M. Bruno Sido. Mais importants !
M. Jean-Pierre Leleux. … que je vais vous présenter, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues.
Cela dit, j’ai bien entendu toutes les objections formulées.
Premièrement, de multiples formations existant, il serait inutile d’en créer une autre. Certes, mais quelle est leur efficience ? En effet, qu’il s’agisse de la formation classique délivrée par des associations agréées comme l’attestation prévention et secours civiques de niveau 1, de celle qui est intégrée dans le cadre de l’éducation nationale, que nous connaissons bien et dont les orateurs précédents ont parlé – voilà quelques jours, Mme Patricia Bristol, chargée de ce dossier au sein du ministère de l’éducation nationale, relevait que, à ce jour, seuls environ 30 % de collégiens sont concernés dix ans après la mise en œuvre du dispositif –, ou encore des quelques minutes consacrées au secourisme lors de la Journée défense et citoyenneté, globalement 300 000 personnes par an sont effectivement formées.
Or, chaque année, plus d’un million de personnes passent le permis de conduire. Ce chiffre varie d’ailleurs beaucoup d’une année à l’autre, allant de 800 000 à 1,3 million. Ce sont donc au moins 700 000 personnes supplémentaires qui doivent obligatoirement être formées. Il faut par conséquent organiser une formation de masse, notamment pour les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Ils pourraient alors s’engager sur la route en étant capables d’intervenir, le cas échéant, pour secourir un blessé en détresse.
Deuxièmement, l’intervention sur un blessé par un néophyte présenterait des risques. Je vous le rappelle, la formation que nous préconisons englobe des gestes élémentaires et extrêmement simples ; encore faut-il les avoir pratiqués, exercés quelques fois.
Par « ventiler », nous entendons simplement libérer les voies aériennes. (M. Jean-Pierre Leleux joint le geste à la parole.) J’exécute systématiquement le mouvement par habitude. Mais très souvent, le blessé meurt parce qu’il s’étouffe et subit une détresse respiratoire. Il suffit de remonter son menton pour que ses voies aériennes soient de nouveau dégagées et qu’il puisse continuer de respirer.
« Comprimer » consiste non pas à pratiquer un garrot ou des points de compression, comme je l’ai entendu dire, mais simplement à exercer une pression externe sur la plaie hémorragique pour en limiter le flux abondant.
Enfin, « sauvegarder » vise à mettre le blessé en position latérale de sécurité, là aussi pour empêcher les voies aériennes d’être bouchées par les régurgitations ou le sang.
J’ai reçu le témoignage d’un sauveteur, voilà quelques jours à peine, arrivé trop tard sur le lieu d’un accident, qui n’a pu que constater le décès d’une jeune fille âgée de vingt ans, étouffée par le sang qui s’est écoulé dans sa bouche après le choc qui lui avait brisé une dent. Cette victime n’est pas morte à la suite d’un traumatisme de base.
Je rappelle par ailleurs que ces gestes de premiers secours, déjà enseignés dans les formations classiques que j’évoquais tout à l’heure, figurent dans le dernier ouvrage publié sur ce thème, Les Premiers Secours pour les nuls. Chacun peut donc les apprendre de manière spontanée.
Troisièmement – c’est la principale objection –, le coût du permis de conduire va augmenter, dans une période où nous devons être attentifs au coût de la vie. Passer son permis entraîne une dépense moyenne en effet élevée de 1 500 euros. Je peux comprendre cet argument, toutefois, qu’est-ce que 25 euros par rapport à une vie sauvée ? De surcroît, les collectivités locales, dans le cadre de leurs politiques en faveur de la jeunesse, pourraient soutenir financièrement les familles qui en ont besoin.
Quatrièmement, les délais, déjà longs, de la procédure vont être allongés. C’est faux : le calendrier de la formation pratique aux gestes élémentaires de secours peut être totalement déconnecté de celui de la formation au code et à la conduite. Il suffira de se présenter dans l’une des nombreuses associations agréées, comme la Croix-Rouge, ou auprès des sapeurs-pompiers pour recevoir, en une ou deux séances, cette formation d’une durée que nous préconisons de quatre heures et d’un coût allant de 20 à 25 euros.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ce coût est de 50 à 60 euros !
M. Jean-Pierre Leleux. Au terme de cet enseignement, une attestation délivrée par l’organisation agréée sera insérée dans le dossier du permis de conduire sans que le candidat ait à passer une épreuve supplémentaire. Ainsi, on aura l’assurance d’une formation pratique à des gestes simples, élémentaires qui pourrait sauver entre 250 à 300 vies par an, selon nos estimations, c’est-à-dire entre 8 % et 10 % des tués sur la route.
Telle est la démarche de progrès que nous vous proposons, mes chers collègues. Sa mise en œuvre ne sera pas soumise de nouveau à notre examen avant longtemps. Saisissons donc l’opportunité qui nous est offerte aujourd’hui d’ajouter dans notre législation ces quelques éléments, d’une efficience particulière, afin de faire un vrai pas en avant, de rattraper notre retard en la matière et de rejoindre ainsi les pays européens qui se sont engagés depuis fort longtemps dans ce processus. Le Sénat en sortirait grandi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Je veux saluer l’intervention particulièrement poignante et passionnante de M. Leleux et me réjouir du consensus qui s’est dégagé sur le présent texte.
S’agissant des délais relatifs au permis de conduire, vous aurez l’occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de reprendre ce débat dans le cadre de l’examen, d’ici à quelques semaines, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Je remercie tous ceux d’entre vous qui sont intervenus.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Article 1er
(Non modifié)
Le chapitre Ier du titre II du livre II du code de la route est complété par un article L. 221-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 221-3. – Les candidats à l’examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours.
« Cette formation fait l’objet d’une évaluation à l’occasion de l’examen du permis de conduire.
« Le contenu de cette formation et les modalités de vérification de son assimilation par les candidats sont fixés par voie réglementaire. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Leleux, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Gilles, Mme Lopez, MM. A. Marc, Karoutchi, Mandelli et Gournac, Mme Deromedi, M. Huré, Mme Micouleau et MM. Charon, Nègre, Bouchet, Delattre, Trillard et Pierre, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après le mot :
conduire
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
attestent d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation.
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Cette formation pratique aux gestes de survie comprend, outre l’alerte des secours et la protection des lieux, ceux pour faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Leleux, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Gilles, Mme Lopez, MM. A. Marc, Karoutchi, Mandelli et Gournac, Mme Deromedi, M. Huré, Mme Micouleau et MM. Charon, Nègre, Bouchet, Delattre, Trillard et Pierre, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après le mot :
conduire
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
attestent d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation.
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Cette formation pratique porte sur les gestes de survie.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour défendre ces deux amendements.
M. Jean-Pierre Leleux. Ces deux amendements sont la suite logique de mon intervention à la tribune. Ils portent plus précisément sur deux points extrêmement importants à mes yeux pour l’efficacité du présent texte.
D’abord, je le répète, il s’agit d’une formation pratique. Je ne crois pas à l’efficacité réelle de la formation théorique, au demeurant importante auprès des enfants, afin de les sensibiliser aux premiers secours au fur et à mesure de leur évolution.
Néanmoins, quand on arrive sur le théâtre d’un accident, pour pouvoir dépasser l’effet de panique, il faut disposer d’éléments mnémotechniques et avoir pratiqué quelques fois – cinq, dix, voire vingt fois – les gestes simples requis en respectant une certaine chronologie.
Le dispositif proposé au travers de ces deux amendements n’est pas excessif.
Il s’agit tout d’abord de prévoir que le candidat au permis de conduire devra attester d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation, d’autant que le personnel des auto-écoles n’est pas toujours formé pour dispenser une telle formation.
En revanche, il existe une multitude d’organismes agréés à la formation des premiers secours, et c’est fort heureux. Avant le passage effectif du permis de conduire, il suffira au candidat de suivre ces quatre heures de formation pratique, avec une personne simulant le blessé, au cours desquelles il apprendra les trois ou quatre gestes de premiers secours importants qui méritent d’être répétés une dizaine de fois afin que, en cas d’accident lorsqu’il sera titulaire du permis, il puisse intervenir sans panique.
Nous laisserons bien sûr le pouvoir réglementaire accomplir son travail pour préciser les orientations qui résulteront de la présente proposition de loi.
Par ailleurs, il s’agit ensuite de déterminer les gestes de survie, qui suscitaient, je l’ai bien senti, quelques réticences. Outre l’alerte des secours et la protection des lieux, cette formation devra comprendre les gestes destinés à faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes. La détresse respiratoire est extrêmement fréquente et se révèle assez simple à régler ; elle provoque pourtant souvent le décès, à la suite d’un étranglement.
Quand un blessé est en arrière, il suffit de le ramener en avant pour que sa trachée retrouve sa verticalité. Quand il est penché sur le volant de son véhicule, il faut le redresser légèrement, éventuellement dégager sa langue.
Si le blessé a été éjecté du véhicule et qu’il gît à l’extérieur, sur le dos, il faut le mettre en position latérale de sécurité, voire retirer sa langue de sa gorge, vider sa bouche, s’assurer que la ventilation s’opère et attendre les secours, qui, ensuite, sont là pour agir.
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Jean-Pierre Leleux. Mes chers collègues, je vous remercie par avance de bien vouloir m’accompagner en votant ces amendements.
M. Guy-Dominique Kennel. Excellent !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 1 rectifié a déjà été présenté devant la commission des lois. Il tend à instituer une troisième épreuve au permis de conduire, s’ajoutant à l’examen théorique et à l’examen pratique. Or une telle réforme soulèverait de grandes difficultés.
Les délais de passage et le coût du permis de conduire augmenteraient fortement – mes chers collègues, gardons à l’esprit qu’il s’agit d’une troisième épreuve, d’une formation de quatre heures.
De plus, certains gestes proposés ne sont pas anodins. M. Leleux les a déclinés. Pour faire face à des cas de détresse respiratoire ou à d’hémorragies externes, il faut suivre des formations régulièrement, chaque année ou tous les deux ans. Au reste, le colonel Éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, que j’ai auditionné, me l’a clairement dit : dans certains cas, ces gestes peuvent se révéler très contreproductifs.
M. Bruno Sido. Alors, mieux vaut laisser les blessés mourir ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Monsieur Sido, il faudrait, à tout le moins, que tout le monde ait suivi une telle formation, sans compter que certains, pris de panique, ne sont pas en mesure de prodiguer ces gestes.
Par ailleurs, on le sait, notre société est extrêmement judiciarisée. Or si un blessé décède, la famille ne risque-t-elle pas de se retourner contre telle ou telle personne qui se trouvait sur le lieu de l’accident, en lui reprochant, alors qu’elle avait suivi la formation dont il s’agit, de ne pas avoir porté secours, et en l’accusant de non-assistance à personne en danger ? Ce raisonnement va peut-être un peu loin, mais c’est une possibilité à prendre en compte.
En effet, un recours a déjà été formé contre une personne qui, après avoir procédé à un massage cardiaque – je relève au passage que ce secours n’est plus préconisé –, a cassé la côte d’un individu accidenté et provoqué sa mort par perforation du poumon. Il ne faut pas oublier de tels cas de figure.
L’auteur des amendements que nous examinons exprime une préoccupation légitime. Je le répète, depuis les lois des 9 et 13 août 2004, deux articles du code de l’éducation imposent de former les élèves à l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1. Malheureusement, d’autres orateurs l’ont dit et Mme la secrétaire d’État en est consciente, cette obligation n’est pas respectée, malgré les critiques récurrentes que j’ai pu former à ce propos. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
Quoi qu’il en soit, c’est dans le cadre de l’école que chacun doit suivre une formation aux premiers secours et obtenir l’attestation qui en découle.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Tout à fait !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En l’occurrence, les dispositions de la présente proposition de loi sont plus mesurées que celles de l’amendement n° 1 rectifié, mais elles répondent à une véritable difficulté : à l’heure actuelle, la moitié des conducteurs ne savent pas alerter correctement les secours en cas d’accident. C’est une réalité ! Même à Paris, il arrive que ces derniers ne trouvent pas le lieu d’un accident, à cause de l’imprécision des éléments fournis par la personne qui a signalé celui-ci.
Une formation obligatoire aux premiers secours s’inscrivant dans le cadre des épreuves actuelles permettra de résoudre ces difficultés sans poser les problèmes que soulèverait une attestation obligatoire préalable de formation aux premiers secours.
Voilà pourquoi j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 1 rectifié et sur l’amendement de repli n° 2 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Les dispositions de ces amendements sont utiles, en ce sens qu’elles nous donnent l’occasion de préciser ce qu’il sera possible de faire dans le cadre de la formation au permis de conduire.
J’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer, le Gouvernement veillera très attentivement à ne pas contribuer à étendre les délais de la formation ou à renchérir le coût de cette dernière, quelles que soient les bonnes intentions considérées.
Monsieur Leleux, nous ne pouvons que souscrire au constat que vous dressez. Toutefois, vous l’avez indiqué, les enseignants de la conduite et de la sécurité routière ne sont pas habilités à dispenser des formations de secourisme : ils n’en ont pas la compétence. Rendre obligatoire une formation à des gestes tels que la ventilation cardiaque ou la compression d’hémorragies externes imposerait donc, soit de recourir à des intervenants extérieurs, qu’il faudrait recruter et former en nombre, soit de former les enseignants de la conduite. Dans un cas comme dans l’autre, l’incidence économique d’une telle mesure serait considérable.
Au demeurant, les autorités médicales sont partagées quant à l’opportunité qu’il y aurait à favoriser ce type d’interventions, qui, dans certains cas, ont pour effet d’aggraver l’état de la victime.
En revanche, dans le cadre de l’apprentissage de la conduite, il est possible et souhaitable de transmettre aux élèves des comportements simples à observer en cas d’accident de la circulation. Ces attitudes sont celles que j’ai citées au début de la discussion générale : savoir protéger les lieux, savoir transmettre un message et savoir évaluer sa compétence à pratiquer un geste de secours, si et seulement si l’on a été formé à cette fin.
M. Patrick Abate. Voilà !
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Le nouveau programme de formation, le référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014, met l’accent sur la transmission de ces compétences. Il sera possible de vérifier, dans le cadre des épreuves du permis de conduire, si ces dernières ont bien été assimilées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne souhaite pas aller au-delà de ces notions élémentaires au titre de la formation au permis de conduire. Il est donc défavorable aux amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.
Mme Samia Ghali. Monsieur Leleux, en présentant ces deux amendements, vous nous donnez des explications qui paraissent simples. Toutefois, face à la peur, face à l’angoisse, face à un vent de panique, il est parfois très difficile d’agir… (Mme la rapporteur acquiesce.) Je connais le cas de personnes qui ont cru pouvoir sauver une vie et ont, malheureusement, atteint le but inverse de celui qu’elles visaient.
Ces quatre heures de formation peuvent être nécessaires, mais je crains qu’elles ne soient pas suffisantes. Si l’on faisait un sondage, ne serait-ce que dans cet hémicycle, pour savoir qui est titulaire d’un brevet de secourisme, on obtiendrait sans doute un résultat surprenant. Plus largement, le problème se pose pour l’ensemble des Français, et non seulement pour celles et ceux qui présentent le permis de conduire.
Il est bon d’inciter ces candidats à suivre une telle formation. Toutefois, mieux vaut agir à d’autres niveaux, au sein des établissements scolaires et des entreprises. Ces gestes sont parfois nécessaires. Mais le fait de porter secours ne doit en aucun cas impliquer la responsabilité de sauver une vie. À mon sens, il est important de le rappeler.
Ainsi, l’intention est bonne, mais, je le répète, ces dispositions ne me semblent pas à ce jour compatibles avec la formation au permis de conduire, qui est déjà onéreuse et longue. J’ajoute que cet examen est un moment très angoissant pour bon nombre de candidats !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Selon moi, les dispositions proposées par M. Leleux relèvent du bon sens.
Mme la rapporteur m’a indiqué que nous vivions dans une société judiciarisée. Mais l’on pourra toujours accuser quelqu’un d’assistance ou de non-assistance à personne en danger, en invoquant les conséquences que les uns et les autres ont mentionnées. Dès lors, chacun admettra que cet argument n’est pas valide.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Si !
M. Bruno Sido. Quoi que l’on fasse, on n’est jamais à l’abri.
Cela étant, le fait de suivre une formation pratique aux gestes de survie, même sans la mettre en œuvre ultérieurement, me semble tout à fait nécessaire. À mon sens, il est élémentaire de savoir pratiquer les gestes de premiers secours. Chaque citoyen devrait les connaître, même s’il n’est jamais appelé à les accomplir.
Madame la rapporteur, vous le savez, en milieu rural à tout le moins, les pompiers volontaires font des exercices d’entraînement tous les samedis et dimanches. Pourquoi n’inviterait-on pas les jeunes à les rejoindre pour s’exercer aux premiers secours, aux gestes de survie ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Et le problème de la responsabilité ?
M. Bruno Sido. Chère collègue, en toute circonstance, on peut invoquer de tels obstacles : rien ne sert de se cacher derrière son petit doigt !
Quoi qu’il en soit, cette solution permettrait d’indiquer aux jeunes que l’institution des pompiers volontaires existe et qu’eux-mêmes peuvent la rejoindre. Elle présenterait ainsi un intérêt supplémentaire.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En Alsace, nous le faisons déjà…
M. Bruno Sido. J’ajoute que ce type de formation n’augmenterait pas le coût du permis de conduire.
Pour ma part, je suis favorable aux amendements présentés par M. Leleux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Mes chers collègues, je connais assez bien cette question. Je suis d’ailleurs le deuxième signataire, après Jean-Pierre Leleux, de cette proposition de loi. Au demeurant, au début des années quatre-vingt, lorsque j’étais tout jeune assistant parlementaire, ce dossier a été le premier auquel je me suis attelé.
Je constate qu’une forme de malédiction pèse sur la formation aux premiers secours, aux gestes qui sauvent, qu’elle soit théorique ou pratique. Cette malédiction revêt diverses formes.
Tout d’abord, on affirme que le législateur ne serait pas compétent en la matière. Ce sujet ne serait pas assez important. Mais de quoi s’agit-il ? L’enjeu est de sauver chaque année environ 500 vies humaines. Malgré cela, on persiste à considérer qu’il s’agit d’une compétence réglementaire, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution. Je relève au passage que, aux yeux de certains juristes, l’esprit de ces dispositions était de réserver l’essentiel des compétences au législateur…
Ensuite – c’est un cas relativement rare, même si, aujourd’hui, le Parlement n’est plus placé sur un piédestal –, la loi de 2003, qui détaillait des mesures relativement claires, n’a bénéficié d’aucun des décrets d’application permettant son entrée en vigueur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En effet !
M. Jean-René Lecerf. Les gouvernements de droite et de gauche peuvent se serrer la main : les uns et les autres ont totalement ignoré la volonté du législateur.
Par ailleurs, j’entends le fameux argument selon lequel cette compétence relèverait de l’éducation nationale. C’est formidable !
Il y a peu, j’ai travaillé avec Esther Benbassa à la rédaction d’un rapport relatif aux discriminations. À ce titre, nous avons examiné les responsabilités de l’éducation nationale, depuis la remise du rapport Debray portant sur l’enseignement du fait religieux dans l’école publique. À mon sens, l’enseignement aux gestes qui sauvent est à peu près aussi bien dispensé, à l’école publique, que l’enseignement du fait religieux…
Aujourd’hui, on affirme que 23 % des élèves de France suivent des formations de ce type. Si tel est le cas, ce n’est pas brillant… Pis, je crains fort que ce chiffre ne traduise un très large optimisme. J’ajoute une question : comment, dans les faits, des jeunes pourront-ils mettre en œuvre, à vingt ou vingt-cinq ans, des gestes qui leur auront été enseignés lorsqu’ils étaient en sixième, en cinquième ou en quatrième ?
De plus, on nous oppose le fait que ces formations coûtent trop cher – entre 25 et 60 euros. Rendez-vous compte de l’ampleur des sommes en jeu !
Mes chers collègues, les juristes suivent généralement le principe dit « du bilan coûts-avantages ». Que représentent 25 à 60 euros, si ces évaluations sont pertinentes, au regard de vies sauvées ? Cet argument semble tout à fait dérisoire. Au demeurant, lorsqu’un jeune roule à trente et un kilomètres à l’heure et non à trente, à soixante et un kilomètres à l’heure et non à soixante, on lui fait payer sans complexe des amendes d’un montant autrement plus élevé…
À présent, on nous oppose la judiciarisation de la société, face à laquelle il ne faudrait pas prendre de risques. Certains faits divers assez peu glorieux se sont récemment déroulés dans les transports en commun. Des femmes ont été agressées sans qu’aucun voyageur intervienne pour les défendre. Nous pouvons aller jusqu’à dire à nos concitoyens : « Surtout, n’agissez pas : en bousculant tel ou tel, vous risqueriez de le blesser et de subir un procès, à cause de la judiciarisation de la société. »
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jean-René Lecerf. À l’encontre de tous ces arguments, quel merveilleux exercice de citoyenneté constitue l’apprentissage aux gestes qui sauvent ! Quelle opportunité pour nos départements, qui – on en parle beaucoup ces derniers temps – financent à grands frais les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, de réclamer l’aide des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers volontaires dans la mise en œuvre d’une formation généralisée aux premiers secours !
De ce fait, notre pays cesserait d’être lanterne rouge en la matière, à l’échelle européenne.
Voilà pourquoi je soutiens l’amendement principal et l’amendement de repli déposés par M. Leleux. Comme lui, si ces dispositions ne sont pas acceptées, je ne pourrai voter ce texte. Ainsi, les deux cosignataires de cette proposition de loi – ce serait tout de même assez original – ne la voteraient pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.
M. Patrick Abate. Avant tout, je tiens à remercier sincèrement M. Leleux, qui pointe du doigt un véritable problème relevant de la santé publique, de la sécurité publique et au-delà – certains l’ont rappelé – du vivre ensemble. On apprend à lire, à écrire et à compter : on doit également apprendre à s’occuper de l’autre, à faire le minimum pour le sauver.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Patrick Abate. Ces actes participent de la citoyenneté.
Cela étant, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On ne peut pas se contenter d’une épreuve supplémentaire à l’examen du permis de conduire pour s’exonérer d’un retard qui est réel ou pour affirmer que l’on a accompli un véritable travail de fond.
Nous évoquons le vivre ensemble, la citoyenneté, la santé publique et la sécurité : mais tous ces apprentissages commencent à l’école. Certes, à l’occasion du permis de conduire, ils peuvent être contrôlés, mis à niveau, mais ils doivent se poursuivre tout au long de la vie, dans le cadre de la formation professionnelle permanente.
Si un coût de 25 euros n’est pas trop élevé pour un jeune, il le sera d’autant moins pour un employeur ou pour l’État qui pourront, dans le cadre de la formation permanente, former leurs salariés aux gestes de premiers secours.
Étant moi-même secouriste,…
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Patrick Abate. … je milite dans ma ville, auprès des associations culturelles ou d’éducation populaire, pour qu’elles fassent passer un brevet de secourisme semblable à l’ancien BNS, le brevet national de secourisme, sachant que l’examen est financé par ailleurs. Les connaissances acquises alors sont sérieuses et solides, mais si elles ne sont que peu mises en pratique et pas entretenues, elles ne servent plus à rien et peuvent même être dangereuses. Certes, il est souhaitable de se trouver le moins possible en situation de les exercer, car cela signifierait que l’on est souvent confronté à des accidentés à secourir. Quoi qu’il en soit, il faut les remettre régulièrement à jour.
Nous devons nous saisir du retard de notre pays concernant l’apprentissage des gestes de survie, pour en faire une question de vivre ensemble et pour l’inscrire dans une démarche globale. Je le répète, la formation n’est pas si onéreuse que cela pour les jeunes, a fortiori pour la société et l’ensemble des acteurs concernés.
La délivrance d’un tel enseignement lors de la formation au permis de conduire ne me semble pas constituer une panacée, même si, à cette occasion, on pourrait contrôler que ce qui a été appris à l’école est encore vivace, avant que ce savoir ne soit ensuite consolidé dans le cadre de la formation permanente.
Nous le savons, les dispositions proposées partent d’une bonne intention et seraient utiles si elles n’étaient pas déconnectées du reste. C’est donc avec regret que nous ne voterons pas en faveur des amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié.