Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs, puis nous aurons une série de questions, avec réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste.
M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques mois, des signaux européens tangibles montrent enfin que l’urgence est non plus à l’austérité, mais à la croissance et à l’investissement : annonce d’un plan d’investissement européen, clarification des principes de flexibilité du pacte de stabilité et de croissance, perspective de la mise en place d’une stratégie numérique et d’une Union de l’énergie qui devraient permettre de développer les investissements.
Malgré ces signaux, la concrétisation de ces projets nécessaires à la croissance en Europe risque de se faire attendre. Il reste en effet à adopter la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques, le FEIS, pour lancer le plan d’investissement, dont le champ et la force de frappe restent, pour le moins, perfectibles. En outre, aucun projet concret majeur n’a encore été annoncé en matière de stratégie numérique, et les bénéfices d’une Union de l’énergie fondée sur une transition énergétique se feront, par définition, attendre. Quant aux propositions tendant au renforcement de l’Union économique et monétaire, leur examen a été repoussé à une date ultérieure. Enfin, je tiens à le souligner tout particulièrement, le volet social reste le parent pauvre de ce début de mandature de la Commission européenne.
Certes, l’actualité s’est largement invitée au prochain sommet européen. Terrorisme, Ukraine, Grèce : autant de défis qui ont nécessité des réponses rapides. Nous en appelons à plus d’audace de la part de nos dirigeants européens.
En ce qui concerne la Grèce, tout d’abord, la question est complexe et éminemment politique. La Banque centrale européenne ne s’y est pas trompée : en refusant pour l’instant d’ouvrir le rachat des dettes souveraines des États membres à celles de la Grèce, elle place les États face à leurs responsabilités politiques et les oblige à définir une stratégie de sortie de crise pour la Grèce qui ne soit pas seulement une succession de plans d’aide. La gestion de cette crise depuis 2010 démontre que les solutions ne peuvent pas être que comptables et que l’on ne peut pas se borner à demander l’application d’un plan de consolidation budgétaire sans tenir compte de ses conséquences sociales et économiques.
Enfin, et c’est le président du groupe d’amitié France-Grèce du Sénat qui s’exprime à présent, la Grèce n’est pas un pays européen comme les autres. Son adhésion à l’Union européenne s’est faite après la dictature des colonels, période pendant laquelle la France a joué un rôle majeur pour le retour à la démocratie. Par ailleurs, n’oublions jamais que la Grèce est le berceau de notre civilisation et de la démocratie, comme l’indique l’étymologie de ce mot.
Concernant la communauté de l’énergie, une stratégie-cadre a été rendue publique le 25 février dernier par la Commission européenne. Celle qui avait été adoptée par le Conseil européen de mars 2009 a eu une portée très limitée, par manque d’ambition et d’engagement des États membres et de la Commission européenne d’alors. Le paquet climat-énergie, pourtant adopté en octobre dernier, pourrait connaître le même sort, pour les mêmes raisons. Or nous ne pouvons plus nous permettre ce luxe aujourd’hui.
La mise en place de l’Union de l’énergie – les socialistes appellent depuis longtemps de leurs vœux la création d’une « communauté de l’énergie », proposée par Jacques Delors – a été défendue par le Président de la République lors du Conseil européen informel qui lui a été consacré, puis lors du Conseil européen de juin 2014.
Dans l’attente des propositions législatives, je m’arrêterai aujourd’hui sur les objectifs de cette Union de l’énergie. L’Union européenne se doit d’adopter, d’ici à la conférence sur le climat de Paris de décembre 2015, une feuille de route très ambitieuse, combinant propositions concrètes, financement et échéances. Afin d’en faire un succès, nous devons agir selon plusieurs objectifs : réaliser des économies d’énergie, grâce notamment au déploiement de politiques d’efficacité énergétique systématiques ; mettre fin à la dépendance aux hydrocarbures ; donner une place importante au nucléaire, en apportant bien entendu les garanties de sûreté nécessaires ;…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Simon Sutour. … développer les énergies renouvelables, afin de « décarboner » les économies européennes.
Je voudrais souligner particulièrement quelques points.
Premièrement, cette nouvelle stratégie énergétique doit prévoir des mesures fortes de protection des consommateurs et accorder une attention particulière aux besoins des plus vulnérables : il s’agit, en un mot, de déclarer la guerre à la pauvreté énergétique. Elle doit également comporter un volet fort en matière d’emploi, notamment dans le cadre du développement des infrastructures et du soutien aux politiques de recherche et d’innovation en matière énergétique.
Deuxièmement, le secteur énergétique en Europe souffre aujourd’hui d’un sous-investissement chronique. Certes, le mécanisme d’interconnexion européen est destiné à développer de grandes infrastructures énergétiques à l’échelle européenne, mais il sera en partie « recyclé » dans le cadre du plan d’investissement européen. Comment ce dernier pourra-t-il financer, d’une part, des projets énergétiques publics et privés, et, d’autre part, la recherche et l’innovation pour conforter et développer nos filières d’excellence dans le secteur énergétique ? Peut-être faudrait-il réfléchir à la mise en place d’un instrument d’investissement spécifique, faute de quoi il sera difficile d’atteindre les objectifs fixés. J’en suis convaincu, le financement sera déterminant.
Troisièmement, l’Union européenne doit pouvoir s’exprimer d’une seule voix à l’égard des pays tiers. Si l’Union doit assumer la responsabilité première de la planification et du développement des projets majeurs en matière d’infrastructures, ainsi que définir et développer les routes et fournisseurs d’énergie alternatifs, notamment pour les États membres les plus dépendants, les États doivent conserver la responsabilité première en matière de sécurité de leur approvisionnement énergétique et de leurs contrats d’approvisionnement passés avec des pays tiers. En tout cas, ce point continue de faire débat, comme on a pu le voir lors du conseil Énergie du 5 mars dernier.
Pour autant, il est clair qu’il faut développer une véritable solidarité, à la fois en coordonnant mieux nos choix et nos stratégies nationaux et en développant un mécanisme destiné à assurer la sécurité énergétique des États membres les plus vulnérables.
Sur le volet de la politique extérieure de l’Union européenne, que le Conseil européen ne manquera pas d’aborder, je voudrais manifester mon accord avec les propos que vous avez tenus sur la Libye, monsieur le secrétaire d’État : les développements de la situation sont de plus en plus inquiétants et la déstabilisation de ce pays emporte des conséquences importantes pour l’Union européenne.
Quant à la situation en Ukraine, elle est loin d’être stabilisée. Le cessez-le-feu, intervenu en application des accords de Minsk du 12 février dernier, constitue évidemment une avancée, aussi remarquable qu’inédite, à porter au crédit du couple franco-allemand. Néanmoins, ce cessez-le-feu reste fragile.
Dans certains secteurs de la ligne de front, les armes lourdes ont été effectivement retirées, le Président de la République et la Chancelière allemande ayant pu obtenir l’aval de Kiev et de Moscou pour un renforcement de la présence de l’OSCE à l’est du pays. Toutefois, la situation peut rapidement basculer et rendre caducs les accords de Minsk. Je pense qu’il est nécessaire de réajuster les sanctions en fonction des efforts déployés par la diplomatie des chancelleries européennes. On peut déplorer que la réunion informelle de Riga n’ait pas adapté ce dispositif afin de mieux accompagner les efforts diplomatiques de Paris et de Berlin. En tout état de cause, je voudrais affirmer avec force que rien ne remplacera un dialogue apaisé et constructif avec ce grand pays qu’est la Russie.
Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, comme souvent, l’actualité européenne est dense, et les enjeux européens sont toujours aussi importants pour le développement et le bien-être de nos sociétés. Nous savons, monsieur le secrétaire d’État, que vous œuvrez au mieux pour faire en sorte que les intérêts de l’Europe et ceux de la France se rejoignent, et nous comptons sur vous pour poursuivre le combat de la France pour une Europe plus politique et, surtout, plus sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Yves Pozzo di Borgo et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen portera donc principalement sur les orientations visant à la construction d’une Union de l’énergie, sur les relations entre l’Union européenne et la Russie et sur la situation en Ukraine. Je consacrerai mon intervention à ces sujets, même si d’autres seront abordés, comme le partenariat oriental ou les conclusions du second semestre 2015.
Je voudrais tout d’abord évoquer la situation en Ukraine, parce que des populations souffrent profondément aux portes de l’Union : 6 000 personnes, principalement des civils, ont déjà été tuées en onze mois de guerre civile. Il s’ensuit de difficiles relations avec la Russie, qui ont une incidence directe sur la construction de l’Union de l’énergie.
Voilà soixante-dix ans tout juste, les dirigeants de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l’Union soviétique signaient les accords de Yalta. Ce traité a divisé l’Europe en deux sphères d’influence politiques. La ligne ainsi tracée ne reposait sur aucune définition de l’Est ou de l’Ouest, mais résultait du rapport de force militaire et d’un pur compromis politique. Pourtant, elle a coupé l’Allemagne en deux et redessiné les contours de la plupart des pays du centre de l’Europe, souvent au mépris de la volonté des peuples, en ignorant tout de leur culture et de leur langue. Faut-il aujourd’hui, en recherchant une issue à la crise, négocier en quelque sorte le tracé d’une nouvelle frontière est-ouest en Ukraine ?
Les accords de Minsk 2 ont été conclus le 12 février dernier, après des heures d’âpres négociations. La signature d’un accord de cessez-le-feu, dont le respect se heurte à bien des difficultés, et d’un document de règlement politique et sécuritaire du conflit comportant treize points vise à la conclusion d’un accord de paix global dans le Donbass.
Si cette action diplomatique mérite d’être saluée, je ne peux que m’interroger sur certaines conséquences que cet accord pourrait emporter pour l’avenir de l’Ukraine.
La feuille de route prévoit l’organisation, sous législation ukrainienne, d’élections locales dans les territoires occupés du Donbass et la mise en place d’un régime ou statut spécial à l’intérieur des deux « républiques populaires ». Ainsi, l’Ukraine doit modifier sa constitution avant la fin de 2015, afin de prévoir un statut spécial pour les « républiques » du Donbass, et donc reconnaître de fait les représentants de Lougansk et de Donetsk comme des autorités quasiment légitimes et, implicitement, l’existence des territoires de l’Est. De plus, ces accords intensifient la notion de décentralisation de l’État, ce qui met forcément en question la perception même de l’influence de l’autorité politique nationale.
Ces nouveaux accords de Minsk pourraient donc être diversement appréciés par les Ukrainiens et créer de nouvelles tensions, d’autant que nous ne pouvons totalement écarter la possibilité d’une nouvelle phase d’expansion territoriale de cette crise vers la ville côtière de Marioupol, ce qui aboutirait à la formation d’un corridor terrestre entre les « républiques » du Donbass et la Crimée.
Les accords de Minsk 2 relèvent néanmoins d’une volonté de donner une solution politique au conflit. Je préfère nettement cette voie à l’action des États-Unis, qui, en envoyant 3 000 soldats manœuvrer aux frontières de la Russie, avec chars, véhicules de combat et hélicoptères, ne peuvent que contribuer à faire monter la tension. Et que penser du souhait du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de voir créer une armée européenne, au motif qu’« une armée commune à tous les Européens ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s’agit de défendre les valeurs de l’Union européenne » ? Cette annonce ne va pas non plus dans le sens de la recherche d’un apaisement des relations entre l'Union européenne et la Russie. Déjà, l’OTAN se sent recouvrer une certaine légitimité de guerre froide, dès lors qu’il s’agit de tenir tête à la Russie, voire de la combattre.
Dans une situation aussi grave, on est en droit d’attendre un peu plus de sérieux de la part du président de la Commission européenne. Pour mémoire, l’Union européenne possède déjà des groupements tactiques, gérés par rotation, censés permettre de réagir rapidement par la force. Ces groupements n’ont cependant jamais été utilisés ; alors, une armée commune…
En outre, cette déclaration va à l’encontre de la nécessaire mise en œuvre de coopérations renforcées en matière de sécurité et de défense, qui mériterait pourtant un peu plus de volontarisme. Elle se heurte à des problèmes de structure de commandement, de chaîne de décision, de gestion des ressources humaines et du budget. Enfin, l’armée est une incarnation de la nation, or il n’existe pas de nation européenne.
L’Europe a d’autres moyens de pression que le recours à une armée européenne. Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que la Grande-Bretagne et la France sont réticentes à l’idée de donner une dimension militaire à l’Union. Pouvez-vous cependant préciser la position de notre pays à l’égard de cette déclaration de M. Juncker ?
Le conflit en Ukraine fait également ressortir la problématique de la dépendance énergétique de l’Union européenne à l’égard de la Russie, qualifiée par les décideurs politiques de « fournisseur non fiable », utilisant son énergie comme une arme politique. Environ 30 % des livraisons de gaz russe à l'Union européenne transitent en effet par l’Ukraine.
L’abandon par la Russie de son projet de gazoduc South Stream, qui devait livrer soixante-trois milliards de mètres cubes de gaz à l’Union par an et était censé contourner l’Ukraine en passant par la Bulgarie, rend encore plus pressante la nécessité de trouver d’autres fournisseurs, d’autant que la Russie, comme on le sait, a changé de tactique : plutôt que de construire des gazoducs, elle acheminera du gaz jusqu’aux frontières de l'Union européenne, où les clients pourront l’acheter.
Après la présentation de l’Union de l’énergie le 25 février dernier à Bruxelles, on peut s’interroger sur les nouveaux partenariats que compte développer l'Union européenne afin de s’affranchir de cette dépendance énergétique.
Certes, je comprends bien qu’il faille diversifier les fournisseurs d’énergie afin d’éviter la réapparition de pénuries comme celle de 2009. Toutefois, compte tenu de l’instabilité de la situation dans nombre des pays concernés – où agissent des groupes terroristes comme Daech, où des guerres sévissent, comme en Irak et en Libye –, je ne suis pas convaincu que nous rendrons ainsi notre approvisionnement plus sûr. Comme certains observateurs l’ont déjà signalé, il semble prématuré de compter sur l’Iran, dont le programme nucléaire attire encore l’attention du monde, et sur l’Irak, toujours en proie à une guerre civile, pour être des fournisseurs sûrs, fût-ce à long terme. De même, que penser de coopérations avec la Turquie, l’Azerbaïdjan ou le Turkménistan ?
Comme le souligne Iverna MacGowan, directrice adjointe du bureau des institutions européennes d’Amnesty International, « en coopérant avec ces pays, sans condamner publiquement leurs violations des droits de l’homme, l'Union européenne donne pratiquement son feu vert à ces violations ». L’Union européenne assène que les droits de l’homme doivent être la pierre angulaire de toutes ses politiques étrangères, mais, dans son rapport annuel sur les droits de l’homme publié le 26 février dernier, Amnesty International dénonce clairement certains des pays avec lesquels l’Union compte faire affaire.
Nous ne pouvons fermer les yeux sur les pratiques de certains pays au seul motif que leur gaz ou autres ressources énergétiques nous intéressent ! Remplacer notre dépendance énergétique à l’égard de la Russie par une dépendance à l’égard de régimes peu soucieux du respect des droits de l’homme ne garantit nullement une plus grande sécurité énergétique à l’Europe.
Le marché intérieur de l’énergie est un autre sujet essentiel. L’Union de l’énergie avait déjà appelé à un remaniement considérable des interventions des États sur le marché. Le document du Conseil européen indique maintenant clairement que les « politiques nationales non coordonnées » en matière de potentiel de production et d’énergies renouvelables devront être remplacées par une réglementation ambitieuse, en ajoutant que les interventions des États sur la tarification créent une distorsion en termes de coûts. Dans cette perspective, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, l’ACER, se verra confier la régulation du marché unique de l’énergie, ce qui élargira considérablement les pouvoirs dont elle dispose aujourd’hui.
Cela veut-il dire que, une fois encore, nous préférons laisser le marché de l’énergie à de grands groupes industriels et financiers plutôt que d’en avoir une vision globale et sociale ? L’accès à l’énergie doit pourtant être garanti à chaque citoyen européen. Il est donc impératif que les États puissent conserver la possibilité d’assurer une maîtrise publique de l’énergie : tout ne doit pas être livré au marché !
Il est par conséquent indispensable de concevoir, au travers de l’Union de l’énergie, un véritable projet ambitieux prévoyant la façon dont les politiques commerciales et de développement européennes doivent contribuer à la réalisation des objectifs climatiques de l'Union européenne, tout en prenant acte du fait que l’énergie ne doit pas être considérée comme une simple marchandise, tant elle est vitale pour le développement humain et peut s’avérer nocive pour l’avenir de notre planète si l’on n’opère pas les bons choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, après en avoir enrichi l’article 1er d’un alinéa rappelant la nécessité de contribuer à la mise en place d’une Union européenne de l’énergie. Hasard du calendrier, cette préoccupation figure en tête de l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les questions énergétiques ont été au fondement du projet européen, avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier puis le traité Euratom sur l’énergie. Plus d’un demi-siècle plus tard, on évoque donc plus concrètement la nécessité de bâtir une véritable Union européenne de l’énergie.
En effet, si l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne vise la politique énergétique, les déclarations et les initiatives en la matière ne se multiplient que depuis quelques années. Sans être totalement absent des débats européens, le problème de l’énergie a été jusqu’à présent traité sous l’angle de la dérégulation des marchés. Or, aujourd’hui, c’est davantage l’idée d’une convergence qui fait son chemin : c’est là, selon nous, un progrès.
Le 5 février dernier, le Président de la République a déclaré qu’il fallait construire une Europe énergétique. De même, le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est exprimé en ce sens à plusieurs reprises depuis sa prise de fonction.
Le RDSE, attaché à l’approfondissement de l’intégration européenne, se réjouit de cet intérêt renforcé pour la mise en place d’une politique énergétique commune.
Je rappelle que l’Europe consomme un cinquième de l’énergie produite dans le monde, alors qu’elle ne dispose que de peu de réserves propres. Notre dépendance aux importations en provenance des pays de l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, et de la Russie constitue une véritable faiblesse.
L’Union européenne se trouve confrontée au défi de s’organiser pour garantir son approvisionnement, de s'assurer l’accès à une énergie à un tarif compétitif pour favoriser sa croissance et d’améliorer les réseaux énergétiques.
Bien sûr, je n’oublie pas l’enjeu environnemental, mais celui-ci ne peut pas demeurer le seul ressort de notre politique énergétique. De surcroît, l’Union européenne a souscrit des engagements pour 2020 et 2030, que la France a déclinés au travers du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Les objectifs du paquet énergie-climat seront d’ailleurs rediscutés lors de la COP 21. Tout cela est très bien, mais la politique énergétique européenne ne doit pas se borner à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’elles émanent ou non des vaches… (Sourires.) Comme je le disais, l’Europe doit sécuriser son approvisionnement énergétique et, pour cela, mettre en œuvre une stratégie de construction d’un véritable marché européen de l’énergie assorti de réseaux énergétiques modernes interconnectés. La recherche technologique et l’innovation doivent être davantage encouragées.
Naturellement, une telle coordination ne va pas de soi, tous les États membres n’ayant pas les mêmes intérêts. En France, nous avons développé l’énergie d’origine nucléaire, ce qui rend notre pays moins dépendant, par exemple, que la Pologne, qui importe presque tout son pétrole de Russie. Ajoutons à cela que les sensibilités à l’égard de telle ou telle énergie varient d’un pays à l’autre. On le constate depuis longtemps pour l’énergie nucléaire et on le voit aujourd’hui pour l’exploitation du gaz de schiste, plus ou moins bien acceptée.
Si l’on ne peut que souhaiter, bien sûr, le développement des énergies renouvelables, l’Europe dispose du plus grand espace maritime au monde, et donc d’un potentiel d’exploitation sous-marine qu’il ne faudra pas non plus négliger.
La consommation en hausse des Européens – et donc notre dépendance accrue à l’égard de l’extérieur – ne nous laisse pas d’autre choix que de faire valoir nos intérêts communs pour garantir à l’Union européenne un approvisionnement stable. Les États membres qui importent de Russie une large part de leur énergie craignent à juste titre pour leur sécurité énergétique quand la situation géopolitique se dégrade…
Cela m’amène à aborder brièvement un autre point de l’ordre du jour du Conseil européen : nos relations avec la Russie dans le contexte de la crise ukrainienne.
En prenant différentes initiatives depuis février 2014, l’Union européenne a pris la mesure de l’implication de la Russie dans la crise ukrainienne, ce qui est une bonne chose. Je salue à cet égard la démarche franco-allemande ayant abouti aux accords de Minsk 2. Certes, ces accords sont fragiles, mais le cessez-le-feu se met timidement en place. Tout au long de la crise, l’Union européenne a adopté un régime de sanctions à l’encontre de la Russie. Comme l’a indiqué l’Élysée la semaine dernière, une réaction serait nécessaire « en cas de rupture majeure » dans l’application des accords de Minsk.
Je partage cette position, et je me félicite que le Conseil européen informel de Riga n’ait pas proposé de nouvelles sanctions économiques contre la Russie. On peut toutefois s’inquiéter de l’existence de divergences entre les États membres, certains d’entre eux préconisant d’armer l’Ukraine. Il faudrait absolument pouvoir parler d’une seule voix.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors du débat sur le projet de loi relatif à l’accord d’association avec la Moldavie, nous devons tout faire pour contenir les tensions avec la Russie. Dans cette optique, nous devons mener une politique de voisinage raisonnable à l’est de l’Europe, car la Russie ne cèdera pas quant à sa volonté de créer une sorte de « cordon sanitaire » la séparant de l’OTAN sur sa frontière occidentale. Il faut tenir compte de cette volonté, illustrée, hélas ! par les cas de la Transnistrie et de la Crimée.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire au nom du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Bonnecarrère. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre fidélité à ce rendez-vous du débat préalable au Conseil européen, qui est pour notre assemblée l’occasion de faire le point sur les questions qui seront évoquées lors de ce dernier et de mettre les choses en perspective.
Le prochain Conseil européen portera sur les trois questions suivantes : la construction d’une Union de l’énergie, les relations entre l’Union européenne et la Russie au regard de la situation en Ukraine et le semestre budgétaire européen. Sur ces sujets, je formulerai quelques observations au nom du groupe UDI-UC, avec la liberté de ton qui est de règle dans notre assemblée.
La Commission européenne et la Banque centrale européenne font preuve depuis plusieurs mois d’un véritable activisme, qui mérite d’être salué, en faveur de la reprise économique. Pour sa part, la France se retrouve, comme en 2013 et en 2014, placée face à ses contradictions, dans la mesure où elle a les plus grandes difficultés à mettre en place des réformes structurelles pourtant incontournables.
Monsieur le secrétaire d’État, dans quelles conditions la France abordera-t-elle la prochaine réunion du Conseil européen ? S’agit-il de gagner du temps, en « surfant » sur une conjoncture plus favorable, ou de prendre sa part des efforts visant à la reprise économique, à l’instar de la Commission et de la BCE ?
J’évoquerai maintenant les recommandations faites par la Commission européenne à notre pays.
La France fait face à un triple déficit, budgétaire, commercial et au regard du marché du travail. Je fais ici allusion non seulement à notre taux de chômage, tout à fait considérable à l’échelle européenne, mais aussi au nombre d’heures de travail : de nombreuses études font apparaître que la durée du travail est moindre en France qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne, pour ne citer que nos principaux partenaires.
Plusieurs délais successifs ont été accordés à notre pays pour respecter les objectifs européens. Il nous est aujourd’hui demandé de ramener notre déficit public à 2,8 % du PIB en 2017. Des efforts nous sont également demandés afin de réduire de 0,8 % en 2016 et de 0,9 % en 2017 notre déficit structurel. Il serait d’ailleurs opportun, à mon sens, de faire preuve de pédagogie à l’égard de nos concitoyens sur la notion de déficit structurel.
Nous sommes actuellement très loin de ces objectifs, ce qui amène ma deuxième question : monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement envisage-t-il d’opérer la correction pluriannuelle qui lui est demandée ? Alors qu’il prévoyait initialement 50 milliards d’euros d’économies, la Commission européenne préconise un effort supplémentaire de 30 milliards d’euros. La situation est d’autant plus inquiétante que, sur les 50 milliards d’euros d’économies annoncées en avril 2014 au travers du pacte dit « de responsabilité », près de 30 milliards d’euros ont vocation à permettre de financer une diminution des charges sociales pour améliorer la compétitivité de notre pays. Je peine donc à concevoir comment on peut intégrer cette somme à notre effort d’économies. Comment le Gouvernement compte-t-il procéder pour respecter les objectifs fixés à l’échelon européen ?
Pour ne pas être discourtois, je ne reviendrai pas sur ce que j’appellerai la « première génération » de réformes structurelles. Je n’évoquerai donc pas la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques d’octobre 2012, ni l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, dont on nous avait pourtant dit grand bien. Quant aux effets du CICE, les avis sont assez divergents.
Je m’attacherai davantage à la seconde génération, donc à la manière dont notre pays dégagera les 50 milliards d’euros d’économies budgétaires annoncés et mènera des réformes de structures. Nous examinerons à partir du 9 avril prochain le projet de loi dit « Macron » : nous nous interrogeons fortement sur la contribution que ce texte pourra apporter à la restauration de la compétitivité de notre pays ou à la décongestion du marché du travail.
Pour être objectif, je dois dire que je vous apporte, monsieur le secrétaire d’État, un soutien tout particulier pour ce qui concerne le décompte des dépenses militaires pour le calcul du déficit public de notre pays. Que le président de la Commission, M. Juncker, évoque la mise en place d’une défense européenne ne me choque pas, au regard des contraintes en matière d’efficacité et des logiques stratégiques, qui relèvent indiscutablement, à mes yeux, du cadre européen. En revanche, je considère comme peu convenable que la plupart des pays d’Europe se satisfassent aujourd'hui de vivre sous la protection de l’OTAN, d’une part, et de la Grande-Bretagne et de la France, d’autre part. Il ne me choquerait donc pas que, au titre des « pistes comptables » qui ont été évoquées, les dépenses liées aux opérations extérieures que nous menons ou à l’entretien de notre outil de défense soient exclues du calcul de notre déficit budgétaire, ces dépenses profitant également aux autres pays européens. Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Pensez-vous que nous pourrons tenir nos engagements européens par le biais d’une simple régulation budgétaire, ou faudra-t-il élaborer une loi de finances rectificative ?
J’avais prévu d’évoquer les distorsions, en termes de taux de croissance, entre la France et les autres pays européens. Mon propos, monsieur le secrétaire d’État, vise essentiellement à briser le cercle des faux-semblants et à demander que notre pays, comme d’autres l’ont fait, prenne des mesures fortes.
Enfin, la situation en Libye et les relations avec la Russie et l’Ukraine figurent également à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Notre groupe compte, avec M. Pozzo di Borgo, un véritable spécialiste des questions internationales et de leurs liens avec les politiques énergétiques. Lors d’un prochain débat, il aura l’occasion de faire le point sur ces sujets, en particulier sur la mise en œuvre des accords de Minsk 2. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)