M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. M. Karoutchi a en effet beaucoup de talent, mais aussi beaucoup d’influence puisque son amendement n’a pas été frappé par l’article 40 de la Constitution, qui a en revanche été opposé à l’un de mes amendements, alors que ce dernier visait simplement à ce que la régulation soit assurée, non par l’Autorité de la concurrence, mais par le ministère. Là, on a sorti le bazooka de l’article 40 ! (Sourires.)
Sur le fond, je reconnais que la question du pouvoir d’achat est centrale au regard de la croissance de notre économie. Bien sûr, nous devons mener une politique équilibrée entre l’amélioration de notre offre à l’exportation et la modernisation de notre appareil productif, mais nous ne pouvons pas vivre non plus sans demande intérieure, car celle-ci permet aussi de remplir les carnets de commande. Cela suppose d’apporter un certain soutien soit à des investissements précisément ciblés, soit au pouvoir d’achat.
En revanche, monsieur Karoutchi, la mesure que vous préconisez n’est pas bonne. Notre collègue centriste a fort bien démontré le caractère injuste de ce mécanisme des heures supplémentaires. Nous avions contesté cette mesure hier et nous maintenons que ce ne serait pas une bonne décision aujourd'hui.
Non sans réalisme, M. le ministre a indiqué que la suppression d’une mesure qui donnait du pouvoir d’achat aux ménages ne se faisait généralement pas dans la joie et l’allégresse, surtout si rien ne se substitue à cette mesure.
Pour avoir bien suivi l’élaboration de notre programme de campagne, celui qui aurait dû être mis en œuvre, je me souviens qu’était aussi prévue une réforme fiscale visant à rendre la CSG progressive. Or alléger la CSG pour les revenus les plus modestes aurait été de nature à compenser en grande partie la perte de pouvoir d’achat que certains ont pu subir après la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, tout en offrant à d’autres, qui en ont également bien besoin et qui ne bénéficiaient pas de ces heures supplémentaires, un complément de revenu.
C’est donc la coïncidence de ces deux mesures qui aurait été de nature à éviter le sentiment, pour certains, d’être privés d’une part de leur pouvoir d’achat.
Mais ne refaisons pas l’histoire ! Ce n’est plus le sujet d’aujourd’hui. Nous aurons de toute façon l’occasion de reparler de la CSG progressive puisque le Premier ministre vient de signer un texte dans lequel il dit espérer que l’on pourra, dès 2016, s’engager dans cette voie et aller vers la convergence entre l’impôt sur le revenu et la CSG du point de vue de la progressivité.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne retirerai pas cet amendement ! (Manifestations de désappointement feint.) Soyons sérieux ! (Sourires.)
Mme Lienemann, pour qui j’ai beaucoup de considération, met en avant les côtés injustes de cette mesure, notamment pour ceux qui n’en bénéficiaient pas. Il est évident que l’exonération des heures supplémentaires ne profitait pas, par définition, à celles et ceux qui n’avaient pas d’emploi !
En 2012, d’un trait de plume, le Gouvernement a supprimé cette mesure qui profitait à 7 millions ou 8 millions de personnes.
Depuis trois ans, on entend beaucoup de promesses, mais on ne voit aucun geste d’envergure sur le pouvoir d’achat.
M. Emmanuel Macron, ministre. Et la baisse de l’impôt sur le revenu pour les catégories les plus modestes ?
M. Roger Karoutchi. Je n’ai pas le sentiment de dire des énormités…
Il s’agit principalement d’un amendement d’appel, auquel le Gouvernement réservera le sort qu’il voudra à l’Assemblée nationale.
Nous ne devons pas seulement avoir des gestes à l’égard des entreprises. Le pouvoir d’achat, cela compte aussi !
Vous reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, le mécontentement des millions de Français qui ont perdu le bénéfice de cette exonération des heures supplémentaires. En effet, quand vous retirez du pouvoir d’achat à nos concitoyens, vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’ils soient satisfaits !
Que peut-on faire immédiatement en faveur du pouvoir d’achat ? Nous n’ignorons pas les mesures prises par le Gouvernement en matière fiscale. Mais, très sincèrement, elles ne procurent pas le même sentiment de gain de pouvoir d’achat que l’exonération des heures supplémentaires.
J’entends aussi ce que dit Jean-Marc Gabouty : il y aurait sans doute moins d’entreprises concernées qu’en 2007, et donc moins d’heures supplémentaires exonérées. Mais la mesure coûterait alors moins cher, et l’on enverrait néanmoins un signal fort à tous ceux qui travaillent et qui agissent.
L’Assemblée nationale et la CMP décideront du sort à réserver à cet amendement, mais je ne vois pas pourquoi je renoncerais à proposer de réintroduire une mesure populaire, qui avait donné le sentiment à des millions de Français de gagner du pouvoir d’achat. Je comprends très bien tous les éléments de macroéconomie que vous avez avancés, monsieur le ministre, mais, à un moment, il faut prendre en compte le quotidien des gens. Or celui-ci avait été amélioré en 2007 par cette mesure.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Vous vous en doutez, mes chers collègues, nous ne voterons pas en faveur de cet amendement de M. Karoutchi puisque nous avons toujours été partisans de la suppression de cette mesure. Nous avions donc voté ici même, avec grand plaisir, la suppression de ce pan de la fameuse loi TEPA.
Comme je l’ai dit à M. le ministre en commission spéciale lorsqu’il nous a présenté l’amendement n° 1766, que le Sénat vient d’adopter, il donne toujours satisfaction à celles et ceux qui prônent encore plus de libéralisme, sans jamais parvenir à les satisfaire complètement. En effet, à peine un amendement est-il adopté que d’autres sont déjà proposés qui vont encore plus loin dans la demande d’exonérations et de cadeaux aux entreprises.
M. Robert del Picchia. En l’occurrence, ce n’est pas un cadeau aux entreprises !
Mme Annie David. Soyez honnêtes : cette mesure constituait sans doute un gain de pouvoir d’achat pour les salariés, mais les entreprises en profitaient également. Ce dispositif était bien présenté à l’époque comme relevant du « gagnant-gagnant », pour les entreprises et pour les salariés.
L’amendement relatif au plan d’investissement vient tout juste d’être adopté et vous en demandez déjà un peu plus, tout comme hier où, durant une réunion de la commission spéciale, l’un de vos collègues demandait que l’on aille plus loin dans la libéralisation du travail et l’allégement des contraintes du code du travail.
Je voudrais enfin apporter une petite correction. J’ai lu dans la presse que M. le ministre se félicitait de ce que l’amendement n° 1766 du Gouvernement ait été adopté à l’unanimité des membres de la commission spéciale. Je précise qu’il s’agissait des seuls membres présents. En effet, lors de la présentation de cet amendement en commission, j’ai fait part de la colère de mon groupe et nous avons quitté la réunion – la présidente de notre groupe a par la suite procédé à un rappel au règlement en séance sur ce sujet. Si nous avions été présents en commission, nous aurions évidemment voté contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur Karoutchi, d’un point de vue macroéconomique, votre amendement représente une très grossière erreur dans le contexte actuel.
Selon les chiffres communiqués par l’INSEE voilà quelques jours, c’est la consommation qui marche dans notre pays. De fait, l’inflation étant très faible, le pouvoir d’achat est orienté dans un sens positif.
De plus, si l’on dresse le bilan du CICE, on voit que son utilisation ne s’est pas portée prioritairement sur l’investissement, mais sur les augmentations de salaires.
Votre mesure n’intervient donc pas au bon moment, mon cher collègue.
Nous sommes surtout confrontés à un vieillissement de l’appareil productif et à une panne de l’investissement privé. Pour ce qui concerne l’investissement public, comme l’a annoncé le Premier ministre, il y aura des mesures pour que les collectivités locales puissent bénéficier, par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, d’une trésorerie mise à disposition au titre du remboursement de la TVA.
Vous voulez revenir sur un dispositif que nous avons supprimé. C’est vrai que cette décision nous a coûté assez cher en termes de popularité. Mais un gouvernement doit avant tout œuvrer pour le bien de la Nation.
Le rajeunissement de notre appareil productif accuse un retard. Nos entreprises sont parmi les moins robotisées d’Europe. Est-ce normal ?
La mesure favorable à l’investissement que nous avons votée tout à l'heure est cohérente avec une politique qui vise à remettre sur pied notre appareil productif. Il ne sert à rien de relancer un moteur qui marche déjà !
Il y a une guerre des prix dans la grande distribution. Elle a abouti – d’une manière assez dramatique, du reste – à une baisse des prix, notamment pour les produits alimentaires. Les ménages en ont bénéficié. La baisse des cours du pétrole profite également aux ménages. La baisse de l’euro peut, quant à elle, profiter aux entreprises. Ce n’est donc pas sur l’accélérateur de la consommation qu’il faut appuyer en ce moment !
En outre, nous n’aurions pas suffisamment de produits pour répondre à une demande accrue. Celle-ci se porterait donc vers des produits importés.
Puisque c’est l’heure de vérité, je vous donne ma vérité : d’un point de vue macroéconomique, l’adoption de votre amendement serait une erreur.
Au début, je vous l’avoue, monsieur Karoutchi, je n’ai pas pris votre proposition au sérieux. Je pensais qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, ou d’une posture politique. Je ne vous reconnais d’ailleurs pas vraiment dans cette démarche.
Je le répète, l’adoption de votre amendement serait une erreur – et j’emploie ce terme pour être polie.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. La majorité de notre groupe votera cet amendement. Nous avons déjà déposé et voté des amendements similaires dans cet hémicycle depuis 2012. Or je n’ai pas l’habitude de prendre des positions successives incohérentes.
Mais il y a aussi des arguments de fond. Il est rare que les mesures économiques – y compris les mesures d’ordre macroéconomique, madame Bricq – n’aient que des avantages. Sinon, nous serions tous d'accord pour les prendre ! L’immense majorité des mesures ont certains avantages et certains inconvénients.
Le premier avantage de la défiscalisation des heures supplémentaires, c’est qu’elle crée du travail. On dit parfois qu’elle empêcherait aussi des embauches. C’est faux : si les entreprises avaient la possibilité d’embaucher davantage, elles le feraient ! La défiscalisation des heures supplémentaires a cet effet positif de créer du travail, et donc de la richesse, ce qui n’est pas négligeable.
On a d'ailleurs vu les réactions qu’a suscitées la suppression de cette mesure. À l’époque, j’ai assisté à certaines réunions de la majorité, au plus haut niveau. Je me souviens que les opinions étaient pour le moins…
Mme Nicole Bricq. … diverses !
M. Jacques Mézard. … diverses, en effet. Pour ma part, j’ai toujours eu la même opinion.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Nous sommes opposés à votre amendement, monsieur Karoutchi.
J’en profite pour dire que, à nos yeux, la réflexion sur la TVA sociale mérite d’avoir lieu.
Madame Bricq, vous vous êtes réjouie de la baisse des prix des produits alimentaires. Je ne suis pas sûr qu’il faille toujours se réjouir de la baisse des prix. Cette baisse peut avoir un coût : elle peut signifier que les conditions de travail ou de rémunération se sont dégradées.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. Jean Desessard. Ce qui pose vraiment problème, surtout dans les grandes villes, ce ne sont pas les prix des produits alimentaires, c’est la part croissante du loyer dans le budget des ménages, et c’est sur ce point qu’il faut rapidement trouver une solution.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 812 rectifié ter, présenté par MM. Gabouty et Médevielle, Mme Gatel, MM. Cadic et Pozzo di Borgo, Mme Loisier, MM. Guerriau, Kern et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 35
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Dans le cadre de l'application de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués confie, en liaison avec les collectivités territoriales concernées, à des entreprises de l'économie sociale et solidaire, au sens de l'article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire et satisfaisant aux conditions de l'article 2 de la même loi, la gestion de biens définitivement confisqués ou le produit de l'aliénation de ces biens, en vue de la réalisation d'actions telles que définies à l'article 2 de ladite loi.
Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article.
II. - Le 3° de l'article 706-163 du code de procédure pénale est complété par les mots : « et sauf lorsque la gestion ou le produit de l'aliénation d'un bien définitivement confisqué est confié à une entreprise de l'économie sociale et solidaire satisfaisant aux conditions de l'article 2 de la loi n° 2014-856 relative à l'économie sociale et solidaire ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. La loi du 9 juillet 2010 organise la gestion des biens confisqués dans le cadre de procédures judiciaires sous forme de saisies de patrimoine, immobilier ou mobilier, ou de droits incorporels. Quand la saisie devient définitive par voie de justice, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, a pour mission de les vendre. Pour mémoire, en 2012, 38 294 biens ont été saisis, pour un montant évalué à 773 millions d'euros ; le stock géré par l'Agence était, quant à lui, estimé à 980 millions d'euros.
Cet amendement vise à permettre à l'AGRASC de confier la gestion des avoirs saisis et confisqués, dont l'État resterait bien entendu propriétaire, à des entreprises de l'économie sociale et solidaire répondant aux critères de l'utilité sociale définis à l'article 2 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. Les collectivités territoriales concernées par ces réalisations seraient impliquées.
L'intérêt de cette mesure de recyclage – à proximité, dans la mesure du possible – des avoirs saisis au profit de la population est d'impliquer la société civile, afin de lutter contre toute forme, aussi marginale soit-elle, de bienveillance ou de tolérance vis-à-vis du crime organisé.
Utilisé depuis 1996 en Italie, où il a produit des résultats assez significatifs – sur 80 000 biens saisis, 15 000 ont été réaffectés à la société civile – et depuis 2008 en Serbie, le dispositif a radicalement changé le visage de la lutte contre le crime organisé.
La directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne invite par ailleurs les États membres à adopter des dispositifs favorisant la réutilisation des biens mafieux confisqués à des fins prioritairement sociales.
La mesure que nous proposons associe la morale et l’efficacité sociale.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 456 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 578 rectifié est présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mme Malherbe et MM. Mézard, Requier et Collombat.
L'amendement n° 692 rectifié bis est présenté par M. Daunis, Mmes Lienemann et Guillemot, MM. M. Bourquin, Duran, Courteau et Vaugrenard et Mme Espagnac.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 35
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Dans le cadre de l’application de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale et du mandat exercé par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, il peut être confié à des entreprises de l’économie sociale et solidaire, au sens de l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et satisfaisant obligatoirement aux conditions de l’article 2 sur l’utilité sociale, la gestion de biens définitivement confisqués ou le produit de l’aliénation de ces biens, en vue de la réalisation d’actions telles que définies à l’article 2 de la loi n° 2014-856 précitée et de leur financement.
Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.
II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 456.
M. Ronan Dantec. Notre amendement est proche de celui qu’a présenté Jean-Marc Gabouty. La principale différence est que nous ne proposons pas de compléter le 3° de l’article 706-163 du code de procédure pénale.
Il est important de rappeler que la directive européenne du 3 avril 2014 invite les États membres à adopter des dispositifs permettant de redistribuer, à des fins prioritairement sociales, les biens saisis de même nature que ceux que gère l'AGRASC.
Bien mal acquis et saisi doit être mis prioritairement au service de l’intérêt général : voilà comment je résumerai l’objet de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l'amendement n° 578 rectifié.
M. Jean-Claude Requier. Ce sont chaque année 450 millions d'euros de biens mal acquis qui sont saisis. Nous proposons, nous aussi, qu’ils soient réinjectés dans l’économie sociale et solidaire, ce qui présenterait plusieurs avantages. Tout d'abord, cela empêcherait les organisations mafieuses de racheter les biens en sous-main, comme elles le font souvent. Ensuite, cela créerait des emplois utiles à la collectivité. De plus, ce serait un moyen concret de réaffirmer les valeurs de citoyenneté et de solidarité dans les quartiers sensibles. Enfin, cela permettrait d’aligner la pratique française sur la pratique italienne et de montrer l’exemple à nos autres partenaires européens.
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour présenter l'amendement n° 692 rectifié bis.
M. Marc Daunis. J’apporterai simplement deux éléments d’explication.
Si nous ne proposons pas de compléter le 3° de l’article 706-163 du code de procédure pénale, c’est parce qu’il est apparu, lors des débats à l’Assemblée nationale, que c’était l’un des points qui empêchaient le Gouvernement de retenir le dispositif.
L’affectation au secteur de l’économie sociale et solidaire apparaît particulièrement bienvenue puisque beaucoup de travailleurs de ce secteur interviennent utilement dans des quartiers connaissant un certain nombre de difficultés, auprès de populations se trouvant dans des situations très compliquées. Cette proposition me semble donc aller vraiment dans le sens de l’intérêt général.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Même si elle comprend l’intention des auteurs de ces amendements, la commission a émis un avis défavorable.
La mesure proposée revient à verser une aide indue à certaines entreprises. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire bénéficient déjà de mesures de soutien financier qu’il ne paraît pas opportun d’élargir, quelles que soient les qualités de ces entreprises. Par ailleurs, comment justifier le versement d’une aide à ces entreprises plutôt qu’à des associations intervenant elles aussi dans le champ de l’économie sociale et solidaire ?
Le versement des avoirs définitivement saisis aux victimes et créanciers puis, le cas échéant, à l’État, permet de garantir le retour des biens volés à la collectivité spoliée par les agissements criminels. Je rappelle que, une fois la confiscation devenue définitive, le produit des biens saisis est versé par l’AGRASC, d'une part, aux victimes et, d'autre part, au budget général ou au fonds de concours « Stupéfiants », dont bénéficie la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements, et ce pour plusieurs raisons techniques.
Je voudrais d’abord préciser la nature des biens mal acquis dont il s’agit ici. Ce ne sont pas forcément des biens mafieux, issus du crime organisé. Ce sont aussi des biens confisqués, parfois à des États étrangers, qui peuvent avoir vocation à être rendus auxdits États. En disposer comme il est proposé par les auteurs de ces amendements ne me paraît donc pas être de bonne méthode.
Je peux souscrire à la finalité de ces amendements, puisqu’il s’agit du financement de l’économie sociale et solidaire. Toutefois, compte tenu de la définition de l’assiette utilisée, je pense que cette solution n’est pas juridiquement robuste. Ce premier point est, à mes yeux, rédhibitoire.
Ensuite, l’AGRASC assure une gestion centralisée, sur un compte ouvert à la Caisse des dépôts, de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales. Elle peut aussi procéder à la vente de biens saisis et donc rendre liquides des actifs qui ne le sont pas par nature. Cependant, attribuer ces sommes, qui plus est au financement de l’économie sociale et solidaire, me semble difficilement faisable.
En effet, l’AGRASC procède aux ventes avant jugement de biens meubles saisis si et seulement si elles sont décidées par les magistrats, lorsque ces biens meubles ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et s’ils sont susceptibles de dépréciation. Dans ce cas, la somme issue de la vente est consignée sur le compte que je viens d’évoquer, et elle est restituée au propriétaire du bien si celui-ci bénéficie d’un acquittement, d’un non-lieu ou d’une relaxe, ou si le bien ne lui est pas confisqué.
Vous le voyez, ces biens peuvent certes, à un moment donné, être rendus liquides par décision d’un magistrat, mais on ne peut pas les libérer tant que la procédure n’est pas parvenue à son terme puisqu’ils peuvent être restitués in fine.
L’utilisation des autres biens ou sommes non restitués, et donc entrés dans le domaine public, fait encore aujourd’hui l’objet de discussions techniques interministérielles. Cette question a besoin d’être bien bordée pour que le bon fonctionnement de l’AGRASC soit assuré.
En résumé, par rapport à l’ensemble de la masse des biens saisis, il y a d’abord un problème de qualification. Ensuite, il y a un problème tenant au caractère liquide ou non des biens saisis. Enfin, vous l’avez compris, la partie de ces biens saisis rendue liquide par décision du juge doit rester immobilisée, l’hypothèse d’une restitution à l’issue de la procédure ne pouvant être exclue.
La vraie question technique, qui fait encore l’objet, je le répète, de discussions entre les ministères compétents, sous l’autorité de Mme la garde des sceaux, porte donc sur ceux de ces biens qui tombent dans le domaine public à la suite d’une décision de justice.
La somme de ces biens n’équivaut pas au montant qui a été évoqué, mais, en ce qui les concerne, je pense que l’on peut avancer dans le sens que vous suggérez. Toutefois, aujourd’hui, les éléments techniques ne sont pas stabilisés et les rédactions proposées ne sont pas satisfaisantes, car elles n’offrent pas l’ensemble des garanties nécessaires.
Je comprends l’objectif visé, mais qu’il nous faut encore travailler sur la question, compte tenu des contraintes que je viens d’évoquer. Aussi, je ne peux que demander le retrait de ces amendements, faute de quoi j’y serai défavorable.
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.
M. Marc Daunis. Relisez bien mon amendement, monsieur le ministre. Il est écrit : « il peut être confié ». Il ne s’agit donc nullement d’une obligation ; c’est une opportunité d’utilisation des biens saisis qui est ouverte. Dès lors, l’argument de la qualification que vous nous opposez ne me paraît pas pouvoir être retenu.
Par ailleurs, il avait été convenu à l’Assemblée nationale qu’une consolidation juridique était nécessaire. Je constate qu’elle n’a toujours pas abouti, ce que je regrette.
Aussi, je suis plutôt tenté de maintenir mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je fais mienne l’observation de M. Daunis. J’y ajoute que, au moins dans les trois amendements identiques, il est question de la « gestion de biens définitivement confisqués ou du produit de l’aliénation de ces biens ». Je ne vois donc pas où est la difficulté.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je veux, moi aussi, mettre l’accent sur l’utilisation du verbe « pouvoir », qui répond aux objections de M. le ministre.
L’idée est de flécher des biens spécifiques, avec une dimension pédagogique dans leur réaffectation. Il s’agit d’une possibilité offerte, sur des opérations assez précises. Nous allons donc également maintenir notre amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. La rédaction de mon amendement ne contenant pas le mot « peut », je crains de ne pouvoir le maintenir.
Je comprends que le dispositif n’est pas mûr en raison de difficultés techniques de mise en œuvre. Cependant, je rappelle que, lors de la discussion du texte sur l’économie sociale et solidaire à l’Assemblée nationale, en mai 2014, Mme Valérie Fourneyron, alors secrétaire d’État, à propos d’amendements de même nature, déclarait : « N’allons pas trop vite : nous ne mesurons pas l’impact d’une telle mesure et son cadre n’est pas encore assez précis. »
Si l’Italie, qui n’est peut-être pas un pays dont l’organisation est exemplaire, a réussi à mettre un dispositif en place, je pense que nous devrions être capables de faire de même dans notre pays.
Néanmoins, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 812 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 456, 578 rectifié et 692 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 68 amendements au cours de la journée ; il en reste 812.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.