Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe UMP.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen traitera de sujets variés et particulièrement importants. Étant donné la richesse de son ordre du jour, je me concentrerai plus particulièrement sur les questions liées à l’Union de l’énergie et au semestre européen.
L’énergie est sans aucun doute l’un des grands domaines stratégiques dans lesquels une intégration européenne s’avère particulièrement nécessaire et porteuse de valeur ajoutée.
Les enjeux sont gigantesques. Ils concernent d’abord la sécurité de notre approvisionnement, dans un contexte géopolitique tendu avec la Russie et plus qu’incertain en Libye et au Moyen-Orient. Ils sont ensuite intimement liés à la compétitivité de nos entreprises et au pouvoir d’achat des ménages, touchés par la crise économique. Ils ont enfin un lien très direct avec nos engagements en matière de lutte contre le changement climatique, au regard notamment de la prochaine conférence mondiale sur le climat, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.
La situation n’est pour l’heure guère satisfaisante. L’Europe importe aujourd’hui près de 55 % de son énergie, la facture atteignant 400 milliards d’euros par an. L’électricité et le gaz y sont substantiellement plus chers qu’aux États-Unis, et nos transports sont dépendants de carburants fossiles presque intégralement importés.
La Commission européenne estime à 2 000 milliards d’euros les investissements à réaliser d’ici à 2025 pour moderniser et interconnecter notre système énergétique, et l’adapter à l’émergence des énergies renouvelables.
Une action européenne déterminée sur le long terme est indispensable. Or l’Europe de l’énergie est toujours très loin d’être une réalité. Le cadre stratégique présenté le 25 février dernier représente donc un pas en avant important pour relever les défis qui se présentent à nous, et le socle intersectoriel proposé apparaît comme une base de discussion solide.
Cependant, nous n’en sommes qu’au tout début d’un processus qui sera long et ardu. Étant donné le caractère hautement stratégique de ce secteur et la grande diversité des situations des États membres, les écueils seront nombreux.
Quelques principes devront toutefois guider la négociation des textes à venir. L’intégration et l’interconnexion du marché intérieur devront certes renforcer la résilience de nos systèmes énergétiques et engendrer de réelles économies, mais il faudra surtout jouer sur la complémentarité des mix énergétiques nationaux et s’appuyer sur l’ensemble des sources d’énergie disponibles, notamment sur l’énergie nucléaire, pour l’instant parent pauvre de cette stratégie.
Il faudra également donner un cap solide aux investisseurs. Si les instruments financiers de la BEI, la Banque européenne d’investissement, du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, des fonds structurels et du Fonds européen pour les investissements stratégiques pourront être mobilisés, c’est bien sur les entreprises que reposera l’essentiel de la charge des investissements. Ces acteurs devront donc pouvoir bénéficier d’un environnement favorable à l’investissement, y compris bien sûr au niveau national, pour mener à bien les projets nécessaires.
La transition et l’amélioration de l’efficacité énergétiques devront permettre d’atteindre nos objectifs en matière environnementale, mais elles devront aussi ouvrir de réelles opportunités pour conférer une avance technologique durable aux entreprises européennes et leur permettre de développer des filières d’excellence compétitives à l’échelon mondial.
Enfin, la coordination des accords intergouvernementaux et des contrats commerciaux dans le secteur du gaz devra permettre d’adresser des messages forts et cohérents aux partenaires stratégiques et aux fournisseurs.
L’équilibre sera toutefois particulièrement difficile à trouver entre cette nécessaire coordination, la mise en place d’un système efficace de gouvernance globale de l’Union de l’énergie et la liberté, pour les États membres, de conduire la politique énergétique la mieux adaptée à leurs besoins et à leurs impératifs politiques et stratégiques.
Les étapes à franchir sont donc encore nombreuses et complexes avant que l’Union de l’énergie soit le succès que nous appelons de nos vœux. Celle-ci est une chance pour la France, qui, avec trente-sept interconnexions sur six frontières, se trouve au carrefour des échanges européens. Notre pays dispose d’entreprises leaders sur le plan mondial dans ce domaine. Le Gouvernement devra donc montrer une implication sans faille et jouer un rôle moteur dans les négociations à venir pour tirer le meilleur parti de ce projet.
Les relations avec la Russie et la crise ukrainienne ont bien sûr une résonance très forte dans le domaine de l’énergie, mais c’est naturellement le conflit se déroulant à nos portes qui occupe aujourd’hui tous les esprits. Je laisserai toutefois mes collègues sénateurs de l’UMP s’exprimer sur ce sujet au cours du débat interactif.
Le prochain Conseil européen conclura enfin la première phase du semestre européen. Évidemment, les résultats des dernières élections en Grèce nous ont tous interpellés, s’agissant notamment de la question centrale de la coordination des budgets nationaux et des réformes structurelles à mener au sein des économies de la zone euro.
Je souhaite toutefois me concentrer sur la situation française.
Le bilan approfondi et les recommandations faits par la Commission sont inquiétants. Le niveau de l’effort budgétaire demandé pour 2015 a été fixé à 0,5 % du PIB, ce qui signifie qu’au moins 4 milliards d’euros d’économies devront être dégagés à très court terme. La Commission avait dans un premier temps préconisé, sur la base du programme de réformes présenté par le Gouvernement, un effort de 0,3 % du PIB. L’ajustement est donc important et témoigne du peu d’efficacité des réformes mises en œuvre jusqu’à présent. Dans son analyse, la Commission conclut d’ailleurs assez explicitement que le CICE et le pacte de responsabilité n’auront pour ainsi dire pas d’effet réel sur la compétitivité des entreprises, et donc sur la croissance, alors qu’il s’agissait de leur objectif premier.
Certes, deux années de délai ont été accordées pour redresser les comptes publics ; certes, d’autres pays se trouvent dans une situation similaire de déséquilibre excessif ; mais, en la matière, c’est la trajectoire qui compte : la France passe cette année au stade suivant de la procédure.
À politique inchangée, le déficit français ne pourra pas repasser sous la barre des 3 % en 2017. Les économies budgétaires devront donc d’ici là être très largement supérieures, de près de 30 milliards d’euros, à celles qu’avait prévues le Gouvernement, alors même que le ministre de l’économie a annoncé ces derniers jours qu’aucun effort supplémentaire ne serait fourni.
Une liste de réformes macroéconomiques devra également être présentée d’ici au mois de mai, faute de quoi la France pourrait finalement être mise en demeure, première étape vers la prise de sanctions.
Le bilan et les perspectives ne sont pas réjouissants. Je cite le rapport de la Commission : « Une reprise modeste est attendue pour 2015. Le taux de chômage ne devrait pas refluer de manière significative au cours des prochaines années. Les investissements ont diminué en 2014. La dépréciation de l’euro et les réformes récentes ne suffiront pas à enrayer les pertes de parts de marchés des exportations. L’inflation devrait tomber à zéro en 2015. »
Pourtant, les carences économiques de la France sont désormais largement connues. Elles imposent notamment d’agir résolument en faveur de la compétitivité des entreprises, afin de leur permettre de restaurer leurs marges pour investir, d’innover pour embaucher, et enfin de redresser la balance commerciale du pays. Cela exige d’abaisser de façon réelle le coût du travail et le niveau de la pression fiscale et des dépenses publiques, qui ne cessent de croître. Cela impose aussi de s’attaquer sans faiblesse aux rigidités du marché du travail, ainsi qu’à la complexité et à la lourdeur réglementaires, qui pèsent de plus en plus sur nos entreprises dans la compétition internationale. Nous savons bien que, dans une économie ouverte et concurrentielle, ne pas résoudre ces problèmes équivaut à terme à accepter l’échec.
La France échappe pour l’instant de justesse à l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif, mais elle restera, jusqu’à l’expiration du nouveau délai, sous la pression de la Commission et des États membres qui font les efforts nécessaires au redressement de leur situation sans pourtant bénéficier d’autant de mansuétude. L’image de notre pays n’en sera que davantage ternie.
La France est la deuxième économie de la zone euro. Elle entretient des liens commerciaux, financiers et bancaires étroits avec les autres États membres. Par conséquent, si nos problèmes structurels ne sont pas corrigés, cela aura des répercussions fortes sur nos partenaires.
Le louvoiement n’est plus possible et la France ne peut demeurer le mauvais élève de la classe européenne. Le redressement réel de notre économie est urgent et indispensable. Il l’est d’abord, naturellement, pour nos concitoyens, mais il l’est également pour l’ensemble des Européens, car il s’agit d’une clé du retour de la croissance en Europe. Il y va donc de la responsabilité européenne de notre pays.
Monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez compris, nos attentes sont fortes ; pouvez-vous nous rassurer ce soir ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Fabienne Keller. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 19 et 20 mars sera largement consacré aux relations entre l’Europe et la Russie et à la situation en Ukraine, un mois environ après les accords de Minsk 2.
À titre personnel, je considère que la manière dont les Européens vont gérer le dossier ukrainien sera déterminante pour l’avenir de l’Europe politique et pour l’équilibre de notre continent.
En tant que présidente de la commission des finances, j’observe que l’évolution de la crise ukrainienne constitue un aléa important pour la croissance en Europe en 2015.
Dans ses prévisions économiques de cet hiver, la Commission européenne relève que l’impact économique des sanctions contre la Russie et des « contre-sanctions » pourrait être plus important que prévu, en particulier si les sanctions sont appliquées plus longtemps que ce que l’on pouvait envisager au départ.
La crise ukrainienne nous affecte négativement, car elle pèse sur la confiance des acteurs européens. Elle pèse sur les échanges en raison de cette perte de confiance, mais aussi du fait des sanctions mises en œuvre de part et d’autre. Les exportations vers la Russie et l’Ukraine sont pénalisées. Cela affecte en particulier les pays de l’Est, plus dépendants de ces marchés, mais nous sommes aussi atteints, comme le ressentent durement nos agriculteurs, alors que les soutiens annoncés par l’Union européenne n’auraient pas tous été mis en place.
La crise ukrainienne pèse aussi sur l’investissement, en particulier sur les flux d’investissements étrangers vers les pays voisins de la Russie et de l’Ukraine.
À l’heure où l’Europe souffre d’un manque d’investissements et où elle tente de les relancer en créant un fonds européen pour les investissements stratégiques dans le cadre de ce que l’on appelle le « plan Juncker », cette situation est pénalisante. On comprend donc que le débat sur le devenir des sanctions imposées à la Russie, qui arrivent à échéance en juillet, sera essentiel. Plusieurs États ont fait savoir dans quel sens ils tenteraient de peser sur la discussion. Il nous serait précieux, monsieur le secrétaire d'État, de savoir dans quel état d’esprit le Gouvernement abordera ce débat.
La situation en Ukraine a également une incidence sur l’autre grand sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen : l’Union européenne de l’énergie.
Notre préoccupation immédiate est la sécurité de notre approvisionnement énergétique en gaz dans le cadre de notre partenariat stratégique avec l’Ukraine, mais la crise ukrainienne a aussi mis en évidence la nécessité d’une solidarité énergétique européenne. La France y prend toute sa part en développant ses capacités d’interconnexion avec ses voisins. Notre pays et l’Italie souhaitent que l’interconnexion électrique à travers le tunnel du Fréjus puisse être financée dans le cadre du plan Juncker. Divers projets électriques et gaziers sont également en cours avec l’Espagne et ont été évoqués à l’occasion du récent sommet trilatéral entre la France, l’Espagne et le Portugal.
Au-delà des principes, il faudra évoquer la question des financements, puisque les investissements nécessaires à la mise en œuvre des orientations présentées le 25 février par la Commission européenne sont estimés à 1 000 milliards d’euros sur cinq ans.
Cela me conduit à évoquer le dernier point inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen de mars, qui marque la fin de la première phase du semestre européen.
Après avoir pris connaissance des travaux conduits depuis novembre par la Commission, le conseil Ecofin et le Parlement européen, les chefs d’État ou de Gouvernement vont adopter des orientations de politique économique, sur la base desquelles les États devront, en avril, présenter leurs projets en matière de finances publiques, dans le cadre de leur programme de stabilité, et de réformes structurelles, au titre de leur programme national de réformes.
Avec la situation en Ukraine et les discussions en cours depuis les élections en Grèce, les États membres, ceux appartenant à la zone euro en particulier, se sont trouvés confrontés, au cours de la première phase du semestre européen, à des défis historiques qui ne pourront être relevés qu’à condition de proposer une politique économique cohérente et tournée vers la croissance.
C’est à cette fin que des recommandations spécifiques sont adressées à chacun des pays, pour faire en sorte qu’ils avancent tous dans la même direction.
S’agissant de la France, ces recommandations sont d’abord formulées dans le cadre de la procédure de correction des déficits excessifs prévue par le pacte de stabilité et de croissance.
Comme elle l’avait annoncé le 28 novembre 2014 à l’issue de la procédure d’examen des projets de plans budgétaires instituée par le Two-Pack, la Commission européenne a arrêté sa position concernant la situation budgétaire de la France le 27 février dernier.
Elle a recommandé au Conseil de reporter de deux années l’échéance pour la correction du déficit excessif de notre pays, soit jusqu’en 2017.
Cette proposition a, de toute évidence, été favorablement accueillie par nos partenaires européens. J’en veux pour preuve que, au cours du déplacement que j’ai effectué à Berlin la semaine passée avec le rapporteur général de la commission des finances et le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, la totalité de nos interlocuteurs allemands nous ont indiqué que le report du délai de correction était justifié, en particulier dans la perspective d’un rétablissement de la confiance en France, qui profiterait à l’ensemble de l’Europe.
Demain, le vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro et du dialogue social présentera, lors d’une audition ouverte à tous les sénateurs, la recommandation de la Commission au Conseil sur le budget de la France.
Des recommandations nous sont également adressées dans le cadre de la procédure, plus récente, dite de « correction des déséquilibres macroéconomiques ».
Dans ses conclusions rendues publiques le 27 février, la Commission européenne souligne l’importance que revêtira le prochain programme national de réformes de la France et indique que c’est en mai prochain qu’elle décidera ou non d’engager le volet correctif de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques, qui, je le souligne, peut aboutir à des sanctions financières.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, vous serait-il possible de nous apporter des précisions quant à cette échéance du mois de mai et au déroulement de cette procédure ?
Plus que jamais, nos procédures budgétaires nationales et les procédures européennes sont imbriquées. Le Parlement français sera destinataire, dans les prochaines semaines, des projets de programme de stabilité et de programme national de réforme. Le Haut Conseil des finances publiques statuera, en vue de l’examen du projet de loi de règlement, sur le respect par la France de sa trajectoire de solde structurel et sur la nécessité ou non de déclencher le mécanisme de correction automatique. Il nous faudra ensuite examiner les orientations budgétaires pour 2016.
Parallèlement, la Commission européenne étudiera les projets de programme de stabilité, ainsi que les programmes nationaux de réforme, et adressera au Conseil une « recommandation de recommandation » à la France et aux autres États membres.
Tout cela est complexe, et si nous voulons que cette construction conserve un sens, que l’Europe reste notre amie, nous avons besoin d’y voir clair sur les étapes et les enjeux. C’est pourquoi je vous remercie par avance, monsieur le secrétaire d'État, des réponses et des éclaircissements que vous pourrez nous apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat préalable au Conseil européen est un rendez-vous auquel nous sommes tous très attachés. Le thème principal de la réunion des 19 et 20 mars sera l’Union de l’énergie. Nous venons tout juste de voter le projet de loi relatif à la transition énergétique. Il était donc très important que le Sénat puisse débattre des perspectives européennes en la matière.
Je remercie le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir donné suite à la demande de la commission des affaires européennes, ainsi que M. le secrétaire d’État pour sa disponibilité.
Quelle est la situation énergétique en Europe ? L’Union importe 53 % de l’énergie qu’elle consomme ; elle dépense plus de 1 milliard d’euros par jour pour acquitter sa facture énergétique ; elle importe 90 % de son pétrole brut, 66 % de son gaz naturel, 42 % de ses combustibles solides et 40 % de ses combustibles nucléaires. En ce qui concerne le gaz, il provient à hauteur de 39 % de Russie, qui est son fournisseur principal, 50 % du gaz russe importé transitant par l’Ukraine.
Ces chiffres suffisent à montrer tout l’intérêt d’une véritable politique européenne coordonnée en matière énergétique.
Le traité de Lisbonne donne les bases juridiques pour agir ; il faut s’en féliciter. Le Conseil européen de juin 2014 a fait de la création d’une Union de l’énergie « dotée d’une politique en faveur du climat tournée vers l’avenir » un axe prioritaire. Le président Juncker l’a par la suite inscrite en bonne place parmi les projets prioritaires de la nouvelle Commission.
Cette démarche doit être soutenue, mais dans quelle direction faut-il aller ?
L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais dans laquelle le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis. On ne peut faire l’impasse sur la mise à disposition d’une énergie sécurisée, bon marché et bénéficiant de larges interconnexions sur le territoire européen.
L’Union européenne est en pointe dans la lutte contre le changement climatique. Elle doit aussi veiller à ne pas se fragiliser de manière unilatérale : des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu.
Une réponse internationale est requise, d’où l’intérêt de la COP 21, qui se tiendra à Paris en 2015. La France a par ailleurs une grande expertise en matière d’énergie nucléaire. C’est un élément important de la compétitivité de notre pays, ne l’oublions pas. En vue de la COP 21, il faut réfléchir à élargir le périmètre des énergies décarbonées, pour y inclure le nucléaire.
L’objectif de la transition énergétique est consensuel, mais cette transition rencontre des difficultés qui tirent leur origine de l’intermittence subie. En l’absence de capacité de stockage digne de ce nom et faute de « réseaux intelligents » à même de caler partiellement la consommation d’énergie sur la production, les lignes à haute tension subissent des variations. L’absence de ces réseaux déstabilise l’ensemble du marché.
Nous devons aussi nous interroger sur le financement de la transition dans des conditions qui assurent la réindustrialisation de l’Union européenne. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer une évolution que les considérations techniques imposent d’inscrire dans la durée.
Je veux aussi insister sur le rôle moteur que doivent jouer la France et l’Allemagne. Nos deux pays sont les deux principaux producteurs d’énergie renouvelable au sein de l’Union européenne. Ils sont aussi les principaux producteurs d’énergie toutes catégories confondues, ainsi que les deux principaux consommateurs. Ils doivent donc promouvoir une coopération leur permettant d’élaborer des schémas cohérents d’investissements.
Je souhaiterais maintenant aborder la situation en Ukraine, qui continue de susciter de vives inquiétudes. La France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant pour promouvoir le nouvel accord de Minsk. Je dois saluer en la circonstance l’action déterminante du Président de la République et de la Chancelière, ce couple franco-allemand retrouvé qui a suscité l’adhésion de l’ensemble des États membres.
Néanmoins, nous savons que cet accord demeure fragile. Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il n’existe pas de solution militaire à cette crise ; seule une issue négociée dans le cadre des accords de Minsk peut être acceptable. L’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine doivent être respectées. L’Union européenne doit donc utiliser les moyens de pression à sa disposition, notamment les sanctions individuelles, contre ceux, y compris en Russie, qui soutiennent les actions militaires des séparatistes. L’Union européenne doit aussi agir pour favoriser l’émergence d’une solution politique. Comme l’a souligné le président Larcher lors de ses récents entretiens en Russie et en Allemagne, le Sénat, qui a une grande expérience de la décentralisation, est prêt à apporter un concours en la matière, au travers notamment de l’implication de l’OSCE.
À travers le partenariat oriental, l’Union européenne doit définir des lignes claires pour approfondir ses relations avec ses partenaires orientaux. Le sommet de Riga, en mai prochain, sera important à cet égard. Le partenariat doit respecter le cadre fixé dans la déclaration de Prague de 2009, notamment les principes de conditionnalité et de différenciation. Il doit être distinct de la politique d’élargissement, je tiens à le redire. Lors du sommet de Vilnius de novembre 2013, cette distinction a clairement été maintenue. Nous devons aussi être pragmatiques et privilégier une logique de projets pour avancer dans la bonne direction.
Enfin, le Conseil européen clôturera la première phase du semestre européen. Notre commission aura un échange sur ce thème, avec une communication de Fabienne Keller et François Marc. Nous entendrons demain, avec la commission des finances, le vice-président Dombrovskis sur la recommandation de la Commission européenne concernant le déficit public de la France. J’indique à nos collègues que cette audition sera ouverte à tous les sénateurs. Le Conseil devait adopter aujourd’hui même la recommandation de la Commission européenne visant à ce qu’il soit mis fin à la situation de déficit public excessif en France. La lecture de cette recommandation, que je vous conseille, est édifiante ; la crédibilité de notre pays est en jeu. Nous devons respecter nos engagements budgétaires et engager enfin un programme de réformes structurelles. Nous avons trois mois devant nous ; la date du 10 juin prochain sera importante, voire fatidique. Je souhaite que la Commission regarde avec beaucoup d’objectivité les efforts et les engagements structurels que notre pays aura engagés dans les prochains mois.
Au-delà, la zone euro ne peut fonctionner sans discipline commune. Elle doit se conjuguer avec une action résolue pour renforcer la compétitivité des entreprises et la croissance. L’euro est fondé sur la responsabilité de chacun des États membres de veiller à faire converger les politiques budgétaires et économiques. C’est dans ce cadre que la nécessaire solidarité peut jouer tout son rôle. Le cas de la Grèce nous préoccupe. Nous souhaitons une solution réaliste, qui ne peut faire l’impasse sur des engagements fermes concernant les réformes indispensables. Avec l’Allemagne, la France a apporté une large contribution pour soutenir ce pays avec lequel nous avons des liens très forts, rappelés tout à l’heure par le président du groupe d’amitié France-Grèce du Sénat. Je souligne que l’engagement de la France en faveur de la Grèce s’élève à 48 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 20 milliards d’euros au titre de la réassurance, soit un total de 68 milliards d’euros, c’est-à-dire à peine moins que l’Allemagne. Il ne faut pas l’oublier, les contribuables français sont directement concernés par l’évolution de ce dossier. Oui à la solidarité, mais oui à la responsabilité également ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. –M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions.
En ce qui concerne l’Union de l’énergie, nous partageons tous, le débat l’a montré, les mêmes priorités : faire en sorte que cette nouvelle étape dans la construction européenne permette de répondre aux enjeux en matière d’indépendance énergétique et de sécurité d’approvisionnement, mais aussi de lutte contre le changement climatique, qu’elle soit un moteur pour l’innovation, l’investissement, qu’elle permette d’atteindre un certain nombre d’objectifs sociaux.
S’agissant de la protection des consommateurs, ou plus précisément de la lutte contre la précarité énergétique, angle sous lequel M. Sutour a abordé cette question, nous considérons que cet élément doit effectivement être pris en compte au titre de la politique de l’énergie : il ne relève pas seulement de la politique sociale, comme d’aucuns le pensent peut-être. Par conséquent, nous serons attentifs à garantir un accès à l’énergie à un coût abordable. Cela est d’ailleurs important aussi pour l’économie. À cet égard, M. Bizet a bien souligné la contribution qu’apporte l’énergie nucléaire à la compétitivité de notre pays. Nous veillerons donc au maintien des tarifs réglementés. Ceux-ci ne doivent pas, pour autant, entraver la mise en place d’un marché intérieur de l’énergie, laquelle, réciproquement, ne doit pas nous faire oublier que l’énergie n’est pas un bien comme les autres et que tous les citoyens doivent y avoir accès.
Plusieurs d’entre vous ont souligné la nécessité de pouvoir mobiliser le Fonds européen pour les investissements stratégiques, afin de pallier le sous-investissement actuel et de soutenir nos ambitions, en matière d’interconnexion notamment. Ce sera un facteur important de la réussite de l’Union de l’énergie.
M. Billout a également insisté sur la nécessité d’être attentifs, en termes de gouvernance et d’organisation du marché de l’énergie, à ne pas remettre en cause des mécanismes qui sont indispensables, sur le plan social ou pour des raisons de diversification du bouquet énergétique.
Concernant le semestre européen, je souligne à nouveau que la recommandation de la Commission qui a été adoptée aujourd’hui par le conseil Ecofin est convergente avec notre propre stratégie budgétaire. Nous respecterons nos engagements. Dans cette perspective, nous menons un dialogue et un travail permanents avec la Commission européenne, car nous sommes parfaitement conscients de nos responsabilités et du fait que notre situation économique a une incidence sur l’ensemble de la zone euro et sur le fonctionnement de l’Union économique et monétaire.
Cela étant, il convient de prendre en compte la situation économique dans son ensemble. C’est pourquoi la Commission elle-même a introduit dans sa doctrine, au travers d’une communication qu’elle a publiée voilà quelques semaines, la notion de flexibilité, pour que la consolidation budgétaire, c’est-à-dire la baisse des déficits et le désendettement, ne vienne pas entraver la mise en œuvre de l’objectif de soutien à la croissance. En effet, in fine, c’est aussi la meilleure contribution que chaque pays peut apporter à la bonne santé de la zone euro que de s’assurer que la croissance redémarre en son sein.
Aujourd’hui, la croissance est en train de repartir en Europe. La Commission européenne, le Fonds monétaire international ou l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, sont d’accord pour considérer que les politiques d’austérité, de restriction budgétaire trop marquées ont un effet négatif sur l’activité économique. La Commission européenne prend donc en compte cet élément dans ses prévisions de croissance, et notre dialogue avec elle porte sur les conditions à réunir pour ramener notre déficit public en dessous de 3 % en 2017 sans pour autant freiner la croissance, qui est en passe de repartir en France.
La loi de finances de 2015 a été bâtie sur une prévision de croissance de 1 %, qui coïncide avec celle de la Commission européenne, d’autres instances étant même plus optimistes. Par conséquent, cette hypothèse nous semble solide, et nous espérons pouvoir conforter encore cette tendance à la reprise, sachant que, en 2014, la croissance a été de 0,4 %.
Nous remettrons à la Commission avant même la date butoir du 10 juin prochain le rapport exposant de quelle façon nous réaliserons un effort supplémentaire de réduction de 0,2 % de notre déficit structurel pour l’année 2015, afin de diminuer celui-ci de 0,5 % au total, au lieu de 0,3 % comme initialement prévu. Le ministre des finances l’a dit, nous serons présents au rendez-vous, nous ferons cet effort supplémentaire ; je réponds par là même à la question de Mme la présidente de la commission des finances.
Nous sommes tout à fait déterminés à atteindre cet objectif, ainsi qu’à mener les réformes de structures qui permettront de moderniser le fonctionnement de notre économie, de notre administration, de nos collectivités locales, de notre marché du travail, afin de renforcer notre compétitivité.
La réforme territoriale que nous avons engagée s’inscrit dans cette perspective. Le Parlement a adopté la nouvelle carte des régions. Aujourd’hui même, l’Assemblée nationale a voté en première lecture le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous avançons par ailleurs sur la simplification des normes, ainsi que sur une forme de libéralisation de certains secteurs de notre économie, avec le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Nous progressons également dans l’amélioration de certains aspects de l’organisation du marché du travail et de la vie sociale au sein des entreprises. Ainsi, la conclusion de l’accord national interprofessionnel, évoqué par M. Bonnecarrère, est largement considérée, me semble-t-il, comme un progrès en matière de négociations dans les entreprises confrontées à des restructurations. En outre, un texte relatif au dialogue social sera prochainement présenté par François Rebsamen.
Nous sommes tout autant déterminés à réduire les prélèvements obligatoires et la dépense publique, mais nous voulons y parvenir en maintenant un haut niveau de solidarité et de services publics, les Français y étant attachés. Au demeurant, il est nécessaire, y compris pour garantir l’avenir économique de notre pays, d’investir dans l’éducation, de préserver un système de santé qui demeure l’un des meilleurs du monde, mais qui peut sans doute être organisé pour fonctionner à coûts moindres : c’est tout l’enjeu des réformes en cours.
Nous pensons donc qu’il est possible de réduire la dépense publique et d’engager des réformes de structures sans casser le modèle social et républicain auquel nos compatriotes sont attachés. C’est dans cet esprit que nous dialoguons avec la Commission européenne et avec nos partenaires de l’Union.
Je rappelle que l’Europe était là, à Paris, dans la rue, le 11 janvier, aux côtés des Français, aux côtés du Président de la République, pour exprimer sa solidarité, pour dire que nous ne céderions pas, que nous ne nous laisserions pas intimider par la terreur, mais aussi que nous défendrions notre modèle de société. Or, au cœur des valeurs qui structurent ce modèle, figurent à la fois la liberté d’expression, la solidarité et la cohésion sociale.
Aujourd’hui, malgré les divergences qui se font jour, le débat sur la situation de l’Union économique et monétaire va de pair avec la conscience qu’il est tout à fait légitime, pour chacun des pays membres, de mener les réformes permettant d’améliorer sa situation économique et de préserver ce modèle de société. Ce dernier forme la base même de la construction européenne. C’est un modèle de liberté, mais c’est aussi un modèle de solidarité.
J’en viens aux questions internationales et, tout d’abord, à la défense.
Le président de la Commission européenne a employé une expression audacieuse et forte, parlant d’« armée européenne ». Pour notre part, nous considérons qu’il faut commencer par faire progresser la défense européenne et la politique de sécurité et de défense commune. Vous le savez, nous agissons en ce sens en travaillant à renforcer très concrètement les outils de l’unité européenne dans le domaine de la défense.
Nous devons, en effet, faire en sorte que les besoins de sécurité de l’Europe, ainsi que les devoirs qui sont les siens en la matière, soient exercés et assumés collectivement. Plusieurs orateurs l’ont souligné : chaque État membre doit prendre sa part. On ne peut faire reposer les efforts de défense, y compris les interventions armées qui sont parfois nécessaires, sur un ou deux pays seulement.
Parallèlement, nous nous employons à la mise en œuvre d’outils collectifs. Tel était l’objet des discussions du Conseil européen de décembre 2013, au terme duquel des orientations concrètes ont été fixées et regroupées en trois volets : l’efficacité de la politique de sécurité et de défense commune, le renforcement des capacités en matière de défense et le soutien à l’industrie de défense.
Premièrement, pour ce qui est de l’efficacité, nous avons engagé des travaux en vue de réformer le système de financement des opérations extérieures, connu sous le nom de mécanisme Athena. Ces opérations représentent un coût extrêmement important, lequel n’est, pour l’heure, supporté que par quelques États membres, en particulier la France. Nous souhaitons qu’un certain nombre de dépenses liées à ces opérations puissent être mutualisées à plus grande échelle.
Cette mutualisation ne se confond pas avec la possibilité de décompter les dépenses de défense des déficits structurels, mais elle procède malgré tout du même constat ; il est clair que, si certains États assument seuls ces charges, leurs dépenses publiques et leur déficit finiront par en être affectés. C’est pourquoi il faut augmenter la part de ces dépenses qui peut être assumée par le budget européen, donc par l’ensemble des pays membres.
Deuxièmement, au titre des capacités, nous souhaitons accélérer la mise en commun des efforts, en particulier avec l’Agence européenne de défense, l’AED, et via la programmation d’un certain nombre de grands projets nécessitant des investissements communs. Je songe au drone européen de défense ou encore à la flotte d’avions ravitailleurs.
À cet égard, nous demandons à tous les États membres de respecter l’objectif qui a été fixé : réserver 2 % de leur PIB à la défense en consacrant 20 % de cet effort aux équipements et à la recherche et développement. Les États de l’Union européenne membres de l’OTAN ont d’ailleurs pris cet engagement dans le cadre de cette organisation.
Troisièmement, s’agissant du volet industriel, nous souhaitons accroître le soutien apporté à la recherche et développement. Nous tenons en outre à faciliter l’accès aux financements pour les PME du secteur de la défense.
À propos du sommet de Riga, je tiens à confirmer l’importance de la distinction, soulignée par M. Bizet, entre la politique de voisinage et la politique d’élargissement : il ne doit pas y avoir de confusion à cet égard !