Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, corapporteur.
M. Alain Milon, corapporteur. J’avais l’intention de demander à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement… (Sourires.)
La commission a largement débattu ce matin de cette question. Il est vrai qu’un gros problème se pose en France en matière de vaccination, car de nombreuses personnes se disant médecins ou l’ayant été dans le passé font campagne contre elle. Je pense en particulier à l’une d’entre elles, qui a lancé une pétition ayant recueilli, selon ses dires, près de 400 000 signatures : probablement celles d’ignares…
Vouloir développer la vaccination me semble donc tout à fait bienvenu. Néanmoins, si faire la promotion de la vaccination, vérifier l’état des vaccins et conseiller les salariés peut relever des missions du médecin du travail, il n’incombe pas à celui-ci de pratiquer la vaccination : c’est là le rôle du médecin généraliste.
À titre personnel, je me rangerai à l’avis de Mme la ministre sur cette question extrêmement importante. Je ne voterai donc pas l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, corapporteur.
Mme Élisabeth Doineau, corapporteur. Mme la ministre ayant proposé d’engager un travail de concertation sur la question que vous avez soulevée, monsieur Labazée, je vous suggère moi aussi de revoir un peu votre position…
Mme la présidente. Monsieur Labazée, confirmez-vous le maintien de l'amendement n° 679 rectifié ?
M. Georges Labazée. Béarnais têtu, je maintiens mon amendement ! (Rires.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 709 est présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 1102 est présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au début de l’article L. 4124-2 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Seuls les patients, les organismes locaux d’assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d’une caisse ou d’un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, peuvent porter plainte auprès du conseil national ou du conseil départemental de l’ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction. ».
La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l’amendement n° 709.
M. Dominique Watrin. Cet amendement vise à limiter les capacités de recours devant le conseil de l’Ordre des médecins contre des médecins du travail. En effet, bien que l’indépendance du médecin du travail à l’égard de l’employeur soit officiellement garantie, il nous semble nécessaire de mettre en place le cadre du respect de cette garantie.
Malgré les menaces qui pèsent sur la médecine du travail à court et moyen terme, l’existence de cette spécialité constitue presque une exception française en Europe ; c’est d’ailleurs l’un des piliers de la protection sociale à la française. La capacité des médecins du travail à intervenir dans l’entreprise et à poser un regard impartial est, elle aussi, unique.
Notre amendement tend donc à instituer une garantie supplémentaire de l’indépendance du médecin du travail. En effet, il se trouve que des employeurs, profitant du flou du code de la santé publique, n’ont pas hésité à porter plainte auprès du conseil de l’Ordre des médecins pour faire sanctionner des médecins du travail, coupables à leurs yeux d’établir un lien de causalité entre conditions de travail et maladie. Il s’agit là d’une remise en cause manifeste de l’indépendance des médecins du travail, que le législateur ne peut tolérer.
C’est pourquoi nous présentons cet amendement, qui a pour objet de préciser la liste des personnes autorisées à saisir le conseil de l’Ordre des médecins, en en excluant les employeurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour présenter l’amendement n° 1102.
Mme Aline Archimbaud. Un décret en Conseil d'État définit les conditions dans lesquelles la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins peut être saisie au sujet de praticiens dont l'employeur est privé.
Ce décret précise la liste des personnes ou autorités qui peuvent engager une action disciplinaire à l'encontre d'un médecin. L'employeur n'y est pas mentionné, mais la liste indiquée, qui comprend les patients, les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires ou encore les associations de défense des usagers, commence par l’adverbe « notamment ». Juridiquement, cela n'interdit pas, par exemple, à l'employeur privé d'un médecin du travail d'engager une procédure disciplinaire à l’encontre de celui-ci.
On estime ainsi qu'il y a probablement, chaque année, entre cent et deux cents plaintes d’employeurs contre des médecins, dont la moitié, soit de cinquante à cent, concerneraient des médecins du travail. Certaines affaires défraient d’ailleurs la chronique.
Or plus de 60 % des médecins attaqués par un employeur devant leur ordre sont contraints, par le dispositif de menace de la conciliation ordinale, de modifier leur diagnostic. Ces procédures font en outre peser un danger sur le secret médical.
Cet amendement vise donc à évacuer cette approximation juridique dans la rédaction du décret, en précisant dans la loi une liste exhaustive des personnes fondées à engager une procédure contre un médecin auprès de l'Ordre des médecins.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, corapporteur. La commission a émis un avis défavorable, pour deux raisons, l’une d’ordre constitutionnel, l’autre d’ordre réglementaire.
D’une part, de sérieuses questions se posent quant à la conformité du dispositif aux exigences constitutionnelles et conventionnelles ; je pense notamment au droit au recours.
D’autre part, l’énumération des catégories de personnes ayant capacité à introduire une action disciplinaire contre un médecin du travail relève, comme l’indique d’ailleurs l’objet de l’amendement n° 1102, de la partie réglementaire du code de la santé publique : elle figure à l’article R. 4126-1 de ce code.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je demande aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable, pour les raisons évoquées par Mme la rapporteur, notamment la nature réglementaire des dispositions en cause.
Cela étant, la question posée mérite d’être étudiée de près et d’être objectivée. J’ai saisi dans ce but le conseil de l’Ordre et lui ai demandé d’établir un état précis des recours portés devant lui, en indiquant la proportion des recours émanant d’employeurs. Si, au regard de l’analyse que nous mènerons alors, des modifications réglementaires apparaissent nécessaires, elles pourront tout à fait être proposées. À cet égard, la question du secret médical me semble plus sensible.
Vous avez donné des éléments chiffrés, madame Archimbaud, dont je ne dispose pas pour ma part. À ce stade, je demande le retrait de ces amendements ; à défaut, je le redis, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Watrin, l’amendement n° 709 est-il maintenu ?
M. Dominique Watrin. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Archimbaud, l’amendement n° 1102 est-il maintenu ?
Mme Aline Archimbaud. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 709 et 1102.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 6 bis
(Non modifié)
Au 1° de l’article L. 4612-1 du code du travail, après la première occurrence du mot : « à », sont insérés les mots : « la prévention et à ».
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. Cet article a trait à la prévention en matière de santé au travail, domaine dans lequel il reste beaucoup à faire.
Les problèmes de santé liés au « mal-travail » ne sont en effet pas des moindres : ils coûtent à la société environ 80 milliards d’euros par an. Le projet de loi aurait donc dû être plus ambitieux sur ce thème. Nous avions, pour notre part, déposé un amendement afin de tirer le texte vers le haut. Malheureusement, il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, ce que nous regrettons vivement.
Beaucoup de maladies causées par les conditions de travail seraient tout à fait évitables. Cela est particulièrement vrai lorsque plusieurs salariés occupant le même poste de travail déclarent la même maladie. Le bon sens voudrait alors qu’une action soit mise en œuvre. Au lieu de cela, en n’agissant pas, on répète les erreurs du passé, en soumettant les salariés à des conditions de travail dont on sait qu’elles ont déjà provoqué des maladies graves ou irréversibles. Selon un éminent professeur de médecine du travail de ma région, certains postes de travail n’ont pas évolué depuis trente ans.
Or l’assurance maladie a tout en main pour inciter les entreprises à combattre cette gabegie humaine et financière : elle tient depuis des années la liste des postes de travail pathogènes, ainsi que celle des postes ayant été assainis après indemnisation.
Madame la ministre, pourquoi ne pas prévoir la publication de toutes ces données sur un site dédié, à l’instar de ce qui a été fait en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec le soutien de l’État ? Cela aurait un effet incitatif pour les entreprises. Le Gouvernement s’honorerait en avançant dans cette voie et en donnant ainsi une portée concrète à la volonté de développer la prévention affirmée à l’article 6 bis.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’indique aux membres de la commission des affaires sociales que nous allons nous réunir dès la suspension de la séance afin de poursuivre l’examen des amendements.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente pour une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, en application de l’article 50-1 de la Constitution. L’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé se poursuivra ensuite.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
11
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 831-1 du code de la sécurité intérieure, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente sur le projet de nomination de M. Francis Delon comme président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des lois.
Acte est donné de cette communication.
12
Accueil des réfugiés en France et en Europe
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat souhaité par le Gouvernement sur la crise migratoire que connaît l’Europe et à laquelle notre pays est confronté constitue pour nous l’occasion de convoquer nos valeurs, de réfléchir à ce qu’est la politique de l’Union européenne, mais également de tracer quelques perspectives pour la résolution de cette crise, qui dure depuis de nombreux mois et dont nous avons pu tous ensemble constater, au cours des dernières semaines, à quel point elle était chargée de drames et de tragédies pour des femmes, des enfants, des familles en situation de vulnérabilité en raison des persécutions qu’ils subissent dans leur pays.
Cette crise migratoire est d'abord provoquée par les désordres du monde.
On connaît la déréliction de l’État libyen, qui laisse la Libye entre les mains d’organisations criminelles internationales, notamment de traite des êtres humains. On sait également les sommes que ces organisations prélèvent sur ceux qui fuient leur pays parce qu’ils y sont persécutés, tout en les conduisant d'ailleurs parfois à la mort.
On connaît également la situation en Irak et en Syrie, les crimes perpétrés à la fois par le régime de Bachar al-Assad et par le califat de la haine qu’est Daech. À force d’exécutions, de décapitations, de crucifixions, de traitements inhumains et barbares infligés à des personnes en raison de leur appartenance à des minorités religieuses, les populations sont conduites à des exodes dont on connaît désormais l’ampleur.
La France est engagée en faveur des valeurs humanistes, de tolérance et de respect de l’humanité à travers les actions qu’elle conduit, non seulement en Irak – au sein de la coalition – et en Syrie, mais aussi partout ailleurs, en particulier sur le continent africain, comme en témoigne notre engagement à la fois au Mali et en République centrafricaine.
Et, partout où des femmes et des hommes sont persécutés en raison de ce qu’ils sont, de leur appartenance religieuse et politique ou de leur orientation sexuelle, la France est là pour rappeler les valeurs fondamentales des droits de l’homme et pour répéter le message multiséculaire que les peuples du monde « ont appris à aimer d’elle » – pour reprendre l’expression de François Mitterrand. La France, lorsqu’elle accorde sa protection, est un refuge où la vie peut se poursuivre. La protection que nous devons toujours aux réfugiés inspire la politique de notre pays depuis 1793.
Nous agissons en Irak, en Syrie, en Afrique.
Nous agissons résolument en Europe, et nous agissons également dans notre pays de manière que notre système d’asile et notre politique migratoire soient à la hauteur des enjeux auxquels le monde se trouve confronté.
Nous agissons d'abord en Europe.
Comme le Premier ministre l’a rappelé tout à l'heure avec force à l’Assemblée nationale, la France n’a pas attendu la crise migratoire à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines et qui revêt une dimension tragique pour agir. Dès le 30 août 2014 – il y a donc plus d’un an –, à la demande du Président de la République, je m’étais rendu dans les principales capitales européennes pour essayer de faire partager à mes homologues des pays de l’Union européenne un projet et des propositions susceptibles d’inspirer la politique de celle-ci, c'est-à-dire les propositions de la Commission en matière de politique migratoire.
Quel était le constat et que contenaient ces propositions ?
Nous constations d’abord l’importance des flux migratoires. Près de 200 000 migrants avaient alors déjà franchi les frontières extérieures de l’Union européenne, notamment en Italie, mais pas seulement – certains l’avaient déjà fait en Grèce.
Nous constations aussi qu’il y avait, parmi ceux qui venaient sur notre continent, des personnes relevant du statut de réfugié en Europe, parce qu’elles étaient persécutées dans leur propre pays, mais également des migrants qui avaient fui la misère dans leur pays. Ces derniers venaient pour beaucoup d’Afrique de l’Ouest, à la recherche d’un avenir économique pour eux-mêmes et pour leur famille sur le territoire européen, les passeurs les ayant convaincus que c’était possible.
La France avait tout d’abord proposé d’engager de façon urgente un dialogue avec les pays de provenance des migrants, notamment les pays de la bande sahélo-saharienne, afin que l’immigration économique irrégulière puisse être prévenue plutôt que constatée. Il s’agissait aussi, grâce à la mise en place de centres de maintien et de retour, d’éviter à ces familles, à ces hommes et à ces femmes, de se retrouver entre les mains de passeurs et d’avoir à effectuer le voyage de la mort au cours duquel, en 2014, près de 3 000 femmes, hommes et enfants, ont péri en Méditerranée.
La France avait ensuite proposé de supprimer l’opération Mare Nostrum pour lui substituer une opération sous la maîtrise d’ouvrage de FRONTEX. Cette proposition avait fait l’objet d’une discussion extrêmement animée, mais très riche, avec l’Italie. Si Mare Nostrum, décidée par les seuls Italiens, était une opération humanitaire digne et noble, dont la vertu est d’avoir sauvé des vies, elle avait aussi incité les passeurs à faire monter un plus grand nombre de migrants sur des embarcations de plus en plus nombreuses et de plus en plus frêles, ce qui, au final, avait entraîné plus de sauvetages, mais aussi plus de morts.
C'est la raison pour laquelle nous pensions qu’une opération conduite sous la maîtrise d’ouvrage de FRONTEX était de nature à permettre un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne et, dans le même temps, d’armer celle-ci afin de lui permettre de lutter contre les filières de passeurs, ces organisations internationales du crime qui sont de véritables filières de la traite des êtres humains.
Travailler avec les pays de provenance, substituer à l’opération Mare Nostrum une opération sous maîtrise d’ouvrage de l’Union européenne, c'est-à-dire de FRONTEX, lutter contre les filières de l’immigration irrégulière, sauver des vies et, dans le même temps, assurer la protection de nos frontières extérieures : telle était l’ambition que la France proposait aux autres pays de l’Union européenne.
Nous estimions aussi que, dès lors que les flux étaient importants et que cinq des vingt-huit pays de l’Union européenne accueillaient à eux seuls 75 % des demandes d’asile formulées en Europe, il était normal qu’émergent les fondements d’une politique européenne de l’asile afin de permettre une répartition plus équitable des demandeurs d’asile entre les différents pays de l’Union européenne. Cette troisième proposition devait permettre à l’Europe d’être à la hauteur de sa réputation, d’être fidèle aux valeurs de ses pères fondateurs et d’affirmer celles que la France avait longtemps incarnées. Ainsi, par-delà les différences existant entre ses nations, l’Europe pourrait faire face aux drames humanitaires que nous sentions se profiler.
Nous pensions aussi – c’était notre quatrième proposition – qu’il était important d’organiser, pour ceux qui franchissaient les frontières extérieures de l’Union européenne, un dispositif permettant de distinguer les réfugiés des migrants économiques irréguliers, sous maîtrise d’ouvrage de la Commission, avec la contribution éventuelle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, et de FRONTEX. Il s’agissait de procéder à l’enregistrement de tous et de pouvoir accueillir dès leur arrivée sur le territoire de l’Union ceux qui relevaient de l’asile afin de leur éviter l’errance et un nouvel exode sur les routes européennes. Enfin, il s’agissait de permettre à FRONTEX, dans le cadre d’accords de retour avec les pays de la zone sahélo-saharienne qui auraient pu être signés, d’organiser l’éloignement dans des conditions humaines des migrants relevant de l’immigration économique irrégulière.
Ces propositions ont été formulées sans trêve ni pause par la France au cours des derniers mois, jusqu’à ce que l’Union européenne, après que la France eut mutualisé ses propositions avec l’Allemagne, décide de reprendre un certain nombre d’entre elles et de les soumettre à la délibération du Conseil « Justice et affaires intérieures » et du Conseil européen.
Ces derniers mois, nous avons tout fait pour que le dispositif de solidarité, assorti des conditions de responsabilité que je viens d’indiquer, soit mis en œuvre.
Nous nous sommes réjoui que 40 000 réfugiés puissent être répartis entre les vingt-huit pays de l’Union européenne sur une base volontaire, ce principe ayant définitivement été acté par le Conseil « Justice et affaires intérieures » de lundi dernier. L’Allemagne et nous avons indiqué que nous étions disposés à accueillir 120 000 réfugiés supplémentaires au titre du processus de relocalisation compte tenu de l’ampleur de la crise migratoire, de la nécessité d’être à la hauteur du défi que pose celle-ci et de remplir nos obligations politiques et morales.
Sans surprise, l’importance croissante du flux de réfugiés résultant de l’activité intense des passeurs, mais aussi de la dégradation de la situation internationale et de la situation politique, à la fois en Libye et en Syrie, a conduit le gouvernement allemand à décider, dimanche soir, de rétablir des contrôles à ses frontières, sans pour autant fermer sa frontière avec l’Autriche, de telle sorte que soit garantie la bonne application des règles régissant l’Union européenne, notamment le règlement de Dublin et l’accord de Schengen. En effet, il ne peut pas y avoir de solidarité si les règles qui lient les pays de l’Union européenne les uns aux autres ne sont pas respectées.
J’avais d'ailleurs pris des dispositions similaires voilà trois mois, lorsque nous avions constaté, à la frontière franco-italienne, un afflux de réfugiés qui nécessitait que l’on prît ces mesures de régulation et de prudence – au reste, j’avais été critiqué pour cela. Le Premier ministre a indiqué tout à l'heure que, si nous devions être confrontés à des circonstances identiques à celles que nous avons déjà vécues, nous prendrions des dispositions similaires.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous indiquer, par souci de transparence, que les services qui relèvent du ministère de l’intérieur ont d'ores et déjà pris toutes leurs dispositions pour le cas où nous devrions faire face à une situation de cette nature, ce que nous ne souhaitons pas.
La France a donc été constamment à l’action en Europe. Elle l’est encore aujourd'hui, sur le fondement d’une doctrine claire, que le Premier ministre a rappelée tout à l'heure à l’Assemblée nationale et qui se décline en trois principes.
Le premier d’entre eux est la réaffirmation par la France, au sein de l’Union européenne, de la non-négociabilité du statut de réfugié, qui doit être plein, un et entier, à l’instar des principes de la République, et qui doit s’appliquer sur le territoire européen pour tous ceux ayant besoin de protection, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leur religion et leurs orientations politiques, dès lors, bien entendu, qu’ils ne sont pas liés à ces groupes abjects qui, en Syrie, sèment la barbarie et la haine.
Comme le Premier ministre, je veux dire ici à la tribune du Sénat que si nous considérions que l’on peut accueillir les uns et non les autres, les chrétiens et non les représentants des autres minorités, nous dérogerions aux principes du droit d’asile.
Pour m’être entretenu avec les représentants des cultes – et notamment avec ceux de l’épiscopat –, je sais qu’il existe, par-delà la sphère publique et politique, un large consensus sur ces valeurs universelles et sur ces principes entre tous ceux qui veulent voir les principes de l’humanité, de la civilisation humaine, les principes humanistes s’appliquer dans leur entièreté.
Ici, à la tribune du Sénat, je tenais à rappeler la nécessité de ne jamais oublier ces principes, dès lors que l’essentiel est en jeu, c’est-à-dire l’avenir de l’humanité.
Nous avons agi en Europe en respectant l’équilibre entre responsabilité et humanité. Nous avons aussi – et vous le savez mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous avez largement participé aux débats sur ce sujet – agi en France. Face à une crise grave, il ne suffit pas simplement de faire preuve de générosité ou d’affirmer des principes. Il faut être en situation de faire face. C'est la raison pour laquelle la doctrine de la France n’a jamais changé en Europe ; c'est la raison pour laquelle nous n’avons jamais dérogé à l’équilibre entre humanité, responsabilité et fermeté ; c'est la raison pour laquelle nous avons voulu mettre au niveau notre système d’asile en France.
Qu’avons-nous fait ? Les travaux conduits à la fois par Valérie Létard et Jean-Louis Tourenne au Sénat, c’est-à-dire à la fois par la majorité et l’opposition, ainsi que par Jeanine Dubié et Arnaud Richard à l’Assemblée nationale, les réflexions menées par les rapporteurs de la loi relative à la réforme du droit d’asile, aussi bien à l’Assemblée nationale – à cet égard, je salue le travail de Sandrine Mazetier et du président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas – qu’au Sénat – je salue également le travail du président Philippe Bas et du rapporteur François-Noël Buffet, car nous avons avancé et débattu ensemble –, nous ont permis de mettre notre système d’asile en conformité avec les directives européennes.
Nous avons ainsi réduit la durée de traitement des dossiers des demandeurs d’asile de vingt-quatre à neuf mois. Pour ce faire, nous avons octroyé des moyens significatifs à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA. Plusieurs dizaines d’emplois ont été créés – cinquante, très exactement – et d’autres le seront à suite de la décision d’instaurer un mécanisme de relocalisation – 196 très exactement – au sein de l’OFPRA, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – l’OFII – et des services préfectoraux, du fait de la mise en œuvre, dans les prochains mois, du guichet unique.
Nous avons également décidé de mettre à niveau notre dispositif d’accueil en créant 13 000 places supplémentaires dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, auxquelles s’ajouteront les 5 000 places annoncées par le Premier ministre cet après-midi à l’Assemblée nationale, afin de nous permettre de faire face à nos obligations dans le cadre du processus européen de solidarité, de relocalisation et de réinstallation. Au total, le Gouvernement aura porté à 18 500 le nombre de places en CADA d’ici à la fin du quinquennat, quand il n’en avait été créé que 2 000 sous la précédente législature.
Nous avons également décidé d’améliorer la reconnaissance des droits des demandeurs d’asile devant les instances ayant à connaître de leurs dossiers. Nous avons ainsi inscrit dans la loi le caractère suspensif des démarches effectuées devant le juge dans le cadre de procédures accélérées et autorisé les demandeurs d’asile à être accompagnés de leur conseil lorsqu’ils engagent des démarches auprès de l’OFPRA.
Quel est le résultat de cette loi, sachant que les moyens ont été alloués avant qu’elle ne soit votée ? Nous sommes parvenus à augmenter de 20 % le nombre de dossiers traités cette année et à raccourcir d’autant la durée des délais d’examen. Nous avons donc mis en œuvre un traitement à la fois plus humain et plus rapide, une prise en compte plus exigeante des difficultés auxquelles sont confrontés les demandeurs d’asile et, dans le même temps, permis le retour à la frontière de ceux qui ont été déboutés dans des conditions plus simples humainement et administrativement.
Nous avons débattu de ces questions lors de l’examen de la loi relative à la réforme de l’asile. Je veux, là aussi, réaffirmer clairement devant le Sénat les principes qui guident notre action. Si nous voulons pouvoir accueillir en France et en Europe toutes les personnes relevant du statut de réfugié, ceux qui n’en relèvent pas – c’est-à-dire ceux qui ont été déboutés à l’issue de procédures au cours desquelles leurs droits ont été reconnus et confortés – doivent être reconduits à la frontière dans des conditions humainement acceptables. À défaut, il n’y aura n’est pas de soutenabilité de l’asile en France. Raccourcir les délais, c’est aussi permettre une reconduite à la frontière plus aisée des déboutés du droit d’asile.
Un certain nombre de parlementaires ou de responsables politiques indiquent parfois que nous ne reconduisons qu’entre 10 % et 17 % des déboutés du droit d’asile et que les autres restent en France.
Au cours de l’année qui vient de s’écouler, le nombre de déboutés du droit d’asile ayant fait l’objet d’un éloignement – dans des conditions particulièrement méticuleuses, les services veillant, lors des reconduites, à respecter les principes d’humanité – a augmenté de près de 20 %. Nous entendons, grâce à la loi relative à la réforme du droit d’asile, poursuivre ces efforts. Autrement, encore une fois, notre action ne serait pas soutenable.
Les personnes relevant de l’immigration irrégulière doivent pouvoir être reconduites à la frontière de la même façon. Je donnerai tout à l'heure des chiffres extrêmement précis sur ce sujet. Sachez dès à présent que le nombre des reconduites forcées, les plus difficiles à mettre en œuvre – il n’inclut pas les retours spontanés, comme cela était le cas dans le passé – a augmenté de plus de 13 % l’an dernier et qu’il est passé de 13 000 à 16 000 au cours de la période 2012-2015.
Là encore, notre volonté d’accueillir tous ceux qui doivent l’être n’est pas compatible avec un manque de fermeté vis-à-vis de ceux qui ne peuvent rester sur le territoire national. Il n’est pas d’humanité sans responsabilité, tout comme il n’est pas d’humanité sans application ferme des principes du droit votés par la représentation nationale sur ces questions essentielles.
Nous ne nous sommes pas contentés d’adapter notre système d’asile – avec les résultats que je viens de vous indiquer –, nous avons également souhaité renforcer les moyens alloués aux forces de l’ordre, car il est impossible de lutter contre l’immigration irrégulière et les filières de passeurs si nous ne mettons pas à niveau notre dispositif policier.
À cet égard, la suppression de quinze unités de forces mobiles entre 2007 et 2012 a eu, dans le contexte que nous connaissons, quelques effets collatéraux. Elles nous manquent dans le cadre du plan Vigipirate, alors que le risque terroriste est élevé, qu’il faut sécuriser les frontières et les infrastructures de transport lourdes, à la fois à Calais et à Vintimille, qu’il faut assurer la présence d’unités de forces mobiles dans des quartiers sensibles, ce qui est un facteur de diminution de la délinquance. La disparition de ces unités se traduit par des tensions sur les effectifs du ministère de l’intérieur, lequel se doit, en toutes circonstances, d’être en situation de remplir ses missions régaliennes.
C'est la raison pour laquelle le Premier ministre, dans la continuité de son action lorsqu’il était ministre de l’intérieur, a décidé, malgré la contrainte budgétaire, d’augmenter les moyens des services du ministère de l’intérieur en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière : 500 policiers et gendarmes supplémentaires leur seront affectés chaque année. Par ailleurs, 1 500 fonctionnaires seront affectés à la lutte contre le terrorisme dans le cadre du plan de lutte antiterroriste arrêté en janvier dernier.
Le Premier ministre a indiqué que, face à l’ampleur du phénomène migratoire, 900 policiers et gendarmes supplémentaires seraient affectés aux forces de sécurité dans les deux ans à venir afin de leur permettre de remplir les missions qui sont les leurs en matière de contrôle des frontières et de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière.
Sans attendre cette remise à niveau, quels résultats avons-nous obtenu en matière de lutte contre l’immigration irrégulière et de démantèlement des filières ? Depuis le début de l’année, 177 filières ont été démantelées et 3 300 personnes ont été interpellées, dont une grande partie ont été judiciarisées. Cette horde de délinquants, qui relève des filières de la traite des êtres humains, pousse vers la mort des femmes et des hommes en situation de vulnérabilité.
Le nombre d’acteurs de l’immigration irrégulière que nous avons maîtrisés depuis 2014 a augmenté de 25 % – nous avions le même résultat entre 2014 et 2015. Dans la seule ville de Calais – je parle sous le contrôle de la sénatrice Natacha Bouchart –, vingt filières de l’immigration irrégulière ont été démantelées depuis le début de l’année, ce qui représente environ 800 personnes.
Nous entendons poursuivre résolument cette action, sans trêve ni pause. Nous devons combattre tant à l’échelon national qu’à l’échelon européen les filières de l’immigration irrégulière, qui relèvent de la traite des êtres humains.
Voilà ce que nous avons fait au plan national et au plan européen. Je dirai maintenant quelques mots sur ce qu’il reste à faire.
Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France permettra au Gouvernement de disposer d’autres outils pour procéder à l’éloignement, dans des conditions humaines, de ceux qui doivent quitter le territoire.
Ainsi, les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire seront clarifiées. Par ailleurs, nous nous dotons d’outils qui nous permettront de convaincre ceux qui refusent de se soumettre aux règles de l’Union européenne de le faire grâce à l’efficacité des processus de judiciarisation.
Je suis convaincu que l’articulation entre la loi relative à la réforme du droit d’asile et le projet de loi relatif au droit des étrangers en France qui vous sera soumis dans les prochaines semaines permettra d’obtenir des résultats.
À quelques jours du Conseil « Justice et Affaires intérieures », d’autres mesures doivent être concrétisées. Là encore, le Premier ministre a eu l’occasion, devant l’Assemblée nationale voilà quelques heures, d’indiquer quelles seraient les priorités de la France. Je les résumerai en quelques mots.
Premièrement, il s’agit de faire en sorte que les hot spots, dont le principe a été acté à l’occasion du Conseil « Justice et Affaires intérieures » de lundi dernier, soient effectivement mis en œuvre dans les prochains jours, sous maîtrise d’ouvrage de l’Union européenne, notamment en Grèce, afin que le processus de relocalisation puisse être enclenché et que la détresse des migrants relevant du statut de réfugié puisse être soulagée dans les meilleurs délais. Pour ce faire – et dès lors que le principe a été acté lundi dernier –, nous avons besoin d’un engagement fort et rapide de la Commission européenne.
Deuxièmement, il est important que Mme Mogherini, la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, qui est en charge de la négociation des conventions de retour avec les pays de provenance et de la mise en place des centres de maintien et de retour, puisse rapidement conclure les conventions avec les pays concernés. En effet, si les personnes qui, dans les hot spots, ne peuvent bénéficier du statut de réfugié ne sont pas reconduites dans leur pays de provenance, les dispositifs mis en place à l’échelon européen ne seront pas efficaces. La France exige donc que ces derniers soient mis en œuvre rapidement.
Troisièmement, nous souhaitons que le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés augmente sa contribution aux centres de réfugiés situés en Turquie, en Jordanie et au Liban afin d’éviter tout nouveau mouvement de populations qui aggraverait encore la crise migratoire. Cela nous permettrait de disposer du temps nécessaire pour mettre en œuvre, dans des conditions maîtrisées, le processus de relocalisation.
La France a fait part de sa disponibilité pour élaborer un dispositif conventionnel avec la Serbie, ce qui permettra à ce pays de nous aider à maîtriser les flux migratoires. La Serbie accepte en effet l’installation, sur son territoire, de centres intermédiaires où séjourneraient pendant quelques semaines des migrants pouvant prétendre au statut de réfugié et ayant vocation à être accueillis en Europe.
Il faut aussi – c’est notre demande – augmenter les moyens de FRONTEX afin d’assurer la bonne maîtrise des frontières extérieures de l’Union européenne.
Pour ce qui concerne le processus de relocalisation, nous avons clairement dit qu’il ne peut y avoir d’Europe à la carte et que la solidarité ne peut pas concerner les uns, mais pas les autres. L’Europe faillirait si les pays qui la composent ne parvenaient pas, ensemble, de façon solidaire, à mettre en œuvre un principe humanitaire, valeur éminente que les pères fondateurs de l’Union européenne ont placée comme une espérance au cœur des institutions européennes.
Nous devons, sur ce sujet, très politique, qui est parfois même au cœur du débat électoral, être extrêmement rigoureux. Il arrive en effet que certains acteurs politiques se montrent approximatifs, pensant ainsi qu’ils pourront réunir beaucoup de voix. Certaines notions ont ainsi été convoquées de manière étrange récemment. Je pense par exemple – et je le dis sans esprit de polémique, mais plutôt dans un esprit juridique –, au statut de « réfugié de guerre ».
Cette notion est intéressante. Il n’y a pas de raison de ne pas accepter qu’elle puisse être mise sur le métier. Sachant qu’il existe en France deux dispositifs – le droit d’asile, qui est un et indivisible et qui ne distingue pas les réfugiés selon la nature des drames auxquels ils sont confrontés, et la protection dite « subsidiaire », qui permet à ceux qui sont victimes de la guerre dans leur pays, mais qui ne relèvent pas de l’asile parce qu’ils ne sont pas persécutés, de bénéficier d’une protection en France –, il nous semblait que la totalité du champ des possibles auquel des hommes et des femmes en situation de vulnérabilité peuvent être confrontés était parfaitement couverte.
On m’a alors expliqué que le statut de réfugié de guerre figurait dans une directive de 2001. Or vous pouvez la lire, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne l’y trouverez nulle part. Vous y découvrirez en revanche le concept de protection transitoire, qui est l’équivalent à l’échelon européen de la protection subsidiaire.
Par conséquent, la proposition de créer un statut de réfugié de guerre ne me choque pas, mais elle est d’une inutilité absolue, car ceux qui pourraient relever du statut de réfugié de guerre en Europe peuvent bénéficier, dans les mêmes conditions, de la protection subsidiaire en France. Ce dispositif existe déjà en droit français.
Il n’est jamais mauvais de proposer ce qui existe déjà depuis longtemps et que personne ne conteste jamais puisqu’on s’y est accoutumé. C’est même la meilleure manière de dégager un consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Ce qui est plus étrange, surtout de la part d’un haut responsable politique ayant exercé les responsabilités qui sont actuellement les miennes, c’est de présenter comme totalement nouveau un dispositif qui existe depuis très longtemps et que chacun connaît, dès lors qu’on s’intéresse à ces sujets.
Je pourrais prendre un autre exemple, celui de Schengen. On propose un Schengen II. Pourquoi pas ? J’ai moi-même souvent ressenti la nécessité de faire évoluer Schengen. Ainsi, pour mieux lutter contre le terrorisme, on pourrait procéder, dans le cadre du code Schengen actuel, à des contrôles coordonnés et simultanés aux frontières de l’Union européenne. Parce que les règles l’autorisent, il ne serait ni absurde ni choquant de mettre en place de tels contrôles, à l’instar de ce que font les Allemands ou de ce que j’ai mis en place voilà quelques mois à la frontière franco-italienne.
Je me suis donc interrogé sur ce que serait un Schengen II. Plusieurs déclarations intéressantes m’ont éclairé.
Selon la première d’entre elles, Schengen II serait un Schengen I dont on respecterait les règles ! (Sourires.) Il est rare que des ensembles aussi complexes que l’Union européenne se dotent de règles pour ne pas les respecter. Si Schengen II, c’est Schengen I dont on respecterait les règles, nous n’aurons pas de désaccord manifeste, mesdames, messieurs les sénateurs, si ce n’est avec un ou deux sénateurs que j’aperçois en haut de l’hémicycle.
Ensuite, j’ai entendu dire que Schengen II permettrait des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, afin que ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié ne puissent pas les franchir.
Lorsque, dans le cadre de Schengen I, on propose la création de hot spots en Italie et en Grèce, que fait-on si ce n’est assurer la protection des frontières extérieures de l’Union européenne en mettant en place des dispositifs permettant de distinguer les réfugiés de ceux qui ne le sont pas ? Par conséquent, si Schengen II prévoit que l’on pourra faire ce que nous faisons déjà dans le cadre de Schengen I, je n’ai pas vraiment de désaccord.
Une troisième proposition est apparue dans Le Figaro la semaine dernière : Schengen II prévoirait le rétablissement de frontières à l’intérieur de l’Union européenne, mais uniquement pour ceux qui ne sont pas européens. Sur ce point, il nous sera plus compliqué de trouver un accord. En effet, si nous mettions en place des frontières intérieures, c'est-à-dire entre nos pays, outre le fait qu’il faudra mettre en œuvre des moyens considérables pour les réinstaurer, à partir de quels critères et selon quelles modalités distinguera-t-on les Européens des autres ? Comment ferons-nous sans les interpeller tous, sans les bloquer tous à la frontière ?
Malgré les progrès réalisés par nos meilleures industries – Morpho, Safran et les autres –, aucun dispositif ne permet aujourd’hui de distinguer les Européens des autres aux frontières.
Ainsi, si la seule modification envisagée pour l’espace Schengen est la mise en place d’un tel dispositif, il faudra discuter longtemps dans cet hémicycle et dans d’autres, notamment au Parlement européen, pour réussir à trouver un accord, sans remettre totalement en cause le fonctionnement de l’Union européenne, y compris celui du marché intérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que le débat que nous aurons ce soir nous permettra de cheminer ensemble. J’ai grand espoir que ce soit le cas, mais une lueur de lucidité me conduit aussi à penser que cet objectif pourrait ne pas être atteint aujourd'hui. C’est la raison pour laquelle je suis tout à fait prêt à revenir la semaine prochaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)