moment les textes, je vous suggère de déposer un amendement visant à prévoir que, à l’avenir, tout accord issu du dialogue social aura force de loi !
À quoi servons-nous si, dans un débat entamé depuis un peu plus d’une heure, chaque fois que nous voulons avancer sur cette proposition de loi, vous nous opposez l’importance du dialogue social et de l’accord obtenu et répondez : « Circulez, il n’y a rien à voir » ?
Oui, le dialogue social est important ! Mais le rôle du Parlement me paraît l’être tout autant. Il est pourtant quelque peu maltraité avec ce texte, que l’on nous présente comme une proposition de loi alors que, de toute évidence, il s’agit d’un projet de loi, que l’on cherche à faire adopter à la hussarde.
Je ne puis accepter, en tant que président de commission, que l’on traite ainsi le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jérôme Bignon. Très bien !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire. Deuxièmement, je veux évoquer un élément tout de même assez frappant, que le rapporteur a rapidement abordé tout à l’heure : monsieur le secrétaire d’État, à aucun moment, je ne vous ai entendu parler d’économie.
M. Jérôme Bignon. C’est la vérité !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire. Vous avez souligné l’importance du dialogue social, mais il semble que l’économie n’intéresse pas le Gouvernement ! Nous n’avons évoqué ni l’impact sur l’emploi ni l’impact sur les entreprises…
D’ailleurs – je ne l’ai pas signalé dans ma première intervention, mais j’y viens maintenant –, c’est sans doute pour cette raison que l’on a préféré la proposition de loi au projet de loi. Le second aurait imposé la réalisation d’une étude d’impact, que la première évite.
Ainsi, nous aurions pu mesurer les conséquences sur les entreprises et l’emploi, alors que, dans le cas présent, nous ne disposons d’aucun élément.
Tout cela n’est vraiment pas satisfaisant !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Peut-être n’ai-je pas été assez explicite dans mon discours d’introduction, monsieur le président de la commission. La question n’est pas juridique, et le vote auquel le Sénat va procéder est parfaitement normal du point de vue du fonctionnement des institutions. En revanche, vous ne pouvez pas échapper à la dimension politique du problème.
Vous avez parfaitement le droit de considérer que cette proposition de loi manque de clarté, qu’elle est insuffisante ou constitue un compromis boiteux. Je l’entends. Toutefois, ne caricaturez pas ma position : personne ne remettra en cause, ni aujourd'hui ni demain, le vote qui sera celui de cette assemblée. Je l’ai dit, il ne peut y avoir de conflit de légitimité, puisque le Parlement est seul légitime. C’est dans cette enceinte que le peuple s’exprime !
Par conséquent, je m’étonne que vous poursuiviez le débat. La situation est claire : je respecte votre position, mais je pense que vous commettez une erreur. Cette erreur n’est ni juridique ni institutionnelle ; elle est politique.
Vous prétendez en outre que je n’ai pas parlé d’économie, essayant probablement de reprendre de vieux schémas tirés de votre vision de ce que peut être un gouvernement de gauche… Franchement, le patronat lui-même juge bon le compromis qui a été trouvé ! Dès lors – j’agis ainsi par souci d’efficacité économique, mais ma position aurait été la même dans tous les cas de figure –, je préfère prendre en compte la position des acteurs économiques, plutôt que de recevoir de la part de la majorité sénatoriale un verdict à ce point sans nuance.
On peut penser que patronat et salariés se trompent, mais, de grâce, évitons la caricature ! D’autres questions de même nature se poseront et, à ce titre, je tiens à rappeler certains de mes propos d’ouverture, qui collent parfaitement à l’actualité.
Aujourd'hui, nous avons un certain recul par rapport aux événements qui se sont déroulés à Port-la-Nouvelle, mais, en plein cœur de la crise, peu de solutions ont été avancées. On assistait effectivement à un conflit frontal entre, d’une part, le syndicat des salariés, et, d’autre part, des acteurs économiques – ils n’étaient pas le patronat représentatif –, cherchant à profiter de l’ambigüité de la loi pour faire, de leurs interventions menées dans des conditions sociales inacceptables, un élément préjudiciable aux autres.
Ainsi, dans cette affaire, démarche économique et démarche sociale sont intimement liées, et c’est précisément ce qui nous est dit au travers de la signature de l’accord. Vous ne voulez pas l’entendre, monsieur le président de la commission, et c’est votre droit. Néanmoins, franchement, ne venez pas caricaturer mes propos !
Je respecte la décision du Sénat, mais le conflit a été très dur. Le choix de Frédéric Cuvillier de mettre en place le groupe de travail présidé par Martine Bonny s’est inscrit dans une démarche de recherche d’un compromis et d’une solution. Cela n’a pas été simple ! Il a fallu trente réunions et des mois de travail pour concilier des intérêts évidemment contradictoires. Cependant, la solution est là.
En prenant le risque de rejeter cette solution, au motif qu’elle ne nous plaît pas, on fait renaître la situation de conflit, non pas, j’y insiste, avec les interlocuteurs habituels que sont l’UNIM et, plus généralement, le patronat, mais avec ceux qui vont à nouveau chercher à s’insérer dans les ambigüités ou imprécisions du droit positif pour recréer les conditions d’un conflit.
Nous sommes bien obligés de sortir de ce conflit. On nous propose une solution ; je la soutiens. Je respecte les positions de chacun, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais que l’on n’emploie pas, dans le débat, des arguments que je n’ai pas utilisés, y compris l’argument économique !
L’apaisement, la paix sociale, un fonctionnement clairement établi, une concurrence loyale entre tous les acteurs patronaux grâce au respect des mêmes règles sociales m’apparaissent, du point de vue de l’efficacité économique, tout aussi pertinents que les éléments qui ont été avancés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président de la commission, nous n’avons pas entendu, sur ces travées, les propos que vous reprochez à M. le secrétaire d’État.
En commission, nous avons été plusieurs à émettre des doutes quant au rapport, qui, effectivement, passe à côté d’une négociation sociale ayant abouti. D’où une certaine incompréhension de notre part, d’autant que la profession de docker a tout de même connu, dans son histoire, un certain nombre de situations difficiles.
Le compromis obtenu est soutenu par tous. Il permet de sécuriser le principe de priorité d’emploi des dockers, dont le savoir-faire est nécessaire à la sécurité des personnes et des biens. Il garantit également les acquis et permet de mettre en place des négociations port par port, en tenant compte des particularités locales, pour encourager les industriels à avoir recours à la main-d’œuvre de dockers.
Par conséquent, je considère que l’intervention de notre président de commission est hors de propos, eu égard au débat et à la nature de l’intervention de M. le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Je veux simplement rappeler que le projet de charte annexé au rapport de Mme Bonny faisait explicitement référence à la « fiabilité » et à la « compétitivité » de nos ports. Aussi, que l’on ne nous reproche pas d’avoir ignoré les aspects économiques de la question !
Sachant ce qui s’est passé il y a quelques années dans nos ports – une période sur laquelle beaucoup se sont exprimés au cours de ce débat –, je tiens à saluer tous les partenaires de cette négociation, qui, je le pense, en faisant référence à la « fiabilité » et à la « compétitivité » de nos ports, ont montré qu’ils tenaient bien évidemment compte de leur développement économique et qu’ils réfléchissaient à la façon d’y favoriser l’installation d’entreprises.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.
(L'amendement est adopté.) – (Exclamations étonnées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Cornu. Il fallait demander un scrutin public !
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
L’article L. 5343-4 du code des transports est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les ouvriers dockers professionnels intermittents sont les ouvriers dockers qui étaient titulaires de la carte professionnelle au 1er janvier 1992 et qui n’ont pas conclu de contrat de travail à durée indéterminée avec une entreprise de manutention portuaire ou avec un groupement d’entreprises de même objet. » ;
2° À la première phrase du second alinéa, les mots : « le docker » sont remplacés par les mots : « l’ouvrier docker ». – (Adopté.)
Article 5
L’article L. 5343-6 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-6. – Les ouvriers dockers occasionnels constituent pour les entreprises ou les groupements d’entreprises mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 5343-3 du présent code une main-d’œuvre d’appoint à laquelle il n’est fait appel qu’en cas d’insuffisance du nombre d’ouvriers dockers professionnels.
« Cette main-d’œuvre d’appoint est employée dans le respect de l’article L. 1242-1 du code du travail et du principe de mensualisation posé à l’article L. 5343-3 du présent code.
« Les ouvriers dockers occasionnels ne sont pas tenus de se présenter à l’embauche et peuvent travailler ailleurs que sur le port sans autorisation spéciale. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 rectifié est présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L'amendement n° 7 est présenté par Mme Herviaux, M. Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani, Cornano, Filleul, J.C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mmes Tocqueville, Espagnac et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-6. – Les ouvriers dockers occasionnels sont les ouvriers dockers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire mentionnés à l’article L. 5343-7 du présent code, concluent avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises un contrat de travail à durée déterminée en application du 3° de l’article L. 1242-2 du code du travail et régi par la convention collective nationale unifiée applicable aux entreprises de manutention portuaire.
II. – Alinéa 2
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Les ouvriers dockers occasionnels constituent pour les entreprises ou les groupements d'entreprises mentionnés au premier alinéa de l'article L. 5343-3 du présent code...
La parole est à Mme Mireille Jouve, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.
Mme Mireille Jouve. Le texte initial de cet article visait à renforcer et à valoriser le statut des ouvriers dockers occasionnels, afin de remédier à la disparition programmée des dockers intermittents.
Par conséquent, dans le périmètre bien défini de la priorité d’emploi, il me paraît important de clarifier le statut des ouvriers dockers occasionnels via un contrat de travail à durée déterminée conclu avec l’entreprise de manutention et régi par une convention collective.
En commission, monsieur le rapporteur, vous avez fait valoir que, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, le texte favorisait les ouvriers dockers occasionnels au détriment de travailleurs intérimaires classiques.
Toutefois, eu égard à la dangerosité des travaux de manutention, et dans un périmètre où la sécurité doit primer, je pense qu’il faut privilégier une main-d’œuvre dont la qualification est spécifique et reconnue, et ce d’autant plus lorsque le port fait face à un surcroît d’activité.
C’est pourquoi je propose, par cet amendement, d’en revenir à la version du texte adopté par l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour présenter l'amendement n° 7.
Mme Odette Herviaux. Cet amendement vise également à rétablir la rédaction initiale de l’article 5.
Comme vient de le dire Mme Jouve, il est en effet nécessaire de conforter dans la loi la définition des dockers occasionnels, qui, jusqu’à présent, n’existait que par la négative dans le code des transports. Il est également essentiel de préciser que les contrats conclus sont régis par la convention collective unifiée applicable aux entreprises de manutention portuaire.
Ainsi, l’article 5 définit les dockers occasionnels par rapport au contrat de travail qui les lie à leur employeur, le « contrat de travail à durée déterminée d’usage constant », et fait référence à la convention collective du 5 avril 2011.
En définitive, il est nécessaire de consolider le statut des dockers occasionnels, qui constituent une main-d’œuvre d’appoint importante pour répondre aux fluctuations de l’activité portuaire.
C’est ce que nous demandons au travers de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Vaspart, rapporteur. La commission a en effet supprimé la définition des dockers occasionnels proposée dans le texte, au motif qu’elle risquait potentiellement de perturber le fonctionnement de certaines entreprises. En tout état de cause, une étude d’impact économique aurait permis d’apprécier concrètement l’incidence de cette mesure sur les ports français et les entreprises utilisatrices.
La commission émet donc un avis défavorable.
Tout à l’heure, j’ai entendu parler de dogmatisme. Je veux bien tout accepter, mais le dogmatisme, ce n’est pas dans mes gènes, si j’ose dire.
M. Michel Vaspart, rapporteur. Non, cher collègue ! Je le répète : ce n’est pas dans mes gènes.
Les premières auditions auxquelles la commission a procédé m’avaient conforté dans l’idée de proposer un vote conforme de l’article 5. Cependant, les auditions ultérieures – elles ont été nombreuses au total – m’ont convaincu qu’il fallait disjoindre le règlement du problème soulevé par le cas de Port-la-Nouvelle, qui est un vrai sujet et qui est réglé spécifiquement par le texte adopté par la commission, du reste de la proposition de loi.
En effet, l’ensemble de ces questions mériterait d’être traité dans un projet de loi à part entière, présenté par le ministère chargé des transports, auquel serait adjointe une étude d’impact et qui ferait l’objet de deux lectures dans chaque chambre.
Tout à l’heure, il a été question d’économie, mais sait-on quelles seront les conséquences de ce que nous nous apprêtons à voter sur les entreprises utilisatrices de nos ports français ? Non, parce qu’on ne dispose pas d’une étude d’impact ! Un tel document me semble essentiel pour ne pas commettre d’erreur quand on vote les lois de la République.
Monsieur le secrétaire d'État, une dernière chose : le dialogue social réussi a parfois conduit à des excès dans un certain nombre de domaines, rendant nos entreprises non compétitives ; on l’a quelque peu vérifié dans le domaine des transports.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié et 7.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 17 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 5.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 18 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 217 |
Contre | 124 |
Le Sénat a adopté.
Article 6
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 3 rectifié est présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L'amendement n° 8 est présenté par Mme Herviaux, M. Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani, Cornano, Filleul, J.C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mmes Tocqueville, Espagnac et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article L. 5343-7 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-7. – Afin de garantir la sécurité des personnes et des biens, un décret en Conseil d’État détermine les travaux de chargement et de déchargement des navires et des bateaux dans les ports maritimes de commerce qui sont prioritairement effectués par des ouvriers dockers appartenant à l’une des catégories définies à l’article L. 5343-2.
« Toutefois, les conditions dans lesquelles sont effectués les travaux de chargement et de déchargement des navires et des bateaux pour le compte propre d’un titulaire d’un titre d’occupation domaniale comportant le bord à quai sont fixées conformément à une charte nationale signée entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives du secteur de la manutention portuaire, les organisations représentatives des autorités portuaires et les organisations représentatives des utilisateurs de service de transport maritime ou fluvial. »
La parole est à Mme Mireille Jouve, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
Mme Mireille Jouve. Lors de la réunion de la commission, M. le rapporteur a supprimé l’article 6, au motif que les questions abordées, à savoir le périmètre d’emploi des dockers et les implantations industrielles, débordaient largement le problème d’insécurité juridique lié à l’extinction des dockers intermittents et qu’elles risquaient de remettre en cause des équilibres fragiles.
Cette interprétation me semble erronée, pour deux raisons.
Premièrement, en maintenant le droit en vigueur, on entretient les difficultés actuelles, suscitées par l’interprétation de la notion réglementaire de « lieux à usage public », source de conflits locaux. À l’inverse, le texte, avant son examen en commission, précisait dans la loi la justification de l’existence de la priorité de l’emploi des dockers, à savoir la sécurité des personnes et des biens. En quoi cette rédaction méconnaîtrait-elle davantage le droit européen, le périmètre de la priorité de l’emploi n’étant pas étendu par rapport à la situation actuelle ?
Deuxièmement, l’article 6 prévoyait la mise en œuvre d’une « charte nationale » concernant les nouvelles implantations industrielles en bord de quai.
Cette charte, il faut le souligner, est issue de concertations poussées et d’un dialogue social fructueux avec l’ensemble des acteurs concernés. En outre, elle ne me semble pas de nature à remettre en cause les équilibres fragiles que je viens d’évoquer, puisqu’elle concerne non pas l’existant, mais seulement les nouvelles implantations.
Par ailleurs, les auteurs de la proposition de loi ont voulu en faire un mécanisme souple, capable d’être adapté port par port, suivant les négociations entre les différents acteurs locaux. J’y insiste : pourquoi se priver d’un dispositif approuvé par la majorité des partenaires sociaux ?
Pour toutes ces raisons, je propose de rétablir la version du texte issue des travaux de l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Odette Herviaux. Cet amendement vise lui aussi à rétablir l’article 6, dont l’objectif est double.
Premièrement, il s’agit de procéder à la réécriture juridique de la règle de priorité des dockers sur les autres personnels. La définition d’un périmètre d’activité réservé aux dockers serait ainsi fondée sur la nécessité de « garantir la sécurité des personnes et des biens ».
Cet apport du texte initial, préconisé dans le rapport de Martine Bonny, est essentiel, car il permet de faire reconnaître par la loi le caractère d’intérêt général de l’activité de docker. Il permet aussi de se conformer aux exigences de la commission européenne.
Deuxièmement, l’article 6 prévoit la mise en place d’une charte nationale pour les opérations de manutention effectuées pour le compte propre d’entreprises occupant le bord à quai – il en va ainsi des implantations industrielles. Cet objectif est fondamental.
Le titulaire d’une autorisation d’occuper le bord à quai est une entreprise qui peut librement exercer son activité, conformément au droit de l’Union européenne. Dès lors, la conciliation entre la priorité d’emploi des dockers et la liberté de l’entreprise ne peut se faire par une règle impérative.
À cet égard, la charte constitue une solution souple, fondée sur la négociation entre les différentes parties prenantes. Elle sera signée par les représentants des employeurs, des syndicats de dockers, des autorités portuaires et des organisations d’utilisateurs de services de transport maritime.
Le projet de charte nationale est connu : il figure dans le rapport rédigé par Mme Bonny. Ce projet garantit les acquis, ce qui est très important, et permet de mettre en place des négociations, port par port, en tenant compte des particularités locales, pour encourager les industriels à avoir recours à la main d’œuvre de dockers.
Bien évidemment, mon groupe ne s’oppose pas, par principe, au dialogue social. Au contraire, nous pensons que celui-ci doit être soutenu et encouragé. C’est pourquoi nous demandons le rétablissement de l’article 6.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Vaspart, rapporteur. L’article 6 concerne la définition du périmètre d’emploi des dockers et la mise en place d’une charte nationale pour les implantations industrielles bord à quai.
Ces sujets excèdent largement le problème d’insécurité juridique invoqué et risquent de remettre en cause les équilibres fragiles que notre collègue Mireille Jouve évoquait à l’instant. Toutefois, si nous dressons le même constat, nous divergeons sur la solution à y apporter.
À notre connaissance, sur ces questions, aucune mise en demeure de la Commission européenne n’a pour le moment été adressée à la France, contrairement à ce qui a été fait pour la Belgique et pour l’Espagne.
En outre, les notions obsolètes de « postes publics » et de « lieux à usage public » figurent dans la partie réglementaire du code des transports, et non dans sa partie législative.
J’ajoute que la clarification relative au motif de « sécurité des personnes et des biens », justifiant la priorité d’emploi des dockers, ne saurait avoir lieu en l’absence d’une réflexion sur les qualifications professionnelles requises.
Comme nous l’avons déjà dit plusieurs fois, ces sujets seront discutés en 2016 dans le cadre du Comité de dialogue social européen pour le secteur portuaire. Il me paraît pertinent d’attendre l’issue de ces discussions pour adapter nos textes.
Rien ne justifie donc de modifier la loi en urgence et en privant le Parlement d’une étude détaillée sur les incidences économiques de ces dispositifs – j’y reviens de nouveau.
J’ajoute, en ce qui concerne cette charte, qui n’est rien d’autre qu’une astuce juridique pour contourner le droit européen, que, d’après ce que j’ai entendu, même les plus fervents défenseurs de son principe sont sceptiques en ce qui concerne les modalités concrètes de sa mise en œuvre.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je veux tout d'abord apporter deux précisions.
Aujourd'hui, il n’existe effectivement aucune procédure de la Commission européenne sur cette question : nous agissons dans le cadre qui a été évoqué précédemment.
S'agissant des conditions de mise en application de la loi, l’Assemblée nationale a, par voie d’amendement, adopté un article additionnel prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de la charte. Le Gouvernement était favorable à cette initiative, qui nous permettait d’assurer un suivi et faisait du Parlement, sur ce texte, non plus un simple spectateur, mais un véritable acteur.
J’ajoute que la discussion au Parlement a pu soulever des interrogations que les partenaires sociaux n’avaient pas abordées et que, de ce point de vue, il n’aurait pas été choquant de compléter le texte de manière à consacrer le rôle du législateur dans certains champs – par exemple, sur les questions de formation professionnelle. J’estime que nous ne nous sommes pas assez engagés dans une telle voie.
Je me félicite toutefois que nous ayons associé le Parlement pour ce qui concerne la mise en œuvre de la charte, laquelle constitue, effectivement, une formule assez originale, qui mérite d’être suivie.
Je suis donc naturellement favorable à ces deux amendements identiques, qui visent à reprendre le texte issu de l’accord, ainsi qu’à la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement permettant de suivre la mise en œuvre de la charte.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié et 8.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 19 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l'article 6 demeure supprimé.
Article 7
À l’article L. 5343-7 du code des transports, après le mot : « intermittents », sont insérés les mots : « , tant qu’il en existe sur le port, ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 rectifié est présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L'amendement n° 9 est présenté par Mme Herviaux, M. Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani, Cornano, Filleul, J.C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mmes Tocqueville, Espagnac et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
La section 1 du chapitre III du titre IV du livre III de la cinquième partie du code des transports est complétée par un article L. 5343-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5343-7-1. – Pour les travaux de manutention portuaire auxquels s’applique la priorité d’emploi des ouvriers dockers, les entreprises ou les groupements d’entreprises mentionnés au premier alinéa de l’article L. 5343-3, lorsqu’ils n’emploient pas uniquement des ouvriers dockers professionnels mensualisés, ont recours en priorité aux ouvriers dockers professionnels intermittents, tant qu’il en existe sur le port, puis, à défaut, aux ouvriers dockers occasionnels. »
La parole est à Mme Mireille Jouve, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.
Mme Mireille Jouve. Cet amendement vise à préciser les règles de priorité applicables entre les différentes catégories d’ouvriers dockers pour les travaux auxquels s’applique la priorité d’emploi.
Toutefois, l’article 6 n’ayant pas été rétabli, je retire cet amendement par souci de cohérence, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Odette Herviaux, pour présenter l'amendement n° 9.
Mme Odette Herviaux. La France, contrairement à la Belgique ou à l’Espagne, n’a pas été mise en demeure par la Commission européenne. Pour autant, monsieur le rapporteur, faut-il systématiquement attendre une injonction de Bruxelles pour exercer notre propre pouvoir d’initiative, qu’il soit de nature législative ou réglementaire ?
L’article 6 n’ayant pas été rétabli, cet amendement de cohérence, qui vise à rétablir les dispositions relatives à l’ordre de priorité d’emploi des différentes catégories d’ouvriers dockers, me semble à moi aussi ne plus avoir d’objet…
M. le président. Madame Herviaux, qu’en est-il, dès lors, de cet amendement ?
Mme Odette Herviaux. Je le maintiens malgré tout, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Vaspart, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement de coordination avec l’amendement n° 8, qui vise à rétablir l’article 6.
Par ailleurs, chère collègue, si la France peut éclairer l’Europe, il faut aussi accepter que l’Europe puisse éclairer la France.
M. Roger Karoutchi. C’est beau ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 20 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 190 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 7.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 21 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 154 |
Le Sénat a adopté.
Article 8
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 5343-8 du code des transports, les mots : « mentionnés à l’article L. 5343-1 » sont remplacés par les mots : « qui comportent la présence d’une main-d’œuvre d’ouvriers dockers professionnels intermittents ». – (Adopté.)
Article 9
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 rectifié est présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L'amendement n° 10 est présenté par Mme Herviaux, M. Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani, Cornano, Filleul, J.C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mmes Tocqueville, Espagnac et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de la charte nationale mentionnée au second alinéa de l’article L. 5343-7 du code des transports.
La parole est à Mme Mireille Jouve, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
Mme Mireille Jouve. Au travers de cet amendement, nous demandions que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de deux ans, un rapport sur la mise en œuvre de la charte nationale.
Toutefois, la suppression de l’article 6 étant maintenue, cet amendement n’a plus d’utilité et je le retire donc, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Odette Herviaux, pour présenter l'amendement n° 10.
Mme Odette Herviaux. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je retire moi aussi cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 10 est retiré.
En conséquence, l’article 9 demeure supprimé.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Fruit d’une négociation engagée très en amont, autour du groupe de travail présidé par Mme Bonny, je pensais que ce texte ne soulèverait aucun problème : toutes les personnes travaillant dans ces ports dont l’avenir nous tient tant à cœur s’étaient mises d’accord et avaient su trouver un équilibre, certes fragile, mais ô combien subtil et important.
Nous avons essayé de répondre aux interrogations, voire aux angoisses, de M. le rapporteur sur la déclinaison locale de la charte, sur la non-remise en cause de la liste des travaux de manutention exclus et sur le maintien du droit existant au regard des exceptions envisagées par la proposition de loi. Malheureusement, rien n’y a fait.
C’est donc avec beaucoup de tristesse que mon groupe votera contre le texte issu des travaux de la commission, qui ne ressemble plus du tout à l’accord initial conclu par l’ensemble des partenaires sociaux.
Comme plusieurs de nos collègues l’ont souligné, il s’agit d’un mauvais signal envoyé par le Sénat, à un moment où l’on en appelle à cor et à cri à la négociation sociale dans de nombreux domaines, afin d’éviter les débordements irraisonnés.
Mes chers collègues, allez voir le petit dessin humoristique paru en une du journal Le Monde de ce soir : vous aurez ainsi une idée de ce que je pense de la non-reconnaissance du dialogue social.
(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Je m’associe aux propos d’Odette Herviaux, ce qui nous fera déjà gagner un peu de temps.
Le dialogue social me semble incontournable dans une société comme la nôtre. Il doit être encouragé en toutes circonstances, de telle sorte que les parties prenantes trouvent ensemble des solutions. Est-ce à dire que le Parlement n’a aucun rôle ? Absolument pas ! Nous pouvons enrichir, nous pouvons compléter. Toutefois, lorsque le consensus est construit tel qu’il l’a été en ces circonstances, nous devons, selon moi, l’accompagner.
J’en viens à la notion de protection des salariés. Celle-ci n’est pas un gros mot ! Elle honore des sociétés comme les nôtres. Ne bénéficions-nous pas nous-mêmes de protections, notamment en termes de santé ? Cessons de considérer que les accords sur la protection sociale sont de vilaines choses. C’est complètement dogmatique ! Nous devons au contraire nous réjouir que, dans nos sociétés, on protège encore les salariés. C’est tout à l’honneur du Parlement que d’accompagner cette protection.
Quoi qu’il en soit, ce statut existe et il est juste. Nous avons affaire à une profession qui doit continuer à être protégée. Nous le savons bien, les dockers occasionnels sont de moins en moins nombreux. Il s’agit aussi d’accompagner une évolution. Le Sénat a malheureusement manqué cette occasion aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. Madame la présidente, je suis quelque peu gêné de m’exprimer après ma collègue Odette Herviaux. J’arrive un peu en retard, puisque j’assistais à l’audition de Mme la ministre des affaires sociales en commission. Je formulerai simplement quelques remarques.
Certains ont qualifié le Sénat de « chambre d’enregistrement ». Alors que j’exerce mon premier mandat de sénateur, vous m’avez choqué une fois de plus, mon cher collègue, je dois le reconnaître. Au demeurant, j’ai entendu les propos que vous avez tenus sur plusieurs travées dans cet hémicycle.
On ne peut pas se plaindre ici, au sein de la plus haute institution de la République, que des partenaires sociaux, patrons et salariés réunis, s’assoient autour d’une table, discutent, débattent, puis trouvent un compromis.
Vous déplorez le fait que nous ne serions que des magnétophones, des chambres d’enregistrement. Cela me choque d’autant plus que – je précise que je parle en mon nom – j’ai vu de nombreux rapporteurs défendre ici les amendements de groupes économiques zélés. Nous avons voté bien des amendements qui nous étaient « rapportés ». Très souvent, nous avons été non pas une chambre d’enregistrement, mais une bande enregistreuse, ce qui est « plus pire », comme dirait l’autre.
Je suis sidéré par le degré de cynisme de certains collègues. Le Sénat n’est pas une chambre d’enregistrement ; il débat, il écoute la rue. Il a l’immense avantage d’avoir un éclairage sur ce texte. Félicitons-nous-en ! C’est magnifique d’offrir un corps intermédiaire, des syndicats et des patrons en harmonie avec leurs parlementaires. Et on s’en plaint ! Ce sont des postures caricaturales. Je l’ai dit tout à l’heure ; je persiste et signe.
Simplement, lorsque, sur toutes les travées, nous évoquons la France, mère patrie, deuxième nation du monde pour ce qui concerne la superficie de son domaine maritime, ayons une petite pensée pour l’outre-mer, dont je suis originaire.
Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez déjà dépassé votre temps de parole. Il faut conclure.
M. Michel Vergoz. Je conclus donc en rappelant que les petits ports de nos territoires d’outre-mer connaissent des difficultés économiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Pour compléter les propos des différents orateurs, notamment de Mme Odette Herviaux, je dirai que j’ai l’impression d’un incroyable contretemps : en cette période, on n’attend pas de la représentation nationale un tel message politique !
Les images du conflit à Air France ont provoqué un véritable choc, dont nous nous remettons à peine. Parfois avec des mots très durs, beaucoup ont regretté notre incapacité à instaurer un dialogue social. Or, sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, la négociation a abouti, mais on détricote l’accord trouvé ! Nous agissons à contretemps, ce qui représente une importante erreur politique, au-delà des postures adoptées par les uns et les autres.
Par ailleurs, je crains que nous n’ayons pas eu un véritable débat. La modification de cette proposition de loi est un geste politique du Sénat. Dont acte ! L’Assemblée nationale rétablira le texte. Le processus prendra donc un peu plus de temps, mais le texte ne sera pas profondément remanié.
Pourtant, la question posée – j’ai bien écouté M. le rapporteur, je sais qu’il a procédé à un certain nombre d’auditions – porte sur la difficulté de quelques ports au regard de ce texte ; cela a été plus ou moins dit, mais on n’est pas entré dans le détail. Si un problème se posait dans un certain nombre de ports, il convenait non pas de remettre en cause un dialogue social qui avait abouti, mais d’analyser les éléments spécifiques à ces ports, pour lesquels des dispositions complémentaires étaient sans doute nécessaires. En tout état de cause, il ne fallait pas détricoter l’accord, surtout en procédant de cette façon.
Ce vote en restera donc à une posture politique, qui sera plus ou moins bien ressentie, dans le contexte politique du moment. Selon moi, au-delà de nos clivages politiques, qui sont réels, ce n’est pas une bonne chose. C’est en outre un acte inutile, puisque nous ne répondons pas à la difficulté mise au jour.
On a souvent tendance à citer l’exemple d’autres pays, notamment de l’Allemagne, qui obtient des résultats en termes de contrat social. Aujourd'hui, nous confortons l’image caricaturale d’une société française incapable de produire du consensus social. Selon moi, tout cela est assez inutile, et je regrette vraiment la manière dont le débat a tourné.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voterai pour le texte de la commission, tout simplement parce que je pense qu’il a du sens.
On ne peut pas avoir la chance, absolument phénoménale, de posséder un domaine maritime immense et ne pas l’utiliser, par manque de compétitivité ! Telle est la vraie question posée.
La COP 21 se tiendra dans quelques semaines. Nous ne pouvons que constater l’impact des transports sur le changement climatique et le gâchis de nos capacités maritimes, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou dans d’autres pays. Hélas, c’est un élu d’un département proche de l’Allemagne qui vous parle, l’économie de son territoire étant affectée directement par l’efficacité des ports maritimes allemands.
Ce texte n’est pas un rendez-vous manqué ! C’est plutôt un message. À cet égard, je remercie M. le rapporteur et M. le président de la commission d’avoir affirmé notre volonté de reconquérir le transport maritime et, par ce biais, toute l’économie de notre pays.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Comme je l’ai souligné au cours de mes interventions précédentes, la commission a vidé la proposition de loi de sa substance. Je m’associe aux propos de mes collègues qui ont défendu des amendements. Je voterai donc contre ce texte, comme la majorité des membres du groupe RDSE.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Je m’étonne des propos tenus par certains sénateurs, pourtant aguerris, selon lesquels il ne faudrait plus légiférer, dans la mesure où un accord est intervenu entre le MEDEF et les syndicats.
Mes chers collègues, nous ne sommes à la solde ni du MEDEF ni des syndicats ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) C’est à nous, parlementaires, élus par le peuple français, de légiférer. Nous n’avons jamais dit autre chose !
Or légiférer, c’est aussi utiliser son droit d’amendement. À cet égard, je salue le travail effectué par M. le rapporteur, qui a mené un très grand nombre d’auditions. En déposant ensuite des amendements, il a tout simplement rempli sa fonction de parlementaire. Je le félicite d’ailleurs de son premier rapport.
Pourquoi ne pourrions-nous pas intervenir après le dialogue social, après que le MEDEF et les syndicats se sont mis d’accord ? Ainsi, parce qu’ils auraient abouti à un compromis, ce serait eux qui porteraient la parole ? Et nous, parlementaires, nous ne pourrions plus intervenir ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Michel Vergoz. Nous n’avons pas dit cela !
M. Gérard Cornu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il n’est pas possible de raisonner ainsi ! Je ne comprends pas que de tels propos soient prononcés par des parlementaires aguerris. Nous sommes les représentants du peuple français, c’est à nous de décider. Notre rapporteur a fait son travail, et c’est à nous de le suivre. Je voterai donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UDI-UC votera ce texte.
Je m’étonne de certains propos qui viennent d’être prononcés à l’instant dans l’hémicycle. Les mots « cynisme » et « caricature » ont été prononcés, et ils vont bien trop loin. La réalité est toute différente.
Je salue également le travail effectué par M. le rapporteur, qui a bien expliqué qu’il n’y avait pas eu de consensus au niveau social. Ce n’est pas parce qu’une charte est signée que le dialogue social est idéal dans notre pays ! Le dialogue social ne se décrète pas ainsi, il se vit au quotidien dans chaque port, et c’est bien ainsi qu’il faut prendre les choses.
N’oublions pas que nous sommes confrontés à la concurrence internationale, le commerce maritime étant, par essence, international. Il faut donc que nous puissions être compétitifs par rapport aux autres ports. Si nous voulons que, demain, la France prenne la place qui lui revient dans les domaines du transport maritime, du commerce maritime et de l’exploitation des ressources marines, la confiance accordée aux acteurs de terrain, aux entreprises et aux partenaires sociaux est essentielle. Tout ne doit pas se décréter de là-haut !
Selon moi, les amendements proposés par le rapporteur vont dans le bon sens. Leur adoption permet justement de bien évaluer les choses avant de prendre des décisions à l’emporte-pièce, qui ne feraient qu’empirer la situation, c'est-à-dire altérer la compétitivité de nos entreprises françaises, donc l’emploi.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Vaspart, rapporteur. Sans reprendre l’ensemble des débats, je souhaite apporter quelques précisions.
Je l’ai dit tout à l’heure, mais je me permets de le répéter, avant les auditions, j’étais sur le point de proposer un vote conforme. C’est à l’issue de l’ensemble des auditions que j’ai nourri des doutes, et des doutes sérieux, sur ce texte, dans la mesure où nous n’avions pas un projet de loi comportant une véritable étude d’impact, port par port, notamment s'agissant de ce fameux article 6.
Nous avons proposé de dissocier le problème purement juridique inhérent au conflit de Port-la-Nouvelle. Telle a été la proposition que j’ai pu faire à la commission. Je remercie mes collègues de la majorité sénatoriale d’en avoir accepté le principe. À cet égard, monsieur le sénateur, il n'y a aucun dogmatisme. Je n’agis pas ainsi. J’ai été chef d’entreprise pendant vingt ans d’une entreprise de 250 salariés, et je n’ai pas connu un seul conflit social ! Qu’on ne vienne donc pas me donner des leçons sur ce sujet. Trop libre d’esprit, je ne suis pas et ne serai jamais dogmatique. Je vous le dis très vivement, c’est ma conviction profonde.
Monsieur le secrétaire d’État, l’avenir des ports français mérite un véritable projet de loi, destiné à les rendre beaucoup plus compétitifs, pour tenter de regagner les parts de marché que nous avons perdues depuis des décennies. Ce texte devra comporter une étude d’impact et bien entendu être négocié avec les partenaires sociaux. Cela ne peut pas se faire autrement !
Sans préjudice du projet de loi digne de ce nom que, nous l’espérons, le secrétariat d’État chargé des transports présentera en 2016 – le dialogue social doit encore se poursuivre –, le présent texte doit permettre de régler le problème de Port-la-Nouvelle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier de la qualité du débat que nous avons mené. Nous sommes allés au bout de nos raisonnements.
L’évolution de nos discussions me fait regretter que nous n’ayons pu les poursuivre plus avant, tant je pense que, à l’image de ce qui s’est passé en dix mois avec les partenaires sociaux, nous aurions peut-être pu, avec quelques heures de plus, vous convaincre du bien-fondé du raisonnement qui sous-tend notre démarche.
Vous aviez d’ailleurs commencé, monsieur le rapporteur, par trouver ce texte équilibré et par considérer qu’il constituait un progrès. Vous dites vous-même n’avoir changé d’avis que dans un second temps, après avoir été interpellé par un certain nombre de situations locales.
M. Michel Vaspart, rapporteur. Nombreuses !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Certes. Et vous souhaitez laisser les choses en l’état ? Vous renoncez à résoudre ces problèmes ? Vous satisfaites-vous d’une situation où les pratiques des entreprises et l’interprétation de la loi peuvent diverger d’un port à l’autre ?
Tel est pourtant bien le problème qui nous était posé. La majorité sénatoriale m’a opposé l’« organisation républicaine de notre pays », comme si j’en étais un adversaire ! Toutefois, l’organisation républicaine de notre pays ne trouve-t-elle pas sa source dans le principe d’égalité, qui prévoit que les mêmes règles s’appliquent partout ?
Ce que je souhaite, à l’unisson des partenaires sociaux, s’inscrit en faux contre ce que vous avez fait aujourd’hui, en vous réclamant de cette chose assez incompréhensible que vous appelez « respect de la diversité ». À supposer que vous entendiez par là le respect de la diversité des règles sociales, un tel « respect » finira tout de même par nous placer dans une étrange situation !
Je préférerais que nous tentions ensemble – nous aurons donc l’occasion d’y travailler à nouveau – de nous entendre autour d’un respect d’un autre ordre, qui concerne l’accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux.
Nous refusons d’opposer la règle de droit à l’accord des partenaires sociaux : l’intervention du législateur n’a pas vocation à s’opposer à de tels accords. C’est pour cette raison que j’ai commencé par vous inviter à ne pas renvoyer dos à dos légitimité sociale et légitimité politique : il n’y a pas de conflit de légitimités !
Ce qui veut dire aussi que c’est à vous, c’est-à-dire au Parlement – seul légitime pour le faire – de transmettre aux partenaires sociaux un message qui dirait, en substance : « Nous respectons le travail que vous avez accompli ». Ce n’est pas rien ! Si vous décidez aujourd’hui de leur opposer une fin de non-recevoir, il n’est pas exclu que, demain, décrétant que toute négociation serait vaine, ils réinvestissent le terrain de l’affrontement.
Certes, des intérêts contradictoires coexistent dans cette affaire ; ils s’expriment d’ailleurs, tout à fait légitimement, au Parlement ou auprès du Gouvernement. Chacun – responsables syndicaux et patronaux – prend ses responsabilités. Monsieur le rapporteur, des employeurs qui se trouvaient en désaccord avec leurs représentants vous ont démarché…
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire. Non, pas démarché, contacté !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Entendu, monsieur le président de la commission : disons donc que vous avez été contacté. Toutefois, même parmi les salariés, certains espéraient un texte beaucoup plus rigide.
N’oublions pas que la question de nos rapports avec les corps intermédiaires est aussi celle de nos rapports avec les représentants des corps intermédiaires.
Si nous reconnaissons la légitimité de cette représentation, cela signifie que le Parlement n’a pas vocation à devenir une sorte de chambre d’appel ouverte aux doléances des mécontents de l’accord social majoritaire – une condition aussi peu enviable, pour le coup, que celle de chambre d’enregistrement. Cet accord, nous devons au contraire l’accompagner ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 154 |
Le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire. Je remercie le Sénat, qui vient d’adopter ce texte, M. le rapporteur, qui a effectué un travail considérable et que je félicite de son premier rapport, M. le secrétaire d’État, de sa présence, mais surtout de sa patience, qui a d'ailleurs eu à s’exercer davantage envers sa propre famille politique qu’envers la majorité sénatoriale… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Jacques Filleul. Quelle vile attaque !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire. Voici ce que je retiens de nos débats.
Premièrement – je suis très frappé par ce point, qui est encore apparu au moment des explications de vote –, une divergence de fond nous oppose sur la portée du dialogue social et sur le rôle du Parlement.
Un certain nombre de nos collègues considère que le Parlement – en l’occurrence, le Sénat – doit se contenter, purement et simplement, de ratifier les décisions issues du dialogue social.
La majorité sénatoriale considère au contraire que le Parlement n’a pas à cantonner son rôle à celui d’une chambre d’enregistrement du dialogue social, quelle que soit l’importance de ce dernier. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Les exemples pullulent, hélas – notamment dans le domaine des transports –, qui montrent que le dialogue social n’est pas toujours le garant de l’intérêt économique, ni même de l’intérêt général.
Deuxièmement, contrairement à ce qui a pu être dit, il n’y a eu, dans la position de la commission et du rapporteur, aucun dogmatisme. Nous nous sommes fixé un objectif qui n’est autre que celui qui avait été assigné à ce texte, à savoir régler le problème de la diversité des statuts des dockers. Le texte que nous venons d’adopter vient précisément régler ce problème, en réponse aux conflits sociaux évoqués.
En revanche, nous n’avons pas voulu profiter de ce texte pour remettre en cause l’équilibre construit au fil du temps par une succession de lois d’ailleurs votées par des majorités différentes, donc irréductibles aux clivages partisans, la loi Le Drian du 9 juin 1992 et la loi Bussereau du 4 juillet 2008.
Je déplore pour finir, monsieur le secrétaire d’État, que nous manquions cruellement d’études d’impact et que vous ne nous ayez pas répondu à ce sujet. Je me joins donc aux propos de M. le rapporteur : nous attendons un vrai texte, assorti d’une véritable étude d’impact. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je remercie à mon tour M. le rapporteur, ainsi que les services du Sénat, du travail qui a été effectué. Celui-ci a témoigné de nos divergences. La procédure parlementaire va se poursuivre, mais il ne s’agit pas simplement que la majorité de l’Assemblée nationale finisse par l’emporter : il s’agirait également que la droite de l’Assemblée nationale et celle du Sénat se mettent d’accord…
En effet, à l’Assemblée, le discours de l’opposition a été plus ouvert, jusqu’à rejoindre nos vues, puisque les députés concernés se sont abstenus – nous savons tous très bien ce que cela signifie. Le discours entendu ici a été beaucoup plus radical – plus engagé, à tout le moins, dans la contestation de cet accord.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est cela, le Sénat !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Permettez-moi également de dissiper un malaise : personne n’a parlé de « chambre d’enregistrement ».
Derrière la répétition de ce mantra selon lequel nous chercherions à vous cantonner dans le rôle d’une chambre d’enregistrement se cache en réalité une position politique. Cette position est respectable, mais elle marque une différence considérable entre nous.
Le Gouvernement, soutenu ici même par un certain nombre de groupes et par la majorité de l’Assemblée nationale, reste déterminé à faire aboutir ce texte. Je suis d’un optimisme total et ne renonce pas à vous convaincre, car je crois à la force de nos arguments. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
15
Dépôt de rapports
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- d’une part, le rapport du fonds d’intervention régional pour l’exercice 2014 ;
- d’autre part, le rapport relatif à l’accès gratuit et confidentiel à la contraception pour les mineurs.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales.
16
Lutte contre le système prostitutionnel
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (proposition n° 519 [2014-2015], texte de la commission spéciale n° 38, rapport n° 37).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une lourde responsabilité que nous avons aujourd'hui. Nous devons en effet affirmer, ensemble, notre volonté de faire reculer la traite des êtres humains et les violences qui accompagnent la prostitution.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est porteur de progrès importants, pour les personnes prostituées, pour notre société, pour les droits humains et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
De nombreux a priori pèsent sur ce sujet encore tabou et finalement peu connu. Toutefois, peu importe d’être spécialiste du sujet ; il suffit de regarder les faits, sans préjugé, avec le sérieux et la gravité qu’ils réclament.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui trouve son origine dans le travail mené de manière transpartisane par Danielle Bousquet, alors députée et aujourd’hui présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et par Guy Geoffroy, président de la commission spéciale de l’Assemblée nationale.
À la suite de leurs travaux, au mois de décembre 2011, les députés ont voté à l’unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de notre pays. Une telle décision honore la France. Cette unanimité a été confirmée au mois de juin dernier, lors de la deuxième lecture de ce texte à l’Assemblée nationale.
Je veux prendre quelques instants pour saluer les pionniers et les pionnières, élus, associations, chercheurs, médecins et magistrats qui ont levé le voile sur cette violence et ont lancé les réflexions en France. Ces citoyennes et citoyens engagés ont réalisé un travail de pédagogie crucial et palpable dans notre société, pour que l’achat d’actes sexuels ne reste pas impuni, donc légitimé, et pour que les victimes cessent d’être stigmatisées et soient soutenues.
La première question que je me suis posée, lorsque je me suis emparée du sujet, est de savoir quelle réalité se cache derrière le mot « prostitution ».
La prostitution, ce sont des actes sexuels répétés et non désirés, imposés par la précarité et, aujourd’hui, majoritairement par la menace des mafias, qui maintiennent des femmes sous emprise.
Le Président de la République l’a exprimé très clairement à la tribune de l’ONU, le 27 septembre dernier : la France est mobilisée contre toutes les violences faites aux femmes. Et parmi ces violences, il y a les violences sexuelles ; il y a la prostitution.
Le quotidien des personnes prostituées, ce sont des violences inouïes, allant parfois jusqu’au meurtre. Le taux de mortalité des prostituées est six fois plus élevé que celui du reste de la population. Comme en témoignent les colonnes de votre presse quotidienne régionale, de nombreuses personnes prostituées sont assassinées, le plus souvent par leurs « clients ».
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Ce ne sont pas des faits divers ; ce sont des féminicides !
Mme Laurence Cohen. Absolument !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Une enquête de l’Institut de veille sanitaire montre que 36 % des personnes prostituées ont subi un viol au cours de leur vie.
Au nom de quoi faudrait-il accepter de sacrifier les droits, les vies de femmes et d’hommes ? Pour assouvir le désir sexuel de quelques-uns ? Ce n’est pas la société que nous voulons ! Mais c’est cela, la réalité de la prostitution. Je me demande donc comment certains peuvent encore parler d’un métier, d’un choix.
Ceux qui mettent en avant la liberté de disposer de son corps se trompent de débat. Le système prostitutionnel induit au contraire la contrainte : la contrainte sexuelle, physique et financière. Ce qu’ils défendent, ce n’est pas la liberté des femmes ; c’est le droit de certains hommes à disposer du corps de ces dernières !
Je suis allée sur le terrain, en maraude ou dans des centres d’hébergement sécurisés. J’ai pu constater la douleur créée par ces parcours de contraintes. Si ce n’est pas clair pour tout le monde, la loi doit l’énoncer : les femmes ne sont pas des objets. Je refuse d’accepter que des hommes puissent continuer à violenter, à dominer, à humilier contre quelques euros !
Celles et ceux parmi vous qui sont allés aux côtés des travailleurs sociaux et des associations le savent : dès lors que l’on rencontre ces personnes victimes de la prostitution, leur situation effroyable suscite l’indignation et la volonté d’agir. C’est avant tout pour elles, pour apporter des solutions à leurs situations dramatiques, que je suis devant vous aujourd’hui.
Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui se fonde sur quatre piliers : renforcer la lutte contre la traite et le proxénétisme, accompagner les personnes prostituées, sensibiliser toute la société et responsabiliser le client. Ces fondations construisent un édifice cohérent et solide. Si un pilier est retiré, l’ensemble est fragilisé.
Parmi ces piliers, la responsabilisation des clients fait débat au sein de la Haute Assemblée.
Pourtant, responsabiliser le client a plusieurs fonctions : indiquer qu’il participe à l’exploitation d’êtres humains ; refuser toute banalisation de cette violence ; réaffirmer que le corps des femmes n’est pas à vendre ; faire progresser le regard de la société et des jeunes sur les relations entre les femmes et les hommes.
Néanmoins, responsabiliser le client, c’est aussi empêcher l’enrichissement des réseaux et leur envoyer un message de fermeté : « La France n’est pas un pays d’accueil pour vos trafics ! » Comme l’explique une survivante courageuse que j’ai rencontrée et que je salue chaleureusement : « Donner le droit aux clients d’acheter des femmes, c’est donner le droit aux proxénètes de les vendre. »
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Les personnes qui achètent du sexe, et qu’on nomme par facilité les « clients », sont des acteurs du système prostitutionnel.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Alors, pourquoi devrait-on fermer les yeux sur leur responsabilité ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. C’est parce qu’un client paye que les proxénètes prostituent les femmes. C’est parce qu’un client paye que les mafias en tous genres s’enrichissent. C’est parce qu’un client paye que la traite humaine est la deuxième forme de criminalité la plus lucrative après le trafic de drogue.
Mme Laurence Cohen. Tout à fait !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Il faut donc désormais faire cesser l’hypocrisie qui bénéficie aux clients et leur dire qu’ils sont des acteurs du système prostitutionnel.
Pour toutes ces raisons, je veux vous dire, au nom du Gouvernement, que je regrette que la commission spéciale du Sénat ait décidé de supprimer la responsabilisation du client. (Nous aussi ! sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
En l’état, la loi serait inefficace, mais surtout dangereuse. Elle reviendrait à donner un signal positif aux réseaux. Il nous faut faire preuve de cohérence.
Tout d’abord, il faut supprimer le délit de racolage. Sans faire de polémique, nous pouvons nous accorder sur le manque d’efficacité de cette approche délictuelle. On ne peut pas justifier que les personnes prostituées soient considérées comme des délinquantes. Elles ne peuvent pas être tenues pour responsables d’être exploitées, vendues, achetées. C’est un non-sens.
Toutefois, il faut aussi donner aux forces de police et de gendarmerie les moyens de remonter les filières et de faire condamner les organisateurs des trafics. Les forces de l’ordre doivent pouvoir agir, mais en faisant peser la pression sur l’auteur de la violence prostitutionnelle, et non plus sur la victime.
Sans cette possibilité d’intervenir pour les forces de polices et de gendarmerie, il deviendrait plus facile et plus lucratif pour les réseaux d’exploiter la prostitution en France. Cela conduirait à une augmentation de la traite des êtres humains. Ce n’est pas le message que la France veut envoyer aux réseaux de traite.
Les réseaux, les mafias, les proxénètes, leurs violences et leurs trafics, nous n’en voulons pas ! Ce sont des femmes, leurs enfants et des familles entières qui vivent sous leur menace. Nous le savons, ces réseaux ont différents visages. Ils s’enrichissent sur la vente tant d’armes et de drogues, que d’enfants, de femmes et d’hommes. Ce sont les mêmes : ils partagent la recherche du profit et le mépris de l’humanité. Ils sont prêts à toutes les terreurs, à toutes les barbaries. Face à ces groupes mafieux, la réponse doit être ferme et coordonnée. Aucun levier ne doit être ignoré ou écarté.
Pour choisir, nous disposons d’exemples étrangers très éclairants. Tous attestent de l’efficacité du dispositif que nous souhaitons voir adopté. Les polémiques sur les différents rapports importent peu. Je fais confiance aux gouvernements européens et au sérieux de leurs évaluations.
Je voudrais évoquer la Suède. Un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat de services sexuels publié au mois de novembre 2010 démontre que le nombre de personnes prostituées a diminué.
Les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires mettent en évidence la décision des chefs de réseaux de quitter le territoire suédois. Les trafiquants estiment qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes en Suède et que le marché est désormais « inhospitalier ». (Mme la rapporteur de la commission spéciale acquiesce.)
En Norvège, en 2013, un rapport d’évaluation a conclu que la loi sanctionnant l’achat d’actes sexuels a suscité une réduction tangible de la traite. L’Islande, le Canada en 2014 et, voilà quelques mois, l’Irlande du Nord ont adopté une législation identique.
En revanche, les pays qui ont choisi d’organiser le système, au lieu de le dissuader, constatent une augmentation spectaculaire de la prostitution, des risques sanitaires et des violences qui l’accompagnent.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Un tiers des procureurs allemands indiquent que cette loi a compliqué les poursuites pour traite et proxénétisme.
Les choix des pays européens ont pu diverger voilà dix ans. Aujourd'hui, l’Europe regarde ces bilans nationaux, que je viens d’évoquer, et sa position est très claire. En 2014, le Parlement européen a adopté une résolution affirmant que la prostitution est contraire aux principes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.
Cette résolution considère que la demande peut être réduite en faisant peser la charge de l’infraction sur ceux qui achètent des actes sexuels. Elle indique que la réduction de la demande doit faire partie de la politique de lutte contre la traite dans les États membres, comme c’est le cas en Suède.
Toujours en 2014, c’est l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui adoptait la même position et appelait les États à envisager la sanction de l’achat de services sexuels.
J’ai rencontré en septembre dernier Mme Vassiliadou, coordinatrice de l’Union européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains. De toute part, on nous le dit : la voix de la France est attendue. (Mme la rapporteur de la commission spéciale acquiesce.) Se contenter d’une loi sans ambition et sans efficacité serait indigne de notre République.
Dès 1949, la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui affirmait l’incompatibilité de la prostitution avec la dignité et la valeur de la personne humaine.
Aujourd’hui, les textes internationaux vont bien plus loin : ils dénoncent la pénalisation des personnes prostituées et incitent à sanctionner l’achat d’actes sexuels. En Europe comme en France, la prostitution a changé de visage. Les trafics s’organisent à l’échelle internationale.
Aujourd’hui, les personnes prostituées sont en grande majorité étrangères et victimes des réseaux de traite, qui les transportent là où il est le plus facile de les exploiter. La législation française n’est plus efficace ; un statu quo serait inacceptable. Il est donc urgent d’apporter des réponses adaptées à ces nouveaux défis. Nous avons besoin des dispositifs prévus par cette proposition de loi, rapidement, sur le terrain.
Ce texte lancera un signal fort. Il nomme les victimes et les auteurs. Il fournit des outils aux forces de police et de gendarmerie. Il permet aux associations de terrain de mieux protéger les personnes prostituées. Il renforce nos moyens de lutte contre les réseaux de traite humaine.
La commission spéciale a adopté l’article qui prévoit un dispositif de protection renforcée pour les personnes prostituées menacées par leurs réseaux. Je veux saluer cette décision, ainsi que le travail mené par votre président et votre rapporteur.
Vous avez repris, et même amélioré le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. Ces dispositions essentielles sont attendues. Des femmes et des hommes en ont besoin. Ils en sont aujourd’hui privés tant que la proposition de loi n’est pas définitivement adoptée.
Le Gouvernement est prêt à travailler à l’application concrète de cette loi. Les ministères de la justice et de l’intérieur, particulièrement impliqués et mobilisés dans le travail interministériel que j’ai mené, sont pleinement associés. La preuve la plus tangible de cet engagement collectif du Gouvernement est le doublement du budget alloué à la lutte contre la traite et la prostitution dans le projet de loi de finances pour 2016.
Je pourrais donc rapidement financer des actions de terrain au bénéfice des personnes prostituées. Toutefois, pour agir, nous avons besoin de cette loi que vous examinez ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs.
Notre responsabilité aujourd’hui est d’être juste pour les victimes et efficace contre les réseaux. Cela implique de changer radicalement la vision que nous avons du système prostitutionnel, des personnes prostituées comme des clients.
Nous pouvons aujourd’hui, ici, ensemble, franchir un pas historique. La France a un rôle à jouer et elle est regardée dans le monde. Elle doit lutter contre ces criminalités. Elle doit promouvoir les droits humains et les droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, notre commission spéciale a commencé à travailler sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées il y a plus d’un an et demi. Sans revenir sur toutes les dispositions de ce texte, connues de toutes et de tous, je m’attacherai à vous présenter les dernières évolutions intervenues dans la proposition de loi, d’abord à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, puis mercredi dernier et cet après-midi en commission spéciale du Sénat.
Le 30 mars dernier, notre assemblée s’était prononcée en faveur d’un texte amputé de deux de ses dispositions centrales : l’article 16, visant à punir l’achat d’un acte sexuel, avait d’abord été supprimé par notre commission spéciale en juillet 2014 ; puis, l’article 13, abrogeant le délit de racolage, avait été supprimé en séance publique. Ces deux changements modifiant profondément l’approche et le sens de la proposition de loi sont intervenus contre ma volonté ; j’ai toujours assumé cette position, sans ambiguïté.
Je considère, en effet, que si la présente proposition de loi représente un progrès décisif, c’est bien en reconnaissant que, quel que soit le contexte, l’achat d’un acte sexuel est une violence – une violence faite aux femmes, par des hommes, dans une très grande majorité des cas. S’il s’agit, finalement, de faire passer les personnes prostituées du statut de délinquantes à celui de victimes d’une violence, c’est bien grâce à ces deux mesures essentielles, à la fois symboliques et utiles, que sont la pénalisation du client, enfin reconnu comme responsable, et l’abrogation du délit de racolage.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Pour autant, et contrairement à ce que l’on a parfois pu entendre, le texte transmis à l’Assemblée nationale comprenait indéniablement des améliorations très concrètes, qui ont d’ailleurs été conservées par nos collègues députés en deuxième lecture ou n’ont été modifiées qu’à la marge.
Ainsi, sur les vingt-trois articles qui restaient en navette à l’issue de la première lecture au Sénat, huit ont été adoptés dans les mêmes termes ou ont vu leur suppression confirmée par l’Assemblée nationale, et sept ne font l’objet que de divergences mineures entre les deux chambres.
S’agissant de l’accompagnement des personnes prostituées, le Sénat avait considérablement amélioré l’article 3 relatif à la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite et créant un parcours de sortie de la prostitution. L’Assemblée nationale a retenu l’essentiel de ces changements et l’équilibre trouvé au Sénat demeure préservé.
La commission spéciale avait élargi le champ des recettes, qui viendront alimenter le fonds pour la prévention de la prostitution créé à l’article 4 et intégré à la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. L’Assemblée nationale n’est pas revenue sur ces dispositions.
Notre commission spéciale a souhaité, en deuxième lecture, revenir, pour ce qui concerne l’article 3, à l’esprit du texte adopté au Sénat en première lecture, en prévoyant que l’ensemble des associations qui aident et accompagnent des personnes en difficulté puissent participer au parcours de sortie de la prostitution. Il nous paraît en effet essentiel de n’exclure aucune association de ce parcours et de garantir la continuité de la prise en charge des victimes.
J’en viens maintenant aux articles sur lesquels se concentrent les désaccords entre nos deux chambres.
Les députés ont rétabli les deux dispositions centrales du texte qui avaient été supprimées par le Sénat : l’abrogation du délit de racolage public et la responsabilisation pénale des clients. Mercredi dernier, la commission spéciale n’a pas réintroduit le délit de racolage dans son texte. Toutefois, elle a donné cet après-midi un avis favorable au rétablissement du délit de racolage actif. (Mme Maryvonne Blondin s’exclame.) En outre, elle a exprimé de nouveau un avis défavorable à la contravention d’achat d’actes sexuels.
En ce qui concerne le délit de racolage, j’estime à titre personnel que la position adoptée par le Sénat en première lecture n’est pas satisfaisante. En effet, le délit de racolage n’est pas un moyen efficace pour recueillir des éléments sur les proxénètes et sur les criminels de la traite des êtres humains. Entre la peur du réseau et celle de la justice, la personne prostituée a vite choisi : elle ne parlera pas en garde à vue.
Je rappelle que le code de procédure pénale offre des instruments beaucoup plus efficaces aux enquêteurs et qui leur permettent de recueillir des informations à la source : écoutes, géolocalisation, utilisation d’une identité d’emprunt sur internet, etc. Ce sont ces outils qui permettent aujourd’hui à la police ou à la gendarmerie de démanteler des réseaux.
J’ai cependant entendu les inquiétudes de ceux qui pensent qu’il ne faudrait pas se priver des éléments connus des personnes prostituées. Toutefois, pour donner un instrument efficace à la police et à la justice, il fallait innover. Il fallait changer la règle du jeu, et surtout inverser les rôles aux yeux des personnes prostituées, dès lors que celles-ci manifestent le désir de s’en sortir. Il est important que, enfin, la police et la justice soient de leur côté et les protègent contre les criminels, alors que ces personnes considèrent aujourd’hui le réseau comme leur allié face à la police et à la justice.
C’est pourquoi la commission spéciale a adopté l’amendement que je lui ai proposé à l’article 1er ter. Cette disposition offrira enfin une protection aux victimes des réseaux, dès lors qu’elles auront apporté un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d’une enquête et dès lors qu’elles seront menacées par les réseaux criminels.
Cette protection prendra la forme d’une série de mesures décidées par la Commission nationale de réinsertion et de protection, pouvant aller d’une simple aide matérielle et de mesures de réinsertion à un changement de domicile, voire à l’adoption d’une identité d’emprunt.
Les services ministériels concernés, notamment ceux de l’intérieur et de la justice, que nous avons rencontrés avec le président de la commission spéciale, Jean-Pierre Vial, sont prêts à mettre en œuvre ce dispositif, complétant celui qui est déjà prévu par l’article 6 du texte, qui permettra la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour aux personnes prostituées portant plainte contre leur proxénète ou témoignant dans une enquête.
Si cette mesure a été unanimement saluée par les membres de notre commission spéciale, une inquiétude a pu être exprimée par certains de mes collègues. Il est absolument indispensable que les mesures de protection soient mises en place très rapidement, dès que la personne prostituée a clairement manifesté sa volonté d’échapper à son réseau et de témoigner contre lui. Tout délai pourrait, en effet, avoir des conséquences gravissimes dès lors que le réseau sera informé de la démarche engagée. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, vous prononcer sur cet aspect de la question ?
En tout état de cause, je suis profondément convaincue que ce dispositif sera, pour lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite, infiniment plus efficace que ne l’est, actuellement, le délit de racolage.
J’en viens enfin à la responsabilisation des clients.
La commission spéciale a supprimé de nouveau cette disposition. On nous dit qu’une telle mesure risquerait d’augmenter la vulnérabilité des personnes prostituées. Je considère, au contraire, à titre personnel, qu’il est temps de faire comprendre aux clients qu’ils ont une lourde responsabilité en ce qui concerne la vulnérabilité et les souffrances subies par les personnes prostituées.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Il est temps qu’ils assument cette part de responsabilité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Michelle Meunier, rapporteur. On nous dit aussi que la mesure pourrait avoir des conséquences imprévues ou indésirables. Néanmoins cette pénalisation du client existe déjà. Sans même parler des pays européens qui l’ont adoptée, je rappelle que, en France, les clients de prostituées mineures commettent déjà un délit aux yeux de la loi. Il s’agit simplement d’étendre cette disposition à l’ensemble des clients.
Mes chers collègues, le regard sur la prostitution est en train de changer, et je pense que, pour beaucoup d’entre nous, les travaux de la commission spéciale ont permis cette évolution.
Nous sommes prêts aujourd’hui à adopter un texte utile et efficace, lucide et exigeant, un texte de progrès pour les personnes prostituées et pour l’ensemble de la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous souhaitons que vivent nos petits-enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au moment où le Sénat engage le débat sur la deuxième lecture du texte visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, je souhaite exprimer quelques réflexions tendant à éviter une approche réductrice du travail important et de qualité réalisé par Mme la rapporteur et par la commission spéciale. Je salue aussi tout particulièrement l’apport de Jean-Pierre Godefroy, qui fut le premier président de cette commission spéciale.
On me soumettait tout récemment un article caricatural du travail sénatorial par un journaliste qui ne s’était même pas aperçu que, depuis le dernier renouvellement, la moyenne d’âge du Sénat était inférieure à celle de l’Assemblée nationale. Avec la même rigueur intellectuelle, il ne faisait pas la différence entre le compte rendu intégral et le relevé sommaire des travaux et auditions de la commission et critiquait l’objectivité de nos travaux. (Sourires.) Oui, ce sujet mérite plus que la caricature !
Je ne reviendrai pas davantage sur le débat que nous avons eu en première lecture concernant la politique abolitionniste par rapport à la politique prohibitionniste, quand on sait à quel point la pratique peut nous amener à des constats qui interpellent plus qu’ils ne rassurent.
Pour illustrer mon propos, je citerai deux exemples récents qui doivent nous pousser plus à la prudence qu’à des jugements tranchés.
Le premier exemple concerne la décision prise au mois d’août dernier par le conseil d’administration d’Amnesty International tendant – cela en surprendra plus d’un – à la dépénalisation du « travail du sexe », ce qui recouvre bien entendu les personnes prostituées, mais aussi les clients et les tiers. Amnesty International souligne que « cette décision soulève des incompréhensions et critiques, notamment en ce qui concerne la dépénalisation des tiers ».
On comprend que la section française d’Amnesty International, AIF, ait tenu à exprimer ces précisions : « AIF est consciente que sa position est complexe […]. Mais la complexité et la subtilité sont inévitables et nécessaires lorsqu’il s’agit d’élaborer une politique sur un sujet aussi sensible dans le champ des droits humains, comme Amnesty International a eu le courage de le faire ».
L’autre exemple concerne la malheureuse affaire dite « du Carlton », que certains n’ont pas manqué de qualifier de désastre judiciaire.
En relaxant les clients, les prostituées et le proxénète – ce dernier fut le premier surpris et s’engagea sur le champ à développer ses établissements – la justice aura fait de cette affaire qui a eu lieu dans un hôtel cinq étoiles un fait divers de libertinage ramené à une simple question de morale, en oubliant qu’une des prostituées avait très clairement exprimé son refus d’accepter les pratiques imposées, avant de s’y soumettre.
Il faudra attendre quelques mois après le procès pour que des journalistes manifestent un peu plus de sagacité et démontrent que ces « libertines » étaient en réalité des femmes victimes du parcours traditionnel de la prostitution. C’est Bernard Lemettre qui présentera leur parcours de sortie de la prostitution avec autant de délicatesse que de dureté dans un livre plein d’humanité publié sous le titre Je veux juste qu’elles s’en sortent.
S’il est facile de reconnaître la prostitution qui relève des filières, il est plus difficile de reconnaître une frontière avec la liberté de disposer de son corps et d’en faire commerce pour ceux qui veulent accepter que cette frontière existe.
Oui, la prostitution est violente. Sur huit morts en 2014, quatre ont été victimes de leurs clients dans des conditions d’une atrocité extrême et quatre semblent avoir été victimes de leur proxénète – ce qui interroge d’ailleurs sur le chiffre noir des victimes de proxénètes.
Voilà le contexte dans lequel il nous faut arbitrer sur les mesures à prendre, pour faire avancer ce combat de protection des victimes et de régression de la prostitution.
S’agissant des mesures sociales, qui visent à donner aux personnes prostituées les moyens de sortir de la prostitution, nous sommes parvenus à un texte équilibré : les députés ont conservé la plupart des modifications que le Sénat avait introduites en première lecture. Il en va de même pour les mesures relatives à la lutte contre la traite des êtres humains, que le Sénat avait renforcées.
Les divergences concernent uniquement les dispositions pénales du texte.
Concernant la mesure dite de « pénalisation des clients », nous pouvons assez facilement être d’accord philosophiquement avec cette idée, dès lors que la soumission est au cœur de la prostitution. Toutefois, la pratique incite à être extrêmement circonspects sur ses effets.
De très nombreuses associations œuvrant sur le terrain nous ont fait part de leurs inquiétudes, estimant que la pénalisation des clients conduirait à une dégradation des conditions de vie des personnes prostituées, ainsi qu’à une précarisation, à un isolement et à des risques sanitaires accrus.
Par ailleurs, les services d’enquête nous ont indiqué qu’en aucun cas la pénalisation des clients ne permettrait d’accéder à des informations sur les proxénètes ou les réseaux, puisque les clients ne disposent pas de ces informations.
Je rappelle que la pratique de la prostitution se répartit de la façon suivante : 60 % à partir des réseaux internet, 30 % sur la voie publique, 10 % dans les hôtels ou établissements. Ainsi, le principe, sans doute séduisant, de la pénalisation des clients ne doit pas masquer les très nombreux écueils auxquels sa mise en œuvre pourrait conduire.
J’ai bien entendu votre détermination, madame la secrétaire d’État. Vous me permettrez de vous interroger sur cette mesure qui fait débat et qui, aux termes d’une stricte application de l’article 41 de la Constitution, n’aurait jamais dû être portée devant le Parlement.
Cette mesure est une contravention qui relève du domaine réglementaire, et donc du Gouvernement. Certes, me direz-vous, elle est présentée de façon liée à un délit, mais celui-ci n’est rien d’autre, en réalité, qu’une reprise à l’identique de l’infraction sanctionnée au titre du code pénal.
Dès lors, si le Gouvernement est à ce point convaincu de la pertinence de cette mesure, pourquoi n’a-t-il pas fait en sorte, depuis deux ans, de l’appliquer dans le cadre de la compétence réglementaire ? S’interrogerait-il sur sa pertinence ? (Mme la secrétaire d’État fait un signe de dénégation.)
L’important est de veiller à ne pas priver les services d’enquête des moyens d’action qui leur sont nécessaires. C’est dans cet esprit que la commission spéciale, à l’issue du travail mené en concertation avec les services ministériels concernés et nos collègues députés, a adopté un dispositif renforcé de protection des personnes prostituées qui témoigneront contre leurs réseaux, que Mme la rapporteur vous a présenté à l’instant.
Je ne peux que saluer ce dispositif, inspiré de celui « des repentis », bien qu’il s’agisse en l’espèce de protéger des victimes, et non des délinquants. Cependant, nous devons nous garder de toute naïveté en la matière : il s’agit d’un dispositif très lourd et très coûteux, qui ne bénéficiera en réalité qu’à quelques personnes. Quand on connaît les difficultés des prostituées à se confier, on peut s’interroger légitimement sur leur aptitude à dénoncer.
Je ne ferai, par ailleurs, qu’évoquer les pratiques policières qui associent de plus en plus les acteurs sociaux pour libérer la parole des prostituées.
Un tel dispositif ne pourra donc en aucun cas remplacer l’actuel délit de racolage comme instrument de remontée des filières.
En effet, comme nous le disent et répètent tous les services de police et de gendarmerie, l’abrogation totale du délit de racolage est extrêmement préoccupante du point de vue de la lutte contre les réseaux, tant dans la rue que sur internet. D’après les responsables de la brigade de répression du proxénétisme, un quart à un tiers des 50 à 65 procédures closes chaque année avec succès à Paris en matière de proxénétisme ont pour point de départ des informations recueillies lors d’une garde à vue pour racolage.
Ces mêmes services nous ont précisé, et c’est un point important, que les personnes interpellées dans ce cadre ne faisaient jamais l’objet de poursuites, mais étaient présentées à des associations, souvent pour la première fois.
J’y insiste, car certains n’hésitent pas à dire que le délit de racolage est une pénalisation de la prostituée. Or, je le dis très clairement, ce délit n’est pas la sanction de la personne prostituée, mais au contraire sa protection.
C’est pourquoi nous examinerons ultérieurement un amendement qui vise, sans en revenir à l’actuel délit de racolage, à proposer une solution permettant de ne pas priver les services d’enquête d’un outil essentiel de lutte contre les réseaux.
Nous attendrons également vos explications, madame la secrétaire d’État, sur l’amendement de Mme Jouanno relatif à internet.
Vous vous étiez déjà longuement expliquée en première lecture. Nous avions alors admis qu’il existait des mesures permettant que les missions des services de police ainsi que le suivi soient assurés en tenant compte des dernières dispositions adoptées par le Parlement en matière de sécurité.
Il est donc important que vous nous apportiez des précisions sur ces amendements.
Mes chers collègues, nous devons prendre garde au fait que les lois que nous votons ne valent pas uniquement par leur portée symbolique ou éducative. Elles ont des effets extrêmement concrets, que le législateur a le devoir de prendre en compte.
Le texte qui nous est soumis étant une proposition de loi, il n’a malheureusement pas fait l’objet d’une étude d’impact. Toutefois, les très nombreuses auditions que nous avons menées montrent que les acteurs de terrain, dans leur ensemble, sont très inquiets des effets possibles de ses dispositions. Il est du devoir de notre assemblée de les entendre. C’est la raison pour laquelle nous proposons qu’une évaluation soit faite au cours des deux prochaines années, afin que l’ensemble des mesures adoptées par le Parlement puissent être appréciées.
Madame la secrétaire d’État, si nous avons des divergences sur certaines mesures à mettre en œuvre, nous sommes tous convaincus de la nécessité de protéger les personnes prostituées et de faire régresser la prostitution. Cette évaluation nous permettra, dans deux, ans, d’examiner l’effet des mesures adoptées et, éventuellement, de les corriger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puis-je ouvrir mon intervention par un bref rappel ?
Bien avant que la présente proposition de loi ne soit inscrite à l’ordre du jour, le Sénat avait déjà abrogé le délit de racolage en votant, le 28 mars 2013, la proposition de loi que j’avais déposée au nom du groupe écologiste.
Le texte de la proposition de loi dont nous débattons à nouveau aujourd’hui, tel qu’il est sorti des travaux de notre commission, prévoit encore, et c’est heureux, cette abrogation. Par ailleurs, il n’intègre pas une mesure controversée, la pénalisation des clients, qui aurait demain les mêmes effets dévastateurs que la création, hier, du délit de racolage. De cela, la majorité des membres du groupe écologiste se réjouit, pour le moment...
De fait, dès sa première mouture, un tel texte aurait dû avoir pour seuls objectifs : l’abrogation du délit de racolage, la mise en place d’un véritable accompagnement des personnes prostituées souhaitant effectivement sortir de la prostitution, étrangères comprises, et une relance efficace du combat contre la traite des personnes prostituées et contre le proxénétisme.
Tout en reconnaissant l’importance de la sensibilisation dès le plus jeune âge au fait que le corps des femmes n’est pas une marchandise et que la sexualité ne se réduit pas à l’achat des corps ni ne peut en impliquer la domination par la contrainte, on ne peut que déplorer que trop de responsables politiques abordent toujours la prostitution sous l’angle de prétendues valeurs morales, et que la santé ainsi que la sécurité des personnes prostituées n’aient pas été, jusqu’à présent, les préoccupations premières du législateur.
M. Alain Fouché. C’est bien vrai !
Mme Esther Benbassa. Même si elle se déploie aujourd’hui au nom d’une émancipation, que je qualifierais de forcée, de la femme, cette approche « moralisatrice » n’est pas nouvelle.
Relisez, mes chers collègues, Les filles de noce : misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, un ouvrage publié en 1978 par le grand historien Henri Corbin : il décrit notamment le processus par lequel la prostitution, d’objet de tolérance, est devenue un objet de prohibition.
Au début de la IIIe République, déjà, le problème était au cœur du débat de société et de la vie littéraire ! Huysmans, Edmond de Goncourt, Zola publient, presque en même temps, des romans qui lui sont consacrés. Corbin écrit : « Une menace est alors soulignée [...] : la femme vénale fausse les mécanismes de la mobilité sociale. Il est des carrières fulgurantes, au sein de la prostitution, qui non seulement contreviennent au désir d’ordre moral, mais sont à l’origine de fortunes colossales... ».
La connaissance clinique de la syphilis rend, à cette époque, la prostitution inquiétante à un autre égard encore : on craint que la santé et l’avenir des jeunes générations ne soient gravement compromis. Pour le coup, ici, le contraste est patent avec notre époque.
Qui s’est soucié, hier, des conséquences sanitaires de la création du délit de racolage ? Et qui, aujourd’hui, de celles qu’aurait la pénalisation des clients ? Certes, il ne s’agit là que de la santé des prostituées elles-mêmes. Cela peut passer après la morale...
Le parcours du texte dont nous débattons, victime au fil de la navette de réécritures contradictoires, voire incohérentes, traduit la difficulté à mettre d’accord, s’il est possible, libéraux, prohibitionnistes et autres abolitionnistes. Certaines associations, enracinées dans un terreau catholique, par exemple le Mouvement du Nid, et ressemblant fort aux ligues de moralité d’antan, pèsent de tout leur poids. C’est qu’il y a beaucoup à gagner dans cette affaire, et notamment les subventions d’État, pour l’accompagnement des prostituées dans le parcours de sortie de la prostitution.
D’autres associations, non abolitionnistes, celles qui jusqu’à présent suivaient les prostituées en prenant en charge leur santé, en leur offrant un soutien psychologique, ou simplement en faisant des maraudes pour distribuer café chaud et préservatifs, peuvent en revanche s’inquiéter de ce qui se profile.
Le mouvement des prostituées qui émergea en 1975 exigeait déjà, pour les prostituées travaillant à leur compte, payant leurs impôts et ne dépendant pas d’un proxénète – elles représenteraient aujourd’hui 20 % de la prostitution selon les derniers sondages –, la reconnaissance de l’existence légitime du couple prostitutionnel, fondé sur un libre accord, le droit de choisir librement son partenaire, l’émancipation de toutes les formes de proxénétisme, la reconnaissance de la diversité des fonctions de la prostitution.
À la suite de ce mouvement, M. Giscard d’Estaing commanda un rapport à Guy Pinot, premier président de la cour d’appel d’Orléans.
Que préconisait ce rapport, hélas mis dans un placard ? Juste que les prostituées soient, dans la société, des femmes comme les autres et des contribuables comme les autres. Juste qu’il soit mis fin aux faux-semblants et à l’hypocrisie, puisque la prostitution en France est à la fois légale et réprimée.
Qu’exiger d’autre aujourd’hui ? Aidons celles qui le souhaitent à quitter la prostitution, luttons contre le proxénétisme, oui. Toutefois, cessons de stigmatiser ces femmes, mes sœurs, nos sœurs, comme si elles étaient des délinquantes, ennemies irréductibles de notre facile « vertu » de nantis. (M. Jacques Mézard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à titre liminaire, nous voudrions saluer le travail effectué par la commission spéciale en deuxième lecture, qui a permis de dégager une solution raisonnable et à nos yeux réaliste : ni pénalisation des clients ni répression des prostituées, mais de la prévention et de l’assistance. C’est du reste la position qui est la mienne et celle de la majorité de mes collègues du RDSE.
Déjà, en 2013, notre groupe avait apporté son soutien à une proposition de loi déposée par le groupe écologiste, ce qui n’arrive pas tous les jours ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. C’est vrai !
M. Jean-Claude Requier. Ce texte visait à supprimer le délit de racolage passif, infraction à la fois peu efficiente et à la logique ambiguë. Il s’agissait, lors de son instauration en 2003, de lutter contre les troubles à l’ordre public causés par les personnes prostituées, afin de rendre le phénomène de la prostitution invisible aux yeux des riverains. Il n’en a pas été pour autant éradiqué, mais repoussé dans des lieux de plus en plus isolés et reculés, donc de plus en plus dangereux pour les prostituées.
Douze années plus tard, le bilan du racolage passif est catastrophique, nous le savons : certes, la diminution de la visibilité de la prostitution sur la voie publique a été patente dans les premières années. Toutefois, ce constat s’est rapidement inversé, dès lors que le nombre de personnes mises en cause et le taux de poursuites n’ont cessé de diminuer.
Outre ces chiffres peu concluants, les conséquences ont également été sanitaires et sociales, puisque le délit de racolage passif et sa « crypto-logique » ont compliqué le travail des acteurs de terrain, notamment les associations, tout en dégradant les relations des personnes prostituées avec les forces de l’ordre.
Cette avancée prévue dans le texte et confortée par l’Assemblée nationale doit être préservée à tout prix.
En la matière, le parallélisme des formes est d’importance. Notre assemblée ne doit pas rétablir de nouveau, au cours de nos débats, le délit de racolage passif : ce serait une erreur, voire une faute. Je le dis à nos collègues de la majorité qui pourraient en être tentés...
À cet égard, il est significatif que la commission spéciale ait souhaité répondre aux inquiétudes concernant le tarissement des sources d’informations qui résulterait de l’abrogation d’un tel délit. Elle a, en effet, enrichi et renforcé la protection des personnes prostituées, en créant, à l’article 1er ter, un régime de protection similaire à celui qui est prévu jusqu’à présent pour les personnes qui, engagées dans des activités délictuelles ou criminelles à des degrés divers, ont finalement averti les autorités, permettant ainsi d’éviter la réalisation d’une infraction ou d’identifier d’autres auteurs ou complices.
Cette disposition de bon sens doit inciter les personnes prostituées à témoigner dans les enquêtes et en justice, fournissant ainsi des éléments précieux pour obtenir des condamnations significatives.
Cela nous conduit a contrario, aujourd’hui, à nous interroger sur la logique parallèle qui conduit certains à souhaiter la pénalisation des clients. La philosophe Élisabeth Badinter a eu l’occasion de souligner les contradictions inhérentes à une telle mesure ; son époux, l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, est également venu témoigner lors des auditions que nous avons réalisées avant la première lecture de la proposition de loi. Nous ne nions évidemment ni l’omniprésence des réseaux mafieux dans la prostitution, ni la traite humaine qui traverse les océans et les frontières, ni bien sûr la misère humaine et sociale qui est souvent à l’origine de la prostitution. Bien au contraire !
Qui peut aujourd’hui refuser de voir que la réalité quotidienne est très éloignée des images flatteuses, romanesques, que peut parfois véhiculer la littérature, celle de Kessel ou de Zola ? Non, les prostituées nigérianes ou chinoises n’ont rien de commun avec Belle de jour. Non, elles ne choisissent pas la marchandisation de leur corps. Oui, la prostitution en France est aujourd’hui majoritairement le fait de femmes clandestines soumises à la violence. Oui, du fait de contingences économiques et sociales aliénantes, elles sont bien victimes de réseaux mafieux, dont les bénéfices ont été évalués à 3 milliards d’euros par an.
Cependant, croit-on réellement éradiquer la prostitution en l’interdisant ? Nous sommes de ceux qui pensent que les logiques répressives en la matière n’ont que peu de sens et servent de palliatif malencontreux à l’inertie ou à l’impuissance en matière de lutte contre la traite humaine ou encore d’aide au développement.
L’abolition de la prostitution ne se fera pas par un biais purement juridique, par un énoncé tout simplement performatif, n’en déplaise à ceux qui privilégient cet aspect répressif. Aussi, comme en première lecture, nous nous opposerons aux amendements qui visent à rétablir soit la pénalisation du client, soit le délit de racolage passif.
Il faut lutter contre les réseaux mafieux en amont. Assister en aval, c’est le second versant de la lutte contre le système prostitutionnel. Il s’agit de venir en aide à ces personnes. Nous nous réjouissons que la navette parlementaire ait permis un enrichissement significatif de cet aspect du texte et que les deux assemblées soient tombées d’accord sur l’essentiel des principes.
Le renforcement des droits des personnes prostituées par la mise en place d’un parcours de sortie de la prostitution et la création d’un fonds dédié en font partie.
Nous saluons également l’intégration des personnes prostituées à la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux, ainsi que la possibilité pour les associations agréées de bénéficier d’une aide supplémentaire pour l’accompagnement de ces personnes.
Pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe RDSE apportera donc son soutien au texte issu des travaux de la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteur, mes chers collègues, le sujet que nous étudions aujourd'hui est particulièrement délicat. La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, que nous avons examinée en première lecture en mars dernier, est de retour dans notre hémicycle, et j’espère qu’elle en sortira améliorée.
Je souhaite participer au débat dans un esprit ouvert, dans le respect des positions de chacun.
Tout d’abord, nous faisons tous le même constat. La prostitution existe dans notre pays : la France compte à l’heure actuelle environ 20 000 personnes prostituées, dont 90 % sont étrangères, la plupart exploitées par des réseaux mafieux en provenance d’Europe de l’Est, d’Afrique ou d’Asie. Environ 15 % des personnes prostituées sont des hommes. Les réseaux de proxénétisme sont nombreux, et une quarantaine d’entre eux sont démantelés chaque année. Les incidents relevés par les forces de police ne sont pas rares, allant parfois jusqu’à l’homicide.
Pourquoi ces personnes entrent-elles dans le système prostitutionnel ? Le rapport de 2011 de la mission d’information parlementaire sur la prostitution en France souligne que la précarité et la vulnérabilité demeurent les facteurs, non exclusifs, mais majeurs, d’entrée et de maintien dans la prostitution.
Notre souhait est, d’une part, de lutter contre ce système prostitutionnel et, d’autre part, de protéger les personnes prostituées et les sortir de ce milieu.
Sur le plan de l’accompagnement des personnes prostituées, la proposition de loi que nous examinons comporte des mesures significatives.
Ce volet social du texte est particulièrement consensuel, il est bon de le souligner.
Le texte instaure ainsi un droit pour toute victime de la prostitution à bénéficier d’un système de protection et d’assistance, et met en place un parcours de sortie de la prostitution. Personnes prostituées à leur propre compte ou victimes de réseaux, toutes doivent pouvoir bénéficier de la possibilité de sortir de ce milieu.
La commission spéciale, dont je salue le travail, a précisé que les associations qui aident et accompagnent les personnes en difficulté pourront participer à l’élaboration du parcours de sortie avec la personne prostituée, et non les seules associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes prostituées. Par cette précision, ne sont pas exclues du dispositif les associations potentiellement compétentes et expérimentées, mais qui n’interviendraient pas spécifiquement dans l’aide aux personnes prostituées.
La commission a également renforcé la protection des personnes prostituées en prévoyant que celles qui contribuent par leur témoignage au démantèlement des réseaux pourront bénéficier d’une protection spécifique : protection physique, nouvelle domiciliation, mesures de réinsertion, identité d’emprunt.
Les victimes du proxénétisme et de la prostitution pourront bénéficier, dans des conditions sécurisantes, de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale. En parallèle, les associations agréées pourront désormais bénéficier de l’allocation de logement temporaire.
Pour les personnes étrangères, est prévue la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de six mois.
En outre, au sein de chaque département, sera créée une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains. L’État assure ainsi la protection des victimes et leur fournit l’assistance dont elles ont besoin.
L’État crée, de plus, un fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées.
Enfin, ce texte ouvre aux victimes de proxénétisme un droit, déjà ouvert aux victimes de la traite des êtres humains, à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans preuve nécessaire d’une incapacité permanente ou d’une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
Les avancées significatives de ce texte sur le plan social ne doivent pas être occultées par les divergences d’opinions sur les façons de lutter contre la prostitution, que je vais maintenant aborder.
Quelles sont les solutions ?
Oui, la prostitution est la manifestation de la traite des êtres humains. Donc oui, il faut lutter contre ce système prostitutionnel. Mais comment ?
Tout d’abord, il faut un volet préventif.
Sur le plan numérique, la proposition de loi crée une avancée importante. Elle instaure une obligation de vigilance des hébergeurs et des fournisseurs d’accès sur les sites internet susceptibles d’être utilisés par les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains. Nous ne devons pas sous-estimer l’importance d’internet dans cette lutte.
En matière d’éducation, je salue le développement d’une politique de prévention auprès des jeunes. En effet, la proposition de loi inscrit la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets traités durant la scolarité.
Cependant, la prévention ne suffit pas, la répression est nécessaire. Or la question des mesures répressives reste un point important de désaccord entre les deux assemblées.
Le droit positif actuel prévoit un délit de racolage public. Notre collègue Catherine Troendlé proposera au cours du débat une modification afin de supprimer l’incrimination du racolage dit passif.
Il est en effet difficile pour les forces de l’ordre, pour les magistrats et pour les personnes prostituées elles-mêmes de savoir quelles attitudes relèvent d’un racolage passif. (Mme Catherine Troendlé opine.)
Nous débattrons de cette disposition tout à l’heure.
Je ne m’attarderai pas sur ce délit de racolage, qui, certes, n’est pas une solution miracle, puisqu’il n’a pas permis à l’heure actuelle d’éliminer la prostitution, mais qui reste un instrument juridique nécessaire, notamment pour le suivi des personnes prostituées par les forces de police qui relèvent leur identité et peuvent ainsi remonter les réseaux.
On trouve là également un intérêt social, puisque c’est ainsi que les identités des prostituées peuvent être transmises aux associations en vue de leur protection et de leur éventuel parcours de sortie.
Je souhaite m’attarder plus longuement sur la notion de pénalisation des clients.
En première lecture, la position du Sénat de non-pénalisation des clients revenait à ne pas modifier le droit positif actuel. Or nous ne pouvons rester passifs. Essayons d’entreprendre cette lutte contre la prostitution.
La pénalisation des clients a ses détracteurs ; je suis de ceux qui n’y sont pas opposés. Pénaliser le client revient à tarir la demande, et donc à limiter l’enrichissement des réseaux qui, aujourd’hui, sont le support de l’essentiel de la prostitution.
Certains me rétorqueront que la pénalisation des clients fera éclore une clandestinité importante ; pour leurs clients, les prostituées se cacheront et seront donc d’autant plus vulnérables.
D’autres encore affirmeront que les services de police n’ont ni les moyens ni le temps nécessaires pour aller verbaliser les clients.
Enfin, les juristes observeront que l’argument est bien faible juridiquement. Car comment pénaliser quelqu’un pour l’achat d’un acte dont la consommation n’est pas interdite ?
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Cyril Pellevat. De plus, toujours d’un point de vue juridique, une contravention doit être instaurée par voie réglementaire. C’est donc au Gouvernement de l’instaurer, et non au législateur.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
M. Cyril Pellevat. J’entends ces positions, mais, à titre personnel, pour un parallélisme des formes face au délit de racolage, je suis favorable à la pénalisation du client.
Pénaliser le client permet de sanctionner la violence d’actes sexuels imposés par l’argent, l’abus de situations de précarité et d’engager le recul du phénomène prostitutionnel en France.
Je considère cette pénalisation des clients comme une étape dans la lutte contre la prostitution.
En cohérence avec la peine d’amende, la proposition de loi initiale prévoyait une peine complémentaire de suivi d’un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, à laquelle je suis favorable.
Pensons également à l’aspect dissuasif de cette mesure. Selon différentes associations, celui-ci réduirait de 30 % à 40 % le nombre de clients.
Ne soyons pas fatalistes ! Les solutions qui s’offrent à nous sont les suivantes.
Premièrement, il est possible d’abroger le délit de racolage et de ne pas instaurer de pénalisation des clients. Cela constituerait un symbole dramatique et reviendrait à ouvrir les portes aux réseaux mafieux.
Deuxièmement, on peut maintenir ce délit, mais choisir de le maintenir et de ne pas instaurer de pénalisation des clients reviendrait au statu quo.
Troisièmement, le maintien du délit de racolage appelle un parallélisme des formes. La personne prostituée étant sanctionnée, le client prostitueur doit l’être également.
Les avis ne sont pas unanimes au sein d’un même parti, mais la discussion est utile et permet d’aboutir à de meilleurs raisonnements.
Je souhaite remercier M. le président de la commission spéciale et Mme la rapporteur pour la qualité de leurs travaux. La majorité du groupe Les Républicains suivra les conclusions de leurs travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Claude Kern et Christian Manable ainsi que Mme Maryvonne Blondin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons déjà eu de longues discussions sur cette proposition de loi ; je ne reviendrai donc pas sur les aspects techniques.
Au terme de nos débats en commission spéciale et dans l’hémicycle, je vois un point très positif : nous sommes d’accord sur deux principes fondamentaux.
Le premier est que les personnes prostituées doivent être globalement considérées comme des victimes qui ont besoin de protection et de considération.
Le constat est clair et partagé. Dans leur très grande majorité, ces personnes sont victimes de réseaux et de violences, souvent de la part de leurs clients. Dans leur très grande majorité, ces personnes n’ont pas choisi cette vie, elles la subissent. Quant à celles qui l’auraient peut-être choisie hier, elles la subissent aujourd’hui, car la prostitution est un aller simple. Il est difficile d’en sortir, d’autant qu’elle peut vous emmener jusqu’à un âge très avancé.
Ce point de vue est aujourd’hui majoritaire dans notre hémicycle.
Le deuxième principe fondamental qui nous unit, que nous partageons, est que nous sommes abolitionnistes : nous ne souhaitons ni légaliser ni réglementer la prostitution.
J’assume même le fait d’être néo-abolitionniste. Mon objectif est clairement la disparition, à terme, de la prostitution en France. En effet, si les personnes prostituées sont dignes de respect, la réalité de la prostitution n’est pas digne de la France.
La réalité de la prostitution, c'est la violence. Elle est une violence physique inouïe, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d'État. Elle est une violence psychologique. Elle est dans sa grande majorité une violence d’hommes sur des femmes. On peut mettre en avant des exceptions, mais cette réalité est celle de la majorité.
Il nous appartient maintenant de mettre nos actes en cohérence avec nos principes, de laisser de côté nos clivages politiques. Je ne vois pas dans ce débat de clivage politique : je n’imagine pas que la droite souhaite libéraliser la prostitution et que la gauche veuille l’étatiser.
Je ne souhaite pas non plus que, dans ce débat qui sera le dernier dans cet hémicycle sur cette proposition de loi, il y ait trop de lieux communs, d’impressions. Méfions-nous de ces « sentiments » tirés des discussions avec quelques cas isolés ; soyons rationnels, objectifs !
Je veux aussi vous rappeler que nous sommes le pouvoir législatif ; mieux encore, nous sommes le Sénat, la Haute assemblée, l’assemblée des libertés ! C’est tout de même ici que siégeait Victor Hugo, l’un des premiers à dire qu’il n’y avait pas de liberté des femmes dans la prostitution.
Certes, certaines personnes prostituées se réclament de leur libre choix, mais elles sont une minorité. Notre deuxième question doit donc être : agissons-nous pour une minorité ou pour la majorité ?
Nous avons maintenant le choix entre trois options.
La première consiste à libéraliser la prostitution. À part de rares exceptions assumées, peu de monde soutient ce choix.
Notre deuxième option est de faire disparaître la prostitution en réprimant l’offre, c’est-à-dire en réprimant les personnes prostituées. C’est un choix qui se justifie si l’on considère que la personne prostituée est coupable, qu’elle a fait un choix qui ne peut s’afficher dans l’espace public et que cette voie est efficace.
Ce fut peut-être le cas quand la prostitution était le fait de personnes libres, mais nous savons que la prostitution contemporaine est majoritairement subie. Nous savons malheureusement en outre que la répression du racolage n’est plus efficace aujourd'hui contre les réseaux ; on en démantèle d’ailleurs très peu.
Plus fondamentalement, comment pouvons-nous accepter que des personnes qui – nous le reconnaissons tous – sont victimes soient présumées coupables aux yeux de la loi ?
Ainsi, notre troisième option – qui est, je l’assume, éthique – est aussi de réprimer la demande, c’est-à-dire le client. Il s’agit d’une question tant de principe que de réalité. C’est en effet une question de réalité parce que l’argent des clients constitue la première source de financement des réseaux de traite. D’ailleurs cela ne finance pas que la traite : ce sont les mêmes réseaux qui financent le terrorisme.
Or la prostitution est un marché, un business : sans offre, pas de demande et sans demande, pas d’offre !
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Chantal Jouanno. Par conséquent, on ne peut pas exonérer si facilement les clients de leurs responsabilités dans cette réalité. Ils ne peuvent se déclarer innocents d’un crime qui n’existerait pas sans eux.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Chantal Jouanno. À ce sujet, nous avons eu un débat au sein de notre groupe, dont je ne partage pas les orientations majoritaires.
Par ailleurs, l’excuse de l’inefficacité de la pénalisation du client ne tient pas. On a rappelé précédemment les résultats des études en la matière : en Suède, la prostitution baisse et partout ailleurs, elle augmente, notamment la prostitution violente, causée par les réseaux.
La seconde excuse classique consiste à affirmer que la pénalisation du client fragilisera les personnes prostituées. Je salue l’objectif, que je partage, visant à ne pas fragiliser davantage ces personnes, qui sont des victimes. Toutefois, c’est également le cas du délit de racolage. Cette excuse ne peut pas être invoquée à la carte dans une hypothèse et pas dans l’autre ; si l’on ne veut pas que les personnes prostituées se cachent, il ne faut ni délit de racolage ni pénalisation du client.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Chantal Jouanno. J’ajoute qu’avec cette loi, qu’il faut envisager dans son ensemble, nous mettons la loi du côté de la personne prostituée. L’interdiction du racolage fournissait un premier moyen d’entrer en contact avec ces personnes ; nous en avons un second avec la procédure de fuite – expression que je préfère à celle de « système de repentis ».
Vous trouverez toujours des témoignages de quelques associations ou de quelques personnes expliquant que les études mentent, que nous n’y connaissons rien et que tout cela sera totalement inefficace. Toutefois, soyez conscients que vous ne lirez jamais une tribune des personnes prostituées dont nous parlons aujourd’hui, qui représentent la majorité, et vous ne les entendrez pas davantage, parce qu’elles n’ont pas le droit à la parole. Pour elles, parler, c’est se condamner.
Par conséquent, écoutez les rapports officiels, relisez l’appel d’éminents médecins français daté du 28 mars dernier, la tribune des magistrats du 10 novembre 2013, l’appel des trente-sept associations du collectif Abolition 2012 ou la tribune d’élus municipaux de ce jour.
En outre, au-delà des faits, se pose fondamentalement la question de nos valeurs. La société de 2015 n’est pas celle du XXe siècle et la prostitution d’aujourd'hui n’est pas celle d’il y a dix ou quinze ans. La société actuelle est attachée au principe d’égalité et, à côté de l’égalité des femmes, je veux aussi parler de l’égalité des hommes.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Bien sûr !
Mme Chantal Jouanno. J’ai en effet trop de respect pour vous, messieurs, pour considérer que votre sexualité constitue une pathologie publique, un besoin irrépressible qui justifierait la pérennité du mal nécessaire de la prostitution. (Mme Maryvonne Blondin sourit.) Je trouve insupportable d’entendre que la prostitution existera toujours et que nous devons nous y résigner. Il y a beaucoup de crimes qui existent depuis l’antiquité et nous ne nous y résignons pas !
Enfin, parlons de sexualité. Cela a souvent été rappelé, la sexualité doit être apaisée, et il faut parler d’amour et non d’argent. Elle ne relève certes pas du législateur, mais ses dérives marchandes, si. C’est pourquoi il me semble important de poser l’interdit social de celles-ci.
Mes chers collègues, je ne vois dans la prostitution – pas plus dans sa réalité que dans ses principes – aucune liberté, aucune égalité, aucune fraternité. J’ai donc confiance dans notre capacité à voter un texte qui place le droit du côté des victimes et qui reconnaît la responsabilité de chacun. J’ai aussi confiance dans la sagesse du Sénat et dans sa tradition de défenseur des libertés pour que nous votions un texte juste. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la secrétaire d’État, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre constance et de votre engagement personnel pour cette proposition de loi, que l’on a pu apprécier dans votre intervention.
J’espère et je crois que nos débats en deuxième lecture aboutiront à un vote restaurant l’esprit initial de la proposition de loi telle que votée par l’Assemblée nationale. Hélas, en effet, la Haute Assemblée avait aggravé la situation actuelle en première lecture, cela a été rappelé, en votant des sanctions pour les personnes prostituées et en refusant de responsabiliser les clients.
Je veux d’abord pointer ce qui fait consensus entre nous, à savoir notre volonté de lutter contre les réseaux mafieux de traite des êtres humains et le proxénétisme.
Cela dit, il y a toujours un débat sur la manière dont on traite les deux protagonistes de ce système prostitueur : les clients et les personnes prostituées. La force de la proposition de loi initiale consistait à bien tenir compte du triptyque proxénète–client–personne prostituée, et de le penser de façon équilibrée, comme un tout.
Pour que la lutte contre le proxénétisme soit efficace, il est indispensable d’aider les prostituées en cessant de les considérer comme des délinquantes, donc passibles de sanctions. Il faut au contraire les accompagner et les soutenir dans les diverses démarches leur permettant de sortir de ce système prostitueur.
Il est donc tout à fait dommageable que la commission spéciale ait, cette fois encore, refusé de voter l’abrogation du délit de racolage. Pour mon groupe, renoncer à ce délit marquerait une évolution forte et mettant fin à une conception répressive et inefficace à l’encontre des prostituées. Pour que la lutte contre le proxénétisme soit efficace, je pense en effet, comme beaucoup, qu’il est indispensable de tarir la demande. La pénalisation des clients pose un interdit : on n’achète pas l’accès au corps et au sexe d’autrui, et ce non au nom de la morale, mais au nom de l’égalité entre les êtres humains. L’argent ne peut pas tout acheter !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Laurence Cohen. La grande majorité des hommes n’achètent d’ailleurs pas de services sexuels tarifés car ils considèrent que la prostitution représente bel et bien une extrême violence subie par la majorité des prostituées.
M. Roland Courteau. Oui !
Mme Laurence Cohen. Dans le système prostitueur, on a affaire à des réseaux de traite d’êtres humains qui s’appuient sur la détresse, la crédulité et la misère des plus fragiles pour développer un marché qui rapporte beaucoup d’argent. Il faut sortir des fantasmes et prendre conscience que la prostitution n’est ni un choix ni une activité professionnelle !
Qui peut sincèrement imaginer sa femme, sa fille, sa sœur avoir des dizaines de rapports sexuels par jour, très souvent accompagnés de violences, de coups, d’humiliations, et soutenir que la prostitution est un acte banal faisant partie de la liberté sexuelle ? Et quand bien même ce serait un choix pour un nombre infime de personnes, en quoi cela devrait-il nous empêcher de légiférer comme nous nous apprêtons à le faire ?
Prenons l’exemple du don d’organes : certaines personnes, poussées par des difficultés financières ou sociales, pourraient sans nul doute être conduites à accepter de vendre un de leurs organes – et c’est parfois la triste réalité dans certains pays –, mais, en France, la loi ne le permet pas et c’est heureux ! L’interdiction est donc totalement déconnectée du consentement présumé des personnes, c’est une mesure de protection des plus vulnérables.
L’argument consistant à affirmer que pénaliser l’acte sexuel tarifé aurait pour conséquence de renvoyer les personnes prostituées à la clandestinité, les mettant davantage en danger, ne me semble pas solide. En effet, comme le souligne le Mouvement du Nid, « pour la première fois, le rapport de force sera partiellement en faveur de la personne prostituée, […] qui n’aura rien à prouver, car le simple fait de la solliciter sera illégal ». Ainsi, l’article 1er ter, fruit d’un gros travail que je tiens à saluer, met en place un régime de protection intéressant et équilibré – j’y reviendrai lors d’une intervention sur l’article.
La loi que nous allons voter doit véritablement mettre fin à l’impunité des clients, notamment parce que leurs comportements individuels nourrissent un système plus vaste et dangereux. S’attaquer à la demande, c’est aussi s’attaquer aux profits des proxénètes.
Par ailleurs, il faut répéter encore et toujours les traumatismes vécus par d’anciennes prostituées. De nombreuses associations qui les accompagnent dénoncent les risques qu’elles encourent. Il y a ainsi, parmi les personnes prostituées, huit fois plus de viols et seize fois plus de suicides que dans la population générale. En outre, en 2014, huit prostituées ont été assassinées par des individus officiellement reconnus comme clients.
Quant à l’argument consistant à affirmer que ce dispositif serait inefficace avant même de l’avoir mis en œuvre et sans tenir compte des expériences menées par d’autres pays, il me semble inopérant.
Mes chers collègues, nous avons reçu ces derniers jours de nombreux courriers électroniques nous interpellant. Je veux citer notamment celui de deux cent cinquante-neuf collègues maires et élus municipaux, toutes tendances politiques confondues,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. … qui se sont rassemblés pour signer une tribune nous demandant de voter cette proposition de loi, avec le triptyque dont je parlais précédemment. Cet appel d’élus locaux écorne pour partie l’argument consistant à affirmer que cette loi porterait atteinte à la tranquillité publique.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Encore une fois, il est totalement incohérent de vouloir apporter des évolutions positives du point de vue de l’accompagnement des prostituées, de la lutte contre le proxénétisme et contre la traite des êtres humains sans toucher à l’impunité des clients. Cela ne fonctionnera pas !
Outre les amendements rétablissant les articles 16 et 17 que j’ai signés avec plusieurs de mes collègues du groupe CRC, nous avons déposé des amendements sur l’article 6 afin d’améliorer les dispositions prévues en matière d’autorisation de séjour pour les personnes prostituées. L’objectif est de tenir compte non seulement du temps nécessaire pour entreprendre des démarches visant à sortir de la prostitution, mais également des lourdeurs administratives.
Je souhaite que notre débat, passionné, mais toujours respectueux, nous permette de voter un texte qui s’attaque à l’une des violences majeures contre les femmes. Pour moi, comme pour l’ensemble des associations féministes et de jeunesse, que je tiens à saluer, il ne peut y avoir de pleine égalité entre les femmes et les hommes si la prostitution reste légitime.
Nous pourrons être fiers si cette proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est votée conformément à ce que je viens de dire et si elle prévoit, bien entendu, les moyens de sa mise en œuvre. Nous aurons ainsi contribué à adopter une législation progressiste en adéquation avec la position abolitionniste de la France et en lien avec une certaine idée de notre projet de société : égalité, liberté, fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Mmes Hermeline Malherbe et Chantal Jouanno applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons de nouveau la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.
Cela fait déjà cinq ans que le Parlement s’est emparé de ce sujet, en étant déterminé à mettre fin à l’exploitation sexuelle de femmes et d’hommes.
La prostitution suscite toujours bien des passions, car elle touche à plusieurs tabous de notre société : le sexe, l’argent, la misère. Néanmoins, les mentalités évoluent et un consensus toujours plus large se fait jour sur la nécessité d’œuvrer efficacement pour abolir cet esclavage moderne que dénonçait Victor Hugo.
Aujourd’hui, plus personne ne peut prétendre ignorer que, en France, 85 % des personnes prostituées et 97 % des prostituées de rue sont d’origine étrangère, que l’immense majorité d’entre elles sont les victimes de réseaux de traite, ni que, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, la prostitution rapporte en France entre un et deux milliards d’euros par an aux mafias.
Le déni sociétal qui prévalait, le confort de l’image de la prostituée glamour qui rassurait, la résignation face à ce prétendu « plus vieux métier du monde » – comme si c’était un métier ! –, la croyance dans la nécessité d’un exutoire à la sexualité irrépressible des seuls hommes : le propos semble exagéré, mais qui ne l’a pas entendu ? Tous ces poncifs répétés à l’envi ne peuvent avoir cours dans notre société et sont même considérés comme parfaitement archaïques et réactionnaires par la jeune génération.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Bien !
Mme Claudine Lepage. Quant au mythe des deux prostitutions, l’une liée à la traite, violente, et l’autre, rebaptisée, pour en aseptiser la réalité, « travail du sexe », il est déconstruit lui aussi. Le procès du Carlton a fait tomber les masques : les prostituées sont tout autant humiliées, maltraitées, dominées. La prostitution est en effet avant tout une relation marchande et le client y est roi.
Oui, la société d’aujourd’hui ouvre les yeux et refuse l’inacceptable. Les exactions de Boko Haram ou de Daech, dont le but affiché est la réduction en esclavage sexuel des femmes, sont encore autant de raisons pour les Français de crier haut et fort que non, le corps des femmes n’est pas une marchandise, ni en Afrique ni au Moyen-Orient, et pas davantage à Paris, à Marseille, à Lyon ou à Lille !
Le regard de la société change, et la position de ses représentants politiques aussi.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Oui !
Mme Claudine Lepage. Lors de l’examen du texte en première lecture par l’Assemblée nationale, voilà près de deux ans déjà, un large consensus transpartisan avait conduit à son adoption. En juin dernier, à l’occasion de la deuxième lecture, on n’a même plus parlé de consensus, mais d’une quasi-unanimité, avec une seule voix contre.
Je ne doute donc pas un seul instant que, dans cet hémicycle, nous, sénatrices et sénateurs, ne marquerons pas une nouvelle fois le Sénat au fer rouge du conservatisme réactionnaire.
Il est par conséquent temps de cesser l’hypocrisie : le client est le premier rouage du système prostitutionnel ; c’est pour satisfaire sa demande que les réseaux choisissent notre pays pour y développer leur activité, et c’est bien son argent qui les enrichit et donc les encourage.
Bien sûr, j’entends les propos de certains qui, en toute bonne foi, craignent que le remède ne soit pire que le mal et que la pénalisation des clients n’engendre des effets pervers pour les personnes prostituées, encore plus en danger et encore plus précarisées.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
Mme Claudine Lepage. Non, les personnes prostituées ne seront pas plus isolées et donc pas davantage en danger : si un client parvient à trouver une personne prostituée, alors les associations et les services de l’État le pourront aussi ! De toute façon, le moment le plus dangereux pour la personne prostituée est toujours le même : quand la porte de la chambre ou de la camionnette se referme, car la prostitution est violence.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. C’est la réalité.
Mme Claudine Lepage. Rappelons que, en 2014, 100 % des meurtriers identifiés des huit prostituées assassinées étaient des clients.
Non, les personnes prostituées ne seront pas non plus exposées davantage aux risques sanitaires.
M. Alain Fouché. Bien sûr que si !
Mme Claudine Lepage. Aucune étude épidémiologique ne montre qu’interdire l’achat d’acte sexuel comporte des risques sanitaires. De plus, il est inefficace et dangereux de réduire la question de la santé aux seules maladies sexuellement transmissibles. Comme le rappellent de nombreux médecins, Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU social et de Médecins sans frontières, le généticien Axel Kahn, le psychiatre Christophe André, le gynécologue Israël Nisand, la prostitution est toujours une violence physique et psychologique.
Nous voterons donc ce texte dans la cohérence de ses quatre piliers,…
Mme Laurence Cohen. C’est cela !
Mme Claudine Lepage. … accompagnement des personnes prostituées, renforcement de la lutte contre la traite des êtres humains et des réseaux, prévention et éducation, et responsabilisation du client. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Très bonne intervention !
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lutter contre l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains : voilà un défi face auquel nous nous accordons à en reconnaître l’urgence.
Alors que la situation a encore empiré récemment avec la crise des réfugiés, avec des criminels qui profitent de façon éhontée de la détresse des migrants pour développer des réseaux d’exploitation sexuelle aussi sordides que lucratifs, alors que les corps des femmes deviennent les champs de bataille des terroristes qui s’attachent à détruire avec sauvagerie les potentialités de progrès, de connaissance, d’émancipation qu’elles représentent, pour les asservir, les broyer et en faire leurs esclaves ou leurs sources de revenus en les vendant, pardonnez-moi l’expression, comme du vulgaire bétail, comment nous, Français, vivant en démocratie et au pays des Lumières, pouvons-nous accepter le sort de ces femmes, qui se retrouvent sur nos trottoirs, sur notre territoire ?
Mes chers collègues, je ne rappellerai pas les chiffres qui ont déjà été cités par les précédents intervenants. Mais faisons face à la réalité : la prostitution, aujourd’hui, c’est la traite !
Ce fléau mondial, deuxième trafic le plus lucratif comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, se retrouve au cœur du crime organisé.
Face à ce drame humain, à cet esclavage, ce servage contemporain, que fait-on, mes chers collègues ? On ferme les yeux et on continue ? Non !
Il est temps de s’attaquer de manière globale au système prostitutionnel qui fonctionne aujourd’hui comme une véritable économie de marché, cela a été signalé à plusieurs reprises.
Il est temps de s’attaquer aux trafiquants fournisseurs, en renforçant les moyens de démantèlement des réseaux de traite et de proxénétisme : c’est tout l’objet de l’article 1er.
Il faut aussi s’attaquer à l’offre mise sur le marché, en cessant une fois pour toutes de criminaliser les personnes prostituées via le délit de racolage et en mettant en place, comme vous le faites, madame la secrétaire d’État, des mesures de protection, d’accompagnement et de réinsertion efficaces.
Il faut, enfin, s’attaquer à la demande : la responsabilité du client au sein du système prostitutionnel ne peut être indéfiniment ignorée ! C’est l’argent des clients qui alimente ces réseaux criminels ! Sans demande, point d’offre !
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Maryvonne Blondin. Voici précisément ce que prévoit ce texte ambitieux : viser l’ensemble des acteurs, pour enfin faire reculer l’exploitation sexuelle et la traite.
Comment, dès lors, justifier le fait de vouloir de nouveau supprimer l’un de ses piliers, et ce alors même que tarir la demande a un effet immédiat sur les réseaux et les profits des proxénètes ? Les écoutes téléphoniques menées par la police suédoise l’ont clairement montré, les réseaux se sont détournés de la Suède car « l’investissement » y est devenu moins rentable et ils ne peuvent plus s’organiser librement.
D’autres pays ont ainsi choisi de suivre cette voie : l’Islande, la Norvège, le Canada ou l’Irlande du Nord.
Concernant la Norvège, il est d’ailleurs intéressant de constater que, à l’automne 2013, la majorité des partis soutenant le gouvernement nouvellement élu a souhaité abroger ou assouplir la loi sur l’achat de services sexuels. Il n’en a finalement rien été, les conclusions du rapport d’évaluation ayant montré que la loi norvégienne avait fait diminuer la traite sur le territoire, et qu’elle avait également engendré une évolution des mentalités sur cette question.
Il est temps, en effet, d’envoyer un signal fort à notre société et en particulier à notre jeunesse : non, l’argent ne peut pas tout acheter ! La France ne doit pas être un pays d’accueil pour les réseaux de traite !
Enfin, mes chers collègues, un peu de cohérence !
Vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, les textes internationaux signés ou ratifiés par la France depuis l’adoption, en 1949, de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, dont le préambule dispose en effet : « … la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».
Les tout derniers textes émanent du Parlement européen, qui a adopté une résolution tendant à reconnaître que « ... la prostitution, la prostitution forcée et l’exploitation sexuelle sont contraires […] aux principes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment l’objectif et le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes… », et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – j’ai l’honneur d’y représenter notre Haute Assemblée –, dont la résolution du 8 avril 2014 appelle les États parties à « envisager la criminalisation de l'achat de services sexuels, fondée sur le modèle suédois, en tant qu'outil le plus efficace pour prévenir et lutter contre la traite des êtres humains, ainsi qu'à mettre en place des programmes de sortie pour les personnes souhaitant arrêter la prostitution ». C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce texte.
En conclusion, mes chers collègues, permettez-moi de reprendre les propos d’André Comte-Sponville : « Ce n’est pas le sexe, le plaisir ou la liberté qui font problème dans la prostitution, c’est l’argent, c’est la violence, c’est l’oppression des femmes, c’est le trafic d’êtres humains ». Tout est dit. À nous de prendre nos responsabilités et de voter ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mmes Hermeline Malherbe et Chantal Jouanno applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Avant de répondre à quelques interrogations, je dresserai un constat : l’ensemble des intervenants, qu’ils appartiennent au groupe Les Républicains, à l’UDI-UC, au groupe communiste, républicain et citoyen ou au groupe socialiste et républicain ont adopté la même position quant à la responsabilisation du client. Cela témoigne de la haute qualité de notre débat, qui fait exploser nos clivages politiques habituels. Nous pouvons donc nous accorder sur ces sujets.
Monsieur Requier, vous avez décrit avec précision l’horreur de la traite humaine.
M. Jean-Claude Requier. Oui !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Vous avez raison : c’est effectivement une horreur. Mais dès lors, nous ne pouvons qu’admettre que ceux qui y participent en sont les complices.
M. Jean-Claude Requier. Je ne suis pas hypocrite !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Madame Benbassa, il est dans vos propos une constante, que personne ne peut vous reprocher, car la constance est une qualité. En revanche, je suis choquée par votre sous-entendu selon lequel le Mouvement du Nid attendrait l’adoption de cette loi afin de pouvoir bénéficier de subventions ! Vous connaissant un peu, je ne m’attendais pas à ce type de propos.
Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Laurence Cohen. Tout à fait !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. J’ai entendu les observations sur la nécessité d’insérer un article. Nous y reviendrons tout à l’heure, puisque des amendements concernant la responsabilisation du client ont été déposés. Je voudrais vous apporter une précision à ce sujet : la récidive contenue dans cet article étant délictuelle, il est nécessaire de passer par la loi.
Enfin, monsieur le président Vial, je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui ont participé à la commission spéciale, même si je regrette que vous ayez parlé seulement de la responsabilisation du client, et pas du client lui-même. La question qui se pose dans notre pays est pourtant la suivante : est-il normal d’acheter un acte sexuel ? Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour la suite de ce débat. Nous pouvons peut-être passé à l’examen des articles.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence sont irrecevables les amendements ou articles additionnels qui remettraient en cause les articles adoptés conformes, de même que toute modification ou adjonction sans relation directe avec une disposition restant en discussion.
proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées
Chapitre Ier
Renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle
Article 1er
(Non modifié)
I. – (Non modifié)
II. – (Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Jouanno et Morin-Desailly, MM. Longeot et Guerriau, Mmes Joissains et Férat, M. Cadic, Mmes Létard et Gatel et M. Détraigne, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. – La première phrase du premier alinéa de l’article 6-1 de la loi n° 2004–575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifiée :
1° La deuxième occurrence du mot : « ou » est remplacée par le signe : « , » ;
2° Après les mots : « même code », sont insérés les mots : « ou contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et le proxénétisme relevant des articles 225-4-1, 225-5 et 225-6 dudit code » ;
3° Les références : « 421-2-5 et 227-23 » sont remplacées par les références : « 421-2-5, 227-23, 225-4-1, 225-5 et 225-6 ».
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il s’agit d’un amendement dont nous avons déjà débattu en première lecture, et que le Sénat, d’ailleurs, avait alors adopté.
Cet amendement tend à permettre le blocage administratif des sites internet par le biais desquels s’organise la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle ou le proxénétisme.
Je le répète, nous avons voté cette disposition. Nos collègues députés l’ont supprimée en séance publique. Toutefois, depuis le début de la navette parlementaire, la législation a connu des évolutions.
En la matière, on nous a opposé des difficultés juridiques. Or je rappelle que, dans le cadre du projet de loi relatif au numérique, le même dispositif est prévu pour la lutte contre le terrorisme et la pédopornographie. Sur le fond, il s’agit là de sujets similaires. Bien souvent la traite des êtres humains contribue au financement du terrorisme. Boko Haram en est probablement le meilleur exemple.
En outre, les difficultés et les blocages techniques ont été levés.
J’ai eu la chance de travailler avec l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, et je peux vous assurer que l’opposition des fournisseurs d’accès à internet se manifeste depuis bien longtemps. On la justifie souvent par les mêmes motifs, fondés sur la liberté d’expression. Lorsqu’il s’agit de la traite des êtres humains ou de l’exploitation sexuelle, je ne vois pas très bien où est la liberté d’expression qu’il serait légitime de protéger…
J’ajoute que les dernières statistiques du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique de la criminalité organisée, le SIRASCO, indiquent que, sur les cinquante réseaux transnationaux de prostitution démantelés en 2014, dix-neuf concernaient la prostitution par internet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Le présent amendement tend à autoriser le blocage des sites internet ayant pour objet la prostitution.
Cette disposition présente un intérêt circonscrit, car il n’est pas possible d’aller au-delà en imposant aux fournisseurs d’accès à internet une obligation de retrait.
En revanche, la commission estime que cette mesure représenterait un premier pas. Voilà pourquoi elle s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Madame Jouanno, internet constitue effectivement un vecteur privilégié d’expansion des réseaux criminels. Lutter contre l’exploitation sexuelle organisée par ce biais est une nécessité. Vous avez, à cette fin, déposé un amendement identique en première lecture.
Le présent texte contient une obligation de signalement et de retrait des contenus illicites. Le Gouvernement soutient cette disposition. En revanche, il ne souhaite pas retenir, à ce stade, la possibilité pour l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès à internet le blocage des sites. Il nous semble souhaitable d’attendre, dans un premier temps, que l’efficacité du dispositif de blocage des sites terroristes et pédopornographiques soit évaluée, avant que celui-ci soit étendu à d’autres infractions.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Mes chers collègues, je suis, pour ma part, tout à fait favorable à ce que propose Mme Jouanno. Je me pose simplement cette question : de quels moyens d’action disposons-nous sur les sites étrangers ?
M. Alain Fouché. L’État a certainement divers leviers lui permettant d’agir sur les sites nationaux, mais tel n’est sans doute pas le cas pour ce qui concerne les sites étrangers.
Au demeurant, vous connaissez l’esprit français. Regardez ce qui se passe pour les radars : les équipements anti radars vendus ne peuvent pas lancer une alerte signalant : « Attention radar », mais ils indiquent « zone dangereuse »…
Nous devrons donc nous montrer très vigilants et voir ce qui peut être fait à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Cette difficulté d’atteindre les sites hébergés à l’étranger est réelle, mais elle est commune aux divers dossiers sensibles que sont le terrorisme, la pédopornographie et la lutte contre la traite.
Madame la secrétaire d’État, je le conçois, dans le cadre des arbitrages interministériels, vous n’êtes pas dans une position très facile. Néanmoins, j’insiste sur ce point : il existe une totale convergence entre les réseaux de traite et les réseaux terroristes. En conséquence, ces mesures sont bel et bien complémentaires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je l’ai déjà dit lors de la discussion générale : cette proposition de loi, qui a toute son importance, se fonde sur le triptyque client–personne prostituée–proxénète.
À cet égard, il importe d’émettre un signal au sujet de sites internet qui font beaucoup de dégâts.
Mme Chantal Jouanno. En effet !
Mme Laurence Cohen. Je comprends que l’on souhaite attendre les résultats des actions en cours. Toutefois, étant donné l’ambition que traduit le présent texte, on enverrait un signal positif, en cohérence avec les buts visés, en adoptant une mesure forte à l’encontre de ces sites.
De surcroît, comme Mme Jouanno l’a souligné, on observe une véritable connexion entre le terrorisme et ces réseaux mafieux. Il est important que nous insistions sur ce point, via le présent amendement.
Aussi, les membres du groupe CRC voteront en faveur de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je suis dubitatif. Bien sûr, je comprends la philosophie de cet amendement. Cependant, la mise en pratique d’une telle mesure m’interpelle : qui coupera le réseau ?
De plus, sans me faire l’avocat du diable, je pose cette question : comment distinguer la prostitution des échanges volontaires ?
Mme Hermeline Malherbe. Par l’argent !
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Par l’acte d’achat !
M. Jean-Claude Requier. Certaines personnes sont mariées. Il faut aussi prendre en compte les pratiques échangistes. Où commence, où s’arrête la prostitution ?
Comme dans le cas des radars, qui vient d’être évoqué, soyons pragmatiques : certaines personnes passeront par l’intermédiaire des rencontres volontaires pour cacher des faits de prostitution.
Je ne suis pas contre la mesure proposée en tant que telle, mais il faut m’expliquer comment la mettre en pratique.
Mme Françoise Férat. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « inadaptations », sont insérés les mots : « , dans la prévention de la prostitution et l’identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains ». – (Adopté.)
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Article 1er ter
Le titre XVII du livre IV du code de procédure pénale est complété par un article 706-40-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-40-1. – Les personnes victimes de l’une des infractions prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ayant contribué par leur témoignage à la manifestation de la vérité et dont la vie ou l’intégrité physique est gravement mise en danger sur le territoire national, peuvent faire l’objet en tant que de besoin de la protection destinée à assurer leur sécurité prévue à l’article 706-63-1 du présent code.
« Ces dispositions sont également applicables aux membres de la famille et aux proches des personnes ainsi protégées.
« Lorsqu’il est fait application à ces personnes des dispositions de l’article 706-57 relatives à la déclaration de domicile, elles peuvent également déclarer comme domicile l’adresse de leur avocat ou d’une association visée à l’article 2-22. »
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Je tiens à insister sur l’importance du présent article, comme je l’ai dit lors de la discussion générale.
Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont exprimé leur inquiétude quant à la fragilisation que subissent les personnes prostituées face aux réseaux, notamment du fait de la mesure, proposée dans le présent texte, de pénalisation de l’acte tarifé.
Cet article, qui tend précisément à limiter ces risques, a bénéficié des discussions que nous avons pu consacrer à ce sujet au fil de la navette parlementaire. Il a été grandement amélioré, et a ainsi atteint un véritable équilibre. (Mme la rapporteur acquiesce.) Au sein du groupe communiste, républicain et citoyen, ce dispositif nous semble juste et efficace.
Quelles que soient nos positions, un consensus se fait jour : nous sommes tous d’accord pour adopter un système de protection renforcée. Je le répète, tel est l’objet du présent article.
On le sait bien, pour démanteler les réseaux, il est nécessaire de disposer de témoignages. Or la peur des représailles les rend difficiles à recueillir.
Il est donc extrêmement important de permettre aux personnes concernées d’adopter une identité d’emprunt ou de bénéficier de mesures de protection physique. Il en va de même de la possibilité, offerte aux personnes prostituées, d’effectuer une déclaration de domicile à l’adresse de leur avocat ou d’une association.
À ce titre, la possibilité d’une graduation me semble particulièrement intéressante : la situation de ces personnes prostituées n’exige pas nécessairement de déployer le degré maximal de protection.
Voilà pourquoi je tenais à attirer l’attention du Sénat sur cet article 1er ter, qui peut a priori susciter des inquiétudes. Il faut aller plus loin dans le sens que nous avons été plusieurs à défendre au cours de la discussion générale. Aussi, nous soutenons tout à fait le présent article.
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, sur l'article.
M. Christian Manable. Mes chers collègues, mon intervention risque de paraître, sinon hors sujet, du moins en marge de cet article. Néanmoins, elle demeure dans le champ de la question qui retient notre attention en cette fin d’après-midi.
Je tiens à faire le lien entre le dossier de la prostitution et l’actualité culturelle à Paris, et plus précisément au musée d’Orsay.
Mme Chantal Jouanno. Très bien !
M. Christian Manable. Loin de moi l’idée de porter un jugement de valeur sur l’exposition du musée d’Orsay, intitulée « Splendeurs et misères, images de la prostitution, 1850-1910 », eu égard à l’excellence des artistes concernés : Degas, Manet, Toulouse-Lautrec, Picasso et bien d’autres encore.
Voilà pour la splendeur. Nous le savons, la prostitution, installée au cœur de la « Belle Époque », a fasciné nombre de grands artistes. Le verbe « prostituer » signifie littéralement « mettre en avant, exposer au public ». Aussi n’est-il pas étonnant de voir se confondre, dans l’imaginaire du XIXe siècle et du début du XXe, d’une part les mondes de l’art, d’autre part ceux de la prostitution.
Au demeurant, le titre de cette exposition est fondamentalement antinomique : il oppose, d’un côté les splendeurs, et de l’autre les misères.
Précisément, pour ce qui concerne la misère, il faut reconnaître que cette vision artistique, esthétique, allégorique et idyllique cache souvent une triste réalité sociale de la prostitution.
Comme l’écrivait Victor Hugo dans Les Misérables : « La prostitution, c’est la société achetant une esclave. »…
M. Jean-Claude Requier. Et pourtant, Victor Hugo…
M. Christian Manable. … « À qui ? À la misère. À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénuement. Marché douloureux : la misère offre, la société accepte. »
Dans cette exposition, la violence entre les sexes est représentée sans détour à travers plusieurs œuvres picturales. Tous ces regards jetés sur le monde de la prostitution sont exclusivement ceux d’artistes masculins.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Christian Manable. Aussi, derrière l’évocation des plaisirs et des maux, des ascensions fulgurantes et des vies misérables, c’est également le poids de la condition féminine à l’époque contemporaine qui transparaît. Le passé n’est pas plus beau que le présent, l’un et l’autre sont en tout point comparables. Force est de constater qu’il s’agissait déjà de la traite des êtres humains, que ces femmes soient des grisettes ou des cocottes.
À présent, si l’on porte un regard d’historien sur la prostitution, on constate une variation de la conscience morale à travers le temps. Respectée au Moyen Âge, la prostituée devient une criminelle coupable de désordre dans l’ordre public au cours des siècles suivants ; elle est humiliée et jugée par toute la société à mesure que s’affirme l’autorité du pouvoir central.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait, il faut conclure !
M. Christian Manable. Dès lors, la prostitution devient un phénomène marginal qu’il faut cacher aux yeux de tous.
Vers la fin du XVIIIe siècle, les élites se sensibilisent à ce problème, elles s’en créent même une véritable admiration de libertinage et de plaisirs.
Alors que l’on a interdit la traite des esclaves au XIXe siècle, la société française du XXIe siècle se grandirait en abolissant la prostitution, qui est une forme de traite des êtres humains.
Mme Catherine Troendlé. Il suffirait de l’interdire ?
M. Christian Manable. Non, mes chers collègues, il ne s’agit pas du plus vieux métier du monde,…
M. le président. Monsieur Manable, concluez !
M. Christian Manable. … mais bien du plus vieil esclavage du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er ter.
(L'article 1er ter est adopté.)
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Chapitre II
Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle
Section 1
Dispositions relatives à l’accompagnement des victimes de la prostitution
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Article 3
I. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 121-9 est ainsi rédigé :
« Art. L. 121-9. – I. – Dans chaque département, l’État assure la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains et leur fournit l’assistance dont elles ont besoin, notamment en leur procurant un placement dans un des établissements mentionnés à l’article L. 345-1.
« Une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains est créée dans chaque département. Elle met en œuvre le présent article. Elle est présidée par le représentant de l’État dans le département. Elle est composée de représentants de l’État, notamment des services de police et de gendarmerie, de représentants des collectivités territoriales, d’un magistrat, de professionnels de santé et de représentants d’associations.
« II. – Un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est proposé à toute personne victime de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Il est défini en fonction de l’évaluation de ses besoins sanitaires, professionnels et sociaux, afin de lui permettre d’accéder à des alternatives à la prostitution. Il est élaboré et mis en œuvre, en accord avec la personne accompagnée, par une association mentionnée à l’avant-dernier alinéa du présent II.
« L’engagement de la personne dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est autorisé par le représentant de l’État dans le département, après avis de l’instance mentionnée au second alinéa du I et de l’association mentionnée au premier alinéa du présent II.
« La personne engagée dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle peut se voir délivrer l’autorisation provisoire de séjour mentionnée à l’article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle est présumée satisfaire aux conditions de gêne ou d’indigence prévues au 1° de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales. Lorsqu’elle ne peut prétendre au bénéfice des allocations prévues aux articles L. 262-2 du présent code et L. 5423-8 du code du travail, une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle lui est versée.
« L’instance mentionnée au second alinéa du I du présent article assure le suivi du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. Elle veille à ce que la sécurité de la personne accompagnée et l’accès aux droits mentionnés au troisième alinéa du présent II soient garantis. Elle s’assure du respect de ses engagements par la personne accompagnée.
« Le renouvellement du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est autorisé par le représentant de l’État dans le département, après avis de l’instance mentionnée au second alinéa du I et de l’association mentionnée au premier alinéa du présent II. La décision de renouvellement tient compte du respect de ses engagements par la personne accompagnée, ainsi que des difficultés rencontrées.
« Toute association choisie par la personne concernée qui aide et accompagne les personnes en difficulté peut participer à l’élaboration et à la mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle, dès lors qu’elle remplit les conditions d’agrément fixées par décret en Conseil d’État.
« Les conditions d’application du présent article sont déterminées par le décret mentionné à l’avant-dernier alinéa du présent II. » ;
2° L’article L. 121-10 est abrogé.
II. – (Non modifié)
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Supprimer les mots :
, notamment des services de police et de gendarmerie
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet de supprimer la mention selon laquelle des policiers et des gendarmes siégeront au sein de l’instance départementale chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
La pertinence de cette instance départementale repose sur sa collégialité. Il existe des instances départementales de prévention des violences, par exemple, qui comprennent déjà les services de police et de gendarmerie. À mon sens, leur présence est indispensable afin que chacun puisse travailler à une action cohérente auprès des personnes prostituées.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. L’article 3 constitue une avancée importante, qui place au cœur de l’action publique la protection et l’accompagnement des victimes de la prostitution.
Pour être efficace, la nouvelle instance départementale chargée de coordonner et d’organiser l’action en faveur des victimes doit associer tous les acteurs concernés. La présence de services de police et de gendarmerie est indispensable,…
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. … car ils jouent un rôle essentiel dans la protection des victimes de la prostitution et de la traite.
Certaines instances locales existantes, en Île-de-France, en Alsace ou en Gironde, par exemple, associent déjà les forces de police et de gendarmerie. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Je soutiens l’amendement de Mme Benbassa. Je suis de longue date élu d’un département et j’en ai présidé un. Le département joue aujourd’hui le rôle social le plus important et organise des commissions de réinsertion, pour les jeunes en difficulté, par exemple. Celles-ci ne comprennent ni la gendarmerie ni la police, mais d’autres acteurs, comme des assistantes sociales. Je ne vois pas quel rôle la police et la gendarmerie pourraient y jouer.
Je suis d’accord pour établir des passerelles, mais il me semble qu’il est nécessaire de confier la réinsertion, qui est au centre de la proposition de Mme Benbassa, à des acteurs de proximité.
En outre, l’État est confronté à d’autres problèmes nécessitant de mobiliser la police et la gendarmerie, comme les attentats.
Je voterai donc l’amendement de Mme Benbassa, qui me paraît tout à fait justifié et conforme à l’intérêt des victimes.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous nous sommes interrogés sur cet amendement et nous avons finalement choisi de suivre les avis de la commission et du Gouvernement.
Nous nous sommes inspirés pour cela de l’organisation, notamment en Seine-Saint-Denis, de l’observatoire contre les violences faites aux femmes, au sein duquel la collégialité, la coordination et la mise en lien des différents acteurs qui interviennent ont été tout à fait probantes.
Bien entendu, si nous en venions à ne plus considérer les prostituées comme des victimes et à renoncer à pénaliser l’achat de l’acte, la saveur de ce texte changerait. Tous les piliers sont importants, si l’on veut produire une loi efficace.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Tout d’abord, je salue cet article 3, qui constitue une véritable avancée.
Je ne voterai pas cet amendement, parce que je considère que les services de police et de gendarmerie doivent siéger au sein de la commission. Comme élu du monde rural, je préfère que les gendarmes se consacrent à la prévention plutôt qu’à la répression.
Les gendarmes ont besoin de renseignements. Ils sont parmi la population et ont connaissance de ses problèmes. Ils pourront donc apporter des informations à la commission.
Une fois de plus, chacun nourrit sa conception des forces de l’ordre, je préfère qu’elles mènent une action positive plutôt que répressive !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 3 bis
I. – Après le e de l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, sont insérés des f et g ainsi rédigés :
« f) De personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle prévu à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ;
« g) De personnes victimes de l’une des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal. »
II. – Au troisième alinéa de l’article L. 441-2 du même code, le mot : « septième » est remplacé par le mot : « dixième ».
III (nouveau). – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 4 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, les mots : « énumérées aux a à e » sont remplacés par les mots : « énumérées aux a à g ». – (Adopté.)
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Article 6
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 316-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;
b) (Supprimé)
2° Après l’article L. 316-1, il est inséré un article L. 316-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 316-1-1. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de six mois peut être délivrée à l’étranger victime des infractions prévues aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal qui, ayant cessé l’activité de prostitution, est engagé dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle mentionné à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles. La condition prévue à l’article L. 313-2 du présent code n’est pas exigée. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. » ;
3° L’article L. 316-2 est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, la référence : « de l’article L. 316-1 » est remplacée par les références : « des articles L. 316-1 et L. 316-1-1 » ;
b) Après la référence : « L. 316-1 », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « et de l’autorisation provisoire de séjour mentionnée à l’article L. 316-1-1 et les modalités de protection, d’accueil et d’hébergement de l’étranger auquel cette carte ou cette autorisation provisoire de séjour est accordée. »
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir le b) dans la rédaction suivante :
b) Après la deuxième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« La condition de cesser l’activité de prostitution n'est pas exigée. » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement concerne la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », délivrée à des victimes ayant déposé plainte contre les réseaux de proxénétisme.
Il a pour objet de permettre aux personnes qui ont cessé de se prostituer, mais aussi à celles qui n’ont pas cessé d’exercer cette activité, de bénéficier d’une carte de séjour temporaire.
Il n’est pas justifié d’instaurer un traitement différent entre les personnes qui poursuivent l’activité de prostitution et celles qui ont arrêté. Malgré cela, certaines préfectures exigent des victimes d’exploitation sexuelle ayant déposé plainte qu’elles aient cessé de se prostituer pour leur délivrer un titre de séjour.
Limiter la délivrance d’un titre aux seules personnes ayant cessé d’exercer l’activité de prostitution conduit à fragiliser une catégorie de victimes. Il apparaît donc nécessaire d’exclure clairement cette exigence dans l’article L. 316–1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA.
Cet amendement est d’ailleurs conforté par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ou CNCDH, qui, dans son étude sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France publiée en octobre 2010, recommande qu’un titre de séjour temporaire soit remis de plein droit et sans condition à toute victime de traite ou d’exploitation.
Elle rappelle que « subordonner leur délivrance à la cessation d’une activité licite » comme la prostitution « constitue une discrimination, en violation des textes internationaux auxquels la France est partie ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission propose le retrait de cet amendement, qui lui semble satisfait.
En première lecture, la commission spéciale a déjà adopté un amendement prévoyant que le titre de séjour est délivré de plein droit dès lors que la condition fixée par la loi, le dépôt d’une plainte, est remplie. Nous attendons l’avis du Gouvernement pour en avoir confirmation.
Mme Esther Benbassa. Mon amendement n’est pas satisfait !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, cet amendement est malheureusement contraire à l’esprit de cette proposition de loi, qui vise à faire reculer la prostitution et à mettre en œuvre des moyens pour que les personnes prostituées puissent sortir de ce système.
Cet article vise les personnes prostituées engagées dans un parcours judiciaire contre leur proxénète. Le fait que ces personnes cessent d’être prostituées est le résultat de leur volonté de poursuivre en justice les personnes qui les maintenaient en esclavage.
Cet amendement ne me semble donc pas cohérent avec la réalité vécue par ces personnes. C’est pourquoi l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Madame Benbassa, votre amendement est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Le second alinéa de l’article L. 316–1 est ainsi rédigé :
« À l’issue de la procédure pénale, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné. En cas de condamnation définitive, celle-ci est délivrée de plein droit. » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement porte sur la question de la délivrance d’un titre de séjour à l’issue de la procédure pénale.
Grâce à l’adoption, par le Sénat, d’un amendement du groupe écologiste, la loi de 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes prévoit qu’une carte de résident est délivrée de plein droit à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause.
Toutefois, cette rédaction ne tient pas compte du fait que de nombreuses procédures sont classées sans suite ou annulées pour des raisons très diverses.
Il s’agit donc, à travers cet amendement, de sécuriser le parcours des personnes ayant déposé plainte ou témoigné, en prévoyant qu’une carte de résident peut leur être délivrée en cas d’échec de la procédure judiciaire, sans toutefois qu’elle le soit automatiquement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
L’article 48 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, que nous avons voté ici, prévoit qu’une carte de résident est délivrée de plein droit à l’étranger ayant déposé plainte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Cet amendement comporte deux aspects.
Le premier est le fait d’accorder une carte de résident à la victime qui a déposé plainte sans que la procédure aboutisse. Cela est déjà possible, vous l’avez rappelé. Le Gouvernement l’a d’ailleurs précisé dans une circulaire du ministre de l’intérieur en date du 19 mai 2015. Cette circulaire va au-delà du simple rappel de cette possibilité, puisqu’elle encourage les préfets à examiner avec bienveillance les demandes dans les cas où la procédure judiciaire se solde par une relaxe ou par une absence de condamnation.
Le second aspect que vous soulevez est la possibilité d’obtenir une carte de résident de plein droit en cas de condamnation définitive. Sur ce point également, le Gouvernement a déjà agi. La loi du 4 août 2014 prévoit qu’une carte de séjour est attribuée de plein droit aux victimes de traite des êtres humains en cas de condamnation définitive des auteurs.
Cet amendement est donc pleinement satisfait par les dispositions prises par le Gouvernement dès 2014. Je vous propose donc de le retirer ; à défaut, je devrais émettre un avis défavorable.
M. le président. Madame Benbassa, votre amendement est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 12 est présenté par Mmes Cohen, Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 15 rectifié est présenté par MM. Godefroy, Tourenne et Madec, Mme Génisson, MM. Yung et Sutour et Mme Bataille.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
de six mois
par les mots
d’un an
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si vous le permettez, monsieur le président, je vais défendre en même temps l’amendement n° 13.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 13, présenté par Mmes Cohen, Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
peut être
par le mot :
est
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 6 apporte des modifications quant au droit au séjour des personnes étrangères victimes de la traite ou de la prostitution ayant déposé plainte contre les auteurs de ces infractions.
La modification apportée au premier alinéa de l’article L. 316–1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est importante tant, sur le terrain, l’accès effectif à ce titre de séjour est compliqué pour ces victimes.
On sait, en outre, que la disposition prévoyant la délivrance de plein droit d’une carte de résident à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, est souvent inopérante.
Selon le rapport statistique du ministère de l’intérieur publié le 10 juillet 2014, seules trente-six cartes de séjour temporaire ont été délivrées en 2012 et trente-huit en 2013, à des personnes victimes de traite qui ont déposé plainte ou témoigné dans une procédure pénale. Pour l’année 2014, ce chiffre serait estimé à cinquante-cinq. Selon le rapport du comité interministériel du contrôle de l’immigration de 2012, une seule personne a bénéficié d’une carte de résident en 2011 et quatre en 2012.
Ce chiffre très faible prouve que la passerelle, censée être facilitée, entre la carte de séjour temporaire d’un an et la délivrance d’une carte de résident à la suite d’une condamnation pénale n’est pas effective.
Ce constat nous amène à proposer les amendements nos 12 et 13. L’amendement n° 12 tend à porter à douze mois la durée de l’autorisation provisoire de séjour, ou APS. L’amendement n° 13, quant à lui, vise à permettre la délivrance de plein droit de cette APS aux personnes victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme engagées dans un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié.
Mme Delphine Bataille. Cet amendement a pour objet de rétablir la version issue de la première lecture dans notre assemblée en relevant de six mois à un an la durée de l’autorisation provisoire de séjour délivrée à l’étranger victime de proxénétisme ou de traite des êtres humains engagé dans un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle.
Même si l’autorisation provisoire de séjour est renouvelable, une période de six mois semble trop courte pour envisager une véritable sortie de la prostitution. Nous proposons donc de la porter à un an, afin d’offrir à ces personnes une situation plus sécurisante et leur permettre d’envisager de façon plus réaliste le parcours de sortie de la prostitution ainsi que le travail de réinsertion et de reconstruction.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 12 et 15 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 13 ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Concernant les amendements identiques nos 12 et 15 rectifié, la commission spéciale a beaucoup discuté de la question d’étendre à un an la durée du titre de séjour, au lieu de six mois.
Je rappelle que la durée du titre de séjour prévue pour les personnes prostituées qui portent plainte est de six mois. Dès lors, prévoir une durée minimale plus longue pour celles qui s’engagent dans le parcours de sortie ne serait pas logique. La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
S’agissant de l’amendement n° 13, qui vise à instaurer une automaticité de la délivrance du titre de séjour, la commission émet également un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. L’article 6 crée une nouvelle procédure d’admission au séjour et, fait nouveau dans notre droit, grâce à cette proposition de loi, les victimes de la prostitution engagées dans un parcours de sortie pourront bénéficier d’un titre de séjour même si elles ne souhaitent pas porter plainte.
Le délai de six mois permettra d’éviter toute instrumentalisation par les réseaux en assurant un suivi de chaque personne accompagnée, notamment dans le cadre de la commission départementale. Il s’agit d’un délai minimal. Il est prévu que cette autorisation soit renouvelée pendant la durée du parcours.
Par ailleurs, je tiens à préciser que l’article 6 tel qu’il est actuellement prévu permet de créer un dispositif progressif. Je rappelle que lorsque cette proposition de loi sera votée, le titre de séjour sera d’un an et de droit pour les personnes engagées dans une procédure judiciaire. Elles seront ainsi mieux protégées et incitées à témoigner, ce qui nous aidera à faire reculer les réseaux et les mafias.
Comme la commission spéciale du Sénat et comme l’Assemblée nationale, le Gouvernement estime que c’est un équilibre, qu’il est souhaitable de respecter. Nous créons un dispositif exceptionnel. C’est une avancée essentielle, qu’il importe de consolider.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Madame Cohen, l’amendement n° 12 est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. J’ai bien entendu les précisions de Mme la secrétaire d’État, et je suis sensible à la volonté de parvenir à un texte équilibré et le plus juste possible.
Cela étant dit, les victimes de la prostitution vivent des traumatismes terribles après lesquels il leur est bien difficile de se reconstruire. Cela prend du temps, or six mois, c’est extrêmement court, même si ces personnes sont accompagnées et qu’aucun grain de sable ne vient enrayer cet accompagnement.
Psychologiquement, moralement, physiquement, un délai de six mois ne nous paraît pas suffisant pour la personne prostituée, qui doit de plus affronter les lourdeurs administratives.
Nous maintenons donc l’amendement no 12, ainsi que l’amendement n° 13.
M. le président. Madame Génisson, l’amendement n° 15 rectifié est-il maintenu ?
Mme Catherine Génisson. Je ne reprendrai pas l’excellente argumentation que vient de développer notre collègue Laurence Cohen. Pour les mêmes raisons, nous maintenons l’amendement n° 15 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 12 et 15 rectifié.
Mme Maryvonne Blondin. J’entends bien les arguments avancés par nos collègues, mais je crois qu’il faut également prendre en compte ce que vient de nous dire Mme la secrétaire d’État sur les possibles effets négatifs d’une extension du titre de séjour à un an, à savoir que cela pourrait amener des stratégies de détournement de la part des réseaux, qui pourraient alors exploiter d’autant plus facilement les personnes.
Par ailleurs, je crois que cela viderait de sa compétence l’instance collégiale chargée du suivi de la personne tout au long du parcours de sortie de la prostitution, dont la création est prévue à l’article 3.
Mme la secrétaire d’État a d’ailleurs bien rappelé le caractère progressif du dispositif et les possibilités d’assouplissement de cet accompagnement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je ne partage pas du tout l’argumentation développée par notre collègue Maryvonne Blondin.
Il faut tenter de se placer dans la situation d’une personne qui arrive dans notre pays après qu’on lui a promis monts et merveilles, qui souvent voit ses papiers confisqués et qui se trouve dans un total désarroi. Cette personne a besoin de renouer des contacts, de prendre pied dans le pays et de surmonter sa peur et sa détresse pour engager des démarches auprès de la préfecture, qui n’a d’ailleurs pas toujours les moyens de lui répondre dans le temps imparti.
J’entends bien que l’on va mettre en place des instances collégiales et j’y suis favorable. Toutefois, la peur n’évite pas le danger. Un petit plus peut faire beaucoup !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 15 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer le mot :
cessé
par les mots :
engagé des démarches pour cesser
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. À l’image de l’amendement n° 14 rectifié de mes collègues, je propose, au travers de cet amendement, une nouvelle rédaction de l’article L 316-1-1 créé dans le CESEDA par la proposition de loi.
Il ne s’agit pas d’exiger de la victime qu’elle ait cessé définitivement toute activité de prostitution pour bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour, mais il faut qu’elle ait engagé des démarches réelles pour arrêter cette activité.
La rédaction actuelle de l’article n’est pas satisfaisante. Une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de six mois ne peut être délivrée qu’à une personne ayant cessé l’activité de prostitution.
Quid des femmes et des hommes qui souhaitent sortir de la prostitution, mais qui, du fait de leur situation, de leur vulnérabilité, sont parfois contraints de reprendre cette activité ?
Le Sénat avait supprimé cette restriction à l’octroi d’un titre de séjour provisoire. Cet amendement vise le même objectif.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale est favorable à la suppression de la condition de sortie de la prostitution, estimant que le parcours de sortie de la prostitution peut ne pas être linéaire.
À titre personnel, j’estime que la condition d’arrêt de la prostitution est nécessaire, afin de conserver la possibilité de refuser un titre de séjour dès lors que la personne prostituée est manifestement manipulée par un réseau qui tente de mettre à profit le parcours de sortie de la personne prostituée pour faciliter l’activité de prostitution de celle-ci.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. La notion de « démarches » pour sortir de la prostitution est trop imprécise (M. Roland Courteau s’exclame.) et fragilise cette disposition. Le Gouvernement demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Benbassa, l'amendement n° 21 est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Si la notion de « démarches » est floue…
M. André Reichardt. C’est le cas !
Mme Laurence Cohen. Peut-être n’est-elle pas le terme adéquat pour désigner le processus long et difficile évoqué par notre collègue Benbassa, la sortie de la prostitution n’étant pas un long fleuve tranquille.
Toutefois, nous sommes réunis pour légiférer en essayant d’arriver au plus large consensus possible. Peut-être pourrions-nous trouver ensemble une terminologie à la fois adéquate juridiquement et conforme au parcours des personnes qui veulent sortir du système de prostitution ?
J’en appelle donc à la sagesse collective. Ne peut-on pas retenir une autre formulation ? Il arrive bien qu’on sous-amende en séance ! Sinon nous allons voter, et l’amendement sera rejeté car nous ne sommes pas majoritaires. Or le problème des personnes concernées est réel !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Nous en sommes déjà à l’article 6, mais je voudrais rappeler une disposition de l’article 3.
Ne nous faisons pas de faux procès. Nous sommes tous conscients que le parcours de sortie de la prostitution, à commencer par la prise de décision, est un processus compliqué et difficile ; les associations comme le Mouvement du Nid en témoignent.
C’est pourquoi l’article 3 prévoit que le préfet puisse prendre en compte le respect des engagements de la personne, mais aussi les difficultés qu’elle pourra rencontrer.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. À un moment donné, il faut renoncer aux présupposés idéologiques et voir la réalité des êtres humains. En l’occurrence, nous sommes dans la théorie. Nous ne pouvons pas continuer ainsi !
Nous sommes tous contre la prostitution forcée, et nous sommes d’accord sur de nombreux points. Aussi, arrêtons de durcir les choses de cette façon ! Il s’agit d’un raidissement idéologique, dans lequel vous nous entraînez. On ne peut pas continuer aujourd’hui le débat en deuxième lecture de ce texte avec la même démarche. Madame la secrétaire d’État, pardonnez-moi, mais je ne suis vraiment pas d’accord avec vous !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la secrétaire d’État, je comprends que la formulation de l’amendement – « engagé des démarches pour cesser » – est trop légère. Je ne vois pas très bien comment on veut les adopter.
Je ne suis pas sûr non plus que la formulation « ayant cessé l’activité de la prostitution » soit suffisante. Pouvons-nous faire totalement confiance aux autorités préfectorales pour qu’elles ne considèrent pas à la moindre incartade de la personne concernée que celle-ci n’a pas cessé son activité de prostitution ?
Madame la secrétaire d’État, vous avez employé le mot « processus ». Je vous propose d’utiliser l’expression « engagé dans le processus de cessation de son activité de prostitution », ce qui est autre chose que « des démarches ».
M. Jean Desessard. Bravo ! C’est excellent !
Mme Esther Benbassa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je vais répéter ce que je viens de dire : c’est excellent, cher collègue ! Cette formulation peut nous convenir.
J’avais demandé à intervenir parce que je ne comprenais pas bien le raisonnement de Mme la secrétaire d’État. En effet, si le principe d’un engagement est déjà reconnu à l’article 3, que ne le reconnaît-on à l’article 6 ? C’est la même chose ! Toutefois, peu importe désormais. En effet, la formulation proposée par notre collègue peut donner satisfaction à tout le monde.
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
Mme Chantal Jouanno. Parfait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Boulard. Je voterai cet amendement.
En effet, il est difficile de sortir de la prostitution. L’engagement réel d’un processus de sortie de cette situation mérite d’être encouragé. Certes, un tel processus peut se solder par un échec, mais c’est le propre de la vie. Ainsi, certains passent des concours et ne les réussissent pas. On ne peut considérer que, pour qu’une tentative soit prise en compte, il faut être sûr par avance qu’elle réussira. Aussi, l’idée de processus engagé réellement me paraît satisfaisante.
M. le président. Madame Benbassa, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. Bigot ?
Mme Esther Benbassa. Oui, monsieur le président, et je modifie par conséquent mon amendement dans ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 21 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, et ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
ayant cessé l'activité
par les mots :
engagé dans un processus de cessation de son activité
Cette modification est-elle de nature à modifier l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Non, monsieur le président ! (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
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Article 8
(Non modifié)
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° À la première phrase du second alinéa du VII de l’article L. 542-2 et à la première phrase du second alinéa de l’article L. 831-4-1, après le mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « ou par une association agréée en application de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles » et, après la référence : « L. 851-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
2° À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 851-1, après la première occurrence du mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « , les associations agréées en application de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ».
II. – Au 3° de l’article L. 345-2-6 et au premier alinéa de l’article L. 345-2-7 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « et les associations agréées en application de l’article L. 121-9 du présent code » ;
III. – À la deuxième phrase du second alinéa du III de l’article L. 351-3-1 du code de la construction et de l’habitation, après le mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « ou par une association agréée en application de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ». – (Adopté.)
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Article 9 bis
(Supprimé)
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Article 11
(Non modifié)
I. – L’article 2-22 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 2-22. – Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits dont l’objet statutaire comporte la lutte contre l’esclavage, la traite des êtres humains, le proxénétisme ou l’action sociale en faveur des personnes prostituées peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimées par les articles 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12-2, 225-14-1 et 225-14-2 du code pénal, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Toutefois, l’association n’est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l’accord est donné par son représentant légal.
« Si l’association mentionnée au premier alinéa du présent article est reconnue d’utilité publique, son action est recevable y compris sans l’accord de la victime. »
II. – (Non modifié)
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Tourenne, Madec, Yung et Sutour et Mme Bataille, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Au travers de cet amendement, il s’agit de ne pas limiter aux seules associations reconnues d’utilité publique la possibilité de se porter partie civile sans l’accord de la victime.
En effet, on ne peut pas exclure de fait un certain nombre d’associations, pourtant très actives, qui viennent en aide quotidiennement aux victimes.
C’est pourquoi cet amendement a pour objet de supprimer l’alinéa 3 de l’article 11, à l’instar de ce qui avait été fait en première lecture dans notre assemblée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer la possibilité, pour les associations reconnues d’utilité publique, de se porter partie civile sans l’accord de la victime.
La disposition prévue dans le texte est de nature à protéger les victimes puisque, aux yeux des réseaux, celles-ci pourront être supposées ne pas avoir donné leur accord à un procès.
En outre, il ne s’agit ici que de quelques associations reconnues d’utilité publique, dont on peut supposer qu’elles agiront avec le discernement requis.
Enfin, les associations ne peuvent jamais prendre l’initiative ; elles ne peuvent que se joindre à une action en justice déclenchée par le procureur de la République ou par la personne prostituée elle-même.
En conséquence, la commission spéciale a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. La commission spéciale a confirmé la position de l'Assemblée nationale, qui a réintroduit la possibilité pour les associations déclarées d’utilité publique de se constituer partie civile, y compris sans l’accord de la victime.
Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas là d’une nouvelle disposition. En effet, la loi du 9 avril 1975, que ce texte codifie, prévoit déjà une telle possibilité.
Depuis cette date, cette disposition n’a pas fait courir de risque aux victimes, et ces associations ont démontré leur responsabilité ; être reconnu d’utilité publique est un gage sérieux.
Par ailleurs, dans certains cas, il n’y a pas de victimes présentes au procès, parce qu’elles sont parfois à l’étranger, parce qu’elles ont peur des réseaux ou des représailles, ou parce qu’elles ont tout simplement été assassinées.
Il faut donc prendre en compte ces situations et les comprendre, et continuer de permettre aux associations de se constituer partie civile.
Pour ces raisons, je vous demande, madame la sénatrice, de retirer votre amendement ; à défaut, je ne pourrai qu’émettre un avis défavorable.
M. le président. Madame Bataille, l'amendement n° 16 rectifié est-il maintenu ?
Mme Delphine Bataille. J’entends bien les arguments avancés par Mme la rapporteur et par Mme la secrétaire d’État.
Toutefois, cet amendement engage aussi mes collègues cosignataires membres de la commission spéciale. Je le répète, il ne semble pas pertinent de limiter aux seules associations reconnues d’utilité publique la possibilité de se porter partie civile. Cela pourrait présenter un danger pour la personne victime.
C’est pourquoi je maintiens l’amendement n° 16 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je suis très étonné de cet amendement et de cette position. Il s’agit là d’une régression du rôle des associations à côté du ministère public.
Il est clair dans le texte qui nous est soumis que l’association ne pourra pas intervenir seule et être à l’initiative de la procédure. En revanche, qu’une association qui s’est battue et a accompagné des femmes victimes vienne s’exprimer devant un tribunal en leur nom et au nom aussi de toutes les autres victimes, c’est important à l’égard de celui qui sera déclaré coupable et qui sera, je l’espère bien, condamné ! Il n’y a là aucun risque pour la victime, et cette procédure est d’un intérêt majeur pour la société.
M. le président. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
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Section 2
Dispositions portant transposition de l’article 8 de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil
Article 13
(Non modifié)
L’article 225-10-1 du code pénal est abrogé.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, sur l'article.
Mme Christine Prunaud. Nous défendons la suppression des dispositions relatives au délit de racolage et sommes contre d’éventuels « aménagements », comme le prévoient les amendements nos 1 et 3 rectifié.
Comme cela a été souligné par quelques-uns d’entre nous, il est extrêmement important de supprimer le délit de racolage et donc toute sanction à ce titre.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure avait renforcé la répression de la prostitution, en créant le délit de racolage passif, avec un double objectif : limiter la « prostitution de rue » et atteindre les proxénètes au travers des quelque 80 000 prostituées vivant en France, ces dernières étant susceptibles de livrer des renseignements lors de leur interpellation.
Or, si des informations peuvent être effectivement obtenues lors des gardes à vue, la corrélation entre la création du délit de racolage et une forte répression du proxénétisme semble inexistante. Ainsi, au travers du casier judiciaire national, on constate une évolution plutôt stable du nombre de condamnations des proxénètes au cours des dix dernières années – entre 600 et 800 par an, semble-t-il, car je ne dispose pas de chiffres plus précis –, alors que des fluctuations beaucoup plus importantes sont enregistrées pour ce qui concerne les gardes à vue pour racolage.
L’objet principal de la création de ce délit n’a donc pas fait ses preuves, et l’incrimination du racolage ne permet pas de démanteler un réseau.
De plus, cela a contribué à déplacer la prostitution et à fragiliser encore davantage les personnes prostituées, qui plus est en les criminalisant.
La suppression du délit de racolage est attendue par l’immense majorité des associations. Elle constitue un signal fort pour considérer – enfin ! – que les personnes prostituées sont des victimes d’une délinquance forcée et doivent, à ce titre, être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits.
Pour poser le problème du système prostitutionnel dans sa globalité, il convient de décider que les personnes prostituées ne sont pas des criminelles, qu’elles ne sont pas à pénaliser, et qu’il faut, au contraire, poursuivre les réseaux, responsabiliser et pénaliser les clients.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, sur l'article.
Mme Maryvonne Blondin. Je tiens simplement à souligner que l’abrogation du délit de racolage passif évoqué à l’article 13 est indissociable de la pénalisation de l’achat d’un acte sexuel prévue à l’article 16.
Abroger ce délit sans instaurer un dispositif susceptible de tarir la demande reviendrait à envoyer un très mauvais signal aux réseaux criminels.
Il importe de considérer les personnes prostituées comme des victimes et non plus comme des coupables et, surtout, de leur offrir la protection à laquelle elles ont droit.
En outre, je précise qu’une telle abrogation s’impose pour mettre en conformité notre droit interne avec l’article 8 de la directive européenne du 5 avril 2011, aux termes duquel les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour « veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains et de ne pas leur infliger de sanctions pour avoir pris part à des activités criminelles auxquelles elles ont été contraintes ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, sur l'article.
M. Jean-Claude Boulard. Je suis, bien sûr, extrêmement favorable à la suppression du délit de racolage.
Toutefois, je veux attirer l’attention de la Haute Assemblée sur un point : le fait qu’une offre publique ne soit plus réprimée ne sera pas sans incidence sur l’appréciation à laquelle il faudra se livrer de l’acceptation de cette offre par un client. J’en reparlerai ultérieurement lorsque nous évoquerons la question de la pénalisation.
Il faut établir une cohérence entre ces deux dispositifs. Je le répète, je suis très favorable à la suppression du délit de racolage, mais il faut en tirer les conséquences quant à l’appréciation de l’acceptation d’une offre qui sera faite de façon publique.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Darnaud, Genest, Perrin et Grosdidier, n'est pas soutenu.
L'amendement n° 1, présenté par Mme Troendlé, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À l’article 225-10-1 du code pénal, les mots : « , y compris par une attitude même passive, » sont supprimés.
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Tous les acteurs, qu’il s’agisse des magistrats ou des forces de l’ordre que j’ai consultés, tous les intervenants dans la lutte contre la prostitution s’accordent sur un constat : il s’avère extrêmement difficile, voire impossible, de distinguer les comportements licites des comportements que l’on pourrait qualifier de « racolage passif ».
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement, afin que nous nous en tenions à un dispositif efficient, c'est-à-dire au délit de racolage actif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale a émis un avis favorable sur cet amendement, estimant qu’il n’est pas possible de priver les services d’enquête de cet « outil » pour accéder à des informations sur les réseaux.
Personnellement, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, je suis défavorable à cet amendement et doute vraiment de l’efficacité de ce dispositif. D’ailleurs, certains services travaillant aux côtés du ministère de l’intérieur ont aussi exprimé un avis différent sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je sais que certains avancent le fait que l’abrogation de ce délit ferait perdre une source de renseignement aux forces de sécurité pour démanteler les réseaux. Or, je le rappelle, le bilan de l’application du délit de racolage n’est pas satisfaisant.
De fait, le nombre de gardes à vue a baissé de 65 % entre 2004 et 2012, et seulement 179 condamnations ont été prononcées en 2013. À l’inverse, le nombre de réseaux démantelés augmente, tandis que celui des condamnations pour proxénétisme est stable : en 2014, cinquante réseaux ont été démantelés et 590 proxénètes interpellés. Ce constat n’a rien de surprenant, les conditions de la garde à vue n’étant guère propices à l’instauration d’un lien de confiance permettant d’obtenir un témoignage utile. Face à la pression des réseaux, la pression d’une garde à vue ne fait pas le poids.
En revanche, l’article 1er ter de la proposition de loi, que vous avez adopté et qui forme avec l’article 13 un ensemble cohérent, facilitera la lutte contre les réseaux. En effet, c’est en renforçant la protection des personnes prostituées menacées lorsqu’elles témoignent contre un réseau que nous établirons avec elles des liens de confiance et que nous les conduirons à collaborer efficacement à la remontée des filières ; c’est en les reconnaissant pour des victimes, au lieu de les tenir pour des délinquantes, et en leur octroyant des droits élargis que les institutions pourront nouer avec elles une relation de confiance et les amener à témoigner contre leurs exploiteurs.
Au demeurant, madame la sénatrice, le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale en est convenu en deuxième lecture et s’est prononcé en conséquence.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il me semble très important d’aller au bout de ce débat. En fin de compte, que voulons-nous ? Que les personnes prostituées continuent d’être traitées comme des délinquantes ?
M. Jackie Pierre. Oh !
Mme Laurence Cohen. Mon cher collègue, pardonnez-moi : prévoir un délit, c’est désigner des délinquants ! Or voilà un bon moment que, les uns et les autres, chacun avec sa sensibilité politique, nous affirmons qu’elles sont des victimes. Il faut en tirer les conséquences et, donc, ne pas les pénaliser !
Nous avons tous entendu les chiffres que Mme la secrétaire d’État vient de nous communiquer. On peut toujours prétendre que la réalité n’est pas véritablement celle-là, mais les faits sont là, et on ne peut pas les tordre. Puisque le délit de racolage n’est pas efficace pour démanteler les réseaux, la proposition de loi vise à apporter d’autres réponses, notamment à travers son article 1er ter.
Madame Troendlé, nous venons, à l’article 3, de rejeter presque unanimement l’amendement présenté par Mme Benbassa tendant à retirer les forces de police et de gendarmerie de l’instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution. L’adoption de votre propre amendement conduirait à la pénalisation des personnes prostituées qui, si elles veulent échapper au réseau qui les exploite, se retrouveraient face à des gendarmes ou à des policiers. Cherchez l’erreur !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Je m’abstiendrai, car, en ce qui concerne le racolage passif, les démonstrations ne sont pas certaines.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.
Mme Claudine Lepage. J’appuie la position de Michelle Meunier, de Mme la secrétaire d’État et de Mme Cohen.
Permettez-moi de rappeler quels principes fondent la proposition de loi.
Les personnes prostituées sont avant tout des victimes. Or si l’on reconnaît que la prostitution est une violence, comment peut-on traiter les personnes prostituées comme des délinquantes ? La société doit au contraire les protéger et les accompagner, ce qui permettrait d’ailleurs d’instaurer avec elles un lien de confiance.
De surcroît, deux moyens non spécifiques à la prostitution sont employés de longue date pour limiter les troubles à l’ordre public et pour garantir la sécurité publique : la sanction de l’exhibition sexuelle et la possibilité pour les maires de prendre, au titre de leur pouvoir de police générale, des arrêtés municipaux interdisant ou restreignant la présence, la circulation ou le stationnement de personnes prostituées sur la voie publique aux endroits où des troubles à l’ordre public sont susceptibles d’être causés.
Dans ces conditions, les sénatrices et les sénateurs du groupe socialiste et républicain voteront contre l’amendement n° 1.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel. Je ne rouvrirai pas le débat qui s’est tenu au sein de la commission spéciale, car il me semble que les choses sont claires entre nous. Simplement, je ne puis pas laisser dire que le délit de racolage, c’est la pénalisation de la personne prostituée.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si, puisqu’il s’agit d’un délit !
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. Chaque fois qu’une discussion s’est tenue sur ce sujet avec les services de police ou de gendarmerie, ils nous ont expliqué qu’aucune poursuite n’était entreprise contre les prostituées, lesquelles, la plupart du temps, étaient présentées aux services sociaux ; que, en revanche, l’existence de ce délit facilite la remontée des filières.
Je m’exprime au nom des maires et de tous les élus responsables d’une collectivité, qui connaissent les moyens sur lesquels ils peuvent ou ne peuvent pas compter lorsque des réseaux de prostitution s’installent sur leur territoire : je regrette, mais je ne vois dans le texte qui nous est soumis aucune autre mesure que celle permettant de saisir le procureur de la République et les forces de l’ordre pour essayer d’agir.
On nous objecte qu’il existe une contradiction avec le nouveau dispositif permettant aux prostituées de se placer en régime de protection. Ce dispositif, nous l’avons adopté à la quasi-unanimité, et il constitue un progrès, même s’il représentera une contrainte, une difficulté et un coût. Je souhaite qu’il rencontre le plus large succès possible, mais il conviendra de l’évaluer dans deux ans, car je crains qu’il ne donne pas les effets qu’on en escompte.
Mme Maryvonne Blondin. Si on n’essaie pas, on ne le saura jamais !
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. En effet, tout le monde sait que les prostituées ont de graves difficultés à parler ; madame la secrétaire d’État, nous en avons beaucoup débattu avec vos équipes. D’ailleurs, dans l’affaire du Carlton, il a fallu que l’affaire sorte des tribunaux pour que les journalistes parlent non plus de libertines, mais de femmes faisant partie d’un réseau de prostitution ; il a fallu trois mois pour que l’affaire sorte, après les débats dans le prétoire et la décision sur laquelle je ne reviendrai pas.
En tout état de cause, ce ne sont pas les élus qui pourront solliciter la mise en œuvre de ce dispositif, puisqu’il devra être déclenché spontanément par les prostituées. Il n’y a donc pas de contradiction entre celui-ci et l’existence du délit de racolage, dont je répète qu’il ne vise pas à sanctionner les prostituées, mais simplement à donner aux forces de l’ordre un moyen dont nous aurions tort de les priver.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Il y a quelques instants, en exposant l’avis du Gouvernement sur l’amendement de Mme Troendlé, j’ai donné quelques chiffres montrant que le dispositif actuel du délit de racolage n’est pas efficace.
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. En écoutant les orateurs au cours de la discussion générale, il m’avait d’ailleurs semblé que ce fait était assez largement reconnu.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. En effet, c’est un constat !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Les forces de police et l’ensemble des acteurs qui concourent à ce dispositif en dressent le même bilan : il n’est pas efficace, car il est tout simplement impossible de libérer la parole d’une personne victime d’un réseau de traite.
M. Roland Courteau. C’est évident !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. En revanche, je puis comprendre qu’une question se pose du point de vue de l’ordre public, car la suppression du délit de racolage pourrait avoir des conséquences sur ce plan.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Peut-être aurait-il fallu, madame Troendlé, que vous l’expliquiez plus précisément.
C’est bien pourquoi la proposition de loi prévoit, dans son article 16, la responsabilisation des clients : cette disposition vise, entre autres objectifs, à rétablir un équilibre.
Permettre à des femmes aujourd’hui délinquantes d’être considérées comme des victimes et prises en charge grâce à des dispositifs que le Sénat a renforcés en première lecture et, de façon symétrique, responsabiliser les clients qui créent une offre par leur demande : tel est l’équilibre sur lequel repose la proposition de loi. C’est pourquoi le Gouvernement proposera dans quelques instants, par voie d’amendement, le rétablissement de l’article 16 adopté par l’Assemblée nationale.
Toutes les études menées dans les pays où le délit de racolage a été supprimé et la responsabilisation des clients instaurée prouvent que ce double principe conduit à une baisse drastique de la demande d’actes sexuels tarifés et à un déclin des réseaux de traite, qui ne sont plus les bienvenus dans ces pays. Aucun problème ne se pose sur le plan de l’ordre public, et la libération de la parole des victimes permet aux forces de l’ordre d’agir avec une plus grande efficacité qu’avec le délit de racolage, dont il apparaît aujourd’hui qu’il est un quasi-échec. Accordons-nous la possibilité d’évaluer les dispositifs législatifs, ainsi que le Sénat le fait régulièrement !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Plaçons-nous un instant du point de vue des personnes prostituées : le délit de racolage fait peser sur elles une pression supplémentaire en donnant une arme aux clients, qui, parfois, font preuve à leur égard de violences ; il les place en position de faiblesse en les obligeant à accepter des actes auxquels elles ne consentiraient pas sinon.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Maintenir le délit de racolage, c’est aussi assigner à la personne prostituée une certaine image dans la société : non pas l’image d’une victime, mais celle d’une délinquante. Mes chers collègues, les mots sont précis : nous parlons bien d’un délit de racolage. Cette assignation, qui ne contribue évidemment pas à améliorer le sort des personnes prostituées, ne favorise pas davantage l’instauration de liens avec les forces de l’ordre au service d’une lutte commune contre les réseaux, puisqu’elle n’encourage pas la libération de la parole. Imaginez-vous embarqué par la police sur un trottoir et placé en garde à vue ! Comment croire qu’une telle procédure peut être utile ?
Je crois important que l’amendement de Mme Troendlé ne soit pas adopté et que soit maintenu l’équilibre de la proposition de loi, fondé sur la pénalisation de l’acte prévue à l’article 16.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Les membres du groupe du RDSE voteront contre l’amendement n° 1, car ils sont hostiles au délit de racolage, qu’il soit actif ou passif, comme ils sont hostiles à la pénalisation du client.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour explication de vote.
Mme Éliane Giraud. Je voudrais revenir sur la notion de victime, car elle est essentielle.
Si l’on rétablit le délit de racolage, on change totalement l’esprit de la proposition de loi. En effet, ce qui est nouveau et important dans ce texte, c’est le fait que les prostituées pourront d’une manière générale se sentir victimes et être reconnues comme telles. C’est ainsi qu’elles entreront dans de nouveaux processus comme le processus de soins.
Lors des travaux de la commission spéciale, les choses ont été dites clairement : si les prostituées ne sont pas reconnues comme des victimes, la situation ne changera pas. L’intérêt de ce texte, c’est qu’il renverse complètement les choses, et cela me paraît extrêmement important qu’on le reconnaisse dans la loi et qu’on le dise fermement ! C’est pourquoi il faudra rétablir l’article 16.
Certains d’entre nous ont rappelé des chiffres : plusieurs milliers de femmes sont concernées. La situation est donc grave ! Cette nouvelle façon de faire permettra d’intervenir réellement sur le phénomène de la prostitution et sur le sort de ces femmes.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. De façon très apaisée, mes chers collègues, je vous poserai la question suivante : que voulez-vous ? Pénaliser le client ? Dont acte !
Néanmoins, en pénalisant le client qui a recours à une activité qui n’est pas illicite, nous ne nous plaçons plus du tout dans le cadre du droit. En effet, la sanction pénale en France est intrinsèquement liée à une activité illicite : il existe un parallélisme des formes. Si l’on suit votre logique, il faudrait – de façon décomplexée, pardonnez-moi de le dire – interdire la prostitution !
En cet instant, nous parlons du délit de racolage, qui présente un double intérêt.
En premier lieu, il marque notre positionnement : la prostitution n’est pas une activité licite. En contrepartie, cela apporte de l’eau à votre moulin sur la question de la pénalisation du client.
En second lieu, il offre la possibilité aux forces de l’ordre, aujourd’hui en grande difficulté, d’atteindre ces personnes et, dans ce contexte-là, de les prendre en charge lorsqu’elles le souhaitent.
Voilà la démarche qui est la mienne ! Elle se défend, tout comme la vôtre.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 23 :
Nombre de votants | 334 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 160 |
Contre | 171 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, il est vingt heures vingt-cinq ; il nous reste onze amendements à examiner. Je vous propose de poursuivre l’examen de ce texte, ce qui devrait nous conduire à terminer nos travaux au plus tard à vingt-deux heures. (Assentiment.)
Article 14
(Non modifié)
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 2° du I de l’article 225-20, la référence : « 225-10-1, » est supprimée ;
2° À l’article 225-25, les mots : « , à l’exception de celle prévue par l’article 225-10-1, » sont supprimés.
II. – Au 5° de l’article 398-1 et au 4° du I de l’article 837 du code de procédure pénale, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Troendlé, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. L’article 13 n’a pas été supprimé. Par cohérence, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
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Chapitre II bis
Prévention et accompagnement vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale
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Chapitre III
Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution
Article 15
(Non modifié)
Après l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 312-17-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312-17-1-1. – Une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d’âge homogène. La seconde phrase de l’article L. 312-17-1 du présent code est applicable. »
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 15 porte sur le volet « éducation », qui est l’un des quatre piliers essentiels pour lutter contre le système prostitutionnel. En effet, l’éducation à l’égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge est l’un des moyens de prévenir le développement de la prostitution. C’est un point auquel je suis particulièrement attachée et auquel la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, dans son rapport, a été particulièrement sensible. N’oublions pas que la prostitution s’inscrit dans une société inégalitaire et que lutter contre l’inégalité entre les hommes et les femmes commence dès le plus jeune âge.
Plusieurs idées reçues entourent la prostitution, comme le fait qu’il s’agisse d’un mal nécessaire répondant à des pulsions sexuelles irrépressibles ou que les personnes prostituées y consentent, voire aiment leur activité, ou encore qu’il s’agit pour elles d’argent facilement gagné.
Par ailleurs, ainsi qu’en ont témoigné les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, on constate qu’il existe dans les établissements scolaires, dès le secondaire, des relations sexuelles tarifées en échange d’argent ou de cadeaux.
Enfin, une étude sur la prostitution étudiante menée dans le département de l’Essonne montre combien les jeunes qui échangent des services sexuels contre une rémunération n’ont pas conscience qu’il s’agit de prostitution.
Voilà pourquoi je crois que le maintien dans la loi de la référence à la « marchandisation du corps » parmi les thématiques relevant de l’éducation à la sexualité est une bonne chose.
M. le président. Je mets aux voix l'article 15.
(L'article 15 est adopté.)
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Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
Article 16
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 5 rectifié bis est présenté par Mmes Blondin, Meunier et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud et Monier, MM. Kaltenbach et Carvounas, Mmes Yonnet, Féret et Riocreux, M. Manable, Mmes Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Berson, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, M. Durain, Mmes Claireaux, S. Robert et Herviaux, M. Assouline, Mme Conway-Mouret, MM. Vaugrenard et Duran, Mme Schillinger et MM. Cabanel, Labazée, Roux et Marie.
L'amendement n° 8 rectifié est présenté par Mmes Jouanno et Morin-Desailly, M. Guerriau, Mme Létard et MM. Cadic et Détraigne.
L'amendement n° 10 rectifié est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.
L'amendement n° 23 est présenté par le Gouvernement.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° La section IV du chapitre V du titre II du livre VI est rétablie dans la rédaction suivante :
« Section IV : Du recours à la prostitution
« Art. 625-8. - Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-16 et au second alinéa de l’article 131-17. » ;
2° La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;
b) L’article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225-12-1. – Lorsqu’il est commis en récidive dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 132-11, le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de 3 750 € d’amende.
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
c) Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l’article 225-12-1 » ;
d) À l’article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et à l’article ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Roland Courteau. Cet amendement tend à rétablir le quatrième pilier de la proposition de loi, qui vise à créer une infraction de recours à la prostitution d’une personne majeure, punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. Il prévoit également une amende de 3 750 euros en cas de récidive contraventionnelle de ces mêmes faits.
Il s’agit, au travers de ce dispositif pénal progressif, d’accompagner un véritable changement sociétal. Certes, les coupables sont évidemment les proxénètes et les réseaux, mais les clients doivent aussi être conscients de leurs responsabilités, puisque l’achat d’un acte sexuel conforte la gestion industrielle du sexe et des corps ainsi que l’exploitation commerciale de la personne humaine.
Dès lors, l’article 16 que notre amendement tend à rétablir est indispensable à l’équilibre et à la cohérence du texte. Il réaffirme clairement la position abolitionniste de la France en disposant concrètement que nul n'est en droit d'exploiter la précarité et la vulnérabilité ni de disposer du corps d’autrui pour lui imposer un acte sexuel par l'argent.
Par ailleurs, la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. En effet, si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes !
Ce constat heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit et, au premier chef, le préambule de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
En Suède, où, en application de la loi du 4 juin 1998, l’achat d’actes sexuels est puni d’une amende et d’une peine d’emprisonnement, la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans. Rien n’indique, aujourd’hui, que la prostitution dans des lieux fermés ait augmenté du fait de son interdiction, ni que des personnes qui se prostituaient autrefois dans la rue se soient repliées dans des lieux fermés pour exercer cette activité, ni encore qu’elles subissent davantage de violences.
Bref, en posant les règles relatives à l’interdiction de l’achat d’actes sexuels, cet amendement tend, pour la première fois, à agir sur la demande en la considérant comme responsable du développement de la prostitution et des réseaux d’exploitation sexuelle. Il s’agit d’un signal fort en direction des réseaux de proxénétisme. Nous faisons le pari que, en s’attaquant à la demande, la proposition de loi dissuadera efficacement les réseaux de proxénètes d’investir sur un territoire où les législations sont moins favorables aux profits criminels.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Ces dispositions, sur lesquelles je ne vais pas revenir en détail, me semblent d’autant plus nécessaires que nous venons de supprimer le délit de racolage, actif comme passif. Si l’« offre » n‘est pas encadrée, il semble nécessaire d’encadrer la « demande ». Sans cela, nous aboutirons à une libéralisation totale du système de la prostitution.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Sans vouloir reprendre les arguments que j’ai développés au cours de la discussion générale, je tiens à insister sur le pas important que le Sénat vient d’effectuer en supprimant le délit de racolage. Il faut vraiment pousser la démarche à son terme, pour garantir l’équilibre de la proposition de loi…
Mme Catherine Troendlé. Elle n’en a pas !
Mme Laurence Cohen. … et concrétiser la volonté de porter un coup au système prostitutionnel. Dans ce but, il est nécessaire de responsabiliser celui qui achète un acte sexuel.
Cette responsabilisation témoigne, non seulement d’une prise de conscience, mais aussi d’un respect porté aux personnes qui se prostituent à travers la reconnaissance de leur statut de victimes d’une violence. Elle permet également d’en finir avec cette vision, trop souvent mise en avant, d’une sexualité masculine forcément prédatrice et totalement indifférente au désir de l’autre.
Pour toutes ces raisons, notre groupe propose de rétablir la pénalisation de l’acte sexuel tarifé. Cette avancée significative, qui tient compte de tout ce qui a été dit durant le débat, permet aussi de progresser sur une problématique chère à nos yeux - l’égalité entre les femmes et les hommes -, en portant un grand coup à ce fléau, cette violence extrême faite aux femmes que constitue la prostitution.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Favorable à la sanction de l’achat d’actes sexuels, le Gouvernement a souhaité déposer cet amendement tendant à rétablir un pilier essentiel de la proposition de loi.
Notre objectif est triple.
Premièrement, l’adoption de la proposition de loi doit donner un signal fort, en nommant les victimes et les auteurs de ces violences. Cela permettra de rendre visibles les violences qui se cachent derrière le terme « prostitution », ce qui s’avère essentiel pour permettre aux victimes de se reconstruire.
Deuxièmement, cette sanction posera un interdit et permettra d’indiquer clairement que l’achat d’un acte sexuel n’est pas une pratique normale ou banale et que tout cela doit cesser. On ne peut dédouaner le client de sa responsabilité dans la perpétuation des violences pesant sur ces femmes, car c’est bien lui qui crée la demande sur ce marché. En indiquant clairement aux personnes achetant des actes sexuels qu’elles participent à une forme d’exploitation, nous voulons faire reculer cette demande.
Troisièmement, réduire la demande permettra de diminuer les profits des réseaux. La prostitution se borne, pour certains, à une question de profits et de marché. Nous devons faire en sorte que la France devienne un marché inhospitalier pour ces réseaux. C’est parce que des clients paient que ces derniers s’enrichissent et développent la traite. En décourageant la demande, nous rendrons notre territoire moins lucratif et, donc, moins attractif pour eux.
Enfin, pour lever certaines craintes qui se sont exprimées, je veux rappeler quelques éléments de droit national et international.
Dans notre législation, la sanction de l’achat d’actes sexuels est déjà présente afin de protéger les personnes mineures ou vulnérables en situation de prostitution. Personne n’estime - et c’est heureux - que ces dispositions de notre code pénal sont dangereuses pour les personnes mineures et vulnérables. Il n’y a pas de raison de penser que sanctionner l’achat d’actes sexuels serait bénéfique pour les personnes prostituées mineures et dangereux pour les autres. Nous devons donc étendre cette disposition protectrice à toutes les personnes prostituées.
Sur le plan international, les textes engageant la France se font de plus en plus précis. En 2014, tant l’Union européenne que le Conseil de l’Europe ont incité les pays à prendre toutes les mesures, y compris législatives, pour décourager la demande.
Mme Catherine Troendlé. Il faut un équilibre !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je vous ai écoutée, madame la sénatrice. Permettez-moi d’indiquer pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement visant à rétablir cet article très important qui concerne la responsabilité des clients.
Mme Catherine Troendlé. Mais ce n’est pas logique !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. La position du Gouvernement est claire : le système prostitutionnel forme un tout ; sanctionner l’achat d’actes sexuels est l’un des outils que nous pouvons mettre en place pour faire reculer ces violences. Or nous sommes déterminés à employer tous les outils qui sont à notre disposition, et ce dans un très bref délai – je le précise en réponse à votre demande, madame la rapporteur, exprimée à l’occasion de la discussion générale.
Ainsi, je me réjouis que cette position soit portée par trois autres amendements issus de différents groupes politiques. Cela montre, je le répète, que la proposition de loi peut donner lieu à une large mobilisation transpartisane.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale a émis un avis défavorable sur ces amendements tendant à rétablir la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, une disposition qu’elle avait précédemment supprimée du texte. Elle estime, dans sa majorité, que cette mesure risque de fragiliser les personnes prostituées, sans pour autant constituer un outil efficace dans la lutte contre les réseaux.
Personnellement - j’ai pu m’exprimer sur le sujet dans le cadre de la discussion générale -, je suis favorable au rétablissement de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels. Mme la secrétaire d’État vient très justement de développer un certain nombre d’arguments en ce sens. J’y ajoute simplement le fait que l’intitulé même de la proposition de loi évoque une « lutte contre le système prostitutionnel ». Le client fait donc partie du problème !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Boulard. Je souhaite soulever une question qui n’a pas encore été évoquée à ce stade de nos débats : le risque d’inconstitutionnalité de la pénalisation des clients.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jean-Claude Boulard. Je fonde cette interrogation sur un premier constat : le principe de liberté et d’autonomie de la personne qui se prostitue a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme – je vous renvoie à l’arrêt Pretty du 29 avril 2002 et à l’arrêt Tremblay du 11 septembre 2007 - ainsi que par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt Jany du 20 novembre 2001. Ces arrêts reconnaissent que la prostitution peut être un choix. Certes, cela concerne une minorité de cas, mais la liberté est toujours l’exercice d’une minorité.
De ce premier constat de la reconnaissance de la liberté – au reste, la suppression du délit de racolage a précédemment été motivée par ce même principe – en découle un second : il est, me semble-t-il, impossible de pénaliser l’usage d’une activité libre non interdite. Il n’existe effectivement aucune sanction dans notre droit pénal sur l’usage d’une activité autorisée. Ce dernier établit une relation entre sanction pénale et interdiction de l’activité.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Jean-Claude Boulard. Dès lors que la vente d’un service sexuel n’est pas interdite et peut même être proposée publiquement, l’achat de ce même service ne peut être poursuivi.
M. André Reichardt. Eh oui !
M. Jean-Claude Boulard. Enfin – c’est mon troisième constat –, il est regrettable que l’on n’ait pas pris le chemin de la pénalisation de l’usage d’un service contraint. C’était la bonne distinction à faire, et la législation le permettait. Traite d’êtres humains, proxénétisme, réduction en esclavage, viol ou travaux dissimulés… Toute une série de dispositions pénales permet de réprimer non seulement les responsables de l’organisation d’un service contraint, mais également, grâce au concept juridique de recel, les usagers d’un tel service. Je regrette que l’on n’ait pas approfondi ce débat.
Dans ces conditions, le droit à la libre utilisation de son corps fondé sur l’autonomie de la personne fait obstacle à la pénalisation de l’usage d’un service consenti. Il aurait été beaucoup plus légitime, comme le permet la législation actuelle, de réprimer l’imposition d’un service contraint.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Cela a été rappelé, 90 % des prostituées de rue sont d’origine étrangère. Personne ne peut croire que ces femmes décident, une par une, de venir se prostituer sur les trottoirs de nos villes. La réalité, c’est qu’elles sont « importées » en masse en Europe occidentale, depuis l’Afrique, l’Europe de l’est ou l’Asie, par des réseaux extrêmement violents. D’autres sont poussées vers la prostitution par la pauvreté.
Rappelons que 85 % des prostituées sont des femmes, que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de quatorze ans et que l’espérance de vie des prostituées se situe autour de quarante ans. La prostitution est l’expression de la domination économique et sociale sous toutes ses formes : celle des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres et, parfois, des pays du Nord sur les pays du Sud.
Certaines redoutent que la pénalisation des clients ait des effets négatifs sur la sécurité et la santé des prostituées. Mais le problème est-il seulement d’améliorer les conditions de la servitude sexuelle ou bien d’en contester le principe ?
En réalité, la prostitution est dangereuse pour la sécurité des femmes ; elle est ravageuse pour leur santé physique et mentale. Beaucoup sont obligées de se dissocier de leur corps, nous recueillons de nombreux témoignages en ce sens. D’ailleurs, comme cela a été mentionné, le taux de suicide chez les personnes prostituées est douze fois plus élevé que dans le reste de la population.
Alors n’utilisons pas l’argument hygiéniste pour mieux maintenir le statu quo, voire pour légaliser la prostitution, comme certains le souhaiteraient ! Posons d’abord que le corps humain n’est pas un objet de consommation et, ensuite, soyons pragmatiques.
Il s’agit, non pas de savoir s’il est bien moralement de se vendre, mais s’il est légitime de prétendre acheter un corps, et, donc, de mettre fin à cette vieille hypocrisie qui condamnait les « filles publiques » et protégeait leurs clients.
Ce qui est en cause, c’est l’organisation de ce marché, avec ses producteurs – trafiquants et proxénètes –, ses marchandises – les personnes prostituées – et ses consommateurs – les clients. Nous ne pouvons plus laisser les consommateurs de ce système totalement impunis, alors qu’ils participent à cette exploitation.
Il me semble que les lois sont faites pour définir des relations sociales justes et équitables, pour garantir la liberté, la dignité et la santé de chacun, et non pour abandonner les plus pauvres à l’emprise de l’argent sur leur vie. Nous souhaitons une société libérée, où la justice, la protection des plus démunis et l’égalité entre les femmes et les hommes sont garanties. En effet, lorsque le corps des femmes peut être acheté, il est impossible de penser des rapports égalitaires entre les femmes et les hommes.
Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels.
M. le président. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.
M. René Danesi. Je voterai contre ces amendements tendant à réintroduire l’interdiction généralisée de l’achat d’un acte sexuel, ainsi que les amendes et peines complémentaires.
Ces amendements, si l’on en croit ceux qui les défendent, tendent à affirmer une position abolitionniste, mais ils ne sont argumentés que par de bons sentiments et, surtout, de l’aveu même de leurs auteurs, reposent sur un pari : en attaquant la demande, on dissuaderait les réseaux de proxénètes d’investir dans l’offre.
En fermant les maisons closes dans l’immédiat après-guerre, les parlementaires qui nous ont précédés avaient fait le même pari d’un pas décisif vers l’abolition du proxénétisme. À l’évidence, ce pari a été perdu ! Il en sera de même avec la pénalisation du client, car il faut voir la réalité en face : quel client sera sanctionné ? Le petit, l’obscur, le sans-grade, celui qui recourt à l’amour tarifié au coin de la rue ! Les autres, qui ont les moyens financiers de fréquenter des lieux plus discrets et les demi-mondaines, ne risquent pas de se retrouver au poste de police, et c’est sans parler des clients des palaces qui paient en pétrodollars !
M. André Reichardt. Il a tout à fait raison !
M. René Danesi. Où sera l’égalité devant les sanctions ? Au final, l’interdiction de l’acte d’achat sexuel peut avoir un effet ou ne pas en avoir : soit notre pays connaîtra une profonde mutation de la prostitution si les réseaux savent s’adapter aux contraintes nouvelles, soit il ne se passera à peu près rien, tout simplement parce que la police, débordée de toute part, ne fera que très mollement respecter cette interdiction.
Parmi les arguments invoqués par les auteurs des amendements, je note celui-ci : « Nul n’est en droit d’exploiter la précarité et la vulnérabilité ni de disposer du corps d’autrui pour lui imposer un acte sexuel par l’argent. » Très bien ! Mais comment peut-on admettre dès lors que des Françaises et des Français fortunés puissent aller en Europe centrale et orientale pour y louer des ventres à des fins de gestation pour autrui ?
Mme Laurence Cohen. Nous sommes également contre !
M. René Danesi. Certes, ces femmes ne sont pas prisonnières d’un réseau, mais elles sont, elles aussi, en situation de précarité et donc de vulnérabilité. Là aussi, on attend donc la mobilisation des bonnes âmes.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. Je voterai bien évidemment contre ces quatre amendements identiques, pour les raisons que j’ai déjà expliquées : il faut un parallélisme des formes. Pour pénaliser le client, encore faut-il qu’il commette un acte illicite !
M. André Reichardt. C’est la vérité !
Mme Catherine Troendlé. Or vous n’avez pas voulu voter la suppression de l’incrimination du racolage dit « passif ». Où est la cohérence ?
Comme l’a dit à juste titre M. Boulard, aux arguments duquel je me rallie, à la première QPC, ce dispositif tombera. Je le répète, la pénalisation du client est totalement inutile en l’absence de délit caractérisé.
M. André Reichardt. C’est évident !
Mme Catherine Troendlé. C’est la juriste qui vous parle !
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.
Mme Claudine Lepage. Madame Troendlé, je ne partage pas du tout vos options.
Mme Catherine Troendlé. C’est juridique !
Mme Claudine Lepage. Nous verrons bien.
J’aimerais m’exprimer à la fois sur l’article 16 et sur l’article 17, puisque le rétablissement de l’un et de l’autre participe de la même logique, à savoir la pénalisation et la responsabilisation du client.
Si l’article 16 crée une infraction de recours à la prostitution punie d’une contravention de cinquième classe, l’article 17 révèle, s’il en était besoin, combien notre volonté est non pas de stigmatiser le client, mais bien de lui faire prendre conscience que, en payant une prostituée, il enrichit les mafias et participe donc pleinement à ce fléau de la traite des êtres humains à travers le monde.
M. Roland Courteau. Absolument !
Mme Claudine Lepage. Je ne doute pas que nous ayons toutes et tous ici le souci de lutter contre l’esclavage sexuel. La question est bien de savoir comment y parvenir efficacement.
Le renforcement de la lutte policière contre les réseaux est le principal levier, c’est une évidence, mais cessons d’être naïfs et de penser que c’est suffisant. Nous savons que les réseaux et organisations véritablement tentaculaires ont une capacité de régénérescence infinie. La seule façon de détruire cette hydre immonde est de l’affamer.
L’exemple des pays de plus en plus nombreux ayant choisi d’interdire l’achat d’actes sexuels témoigne sans ambiguïté aucune de la réaction des réseaux, qui se tournent dorénavant vers des pays plus rentables, c’est-à-dire ceux qui ont opté pour la réglementation. Ces pays, que ce soient les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Espagne, ont ainsi vu fleurir les Eros centers. Or, nous le savons bien, l’immense majorité des personnes prostituées de ces établissements spécialisés sont d’origine étrangère. La boucle est bouclée !
Pour terminer, un seul chiffre permet d’ouvrir les yeux : en France, on estime le nombre de personnes prostituées entre 30 000 et 40 000, alors qu’on en compte 400 000 en Allemagne, soit dix fois plus.
Au-delà de cette évidente nécessité de prendre en compte le client, premier rouage du système, si l’on veut réellement lutter contre les réseaux de traite, rappelons-nous que ces deux articles 16 et 17 sont indispensables à l’équilibre et à la cohérence du texte. Je vous engage donc à voter ces amendements et ainsi à réaffirmer clairement la position abolitionniste de la France.
Nul n’est en droit d’exploiter la précarité et la vulnérabilité d’autrui ni de disposer de son corps pour lui imposer un acte sexuel contre rémunération !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je peux parfaitement comprendre les doutes et les réticences que peut susciter la création d’une contravention de cinquième classe pour pénaliser les clients. De même, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme indique que la prostitution ne peut pas être sanctionnée, je ne crois pas pour autant qu’elle estime que le recours à la prostitution dans les conditions contre lesquelles nous voulons lutter ne puisse pas être poursuivi.
Nous verrons bien, ultérieurement, si ce texte se révèle fragile d’un point de vue juridique, mais ce n’est pas cette question qui préoccupe le juriste que je suis ; ce qui me préoccupe, c’est la manière avec laquelle on peut lutter contre le système prostitutionnel. En l’espèce, le législateur doit faire preuve de modestie.
La loi de 2003, c’est un constat, n’a pas eu les résultats escomptés. Sauf à ce qu’il se trouve parmi nous des hypocrites, ce que je ne crois pas, nous sommes tous déterminés à lutter contre le système prostitutionnel et à trouver les voies et moyens pour ce faire.
La proposition qui nous est faite, c’est de responsabiliser le client afin de l’amener à adopter des attitudes différentes et, partant, à ne pas encourager le système prostitutionnel, qui s’est fortement développé ces dernières années. Là où il y a une volonté, il y a un chemin.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jacques Bigot. À l’article 18, il est prévu qu’un bilan sera dressé dans deux ans de l’application de la loi. Aussi, ne refusons pas aujourd’hui de tenter l’expérience de la pénalisation. Nous verrons bien le résultat.
Ce résultat, je vous le concède, ce pourrait être aussi que les lieux de rencontre deviennent encore plus dangereux pour les personnes prostituées, que le système prostitutionnel soit certes mis en difficulté, mais également les personnes prostituées avec lui. C’est pour cette raison que j’attache du prix à ce qu’un bilan soit dressé dans deux ans pour savoir où nous en sommes et pour que nous réfléchissions éventuellement à un autre système.
Nous ne pouvons pas simplement faire un constat d’impuissance, comme aujourd’hui ; il faut que nous nous donnions les moyens de lutter contre le système prostitutionnel. C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai dit en commission, je voterai ces quatre amendements identiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Je rejoins les propos très clairs de notre collègue Bigot.
Je veux souligner que le Parlement européen a adopté le rapport Honeyball, dans lequel il est écrit que la prostitution constitue une violation des droits humains incompatibles avec la charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout en recommandant la pénalisation de l’achat de services sexuels.
Je veux dire aussi que je ne comprends pas très bien ce que l’un de nos collègues entendait par « service contraint ». Quand un être humain monnaye son corps, qu’est-ce donc sinon un « service contraint » ?
La question des filières est très importante : comme l’a rappelé l’une de nos collègues, 97 % des personnes qui se prostituent aujourd’hui sont des femmes originaires de pays étrangers. Le but, c’est bien de démanteler ces filières, et non de s’en prendre à la prostitution en elle-même.
Ceux qui disent qu’il faut bien tenter quelque chose ont raison. Nous verrons bien ce qu’il en adviendra. Si ce dispositif est censuré, il faudra alors réfléchir à un autre moyen de pénalisation du client. En attendant, je voterai moi aussi ces quatre amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je soutiens évidemment avec enthousiasme ces quatre amendements identiques.
À ce moment du débat, je ressens un profond sentiment d’indignation. J’ai entendu bien des arguments pour justifier le refus de pénalisation de l’achat d’actes sexuels, mais jamais encore au nom de la défense des pauvres. Cet argument est épouvantable et scandaleusement contraire à la vérité.
Je rappelle que les prostituées sont issues, pour une grande majorité d’entre elles, de la traite des êtres humains organisée par des réseaux. Pourquoi tombent-elles dans la prostitution et dans la traite ? Parce qu’elles sont dans une situation de très grande pauvreté là où elles se trouvent.
Par ailleurs, on se préoccupe beaucoup du parallélisme des formes, sans doute à juste titre, mais il faut aussi s’interroger sur le parallélisme des souffrances : imaginez-vous ce que vit une jeune femme obligée, à l’arrière d’un camion, de supporter vingt-cinq ou trente passes par jour, qui n’a pas la possibilité d’accéder à un service de santé, qui a tout juste de quoi manger ? Franchement, de quoi parle-t-on ? Je le répète, je suis très indignée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. En fait, il faut distinguer trois types de prostitution : d’abord, la prostitution pratiquée par certaines femmes qui le souhaitent… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Pardon de dire ça, mais je pense aux call-girls, par exemple.
Mme Laurence Cohen. Même les call-girls ont besoin d’estime !
M. Alain Fouché. Elles se livrent à cette activité non parce qu’elles vivent dans le malheur, même si cela peut arriver, mais pour gagner plus d’argent. Leurs revenus sont d’ailleurs fiscalisés par l’État. (Mouvements divers sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Ensuite, il y a la prostitution à laquelle sont malheureusement contraintes de se livrer les femmes en situation difficile qui ne peuvent pas boucler leurs fins de mois.
Enfin, majoritairement, il y a la prostitution pratiquée par des femmes – mais aussi des hommes, même si vous n’en parlez pas –…
Mme Laurence Cohen. Nous défendons aussi les hommes !
M. Alain Fouché. … qui sont exploitées par des réseaux que je dénonce avec la même vigueur que vous.
Le coupable n’est pas nécessairement et toujours le seul client. Le Français moyen qui va se balader à Paris, il ne part pas avec l’idée d’aller chercher une fille : il en voit une sur un trottoir, il se fait accoster, il répond. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Tout cela pour dire que la culpabilité n’est pas toujours là où on le dit. (Mêmes mouvements.)
Vous avez beau protester, c’est la réalité !
Enfin, je ne vois pas comment il sera possible de sanctionner l’acte sexuel tarifé : les clients ne payent ni par chèque ni par carte bancaire, ils payent en espèces. Les riches, quant à eux, comme cela a été dit tout à l’heure, iront dans des salons de massage ou dans les pays où il existe des Eros centers. En tout cas, il faudra sans doute que le fisc s’adapte à cette réalité.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote.
Mme Maryvonne Blondin. J’avoue être abasourdie par les propos de notre collègue et choquée de l’entendre dire que, en se promenant dans les rues de Paris, on peut être abordé par une fille et décider de la suivre... C’est assez dégradant.
M. Alain Fouché. J’ai dit que cela arrivait parfois !
Mme Maryvonne Blondin. C’est bien pour cette raison que nous voulons prendre des mesures pour lutter contre cela.
Je rappelle que, en droit français, il est interdit à quiconque d’acheter un rein à une personne qui souhaiterait le vendre. De même, je ne peux vendre mon sang, car c’est interdit. Pareillement, une femme pourrait dire qu’elle est libre de disposer de son corps, mais tel n’est pas le cas puisqu’elle vend à autrui un acte sexuel.
Rappelez-vous cet arrêt du Conseil d’État interdisant le fameux « lancer de nains », quand bien même ceux-ci étaient volontaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Compte tenu de tout ce que mes collègues ont déjà pu dire, je serai brève.
Je ne reviendrai pas sur les arguments juridiques qui ont pu être avancés. Simplement, il me paraît contradictoire que, après avoir constaté collectivement en toute bonne foi que la prostitution est une violence et que les personnes prostituées sont fondamentalement des victimes, nous considérions ensuite que le client n’a aucune responsabilité.
Mme Claudine Lepage. C’est vrai !
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
Mme Chantal Jouanno. J’entends tout à fait qu’il serait logique de pénaliser les deux parties prenantes au rapport, mais je rappelle que, dans sa fameuse décision, le Conseil d'État a validé l’interdiction de la pratique du « lancer de nains » alors même que ceux-ci avaient accepté d’être utilisés comme projectiles !
Mes chers collègues, faisons très attention à ce que le texte qui sera voté par le Sénat n’ouvre pas grand les portes aux réseaux et à cette forme de marché que nous dénonçons. C’est bien le message que nous risquons d’envoyer ce soir, à l’encontre même de notre volonté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié bis, 8 rectifié, 10 rectifié et 23.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 24 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Pour l’adoption | 117 |
Contre | 191 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l’article 16 demeure supprimé.
Article 17
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 6 rectifié bis est présenté par Mmes Lepage, Meunier et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud et Monier, MM. Kaltenbach et Carvounas, Mmes Riocreux, Féret et Yonnet, M. Manable, Mmes Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Berson, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, M. Durain, Mmes Claireaux, S. Robert et Herviaux, M. Assouline, Mme Conway-Mouret, MM. Vaugrenard et Duran, Mme Schillinger et MM. Cabanel, Labazée, Roux et Marie.
L'amendement n° 9 rectifié est présenté par Mmes Jouanno et Morin-Desailly, MM. Guerriau et Cadic, Mme Létard, MM. Détraigne et Longeot et Mme Joissains.
L'amendement n° 11 est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 9° de l’article 131-16, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :
« 9° bis L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »
2° Au premier alinéa de l’article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « , un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » ;
3° Le I de l’article 225-20 est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l’article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : « , d’un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » ;
2° Après le 17° de l’article 41-2, il est inséré un 18° ainsi rédigé :
« 18° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. »
Madame la rapporteur, ces trois amendements visent à rétablir l’article 17, lequel créait une peine complémentaire à celle que prévoyait l’article 16. Puisque ce dernier n’a pas été rétabli, considérez-vous que ces amendements ont vocation à être examinés ?
Mme Laurence Cohen. La notion de sensibilisation du client pourrait peut-être être maintenue ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La sensibilisation du client prévue par ces amendements est une peine complémentaire, comme vient de le dire M. le président. L’article 16 visant à créer le délit n’ayant pas été rétabli, ces amendements n’ont donc plus d’objet.
M. André Reichardt et Mme Catherine Troendlé. C’est logique !
M. le président. Les amendements identiques nos 6 rectifié bis, 9 rectifié et 11 n’ont plus d’objet.
En conséquence, l’article 17 demeure supprimé.
Chapitre V
Dispositions finales
Article 18
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi deux ans après sa promulgation. Ce rapport dresse le bilan :
1° De la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme et des actions de coopération européenne et internationale engagées par la France dans ce domaine ;
1° bis De la création de l’infraction de recours à l’achat d’actes sexuels prévue à l’article 225-12-1 du code pénal ;
2° De la mise en œuvre de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ;
3° Du dispositif d’information prévu à l’article L. 312-17-1-1 du code de l’éducation.
Il présente l’évolution :
a) De la prostitution, notamment sur internet et dans les zones transfrontalières ;
b) De la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ;
c) De la situation, du repérage et de la prise en charge des mineurs victimes de la prostitution ;
c bis) De la situation, du repérage et de la prise en charge des étudiants se livrant à la prostitution ;
d) (Supprimé)
e) Du nombre de condamnations pour proxénétisme et pour traite des êtres humains.
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Archimbaud et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Après le mot :
rapport
insérer les mots :
s’appuie sur des travaux universitaires. Il
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Cet amendement a pour objet de préciser que le rapport sur l’application de la loi doit s'appuyer sur des travaux universitaires indépendants, de manière à être le plus complet et le plus fiable possible.
Eu égard à la diversité des sujets que ce rapport abordera, il semble nécessaire de croiser les approches et les expertises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale a émis un avis défavorable.
La mention des seuls travaux universitaires nous paraît quelque peu restrictive. Comme cela a été maintes fois évoqué dans cette enceinte, d’autres sources comportent des informations précieuses, notamment les rapports d’activité des associations.
Pour ma part, je fais confiance au Gouvernement pour mobiliser utilement l’ensemble des données dont il aura besoin.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean Desessard. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.
L'amendement n° 17, présenté par M. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Vial, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Du dispositif de protection prévu à l’article 706-63-1 du code de procédure pénale en ce qui concerne les victimes du proxénétisme ou de la traite des êtres humains.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Cet amendement vise à compléter l’article 18, qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur l’application de la proposition de loi dans un délai de deux ans.
Si vous me le permettez, mes chers collègues, j’en profiterai pour faire quelques observations, en conclusion de nos travaux.
Le débat que nous avons eu ce soir, à l’occasion de l’examen du texte en deuxième lecture, a été de qualité, même si le sort qui a été réservé aux deux articles essentiels de la proposition de loi n’est pas sans nous interpeller collectivement. Il montre que ce qui importe aujourd'hui, madame la secrétaire d'État, c’est que nous puissions apprécier la mise en place des dispositions du texte qui font l’objet d’un très grand consensus, dans leur version qui résultera des travaux de la commission mixte paritaire.
Une volonté a été exprimée très fortement aujourd'hui : celle de protéger les prostituées et de mener le combat le plus efficace contre la prostitution, à défaut de pouvoir l’éradiquer. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, nous sommes en effet convaincus que cette proposition de loi ne marquera qu’une étape dans l’histoire de la prostitution. Elle ne permettra pas de tourner la page ! Toutefois, on ne comprendrait pas que le Parlement ne se soit pas saisi de ce texte pour essayer d’apporter une contribution à la lutte contre un fléau qui n’est plus acceptable.
Dans ce contexte, il est important que nous puissions dresser un bilan à l’expiration d’un délai de deux années, en espérant, d'ailleurs, que les moyens auront été mis en place entre-temps, aussi bien sur le plan social que pour ce qui concerne les forces de l’ordre.
Je n’ai pas réagi aux chiffres qui ont été avancés sur la faible efficacité de certains dispositifs de répression. Soyons convaincus que ce résultat s’explique en partie par le petit nombre de forces de l’ordre mobilisées sur l’ensemble du territoire national. Dans cette enceinte, nous sommes bien placés pour savoir qu’il est extrêmement difficile d’obtenir l’appui des forces de l’ordre pour engager des actions dans ce domaine, non parce qu’elles font preuve de résistance, mais parce qu’elles ne sont pas disponibles.
J’y insiste, l’évaluation dont nous disposerons dans deux ans nous permettra de faire un point, le plus efficace possible, sur les mesures qui, demain, résulteront de la commission mixte paritaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Favorable.
Cela étant, ne nous voilons pas la face ; si le texte est voté ce soir en l’état, je peux déjà vous livrer, monsieur le sénateur, la teneur de l’analyse qui nous sera communiquée dans deux ans : la proposition de loi aura fait exploser la présence des réseaux dans notre pays.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Mais vous pourrez alors vous appuyer sur le rapport qui vous aura été remis pour modifier la loi une nouvelle fois… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 18, modifié.
(L'article 18 est adopté.)
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M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Dans l’ensemble, ce débat est resté à peu près respectueux, si l’on fait abstraction de quelques interventions assez choquantes…
Si nous avons parcouru du chemin au travers des articles que nous avons votés – je pense notamment à l’abolition du délit de racolage –, nous ne sommes pas allés au bout. Il me semble nécessaire de le dire !
Initialement, la proposition de loi était vraiment équilibrée. Elle avait été construite en concertation avec un certain nombre d’associations et avec les différents ministères concernés, de manière à lutter effectivement contre le système « prostitueur ».
Je veux exprimer ici une certaine colère : si l’on considère à juste titre que la prostitution est une violence, notre devoir est de faire en sorte que toutes les personnes prostituées – en majorité des femmes, mais pas seulement – soient considérées comme des victimes. Notre devoir est également de lutter contre les proxénètes et les réseaux criminels qui génèrent – arrêtons l’hypocrisie ! – beaucoup d’argent et de prendre enfin en compte le rôle des clients.
Les arguments avancés de pseudo-pauvreté ou de rencontre fortuite avec une prostituée au cours d’une balade pour refuser la pénalisation des clients me paraissent irresponsables. De tels arguments sont méprisants, tout aussi bien pour les femmes que pour les hommes. C'est la raison pour laquelle il était important d’aller jusqu’au bout et de voter cette proposition de loi.
Notre groupe est pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dans le respect de chacun. On ne peut acheter le corps d’une femme, on ne peut acheter des rapports sexuels : ce n’est pas respectueux de l’être humain, et c’est se méprendre complètement sur ce qu’est le désir, sur ce qu’est l’amour.
Quand on veut construire un projet de société fondé sur le respect et l’égalité, on va jusqu’au bout et on responsabilise aussi les clients ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Je voudrais dire à quel point je suis attristée et en colère ce soir devant le résultat de nos travaux et certains comportements et discours. Nous ne faisons que repousser le problème !
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut lutter contre la traite et les réseaux, qu’il s’agit d’un crime organisé, que les souffrances et les violences que subissent ces femmes qui passent par des parcours de dressage – imaginez ce que peut être un parcours de dressage ! – sont intolérables. Et pourtant, nous laissons croire que le client ne sait pas ce qu’il fait, qu’il a croisé une femme et qu’il s’est contenté de la suivre… Entendre un tel discours, après tant d’années de travail, est épouvantable.
La question de la pénalisation du client ne date pas d’hier, nous en discutons depuis des années. Et toujours le Sénat, cette Haute Assemblée où ont siégé d’illustres sénateurs ayant milité contre l’esclavage et dont nous n’avons sans doute pas les talents d’orateur, refuse cette pénalisation. Il faut pourtant que cette idée fasse son chemin dans les esprits, dans la société. Quel exemple allons-nous donner aux Français ? Le Sénat rejette encore la pénalisation du client !
Mme Catherine Troendlé. Et supprime le délit de racolage !
Mme Maryvonne Blondin. Que vont penser les Français en voyant cela ? Ils ne pourront que se moquer de notre assemblée ; c’est désastreux !
Quelle image allons-nous donner à la jeunesse ? Je vous rappelle que, dans nos collèges, dans nos écoles, des jeunes se livrent à la prostitution. On les agresse, on les harcèle, on menace de les dénoncer, car le client n’est pas puni ! Ouvrez les yeux, regardez ce qui se passe ! Tout cela me choque et me bouleverse…
Le délit de racolage ayant été supprimé, comme l’a justement souligné Mme Troendlé, je pense que mon groupe va s’abstenir sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard.
M. Jean-Claude Boulard. J’espère que le modeste débat juridique que je me suis permis de lancer, alors que le droit a été totalement absent de nos débats, sera approfondi. À cet égard, la petite note juridique que j’ai envoyée à chacun mériterait également d’être approfondie.
Puisqu’il a été fait référence aux grands anciens, sachez que Robert Badinter partage tout à fait cette approche juridique.
Mme Laurence Cohen. Pas moi !
M. Jean-Claude Boulard. Ce n’est pas moi qui ai fait référence aux grands anciens, c’est vous !
La prostitution des mineurs est déjà interdite.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Pourquoi ne pas faire encore un effort ?
M. Jean-Claude Boulard. Toute une série de dispositions législatives punissent les auteurs de contraintes et ceux qui utilisent un service contraint. Je regrette beaucoup que l’on n’ait pas essayé d’explorer cette piste, qui me semblait un bon compromis. N’oublions pas que des femmes et des hommes – il s’agit sans doute d’une minorité – exercent librement une activité de prostitution, notamment à l’égard des handicapés. Dans mon département, par exemple, une jeune femme qui se prostitue auprès des handicapés reçoit les remerciements de leurs familles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Je ne me prononce ni sur les valeurs ni sur la morale : l’histoire des hommes montre combien ces deux notions sont compliquées à manier… De temps en temps, il faut savoir faire un peu de droit, car c’est parfois lui qui nous rassemble. Approfondir le débat juridique est toujours utile ; j’espère que nous le ferons au cours des prochaines semaines.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. On peut se cacher longtemps derrière le droit – cela fait deux ans que nous avons ce débat – pour dire que rien n’est possible et qu’il aurait fallu explorer telle ou telle piste.
Faisons un tout petit peu confiance au Gouvernement, même s’il n’est pas de notre bord – en l’occurrence, pas du mien – et considérons qu’il dispose des outils nécessaires pour évaluer les éléments juridiques et le caractère légal de cette proposition de loi.
Je ne suis pas certaine que les personnes qui ont voté ce soir à la fois contre le délit de racolage et contre la pénalisation du client aient bien mesuré le sens de leurs votes. Je suis prise d’un doute en regardant le résultat du scrutin.
Je suis très attristée du message que le Sénat envoie à ces femmes, à l’encontre desquelles nous avons délivré un blanc-seing de violence.
Je suis également très attristée du message envoyé à la société selon lequel la sexualité tarifée devient parfaitement normale.
Enfin, que dire du message envoyé par la Haute Assemblée en tant qu’institution ? Le Sénat, défenseur des libertés et – normalement – très progressiste, a fait prévaloir la version la plus libertaire, celle défendue par notre collègue Esther Benbassa.
Encore une fois, je ne suis pas certaine que tous nos collègues aient eu conscience de la portée de leurs votes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Même si nous sommes ici le législateur, ce n’est pas le droit qui nous rassemble, mais les valeurs auxquelles nous croyons.
J’ai cru comprendre que nous étions toutes et tous convaincus qu’il fallait agir contre cette inadmissible traite des êtres humains. À partir de là, qu’on ne vienne pas dire, au nom de ceux qui souffrent dans leur corps et qui disent vouloir accéder aussi à l’acte sexuel, que la traite des êtres humains est admissible. Cherchons pour eux une solution qui ne soit pas contraire à nos valeurs. Ce sont ces valeurs qui nous dirigent, le droit suit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. J’ai des sentiments partagés, ce soir.
Je suis satisfaite d’avoir pu examiner ce texte en deuxième lecture, et je remercie le Gouvernement d’avoir permis cette discussion, dans des délais certes acceptables, mais tout de même très longs. La Haute Assemblée a enfin pu examiner ce texte qui nous vient de l’Assemblée nationale.
Je suis également déçue : comme je l’ai dit, cette proposition de loi constitue un tout que la suppression de l’article 16 a, de fait, déséquilibré. Par ailleurs, l’article 13 ayant été adopté, je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il est plus facile de faire payer les femmes que les hommes…
Il me reste de l’espoir. Je n’ai pas pour habitude de partir vaincue d’avance ni de céder à la fatalité : non, la prostitution n’est pas inscrite durablement dans notre société ni dans celle de demain ! En commission mixte paritaire, nous allons de nouveau nous engager et travailler pour faire en sorte que cette proposition de loi puisse vivre et être votée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Républicains et, l'autre, du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 25 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 203 |
Pour l’adoption | 172 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de nos échanges, même si certains propos surprennent toujours… Je remercie tout particulièrement M. le président de la commission spéciale et Mme la rapporteur.
Sachez, madame la rapporteur, que nous sommes déterminés : ce texte a fait l’objet de trois lectures, à l’Assemblée nationale et au Sénat, en moins d’un an. En outre, le budget consacré à la lutte contre la traite humaine a doublé. Il s’agit donc d’un engagement fort du Gouvernement.
À l’issue de la première lecture au Sénat, le délit de racolage n’ayant pas été supprimé et la responsabilisation des clients ayant été rejetée, j’avais affirmé que le choix avait été fait de continuer à considérer les prostituées comme des délinquantes et que les réseaux avaient de beaux jours devant eux. Ce soir, une majorité d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a heureusement fait le choix de reconnaître les prostituées comme des victimes. Malheureusement, les réseaux ont encore de très beaux jours devant eux. Cela pourrait ressembler à une forme de laxisme, permettez-moi de vous le dire… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
17
Communication relative à la procédure d'examen en commission d'un projet de loi organique
M. le président. Lors de sa réunion du 15 septembre dernier, la conférence des présidents a décidé que la proposition de loi organique, modifiée par l’Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy serait examinée en deuxième lecture selon la procédure d’examen en commission.
Ont été publiés ce jour, sur le site du Sénat, le rapport et le texte de la commission des lois.
Ces deux documents ont été adressés au Gouvernement et aux présidents des groupes.
18
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 14 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 150-0 D du code général des impôts (Plus-values de cession à titre onéreux d’actions ou de parts) (2015-515 QPC)
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le mercredi 14 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux arrêts de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 621-5 du code monétaire et financier (Autorité des marchés financiers) (2015-513 et 2015-514 QPC).
Les textes de ces arrêts de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
19
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 15 octobre 2015 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze : débat sur le thème « La politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? »
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures trente-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART