M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Robert Navarro. Depuis la fin de l’année 2013, je suis mobilisé, avec d’autres, afin de soutenir une PME innovante, l’entreprise Irrifrance, et ses 140 salariés. Située à Paulhan dans l’Hérault, cette société est spécialisée dans la fabrication de matériels d’irrigation. Elle est soutenue par OSEO, le FEDER – le Fonds européen de développement régional – et la région Languedoc-Roussillon. Particulièrement innovante, elle vient d’être récompensée pour son « pivot solaire » au salon international de l’eau.
Voulant exporter plus facilement et conquérir de nouveaux marchés, Irrifrance a néanmoins dû se battre pendant trois ans afin d’obtenir une « garantie assurance prospection » de la part de la COFACE – la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur – et un appui de la BPI, la Banque publique d’investissement ; trois années durant lesquelles le dossier a été bloqué, pour d’obscures raisons diplomatiques, et sans qu’un refus ait pour autant été motivé, trois années qui ont entraîné des difficultés pour cette entreprise.
La société demande un soutien de la BPI pour un contrat de développement participatif et une aide à l’innovation. Pourtant, malgré un soutien à l’échelon régional, la direction de la BPI à Paris refuse de se prononcer et n’accepte pas le moindre rendez-vous. Un tel blocage par l’administration est inadmissible !
De deux choses l’une : ou bien le dossier remplit les critères pour être soutenu, ce dont je suis convaincu, et, dans ce cas, il doit l’être ; ou bien, ce dossier n’est pas éligible, auquel cas la BPI doit se prononcer et motiver sa décision. En off, celle-ci aurait déclaré qu’« elle n’interviendrait en aucune façon dans la société tant que l’actionnaire actuel serait en place ».
Que faire ? Quelles que soient les raisons diplomatiques, la question des 140 emplois dans un territoire où ils sont indispensables est, à mon sens, prioritaire. Aussi, je demande au Gouvernement de s’engager sur deux points précis. Je souhaite, d’une part, que la BPI accorde enfin un rendez-vous aux dirigeants de la société et, d’autre part, qu’elle se prononce sur les dossiers déposés. Le Gouvernement est résolument engagé pour l’emploi. Néanmoins, si l’administration abuse de son pouvoir, les dispositifs en place menacent de rester lettre morte.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du commerce.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous l’avez indiqué, Irrifrance est une entreprise implantée depuis des années à Paulhan, en région Languedoc-Roussillon. Cette PME spécialisée dans la conception et la fabrication de matériels d’irrigation emploie près de 140 salariés.
Il est incontestable que cette société est reconnue dans son secteur et peut se prévaloir d’une renommée internationale. Elle s’est d’ailleurs vue remettre le trophée Hydro innovation 2015 pour le développement d’un nouveau concept de pivot autonome alimenté par énergie solaire. Il n’empêche que la société traverse aujourd'hui une période difficile.
Comme vous le savez, le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois avec la direction de l’entreprise pour trouver des solutions aux difficultés que celle-ci rencontre. Le défi que doit relever Irrifrance consiste à trouver de nouveaux marchés et à compenser cette situation par un développement important de son activité à l’export. D’ailleurs, je tiens à le souligner, ses dirigeants et ses salariés ne ménagent pas leurs efforts pour conquérir les marchés à l’international.
Irrifrance sollicite également la COFACE pour l’octroi de garanties publiques sur les prospects à l’export dans les territoires où elle est positionnée. Les projets les plus aboutis ont d’ailleurs pu être accompagnés, d’autres sont en cours d’instruction.
Un tel développement, qu’il s’agisse du volet innovation ou du volet export, nécessite des moyens financiers. Des discussions sont à ce titre engagées entre l’actionnaire et le management de l’entreprise.
La BPI n’a pas vocation à se substituer à l’actionnaire. C’est avant tout à ce dernier que revient la responsabilité de définir la stratégie de sa société. Il doit accompagner financièrement son développement, examiner éventuellement un adossement industriel ou créer des partenariats afin de renforcer l’entreprise dont le potentiel est important, tant la demande sur les marchés de l’irrigation s’intensifie. C’est dans ce cadre, avec une stratégie clairement établie et une vision de long terme, que la BPI pourrait s’inscrire.
Soyez certain que le Gouvernement reste entièrement mobilisé et est en contact fréquent avec l’entreprise afin de répondre aux besoins d’Irrifrance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Étude d'impact en application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Discussion et retrait d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 776, texte de la commission n° 510, rapport n° 509).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, coauteur de la proposition de loi organique.
M. Pierre-Yves Collombat, coauteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, compte tenu de l’importance de l’assistance cet après-midi, de préciser de quoi il va être aujourd'hui question.
L'article unique auquel se résume la proposition de loi organique initiale du groupe du RDSE que j'ai l'honneur de présenter est ainsi rédigé : « Les huitième à dixième alinéas de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés. » Il me semble qu’il demande quelques explications.
Aux termes de l'article 39, alinéa 3, de la Constitution, issu de la réforme du 23 juillet 2008, « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique », en l'espèce, la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
L'article 8 de cette loi dispose que « les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact », dont le contenu est défini aux alinéas 2 à 11, et que les documents rendant compte de cette étude d’impact doivent être exposés « avec précision », selon l'alinéa 3. Une étude d'impact ne saurait donc être un recueil de généralités et de banalités rassemblées à la hâte.
La proposition de loi organique que nous vous soumettons aujourd'hui, tout en conservant l'obligation d'informer le Parlement sur l'impact juridique des projets de loi, supprime les obligations prévues aux alinéas 8, 9 et 10 de l’article susvisé, soit « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ; l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ; les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ».
Pour terminer, s’agissant de la procédure, je rappelle que l'article 39, alinéa 4, de la Constitution prévoit qu'un projet de loi ne peut être inscrit à l'ordre du jour du Parlement si « la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. »
Après ce préliminaire, permettez-moi de vous présenter maintenant les motivations et les enjeux de la présente proposition de loi organique.
Si j'étais un disciple du père Malebranche, je dirais que la cause occasionnelle de ce texte est la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, après saisine du Premier ministre, validant l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Cette saisine a fait suite au refus de la conférence des présidents du Sénat d'inscrire à l'ordre du jour ledit projet de loi, au motif que son étude d'impact était insuffisante au regard de la loi organique du 15 avril 2009. (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)
Par ailleurs, la cause efficiente, le moteur de cette proposition de loi organique, après la décision particulièrement désinvolte – et je pèse mes mots – du Conseil constitutionnel, c'est le constat fait par M. le rapporteur de l'échec définitif de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 à imposer au Gouvernement des études d'impact dignes de ce nom. On peut lire dans son rapport : « On peut conclure de ce bilan d’étape après sept ans d’application de ce dispositif d’évaluation que ses effets sont loin d’être concluants. D’une part, il n’a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation […] D’autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d’impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l’état ce dispositif. »
On peut difficilement faire plus « bidon » que l’étude d’impact annexée au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Une étude d'impact ne saurait être un recueil de généralités et de banalités rassemblées à la hâte, disais-je précédemment. Pourtant, le Conseil constitutionnel a validé toutes les arguties du Gouvernement permettant de passer outre cette analyse : ainsi, l’utilisation des données de l’INSEE, de la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, ou de la DGCL, la Direction générale des collectivités locales, vaut exposé des méthodes de calcul ; l’addition de la population, du PIB, des budgets des anciennes régions composant une nouvelle région, puis la division du résultat ainsi obtenu par la population pour parvenir à des ratios par habitant sont des « éléments de nature à éclairer le Parlement » – il ne sait faire ni addition ni division ! – sur les effets démographiques de la réforme, en termes de richesse ou de gestion administrative.
Le Conseil constitutionnel va même jusqu'à considérer comme non significative l'inobservation de l'alinéa 9 de l’article 8 de la loi organique précitée, en l'espèce l’exposition avec précision de « l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public », au motif que « le Gouvernement ne mentionne pas la modification [du] nombre [des emplois publics] dans les objectifs poursuivis par [le] projet de loi ». L'avenir est donc aux projets de loi dont l'exposé des motifs se résumerait à cette phrase : l’objectif de la loi est de réformer ! Circulez, il n’y a pas d’étude d’impact à faire ! C'est à de tels détails que l'on mesure le mieux le mépris dans lequel la haute bureaucratie tient députés et sénateurs.
M. Jacques Mézard. Excellent !
M. Pierre-Yves Collombat. Aux termes de l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, l'objectif de ce texte est, entre autres, « d'améliorer la gouvernance territoriale ainsi que l'efficacité et l'efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires » par un redécoupage des régions, afin de donner « à ces dernières une taille critique sur le plan géographique, démographique et économique. » Or l'étude d'impact évite soigneusement de poser la question de la pertinence de la notion de « taille critique » en matière d'économie, de développement, de gouvernance. Même en Allemagne, pays auquel on compare la France, les Länder sont très hétérogènes eu égard aux différents points de vue que j’ai exposés. Ainsi la Bavière, le plus grand Land, est-elle vingt et une fois plus peuplée que la Brême, le plus petit Land, dont le PIB est seize fois et demie inférieur au sien. S'il y a un succès économique allemand, il ne doit rien à la « taille critique » des collectivités territoriales du pays.
Évidemment, l'étude d'impact n’explique en rien le lien qui pourrait exister entre le rattachement du Cantal à la région Rhône-Alpes ou celui de la Somme à la région Champagne-Ardenne plutôt qu’au Nord-Pas-de-Calais d'abord envisagé et la dynamisation des territoires respectifs de ces entités.
Évoquant le regroupement de la région Languedoc-Roussillon et de la région Midi-Pyrénées, l’étude d’impact se borne à noter que la nouvelle région « deviendrait […] un lieu de convergence d'axes économiques importants, à la confluence des grands courants d'échanges. Elle disposerait d'atouts géostratégiques indéniables et d'infrastructures adaptées et qui confèrent à la fonction logistique et au transport un potentiel de développement ». Le Conseil constitutionnel a validé ce beau collier de banalités que ne rehausse aucun chiffrage sur les effets économiques et financiers de la future loi, région par région et globalement.
Pourquoi ne pas réunir la région Franche-Comté avec l'Alsace et la Lorraine, ce qui aurait pour avantage de mettre en valeur l'axe Rhin-Rhône et une cohérence historique ancienne ?
Pourquoi créer le « Poichenli », regroupement des actuelles régions Poitou-Charentes, Centre et Limousin, au lieu de prévoir un rapprochement avec d’autres collectivités ? Pourquoi constituer une grande région Rhône-Alpes-Auvergne ? Pourquoi les petits Pays de la Loire ont-ils été oubliés ? Ceux qui ont suivi les allers-retours entre l'Élysée et Matignon et l'évolution des cartes ont bien une idée sur la réponse, mais on n’en trouve nulle trace dans l’étude d’impact.
M. Jacques Mézard. Excellent !
M. Pierre-Yves Collombat. Selon l'étude d'impact, l’objectif de la loi est, en outre, d'appuyer le redressement financier et économique du pays « sur une réforme structurelle renforçant l'efficacité de l'action des collectivités territoriales. » Cette étude invoque des « économies d'échelles », lesquelles sont aussi célèbres que l'Arlésienne, mais n’en dit rien...
On comprend d’ailleurs le silence des auteurs de ce document, les chiffres les plus divers circulant. Selon le Gouvernement, les économies attendues de la réforme de l'organisation territoriale et communale varient entre 12 milliards d'euros et 25 milliards d'euros. L'OCDE, pour sa part, considère que, au stade actuel du processus, il n’est pas possible de le savoir. Quant à la Commission européenne, elle doute que, à moyen terme, la réforme ait le moindre effet positif. Elle juge même que, à court terme, elle pourrait avoir des effets négatifs.
Mais, me dira-t-on, n’est-ce pas faire preuve d’inconséquence que de demander la suppression de l'obligation pour le Gouvernement d'éclairer le Parlement sur les effets les plus importants des projets de loi en raison de l'insuffisance des études d'impact actuelles ? Ne faudrait-il pas, au contraire, exiger plus du Gouvernement, et mieux préciser ses obligations ? S'il existait un juge pour faire respecter les obligations actuelles comme les nouvelles, la réponse à ces questions serait : très certainement.
Puisque tel n'est pas le cas, mieux vaut appeler un chat un chat et dire clairement que les études d'impact ne sont pas des études, encore moins des études « d’impact » : elles sont un simple emballage rhétorique des projets de loi. Si l'on veut véritablement donner au Parlement les moyens de légiférer et de contrôler en toute connaissance de cause, il faut trouver autre chose, par exemple, lui octroyer des moyens propres, comme c'est le cas dans d'autres démocraties, où le parlementarisme n'a pas été encore « rationalisé ».
Maintenir la fiction actuelle, c'est interdire toute réforme, sérieuse celle-là, de notre démocratie.
J’en viens à mon dernier point.
La cause finale, …
M. Jean-Pierre Sueur. Ah ! je l’attendais ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. … l'objectif de cette proposition de loi organique est d'en finir non seulement avec l’une de ces lois inutiles qui, selon le mot bien connu de Montesquieu, affaiblissent les lois nécessaires, mais également avec les trompe-l’œil démocratiques, les dispositifs décoratifs qui, années après année, ont été accrochés aux voûtes de la Constitution pour éviter d'avoir à affronter les blocages bien réels d'une Ve République vieillissante. Ce pourrait être la suite de ce texte, une fois adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme M. Pierre-Yves Collombat vient de l’indiquer, la proposition de loi organique qui a été déposée par le groupe du RDSE porte sur les dispositions de la loi organique de 2009 relative aux études d’impact. Elle a un objet manifeste et un objet latent.
L’objet manifeste est de prendre acte du fait que le Gouvernement est totalement libre d’entendre par « étude d’impact » ce qu’il veut. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel ne se sent pas en mesure de contester la façon dont le Gouvernement interprète la notion d’étude d’impact.
L’objet latent est de constater que le contrôle donné au Parlement à travers les études d’impact n’existe pas en fait. Sous cet angle, la révision constitutionnelle de 2008 a totalement échoué.
La commission, après avoir examiné ce texte, l’a adopté et complété par des dispositions, afin d’encadrer davantage la façon dont le Gouvernement présente ses projets de loi et de permettre à la conférence des présidents d’avoir plus le loisir d’analyser les projets de loi et ce qu’il reste des études d’impact qui lui sont soumis.
Comme je viens de l’indiquer, la présente proposition de loi organique part d’un constat : le Gouvernement est totalement libre de mettre dans ces études d’impact ce qu’il veut.
Ainsi, après avoir élaboré à une vitesse accélérée le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le Gouvernement y a ensuite joint un certain nombre de documents ; il a donc rempli les annexes, si je puis dire, en ajoutant notamment une étude d’impact. Or il a considéré, par exemple, que les effets de ce texte en matière d’emploi public ne figuraient pas parmi ses objectifs.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la conférence des présidents a estimé que, dans ces conditions, il n’y avait pas lieu d’examiner le projet de loi puisqu’il ne comportait pas de véritable étude d’impact. Le Gouvernement a alors fait appel de cette décision et demandé au Conseil constitutionnel de statuer.
Le Conseil, le 1er juillet 2014, s’est prononcé lui aussi, en quelque sorte, en procédure accélérée : ayant d’autres dossiers à examiner, il n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à l’examen de cette saisine, qui était la première effectuée en vertu de l’article 39 de la Constitution. Et il a validé la façon de procéder du Gouvernement. Celui-ci ayant affirmé que l’évaluation des effets du projet de loi en cause sur l’emploi public ne faisait pas partie de ses objectifs, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’en fallait pas plus et qu’il n’y avait pas de raison de sanctionner le Gouvernement. Il a donc pris pour argent comptant cette attitude gouvernementale.
Une telle interprétation signifie qu’une étude d’impact n’est pas l’étude des effets objectifs d’un texte sur l’économie, les finances, l’emploi public, etc., quel que soit le point de vue de l’auteur du projet de loi, mais qu’elle consiste tout simplement à analyser la façon dont cet auteur interprète la loi et que l’on s’en tient purement et simplement à cette interprétation. La loi organique de 2009 et son article 39 n’ont évidemment pas été rédigés dans cette intention.
Cette interprétation pose donc un problème quant à la façon dont le Gouvernement travaille et dont le Conseil constitutionnel le contrôle.
Les auteurs de la proposition de loi organique ont tiré le bilan de cette situation : le Gouvernement a toute latitude pour appliquer ou non l’article 39 de la loi organique précitée et le Conseil constitutionnel n’a ni le temps ni peut-être l’envie d’examiner cette question, au motif qu’il n’est pas le juge d’opportunité, comme on nous l’a dit lors des auditions. Toutefois, en fait, il est bien juge d’opportunité, puisqu’il se range à l’opportunité telle que le Gouvernement l’entend !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Hugues Portelli, rapporteur. Comme ni le Conseil constitutionnel, qui contrôle le Gouvernement, ni le Gouvernement, qui élabore les textes, n’appliquent les dispositions de la loi organique, celles-ci deviennent de facto obsolètes, ou du moins applicables uniquement à géométrie variable, lorsque le Gouvernement le décide.
Cette proposition de loi organique n’est pas originale puisqu’elle reprend mot pour mot les termes d’un amendement déposé par le groupe socialiste lors de l’examen de la loi organique de 2009.
M. Jacques Mézard. Eh oui ! On ne pouvait pas trouver mieux !
M. Philippe Kaltenbach. À l’époque, l’UMP avait voté contre ! J’ai là le compte rendu des débats…
M. Hugues Portelli, rapporteur. Peut-être, mais tel n’est pas le sujet !
Cela étant, la commission des lois s’est rangée au constat dressé par les auteurs de la proposition de loi organique.
Mais à partir du moment où l’étude d’impact perd en grande partie de son sens, que reste-t-il ? Un certain nombre d’éléments de la loi organique demeurent. En effet, celle-ci prévoit, certes, que le Gouvernement doit exposer avec précision – ce qu’il ne fait pas – notamment les effets économiques, financiers, les conséquences sur l’emploi public des projets de loi, mais elle lui impose également d’autres obligations.
Ainsi, le Gouvernement doit étudier quels sont les effets du projet de loi en question sur le droit en vigueur, qu’il soit national, européen ou international – il s’agit tout de même du premier travail de l’exécutif. Il doit également exposer les consultations qui ont été menées avant le dépôt de ce texte. Enfin, il doit faire état de la façon dont le Conseil économique, social et environnemental a examiné celui-ci.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la première mention des études d’impact date de 1958, avant même qu’on les réinvente en 2008, avec l’évaluation par le Conseil économique et social des projets de loi.
Par conséquent, si cette proposition de loi organique est adoptée, il reste un certain nombre de dispositions en matière d’étude d’impact.
Comme je l’ai mentionné au début de mon intervention, la commission des lois a adopté un certain nombre de dispositions complémentaires.
Premièrement, elle souhaite que la conférence des présidents dispose de plus de temps pour examiner les projets de loi et les études d’impact qui leur sont annexées. Actuellement, elle n’a que dix jours pour le faire, ce qui ne lui permet pas de travailler sérieusement. La commission propose donc que la conférence des présidents bénéficie d’un mois complet pour effectuer ce travail. En effet, même si la portée des études d’impact est réduite, celles-ci seront cependant assez fournies pour rendre ce laps de temps nécessaire si l’on veut qu’un travail effectif soit réalisé.
Deuxièmement, la commission est favorable à la publicité des avis du Conseil d’État sur les projets de loi que, je vous le rappelle le Président de la République, a souhaitée. La commission se rallie totalement à ce point de vue et le défendait d’ailleurs.
M. Philippe Kaltenbach. C’est une très bonne chose !
M. Hugues Portelli, rapporteur. C’est d’autant plus important que, dès lors que le Conseil d’État saura que ses avis seront rendus publics, le contenu de ceux-ci sera différent. En effet, les avis du Conseil d’État tels qu’ils sont aujourd'hui rédigés ont un caractère confidentiel, parfois un peu ésotérique, puisqu’ils ne s’adressent qu’aux initiés. La publicité conduira à des avis davantage étoffés et permettra une meilleure connaissance de la façon dont le conseil juridique de l’exécutif envisage le texte qui lui est proposé.
Troisièmement, la commission demande que le Gouvernement motive le recours à la procédure accélérée. Ce point est important pour une raison très simple : la conférence des présidents est amenée à se prononcer sur le recours à la procédure accélérée, à donner son accord ou non. Même s’il est très rare, pour toutes sortes de raisons, que les conférences des présidents des deux assemblées s’accordent pour dire qu’elles refusent un tel recours, la procédure existe. Si le Gouvernement motivait sa décision, le débat s’engagerait sur des bases beaucoup plus solides.
Quatrièmement, la commission souhaite que les amendements déposés par le Gouvernement et qui modifient substantiellement le contenu d’un projet de loi fassent l’objet d’une étude d’impact.
Pour justifier cette requête, je vous donnerai un seul exemple, mes chers collègues. Lors de l’examen, en 2013, d’un texte concernant la fonction publique et dont j’étais le rapporteur, on a vu apparaître au cours du débat un amendement du Gouvernement tendant à rien moins qu’inverser la règle en matière de décision administrative : désormais, le silence de l’administration vaudrait acceptation. Or il s’agissait d’une modification fondamentale. La preuve en est que, depuis deux ans, on prend des mesures pour rendre cette disposition de moins en moins applicable parce qu’elle pose des problèmes considérables. Ainsi, une quarantaine d’exceptions qui concernent uniquement les décisions de l’administration centrale de l’État ont été proposées avant que ne soit étudié le cas des décisions administratives prises par les collectivités territoriales.
Si, à l’époque, cet amendement avait fait l’objet d’une étude d’impact, il est évident qu’il n’aurait jamais été déposé, ou alors beaucoup plus tard.
Tels sont, mes chers collègues, les points sur lesquels la commission des lois a débattu et les ajouts auxquels elle a procédé, pensant ainsi avoir un peu enrichi la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)