M. le président. Cela ne m’avait pas échappé, monsieur le secrétaire d’État ! (Nouveaux sourires.)
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse s’inscrit parfaitement dans le sens de ma question : il a donc bien fallu affecter un certain nombre de fonctionnaires - quinze ou trente-cinq, peu importe - au traitement de ces cas d’usurpation, qui ne cessent d’augmenter, puisque, alors qu’on en recensait 17 000 en 2012, nous en étions à plus de 22 000 en 2013 !
Je note que la réponse que vous m’avez lue n’évoque pas le contrôle de ces machines que l’on trouve désormais sur internet.
Surtout, vous avez affirmé d’emblée que la question était bien connue. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui l’ai posée pour la première fois en 2013 ; c’est le Défenseur des droits qui a soulevé le problème. Nous sommes aujourd'hui en 2015, et rien n’a encore été fait, alors que le phénomène concerne non plus seulement ceux qui veulent échapper aux radars en utilisant de fausses plaques, mais aussi le grand banditisme et le terrorisme, comme nous en avons eu la preuve tout récemment.
Les frères Kouachi, qui ont d’ailleurs laissé leur carte d’identité dans le véhicule qu’ils ont utilisé, avaient autre chose en tête que la volonté d’échapper à une amende ! Le problème est donc très grave.
Des systèmes ont été mis en place par d’autres pays. Lorsque je m’interroge sur leur adoption par la France, on me rappelle à chaque fois les contraintes des différents acteurs. Toutefois, les règles de droit que vous avez citées, monsieur le secrétaire d’État, devraient déboucher sur un encadrement plus strict de la fabrication des plaques d’immatriculation.
Je l’ai dit, on peut se faire faire une plaque d’immatriculation sans aucune difficulté. Selon moi, il n’est pas normal que ceux qui sont théoriquement habilités à fabriquer des plaques d’immatriculation n’effectuent aucune vérification, ne réclamant ni permis de conduire ni carte d’immatriculation. Les dispositifs adoptés ailleurs et, en particulier, la mise en place d’une puce ou d’un système de lecture optique, pourraient permettre aux forces de l’ordre de repérer plus facilement les infractions, sans attendre qu’une amende soit envoyée au domicile d’une personne n’ayant jamais conduit dans le département dans lequel l’infraction a été commise.
Il faut donc faire de la prévention. Or, pour le moment, on se contente de constater, en essayant d’alléger un peu – heureusement ! – le sort des automobilistes dont la plaque d’immatriculation a été usurpée, en mettant à disposition sur internet un certain nombre d’informations. Ce que je réclame, comme d’autres, c’est que le Gouvernement prenne en charge en amont ces usurpations, et d’une façon plus efficace !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin n° 89 sur l’ensemble de la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy : j’ai en effet été déclarée comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir, tandis que, à l’inverse, mon homonyme, M. Jacques Gillot, a été déclaré comme s’étant abstenu, alors qu’il souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, madame Gillot. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Éloge funèbre de Jean-Yves Dusserre, sénateur des Hautes-Alpes
M. le président. Messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est avec une très grande tristesse, et pourquoi ne pas le dire une certaine stupeur, que nous avons appris, le 27 décembre dernier, la brutale disparition de notre collègue Jean-Yves Dusserre, à son domicile de Chabottes, commune qui lui était si chère et qui l’avait vu naître le 1er janvier 1953. (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
C’est donc avant même d’avoir fêté ses soixante-deux ans que notre collègue nous a quittés. Nous savions – il m’en avait fait la douloureuse confidence quelques semaines plus tôt, ainsi qu’à son président de groupe – qu’il luttait depuis plusieurs mois contre la maladie. La volonté de se battre et, espérait-il, de revenir parmi nous plein d’énergie ne l’a jamais quitté, mais son état de santé s’était rapidement dégradé en cette fin d’année 2014.
Il avait ainsi été victime d’un malaise lors des cérémonies du 11 novembre à Gap, mais il avait encore fait l’effort d’une ultime apparition publique le 18 décembre, à Briançon, à l’occasion de l’inauguration du pont sur la Durance qui lui tenait tant à cœur.
Nous le savions donc fatigué mais, comme tous ses proches, nous gardions espoir et n’imaginions pas que le mal contre lequel il luttait, avec la discrétion et le courage qui le caractérisaient, allait l’emporter avec une telle rapidité.
L’annonce de son décès a bouleversé l’ensemble du département des Hautes-Alpes, qui s’est trouvé, comme le Sénat de la République, brutalement en deuil, en pleine période de fêtes de fin d’année.
Jean-Yves Dusserre nous avait rejoints au palais du Luxembourg le 28 septembre dernier, après avoir été durant près de quatorze ans le suppléant à l’Assemblée nationale de notre collègue Patrick Ollier, qui est présent dans nos tribunes.
Les 438 grands électeurs du département des Hautes-Alpes se sont, à l’automne dernier, largement prononcés en sa faveur pour succéder à notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.
Il avait, tout au long de la campagne sénatoriale, plaidé pour les thèmes qui lui étaient chers, en faveur des Hautes-Alpes, qu’il s’agisse du développement du tourisme ou de l’économie, du désenclavement de son département, sans parler, bien sûr, de la question épineuse et récurrente du loup.
Dès son arrivée au Sénat, Jean-Yves Dusserre avait su, par sa convivialité, son profond humanisme et sa finesse d’esprit, ainsi que par la simplicité, la sincérité et l’enthousiasme de son engagement passionné en faveur des territoires ruraux et de montagne, gagner la sympathie et le respect de tous.
Il avait pris toute sa place au sein du groupe UMP, formation politique qu’il avait rejointe dès sa constitution, comme à la commission des affaires sociales, où il avait eu à intervenir à l’occasion de la dernière discussion budgétaire, sur le thème du logement.
Il avait également souhaité participer aux travaux de la nouvelle délégation sénatoriale aux entreprises dont nous avons décidé la création il y a quelques semaines.
Si Jean-Yves Dusserre n’a malheureusement pas eu le temps de donner toute sa mesure au Sénat de la République, il avait auparavant gravi, durant trente-sept ans de carrière publique et politique, tous les échelons.
Jean-Yves Dusserre était d’abord un homme de consensus, à la recherche des compromis constructifs et à l’écoute des uns et des autres, y compris de ses adversaires politiques, qui ne cachaient pas leur sympathie à son égard, comme une reconnaissance pour les décennies de travail accompli au service de son territoire et de son département haut-alpin.
Ces traits de caractère, Jean-Yves Dusserre les tenait de la richesse de sa formation et des valeurs qu’il avait reçues de ses parents agriculteurs.
Ses valeurs étaient d’abord celles du monde rural. Il était viscéralement attaché à la montagne, à son agriculture, à son élevage, et s’inscrivait pleinement dans la tradition familiale d’une terre authentique, celle du monde paysan et des stations alpines, pour le développement desquelles il s’est battu tout au long de sa carrière.
Après des études secondaires sur les bancs du lycée Dominique-Villars puis du lycée Aristide-Briand de Gap, le jeune Jean-Yves Dusserre prit la direction d’Aix-en-Provence pour y obtenir une maîtrise en droit en 1976. Cette formation de juriste l’aura servi, tout au long de ses mandats, pour mener une gestion rigoureuse et avisée à la tête, successivement, de sa commune et de son département.
Mais Jean-Yves Dusserre était également un homme de l’entreprise, ayant été responsable d’une société pendant sept ans, puis à nouveau d’une structure commerciale pendant près d’une décennie. L’école de l’entreprise privée aura ainsi contribué à forger concrètement son approche pragmatique de la politique et des réalités économiques de notre pays.
Enfin, l’engagement politique de Jean-Yves Dusserre s’inscrivait également dans la droite ligne d’un investissement ancien et constant dans la vie associative, puisqu’il s’était impliqué dès l’adolescence, dans son village de Chabottes, dans de multiples activités de proximité en présidant aux destinées de diverses associations.
La carrière exemplaire d’élu local de Jean-Yves Dusserre avait ainsi commencé dès l’âge de 24 ans, lorsqu’il intégra le conseil municipal de sa commune natale. Son dynamisme, son caractère chaleureux et son dévouement le conduisirent à être élu maire de Chabottes deux ans plus tard seulement. Il occupera dès lors cette fonction sans discontinuer de 1979 à 2008.
Jean-Yves Dusserre, qui était encore premier adjoint au maire de sa commune, n’oubliera jamais ses racines. Elles lui avaient naturellement servi d’ancrage pour se lancer dans une carrière politique qui le conduira jusqu’à la présidence du conseil général des Hautes-Alpes.
Il fut conseiller général de Saint-Bonnet-en-Champsaur en 1992, deuxième vice-président du conseil général de 1998 à 2001, puis premier vice-président de 2001 à 2004. C’est finalement en 2008, après avoir patiemment retissé les fils d’une opposition divisée, que Jean-Yves Dusserre accède, à l’issue des élections cantonales de mars 2008, à la présidence du conseil général.
Il se dévouera dès lors sans compter, avec la passion qui le caractérisait, à cette nouvelle mission, qu’il s’agisse de la réfection du réseau routier, de l’entretien des collèges et bâtiments départementaux ou de la nouvelle agence départementale de l’économie et du tourisme, sans oublier les relations entre le département des Hautes-Alpes et la Société du Tour de France, qui lui étaient chères et lui permirent d’obtenir le passage sur son territoire, à l’été prochain, de cette compétition sportive de légende.
Le dévouement de Jean-Yves Dusserre pour ses concitoyens, sa passion pour son territoire et pour son département expliquent sans nul doute les hommages unanimes qui lui ont été rendus au cours des dernières semaines, par ses proches, par ses amis mais aussi par ses adversaires politiques.
Le maître-mot de la politique mise en œuvre par Jean-Yves Dusserre était sans aucun doute celui de proximité. Rester proche de chacun, à l’écoute de ses concitoyens, était, disait-il, le meilleur moyen de répondre à leurs besoins. « La proximité, c’est ça ma politique », se plaisait-il à dire.
Jean-Yves Dusserre aura ainsi, durant près de quarante ans, servi sa commune, son canton puis son département. Il aura puissamment contribué au développement économique de son territoire et à son rayonnement en France et en Europe.
Tel était aussi l’objectif qu’il visait au travers du mandat sénatorial qui était le sien depuis septembre dernier, et qui s’inscrivait dans la droite ligne de son engagement local.
Écoutons-le encore : « La politique est la meilleure manière d’agir pour que chaque voix soit entendue et pour que l’équité, la proximité, la solidarité règnent en maîtres-mots sur notre département rural de montagne dont nous sommes si fiers. »
Ce message, Jean-Yves Dusserre aura su le faire entendre durant quelques mois dans ces murs, au sein du Sénat de la République. Nous ne l’oublierons pas.
Mes chers collègues, la personnalité attachante de Jean-Yves Dusserre et l’action exceptionnelle qu’il a conduite au long de sa vie publique justifient pleinement que lui soit rendu aujourd’hui, dans notre hémicycle, l’hommage de la République.
À nos collègues du groupe UMP, à ceux de notre commission des affaires sociales, qui perdent aujourd’hui l’un de leurs membres, ainsi qu’à Mme Patricia Morhet-Richaud, qui a la lourde charge de lui succéder, j’exprime à cet instant notre sympathie attristée.
Mme Dusserre m’a prié de remercier les nombreux collègues, sur toutes les travées, qui lui ont adressé leurs témoignages de soutien et leurs messages de réconfort. À vous, madame, à vos deux enfants, Sylvie et Hervé, et à chacun de vos petits-enfants, je présente les condoléances sincères du Sénat de la République et dis la part personnelle que nous prenons aujourd’hui à votre chagrin.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec une très grande tristesse que le Gouvernement a appris la disparition de Jean-Yves Dusserre, trois mois seulement après son élection au sein de la Haute Assemblée. Comme l’a dit M. le Premier ministre, la République a perdu un élu sincère et passionné par son territoire.
Fils d’agriculteurs champsaurins, Jean-Yves Dusserre était profondément attaché aux terres de montagne qui l’avaient vu naître. Certes, il avait quitté les Hautes-Alpes à la fin de ses études secondaires pour aller étudier le droit privé à Aix-en-Provence, mais ce n’était que pour mieux y revenir une fois sa maîtrise obtenue. Il avait ainsi regagné le Champsaur dès la fin de ses études, pour devenir conseiller municipal de Chabottes à l’âge de 24 ans, avant d’être élu maire de la commune à peine deux ans plus tard.
Défenseur inlassable de la ruralité, Jean-Yves Dusserre a porté ses valeurs à l’échelle du département. Élu conseiller général en 1992, il devient vice-président du conseil général des Hautes-Alpes dès 1998, avant d’en prendre la présidence en mars 2008. Les citoyens lui ont, pendant toutes ces années, accordé une confiance totale, comme en témoigne le fait qu’il a obtenu chacune de ses réélections dès le premier tour.
Tous ceux qui ont connu Jean-Yves Dusserre saluent la mémoire d’un homme de consensus, qui savait rassembler, et surtout écouter. Sa simplicité, sa sincérité et ses qualités humaines étaient appréciées de tous, par-delà les divergences politiques, comme en témoignent les très nombreux hommages qui lui ont été rendus.
Au sein du conseil général des Hautes-Alpes, Jean-Yves Dusserre a œuvré sans relâche pour améliorer la vie quotidienne des Hauts-Alpins et pour favoriser le rayonnement de son département. Je tiens en particulier à rendre hommage à son action en faveur des jeunes et des habitants les plus fragiles, à son engagement constant pour la mise en œuvre de politiques publiques pragmatiques et de proximité.
Jean-Yves Dusserre était convaincu que l’action publique devait tendre vers un équilibre : faire vivre les services publics tout en dynamisant les initiatives privées. Fort de cette conviction, il avait fait le choix, au Sénat, d’être membre de la commission des affaires sociales et de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Hélas, son mandat au Sénat fut dramatiquement interrompu le 27 décembre dernier, date à laquelle Jean-Yves Dusserre a été emporté par la maladie. Il a affronté cette épreuve dans la discrétion, en continuant jusqu’au bout à assumer les mandats qui lui avaient été confiés par les citoyens et les élus des Hautes-Alpes. Son courage est, pour nous tous, une source d’admiration.
Je présente les très sincères condoléances du Gouvernement à la famille de Jean-Yves Dusserre, à son épouse Colette, à ses deux enfants, Sylvie et Hervé, à ses petits-enfants, aux habitants du Champsaur et des Hautes-Alpes, aux membres du conseil général des Hautes-Alpes, ainsi qu’à l’ensemble de ses collègues sénateurs et à ses collaborateurs.
M. le président. Messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de Jean-Yves Dusserre. (MM. les secrétaires d’État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Jean-Yves Dusserre, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Demande de création d’une commission d’enquête
Mme la présidente. Par lettre en date du 2 février 2015, M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste, a fait connaître à M. le président du Sénat que le groupe écologiste demande, en application de son droit de tirage prévu à l’article 6 bis du règlement, la création d’une commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air.
La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.
6
Scrutins pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini.
En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise.
Il va être procédé à ces scrutins dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.
Pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter, pour chacun des scrutins, plus d’un nom, sous peine de nullité.
J’ai été saisie des candidatures de Mme Maryvonne Blondin, pour siéger comme membre titulaire, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, et de M. Jacques Bigot, pour siéger comme membre suppléant, en remplacement de Mme Maryvonne Blondin.
Je prie M. Jean Desessard, Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.
Je déclare ouverts les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Ils seront clos dans une heure.
7
Accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Michel Billout et plusieurs de ses collègues (rapport et texte de la commission n° 199).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Billout, auteur de la proposition de résolution.
M. Michel Billout, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre de la proposition de résolution européenne n° 75 sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, que la commission des affaires européennes, sur la base d’une proposition déposée par mon groupe, a adoptée à l’unanimité, après l’avoir amendée, le 27 novembre dernier.
Ce texte a un double objet.
D’une part, il dénonce l’opacité des négociations menées jusqu’à la fin de l’année dernière par l’Union européenne avec le Canada sur l’accord économique et commercial global, le CETA, et de celles qui ont été ouvertes en juin 2013 et sont actuellement en cours avec les États-Unis en vue de l’établissement d’un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP.
D’autre part, le texte que nous examinons s’oppose à un projet d’accord prévoyant un mécanisme de règlement à caractère privé des différends entre les investisseurs et les États. Certes, nous abordons ainsi les négociations transatlantiques sous un angle partiel, mais, en adoptant ce projet de résolution, la commission des affaires européennes a considéré que ce sujet est emblématique d’une menace que ces négociations peuvent représenter pour nos choix de société et notre ordre institutionnel.
J’aborderai en premier lieu la question de la transparence, qui est prioritaire.
Dans le contexte de crise, économique mais aussi politique, que traverse l’Europe, nous devons considérer comme un impératif démocratique la transparence des négociations commerciales menées par la Commission européenne, et plus particulièrement, compte tenu de leurs enjeux, de celles qui sont conduites avec le Canada et les États-Unis.
S’agissant d’ailleurs du rôle des parlements nationaux, il subsiste une incertitude quant à la nature mixte de ces accords, qui les fait relever tant des compétences de l’Union européenne que de celles des États membres. Cela a son importance, dans la mesure où un accord mixte doit non seulement obtenir l’aval du Conseil et du Parlement européens, mais également être ratifié par chaque État membre.
Il nous semble donc essentiel, du point de vue des opinions publiques européennes, que la Commission européenne ne cultive pas le secret sur les négociations qu’elle conduit pour le compte du Conseil. Cela ne fait que nourrir les inquiétudes.
Il est vrai que rien, dans les traités, ne l’oblige à informer les parlements nationaux, mais ce serait prendre un grand risque politique que de les ignorer jusqu’au moment de la ratification.
Le contrôle démocratique, ce n’est pas : « voici l’accord, c’est à prendre ou à laisser ». C’est pourtant le scénario que l’on tente de nous imposer concernant l’accord avec le Canada. Sa publication, à la fin de septembre, nous a permis de découvrir un texte de plus de 1 600 pages, et la Commission européenne, sur le fondement du mandat du Conseil, présente la négociation comme close.
Il est évident que nous ne saurions nous satisfaire d’une telle affirmation. Les négociateurs ont peut-être achevé la principale partie de leur travail, mais c’est maintenant aux représentants des citoyens européens, ou aux citoyens eux-mêmes, de ratifier le traité proposé en totalité, après amendements, ou de le rejeter.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Michel Billout. Quant au partenariat transatlantique, c’est sous la pression de l’opinion publique que le Conseil s’est enfin résolu, au mois d’octobre dernier, à déclassifier et à publier le mandat de négociation qu’il avait confié quinze mois plus tôt à la Commission européenne.
Mais l’effort de transparence doit être poursuivi tout au long des négociations. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes sur cette ligne et la nouvelle commissaire européenne au commerce semble aussi plus attentive à l’impératif de transparence. Le 7 janvier dernier, la Commission a ainsi mis en ligne plusieurs textes et règles contraignantes que l’Union européenne souhaite faire figurer dans l’accord de libre-échange. Il faut se féliciter de cette nouvelle démarche, mais les textes américains, et même les documents communs européens et américains, restent, hélas, bien confidentiels.
D’autres évolutions positives sont d’ailleurs intervenues ces dernières semaines : la Commission s’est ainsi engagée à publier davantage de documents de négociation qu’elle partage déjà avec les États membres et le Parlement européen ; elle donnera de même un accès élargi à tous les députés européens à ses documents de négociation classifiés « UE-restreints » au sein d’une « salle de lecture » sécurisée. Elle réduira par ailleurs la quantité de ces documents classifiés, afin, précisément, de les rendre accessibles, hors la salle de lecture, à tous les eurodéputés. Ces démarches vont dans le bon sens, même si la partie américaine reste extrêmement fermée à la transparence sur ses propres documents de positions. Il s’agit donc d’un encouragement à rester fermes sur notre exigence démocratique de transparence des négociations.
Madame la présidente, mes chers collègues, parmi les sujets d’inquiétude qu’alimentent ces négociations, le système de règlement des différends entre investisseurs et États s’est imposé dans l’opinion ces derniers mois.
De quoi s’agit-il ? C’est un dispositif d’arbitrage privé auquel un investisseur peut recourir si l’État dans lequel il a investi ne respecte pas les règles de protection des investissements fixées dans un traité. Il s’inspire de l’arbitrage commercial auquel recourent les entreprises en cas de contentieux contractuel et qu’elles apprécient pour sa rapidité, sa confidentialité et son autonomie par rapport à la justice nationale de chacune des parties au différend. Ce mécanisme, que désigne le plus souvent l’acronyme anglais ISDS, pour Investor-State Dispute Settlement, accompagne déjà de nombreux accords de protection des investissements : ainsi, les États membres de l’Union, à l’exception de l’Irlande, sont aujourd’hui parties à 1 300 traités incluant ce mécanisme. Notre Parlement lui-même a ratifié près de cent accords de protection des investissements comportant une telle clause, afin de donner à nos investisseurs les moyens de faire valoir leurs droits dans des pays où l’État de droit est encore fragile : il s’agit plutôt de pays du Sud, mais nous avons aussi signé de tels accords avec la Corée du Sud, la Chine et même avec certains États d’Europe de l’Est.
Ce système n’est donc pas une nouveauté. Il peut répondre au besoin des investisseurs de se couvrir contre le risque de subir, de la part de l’État où ils ont investi, soit un traitement discriminatoire, soit une expropriation. Dédommager un investisseur victime d’expropriation directe ne fait pas débat ; la question est plus délicate quand il s’agit d’expropriation indirecte, notion très floue, qui donne lieu à diverses interprétations selon les arbitres.
Avec le développement des investissements directs à l’étranger, le recours au règlement des différends s’est banalisé. En plus de présenter des défauts en termes de transparence, l’arbitrage d’investissement a donné lieu à des abus retentissants : plusieurs entreprises ont pu ainsi obtenir des dédommagements parfois extraordinairement élevés de la part d’États qui avaient adopté des mesures qui leur portaient préjudice. Ainsi, Petroleum a pu gagner 1,7 milliard de dollars contre l’Équateur, soit près de 2 % du PIB du pays, l’Australie s’est trouvée mise en cause par Philip Morris pour avoir choisi de rendre neutres les paquets de cigarettes, l’Allemagne est attaquée pour sa décision de renoncer à l’énergie nucléaire. Voici un autre exemple, français celui-là : Veolia a engagé un recours contre l’Égypte en 2012 ; encore en cours d’instruction, la plainte de Veolia a été déposée au nom du traité d’investissement conclu entre la France et l’Égypte. La nouvelle loi sur le travail adoptée en Égypte et créant un salaire minimum contreviendrait, selon Veolia, aux engagements pris dans le cadre du partenariat public-privé signé avec la ville d’Alexandrie pour le traitement de ses déchets.
Les États sont ainsi menacés de sanctions financières massives pour des décisions d’ordre sanitaire, social ou environnemental. Cette pression exercée sur eux risque de les dissuader de légiférer.
Pourquoi donc inclure un tel dispositif dans les accords CETA et TTIP ? Nos partenaires d’outre-Atlantique y voient l’occasion d’harmoniser les règles de protection des investissements dans toute l’Union et d’assurer leur mise en œuvre dans tous les États membres, quelle que soit la fiabilité du système judiciaire de chacun de ces États. Les États-Unis espèrent aussi, en insérant un ISDS dans le partenariat transatlantique, comme dans son équivalent transpacifique, imposer un tel mécanisme à la Chine.
Du côté européen, il faut d’abord relever que la conclusion d’accords d’investissement constitue une compétence récente de l’Union européenne, que lui a conférée le traité de Lisbonne. L’objectif d’un accord d’investissement comprenant un ISDS est bien sûr d’encourager les investissements croisés avec les États-Unis et le Canada pour renforcer l’attractivité de l’Union ; il est aussi de faciliter la résolution des litiges pour les entreprises européennes, car le système judiciaire outre-Atlantique est coûteux et complexe à appréhender du fait de la structure fédérale. Enfin, l’Union entend, à l’occasion de la négociation de ces accords, moderniser la protection des investissements et l’arbitrage associé pour infuser ce modèle amélioré à l’échelle mondiale.
La Commission fait ainsi valoir que l’accord avec le Canada présente sur ce plan de nombreuses avancées par rapport aux ISDS des accords bilatéraux existants : moins d’ambiguïté dans l’interprétation, grâce à la fois à un meilleur encadrement des notions de traitement juste et équitable et d’expropriation indirecte et à l’obligation faite aux arbitres de se conformer à l’interprétation des clauses du traité par ses signataires ; une plus grande transparence de la procédure d’arbitrage ; une plus grande impartialité des arbitres grâce à une meilleure prévention des conflits d’intérêts, au respect d’un code de conduite et à la constitution d’une liste d’arbitres agréés par les parties au traité ; un encadrement du coût des litiges et la prise en charge des frais par le plaignant.
Il est vrai qu’il s’agit d’avancées certaines, qui démontrent bien toutes les anomalies d’un tel système, mais ces modifications ne règlent pas tous les défauts de transparence, elles ne règlent pas totalement les risques de conflits d’intérêts et, surtout, elles renvoient à un hypothétique avenir la création d’une juridiction d’appel.
C’est pourquoi, au terme de la douzaine d’auditions que j’ai menées pour préparer mon rapport, je persiste à penser qu’il nous faut nous opposer à l’introduction d’un tel système d’arbitrage privé des différends entre États et investisseurs dans l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis, et revenir sur ce point en ce qui concerne l’accord entre l’Union européenne et le Canada.
Instaurer un tel système entre des États de droit bien établis paraît sans fondement : le flux des investissements croisés entre l’Union européenne et les États-Unis en est la preuve. Surtout, cela fait peu de cas du principe de démocratie et du respect de l’État de droit. Voulons-nous avoir à indemniser des sociétés étrangères pour compenser d’éventuelles conséquences industrielles de nos choix démocratiques ? Voulons-nous privilégier une justice privée par rapport à celle de nos tribunaux ? D’ailleurs, M. le président Juncker ne s’y est pas trompé, qui déclarait lors de son discours d’investiture qu’il s’opposerait à ce que « la juridiction des tribunaux des États membres de l’Union soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs ».
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette question de l’arbitrage en matière d’investissements est aujourd’hui gelée dans les négociations du TTIP. Le 13 janvier dernier, la Commission a commencé à tirer les premières conclusions des résultats de la consultation qu’elle a menée l’année dernière auprès de la société civile. Le premier enseignement est que l’écrasante majorité des réponses à son questionnaire sont plus que réservées, sinon franchement hostiles à l’inclusion d’un tel mécanisme au sein du TTIP.
La Commission entend poursuivre sa consultation avec les eurodéputés, les gouvernements et les parties prenantes sur trois enjeux centraux : le droit des États à réglementer, le fonctionnement des instances arbitrales et les relations avec les tribunaux nationaux, sans oublier l’idée d’un mécanisme d’appel. Monsieur le secrétaire d'État, il serait intéressant que vous nous indiquiez la position de notre gouvernement sur ces questions.
Les motifs d’opposition sont suffisamment sérieux, aux yeux de la commission des affaires européennes, pour suggérer de reconsidérer aujourd’hui l’introduction d’un ISDS dans l’accord avec le Canada, comme dans le partenariat transatlantique, sans oublier l’accord conclu avec Singapour. À défaut, la ratification de ces accords rencontrerait de réelles difficultés.
Concernant la négociation avec les États-Unis, le jeu est plus ouvert. C’est pourquoi notre proposition de résolution mentionne, outre l’option d’écarter l’idée de l’arbitrage privé avant même d’ouvrir ce chapitre de la négociation avec notre partenaire, celle de recourir à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements inspiré du modèle de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.
La proposition de résolution insiste aussi sur la nécessité que les règles de protection des investissements finalement retenues dans le TTIP reconnaissent explicitement la possibilité, pour l’Europe, de développer ses politiques propres, y compris en matière industrielle, et de préserver ses acquis, notamment en matière sociale, environnementale et sanitaire. Sans doute les États-Unis sauront-ils eux aussi se ménager de nombreuses exceptions, au nom de leur sécurité et de leurs intérêts nationaux.
Plus largement, en ce qui concerne l’ensemble de la politique commerciale, la proposition de résolution suggère d’examiner systématiquement l’opportunité d’inscrire un ISDS dans le traité, au lieu d’en prévoir un automatiquement. Nous proposons aussi que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel donnant une vision d’ensemble des objectifs et des principes qui guident la politique commerciale et d’investissement de l’Union européenne et de la France.
Au bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de résolution qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)