Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
M. Philippe Adnot, Mme Valérie Létard.
2. Modifications de l’ordre du jour
3. Loi de finances pour 2015. – Suite de la discussion d’un projet de loi
M. Vincent Eblé, rapporteur spécial de la commission des finances
M. André Gattolin, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission de la culture
M. David Assouline, rapporteur pour avis de la commission de la culture
M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis de la commission de la culture
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication
Rejet, par scrutin public, des crédits de la mission « Culture » figurant à l’état B.
Adoption de l'article.
Solidarité, insertion et égalité des chances
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
Rejet, par scrutin public, des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » figurant à l’état B.
Adoption de l'article.
Régimes sociaux et de retraite
Compte d’affectation spéciale : Pensions
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial de la commission des finances
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » figurant à l’État B.
Adoption des crédits du compte d’affectation spécial « Pensions » figurant à l’État D.
Article 65 (nouveau). – Adoption
M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la commission des finances
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Amendement n° II-161 de M. David Rachline. – Non soutenu.
Amendement n° II-68 de la commission. – Adoption par scrutin public.
Amendement n° II-187 rectifié bis de M. Robert Laufoaulu. – Retrait.
Adoption, par scrutin public, des crédits modifiés de la mission « Santé » figurant à l’état B.
Amendement n° II-69 de la commission. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 59 sexies
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. Philippe Adnot,
Mme Valérie Létard.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modifications de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date du 28 novembre, le Gouvernement demande que la proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, soit inscrite à l’ordre du jour du lundi 15 décembre matin et, éventuellement, après-midi.
Par ailleurs, il demande que les conventions internationales inscrites à l’ordre du jour du jeudi 18 décembre matin soient examinées l’après-midi et que trois autres conventions internationales soient examinées lors de cette même séance, selon la procédure simplifiée.
L’ordre du jour des lundi 15 et jeudi 18 décembre 2014 s’établirait donc comme suit :
Lundi 15 décembre
À 10 heures :
- Proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes ;
(Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au vendredi 12 décembre, à 12 heures, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure).
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin ;
- Nouvelle lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ;
Jeudi 18 décembre
À 9 heures 30 :
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 ou nouvelle lecture ;
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises ;
De 15 heures à 15 heures 45 :
- Questions cribles thématiques sur la réforme des rythmes scolaires ;
À 16 heures et, éventuellement, le soir :
- 7 conventions internationales en forme simplifiée ;
- Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.
Il n’y a pas d’observation ?...
Il en est ainsi décidé.
3
Loi de finances pour 2015
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 107, rapport n° 108).
SECONDE PARTIE (SUITE)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Mme la présidente. Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Culture
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Culture » (et article 50 bis).
La parole est à M. Vincent Eblé, rapporteur spécial.
M. Vincent Eblé, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, la mission « Culture » est une mission importante budgétairement – 2,6 milliards d’euros prévus en 2015 –, qui couvre trois champs principaux : le patrimoine, la création et la démocratisation culturelle.
Les principaux objectifs visés par la mission sont les suivants : sauvegarder, protéger et mettre en valeur le patrimoine culturel sous toutes ses formes ; favoriser la création, la diversité et la diffusion des œuvres d’art et de l’esprit ; renforcer l’enseignement supérieur culturel et soutenir la démocratisation culturelle grâce, en particulier, à l’éducation artistique et culturelle.
Dans la répartition opérée avec mon collègue André Gattolin, il me revient de vous présenter l’analyse générale de la mission ainsi que les crédits relatifs au programme 175 « Patrimoines ». Pour sa part, André Gattolin vous parlera du programme 131 « Création » et du programme 224 « Transmission de la culture et démocratisation des savoirs ».
Les crédits prévus pour 2015 sont stables par rapport à 2014, et c’est une évolution dont on peut se féliciter, après deux années de forte attrition des crédits au cours desquelles la mission a fortement contribué à l’effort de redressement des comptes publics. En outre, cette évolution favorable dans le contexte budgétaire actuel se poursuivra sur l’ensemble des trois années 2015-2017.
Cet effort traduit bien la priorité accordée par le Gouvernement à la culture et est en cohérence avec plusieurs grandes priorités transversales : les territoires, le renforcement de l’attractivité et de la compétitivité de notre pays, la jeunesse et la refondation de l’école.
La mission « Culture » est marquée par le poids de ses dépenses de fonctionnement et d’intervention. La hausse des dépenses de fonctionnement traduit, notamment, une inflexion positive des moyens attribués aux opérateurs – les musées nationaux, le Centre des monuments nationaux, les établissements du spectacle vivant, les écoles supérieures –, après deux années de baisse, avec la réduction de leurs subventions et même des prélèvements exceptionnels sur les plus solides d’entre eux.
De façon générale, les opérateurs de l’enseignement supérieur connaissent un traitement plus favorable que les grands musées ou établissements qui ont des marges de manœuvre pour développer leurs ressources propres. Nous approuvons ce traitement différencié, qui traduit en outre la priorité accordée à la jeunesse et à l’éducation.
André Gattolin et moi-même, comme beaucoup d’entre nous ici je pense, attendons avec impatience le dépôt au premier semestre 2015 du grand projet de loi sur le patrimoine, la création et l’architecture. Il permettra de juger, en complément du budget pour 2015, de l’ambition du Gouvernement dans le domaine culturel.
Les crédits du programme 175 « Patrimoines » sont stables, de manière générale, par rapport à 2014. Après deux années de forte baisse, ils représentent 751 millions d’euros. J’estime que cette stabilité des crédits, dans le contexte budgétaire actuel, est une bonne chose. En effet, la préservation et la restauration de nos monuments historiques constituent des facteurs importants de renforcement de l’attractivité culturelle et du dynamisme touristique et économique de nos territoires. Les grands équipements étant achevés, les dépenses d’investissement diminuent au profit des dépenses de fonctionnement et d’intervention.
Mes principales observations sont les suivantes.
En premier lieu, je relève la stabilisation des crédits déconcentrés, ce qui est une bonne nouvelle et un signe fort en direction des collectivités territoriales dans le contexte de baisse des dotations. Cela traduit la volonté de l’État de maintenir son engagement aux côtés des territoires dans le domaine culturel. Cet effort est d’autant plus nécessaire qu’une récente étude de l’association des petites villes de France révèle que 95 % des villes de 3 000 à 20 000 habitants envisagent de réduire dès 2015 les moyens qu’elles consacrent à la culture.
En deuxième lieu, il faut noter la volonté de pérenniser l’excellence culturelle de notre pays ainsi que le souhait d’améliorer les conditions d’accueil, de visite et de sécurité des visiteurs dans les principaux lieux touristiques. Je salue surtout la décision d’ouvrir sept jours sur sept les musées nationaux les plus fréquentés – Versailles, le Louvre, Orsay – à l’horizon de 2017. Cette dernière décision sera financée par des recettes de billetterie supplémentaires, mais l’État contribuera en partie aux besoins nécessaires en personnels.
Enfin, il faut souligner l’apparition d’une subvention pour charges de service public, néanmoins modeste, de 5 millions d’euros au profit de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP. Cette subvention traduit la reconnaissance de la spécificité de cet opérateur au sein du paysage de l’archéologie préventive. En effet, celui-ci doit faire face à des missions de service public, en matière aussi bien scientifique que territoriale, à la différence des autres opérateurs de ce secteur devenu concurrentiel.
En ce qui concerne son financement par la redevance d’archéologie préventive, le ministère de la culture et de la communication nous a indiqué que les difficultés tenant au recouvrement de cette redevance ont été résorbées.
Étant responsable des crédits du patrimoine, il me revient également de vous présenter l’article 50 bis rattaché à la mission, qui a été adopté par l’Assemblée nationale sur une initiative de notre collègue député François de Mazières, le Gouvernement s’en étant remis à la sagesse de l’Assemblée.
Cet article vise à instaurer une demande de rapport du Gouvernement au Parlement en ce qui concerne la possibilité d’affecter au Centre des monuments nationaux, le CMN, les bénéfices d’un tirage exceptionnel du loto réalisé à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.
Le CMN est en effet confronté à une extension de son champ d’intervention et les monuments les plus rentables sont minoritaires au sein de son périmètre. Le principe d’une réflexion sur la diversification des ressources du Centre des monuments nationaux nous semble donc plutôt utile, même si la solution proposée par M. de Mazières peut soulever des interrogations, qui tiennent notamment à l’équilibre économique des jeux de hasard en France et aux conséquences d’un tel financement sur une éventuelle perte de recettes pour le budget de l’État, dans la mesure où une partie des sommes misées par les joueurs dans le cadre de la loterie nationale est reversée à l’État. Toutefois, puisqu’il s’agit à ce stade d’une simple demande de rapport, nous proposons d’adopter cet article sans modification.
De même, j’indique au Sénat que la commission des finances a suivi la proposition des deux rapporteurs spéciaux et vous propose donc d’adopter les crédits de la mission « Culture » sans modification.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, rapporteur spécial.
M. André Gattolin, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a indiqué à l’instant Vincent Eblé, il me revient de vous présenter les crédits du programme 131 « Création » et du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
S’agissant tout d’abord du programme 131, doté de 734 millions d’euros, le budget 2015 est marqué par une évolution favorable des moyens dédiés au spectacle vivant et aux arts plastiques, et par la fin du chantier de la Philharmonie de Paris.
La réduction apparente des crédits dédiés au soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant s’explique par la fin des travaux de la Philharmonie de Paris et par le rythme d’avancement de ceux de l’Opéra-Comique et du Théâtre national de Chaillot, en cours de rénovation.
Si l’on neutralise ce facteur, il apparaît que les crédits d’intervention dédiés aux acteurs du spectacle vivant sur le territoire sont préservés en 2015 et le seront également sur l’ensemble des trois années 2015-2017. Les crédits consacrés aux arts plastiques sont, pour leur part, en hausse et soutiendront principalement les fonds régionaux d’art contemporain, ou FRAC, et les galeries d’art.
Les crédits d’intervention déconcentrés, destinés à financer des initiatives territoriales, connaissent, eux aussi, une hausse.
Le budget pour 2015, s’agissant de la création, est également marqué par deux événements : d’une part, l’ouverture de la Philharmonie de Paris en janvier 2015 et, d’autre part, l’ouverture de la collection Lambert à l’été 2015. Je concentrerai ici mon propos sur la Philharmonie, même si la collection Lambert est une donation exceptionnelle faite à l’État en 2012 par le galeriste Yvon Lambert. Il s’agit même de la plus grosse donation privée en France depuis 1920. Celle-ci sera exposée de façon permanente à partir de l’été 2015 en Avignon, et il n’y a guère de remarques budgétaires à faire à son sujet au titre du projet de loi de finances pour 2015.
L’ouverture prochaine de la Philharmonie est très attendue. Des questions demeurent toutefois en suspens, s’agissant notamment de la prise en compte des surcoûts du chantier et du calibrage des dépenses de fonctionnement du nouvel établissement. Si le chantier coûtera au final bien plus cher que ce qui avait été initialement prévu, le ministère est loin d’en porter seul la responsabilité et force est de constater que d’importants efforts ont été réalisés pour enrayer la dérive des coûts.
Fin connaisseur du sujet, notre prédécesseur Yann Gaillard redoutait, l’an passé, que le montant total des travaux soit proche de 400 millions d’euros. Les estimations récentes laissent heureusement penser que celui-ci ne devrait pas excéder 381 millions d’euros.
Je signale par ailleurs que, à la demande du Premier ministre, une mission a été lancée afin de calibrer de la façon la plus adaptée les dépenses de fonctionnement du futur établissement.
À ce stade, la dotation inscrite à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2015 est de 9,8 millions d’euros.
Des synergies et mutualisations sont attendues entre la Philharmonie de Paris et la Cité de la musique. Il sera donc intéressant d’évaluer très attentivement la première année de fonctionnement de la Philharmonie de Paris.
Madame la ministre, même si nous n’avons pas déposé d’amendement à ce propos, Vincent Eblé et moi-même jugerions particulièrement opportune la création d’un indicateur de performance dédié au fonctionnement de la Philharmonie, indicateur qui pourrait notamment prendre en compte la fréquentation de l’établissement et le développement de ses ressources propres.
Le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » est doté de 1,1 milliard d’euros. Son budget, en très légère hausse, est marqué par une priorité accordée à l’éducation artistique et culturelle et aux établissements d’enseignement supérieur.
On constate la hausse dynamique des crédits en faveur de l’enseignement supérieur culturel, qui financeront notamment des dépenses d’investissement sur l’ensemble du territoire, en faveur des écoles d’architecture, des écoles d’art et des écoles du spectacle vivant.
Les dépenses d’intervention concernent essentiellement le versement des bourses aux étudiants des établissements de l’enseignement supérieur culturel.
La forte hausse des crédits s’explique par la progression continue du nombre de boursiers, par une augmentation raisonnable du montant unitaire des bourses et par la création de deux nouveaux échelons.
Le ministère de la culture s’aligne en ce domaine sur le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. À cet égard, il faudra suivre avec attention la manière dont sera financé le passage à la rentrée 2015 de tous les étudiants de l’échelon 0 vers l’échelon 0 bis qui n’est pas inscrit dans le projet de loi de finances pour 2015.
Enfin, le budget pour 2015 est marqué par une forte hausse des crédits dédiés à l’éducation artistique et culturelle, évolution qui reflète la priorité du Gouvernement donnée à la jeunesse et à la démocratisation de la culture.
Dix millions d’euros de crédits déconcentrés seront, en particulier, spécifiquement dédiés au plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle, contre 7,5 millions d’euros l’an dernier. Ils devraient permettre de faire émerger nombre de projets dans les territoires.
En revanche, je signale la réduction très marquée du soutien de l’État aux conservatoires à rayonnement régional et départemental. L’action n° 3 qui leur était dédiée disparaît et est intégrée au sein de l’action n° 1 relative au soutien aux établissements d’enseignement supérieur et d’enseignement professionnel.
Le ministère a décidé de recentrer ses interventions sur les seuls conservatoires adossés à des pôles supérieurs d’enseignement du spectacle vivant.
Même si la part de l’État dans le financement global des conservatoires régionaux et départementaux est relativement réduite – 6 % en moyenne au cours des dernières années –, je ne vous cacherai pas, madame la ministre, que cette décision de réduire leurs crédits émeut un certain nombre de mes collègues, au sein tant de la commission de la culture que de la commission des finances. Et si – il faut en convenir – les aides individuelles aux élèves de ces établissements sont maintenues pour tous les établissements d’enseignement supérieur spécialisés, nous souhaiterions obtenir de votre part plus de précisions quant aux tenants et aboutissants de ce choix.
Concernant les dépenses de personnel et de fonctions support imputées sur le programme 224, nous constatons que les dépenses de personnel augmentent légèrement du fait de l’amorce, en 2015, de la remise à niveau de la politique catégorielle et indemnitaire du ministère de la culture et de la communication, prévue par la programmation triennale 2015-2017.
Les frais de fonctionnement sont pour leur part stabilisés, ce qui marque la poursuite d’un effort de rationalisation et de mutualisation de ces dépenses, pour la plupart indexées sur l’inflation.
Pour finir, je précise que l’Assemblée nationale a adopté, en seconde délibération, un amendement qui vise à augmenter les autorisations d’engagement du programme 224 de 2,1 millions d’euros, afin de permettre le lancement des travaux de sécurité du bâtiment de l’établissement public du Palais de la Porte dorée, l’EPPD, qui abrite à la fois la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et l’aquarium tropical.
Ces travaux ont vocation à garantir la sécurité des visiteurs et des agents et à améliorer l’optimisation de l’espace pour faire face à la hausse de la fréquentation.
Les travaux devant s’étaler jusqu’en 2017, les crédits de paiement correspondant à ces autorisations d’engagement seront consommés ultérieurement.
En conclusion, comme l’a souligné mon collègue Vincent Eblé, le budget de la mission « Culture » pour 2015 nous semble satisfaisant à plusieurs égards.
D’une part, il s’inscrit dans la cohérence par rapport à plusieurs grandes priorités transversales du Gouvernement, telles que le soutien aux territoires, le renforcement de l’attractivité notamment touristique de notre pays, la jeunesse et le développement de l’éducation artistique et culturelle.
D’autre part, il s’inscrit également dans la logique du redressement des comptes publics, les hausses de dotation étant précisément ciblées et des efforts étant réalisés sur la maîtrise des dépenses.
Des efforts de diversification de leurs ressources et de rationalisation des dépenses sont ainsi demandés aux grands opérateurs culturels. De même, le ministère poursuit sa politique de rationalisation des dépenses de fonctionnement. Enfin, aucun nouveau chantier culturel d’ampleur, susceptible d’induire un dérapage des dépenses, n’est annoncé pour les trois années 2015-2017.
C’est donc sous le bénéfice de ces observations que Vincent Eblé et moi-même vous proposons, mes chers collègues, l’adoption sans modification des crédits de la mission « Culture ».
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’évolution des crédits du programme « Patrimoines », qu’il me revient de rapporter ici au nom de la commission de la culture, est satisfaisante. En effet, après deux années de très forte diminution des crédits alloués à ce secteur, auquel le Sénat attache une grande importance depuis longtemps, les crédits sont, cette année, globalement stables, puisqu’ils se traduisent par une légère hausse des crédits de paiement, avec 751 millions d’euros, et par une légère baisse des autorisations d’engagement, avec 745 millions d'euros. Je ne peux donc que m’en féliciter.
De surcroît, les efforts demandés aux grands opérateurs de l’État en matière culturelle sont moindres que les années précédentes, car la contribution de ce budget et de celui des grands opérateurs à l’assainissement des finances publiques avait été considérable, un peu trop à mon gré. Cette année, les grands opérateurs sont épargnés et certains d’entre eux, dont la gestion est parfaitement équilibrée et satisfaisante, souhaiteraient d'ailleurs disposer d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande, notamment sur les emplois de titre III qu’ils réussissent à autofinancer.
Je souhaiterais, à cet égard, dire un mot du Centre des monuments nationaux, dont le périmètre a été élargi, en 2009, avec le domaine national de Rambouillet, puis, en 2014, avec le fort de Brégançon. Cette extension a été réalisée à budget constant, hormis un transfert de crédits de 175 000 euros en provenance du ministère de la défense qui assurait jusqu’ici l’entretien du fort de Brégançon.
Le CMN s’est vu confier, cette année, une nouvelle mission : il devra assurer la gestion de l’hôtel de la Marine que la commission avait eu le plaisir de visiter, voilà quelques années, au moment où une polémique était née au sujet de sa reprise par une entreprise privée. Le CMN aura pour mission de rendre accessibles au plus grand nombre les appartements historiques de l’hôtel de la Marine, notamment les salons d’apparat, dont le rôle historique est connu.
Dans ce contexte, la commission a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 50 bis qui prévoit un rapport – notre collègue Vincent Eblé l’a évoqué tout à l’heure – relatif à la possibilité d’affecter au CMN les bénéfices d’un tirage exceptionnel du Loto. Voilà quelques années, une mission d’information sénatoriale, présidée par Philippe Richert et dont j’étais le rapporteur, avait conclu qu’il était impératif, au vu de l’état prévisionnel des finances publiques, d’affecter au patrimoine une partie importante des recettes du jeu – le vice au service de la vertu, avions-nous dit à l’époque ! –, comme cela se pratique en Grande-Bretagne ou en Italie depuis fort longtemps. On avance lentement, mais on avance un peu ; je ne peux que m’en féliciter.
Concernant les monuments historiques, on constate une lente érosion des crédits, certes pratiquement stabilisée cette année. Néanmoins, les crédits de paiement s’établissent à 327 millions d’euros et les autorisations d’engagement à 340 millions d’euros. Si les crédits d’entretien sont préservés – et je ne peux que m’en réjouir – à hauteur de 48 millions d’euros, les crédits destinés à la restauration diminuent de 9 millions d’euros.
Je voudrais à cet égard, madame la ministre, ayant reçu voilà quelques jours le Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques, vous faire part de la profonde inquiétude de ces entreprises qui, en quelques mois, ont vécu six liquidations judiciaires, la suppression de deux cents emplois et un effondrement de l’apprentissage.
Ce sont des savoirs immémoriaux qui progressivement se perdent. La situation des collectivités territoriales et la baisse des dotations en sont plus responsables que le budget du ministère de la culture – je tiens à le souligner ici –, mais il n’en reste pas moins que le rôle d’un rapporteur dans le domaine du patrimoine est de souligner la gravité de la situation pesant sur ces entreprises qui font partie du patrimoine national. Et on sait à quel point celui-ci contribue à l’attractivité de notre pays, tant économique que touristique, en même temps qu’à la conservation de la mémoire nationale.
La politique en matière de musées est, cette année, confortée, après des baisses importantes de crédits les années précédentes. Les crédits de paiement s’établissent ainsi à 339 millions d'euros pour 2015. C’est important à la fois pour assurer l’équilibre entre Paris et la province, auquel notre assemblée est attachée, et pour préparer l’ouverture sept jours sur sept des grands musées, ainsi que vous le souhaitez.
Les crédits de l’action n° 8 relative aux acquisitions des collections publiques sont maintenus, après avoir diminué ; c’est une excellente chose, et le Sénat y attache, là aussi, un grand intérêt.
Les archives vont poursuivre leur politique de numérisation. Là aussi, c’est un élément positif.
Je terminerai cette très brève présentation en évoquant les difficultés de l’archéologie préventive.
Il y a quelques années, la redevance d’archéologie préventive, la RAP, aurait dû régler la situation. Malheureusement, un dysfonctionnement grave du logiciel Chorus, le système informatique du ministère – le progrès technique, comme la langue d’Esope, est la pire et la meilleure des choses ! –, est intervenu. Il y a Chorus au ministère de la culture,…
M. Michel Bouvard. Chorus n’est pas que pour la culture !
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Je ne vous le fais pas dire, cher collègue.
… et il y a eu LOUVOIS, « le logiciel unique à vocation interarmées de la solde » à la défense.
Cette situation a mis en péril l’Institut de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, et les opérateurs. Il semblerait aujourd'hui – vous l’avez indiqué devant la commission, madame la ministre – que les choses rentrent dans l’ordre. Je ne peux que le souhaiter, car le secteur de l’archéologie préventive – ô combien sensible dans nos collectivités ! – a été fragilisé économiquement.
En conclusion, j’indique que je m’en étais remis à la sagesse de la commission sur le programme « Patrimoines » et que celle-ci a émis un avis défavorable sur l’ensemble des crédits de la mission « Culture ».
M. le président. La parole est à M. David Assouline, rapporteur pour avis.
M. David Assouline, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de présenter cette année l’avis de la commission de la culture sur les crédits du programme « Création » et sur le soutien public au cinéma.
Nous pouvons tout d’abord nous féliciter du maintien des crédits visant à encourager la création et à favoriser la diffusion dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques. C’est un excellent signe en période de contrainte budgétaire, et je note que la promesse du Premier ministre a été tenue. Hors Philharmonie de Paris, ces crédits sont même en augmentation de 2 %.
Globalement, les dépenses de fonctionnement des opérateurs du spectacle vivant sont maintenues et les crédits en faveur des équipements en région sont préservés, ce qui permettra notamment de poursuivre la réalisation de fonds régionaux d’art contemporain « de nouvelle génération ».
Autre motif de satisfaction, le montant des crédits déconcentrés de fonctionnement dans le domaine du spectacle vivant s’élève à 284 millions d’euros, dont 192 millions d’euros pour les labels et réseaux.
En revanche, malgré une hausse de 5 % des crédits de paiement, qui mérite d’être soulignée, les arts plastiques continuent à faire figure de « parent pauvre » de la création française pour plusieurs raisons. Ils bénéficient de moins de 10 % des crédits du programme, ne peuvent pas s’appuyer sur un régime d’indemnisation du chômage comme celui des intermittents – j’attire d'ailleurs votre attention sur ce dernier régime, car il me paraît nécessaire de le conforter, et j’aimerais que Mme la ministre nous éclaire à cet égard –, vivent souvent en dessous du seuil de pauvreté et attendent toujours une réponse du ministère du travail pour mettre en place une convention collective.
Je rappelle également que les acteurs privés, mais aussi – c’est le plus choquant – les structures publiques ne respectent pas leur droit d’exploitation, les privant ainsi de revenus complémentaires et diminuant l’assiette de leurs cotisations à la sécurité sociale. Enfin, des dérives des systèmes de cotisations ont été dénoncées à plusieurs reprises par l’Inspection générale des affaires culturelles et l’Inspection générale des affaires sociales, qui ont décrit la situation dramatique d’artistes privés de retraite. Je souhaiterais que nous prenions le temps d’appréhender ensemble tous ces sujets en amont du projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, que nous attendons – vraiment ! – pour le printemps 2015.
Le Sénat, en adoptant les amendements présentés par notre commission de la culture, c’est-à-dire l’application de la TVA au taux réduit de 5,5 % sur l’ensemble des livraisons d’œuvres d’art et le relèvement du plafond de la taxe affectée au Centre national de la chanson des variétés et du jazz, le CNV, a montré qu’il entendait prendre toute sa part dans ce débat. Je rappelle que le CNV joue un rôle vital de soutien à la filière musicale, puisqu’il redistribue 35 % du rendement de la taxe sous forme d’aides sélectives au profit des entreprises les plus fragiles.
J’en viens maintenant au soutien public au cinéma. Dans ce domaine aussi, le projet de loi de finances préserve ce qui doit l’être, même si on voit bien qu’il en faudra davantage pour pérenniser notre système original et vertueux de soutien à l’activité cinématographique.
Alors que les taxes qui abondent le fonds de soutien rapporteront moins l’an prochain, le projet de loi de finances, dans sa rédaction initiale, en laissait l’intégralité du produit au CNC. La commission des finances, cependant, a proposé, et la majorité de notre assemblée l’a adopté, le principe d’un « écrêtage » des deux principales taxes affectées au CNC, en cas de dépassement du plafond. Je le regrette.
Je me réjouis surtout que le Sénat ait suivi l’avis de la commission de la culture en ne votant pas la proposition de la commission des finances de ponctionner le fonds de roulement du CNC de 61,5 millions d’euros, d’autant que le produit des taxes affectées s’inscrit en recul de près de 10 % par rapport aux prévisions de l’an passé.
Madame la ministre, je sais que vous connaissez la situation du cinéma français et les dangers qui pèsent sur lui. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous attendons des réformes d’envergure pour l’an prochain, et vous savez que vous pourrez compter sur le Sénat pour les accompagner.
Les réformes attendues sont nombreuses : sur le fonds de soutien, sur la chronologie des médias ou encore sur le soutien à l’exportation. Il faudra également travailler à la réforme du crédit d’impôt cinéma, non seulement pour attirer les films étrangers, mais aussi pour empêcher que les films français ne soient tournés, pour des raisons fiscales, en Belgique, au Luxembourg et même en Allemagne. Le temps est venu d’agir sur ce point.
Nous sommes attachés à notre système de soutien au cinéma, vertueux et performant. C’est grâce à lui que nous continuons de produire 270 films par an, que les films français captent plus du tiers des spectateurs hexagonaux, que les salles ont réalisé plus de 200 millions d’entrées l’an passé, et que la branche représente 250 000 emplois directs.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de présenter les crédits du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Pour résumer mon analyse du budget pour 2015, je dirai que, au-delà des crédits du programme, globalement préservés, les décisions du ministère de la culture révèlent un désengagement de l’État et un pilotage défaillant.
Les crédits sont certes préservés pour l’ensemble du programme, avec 1 099 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 0,38 %. Cependant, les évolutions sont très inégales d’une action à l’autre.
J’aimerais surtout m’attarder sur la notion de désengagement de l’État qui est flagrante lorsqu’on analyse ce programme. L’illustration la plus évidente de mon propos est la suppression de l’action n° 3 qui regroupait les crédits relatifs aux enseignements artistiques, accordés par les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, aux communes pour le fonctionnement des conservatoires classés, soit 40 conservatoires à rayonnement régional et 102 conservatoires à rayonnement départemental.
Je rappelle que les crédits de cette action devaient être sanctuarisés en attendant leur transfert aux départements et aux régions en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Plusieurs articles de cette loi organisaient la décentralisation des enseignements artistiques avec une répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État.
Le ministère a choisi de faire disparaître les crédits, ou presque, puisque seuls 5,5 millions d’euros sont préservés, mais au sein de l’action n° 1 relative à l’enseignement supérieur.
Nous observons aujourd’hui le résultat d’un processus engagé voilà trois ans. J’ai rencontré l’association des directeurs des conservatoires de France : ils m’ont fait part des conséquences de ce désengagement de l’État, déjà observées sur le terrain en 2014.
La première d’entre elles est relative à l’emploi : trois postes ont ainsi été supprimés au conservatoire à rayonnement départemental d’Orléans, quatre dans mon département, celui de l’Aveyron. Compte tenu des perspectives annoncées pour 2015, les directeurs s’interrogent sur la pertinence du classement des conservatoires qu’ils dirigent, et c’est la deuxième conséquence que je souhaitais évoquer.
Les directeurs estiment que ce classement induit des contraintes coûteuses qui n’ont plus nécessairement d’intérêt, compte tenu de la disparition du soutien financier de l’État, perçu jusqu’alors comme une contrepartie.
Enfin, ils sont très inquiets en découvrant la nouvelle logique du ministère, qui attribuera les crédits résiduels aux conservatoires adossés à un pôle d’enseignement supérieur. En effet, les disparités entre territoires sont fortes et la dynamique d’intégration voulue par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche varie beaucoup selon les pôles. Aussi la rupture d’égalité a-t-elle été évoquée lors de mes auditions, ce qui me paraît particulièrement alarmant.
« Désengagement », c’est le mot qui m’est également venu à l’esprit en découvrant le cas de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, l’ENSBA. Cette prestigieuse école d’enseignement des arts plastiques est aujourd’hui menacée, puisqu’il est désormais impossible d’y organiser les cours normalement, avec des locaux qui s’effondrent littéralement.
Ce triste état des lieux intervient alors que la Cour des comptes a rendu public, le 3 février 2014, un référé très sévère à l’encontre de l’ENSBA portant sur les années 2001-2011. Malgré ce constat très alarmant, le ministère ne semble pas avoir considéré le cas de cet établissement comme une priorité.
L’image de notre enseignement artistique dans le monde entier est en jeu, mais l’effort financier de l’État reste quasi identique, puisque la subvention pour charges de service public n’augmente que de 300 000 euros pour atteindre 7,3 millions d’euros, après deux baisses successives en 2013 et en 2014.
Au-delà de ce cas, qui me semble particulièrement important, c’est le pilotage de l’enseignement supérieur « culture » qui semble faire défaut aujourd’hui. Permettez-moi, madame la ministre, d’évoquer la situation des écoles d’art, qui reflète cette carence de l’État. En effet, de nombreuses disparités existent entre les écoles nationales et les écoles territoriales, constituées en majorité sous forme d’établissement public de coopération culturelle, ou EPCC.
Nous le savons depuis longtemps, les disparités entre ces deux types d’écoles constituent un handicap, notamment au regard des activités de recherche qu’elles sont tenues de développer. Or le Gouvernement n’a jamais rendu le rapport sur le statut des enseignants des écoles d’art, prévu par l’article 85 de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, alors que le délai prévu par la loi était fixé au 30 juin 2014.
Madame la ministre, comment, dans ces conditions, relever tous les défis de l’enseignement supérieur « culture » ?
Compte tenu de ces observations, la commission de la culture a rendu un avis défavorable sur les crédits de la mission « Culture ».
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans les quelques minutes qui me sont imparties, je n’évoquerai qu’une seule question : l’ambition culturelle, celle sans laquelle la gauche n’est pas elle-même, celle sans laquelle la France n’est pas celle de l’égalité.
Madame la ministre, cette ambition est une nouvelle fois absente du budget que vous nous proposez. Or, en temps de crise plus que jamais, la culture doit être au cœur de l’ambition politique. Elle n’est pas un luxe que la crise rendrait superflu et qu’on pourrait sacrifier.
La culture est, au contraire, le chemin le plus fécond de l’émancipation individuelle et collective quand tout est fait pour borner les horizons. Avec sa capacité à symboliser, à nourrir la pensée, à libérer les imaginaires, elle seule rend possible la construction d’un autre monde.
C’est donc bien la question du sens et de la visée culturelle qu’il importe de traiter aujourd’hui, car examiner le budget de la culture, c’est mettre à l’épreuve des chiffres non seulement l’ambition politique en matière d’arts et de culture, mais l’ambition politique tout court d’une société débarrassée des dogmes financiers qui broient tant de parcours humains.
Je vous le dis tout net, notre ambition culturelle ne s’inscrit pas, pour ce qui nous concerne, dans la pensée aujourd’hui dominante des sphères dirigeantes qui borne notre horizon en vertu du prétendu dogme budgétaire. Ce dogme, qu’on ne questionne ni ne remet en cause, entraîne pourtant des conséquences catastrophiques, comme le montrent encore les chiffres du chômage publiés il y a quelques jours.
Malheureusement, le budget général s’inscrit dans ce dogme de réduction budgétaire et la culture reste, quoi qu’on en dise, en première ligne. Si le Gouvernement s’évertue à défendre que, dans un contexte de participation du ministère à « l’effort de redressement des comptes publics », la faible diminution du budget de la culture démontre l’importance accordée à la culture, l’argument a de quoi laisser songeur. Il ne parvient pas à masquer ce qui continue d’être en fait un renoncement.
Je n’ai pas le temps de faire un inventaire exhaustif de tous les chiffres de ce budget, mais notons simplement que cette « importance », cette « priorité » comme on nous dit, se traduit cette année par une augmentation de 0,09 %, qui est en réalité une baisse de 0,9 % en euros réels, c’est-à-dire compte tenu de l’inflation.
En outre, nous n’oublions pas que ce budget fait suite à des baisses successives de 2 % en 2014 et de 4 % en 2013, et qu’il s’inscrit donc dans une diminution continue depuis 2008. Partout, les créateurs souffrent, s’inquiètent, alertent. L’ambiance consensuelle des propos que j’entends depuis ce matin me paraît en décalage total avec les angoisses rencontrées sur le terrain.
En l’absence de politique culturelle forte, le champ est laissé libre aujourd’hui au populisme culturel qu’on voit renaître un peu partout avec les spectres de la censure, du tri culturel, de la bienséance réactionnaire. (M. Philippe Bonnecarrère rit.) Le champ est laissé libre à une marchandisation normalisée de la culture, véhiculée par les grandes entreprises du marché, par les géants américains du web qui veulent tout contrôler et piller, à commencer par les droits d’auteur, et abordent les biens culturels comme de simples contenus marchands permettant de dégager des profits selon les logiques de l’arithmétique financière. Le vide laissé se révèle d’autant plus grand qu’à la baisse du budget de l’État pour la culture s’agrègent désormais la réforme des compétences des collectivités territoriales et la baisse de leurs dotations.
Loin de l’ambition de décentralisation et de démocratisation culturelle rapprochant la culture des territoires et des citoyens, les crédits attribués aux régions reculent en vérité dans la mission « Culture ». À cela s’ajoute la diminution des dotations de l’État.
Vous ne pouvez pas parler de maintien de l’effort culturel quand la réduction programmée des dotations aux collectivités territoriales, qui sont les principaux financeurs de l’action culturelle, avec des budgets consacrés à la culture dépassant celui de l’État, les empêchera de contribuer correctement au développement de la culture.
Combien de projets seront menacés ? J’étais hier au Salon du livre et de la presse jeunesse, qui constitue la principale initiative en matière de soutien à ce secteur : cet événement n’existerait pas sans l’engagement du département de la Seine-Saint-Denis et de la Ville de Montreuil. Combien de compagnies de théâtre ne pourront plus exister ? Combien d’artistes ne pourront pas travailler ?
Le maintien d’une compétence partagée entre collectivités est indispensable, et nous veillerons à ce qu’il en soit ainsi lors de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe ». Toutefois, cette compétence partagée n’a de sens qu’avec le maintien d’un haut niveau d’engagement de l’État ainsi que des moyens donnés aux collectivités, nécessaires pour assurer les financements croisés.
Pour terminer, je veux attirer votre attention sur la situation, toujours non réglée, des intermittents et, au-delà, de l’ensemble des artistes et techniciens. Le Gouvernement s’est mis dans une situation difficile en agréant la convention relative à l’assurance chômage au printemps dernier. Il a fallu le mouvement de mobilisation de toute la profession pour permettre la création de la mission tripartite.
Cependant, nous sommes très inquiets. Rien ne semble avancer, et la mission pourrait déboucher sur une nouvelle impasse devant le refus d’une partie des signataires de la convention de revoir les dispositions de l’agrément. La surenchère du MEDEF est d'ailleurs encouragée par tous les gages qui lui sont donnés, sans aucune contrepartie pour l’intérêt général.
La mission doit déboucher sur des pérennisations claires en faveur des artistes. En cas d’échec, il sera alors de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement de trancher en faveur d’une solution durable, originale et équilibrée pour les intermittents du spectacle. Nous y veillerons.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce budget, parce qu’il ne traduit pas d’engagements forts pour la culture ni de volonté de promouvoir les droits de toutes celles et de tous ceux qui œuvrent pour sa vitalité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous approuvons le maintien du niveau des crédits de la mission « Culture » dans le budget triennal 2015-2017. Il montre l’attention portée à ce secteur par le Gouvernement.
La culture doit aujourd’hui être considérée comme une urgence. « Urgence », le mot est choisi à dessein. En effet, de plus en plus, la culture est l’apanage d’une frange de la population, qui l’a héritée de ses parents. De moins en moins, elle est ce qu’elle devrait être : un bien transversal, partagé par toutes les couches sociales de la population, défiant toute appropriation catégorielle. Parfois élitiste, la culture devient facteur de discrimination à la fois verticale et horizontale, sans que l’école vienne compenser cet état de fait.
La culture est, d'abord, un facteur de discrimination verticale, en tant que capital, en tant qu’habitus. Comme Bourdieu l’avait constaté, les étudiants issus des classes sociales favorisées « héritent […] des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un "bon goût" dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine. » Le montant des bourses sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur n’a pas encore été assez revalorisé pour compenser ces inégalités. Comment une bourse d’échelon 1, d’un montant de 166,50 euros par mois, pourrait-elle permettre aux étudiants de se loger, de se nourrir, de s’acheter des manuels scolaires et de faire face à leurs dépenses de santé ? Dès lors, imaginez ce qui leur reste pour la culture ! Selon le Secours populaire français, 107 000 étudiants seraient dans une situation de précarité et 45 000 dans une situation d’extrême pauvreté.
La culture opère aussi une discrimination horizontale, car les fractures territoriales, en la matière, sont importantes. Deux France, aujourd’hui, s’opposent : une France urbaine, vivant dans ou à proximité d’une métropole et bénéficiant d’infrastructures culturelles, et une France périphérique, hors du champ des grandes métropoles, qui, nous le savons, cumule les handicaps en matière d’aménagement du territoire, ce qui a aussi des répercussions en termes d’accès à la culture. La désertification culturelle préfigure la désertification des territoires, de manière plus globale.
C’est sur ce plan que les politiques culturelles trouvent leur point d’ancrage et leur justification : rééquilibrer, horizontalement et verticalement, l’accès des uns et des autres à la culture. Comme le soulignait un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, il existe une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement à long terme des territoires.
S’agissant des territoires, les crédits déconcentrés de la mission « Culture » ont été préservés, notamment au sein du programme « Patrimoines ». Ce dernier point est particulièrement important. En effet, une récente étude de l’Association des petites villes de France révèle que 95 % des villes de 3 000 à 20 000 habitants envisagent de réduire, dès 2015, les moyens qu’elles consacrent à la culture, dans le contexte de la baisse des dotations de l’État. La progression des crédits du patrimoine est donc un signal positif envoyé à nos collectivités territoriales.
Par ailleurs, nous savons que l’exception culturelle française est l’un des moyens de notre rayonnement dans le monde. Elle a des répercussions marchandes, facilement quantifiables – par exemple, dans le secteur du tourisme ou encore dans celui de l’industrie culturelle –, mais elle a aussi des effets qualitatifs, plus difficiles à mesurer, comme l’illustre la remise du prix Nobel de littérature 2014 à l’écrivain Patrick Modiano.
L’émergence de la notion d’« exception culturelle » résulte de l’opposition irréductible entre, d’une part, des systèmes de régulation spécifiques, au bénéfice de productions nationales, et, d’autre part, des dispositifs de libre-échange internationaux, fondés sur la prohibition des mesures de discrimination entre productions nationales et productions étrangères.
Le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation des crédits dédiés à la culture, à la suite du mouvement des intermittents du spectacle. Le groupe du RDSE soutient cet effort.
Dans un pays comme le nôtre, l’exception culturelle est plus qu’essentielle, justifiant un régime dérogatoire de subvention à la création artistique.
L’évolution du régime des intermittents est nécessaire, mais différentes pistes sont à explorer, notamment la lutte contre les abus des sociétés de production audiovisuelle. Celles-ci emploient des intermittents à l’année, ce qui réduit très sensiblement leurs charges et leur permet de verser des petits salaires. Le rapport d’information de notre collègue député Jean-Patrick Gille préconisait, par exemple, de requalifier les CDD d’usage en CDI au-delà de 900 heures de temps de travail auprès du même employeur dans l’année ou encore d’interdire de cumuler un emploi à plein temps avec des allocations.
Sur ce sujet, notre collègue Maryvonne Blondin a elle aussi réalisé un important travail, que nous devrions utiliser un peu plus.
Le spectacle vivant, que je connais plus particulièrement, fait coexister des structures de tailles très différentes, qui vont des opéras nationaux aux prestataires dans les domaines du son, de la lumière ou des costumes. Globalement, les entreprises du spectacle vivant sont de petite taille. Ainsi, 43 % des entreprises relevant de la branche professionnelle ont déclaré cinq salariés au plus, tous types de contrats de travail confondus, 94 % des entreprises de la branche emploient moins de 10 salariés permanents et 54 % n’emploient aucun salarié permanent. Le secteur associatif représente 81,2 % des entreprises de la culture. Cette diversité impose que soit menée une politique permettant une différenciation intelligente, dans le cadre du chantier qui s’ouvrira prochainement.
Nous attendons beaucoup d’un gouvernement de gauche en matière de culture. Nous espérons que nous ne serons pas déçus. Pour l’heure, le groupe du RDSE votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, bien souvent, en période de restrictions budgétaires et de recherche d’économies, la culture est le premier poste budgétaire à servir de variable d’ajustement. Néanmoins, cette année, les crédits de la mission « Culture » sont sanctuarisés, ce dont le groupe écologiste se félicite.
Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de regretter certaines priorités, qui font que votre budget ressemble plus à celui d’un seul ministère des Beaux-Arts qu’à celui d’un ministère de la diversité culturelle.
Les écologistes considèrent que ce budget ne tient pas assez compte de la réalité des pratiques culturelles de nos concitoyens. Par exemple, dans le programme « Création », les musiques actuelles ne sont pas dotées de financements suffisants. Alors que les collectivités territoriales sont contraintes de revoir à la baisse leurs subventions en faveur des scènes de musiques actuelles, le budget que vous nous proposez n’y consacre que 9,7 millions d’euros. N’oublions pas que les musiques actuelles comptent parmi les activités culturelles préférées des Français, la musique étant la première pratique artistique. Votre décision touche particulièrement les jeunes, priorité énoncée de votre budget !
En revanche, les grandes scènes parisiennes sont plutôt bien dotées.
Une analyse comparée des investissements de l’État à Paris et dans les autres territoires serait intéressante. Je m’interroge, d’ailleurs, sur la concurrence à venir entre la salle Pleyel, l’auditorium rénové de la Maison de la Radio et, maintenant, la Philharmonie de Paris. Madame la ministre, la diversité des cultures doit aussi s’exprimer sur l’ensemble du territoire.
Enfin, je regrette le peu de place accordé à la photographie, parent pauvre historique du budget de la culture, mais pratique plébiscitée par les Français, à en croire la fréquentation et la qualité artistique des nombreux festivals existant en France. La constitution, par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, d’une photothèque universelle, regroupant les reproductions des collections de l’État et en assurant la conservation, la valorisation et la diffusion numérique, est salutaire, mais limitée en matière de soutien aux arts visuels.
Pour ce qui concerne le programme « Patrimoines », nous nous félicitons de la mise en place de la subvention de 5 millions d’euros pour charges de service public au profit de l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Si ce n’est qu’un pansement, sachez que nous serons attentifs au maintien de la continuité de ce service, essentiel à la sauvegarde du patrimoine et à la production de savoirs.
En outre, si nous comprenons l’utilité de renforcer les conditions d’accueil, de visite et de sécurité des visiteurs dans les bâtiments des grands opérateurs du patrimoine, pour répondre à l’objectif, plus éloigné du lien social, de renforcer l’économie touristique, cela ne doit pas se faire au détriment des monuments historiques, notamment de leur restauration. L’attractivité touristique de la France ne peut reposer uniquement sur le Louvre, Versailles ou le Centre Pompidou.
L’article 50 bis, qui vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la possibilité d’affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d’un tirage exceptionnel du loto, est intéressant et mérite réflexion ; nous le soutiendrons. Sachez toutefois que les écologistes resteront attentifs à ce que ce type de financements n’entraîne pas un désengagement durable du ministère.
Enfin, au sein du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », la hausse des crédits dédiés à l’éducation artistique et culturelle est une excellente nouvelle. En revanche, il est essentiel que le ministère de la culture reste aussi présent pendant le temps scolaire obligatoire.
Cinq minutes de temps de parole pour un budget de 2,6 milliards d’euros, quand il faudrait évoquer des droits culturels qui restent à construire, l’intermittence en tension, l’impact de ce que l’on appelle les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon… Vous comprendrez, mes chers collègues, que j’ai dû faire l’impasse sur un certain nombre de points ! (Sourires.)
En tout état de cause, nous voterons les crédits de ce budget sanctuarisé, en appelant à une répartition plus équitable, sur l’ensemble du territoire, en direction de tous les publics et de toutes les pratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 sont présentés comme stables.
Madame la ministre, cette sanctuarisation est, pour vous, un succès. Elle le serait totalement si elle était réelle ! Malheureusement, tel n’est pas le cas. Pour s’en convaincre, il convient de replacer le budget qui nous est soumis dans une triple perspective.
Premièrement, il faut le mettre en perspective avec les baisses de 2013 et de 2014. À cet égard, le budget pour 2015 n’est que la consécration de ces baisses. Dans le temps, l’effort culturel de l’État décroît.
Deuxièmement, et ce point est tout aussi préoccupant, le budget culturel de l’État, comme cela a été indiqué, est de moins en moins représentatif de l’effort de la nation en matière culturelle, les financements des collectivités locales étant aujourd’hui largement majoritaires dans ce domaine. Or, du fait de la baisse continue de leurs ressources jusqu’en 2017, les collectivités seront amenées à réduire leur action. Même si, en toute probabilité, elles tenteront de préserver au maximum leurs dépenses culturelles, tant de fonctionnement que d’investissement, une telle réduction ne pourra être évitée.
Le phénomène pourrait être accentué par un dernier élément, constitutif de la troisième mise en perspective.
Dans le cadre des contrats de projets, qui, comme nous le savons, concentrent les crédits d’investissement de l’État, les lettres de mission données aux préfets de région ne comportent pas de volet culturel. Cela ne pourra qu’entraîner une diminution des investissements en matière de culture.
Les annexes budgétaires préparées laissent entendre que cette situation pourrait être rattrapable au travers du volet dit « territorial » des contrats de projets. Une telle indication est, à mon sens, inexacte, puisque ces volets territoriaux ne seront pas signés par l’État, sauf, madame la ministre, information contraire que vous pourriez nous communiquer ce matin et que nous accueillerions avec grand intérêt.
En résumé, une vision « grand angle » de l’évolution des ressources affectées par notre pays à la vie culturelle conduit au constat d’une triple diminution : d’une part, du budget de l’État, la mission « Culture » pour 2015 consolidant les baisses passées ; d’autre part, du budget des collectivités, via la réduction de leur voilure financière ; enfin, des actions communes de celles-ci, à la suite de la disparition des ressources affectées dans le cadre des contrats de projets.
Telle est la réalité du budget culturel dans sa grande masse !
Les trois programmes de la mission « Culture » examinée ce jour tâchent d’accompagner, tant bien que mal, ce contexte de désengagement général dans le domaine culturel.
Ainsi, le programme « Patrimoines » entend-il préserver les crédits déconcentrés de la mission. Mais que peut bien peser cette préservation, ou cet « accompagnement », au regard de la baisse des dotations aux collectivités ?
La situation est analogue pour le programme « Création ». Celui-ci affiche une ambition - que nous partageons - de soutien au spectacle vivant. Comment un tel objectif peut-il être atteint sans apporter de solution à la crise ouverte, déjà évoquée par plusieurs orateurs, que traverse le régime des intermittents ?
Il a été indiqué, en commission, que si aucun crédit n’était prévu sur le budget culturel, il en existait à l’échelon de celui du ministère du travail. Nous prenons acte de cette affirmation, madame la ministre, mais exprimons quelques doutes, le budget en question ayant, à notre connaissance, la plus grande difficulté à absorber la montée en puissance des contrats dits « aidés » sous toutes leurs formes.
Au-delà de ces doutes d’ordre financier, nous craignons de voir la question de l’intermittence ressurgir, comme ce fut le cas au début de l’été dernier. À un mois de la fin de l’année, aucun renseignement n’est communiqué à la représentation nationale sur les voies et moyens permettant de la résoudre, et j’ai le sentiment que les mêmes causes produiront les mêmes effets : en l’absence de décision d’ici à la fin cette année, les difficultés, que chacun de nous connaît bien, ne manqueront pas de renaître à l’approche des festivals d’été.
J’en arrive au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Même si les crédits relatifs aux Centre national du cinéma et de l’image animée et à la Cinémathèque française sont transférés de ce programme vers le programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », en dire un mot en cet instant n’est pas totalement hors sujet, dans la mesure où les dépenses fiscales relatives au domaine cinématographique et audiovisuel – cela a été souligné précédemment – demeurent paradoxalement rattachées à la mission « Culture ».
Le groupe centriste, qui, monsieur Laurent, aime les larges horizons, tient à exprimer son attachement à la dimension non seulement culturelle, mais aussi économique du monde du cinéma, comptabilisant un nombre d’emplois que nul ne peut sous-estimer.
Toujours au titre de ce programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », nous ne pouvons que regretter l’assèchement progressif, puis définitif, de la ligne budgétaire fléchée vers les établissements d’enseignement artistique financés par nos villes et nos départements. Une fois encore, cette décision nous semble symptomatique d’une politique culturelle qui, faute de moyens, ne parvient naturellement pas à atteindre l’objectif affiché de tout sauvegarder et finit par ne plus avoir de priorités clairement définies.
C’est d’ailleurs ce constat, madame la ministre, qui semble caractériser l’ensemble de ce projet de budget. Votre volonté, parfaitement honorable, d’essayer de maintenir tous les domaines d’intervention du ministère de la culture et de la communication, à tout le moins un maximum de lignes budgétaires pour cet exercice 2015, aboutit à ce qui ressemble fort à une politique de saupoudrage !
Le vrai risque pour l’action culturelle dans notre pays est, aujourd’hui, celui d’un long affaissement des ressources, avec une répartition large et inchangée des crédits. Ce modèle conduit à une forme de décrochage général.
En prenant un peu de recul, le principal reproche que l’on peut formuler à l’encontre des propositions budgétaires pour 2015 figurant à la mission « Culture » est donc l’insuffisance de priorisation. C’est la limite des bonnes intentions !
En un mot, le monde de la culture attend des choix et des décisions !
Quant à la nécessaire articulation entre l’État et les territoires, je rappelle que votre prédécesseur, madame la ministre, avait proposé aux collectivités une sorte de contrat moral : le temps des grands investissements étant terminé, les outils de création et de diffusion existant, l’effort serait porté sur le travail de diffusion des grands opérateurs parisiens vers la province. Moins d’investissements, donc, mais une diffusion plus ouverte vers la province. Ce contrat moral reste pour le Sénat, garant de l’équilibre des territoires, une trajectoire recommandable.
Dans ce contexte d’incertitude, vous comprendrez, madame la ministre, le vote défavorable du groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation des crédits de la mission « Culture » pour les trois années à venir. Cette sanctuarisation est, à l’évidence, bienvenue ! Il ne faut effectivement pas oublier qu’elle succède à deux années de coupes sévères dans le budget du ministère. Depuis 2012, les crédits ont été réduits de 147 millions d’euros, soit une chute – inégalée depuis de nombreuses années – de 13 %.
On ne pouvait pas continuer ainsi à agir sur les crédits de la culture pour redresser les finances publiques, sans une remise en cause profonde des politiques publiques financées par les programmes de la mission. Vous comprendrez donc que l’on ne puisse qu’approuver cette respiration.
La culture, vecteur de connaissance, d’épanouissement personnel, de socialisation, est bien évidemment nécessaire à chacun de nos concitoyens. Mais elle occupe aussi un pan non négligeable de l’économie de notre pays. Comme vous le savez, madame la ministre, le secteur culturel est aujourd'hui en pleine évolution, sous l’effet du développement du numérique, et totalise 670 000 emplois, soit 2,5 % de l’emploi total du pays. Il représente 3,2 % du PIB en 2014, contre 1,6 % en 1960.
C’est un secteur qu’il est donc essentiel de soutenir !
Mais, au-delà de la stabilité d’ensemble, un certain nombre de variations sont à noter selon les programmes.
Commençons par les crédits du programme « Patrimoines ».
Certes, ceux-ci connaissent une progression de 0,6 %, mais les crédits de restauration des monuments historiques de l’État chutent de 7 %. La dotation du Centre des monuments nationaux est comparable à celle de 2014, qui, je le rappelle, avait subi une perte de 3 millions d’euros par la suppression de l’affectation d’une partie de la taxe sur les jeux en ligne.
Les enjeux liés au patrimoine, composante essentielle de la mémoire du pays, mais aussi élément d’attractivité touristique des territoires, justifient que des solutions soient trouvées pour conforter les crédits d’entretien de ce patrimoine, dont, en outre, dépendent aussi de très nombreuses entreprises artisanales. C’est pourquoi je soutiens pleinement l’initiative de notre collègue François de Mazières à l’Assemblée nationale, ayant abouti à l’adoption d’un amendement tendant à affecter au Centre des monuments nationaux le produit d’un tirage du loto par an.
Bien évidemment, les crédits du programme « Patrimoines » vont aussi subir indirectement les mesures annoncées de réduction des dotations allouées aux collectivités territoriales, et ce même si le Sénat a ramené cette baisse de 3,7 milliards d’euros à 2,3 milliards d’euros. Vous ne pouvez pas, madame la ministre, ignorer cette situation !
Nous souhaitons également que, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, un bilan soit dressé des dispositions de l’acte II de la décentralisation, mis en œuvre sous la responsabilité de Jean-Pierre Raffarin, en matière de transmission de monuments nationaux à des collectivités locales ou de montée en compétences de différentes régions dans le domaine du patrimoine.
Enfin, sujet déjà évoqué par d’autres orateurs, nous serions désireux d’obtenir des éclaircissements sur la position de l’État quant aux crédits affectés au patrimoine dans le cadre tant des contrats de projets État-région, les CPER, que des programmes européens actuellement en cours de négociation. Il semble que, malgré les interventions des acteurs de terrain dans chacune des régions, pas plus les programmes européens que les CPER ne prévoient une part significative pour le patrimoine.
Je tiens également à dire quelques mots de la situation du patrimoine archéologique.
La très forte progression des crédits correspondants – 124 % – masque les difficultés de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, liées à l’insuffisance de son financement par la redevance d’archéologie préventive.
Nous faisons face, ici, à l’un des très nombreux dysfonctionnements de l’interface CHORUS. Compte tenu des défauts constatés depuis l’origine de ce système, on peut, me semble-t-il, parler d’une véritable « faillite » de l’informatique financière de l’État. Il faudra, à un moment donné, que ce gouvernement ou un autre – le problème dure effectivement depuis des années – puisse dresser un bilan du fonctionnement de ce logiciel, tout particulièrement au regard du retour sur investissement de 800 millions d’euros qui avait été annoncé, en commission, à l’Assemblée nationale et au Sénat voilà quelques années.
S’agissant de l’INRAP, des interrogations demeurent. Ainsi, madame la ministre, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements sur la dette accumulée de 50 millions d’euros figurant en page 90 de l’annexe au projet de lois de finances pour 2015 relative aux opérateurs de l’État… Certes, il faut compter avec certaines opérations d’avance de trésorerie, mais la situation est tout de même extrêmement préoccupante !
Nous devons aussi nous interroger sur la mise en concurrence qui était attendue. En effet, le nombre d’opérateurs agréés a diminué au cours de l’exercice écoulé, alors même que certains d’entre eux illustrent parfaitement à quel point il peut être intéressant de disposer d’études dans des délais raisonnables et à de meilleurs coûts.
Posant le problème de l’INRAP, je soulève en fait un sujet d’ensemble, celui de la gouvernance des opérateurs placés sous la responsabilité du ministère de la culture et de la communication. Celui-ci est, avec le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, le principal ministère concerné par le pilotage d’opérateurs, qui, pour certains programmes, comme le programme « Patrimoines », représentent plus de la moitié des crédits.
Or, depuis de très nombreuses années, il est alerté sur les efforts indispensables qu’appelle la gouvernance de ces opérateurs. Je citerai notamment un rapport d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale, datant de 2008, sur la mise en œuvre de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, ou encore un rapport de la Cour des comptes de 2011 consacré aux musées nationaux, constatant un affaiblissement progressif du pilotage par le ministère.
Aujourd'hui, nous ne pouvons pas considérer que le Parlement est suffisamment informé sur le sujet, en particulier au vu des « jaunes » annexés aux projets de loi de finances pour 2015 et pour 2014 sur les opérateurs de l’État, dans lesquels les mêmes imprécisions sont reproduites pour la mission « Culture ».
Je ne citerai que deux exemples, afin de ne pas être trop long.
S’agissant de la Cité de l’architecture et du patrimoine, tout d’abord, le « jaune » relatif à l’exercice 2014 annonce un contrat d’objectifs et de performance, ou COP, en préparation pour la période 2013-2015 ; dans le « jaune » relatif à l’exercice 2015, le document est toujours en préparation. Autrement dit, le COP est en phase d’élaboration depuis deux ans, alors même que son terme est prévu pour 2015 ! Voilà ce qui figure dans les documents remis à la représentation nationale !
Pour ce qui concerne l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles, la période couverte par le COP, dans les deux annexes, est close, puisqu’elle court de 2011 à 2013. En outre, aucune information n’est fournie sur la date de signature de la lettre de mission. Nous n’en savons donc rien !
Je ne parle même pas du cas du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou…
Je n’évoque pas des établissements mineurs, mes chers collègues ! Cela montre qu’il existe un véritable problème de gouvernance des opérateurs et, pour le moins, un problème d’information de la représentation nationale.
La question des opérateurs en cache une autre, qui concerne la dérive des coûts.
Le cas de la Philharmonie de Paris a déjà été évoqué. Nous examinerons également avec beaucoup d’intérêt les rapports qui seront rendus par la Cour des comptes sur le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, le MuCEM, dont nous savons déjà, notamment par son rapport d’activité de 2012, qu’il connaît une dérive des coûts. D’ailleurs, comme pour la Philharmonie de Paris, cette dérive est sans doute due à un défaut d’engagement de l’État, puisque, je le rappelle, la création du MuCEM est née de la décision de fermeture du Musée national des arts et traditions populaires de Paris en 2005. Une dizaine d’années après, sans doute le ministère paye-t-il aussi les retards apportés à l’exécution d’un certain nombre de programmes.
Enfin, madame la ministre, je voudrais vous interroger sur un sujet qui nous tient tous deux à cœur, celui des relations avec Google.
Le 10 décembre de l’année passée, votre prédécesseur avait pris la décision de ne pas se rendre à l’inauguration de l’Institut culturel de Google à Paris. Aurélie Filipetti déclarait que, malgré la qualité des projets conduits, elle ne pouvait servir de caution à une opération qui ne levait pas un certain nombre de questions que nous avions à traiter avec Google. Parmi celles-ci figuraient la protection de la diversité culturelle et les droits d’auteurs. On pourrait y ajouter les retours sur investissement et les éventuels droits que pourraient encaisser des établissements publics nationaux, par exemple dans le cadre de la mise à disposition de Google Art Project de leurs collections.
J’aimerais savoir où en est la numérisation, qui pourrait constituer un vecteur de financement et de ressources pour ces établissements publics.
À titre personnel, je voterai les crédits de la mission « Culture » compte tenu de leur sanctuarisation, bien que le groupe UMP ait décidé, dans son ensemble, de les repousser.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. J’interviendrai sur la partie « création » de la mission « Culture », dont je salue la quasi-stabilité du financement. Ce fait montre l’engagement politique fort pris par le Premier ministre et mis en œuvre par vous, madame la ministre, pour sanctuariser un budget sur trois années, dans une période d’effort collectif pour réduire la dette et redresser le pays. Il s’agit d’un véritable combat et d’une reconnaissance indispensable et essentielle pour le monde de la culture en cette période très chahutée. Je ne puis que vous dire ma satisfaction.
Cette stabilisation révèle une vision de la culture considérée non plus seulement comme un secteur creusant les dépenses publiques, mais bien comme un facteur générateur de richesses à tous égards. La culture est absolument nécessaire à la vitalité et à l’attractivité de tous nos territoires.
Cette vision met fin à la sempiternelle opposition entre culture et économie. En France, le secteur culturel génère davantage d’argent que les filières industrielles automobile ou agroalimentaire. Je vais rappeler les chiffres cités tout à l’heure par l’un de mes collègues, ce qui signifie que nous avons les mêmes sources : le poids économique de la culture dans le PIB a doublé depuis 1960 et les activités culturelles représentent 3,2 % du PIB. Pour reprendre les récents propos de Jack Lang : « c’est parce qu’il y a crise qu’il faut investir massivement dans la culture ». C’est ce qui avait été fait aussi bien en temps de rigueur, en 1983, qu’en pleine récession, en 1992.
Le dynamisme de ce secteur est particulièrement visible, eu égard au grand nombre d’inaugurations qui se tiennent actuellement à Paris, mais aussi à la progression d’environ 50 % des professionnels de la culture au cours des vingt dernières années, alors que les effectifs de l’ensemble des actifs n’ont progressé que de 16 % dans la même période. La culture emploie 670 000 personnes, soit 2,5 % de l’emploi total en France, selon une étude conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles réalisée en 2014.
Les formations artistiques se sont spécialisées et adaptées à la réforme licence-master-doctorat. Aujourd’hui, en France, 36 000 étudiants de l’enseignement supérieur suivent un cursus consacré à la culture, dont 3 500 étudient les disciplines du spectacle vivant. Le soutien aux formations est une priorité, largement affirmée par votre ministère, madame la ministre, dans le cadre du présent projet de loi de finances pour 2015. L’action Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle prévoit une augmentation de 6 % par rapport à 2014, alors que, voilà quelques années encore, arts et formations n’allaient pas de soi.
Je citerai quelques exemples emblématiques. L’École européenne supérieure d’art de Bretagne est un établissement public de coopération culturelle, ou EPCC, créé sur l’initiative des villes de Brest, de Lorient, de Quimper et de Rennes, du conseil régional de Bretagne et de l’État. Cet ensemble, unique en France, développe un projet ambitieux et permet un véritable maillage territorial, une collaboration de ces différents pôles et collectivités sur tout notre territoire. Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle mise en œuvre.
Autre exemple, le Pont Supérieur est un EPCC interrégional précurseur, établissant un lien entre la Bretagne et les Pays de la Loire.
Mais comment faire face à l’arrivée massive de jeunes diplômés sur un marché de l’emploi précaire et saturé ? C’est un sujet préoccupant.
Comme l’a rappelé Françoise Laborde, j’ai remis un rapport intitulé : Réformer pour pérenniser le régime de l’intermittence – ce titre est important.
Mme Françoise Laborde. Un très bon rapport !
Mme Maryvonne Blondin. Nous attendons avec fébrilité les conclusions de la mission.
Je n’ai plus le temps de vous parler de notre ambition culturelle, madame la ministre, mais sachez que nous attendons avec impatience le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au premier abord, lier culture et économie ne paraît pas nécessairement naturel. La première renverrait à l’interprétation subjective et évanescente de la réalité, quand la seconde n’en serait que la traduction objective et rigoureuse par les chiffres.
Cependant, cela a été dit, il existe bel et bien une économie de la culture, qui génère 700 000 emplois et représente 3,2 % du PIB, soit sept fois plus que celle de l’automobile. De ce fait, les orientations budgétaires relatives à la sphère culturelle revêtent un enjeu déterminant, tant pour l’économie du secteur que pour l’emploi et l’activité dans sa globalité. De surcroît, l’enjeu de l’art et de la culture caractérise avant tout un projet de société fondé sur l’émancipation individuelle et collective.
À ce titre, une stabilisation des crédits de la mission « Culture » pour 2015 est une heureuse nouvelle, le secteur ayant participé, ces dernières années, à l’effort de redressement des finances publiques.
Le projet de loi de finances pour 2015 rompt ainsi avec les années précédentes. La sanctuarisation des ressources dévolues à la culture doit être saluée, d’autant plus, nous le savons, qu’elle intervient dans un contexte où la consolidation budgétaire demeure un impératif. Le Premier ministre l’avait annoncé le 19 juin dernier ; la promesse a ainsi été tenue.
Certes, quelques hétérogénéités dans la ventilation des crédits subsistent, mais elles ne font que symboliser les priorités du Gouvernement, telle la transmission des savoirs, notamment dans le cadre de l’enseignement supérieur, la démocratisation de la culture, avec le plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle de 10 millions d’euros en 2015 qui doit être reconduit jusqu’à la fin du quinquennat, ou encore l’effort engagé envers les arts plastiques, même si ceux-ci restent le parent pauvre et que la situation des artistes plasticiens nous préoccupe toujours.
La culture est cette année préservée ; elle le sera dans les prochaines années. Quelle sage décision, mes chers collègues, que de défendre les lettres et les œuvres des artistes, ces boucliers modernes contre le populisme, le fatalisme et le « déclinisme » ambiants ! La culture sauvera le monde, disait le poète, et le seul Idiot qui restera sera celui de l’éternel Dostoïevski.
Qui défend l’art et la culture dans le contexte actuel doit avoir comme préoccupation première l’accès du plus grand nombre à cette source d’émancipation. Or la baisse des dotations de l’État à destination des collectivités territoriales, combinée à la définition de la culture – je la défends – comme une compétence partagée et non obligatoire, pourrait faire craindre un désinvestissement massif des collectivités, en l’occurrence synonyme d’accroissement des inégalités culturelles entre les territoires.
M. Michel Bouvard. Tout à fait !
Mme Sylvie Robert. Cette réalité, effrayante de par les scenarii qu’elle induit, amène à s’interroger violemment et appelle à la plus grande vigilance. Vincent Eblé a évoqué l’étude de l’Association des petites villes de France. Celle-ci doit nous faire réfléchir.
Si nous voulons, en tant que parlementaires de la République et élus locaux, éviter la fragilisation encore plus grande du secteur, il est impérieux, madame la ministre, de refondre le pacte culturel entre l’État et les collectivités territoriales.
C’est précisément l’objet du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, prochainement débattu au sein de cet hémicycle. Créer les conditions favorables à un véritable engagement financier des collectivités territoriales implique que l’État continue à s’investir pleinement à leurs côtés dans le processus de décentralisation culturelle, notamment par le maintien des crédits des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. Ce sera le cas pour l’année 2015, comme, je l’espère, pour les années suivantes.
Il ne faut pas omettre que prévenir le désinvestissement des collectivités en matière culturelle, c’est lutter contre toute forme de déterminisme. La promesse républicaine d’égalité des chances ne pourra être tenue que grâce à des pouvoirs publics volontaires et convaincus de la priorité que constituent non seulement la culture, mais aussi l’éducation dans notre pays.
Pour conclure, puisque l’avenir « s’indéfinit », il faut chercher toutes les solutions pour demeurer acteurs de nos destins et de nos identités, tout comme il est essentiel de rappeler certains droits fondamentaux et inaliénables, telle la liberté de création artistique. Je pense particulièrement, en cet instant, à l’artiste sud-africain Brett Baylet. (Mme Dominique Gillot applaudit.)
Mes chers collègues, c’est affaire de démocratie et de liberté, et c’est également une grande responsabilité collective. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits en faveur du patrimoine sont stables et marquent même une progression de 0,6 %, soit 4,4 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2014.
Le groupe socialiste salue cette progression particulièrement significative dans le contexte d’économies budgétaires actuel. Cette situation prend le relais d’une forte érosion des crédits constatée depuis plusieurs années, laquelle reste préoccupante.
M. Michel Bouvard. Eh oui !
Mme Marie-Pierre Monier. Cela étant, madame la ministre, nous soutenons pleinement les trois grandes priorités définies par le programme 175.
Je commencerai par la mise en valeur patrimoniale et architecturale de nos cadres de vie. Élue d’un territoire rural, je suis particulièrement sensible au maintien du niveau des crédits destinés à soutenir les politiques patrimoniales des collectivités, qu’il s’agisse de la réhabilitation et de l’entretien des centres anciens ou du soutien au réseau des villes et pays d’art et d’histoire.
M. Michel Bouvard. Très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. Une autre priorité de ce programme budgétaire est l’accessibilité du patrimoine sous toutes ses formes et pour tous les publics. À ce sujet, nous nous réjouissons du rééquilibrage significatif des crédits à destination des musées de province enfin amorcé par le maintien des crédits transférés aux collectivités et le retour des crédits déconcentrés à leur niveau des années 2013 et 2012.
Concernant la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine, troisième priorité de ce projet de budget, nous souhaitons vous faire part de nos préoccupations. La réduction de 1,3 % des crédits de l’action n° 1, Patrimoine monumental, demeure préoccupante en raison du désengagement progressif des cofinanceurs que sont les collectivités territoriales.
Une plus grande stabilisation offrirait aux acteurs de ce secteur une meilleure visibilité à moyen voire long terme. À la suite de l’adoption d’un amendement par l’Assemblée nationale est prévu un rapport gouvernemental sur la possibilité d’organiser un tirage exceptionnel du loto à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Si une telle opération s’avère réalisable, elle ne pourrait qu’être source de financement complémentaire.
Nos préoccupations concernent aussi la préservation du patrimoine archéologique. Les crédits de paiement de l’action n° 9 progressent de près 125 %. Toutefois, ces fluctuations d’une année sur l’autre sont liées à la nécessité de compenser ou non l’insuffisance du produit de la redevance d’archéologie préventive, ou RAP, qui finance les missions de l’INRAP.
Après la loi de 2001, plusieurs textes législatifs ont en effet permis aux aménageurs de bénéficier d’exonérations de versement de la RAP et ont ainsi bâti une véritable usine à gaz. Le financement de la RAP via des dotations exceptionnelles n’est plus tenable. Il est temps de le repenser et, pour cela, nous comptons sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine annoncé pour le premier semestre 2015.
Je conclurai en rappelant que la préservation de l’héritage patrimonial est essentielle. La richesse qu’il représente constitue, outre un capital historique et culturel, un atout majeur de l’attractivité de la France. Elle permet notamment de maintenir la place de leader mondial de notre pays dans le secteur du tourisme.
Madame la ministre, la stabilité du programme budgétaire « Patrimoines » est remarquable dans le contexte économique actuel. C’est pourquoi le groupe socialiste, après les quelques remarques que j’ai formulées en son nom, soutiendra ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, après le débat de fond que nous avons eu voilà quelques jours au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, j’ai le plaisir de vous présenter ce samedi matin – il n’y a pas d’heure ni de jour pour parler de culture – les crédits budgétaires de la mission « Culture ».
Ce projet budget, comme l’ont souligné pratiquement tous les orateurs, est stabilisé et même en légère hausse. Il permet surtout de mettre en œuvre les priorités politiques que s’est assignées le Gouvernement, en particulier mon ministère. Quelles sont-elles ? Elles sont simples, elles sont lisibles, elles sont ambitieuses.
Il s’agit d’abord de repenser l’accès à la culture, en partant des pratiques culturelles des Français. Il s’agit ensuite de renforcer l’excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays. Il s’agit enfin d’encourager le renouveau créatif, les jeunes artistes, les nouveaux créateurs, les nouvelles formes de création.
Après deux ans de baisse et de rationalisation en 2013 et 2014, le budget du ministère de la culture et de la communication est conforté pour les trois prochaines années. Il connaît même une légère augmentation de 0,33 % pour 2015, s’agissant de l’ensemble des crédits budgétaires, pour s’élever à 7,08 milliards d’euros.
C’est un signe fort adressé à l’ensemble des professionnels, des artistes, des hommes et des femmes qui œuvrent au quotidien pour notre patrimoine et notre création.
C’est aussi un engagement puissant vis-à-vis des collectivités locales : l’État ne se désengage pas et reste à leurs côtés pour porter les politiques culturelles sur l’ensemble des territoires. Cet enjeu est absolument essentiel pour moi, à l’heure où les débats à venir dans le cadre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, à l’instar de ceux qui se sont tenus lors du vote de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi MAPTAM, nous conduiront à nous interroger sur les modes de partenariat entre les collectivités et l’État, et à l’heure où la contrainte sur les finances publiques locales peut induire des retraits ou l’abandon de certains projets. J’y reviendrai tout à l'heure, à la fin de mon propos.
Un budget doit se lire de manière politique et non comme une suite de chiffres sans cohérence ni fil rouge. Un budget vient en appui de politiques et de priorités politiques. Je m’attarderai surtout sur deux d’entre elles.
La première de ces priorités, c’est la jeunesse. Je vais donc commencer mon propos par le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui permet de concrétiser deux ambitions.
Tout d’abord, le plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle sera poursuivi et verra ses moyens augmenter pour atteindre 40 millions d’euros, afin que les DRAC puissent en particulier accompagner les collectivités locales et proposer des projets culturels de qualité sur le temps libéré par la réforme des rythmes scolaires. Il s’agit d’un engagement et c’est un choix fort du Gouvernement en faveur de la culture comme vecteur de lien social et levier de lutte contre les inégalités. Plus d’un tiers de ces crédits sera consacré aux territoires issus de la cartographie prioritaire.
Je souhaite également rappeler, madame Blandin, que ce plan ne se limite bien évidemment pas au temps périscolaire, mais implique une réflexion importante avec le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous souhaitons mener, dans le cadre de la réforme des programmes scolaires, une réflexion de fond entre ce ministère et le mien sur la formation des enseignants et le contenu des programmes, afin de pouvoir moderniser l’enseignement culturel au sein de l’éducation nationale.
En parallèle, les DRAC sont incitées à s’investir davantage dans les zones blanches de l’action culturelle – les zones rurales, les zones périurbaines, par exemple –, où la proposition culturelle des institutions, de l’État, des collectivités territoriales est défaillante.
Je souhaite passer à une phase d’accélération et envoyer un signal tout particulier à ces territoires qui peuvent apparaître comme relégués, ou se sentir comme tels. Je ne veux plus que de telles zones demeurent.
Un certain nombre d’exemples, à l’image du travail mené depuis longtemps dans le Nord-Pas-de-Calais ou, plus récemment, dans la région Rhône-Alpes, montrent que des marges existent pour travailler plus activement au bénéfice de l’égalité des citoyens et de l’égalité – ou de l’équité – des territoires. Comme l’a rappelé Mme Laborde, c’est un impératif absolument catégorique que d’œuvrer à l’égalité des territoires en matière d’accès à la culture.
La seconde priorité, soulignée, entre autres, par M. Gattolin et par Mme Laborde, c’est l’enseignement supérieur, à commencer par les étudiants eux-mêmes. J’augmenterai ainsi de plus de 14,5 % les bourses sur critères sociaux et les aides pour les étudiants. Aider ces élèves, qui se trouvent parfois dans des difficultés économiques, à mener à bien leur projet d’étude est un impératif de responsabilité sociale.
S’agissant des écoles elles-mêmes, le budget pour 2015 permettra de poursuivre la structuration des formations professionnalisantes. Pour mener à bien cet enjeu de structuration – je réponds à MM. Gattolin et Luche, mais je sais la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Morin-Desailly, très intéressée par ces questions –, j’ai dû faire le choix difficile de concentrer désormais les moyens sur les seuls conservatoires à rayonnement départemental et régional adossés à des pôles supérieurs d’enseignement du spectacle vivant, mission qui relève de la responsabilité de l’État. J’y reviendrai tout à l'heure, mais sachez que l’État assume ce choix de recentrage de ses actions. Il s’agit de mettre fin à un certain nombre de saupoudrages pour se concentrer sur des établissements relevant plus spécifiquement des missions de l’État.
L’année 2015 verra aussi, et j’en suis particulièrement heureuse, le lancement de nouveaux projets d’investissement, qu’il s’agisse de la création d’une école de la photographie à Arles, du déménagement du département des restaurateurs de l’Institut national du patrimoine, ou encore de la modernisation nécessaire des écoles d’architecture de Marseille et de Toulouse.
Certains d’entre vous l’ont souligné, il me semble nécessaire que le ministère de la culture et de la communication exerce une action de pilotage à l’égard de l’enseignement supérieur dont il est en charge.
L’une de mes priorités pour les deux années à venir est justement de faire en sorte que les 110 000 étudiants et la centaine d’établissements qui dépendent de mon ministère soient effectivement pilotés par ce dernier. Ils doivent en connaître la vision, la façon dont il entend mobiliser ce magnifique réseau d’écoles – art, architecture, paysage, etc. – intervenant dans différents secteurs de la création pour le mettre au service de la détection, de l’accompagnement, de la formation, de la professionnalisation de ceux qui, demain, seront les artistes, les talents, les créateurs à même de faire vivre le modèle culturel français.
Je n’oublie pas que les métiers d’art font partie intégrante du monde de la création, comme l’a souligné M. Nachbar. J’en fais l’une de mes priorités : ces métiers participent au rayonnement culturel de notre pays et peuvent œuvrer à la projection internationale de mon ministère.
Ils sont aussi une source de débouchés professionnels pour un certain nombre de jeunes désireux de s’engager aujourd’hui dans ce type de formation. J’ai visité avant-hier le Mobilier national : quels savoir-faire, quelle expertise ! Nous devons les transmettre aux générations futures, afin qu’ils ne se perdent pas et se maintiennent sur le territoire français. Il s’agit là encore d’un secteur auquel j’accorde une priorité, à tout le moins une attention très forte.
Des créateurs de demain aux créateurs d’aujourd’hui, il n’y a qu’un pas. Le Premier ministre s’y était engagé dès le mois de juin dernier, les crédits du programme « Création » sont consolidés en 2015, mais aussi pour les trois années à venir. C’est un signe fort d’engagement de l’État à l’heure où la mission tripartite de MM. Gille, Combrexelle et Mme Archambault travaille avec l’ensemble des acteurs concernés sur des solutions viables et pérennes – j’insiste sur ces qualificatifs – s’agissant du régime de l’intermittence.
Les moyens budgétaires alloués au spectacle vivant participent à la structuration de l’économie de ce secteur et à l’amélioration des conditions d’emploi des artistes.
On l’oublie trop souvent, ces moyens budgétaires représentent avant tout de l’activité, et donc de l’emploi. Avant de parler de chômage, nous aimerions tous pouvoir davantage parler de diffusion du spectacle vivant, de dynamisme de la création, d’emplois pour les artistes et les techniciens du spectacle.
J’aimerais répondre à Pierre Laurent, à Françoise Laborde, à Philippe Bonnecarrère et à Maryvonne Blondin sur l’intermittence. Le sujet est d’actualité et d’importance.
La richesse et la diversité de l’offre de spectacles vivants, mais aussi sa production audiovisuelle et son cinéma constituent une richesse fantastique pour notre pays, ainsi qu’un élément de son prestige à l’international. L’intermittence, ce n’est pas un statut. On parle d’hommes et de femmes, artistes et techniciens, qui contribuent à faire exister et vivre cette richesse. Or leurs activités sont discontinues, car elles sont liées à des projets artistiques – festivals, films, création en général – par essence discontinus. Et c’est cette spécificité de l’emploi des artistes et des professionnels de la création que prend en compte le régime des intermittents depuis l’origine de l’assurance chômage en France.
Des efforts sont sans doute nécessaires et les intermittents en font, comme tous les salariés. Toutefois, je refuse qu’une profession, dont les conditions d’exercice sont souvent très difficiles, parfois précaires, soit montrée du doigt ou stigmatisée.
Je ne veux pas, à ce stade, anticiper sur les conclusions de la mission tripartite. Cependant, nous devons replacer ce dossier de l’assurance chômage des artistes et techniciens du spectacle dans un cadre plus large, l’inscrire dans une ambition culturelle pour notre pays. Je le réaffirme ici devant vous : dans un contexte budgétaire contraint, que nous connaissons tous, le fait que le budget en faveur de la création soit préservé pour les années 2015 à 2017 constitue un choix fort.
Cette ambition, nous la retrouvons aussi dans le financement de projets que d’autres, avant nous, avaient su lancer sans jamais budgéter. Le budget pour 2015 permettra ainsi l’ouverture de la Philharmonie de Paris – évoquée par M. Gattolin et d’autres orateurs –, un nouvel équipement de référence non seulement pour la diffusion musicale, mais aussi pour la sensibilisation de nouveaux publics, des jeunes, grâce à son programme éducatif ambitieux.
Au-delà des difficultés de la fin du chantier – c’est souvent le cas pour des équipements aussi ambitieux –, ce que marque le présent budget est bien l’ouverture de l’établissement : les crédits de fonctionnement de l’État sont prévus, la Philharmonie de Paris étant appelée à travailler en synergie avec la Cité de la Musique et les structures musicales qu’elle aura vocation à accueillir.
Monsieur Gattolin, je suis évidemment d’accord pour introduire des indicateurs de performance relatifs à la fréquentation, aux ressources propres, mais aussi, pourquoi pas, aux programmes d’éducation artistique et culturelle, à la vocation pédagogique de la Philharmonie de Paris. Je pense que cela serait de bonne gestion. Je vous propose de travailler ensemble à cette question.
Je veux être très claire devant les inquiétudes qui ont été exprimées à propos de ce chantier : Paris ne doit pas résumer l’ambition de l’État en matière de culture et l’ambition de la politique culturelle de l’État ne se limitera pas à Paris, qu’il s’agisse de la métropole, du Grand Paris ou de la capitale. Telle n’est pas ma vision de la politique culturelle, qui se doit d’être présente sur l’ensemble des territoires et de réaliser la promesse républicaine de ce ministère, c’est-à-dire apporter la culture – ou faire en sorte qu’elle soit accessible – au plus grand nombre de nos concitoyens, quel que soit l’endroit où ils se trouvent, quel que soit leur milieu d’origine, quelle que soit leur capacité économique. Ne soyons pas en deçà d’un certain niveau d’ambition.
Il manquait sans doute à la France une grande salle, à la hauteur de celles dont disposent nos voisins européens. Je peux d’ailleurs dire qu’un certain nombre de chefs d’orchestre étrangers que j’ai rencontrés nous envient déjà ce très beau lieu. Nous devons maintenant faire de l’ouverture de celui-ci un enjeu majeur en termes d’attractivité et de rayonnement culturel de notre pays. Veillons à ce que cette ouverture soit réussie !
Madame Blandin, je vous le confirme, le réseau des scènes de musiques actuelles est très important aux yeux du Gouvernement. Les pratiques, notamment celles des jeunes, se déplacent de l’écoute vers l’accès au concert, au spectacle vivant. En deux ans, mon ministère a ajouté 1 million d’euros de nouveaux crédits à ce réseau. Cela témoigne de son importance dans l’accès aux cultures, notamment aux cultures nouvelles.
En quelques mots, j’évoquerai les arts plastiques à travers la rénovation des hôtels de Montfaucon et de Caumont qui accueilleront à Avignon la collection Lambert, mentionnée par M. Gattolin, la plus grande donation depuis vingt ans en France. L’ouverture de ce lieu est prévue au mois de juillet 2015. Il s’agira d’un moment important pour le ministère de la culture et de la communication. Je songe aussi à la poursuite du programme des FRAC de deuxième génération.
Tels sont, brossés à grands traits, les points saillants des crédits budgétaires alloués au secteur de la création.
S’agissant du cinéma, évoqué par MM. Assouline et Bonnecarrère, le Gouvernement a fait le choix de ne pas amputer les capacités d’action du CNC par un prélèvement dans les réserves de l’établissement.
Il a également fait le choix, dans le projet présenté au Parlement, de ne pas plafonner les taxes prélevées sur le marché de la diffusion cinématographique et audiovisuelle.
La précédente majorité avait écrêté les taxes affectées au cinéma et à l’audiovisuel. Dès notre arrivée, nous avons restauré l’intégrité du modèle de financement mutualiste du fonds de soutien au cinéma et à l’audiovisuel. Je regrette profondément que la majorité sénatoriale soit revenue sur cette décision dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, au détriment de la création, ainsi que du rayonnement culturel et économique de notre pays. Tout cela au moment où le monde du cinéma et de l’audiovisuel doit faire face à une baisse forte des investissements dans la production, ainsi qu’à un recul de 10 % des recettes attendues du CNC. Je souhaite que la suite de la discussion parlementaire permette de revenir sur cette situation.
Pour 2015, l’établissement sera autorisé à puiser dans sa réserve de solidarité pluriannuelle pour amortir l’incidence conjoncturelle de la baisse des taxes sur les investissements du secteur et éviter un effet récessif, qui serait préjudiciable à la diversité de la création et sans doute aussi à l’emploi.
Je sais, monsieur le rapporteur pour avis David Assouline, combien vous êtes sensible à cet effort maintenu en faveur de notre cinéma ; je sais aussi que vous attendez du Gouvernement un certain nombre de réformes, à l’heure de la révolution numérique et de la popularisation de la vidéo à la demande. Ce sont des sujets sur lesquels nous sommes actuellement en train de travailler, y compris avec vous ; je souhaite à ce propos que nous puissions faire évoluer les réformes en cours d’élaboration.
Je veux vous dire combien je partage votre ambition en faveur de notre cinéma. Oui, le cinéma est un élément de l’attractivité de notre pays. Le budget pour 2015 de la culture doit nous permettre de renforcer, de remuscler la place de la France dans la compétition internationale, qui fait rage actuellement. Je suis très attentive à ce que les dispositifs fiscaux, notamment le crédit d’impôt international ou le crédit d’impôt en fiction et en animation, permettent de repositionner la France comme une destination prioritaire pour le tournage des grandes productions cinématographiques.
J’ai parlé de création, de cinéma, mais mes propos ne seraient pas complets, bien évidemment, si je n’évoquais pas avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, la grande richesse des secteurs des patrimoines.
Pour ce qui concerne l’archéologie, sujet évoqué par Vincent Eblé, Philippe Nachbar et Marie-Pierre Monier, une subvention pour charge de service public de 5 millions d’euros sera activée pour l’INRAP. Il s’agit non pas de modifier le régime de financement de cet opérateur, sur lequel je reviendrai plus tard, mais bien de reconnaître pleinement, Vincent Eblé l’a rappelé, l’existence des missions de service public qui lui sont confiées, en matière scientifique comme territoriale.
Plus généralement, pour ce qui concerne le patrimoine, l’État répondra aussi présent, avec le maintien des crédits déconcentrés – beaucoup d’entre vous s’en sont réjouis –, soit une enveloppe de plus de 224 millions d’euros pour les monuments historiques, dont on sait l’importance pour l’emploi, l’activité économique et l’attractivité touristique de nos territoires.
Du reste, et c’est un point saillant du projet de budget pour 2015, grâce aux marges dégagées par la fin des grands chantiers décidée dès 2012, l’effort d’investissement peut aujourd’hui reprendre, tout en s’accompagnant d’une vision plus structurée et plus rationnelle, permise, vous le savez, par l’élaboration de schémas directeurs d’entretien et de restauration, qui se substituent progressivement à une logique d’opération au coup par coup, sans vision de moyen terme.
L’amélioration de l’accueil du public sera également au cœur de nos priorités, avec la rénovation de l’accueil du musée de Cluny, la restitution au public de l’hôtel de la Marine, Philippe Nachbar l’a évoquée – rendue possible grâce à la mobilisation des moyens et de l’expertise du Centre des monuments nationaux et de la Caisse des dépôts et consignations –, mais aussi le projet Pyramide du musée du Louvre. C’est également le sens de l’expérimentation de l’ouverture sept jours sur sept, à horizon 2017, de trois grands musées nationaux très fréquentés – Versailles, le Louvre et Orsay –, qui est menée dans l’idée d’améliorer non seulement les conditions de circulation ou d’accès du public à nos collections, mais également les conditions de travail des agents des institutions en question.
Par ailleurs, même s’il s’agit d’un projet dématérialisé, c’est bien la meilleure accessibilité du public au patrimoine archivistique qui est aussi à l’œuvre avec le beau projet interministériel de plateforme d’archivage électronique, dit « VITAM », qui permettra d’assurer la conservation des archives électroniques, lesquelles, compte tenu de la dématérialisation croissante des décisions administratives, sont de plus en plus importantes.
Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, s’interrogent également, à juste titre, sur l’incidence sur la politique culturelle de l’État de la future réforme territoriale ; je veux vous en dire quelques mots.
L’année 2015, dans la perspective des débats à venir sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et des débats passés sur loi MAPTAM, sera l’occasion de discuter avec les collectivités de l’avenir de l’ensemble des politiques culturelles conduites sur les territoires. C’est un enjeu essentiel pour moi, puisque, vous le savez, la culture est un champ de responsabilité très largement partagé entre l’État et l’ensemble des échelons de collectivités territoriales.
Je sais ce que ce pays doit à ces dernières en matière d’action culturelle. Nous devons repenser le rôle de chacun, sans fragiliser le haut niveau d’ambition culturelle, et en réaffirmant les principes auxquels nous croyons : la liberté de création, la liberté de programmation dans une société démocratique – des exemples récents, rappelés par certains des orateurs, montrent que, dans cette période de crise et de fracture sociale, ce grand principe n’est pas toujours une évidence –, mais aussi, pour ce qui me concerne, l’exigence et l’innovation, le souffle du renouveau créatif, qui sont également des priorités à constamment réaffirmer.
Des représentants d’associations d’élus, réunis au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, le CCTDC – lieu de dialogue sans beaucoup d’équivalents entre l’État et les partenaires locaux en matière culturelle –, et moi-même avons évoqué l’idée d’un pacte culturel. J’y suis, comme vous, madame Robert, très attachée. Je crois en effet que ce pacte pourrait être un excellent moyen, dans le cadre actuel de réforme de l’organisation territoriale de la République, dans un contexte de crise des finances locales en particulier et des finances publiques en général, de réaffirmer l’ambition que nous nous fixons collectivement, de manière partenariale et collaborative, pour les politiques culturelles, au service de nos concitoyens.
Je m’engage à travailler sur ce sujet avec l’ensemble des échelons de collectivités territoriales, pour que nous puissions exprimer cette ambition collective, définir, de manière partenariale, les moyens que nous entendons y affecter, et réaliser nos projets.
La culture ne doit pas rester étrangère à ce mouvement de fond de modernisation, qu’il faut savoir saisir ; c’est non pas tant un risque, pour moi, qu’une opportunité pour la culture dans notre pays.
Du point de vue de l’État, je veillerai au respect de grands principes, auxquels je suis attachée : la confirmation d’une présence territoriale forte du ministère de la culture et de la communication, d’abord ; la modularité au service de la solidarité, ensuite – l’État, je le crois, ne devra pas être présent partout de la même manière ; c’est là une conception dépassée de son rôle ; il faut cesser de concevoir son action de manière totalement uniforme, pareille à un jardin à la française, et s’adapter aux besoins, aux réalités des territoires et des collectivités de notre pays ; une approche partenariale fondée précisément sur la qualité et les besoins spécifiques de chaque territoire, enfin.
Au-delà de ce propos, qui m’a, me semble-t-il, permis de revenir sur un certain nombre de points évoqués par les divers orateurs, je vais essayer très brièvement – si vous me le permettez, madame la présidente, je sais avoir déjà dépassé le temps qui m’était imparti – de répondre aux quelques questions très précises qui viennent de m’être posées.
À propos de l’archéologie préventive, d’abord, un certain nombre de questions ont concerné la capacité du ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, notamment, à procéder à la liquidation de la RAP, taxe qui permet de financer les travaux. Je tiens à dire à M. Nachbar et à Mmes Blandin et Monier que les difficultés en la matière semblent aujourd’hui résolues. La reprise de cette part de liquidation a pu être effective au mois de mars 2014, et les premiers versements de l’INRAP au Fonds national pour l’archéologie préventive, le FNAP, notamment, ont eu lieu en avril dernier. Les titres de paiement émis cette année s’élevaient à la fin du mois d’octobre à 102 millions d’euros ; les encaissements effectifs devraient atteindre 86 millions d’euros pour l’ensemble de l’année. La situation est donc en train de s’améliorer.
Il n’empêche que, avec un nombre d’opérateurs agréés en diminution, ainsi que l’a signalé Michel Bouvard, et une activité moindre – un nombre moins important d’opérations d’aménagement conduisant à une attrition dans cette activité –, des questions se posent sur la capacité du secteur de l’archéologie préventive à absorber la concurrence introduite par nos prédécesseurs au Gouvernement.
J’en viens, ensuite, au classement des conservatoires régionaux et départementaux évoqué par Jean-Claude Luche. Je ne suis pas persuadée que les collectivités territoriales et les directeurs d’établissement d’enseignement spécialisé ne voient dans le label accordé par l’État qu’une contrepartie de crédits budgétaires. Ce classement constitue avant tout, me semble-t-il, une démarche d’expertise et d’évaluation de la part des services de l’État, conduite à la demande des communes ou de leur groupement, pour permettre aux responsables locaux de situer le niveau de l’enseignement dispensé par les établissements dont ils ont la charge.
Je trouve en revanche pleinement légitime votre interrogation, monsieur le sénateur, sur ce qu’État et collectivités peuvent conjointement attendre de ce classement. Je crois que celui-ci mérite d’être repensé et modernisé, dans le sens d’une plus grande clarté et d’une meilleure appropriation par les territoires.
Je voulais enfin répondre à la question posée par Philippe Bonnecarrère et Michel Bouvard sur les CPER. S’ils ne comprennent pas de volet culturel spécifique, chacun des volets des CPER contient bien, en revanche, des projets culturels. Il est donc faux de dire que la culture n’est pas du tout intégrée dans ces travaux et dans la réflexion menée.
Je précise aussi, monsieur Bouvard, que le volet patrimoine des CPER se voit doté de 120 millions d’euros, prévus sur la période 2015-2020, soit 20 millions d’euros par an. À titre de comparaison, pour la période 2007-2014, la somme était de 160 millions d’euros, soit un effort exactement identique de 20 millions d’euros par an. Pour le volet création, ce sont 72 millions d’euros, soit 12 millions d’euros par an, qui ont été prévus pour les CPER 2015-2020. L’effort a donc été maintenu pour la culture, la création, le patrimoine. Cela répond, je le pense, à vos interrogations, monsieur le sénateur.
J’ai déjà largement excédé le temps qui m’était imparti. Je tiens seulement à remercier l’ensemble des orateurs de s’être ainsi mobilisés pour ce projet de budget de la culture.
Mon ambition pour mon ministère est grande, mesdames, messieurs les sénateurs ; elle a commencé à se traduire dans le budget qui vous est présenté aujourd’hui, et elle s’affirmera encore, vous le constaterez, dans les budgets des années à venir, mais aussi dans le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, sur lequel, je m’en réjouis, nous aurons à discuter ensemble. Cette ambition se manifestera enfin dans l’ensemble des mesures qui, ni législatives ni réglementaires, devront faire vivre la création, l’exception culturelle, le modèle culturel de notre pays ; c’est un enjeu absolument majeur de rayonnement de notre pays, mais aussi de cohésion et de lien social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au vote des crédits de la mission « Culture », figurant à l’état B.
État B
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Culture |
2 556 309 961 |
2 585 221 971 |
Patrimoines |
745 573 227 |
751 011 287 |
Création |
717 733 923 |
734 261 558 |
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture |
1 093 002 811 |
1 099 949 126 |
Dont titre 2 |
662 092 498 |
662 092 498 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix les crédits de la mission « Culture ».
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 49 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 136 |
Contre | 199 |
Le Sénat n’a pas adopté.
J’appelle en discussion l’article 50 bis, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Culture ».
Culture
Article 50 bis (nouveau)
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mars 2015, un rapport sur la possibilité d’affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d’un tirage exceptionnel du loto réalisé à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, sur l'article.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la Philharmonie de Paris. En tant que sénateur de Paris, je soutiens ce projet, malgré toutes les difficultés.
Dans son rapport de 2012 sur le sujet, mon ancien collègue Yann Gaillard soulignait qu’il y avait manifestement eu une stratégie politico-administrative pour minimiser les estimations initiales.
Parmi quatre-vingt-dix-huit participants, c’est M. Jean Nouvel, l’architecte le plus titré et médaillé au monde, qui a été retenu. Lui-même a déclaré publiquement avoir été obligé d’approuver les termes du contrat tout en sachant qu’ils étaient faux !
Pour construire la salle, il n’y a que Bouygues et ses traitants. C’est d’ailleurs un grand classique : à Paris, pour tous les projets nationaux ou municipaux, on ne fait appel qu’à une ou deux sociétés. C’est la démocratie française…
Cette stratégie politico-administrative est appliquée par une association avec un directeur tout puissant, qui décide seul de toutes les transactions, dans les limites de l’enveloppe qui lui est dévolue. Dans son rapport, Yann Gaillard a noté que la « forme associative de la structure de portage du projet » avait « favorisé une défaillance de suivi des tutelles ».
Voilà qui explique peut-être en grande partie les dérives des coûts, aujourd'hui estimées à 118 millions d’euros. À l’origine, le programme était chiffré à 204,14 millions d’euros ; à l’heure actuelle, nous sommes à 381,5 millions d’euros. Et je ne parle pas de l’emprunt de la ville de Paris à 5,2 %. Quand on connaît les taux habituellement pratiqués, on se rend compte à quel point cette ville est bien gérée…
On a l’impression que, derrière le pouvoir personnel du directeur, l’architecte n’a pas beaucoup eu son mot à dire. Il est possible que, lors de l’inauguration, le 14 janvier, d’aucuns s’interrogent sur les qualités acoustiques de la salle et sur l’œuvre que l’architecte a voulu réaliser. J’ai déjà alerté les hautes autorités à cet égard.
Par ailleurs, la ville de Paris a refusé de prendre en charge le surcoût de 45 millions d’euros. Certes, sur un budget de 8 milliards d’euros, 45 millions d’euros, ce n’est pas énorme. Mais quand on dépense beaucoup, comme le fait la municipalité, et qu’on se retrouve avec un déficit de 400 millions d’euros, on ne peut évidemment plus assumer grand-chose…
Je souhaite interroger le Gouvernement : pourquoi un tel surcoût ? J’ai demandé des explications, et je crois que Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait de même. Nous n’avons obtenu aucune réponse. D’ailleurs, et les spécialistes le confirmeront peut-être, il m’a semblé que ce surcoût n’apparaissait même pas clairement dans les documents budgétaires.
Je rappelle que les contrats ont été signés en 2011, sur la base de prix de 2009. Ainsi que le savent tous mes collègues élus, la révision des prix est automatique sur la base de l’indice BT 01 de 1 %. Mais là, avec le surcoût, on est à 15 % !
Certes, en comparaison de nos milliards d’euros de dette ou du budget de la ville de Paris, 45 millions d’euros, cela ne fait pas beaucoup. Mais je connais beaucoup d’élus de province qui aimeraient bien disposer d’une telle somme pour financer leur politique culturelle.
Il est donc permis de se poser des questions. Pouvez-vous justifier ce surcoût, madame la ministre ? Y a-t-il eu une volonté de maquillage dès le départ ? Après tout, c’est fort possible, puisque les contrats de 2011 ont été signés sur la base des prix de 2009. Les ordres notifiés par le maître d’ouvrage ne servent-ils pudiquement qu’à faciliter le travail des entreprises ?
Je souhaite avoir des éclaircissements en la matière, d’autant que, encore une fois, je soutiens le projet.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l'article.
M. Vincent Delahaye. L’article 50 bis nouveau a pour objet la remise par le Gouvernement d’un rapport sur la possibilité d’affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d’un tirage exceptionnel du loto réalisé à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Au groupe UDI-UC, nous y sommes évidemment favorables.
Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est offerte pour évoquer plusieurs questions liées au budget de la mission « Culture », que nous venons de repousser.
Les crédits sont effectivement en très légère hausse, mais leur répartition ne nous convient pas forcément. Comme cela a été souligné tout à l’heure, nous avons l’impression qu’il n’y a aucun véritable choix, hormis la réduction drastique des aides aux conservatoires, donc aux collectivités territoriales, à un moment où les moyens des opérateurs augmentent de 2 % et les dépenses fiscales de 13,2 %.
Je n’ai jamais entendu l’État indiquer par la voix du Premier ministre ou du ministre chargé du budget qu’il s’agissait de priorités budgétaires. Or, pour moi, dans un contexte budgétaire aussi contraint que celui que nous connaissons aujourd'hui, une augmentation de 2 %, cela marque une priorité !
Je reprends les propos de mon collègue Michel Bouvard sur la gouvernance des opérateurs. Le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de fonctionnement et sur certaines dépenses d’investissement décidées par les opérateurs qui se retournent ensuite vers l’État est, à mon avis, très bon. J’aimerais connaître les dispositions que le Gouvernement souhaite adopter pour piloter les opérateurs de manière plus efficace et ne plus leur laisser une totale liberté.
Je m’interroge également sur l’ouverture de certains musées sept jours sur sept, expérimentation dont j’ai lu qu’elle avait « vocation » à être financée par les recettes de billetterie. Savoir qu’il y a une « vocation à », c’est bien ; avoir des certitudes, c’est mieux ! Je ne suis pas opposé à cette ouverture. Mais la décision a-t-elle été précédée d’une étude de marché ou d’évaluations ? Cela ne figure pas dans le rapport. Avant d’embaucher 100 personnes et de dépenser de l’argent public, il serait, me semble-t-il, souhaitable de s’assurer que les recettes seront au rendez-vous et que le financement sera effectivement assumé par les visiteurs.
Par ailleurs, et à l’instar de mon collègue Yves Pozzo di Borgo, je souhaite évoquer la Philharmonie de Paris, sujet sur lequel je suis intervenu à plusieurs reprises.
Comme jeune sénateur, j’avais interpellé M. Frédéric Mitterrand sur le dérapage financier. Nous sommes passés des 200 millions d’euros initialement prévus à 381 millions d’euros. Depuis le début, et ce n’est pas de votre faute, madame la ministre, l’opération n’a absolument pas été pilotée.
M. David Assouline, rapporteur pour avis. Au début, c’était qui ? Nicolas Sarkozy !
M. Vincent Delahaye. D’ailleurs, c’est malheureusement souvent une caractéristique des projets de l’État.
De tels dérapages sont tout de même assez préjudiciables aux contribuables. Je ne suis pas convaincu que le fait de consacrer autant d’argent à un seul équipement parisien aille vraiment dans le sens de la réorientation des aides vers la province que vous invoquez, madame la ministre.
Je souhaite soulever plusieurs questions.
D’abord, les 45 millions d’euros de dépassement, que la ville de Paris ne veut pas prendre en charge, sont-ils inscrits dans ce budget ?
M. David Assouline, rapporteur pour avis. Oui !
M. Vincent Delahaye. Je ne les ai pas vus, que ce soit dans le rapport ou dans les tableaux de chiffres. Je ne me contente pas d’affirmations ; je veux voir les chiffres.
Ensuite, existe-t-il une convention – je suis surpris qu’il n’y en ait pas eu à l’origine – entre l’État et la ville de Paris pour fixer la répartition du financement à la fois sur l’investissement et sur le fonctionnement à 50/50 ? Si ce n’est pas le cas, c’est très grave ! Cela signifie que l’État est pris au piège des décisions de la ville de Paris. Si celle-ci décide demain de ne plus rien financer du tout, le fonctionnement de cet équipement parisien sera à la charge de l’État, c'est-à-dire des contribuables, y compris de ceux qui habitent en province ! On n’engage pas des deniers publics sans convention initiale. Et si cette convention existe, la ville de Paris est-elle prête à acquitter les 9,8 millions d’euros de fonctionnement pour l’année 2015 ?
Enfin, à quoi ont servi les 5,7 millions d’euros de crédits de fonctionnement inscrits pour 2014 ? La Philharmonie de Paris n’est pas ouverte. Je sais bien qu’il fallait anticiper la programmation. Mais fallait-il mobiliser une telle somme dès 2014 pour cela ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Ces interventions ne portent pas sur l’article 50 bis. Toutefois, je vais répondre aux questions qui m’ont été adressées.
Tout d’abord, comme vous l’avez rappelé avec honnêteté, messieurs les sénateurs, la décision de construire la Philharmonie de Paris a été prise en 2007. En 2012, lors de notre arrivée aux responsabilités, le chantier avait déjà beaucoup avancé. Je pense qu’il n’aurait pas été de bonne gestion de mettre un terme à une opération ayant déjà coûté plusieurs centaines de millions d’euros.
Au demeurant, même si je travaille beaucoup au rééquilibrage de l’offre culturelle entre Paris et la province, je pense qu’il s’agit d’un beau projet pour l’attractivité de notre pays. Nous avions besoin d’une grande salle philharmonique. L’établissement fait aujourd'hui des envieux, à Londres comme à Berlin, où les équipements ont vieilli.
J’ai pris mes fonctions de ministre à quelques mois de l’ouverture de la Philharmonie de Paris. Je souhaite que nous la réussissions.
Pour autant, je ne nie pas qu’il y ait eu un certain nombre de problèmes de pilotage. D’ailleurs, ils ne datent pas du mois de mai 2012 ; ils sont bien antérieurs. Depuis ma nomination dans ces fonctions, je m’efforce d’y remédier, pour ce qui concerne le financement comme la gouvernance.
Cette année, il y a effectivement eu un dépassement de 45 millions d’euros. Mais il est partiellement imputable à l’interruption du chantier pendant une année à la demande de Nicolas Sarkozy qui a coûté extrêmement cher.
Nous avons également une vingtaine de millions d’euros qui sont liés à des actualisations de prix. Comme cela a été rappelé, les contrats ont été passés pour certains en 2009 et pour d’autres en 2011. Cela coûte également.
Et nous avons 25 millions d’euros de surcoût qui sont dus à des aléas. Outre les coûts liés à l’interruption du chantier, que j’ai déjà évoqués, il faut tenir compte d’un certain nombre d’options techniques, comme les exigences de sécurité, le bois choisi pour parer les murs de la grande salle, le vernis… Il s’agit peut-être de détails, mais c’est grâce à cela que l’esthétique et l’acoustique de la salle seront exceptionnelles. De tels problèmes de finition sont malheureusement assez classiques pour ce type d’opération.
Au vu de la situation, une mission a été confiée à M. Jean-Pierre Weiss pour examiner les raisons ayant conduit aux dépassements et aux retards ; elle est en cours depuis un an. Il s’agit d’identifier clairement les responsabilités respectives des différents acteurs, car il n’est pas forcément évident d’en connaître la répartition aujourd'hui.
Lors de ma prise de fonctions, j’ai demandé à l’OPIC, l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, une contre-expertise pour savoir si l’objectif d’une ouverture le 14 janvier prochain était bien réaliste – il m’a été répondu que cela l’était – et pour faire procéder à une évaluation précise des coûts et des travaux à réaliser en urgence.
Une mission est en cours afin d’étudier si la Philharmonie peut fonctionner avec les crédits prévus du côté tant de l’État que de la ville de Paris, sachant que les négociations sur la convention qui lie ces deux parties pour organiser le fonctionnement de l’établissement s’achèvent actuellement.
J’ai passé beaucoup de temps à la Cour des comptes, et j’ai vraiment eu à cœur, je peux vous l’assurer, de rendre la situation à la fois plus transparente, plus claire et plus efficace. S’il est important de bien comprendre les responsabilités des uns et des autres, il faut surtout faire en sorte que l’inauguration et l’ouverture de la Philharmonie de Paris soient un succès mondial.
Je ne reviendrai pas sur la question du pilotage des opérateurs de mon ministère. Je vous l’affirme, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai la volonté très claire de piloter l’ensemble d’entre eux, même si la tâche n’est pas facile. Concrètement, cela signifie que les directeurs d’établissement public devront tenir compte de ma vision et de mes priorités en matière d’éducation artistique et culturelle. Ils devront, entre autres, mieux prendre en compte les pratiques quotidiennes des jeunes d’aujourd’hui, ou encore s’engager dans une démarche de rayonnement international. Je pourrais ainsi multiplier les exemples.
En tout état de cause, je souhaite non pas que mon ministère s’ingère dans la gestion quotidienne des opérateurs, mais qu’il définisse des grands axes de politiques et que tous les opérateurs se mettent au service de ces priorités.
Enfin, je précise que les 45 millions d’euros étaient prévus pour 2014 ; c’est la raison pour laquelle ils ne figurent pas dans le projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne, sur l’article.
Mme Marie-Annick Duchêne. Permettez-moi de profiter de ce débat sur la Philharmonie de Paris, madame la ministre, pour vous demander s’il est exact que la salle Pleyel perdra sa spécificité classique. Si c’est une fausse rumeur, autant lui tordre le cou tout de suite !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Paris va devenir une place extrêmement importante pour le rayonnement de la musique classique, ce dont il faut, je pense, se féliciter.
Dans la mesure où Paris disposera désormais d’une salle philarmonique de tout premier plan, dont l’acoustique aura été traitée par le même bureau d’études que celui qui a travaillé sur l’auditorium de la Maison de Radio France, avec une jauge de plus de 2 500 places, cet établissement en sera le pôle de la musique classique.
De ce fait, il a été décidé que la salle Pleyel devrait réorienter sa programmation vers d’autres musiques, afin de parvenir à une spécialisation des genres des différents lieux dédiés à la musique à Paris. Toutefois, je ne suis pas extrêmement rigide : nous verrons bien, à l’usage, la manière dont se déplacent les publics. Nous pourrons éventuellement en discuter de nouveau.
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Culture ».
Solidarité, insertion et égalité des chances
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 60).
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances, en remplacement de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », vous prie de l’excuser. Retenu par des engagements dans son département, il ne peut être présent aujourd’hui en raison du report de l’examen de la présente mission. Je vous livre donc les principaux points de son rapport.
La mission que nous examinons ce matin est la principale mission du budget général en termes d’intervention en faveur des personnes vulnérables : personnes éloignées de l’emploi, personnes en situation de handicap, personnes dépendantes, personnes sous tutelle, etc.
Elle est en réalité très concentrée sur quelques dispositifs d’intervention coûteux, mais absolument fondamentaux pour notre cohésion sociale : l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, les établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, pour les travailleurs handicapés, le RSA activité, et la protection juridique des majeurs.
Le budget triennal 2015-2017 prévoit la poursuite de l’augmentation des crédits, qui atteindront environ 16 milliards d’euros en 2017, hors le compte d’affectation spéciale « Pensions », soit une hausse de quelque 500 millions d’euros en deux ans. Il y a en effet, sur la mission, deux principales dépenses dont le tendanciel est fortement en augmentation : l’allocation aux adultes handicapés, qui représente 8,5 milliards d’euros en 2015, et la partie « activité » du revenu de solidarité active, qui correspond à plus de 1,9 milliard d’euros. La hausse prévue dans le budget triennal est importante, mais le rapporteur spécial craint malgré tout que le plafond ne soit très rapidement dépassé, en particulier du fait de la revalorisation du RSA.
J’en viens maintenant aux principales observations du rapporteur spécial sur chacun des programmes.
Le programme 304 est le principal programme d’inclusion sociale. Il porte essentiellement sur les dépenses liées au RSA activité et à la protection juridique des majeurs. Les crédits de ce programme augmentent fortement, pour deux raisons de périmètre : l’intégration du programme 106 et la « rebudgétisation » – le rapporteur spécial s’en félicite – du Fonds national des solidarités actives, ou FNSA, qui finance le RSA activité.
Cette « rebudgétisation » clarifie le financement et améliore la prévisibilité de la recette pour les gestionnaires. Cependant, le rapporteur spécial, comme le rapporteur général en séance lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, s’est inquiété de l’affectation d’une fraction de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires. Selon lui, cette affectation ne respecte pas les principes de la contribution, et constitue un « tuyau », ou une « recette de poche », qui réduit la clarification attendue.
Dans le cadre de la revalorisation du RSA, la dépense en matière de RSA activité va augmenter, pour atteindre 1,9 milliard d’euros en 2015. Cela fait trois ans que le rapporteur spécial appelle de ses vœux une réforme qui réduise le non-recours à cette prestation : depuis la présentation du rapport en commission, le Gouvernement a présenté son projet de loi de finances rectificative, qui prévoit la suppression de la prime pour l’emploi, première étape avant la création d’une nouvelle prime d’activité.
Le rapporteur spécial regrette fortement la suppression de l’aide personnalisée de retour à l’emploi, l’APRE, coup de pouce pour l’insertion des bénéficiaires du RSA, dont il avait souligné l’utilité dans un rapport de contrôle budgétaire l’an passé.
De façon générale, il déplore que, sous l’effet de la contrainte budgétaire, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » se réduise à ses seuls dispositifs de guichet et que disparaissent ou soient réduites les interventions plus ciblées ou les subventions aux associations, qui animent sur le terrain la politique de solidarité.
Il en va de même des subventions aux associations en faveur des droits des femmes, qui vous sont particulièrement chères, madame la secrétaire d’État, portées par le programme 137 et qui sont gelées depuis trois ans.
S’agissant du programme 157, la principale préoccupation du rapporteur spécial concerne la budgétisation de l’allocation aux adultes handicapés, qu’il estime insuffisante. Selon lui, l’AAH est sous-budgétée d’environ 100 millions d’euros. Je rappelle que l’AAH représente à elle seule plus de la moitié des crédits de la mission, soit 8,5 milliards d’euros.
Le rapporteur spécial regrette le faible effort qui est fait en faveur des établissements et services d’aide par le travail, qui font travailler des personnes handicapées, notamment des handicapés mentaux. Aucune nouvelle place n’est construite, et l’aide à la modernisation est très faible – seulement 2 millions d’euros –, alors que les premières conclusions du contrôle, actuellement en cours, de M. Bocquet sur ce sujet montrent des besoins importants en la matière.
Enfin, le rapporteur spécial a vivement critiqué les suppressions d’effectifs dans le programme 124, qui vise les dépenses de fonctionnement et de personnels de l’administration sociale. Sont concernées les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, les DRJCS, la direction départementale de la cohésion sociale, la DDCS, les directions départementales de la protection des populations, les DDPP, les agences régionales de santé, les ARS, etc. Le plafond d’emploi des directions est réduit de 253 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, presque tous des agents de catégories C et B. Celui des ARS est diminué de 100 ETPT. Depuis 2011, au total, les effectifs des administrations sociales ont perdu plus de 800 personnes, soit plus de 10 % de l’ensemble. Le rapporteur spécial a fait part de sa crainte que, au terme de cette logique, les missions que ces directions doivent assurer, à savoir la solidarité et l’accompagnement des personnes vulnérables sur le terrain, ne soient remises en question.
In fine, malgré l’importance de cette mission pour la cohésion sociale dans notre pays, le rapporteur spécial avait préconisé de ne pas en adopter les crédits, en raison non seulement de ces baisses continues d’effectifs dans l’administration, mais aussi de la suppression des dispositifs d’intervention ciblés comme l’APRE, ainsi que de la probable sous-dotation de l’AAH. La majorité de la commission des finances l’a suivi, en soulignant que les réformes nécessaires pour contenir les dépenses de guichet n’étaient pas réalisées.
En conséquence, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des finances a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », mais telle n’est pas, vous l’aurez compris, ma position personnelle.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales est défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ainsi qu’à celle de l’article 60, qui lui est rattaché.
La présente mission sera dotée de 15,7 milliards d’euros l’année prochaine. Je ne reviendrai pas en détail sur la présentation des crédits, préférant concentrer mon propos sur les principaux éléments qui ont justifié la position de la commission. Ils sont de deux ordres : d’une part, la sous-évaluation chronique de dépenses d’intervention, dont la hausse n’est pas maîtrisée ; d’autre part, l’environnement très incertain dans lequel évoluent les politiques d’inclusion sociale et du handicap.
Le programme « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire » bénéficiera de 2,6 milliards d’euros en 2015.
Le Fonds national des solidarités actives, qui finance le RSA activité, sera doté de 2,3 milliards d’euros. La forte hausse par rapport à 2014 tient à une simplification du mode de financement du FNSA qui sera désormais entièrement assuré par l’État. Pour autant, l’incidence sur les dépenses de l’État de la revalorisation exceptionnelle du RSA socle, ainsi que des mesures mises en œuvre pour lutter contre le non-recours aux droits, est sous-évaluée.
Il est en outre regrettable que, pour 2015, le financement du RSA activité ne puisse être bouclé que grâce à un apport de 200 millions d’euros issus de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires. Cela ne va pas dans le sens de la clarification effectuée par ailleurs pour ce qui concerne le financement du FNSA et laisse à penser que le Gouvernement ne se donne pas les moyens d’assumer de façon pérenne les conséquences budgétaires des décisions qu’il a prises à l’égard du RSA.
Le Gouvernement vient d’annoncer la création d’une prime d’activité chargée de remplacer le RSA activité et la prime pour l’emploi. Il s’agit d’une réforme attendue, que portait en germe la loi de 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion. Elle est justifiée dans la mesure où le RSA activité et la prime pour l’emploi n’ont pas atteint leurs objectifs d’incitation au retour et au maintien dans l’emploi. De nombreuses questions demeurent, notamment sur l’incidence financière de la réforme.
Compte tenu du fort taux de non-recours au RSA activité – il est d’environ 68 % – et de l’échec du RSA jeunes – moins de 8 000 personnes en ont bénéficié en 2014 –, est-il réaliste d’envisager, à moyens constants, la création d’une prime qui touchera l’ensemble des travailleurs dès l’âge de dix-huit ans ? Je n’en suis pas convaincu.
D’autres questions devront être tranchées.
Le 6 novembre dernier, le Premier ministre a annoncé la mise en place d’un groupe de travail sur le RSA socle. L’hypothèse d’un transfert de la gestion de cette prestation à l’État mérite d’être étudiée de près, en raison notamment du poids qu’elle représente pour les finances départementales et des marges de manœuvre plus que limitées dont les départements disposent pour sa gestion.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Dans le même temps, il est nécessaire que les départements puissent conserver leurs compétences en matière d’insertion et d’accompagnement vers l’emploi.
J’en viens au programme « Handicap et dépendance », qui rassemble près des trois quarts des crédits de la mission et doit bénéficier l’année prochaine d’un financement de 11,6 milliards d’euros.
Sur cette somme, 8,5 milliards d’euros seront dédiés au financement de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH. Là encore, la commission des affaires sociales a estimé, dans sa majorité, que ces dépenses étaient sous-évaluées, jugement que confirme l’abondement prévu en loi de finances rectificative sur la dotation pour 2014.
Le Gouvernement prévoit que l’AAH sera versée en 2015 à un nombre de bénéficiaires compris entre 1 045 000 et 1 064 000 personnes. La crise économique, le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite ainsi que le report de certains publics du RSA vers l’AAH, constituent les trois principaux facteurs d’augmentation du nombre de bénéficiaires.
De plus, le Gouvernement annonce une augmentation faciale de la contribution de l’État au fonctionnement des MDPH, les maisons départementales des personnes handicapées, qui s’élèvera à 66,3 millions d’euros. Mais cette hausse n’est obtenue qu’au moyen d’une ponction de 10 millions d’euros opérée sur la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
En pratique, l’effort réalisé par l’État en faveur des MDPH diminue de plus de 8 millions d’euros. S’agit-il d’une mesure exceptionnelle ou doit-on y voir la première étape d’un désengagement de l’État ? Mes craintes sont fortes, et ce d’autant plus que la charge de travail des MDPH ne cesse d’augmenter.
Les ESAT, les établissements et services d’aide par le travail, recevront quant à eux 2,7 milliards d’euros l’année prochaine. J’insiste sur la fragilité qui caractérise leur mode de tarification ainsi que sur la faiblesse du plan d’aide à l’investissement prévu par le projet de loi de finances, soit 2 millions d’euros pour environ 1 300 établissements. L’incidence sur leur modernisation sera trop limitée, alors même que les ESAT sont parmi les structures les plus anciennes du secteur médico-social.
Je conclurai mon intervention en vous faisant part de ma préoccupation quant à la situation des personnes handicapées vieillissantes. Les solutions de prise en charge existantes doivent être repensées afin que puissent être mises en place les solutions d’accompagnement adéquates, permettant d’éviter les ruptures.
Si le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ne prend pas directement en compte cet enjeu, il faut souhaiter que la discussion du texte au sein de notre assemblée puisse être l’occasion d’engager une réflexion constructive pour améliorer les parcours de vie de ces personnes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré les fortes contraintes budgétaires que nous connaissons, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont préservés, ce qui témoigne de l’engagement de l’État au service des personnes les plus vulnérables.
J’en veux pour preuve les crédits alloués au programme « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire ». L’effort de l’État est d’autant plus bienvenu que les derniers chiffres publiés par l’INSEE et par certaines associations dressent un constat alarmant sur la pauvreté en France : en 2012, 8,6 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté et 112 000 personnes étaient sans domicile fixe.
Je note avec satisfaction que le Gouvernement tient les engagements qu’il a pris dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui a été adopté en janvier 2013 : le 1er septembre 2015, le RSA augmentera exceptionnellement de 2 %, au-delà de l’inflation, et le RSA activité et la prime pour l’emploi seront fusionnés en une prime d’activité qui sera mise en œuvre au 1er janvier 2016.
C’est une excellente chose étant donné le peu de lisibilité et la complexité des dispositifs actuels.
Le Livre blanc Discrimination et Pauvreté d’ATD Quart Monde, paru en octobre 2013, souligne d’ailleurs que, chaque année, 50 % des bénéficiaires potentiels du RSA ne le réclament pas.
Madame la secrétaire d’État, je sais que le Gouvernement veut simplifier les démarches notamment pour limiter le non-recours aux prestations sociales. C’est indispensable, en effet. Chaque année, des milliards d’euros de prestations ne sont pas réclamés par des personnes qui y auraient pourtant droit.
Cela s’explique par un manque d’information, par la complexité des démarches, mais également par un renoncement motivé par la crainte d’être accusé de profiter du système et d’être stigmatisé.
Ce qui est particulièrement grave, c’est que les non-requérants sont surtout les personnes les plus précaires sur les plans économique et social. C’est pourquoi il est nécessaire de leur faciliter l’accès aux droits auxquels ils sont éligibles.
Je me félicite également du montant des crédits affectés à l’aide alimentaire : 32,6 milliards d’euros, dont près de 8 millions d’euros pour les épiceries sociales et solidaires, qui apportent une aide à un public en difficulté économique, fragilisé ou exclu, tout en préservant la dignité des personnes.
Je sais que le Premier ministre s’est engagé cette semaine à promouvoir les dons en nature. C’est une très bonne nouvelle. L’année dernière, les Restos du cœur ont distribué 130 millions de repas à plus d’un million de personnes, et la tendance à la hausse devrait malheureusement se poursuivre.
Or la générosité des donateurs particuliers n’étant pas illimitée, il me semble indispensable de développer et de faciliter les dons des filières agricoles, comme cela a été fait en décembre 2013 avec les producteurs laitiers.
Les crédits du programme « Handicap et dépendance », qui représentent les trois quarts de la mission, s’élèveront à 11,6 milliards d’euros. Je ne peux que m’en réjouir. Je sais que, début novembre, un rapport vous a été remis par notre collègue député Annie Le Houérou sur l’accompagnement dans l’emploi des personnes handicapées tout au long de leur parcours professionnel. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelles suites vous comptez donner aux quatorze recommandations formulées dans ce rapport ?
Je dirai un mot enfin sur le programme « Égalité entre les femmes et les hommes ».
Le Gouvernement œuvre depuis deux ans et demi pour faire progresser les droits des femmes dans notre société. D’ailleurs, dans le classement du rapport mondial sur la parité entre hommes et femmes publié fin octobre dernier, la France est passée de la 45e à la 16e place, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cela méritait d’être souligné.
Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, depuis 2012, les crédits du programme 137 ont augmenté de 25 % pour financer les mesures du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Il s’agit notamment du déploiement des accueils de jours et du numéro d’accueil téléphonique et d’orientation.
Je pense également à la formation des professionnels en matière de violences faites aux femmes, dont le pilotage est assuré par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, créée il y a tout juste un an. Ce dispositif permet d’améliorer la prévention, la détection des violences faites aux femmes ainsi que la protection et la prise en charge des victimes.
Je regrette, toutefois, que les crédits de ce programme, qui servent essentiellement à financer les associations, ne progressent pas par rapport à 2014, alors que les besoins augmentent. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement des associations d’aide aux victimes de violences qui réalisent un travail formidable et permettent aux victimes de se reconstruire. Leur rôle est extrêmement positif.
Parce que les crédits de cette mission traduisent un effort significatif du Gouvernement en faveur de la solidarité, les sénateurs du RDSE, dans leur très grande majorité, les voteront.
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avec 15,75 milliards d’euros de crédits demandés pour 2015, le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » témoigne de l’importance de l’action de l’État au service des personnes les plus vulnérables.
Comme l’écrit M. Philippe Mouiller dans le rapport pour avis qu’il a remis au nom de la commission des affaires sociales, cette mission est « l’un des principaux vecteurs d’intervention de l’État en matière de lutte contre l’exclusion sociale et de protection des personnes les plus vulnérables ».
L’occasion nous est donc offerte d’examiner un grand nombre de secteurs qui bénéficient d’une augmentation convenable des moyens qui leur sont alloués dans un contexte économique et budgétaire très contraint.
Je rappellerai d’abord l’engagement pris par le Gouvernement, dès le début de ce quinquennat, de mettre en œuvre le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Ainsi, la hausse des crédits du programme 304 permettra de mettre en place plusieurs actions : la revalorisation régulière, à hauteur de 10 points d’ici à 2017, du RSA socle ; l’augmentation des plafonds d’accès à la couverture maladie universelle complémentaire ; l’expérimentation de la garantie jeunes, qui devrait passer de 10 000 bénéficiaires en 2014 à 50 000 en 2015 ; l’allongement de la durée des contrats aidés pour les personnes de plus de cinquante ans en situation de handicap ou allocataires d’un minimum social.
La mission dont nous examinons les crédits voit son architecture modifiée pour 2015, puisqu’elle ne compte plus que quatre programmes, contre cinq l’année précédente : le programme 304, nous venons de l’évoquer, est désormais intitulé « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire », et son périmètre a été élargi avec l’intégration du programme 106, « Actions en faveur des familles vulnérables » ; le programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes » ; et le programme 124, « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative ».
À ces trois programmes s’ajoute bien sûr le programme 157, « Handicap et dépendance », sur lequel ma collègue Claire-Lise Campion interviendra.
Je voudrais également souligner, outre l’intégration du programme 106, l’augmentation de la dotation versée au Fonds national des solidarités actives.
Je tiens à saluer, au travers du regroupement que j’ai signalé, l’effort de cohérence et de simplification du cadre budgétaire qui a été entrepris par le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, ce dernier ayant pris la décision bienvenue de simplifier la cartographie des programmes.
J’en viens au problème du RSA, que vient d’évoquer à l’instant M. le rapporteur pour avis.
Le 12 novembre dernier, le ministre des finances, Emmanuel Macron, annonçait lors de son audition par l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 la suppression de la prime pour l’emploi au titre des revenus perçus en 2015 en vue de sa fusion avec le RSA en 2016.
Nous prenons acte de cette fusion, même s’il convient de regretter qu’une telle mesure n’ait pas été inscrite dans le présent projet de loi de finances afin d’être mise en œuvre plus rapidement.
Au-delà de ce dispositif, que nous soutenons, s’agissant du RSA, se pose la question – nous y reviendrons certainement à l’occasion de l’examen du projet de loi NOTRe – des relations entre l’État et les collectivités territoriales, et plus particulièrement le département.
En effet, le RSA est l’allocation qui pèse le plus lourd dans le budget des départements. Doit-elle rester l’apanage des départements ou être à la charge de l’État ? Je pense que nous aurons à nous prononcer d’une manière très forte sur la question ; en tout cas, c’est une décision très attendue par les conseils généraux.
M. René-Paul Savary. C’est habilement dit ! Bravo !
M. Georges Labazée. Merci, mon cher collègue ; entre présidents de conseils généraux, nous sommes très solidaires sur cette question, quel que soit notre bord politique.
M. Vincent Eblé. À d’autres, à d’autres !
M. Georges Labazée. Je me félicite également de la priorité donnée par le Gouvernement à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, les crédits du programme 137 augmentent, légèrement, de 0,56 %, pour atteindre 25,2 millions d’euros.
Ce qui mérite d’être relevé, madame la secrétaire d'État, c’est que ces crédits créent un effet de levier, car ils attirent des financements provenant d’acteurs locaux et européens. La participation d’entreprises, d’organismes paritaires collecteurs agréés ou de branches professionnelles volontaires, ainsi que la mobilisation des crédits du Fonds social européen, le FSE, s’ajoutent aux crédits de l’État. On a là une dynamique très intéressante.
Enfin, les crédits de l’action n° 5, Personnes âgées, s’élèvent à 2,3 millions d'euros. Ils sont destinés au versement de subventions à des associations et à la lutte contre la maltraitance. Nous souhaitons que la maltraitance laisse place à la bientraitance. Malgré les résultats alarmants d’un récent sondage, des efforts sont faits dans un grand nombre d’établissements.
Nous plaçons beaucoup d’espoir dans l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Nous irons au fond des choses. Madame la secrétaire d'État, nous aimerions savoir quand nous examinerons ce projet de loi. Nous espérions l’examiner en janvier ou en février, mais, apparemment, il nous faudra attendre jusqu’aux élections départementales.
En tout cas, le présent projet de loi de finances ne déroge pas à la règle que le Gouvernement s’est fixée : pérenniser les crédits destinés à financer le plan autonomie, consacrant ce dernier comme une véritable priorité, preuve s’il en est que la solidarité n’est pas un vain mot. C'est pourquoi le groupe socialiste votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. Nous reprenons l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 60).
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est un pilier de la politique sociale de l’État, à l’heure où la précarité est le quotidien d’un trop grand nombre de personnes dans notre pays et où la pauvreté s’intensifie.
Cette mission doit être examinée avec soin, car elle est un outil fondamental de la lutte contre les inégalités sociales. Je rappelle que, en France, neuf millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, évalué à environ 900 euros par mois, deux millions de nos concitoyens étant dans une situation de très grande pauvreté, avec un revenu mensuel inférieur à 650 euros.
Les crédits alloués à chaque programme sont globalement en très légère augmentation. Comme cela a été souligné, l’augmentation très importante du budget alloué au RSA activité est liée au changement de son mode de financement. Le RSA activité mis à part, les crédits de la mission enregistrent une hausse légère – 1,5 % – mais réelle.
Même si le contexte budgétaire est serré, l’engagement de l’État doit être proportionnel aux difficultés que nous connaissons.
La crise sociale et économique frappe terriblement les territoires. Je ne prendrai qu’un seul exemple : en Seine-Saint-Denis, on compte aujourd'hui 90 000 bénéficiaires du RSA socle, alors que le reversement avait été calculé sur la base de 40 000 bénéficiaires. Le contexte général est donc lourd. Cela justifie que l’État continue à s’engager de manière importante.
Faute de pouvoir tout passer en revue en six minutes, je m’arrêterai sur quelques points, en commençant par le RSA activité, qui représente une grande partie du programme 304.
Je veux souligner à mon tour l’importance du non-recours à ce dispositif, qui relativise les prévisions budgétaires pour cette année. D’après les chiffres publiés par le comité national d’évaluation du RSA en 2011, on compte 50 % de non-recours en moyenne pour les trois types de RSA et 68 % pour le RSA activité. Cette situation est tout à fait préoccupante ; cela fait plusieurs années que nous le soulignons avec nos collègues députés.
L’annonce de la création d’une prime d’activité nous intéresse. Nous attendons d’avoir davantage de précisions ; madame la secrétaire d'État, peut-être pourrez-vous nous donner des détails. Il ne faut pas créer un nouveau dispositif sans régler le problème du non-recours.
Nous espérons que la prime d’activité sera un dispositif simple d’accès n’impliquant pas une multiplicité de démarches et correspondant aux demandes.
Il faut éviter de surcroît toute stigmatisation, car le non-recours pose un véritable problème. Il peut paraître intéressant à certains dans la mesure il permet de faire des économies à court terme, mais on sait bien qu’il est extrêmement dangereux pour notre pays.
Le programme « Handicap et dépendance » représente environ 75 % des crédits de la mission. Les dépenses d’intervention sont en légère augmentation, et les dépenses de fonctionnement sont maintenues à leur niveau de 2014. Comme cela a été souligné lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accessibilité, ce programme est fondamental. Nous aurons l’occasion d’en reparler au moment de l’examen du projet de loi sur l’autonomie et le vieillissement.
L’accessibilité universelle et l’accès à l’emploi des personnes handicapées ou en perte d’autonomie sont deux points centraux. Je veux dire combien il est important de développer l’incitation à l’activité professionnelle, qui constitue l’action n° 2 du programme « Handicap et dépendance ». Les crédits de cette action sont légèrement en hausse ; c’est une bonne chose. En revanche, je suis, comme d’autres, très préoccupée par le maintien du gel du nombre de places en établissements et services d’aide par le travail, qui n’est pas satisfaisant, car il met un certain nombre d’associations gestionnaires d’ESAT devant de très graves difficultés. On ne pourra pas prolonger longtemps ce moratoire.
Je voudrais également dire un mot du budget alloué à l’économie sociale et solidaire. Il est en baisse de 5 % par rapport à 2014, même si certaines dotations sont en hausse. Cela ne nous paraît pas une bonne chose. Ce n’est pas un bon signal envoyé à l’économie sociale et solidaire, qui est un secteur économique à part entière – cela a été souligné lors de l’examen du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire –, et un secteur en croissance, créateur d’emplois non délocalisables. Nous regrettons la baisse des crédits qui y sont consacrés, car on a là une possibilité d’encourager des entreprises économiquement viables tout en mettant en œuvre des valeurs de solidarité et de fonctionnement démocratique.
Mes chers collègues, même si nous avons un certain nombre de regrets, nous voterons les crédits de cette mission si fondamentale pour notre société, dans la mesure où ils sont en hausse – une hausse légère, certes – dans un contexte difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont en légère hausse par rapport à l’an dernier, avec un budget global de 15,75 milliards d'euros pour les quatre programmes qui la composent. Cette hausse est une bonne nouvelle.
Examinons tout d'abord le programme « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire ». Si ses crédits sont en hausse, c’est essentiellement en raison de l’augmentation du nombre d’allocataires du RSA et de la revalorisation du RSA et de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH.
Les effets de la crise économique continuent d’être durement ressentis par nos concitoyens, comme en témoigne le nombre historique de demandeurs d’emploi.
L’État a la responsabilité d’assurer une solidarité renforcée en cette période. Or nous avons des inquiétudes sur le financement des prestations de solidarité, notamment sur le mode de financement du RSA activité, qui souffre d’une insuffisance de dotations depuis plusieurs années et a été réformé dans le cadre du pacte de responsabilité.
Cette année, la Cour des comptes a estimé que l’insuffisance des dotations du Fonds national des solidarités actives, le FNSA, qui finance le RSA, était de l’ordre de 300 à 500 millions d’euros. Le pacte de responsabilité a entraîné le glissement du financement du FNSA vers la sécurité sociale, alors même que celle-ci subit une perte de 20 milliards d’euros du fait des exonérations de cotisations patronales. Dès lors, madame la secrétaire d'État, nous nous demandons comment le Gouvernement compte assurer le financement du RSA, notamment la dotation d’1,7 milliard d’euros du FNSA, en 2015.
Venons-en maintenant aux crédits du programme « Handicap et dépendance », qui sont en hausse de 3,4 %. La lutte contre l’exclusion des personnes les plus vulnérables étant censée être une priorité du Gouvernement, nous accueillons positivement cette hausse. Cependant, la progression des crédits ne saurait cacher la réalité des économies budgétaires réalisées sur ce programme. En effet, le Gouvernement opère des prélèvements sur les crédits de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, et diminue en réalité de 8 millions d'euros la dotation de fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH.
Nous assistons une nouvelle fois au détournement des fonds de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, pour compenser le désengagement de l’État. À cela s’ajoute la décision de faire porter la charge des aménagements en faveur de l’accessibilité des établissements publics aux collectivités territoriales. Or la diminution des dotations financières est déjà particulièrement injuste tant pour les communes que pour les personnes concernées.
Nous sommes donc confrontés à un grand écart entre les discours volontaristes du comité interministériel du handicap et les moyens financiers prévus par le projet de loi de finances pour 2015.
Les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » restent stables à 25,2 millions d’euros, mais nous nous interrogeons sur les moyens de financement du volet d’accompagnement social de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Si le texte n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, il n’en demeure pas moins que, en l’absence de budgétisation, il constitue une coquille vide pour l’accompagnement social.
Par ailleurs, nous constatons avec regret que le programme ne prévoit pas de revalorisation du montant du complément de libre choix d’activité versé pendant le congé parental. La seule solution pour inciter les pères à prendre ce congé consisterait à revaloriser le montant du complément ; les couples pourraient ainsi choisir librement.
Je souhaiterais dire quelques mots sur les personnes handicapées vieillissantes.
En commission, le manque de dispositifs adaptés à l’accompagnement des personnes vieillissantes a été souligné ; je partage les remarques qui ont été faites. Nous constatons en effet des carences dans la formation des professionnels concernés et un manque d’implication des pouvoirs publics. Tout cela contraint les maisons d’accueil spécialisées et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, à se débrouiller avec leurs moyens pour faire face à des besoins croissants. Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ne semble pas apporter de réponse à cette situation. Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous en donner les raisons ?
Enfin, le programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », qui regroupe essentiellement les crédits de fonctionnement des ministères sociaux et des agences régionales de santé nous interpelle. En effet, les ARS subissent une baisse d’effectifs : leur plafond d’emplois diminue de 253 équivalents temps plein en 2015.
Si nous continuons à penser que l’organisation du système de santé et certaines des prérogatives des ARS ne correspondent pas à notre projet de service public de la santé, nous ne sommes pas pour autant favorables à la diminution des effectifs des ARS. Notons que, malgré la suppression de 253 équivalents temps plein, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, tel qu’il a été voté par le Sénat ce jeudi, prévoit d’élargir les compétences des ARS au contrôle de la qualité et de la sécurité des établissements publics. Comme l’ensemble du groupe CRC, je suis particulièrement dubitative face à cette nouvelle formule – elle n’est d'ailleurs pas si nouvelle, hélas – consistant à vouloir toujours faire plus et mieux avec moins !
En conclusion, nous pensons que d’autres ambitions sont nécessaires : arrêter les diminutions d’effectifs, mettre l’humain au cœur des politiques et instaurer une nouvelle répartition des richesses pour que, dans la période de crise actuelle, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dispose réellement des moyens dont elle a besoin.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, doté de 15,7 milliards d’euros, le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmente d’environ 500 millions d’euros en deux ans. Cette hausse résulte principalement de l’évolution de deux dépenses dans le cadre du dernier plan pauvreté : l’AAH, qui coûtera 8,5 milliards d’euros en 2015, et la partie « activité » du RSA, qui représente plus de 1,9 milliard d’euros.
Cependant, les besoins de la mission dépasseront manifestement ce qui est prévu.
En effet, la revalorisation de 2 % par an du RSA absorbe à elle seule la moitié de la hausse de 500 millions d’euros. Dès lors, si l’on ajoute la hausse de l’AAH, les mesures de protection juridique des majeurs, ainsi que d’autres prestations obligatoires prévues par la mission, il est clair que le compte n’y est pas.
Non seulement les crédits proposés ne sont pas en adéquation avec les besoins réels, mais, en outre, certains sont fixés au prix de la mise en place d’une regrettable tuyauterie budgétaire, comme certains orateurs qui m’ont précédé l’ont dit.
Je pense notamment à la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires de 200 millions d’euros, qui viendra compléter le financement du FNSA, ou aux 10 millions d’euros provenant de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui contribueront au financement des MDPH.
La sous-évaluation des dépenses et ces ponctions, dont on ne sait si elles auront un caractère pérenne, sont les principales raisons de l’avis défavorable donné à la fois par la commission des finances et la commission des affaires sociales sur les crédits de cette mission.
Notre groupe partage bien entendu cette position.
Je dirai quelques mots sur le RSA activité, dont le taux de non-recours est estimé à environ 68 %, et qui va être réformé, tout comme la prime pour l’emploi. Ce taux est quand même particulièrement significatif, la moyenne du taux de non-recours des prestations sociales étant de 20 % à 30 %.
Cette annonce de modification, notamment de la prime pour l’emploi, fait suite au rapport de Christophe Sirugue, qui a souligné la complexité du dispositif du RSA, en particulier des modalités de calcul des ressources, le manque d’informations des éventuels bénéficiaires, et son caractère peu incitatif. Ces faiblesses sont principalement dues au saupoudrage et à l’absence d’effet de levier de la prime pour l’emploi, expérience dont nous devons tirer la leçon.
Je pense qu’il faut s’interroger sur le coût que peut avoir cette réforme, pourtant indispensable. Le rapport de la commission des finances situe entre 400 millions d’euros et 750 millions d’euros supplémentaires la charge d’une réduction de moitié du non-recours au RSA activité, ce qui, en période de disette budgétaire, peut légitimement nous interpeller.
Le coût ne doit pas nous empêcher pour autant de réformer le dispositif, mais encore faudra-t-il nous détacher de la logique de minima sociaux pour retrouver l’objectif initial : le RSA visait avant tout la reprise d’un travail, la recherche d’un emploi, ce qui est beaucoup plus valorisant que tout.
Cet objectif de lutte contre le chômage doit guider la réforme à venir pour que nous ne pas retombions dans les mêmes ornières. Pour cela, il faut une véritable volonté politique et une prise de responsabilité du Gouvernement, qui ne peut demander aux collectivités d’assumer plus longtemps et davantage une politique de solidarité qui lui incombe.
Je rappelle que la répartition du financement entre l’État et les départements ne va pas de soi, non plus que l’évolution du RSA jeunes.
Le Gouvernement tarde à livrer le contenu exact d’une réforme annoncée depuis longtemps. Pouvez-vous nous donner, madame la secrétaire d’État, quelques engagements sur un calendrier ?
Pour en revenir à l’examen des crédits de la mission, je rappelle que, sous l’effet de la contrainte budgétaire, la mission se réduit à ses seuls dispositifs de guichet et supprime les interventions plus ciblées telles que l’APRE, l’aide personnalisée au retour à l’emploi, ou les subventions aux associations qui animent sur le terrain la politique de solidarité.
Concernant l’APRE, sans doute le dispositif était-il perfectible, puisqu’il était peu utilisé, car trop complexe, mais il s’agissait vraiment d’une aide concrète, qui parle à chacun d’entre nous. Le retour à l’emploi pouvant entraîner des frais représentant un véritable blocage, il s’agissait de les supprimer : ainsi, un permis de conduire à passer, une garde d’enfant à trouver, un équipement professionnel onéreux pouvaient cesser d’être des obstacles. J’y insiste, le RSA a été créé avant tout pour que les personnes bénéficiant des minima sociaux soient poussées à retrouver un travail, ce qui implique qu’elles n’y perdent pas financièrement. Voilà pour l’aspect incitatif.
L’APRE était souvent utilisée lorsque les personnes n’étaient éligibles à aucun autre dispositif ; elle avait donc son utilité. Le Gouvernement devrait partager cette préoccupation, mais j’ai le sentiment qu’il supprime toute initiative de la majorité précédente, choisissant ainsi la facilité : il est bien plus aisé de supprimer que de simplifier !
Concernant le volet « handicap », je suis, je l’avoue, surpris par certains chiffres.
Tout d’abord, je partage l’inquiétude des rapporteurs sur la sous-dotation de la ligne budgétaire relative à l’allocation aux adultes handicapés. M. Philippe Mouiller l’a fort bien expliqué.
La stabilité du financement consacré aux MDPH n’est assurée que par un abondement exceptionnel de 10 millions d’euros, qui provient de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. La raréfaction des ressources de l’État provoque décidément la mise en œuvre d’une tuyauterie budgétaire contraire à la simplification des comptes. On est en donc en droit de s’interroger sur la sincérité de ces derniers. Ainsi, il y aura plus de 200 millions d’euros « oubliés », ce qui risque de nécessiter un abondement en cours de gestion, comme je l’ai déjà expliqué.
L’ambition du Gouvernement en direction des personnes handicapées est limitée, comme le montre la faiblesse des crédits consacrés aux ESAT, avec seulement 2 millions d’euros d’aide à la modernisation et, surtout, aucune nouvelle place construite malgré les besoins existants. Est-ce vraiment le poste où il faut réaliser des économies, madame la secrétaire d’État ?
J’ajouterai, car le sujet me tient à cœur, que le Gouvernement, qui ne cesse de revendiquer un maintien des postes dans le secteur de la santé publique, supprime, certes fort discrètement, mais supprime tout de même 100 équivalents temps plein dans les agences régionales pour la santé. Souhaitons que cette logique réponde à une volonté de clarification entre le sanitaire et le médico-social, ce que nous verrons peut-être lors de l’examen de la loi NOTRe, mais je n’en suis pas intimement convaincu.
Cette mission vouée à la solidarité se réduit finalement à des dépenses de guichet – c’est la reconduction des crédits de fonctionnement –, les autres dépenses sur lesquelles le Gouvernement peut agir étant supprimées, comme l’APRE, ou gelées, tels les investissements dans les ESAT.
Dans ces conditions, vous comprendrez que le groupe UMP rejette les crédits de cette mission. Les différents orateurs, que j’ai bien écoutés, sont unanimes, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, pour alerter le Gouvernement sur le coût du RSA socle, qui devient insupportable pour les départements. À cet égard, la discussion de la loi NOTRe doit être l’occasion de trouver une solution à ce problème.
S’agissant des personnes handicapées, notamment âgées, il faut tenir compte de l’expérience pour voir comment on peut adapter la position des ARS.
Enfin, concernant les crédits aux associations, nous devons craindre que ne se pose demain un véritable problème pour le monde associatif, puisque les départements et les communes n’ont plus les moyens de les soutenir.
C’est notre rôle de vous alerter, madame la secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, dans un environnement économique difficile, il est du devoir d’un gouvernement de faire preuve de responsabilité en matière budgétaire, ce que le nôtre fait en œuvrant en faveur du redressement des comptes de la Nation dans une proportion qui ne souffre aucune comparaison avec les ébauches d’efforts des dix dernières années.
Gardons toutefois à l’esprit que c’est dans les cycles où l’économie titube que la solidarité nationale doit jouer un rôle de premier ordre. Ainsi, notre devoir est d’épauler ceux de nos concitoyens les plus vulnérables.
Le programme 157 « Handicap et dépendance » se fond dans le cadre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », que nous étudions aujourd’hui. Ce programme concentre à lui seul plus de 73 % des crédits et fait partie de ces pans du budget qui incarnent l’effort de solidarité.
Il a en effet vocation à soutenir nos compatriotes porteurs de handicap, que ce soit en matière de ressources, d’insertion professionnelle ou de service rendu, avec l’appui porté aux maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. On ne peut, par conséquent, eu égard au contexte qui vient d’être évoqué, se permettre de mettre à mal un tel programme. Ce sentiment est partagé par l’exécutif, qui fait le choix d’en pérenniser les moyens.
Parmi les actions de ce programme, quatre concernent les dépenses d’intervention auprès des personnes en situation de handicap.
La première action permet l’évaluation et l’orientation personnalisées des personnes handicapées ; plus de 66 millions d’euros seront dédiés en 2015 à sa réalisation. Ce montant est en augmentation de près de 3 % par rapport aux crédits de 2014. Presque 2 millions d’euros proviennent des missions « Travail et emploi » et du programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » pour alimenter le financement des MDPH.
La dix-huitième semaine pour l’emploi des personnes handicapées s’achève tout juste. Il s’agit d’une manifestation autour de l’insertion professionnelle et du maintien dans l’emploi des personnes handicapées. Dans cet esprit, l’action n° 2 du programme 157 concerne l’incitation à la vie professionnelle. Cette composante jouant un rôle charnière en matière d’inclusion ; nous devons y être particulièrement attachés, compte tenu du fait que les travailleurs handicapés figurent parmi les citoyens les plus touchés par la dégradation de la situation de l’emploi depuis 2007.
Les crédits pour l’incitation à l’activité professionnelle affichent une augmentation de plus de 41 millions d’euros pour un montant total de 2,7 milliards d’euros, soit une hausse de 1,52 %. La répartition en est la suivante : 1,4 milliard d’euros abonderont la dotation globale de fonctionnement des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT ; 1,27 milliard d’euros seront dédiés à la garantie de rémunération des travailleurs handicapés.
On ne peut que se féliciter de l’engagement du Gouvernement, qui, en révisant à la hausse les montants dédiés, maintient et consolide les dispositifs d’aide à l’entrée dans l’emploi des plus fragiles.
Les crédits alloués aux ressources d’existence, à savoir l’action n° 3, s’élèvent à 8,7 milliards d’euros, dont 8,5 milliards financeront l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, soit une augmentation de plus de 126 millions d’euros par rapport à 2014. Rappelons qu’au 1er septembre 2014 l’AAH a été revalorisée de 1,3 %.
Les crédits affectés au programme 157 au titre du projet de loi de finances 2015 s’élèvent donc à 11,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ce montant est en hausse de 1,4 % par rapport à celui de la loi de finances initiale pour 2014. Cette hausse découle principalement de l’augmentation de l’AAH, qui, rappelons-le, est versée sous conditions de ressources aux adultes déclarés handicapés afin de leur assurer un revenu minimum.
La quasi-totalité des crédits sont concentrés sur les actions n° 2 et n° 3, qui connaissent une légère augmentation par rapport à l’année dernière.
L’effort financier consenti doit être salué en ces temps budgétaires contraints. L’évolution des crédits dédiés aux ESAT et à l’AAH, la revalorisation récente de cette dernière, tout comme la préservation de l’allocation supplémentaire d’invalidité vont dans le bon sens.
Le Gouvernement démontre une fois de plus que le cap de la justice sociale guide son action. Son volontarisme en matière de handicap s’est manifesté très tôt, avec la décision d’intégrer un volet dédié dans chaque projet de loi, l’élaboration du troisième plan autisme 2013-2017, ou encore la première réunion par le Premier ministre du comité interministériel du handicap, alors que ce dernier avait été créé en 2009.
Si ce volontarisme ne peut être contesté, permettez-moi malgré tout de formuler quelques observations.
L’effort en faveur du financement des ESAT est à souligner, mais le moratoire sur la création de places dans ces établissements est toujours d’actualité. J’entends le choix fait par le Gouvernement de renforcer l’existant pour une meilleure qualité de prise en charge. Pour autant, les besoins sont réels en la matière et la question de la suspension du moratoire devra être reposée dès que les marges budgétaires le permettront.
À propos du fonctionnement des MDPH, je souhaite attirer de nouveau l’attention sur un sujet que ma collègue Isabelle Debré et moi-même avions mis en lumière dans le rapport d’information du 4 juillet 2012 remis au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois.
Véritables innovations institutionnelles, les MDPH jouent le rôle d’interlocuteurs uniques, porteurs de simplification et de proximité. J’en veux pour preuve l’inflation d’activité qu’elles enregistrent depuis leur création. Revers de la médaille : comme elles sont de plus en plus sollicitées, les délais de traitement se sont allongés et la qualité du service rendu a pu parfois s’en ressentir. Au moment où la simplification s’érige en garante de l’efficacité de l’action publique, il nous faut créer les conditions de son application.
Aussi, à mes yeux, il conviendrait de remédier aux problèmes que suscitent doublons et démarches inutiles. Le réexamen, tous les deux ans, par les MDPH, de la situation des bénéficiaires de l’AAH dont le taux d’incapacité se situe entre 50 % et 79 % en est une illustration parfaite. Un travail de rationalisation devra, me semble-t-il, être entrepris afin que les MDPH conservent toutes leurs possibilités d’agir efficacement.
Enfin, chacun sait combien la mobilité est facteur d’intégration. Aussi, j’aimerais de nouveau attirer l’attention du Gouvernement sur la fraude aux cartes européennes de stationnement. Ces dernières font, de manière croissante, l’objet d’usages abusifs, de falsifications ou de contrefaçons, au détriment de leurs détenteurs légitimes.
L’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale dispose que le préfet délivre la carte européenne de stationnement. Or, dans l’immense majorité des départements, ce sont les MDPH qui assument leur mise en circulation et, comme je le soulignais à l’instant, elles doivent faire face à un afflux de demandes qui ne leur permet pas de traiter la question des fraudes.
Des travaux sont réalisés depuis un an par l’Imprimerie nationale, en coordination avec le ministère des affaires sociales, de manière à sécuriser les cartes européennes de stationnement. Certaines associations réclament la création d’un fichier permettant aux agents de l’État de contrôler en temps réel la validité de la carte. Le Gouvernement peut-il, madame la secrétaire d’État, nous faire part de l’état d’avancement des réflexions concernant la réduction des possibilités de fraude ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2015 reflète à la fois le sérieux budgétaire voulu par le Gouvernement et son souci de renforcer la justice sociale et la solidarité.
Le Gouvernement fait de la solidarité une priorité. Aussi les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont-ils globalement préservés afin de répondre aux besoins d’accompagnement des publics vulnérables et de tenir les engagements du Gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté.
Le programme 304 comporte les crédits correspondant, pour 2015, au financement du RSA activité qui revient à l’État. La hausse des crédits affectés au RSA en 2015 correspond en réalité à une opération de simplification des règles d’abondement du Fonds national des solidarités actives, le FNSA, dans le cadre du transfert de la recette des prélèvements de solidarité de l’État vers la sécurité sociale. Cette perte de recettes a été compensée par l’apport de crédits budgétaires à hauteur de 1 735,9 millions d’euros, correspondant à la fraction des prélèvements sociaux sur les revenus du capital affectée au FNSA antérieurement, et par le transfert d’une fraction du « 1 % solidarité », aujourd’hui affecté au Fonds de solidarité, à hauteur de 200 millions d’euros.
La rebudgétisation de ces dépenses est une bonne nouvelle : nous maîtriserons mieux leur évolution. En effet, si nous constatons des impasses de financement au regard des besoins, nous ouvrirons des crédits complémentaires en fin de gestion. L’État ne manquera pas à ses obligations envers les bénéficiaires du RSA, bien évidemment !
Les crédits affectés au RSA incluent par ailleurs la revalorisation exceptionnelle du revenu de solidarité active qui est prévue dans le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, afin de combler l’écart qui s’est creusé entre le RSA et le SMIC et ramener le RSA à environ 50 % du SMIC d’ici à la fin du quinquennat, avec une augmentation de 2 % chaque année, soit une augmentation de 10 % au total.
Le programme 304 comporte néanmoins une mesure d’économie : aucun abondement du FNSA n’est en effet prévu en 2015 au titre de l’aide personnalisée de retour à l’emploi, l’APRE. Créée en 2009, cette aide a souffert de son éparpillement lié à la diversité des opérateurs chargés de la prescrire – jusqu’à cent intervenants sont susceptibles d’intervenir sur certains territoires ! – et à une complexité de gestion qui a entraîné une sous-consommation chronique conduisant à une diminution régulière du montant des crédits affectés à l’APRE depuis 2010.
Le choix a donc été fait par le Gouvernement de privilégier une simplification des aides autour de l’opérateur principal, Pôle emploi, qui délivre des aides à la mobilité et à la garde d’enfant destinées prioritairement aux publics les plus en difficulté depuis leur refonte intervenue au début de 2014. Pôle emploi s’est vu en effet assigner, dans sa convention tripartite 2015-2017, l’objectif d’élargir son action en direction des publics fragiles : il doit développer à ce titre l’accompagnement global des personnes, en lien avec les acteurs de l’insertion au plan local et en s’appuyant sur 1 000 conseillers dédiés à cet accompagnement global.
Concernant l’aide alimentaire, le budget pour 2015 est en hausse de 3,5 %. Afin de répondre à une demande croissante, cette augmentation, qui concerne l’ensemble des lignes budgétaires consacrées à l’aide alimentaire, permet de préserver, à la fois, le volume des denrées distribuées – elles bénéficient par ailleurs d’un financement européen sécurisé pour sept ans à hauteur de 588 millions d’euros –, les montants des subventions aux associations et les épiceries sociales, qui sont désormais financées de façon spécifique.
En réponse aux questions posées par MM. Savary et Labazée sur le RSA, je tiens à vous confirmer la volonté du Gouvernement de fusionner le RSA et la prime pour l’emploi, la PPE.
Le Premier ministre a annoncé les grandes lignes du dispositif qui résultera de cette fusion : une aide pour les actifs aux revenus modestes et moyens, dont la rémunération est proche du SMIC, qui comportera une part individuelle pour encourager l’activité et une part « familialisée » pour tenir compte des charges du ménage. Cette aide sera ouverte aux jeunes dès l’âge de dix-huit ans.
Nous travaillons particulièrement à la simplification du dispositif issu de cette fusion : la base ressource, sur laquelle les droits seront calculés, devra être la plus simple possible et une logique de droits figés s’appliquera – la prestation sera acquise pour trois mois et les bénéficiaires seront donc soulagés des démarches déclaratives pendant cette période, même si leur situation s’améliore.
Pour ce qui est du calendrier, le dispositif fera l’objet d’une annonce à la fin du premier trimestre de 2015, à l’occasion des deux ans du plan de lutte pauvreté ; il entrera en vigueur le 1er janvier 2016 au plus tard.
Les crédits du programme 157 sont destinés, aux trois quarts, au financement des minima sociaux destinés spécifiquement aux personnes porteuses de handicaps : l’allocation aux adultes handicapés et l’allocation supplémentaire d’invalidité. Cette dépense restera dynamique dans les années à venir – nous parlerons là de « dépenses de guichet ». Les prestations seront donc versées aux personnes qui en ont le droit et, si nos lignes budgétaires se révèlent insuffisantes, nous les abonderons en ouvrant des crédits supplémentaires, comme nous avons déjà été amenés à le faire.
Nous n’avons pas prévu de créations de places dans les établissements et services d’aide par le travail, les ESAT. Je voudrais indiquer, tout d’abord, que nous faisons des efforts budgétaires pour les ESAT, en revalorisant notamment le tarif plafond, qui était stable depuis plusieurs années. Cela dit, nous privilégions actuellement des projets de modernisation de l’outil productif à même de positionner les ESAT sur des marchés porteurs.
C’est dans cette perspective que nous avons ouvert un atelier sur l’emploi et la formation professionnelle des personnes en situation de handicap dans le cadre de la conférence nationale du handicap. Un rapport a par ailleurs été confié par le Premier ministre à Mme Le Houérou sur l’accompagnement des personnes handicapées et il a été remis à Mme Ségolène Neuville, secrétaire État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
À la suite de ce rapport, une conférence nationale du handicap est en cours, regroupant les principaux acteurs du handicap. Quatre forums sont animés par Mmes Ségolène Neuville, Axelle Lemaire, Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem, recouvrent les domaines de l’accessibilité et de l’accessibilité numérique, de l’accompagnement, de l’accès aux soins et de l’éducation. François Rebsamen, pour sa part, interviendra sur les questions liées à l’emploi. À l’issue de cette conférence nationale et de ces forums, le Président de la République effectuera des annonces à la mi-décembre.
Avec le programme 137, le Gouvernement s’attelle à une tâche essentielle : faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale, mais également promouvoir les droits des femmes et lutter contre les violences sexistes et contre la prostitution. Depuis 2012, les crédits consacrés à ces sujets ont augmenté de 25 %, afin de financer les mesures du quatrième plan triennal de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Parmi ces mesures figurent les accueils de jour pour les femmes victimes de violences, permettant aux femmes d’être écoutées et accompagnées dans un processus de séparation, ou encore le numéro d’accueil téléphonique et d’orientation des femmes victimes de toute forme de violences, qui prend appui sur la permanence du 3919 et sur la mise en réseau des autres numéros existants. Depuis le 1er janvier 2014, ce service est gratuit depuis un poste fixe ou mobile, accessible sept jours sur sept. Le nombre d’appels traitables est passé de 4 000 par mois en 2013 à 7 000 en 2014, avec un taux de réponse de 80 %.
Le programme 137 consacre 10 % de ses crédits à la lutte contre les traites humaines. Il serait irréaliste que ce seul programme finance les dispositifs mis en place pour lutter contre les réseaux de traite et accompagner les victimes. Plusieurs ministères sont sollicités, et je puis vous assurer de ma détermination à trouver les moyens complémentaires pour mettre en place une politique efficace de lutte contre les traites humaines et pour permettre aux associations d’être aux côtés des victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
État B
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Solidarité, insertion et égalité des chances |
15 739 520 843 |
15 735 419 156 |
Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire |
2 628 325 251 |
2 628 325 251 |
Handicap et dépendance |
11 590 499 861 |
11 590 499 861 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
24 687 624 |
24 687 624 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
1 496 008 107 |
1 491 906 420 |
Dont titre 2 |
727 381 038 |
727 381 038 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission des finances est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 50 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 133 |
Contre | 203 |
Le Sénat n’a pas adopté.
J’appelle en discussion l’article 60, rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Solidarité, insertion et égalité des chances
Article 60
Pour l’année 2015, par exception au I de l’article L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles, le Fonds national des solidarités actives mentionné au II du même article finance la totalité des sommes payées au titre de l’allocation de revenu de solidarité active versée aux personnes mentionnées à l’article L. 262-7-1 du même code.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.
M. René-Paul Savary. Je souhaite en quelque sorte nous préparer à la discussion du projet de loi relatif à l’organisation territoriale de la République, dit « NOTRe », sous l’angle spécifique du RSA. J’y ajouterai quelques remarques concernant le handicap, car il y a tout de même bien un rapport avec cette mission.
Vous avez raison, madame la secrétaire d’État, il faut trouver une solution. Ni le RSA activité ni même le RSA socle n’ont atteint leurs objectifs initiaux - lutter contre la pauvreté et inciter à reprendre le travail –, mais, de surcroît, le taux de non-recours constaté est de 68 %.
Pour avoir participé, au titre de l’Assemblée des départements de France, à l’analyse avec le comité d’évaluation, je pense que, si autant de personnes renoncent à bénéficier du RSA activité, c’est notamment parce que le montant perçu est relativement faible et qu’il nécessite des démarches lourdes.
Gardons-nous cependant de la tentation du saupoudrage, qui serait coûteuse en moyens sans garantie de résultats.
Je veux surtout vous alerter sur le RSA socle. Profitons de la future loi NOTRe pour essayer de clarifier les choses, car nous ne pourrons pas tenir de cette façon ! Si nos concitoyens sont désemparés devant le millefeuille administratif et s’ils ne comprennent pas la structuration de notre organisation territoriale, c’est précisément parce qu’il n’y a pas assez de lisibilité et de transparence. Personne ne sait plus qui fait quoi ! Il faut saisir l’occasion du projet de loi NOTRe pour remédier à cette confusion.
Une allocation individuelle de solidarité telle que le RSA relève d’une politique nationale et doit donc être financée par l’État. Le décideur est le payeur. Pour être compris de la population, il faut revenir à des principes de base simples.
En revanche, la mission d’insertion a véritablement été acquise au fil des années par les départements. C’est une belle spécialité que l’insertion ! Alors, l’insertion, notamment sociale, ne doit pas être centralisée. Au contraire, il faut l’attribuer à un échelon de collectivités qui restera à définir par la loi à venir.
La rémunération des bénéficiaires du RSA relève de l’État, lequel doit la reprendre à sa charge, trouver les moyens de financement et faire en sorte de restituer aux collectivités – notamment les départements – les marges de manœuvre nécessaires pour qu’ils puissent accomplir leur mission.
La future loi NOTRe nous donne l’occasion de le faire. Nous devons dépasser la simple répartition des compétences relatives aux routes ou aux collèges entre les uns et les autres ! Si l’on ne veut pas reconstituer des départements à l’image de ce qu’ils étaient avec les conseils généraux, il faut infléchir cette politique sociale et lui faire suivre des évolutions pour le bien-être de nos concitoyens, mais aussi pour une plus grande lisibilité de l’action administrative.
J’en viens à l’aide personnalisée pour le retour à l’emploi, l’APRE. Quel dommage de l’avoir réservée à Pôle Emploi ! Elle pouvait être également du ressort des conseils généraux qui, dans le cadre de leur mission d’insertion sociale, savent s’en servir pour aider les bénéficiaires du RSA à retrouver un l’emploi. Sur ce sujet, je suis sûr que des solutions seront trouvées.
Je voudrais également attirer votre attention sur les MDPH. Laissons aux départements qui le souhaitent la possibilité d’intégrer les MDPH au sein des services qu’ils ont créés, ne serait-ce que pour partager les fonctions support. Il faut toutefois maintenir les MDA, les maisons départementales de l’autonomie, structures désormais incontournables dans lesquelles tout le monde se retrouve, notamment le milieu associatif, et qui doivent être pérennisées.
J’en viens à un autre sujet qui méritera d’évoluer à l’occasion de la discussion du projet de loi NOTRe et des amendements relatifs à la répartition des compétences. Si la recherche de solutions pour les mineurs étrangers isolés dépasse notre débat de ce jour, la politique en faveur des handicapés concerne directement notre mission.
Je voudrais que le mode de versement de la PCH, la prestation de compensation du handicap, soit différent selon que le handicap résulte ou non d’un accident. Quand la perte d’autonomie est consécutive à un accident mettant en jeu une garantie couverte par une assurance, c’est à l’assurance et non pas aux départements de payer. Je suggère au Gouvernement de prendre en compte ma proposition. Mon approche est logique, il s’agit de soulager la solidarité nationale de prestations qui pourraient être transférées au système assurantiel.
Je souhaitais vous livrer ces messages pour faire avancer la réflexion, dans un esprit constructif. Il faut profiter de la future loi NOTRe pour véritablement clarifier un certain nombre de dispositions qui ne sont plus guère d’actualité et qui méritent d’être revisitées.
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Régimes sociaux et de retraite
Compte d’affectation spéciale : Pensions
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » (et article 65), ainsi que du compte d’affectation spéciale : « Pensions ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la mission « Régimes spéciaux et de retraite » recouvre deux sujets : les régimes spéciaux, d’un côté, le régime général des pensions civiles et militaires, de l’autre.
Je commencerai par les régimes spéciaux, ce qui me donne l’occasion de faire une brève incursion dans le monde du corporatisme, doté d’une si longue histoire. En effet, les Invalides de la marine ont été instaurés par Colbert, dont je salue la statue. (Sourires.)
Vous connaissez le principe : ces régimes sont nés dans un cadre économique et technique qui justifiait leur spécificité, ce monde de la vapeur et de la voile aujourd’hui disparu. Mais, bien que les conditions aient changé, le régime, lui, est longtemps resté inchangé, au nom des droits acquis. Les gouvernements qui ont essayé de modifier ces régimes ont rencontré de très grandes difficultés.
Trois constats se dégagent de cette observation.
D’abord, après avoir connu une croissance très forte, le besoin de financement se stabilise autour de 6,4 milliards d'euros et connaît même une légère baisse entre 2014 et 2015, de 1,5 %. Les raisons de cette stabilisation, ce sont la désindexation, l’augmentation des cotisations et l’aménagement des délais de cotisation.
Ensuite, le déficit de ces régimes a toujours deux sources : la première, c’est la démographie, donnée évidente pour l’Établissement national des invalides de la marine ; la seconde, ce sont les données spécifiques de ces régimes, notamment les âges de retraite.
Enfin, troisième constat, important, les perspectives révèlent plutôt une stabilisation des besoins de financement de ces régimes spéciaux.
J’en arrive aux pensions civiles et militaires, dotées de 56,8 milliards d'euros. Je formulerai trois constats et une observation.
Premier constat, ces crédits ont connu une progression extrêmement forte entre 1990 et aujourd'hui, passant de 18 milliards d'euros à 56 milliards d'euros.
Deuxième constat, les besoins de financement se stabilisent, là aussi. La progression des crédits entre 2014 et 2015 n’est que de 0,6 %, cette stabilisation étant due à la fois aux réformes entreprises sur les durées de cotisations, à la large désindexation et à l’augmentation des cotisations.
Troisième constat, des perspectives s’ouvrent de stabilisation des besoins de financement et même, à partir de 2040, d’excédent de ce régime général.
Enfin, une observation mérite peut-être l’attention du Gouvernement : ces crédits comportent un fonds de roulement qui, constitué, en 2006, à hauteur de 1 milliard d'euros pour ce qui est du compte d’affectation spéciale, atteint aujourd'hui de 2,2 milliards d'euros.
Il est admis que ce fonds de roulement, cette épargne accumulée au fil des années est très largement excédentaire et supérieure aux besoins de traiter des aléas qui pourraient survenir au cours de l’année 2015 en matière de pensions. Peut-être y a-t-il là un élément d’excédent éventuellement exploitable par l’État, qui pourrait l’affecter à d’autres budgets.
Mes chers collègues, la sincérité des écritures, leur stabilité expliquent probablement que la commission des finances a émis un vote unanimement favorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission « Régimes sociaux et de retraite » regroupe les subventions d’équilibre que l’État verse, au nom de la solidarité nationale, à onze régimes spéciaux de retraite, pour la plupart anciens et antérieurs à la création de la sécurité sociale, et qui se caractérisent par un fort déséquilibre entre le nombre de cotisants et le nombre de pensionnés.
Alors que les crédits de la mission n’avaient cessé d’augmenter depuis le début des années deux mille, ils ont légèrement diminué depuis deux ans, notamment en raison du ralentissement de l’inflation et du décalage de six mois de la date de revalorisation des pensions, pour atteindre aujourd'hui la somme de 6,4 milliards d’euros.
Le contexte de la mission « Régimes sociaux et de retraite » posé, j’en viens à présent à l’analyse des principaux régimes qui bénéficient des crédits de la mission, ceux de la SNCF, de la RATP, de l’ENIM et des Mines.
La Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF recevra cette année une subvention de 3,2 milliards d’euros, qui couvre 60 % du montant des prestations versées par le régime et représente la moitié des crédits de la mission. La subvention que recevra le régime de la RATP, dont le ratio démographique est nettement moins défavorable que celui de la SNCF, sera, pour sa part, de 643 millions d’euros. Elle couvre 58 % des prestations versées par ce régime.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les régimes de retraite de la SNCF et de la RATP sont avantageux par rapport au droit commun de la fonction publique. L’âge moyen de départ à la retraite des nouveaux pensionnés de la SNCF était ainsi de cinquante-six ans et un mois en 2013 ; celui des agents de la RATP était de cinquante-cinq ans et trois mois. Ces âges de départ effectif à la retraite s’élèvent progressivement d’année en année, mais restent très inférieurs à ceux qui sont constatés en moyenne pour le reste de la population.
Certes, la réforme des régimes spéciaux entrée en vigueur au 1er juillet 2008 aligne progressivement la durée d’assurance requise pour le bénéfice d’une pension à taux plein sur celle qui est en vigueur pour les fonctionnaires de l’État.
La réforme des retraites de 2010 a relevé de deux ans l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et la durée de service requise pour l’obtention d’une pension. Toutefois, la montée en charge de ces réformes est très progressive et, surtout, le relèvement des bornes d’âge ne débutera qu’à compter du 1er janvier 2017.
Dès lors, solliciter tous les ans la solidarité nationale pour financer près de 60 % des prestations versées par ces régimes de retraite n’est pas sans poser quelques problèmes d’équité. Une accélération du relèvement des bornes d’âge pour les agents de la SNCF et de la RATP me paraît de nature à rendre plus légitime la subvention que verse l’État chaque année à ces régimes de retraite.
Les situations respectives des régimes de l’ENIM et des mines appellent moins de commentaires de ma part.
La subvention d’équilibre que versera l’État à l’ENIM en 2015 s’élèvera à 853 millions d’euros. Elle couvre 78 % des prestations versées par le régime.
Eu égard aux difficultés du métier de marin, en particulier la pénibilité et la dangerosité, le régime de retraite géré par l’ENIM prévoit que l’âge normal d’ouverture des droits est de cinquante-cinq ans lorsque la carrière maritime accomplie représente au moins quinze ans de service.
Enfin, le régime des mines, en extinction, verra l’État lui verser en 2015 1,36 milliard d’euros, une somme qui couvre 99 % des prestations versées par le régime.
En raison du caractère très pénible du métier de mineur, l’âge légal d’ouverture du droit à la retraite dans ce régime est fixé à cinquante-cinq ans.
Au total, les difficultés financières de ces deux régimes apparaissent entièrement imputables à leurs ratios démographiques très dégradés et non à des règles trop favorables.
Mes chers collègues, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » étant indispensables au financement des régimes de retraite concernés, la commission des affaires sociales a décidé de donner un avis favorable à leur adoption pour 2015, assorti d’une réserve concernant les règles de départ à la retraite des régimes de la SNCF et de la RATP, encore trop éloignées du droit commun de la fonction publique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé pour cette discussion à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose et à trois minutes celui dont dispose la réunion des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
Je vous rappelle également que l’intervention générale vaut explication de vote pour ces missions.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je souhaiterais rappeler que la mission « Régimes sociaux et de retraite » recouvre des régimes en déséquilibre démographique, du fait de l’écart entre le nombre de cotisants et de pensionnés. À ce titre, l’État est sollicité non pas pour « subventionner » les régimes, mais pour « contribuer » à l’équilibre des régimes sociaux et de retraite des transports terrestres, des marins, des mines et de la SEITA notamment.
Ces régimes subissent dans leur ensemble une diminution de 1,5 % des crédits par rapport à 2014. La réduction du nombre de bénéficiaires des régimes fermés, comme les retraités de la SEITA ou de l’ORTF, est utilisée par le Gouvernement pour réduire le montant de la subvention de l’État dans le financement des régimes spéciaux.
Depuis 2012, la part de la subvention de l’État dans le total des produits des caisses de retraite de la SNCF et de la RATP tend, par exemple, à se stabiliser, mais les régimes connaissant un déséquilibre démographique important nécessitent l’intervention de l’État.
La fixation d’un plafond d’ici à 2017 pour le niveau de l’intervention étatique revient, de notre point de vue, à se lier les mains sans pouvoir se libérer en cas de nécessité de rééquilibrage financier.
Aussi, je voudrais insister durant mon intervention sur la situation du régime des mines, qui illustre parfaitement ce que je vais dire.
Le régime minier, mon collègue Dominique Watrin l’a souvent souligné dans cet hémicycle, est un régime spécial de sécurité sociale créé en 1946 pour remplir deux missions principales : gérer l’assurance maladie et la retraite des mineurs, assurer une prise en charge globale des prestations de santé accessible à tous.
L’arrêt de l’exploitation des mines dans les années quatre-vingt-dix a conduit inexorablement à une réduction du nombre de cotisants et à un déséquilibre financier.
Le déséquilibre démographique du régime minier, régime social dit « fermé », est maximal. Ainsi actuellement, seulement 6 222 mineurs en activité cotisent pour 330 000 mineurs retraités.
Il est bien évidemment hors de question de supprimer le bénéfice de la retraite à ces travailleurs, mais il apparaît essentiel de rappeler la responsabilité de l’État dans ces évolutions, d’autant que le régime minier a fait l’objet d’une importante réforme en 2011, justifiée, à l’époque, par la volonté des pouvoirs publics de prévenir le déséquilibre futur de ce régime spécifique.
Aussi, lorsque je lis que le montant de la compensation généralisée perçue par le régime des mines en 2015 sera en diminution de 2,02 %, je suis profondément inquiète.
Depuis la loi du 24 décembre 1974 relative à la protection sociale commune à tous les Français et instituant une compensation entre régimes de base de sécurité sociale obligatoire, la compensation démographique généralisée entre tous les régimes de retraite entraîne normalement la contribution des régimes aux comptes financiers excédentaires ou en équilibre à ceux dont les comptes sont « dans le rouge ».
La baisse tendancielle du nombre de pensionnés devrait permettre non pas de réaliser des économies sur le dos des miniers, mais de rétablir une certaine justice sociale en revalorisant le montant des retraites, surtout lorsque l’on tient compte de deux aspects : tout d’abord, la rupture d’égalité, pouvant atteindre 20 %, dans le montant des pensions, suivant la date de départ à la retraite ; ensuite – nous en avons déjà parlé ici –, les besoins de financement des centres de santé ouverts aujourd’hui à toute la population.
Cette analyse, je la porte également sur le compte d’affectation spéciale des pensions.
Alors que les pensions civiles et militaires ainsi que les allocations temporaires d’activité bénéficient à moins de pensionnés, que les ouvriers des établissements industriels de l’État disparaissent, que les bénéficiaires de pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre sont de moins en moins nombreux, cette réduction du nombre total de bénéficiaires pourrait être perçue non comme un potentiel d’économies, mais comme une possibilité de réduction des inégalités sociales des retraités.
Pour l’ensemble de ces raisons, brossées très – peut-être trop – rapidement, et devant la baisse des crédits affectés à la mission « Régimes sociaux et de retraite », le groupe CRC votera contre ce budget.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le compte d’affectation spéciale relatif aux pensions des agents de l’État porte sur près de 57 milliards d’euros de crédits. Il retrace les opérations relatives aux pensions des personnels civils et militaires de l’État.
Les dépenses des derniers exercices et les prévisions pour 2015 sont affectées à plusieurs phénomènes.
Sur la période récente, les départs en retraite ont été moins nombreux que prévu : 50 000 seulement en 2014 et 2015.
L’âge moyen de départ des agents continue, quant à lui, de s’élever, et atteindra ainsi soixante et un ans en 2015 pour les personnels civils. Cette progression s’observe en dépit des dispositions prises en 2012 pour permettre un départ anticipé au titre des carrières longues, qui bénéficient à environ 1 500 fonctionnaires en 2014.
Il convient de rappeler que la réforme des retraites de 2014 s’applique aux agents fonctionnaires comme à l’ensemble des salariés : le décalage de la revalorisation des pensions en octobre et la poursuite de l’augmentation de la durée d’assurance, mais aussi la hausse des cotisations salariales, qui représente 0,3 point de cotisations sur quatre ans et permettra un gain de 145 millions d’euros en 2017. Cette hausse s’ajoute à celle liée au financement des départs en retraite pour carrières longues et à celle des cotisations réalisée à la suite de la réforme des retraites de 2010.
La contribution de l’État au financement des pensions restera, quant à elle, stable en 2015, et le niveau de fonds de roulement du compte sera supérieur à 1 milliard d’euros, c’est-à-dire un niveau proche de sa moyenne depuis 2006 et conforme aux recommandations de la Cour des comptes et du Parlement.
L’optimisation des coûts de gestion des pensions fait l’objet de mesures au sein des services de la Direction générale des finances publiques, la DGFIP, tout comme des ministères employeurs. Les objectifs de coûts de gestion ont été fixés récemment et sont désormais retracés dans les documents budgétaires. En 2014, le coût de gestion est maîtrisé à 14,7 euros par agent, un niveau inférieur à celui qui était prévu en loi de finances initiale. Un objectif de coût de gestion global est fixé pour la première fois pour 2015.
S’agissant, par ailleurs, de la mission « Régimes sociaux et de retraite », il est utile de rappeler qu’elle comprend des versements liés par l’État au bénéfice de onze régimes de retraite. Il s’agit de régimes faisant appel pour leur financement à la solidarité nationale, car ils se caractérisent notamment par un fort déséquilibre entre cotisants et pensionnés, lié à leur évolution démographique.
En raison de l’arrivée à la retraite de générations nombreuses, les crédits de la mission n’avaient cessé d’augmenter ces dernières années. La croissance avait été de 46 % entre 2006 et 2013. Ils ont légèrement diminué depuis deux ans, et une baisse de 1,5 % est de nouveau prévue en 2015 : le montant des crédits atteindra donc la somme de 6,4 milliards d’euros.
La gestion des régimes est confiée à des opérateurs qui sont des organismes de sécurité sociale et, pour le régime des marins, à l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM. S’agissant de ce dernier, l’année 2015, qui sera la dernière de sa convention d’objectifs et de gestion triennale, marquera une étape importante dans la réalisation de réels efforts de gestion, qui concernent ces organismes comme l’ensemble de la sphère de la gestion publique.
régimes sociaux et de retraite
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », figurant à l’état B.
État B
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Régimes sociaux et de retraite |
6 413 954 690 |
6 413 954 690 |
Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres |
4 035 921 512 |
4 035 921 512 |
Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins |
852 952 581 |
852 952 581 |
Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers |
1 525 080 597 |
1 525 080 597 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Ces crédits sont adoptés.)
compte d’affectation spéciale : pensions
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions », figurant à l’état D.
État D
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Pensions |
56 842 013 000 |
56 842 013 000 |
Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d’invalidité |
52 789 400 000 |
52 789 400 000 |
Dont titre 2 |
52 788 900 000 |
52 788 900 000 |
Ouvriers des établissements industriels de l’État |
1 925 030 000 |
1 925 030 000 |
Dont titre 2 |
1 916 210 000 |
1 916 210 000 |
Pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et autres pensions |
2 127 583 000 |
2 127 583 000 |
Dont titre 2 |
16 000 000 |
16 000 000 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix les crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion l’article 65, qui est rattaché pour son examen aux crédits du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Pensions
Article 65 (nouveau)
I. – L’article 30 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications est ainsi modifié :
1° À la fin de la seconde phrase du quatrième alinéa, les mots : « Trésor public s’agissant de France Télécom et à l’établissement public national de financement des retraites de La Poste s’agissant de La Poste » sont remplacés par les mots : « compte d’affectation spéciale “Pensions” prévu à l’article 51 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 pour les pensions des fonctionnaires de l’État » ;
2° À la dernière phrase du 1° du b, les mots : « établissement public national de financement des retraites de La Poste » sont remplacés par le mot : « État ».
II. – L’article 150 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 est abrogé. – (Adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Santé
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Santé » (et article 59 sexies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Santé » du budget de l’État est relativement modeste, puisqu’elle représente 1,2 milliard d’euros pour l’année 2015, l’essentiel des dépenses de santé figurant dans le budget de la sécurité sociale.
Or 1,2 milliard d’euros, rapporté aux 200 milliards d’euros de l’assurance maladie, cela donne une idée de la différence d’ordre de grandeur !
Cette mission comprend deux volets : tout d’abord, les agences sanitaires et la politique de prévention des agences régionales de santé, au travers du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », ensuite, l’aide médicale d’État, l’AME, et l’indemnisation des victimes de l’amiante, pour une somme assez modeste, de l’ordre de 10 millions d’euros.
Si l’on neutralise les mesures affectant le périmètre de la mission en 2015, notamment les transferts vers l’assurance maladie, les crédits augmentent d’environ 3 % par rapport à 2014. En outre, le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit une augmentation d’environ 2 % des crédits de la mission sur la période 2015-2017, alors même que l’État s’impose une évolution « zéro valeur ».
Cette progression globale masque une évolution très contrastée des deux programmes de la mission : le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une baisse de 4,4 % des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs sanitaires, tandis que les crédits destinés à l’AME augmentent de 12 % par rapport à 2014.
Avec 678 millions d’euros de crédits ouverts pour l’année 2015, l’AME constitue la principale dépense de la mission. C’est l’assurance maladie qui gère ces sommes pour le compte de l’État.
Cette dépense ne cesse d’augmenter, en particulier pour l’AME dite de « droit commun », qui constitue le dispositif central financé par l’État pour soigner les étrangers en situation irrégulière présents sur notre territoire.
Les dépenses d’AME de droit commun ont augmenté de 90 % depuis 2002, et de 50 % depuis 2008, se rapprochant ainsi chaque année du milliard d’euros, en sus des dépenses qu’assure directement l’assurance maladie au titre des soins urgents.
Les surexécutions massives deviennent récurrentes : l’autorisation votée en 2013 a été dépassée de 26 % et le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit l’ouverture de 155 millions d’euros supplémentaires, ce qui portera le montant des crédits alloués à l’AME à environ 760 millions d’euros.
Le 28 octobre dernier, j’ai adressé un courrier à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, afin de l’alerter sur la sincérité de la budgétisation et de l’interroger sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour contenir la dépense d’AME. Je n’ai reçu à ce jour ni réponse, ni une quelconque indication, ni même le moindre signe... (Exclamations sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
La question de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière est complexe. Elle est aussi la conséquence de notre absence de politique migratoire. Elle mérite certainement qu’un travail approfondi soit conduit afin d’identifier les pistes permettant d’infléchir son coût, tout en garantissant une prise en charge des urgences et des mesures sanitaires collectives éventuelles.
Dans l’immédiat, la commission des finances vous propose d’adopter un amendement visant à réduire les crédits alloués à l’AME de droit commun de 156 millions d’euros, ce qui les ramènerait à leur niveau constaté en 2008, soit environ 475 millions d’euros.
Ce point a beaucoup été débattu, mais il s’agit d’une option préférable au rejet pur et simple des crédits de la mission, qui pourrait être interprété comme un rejet global de l’aide médicale d’État, alors qu’elle est utile et même indispensable en partie. Un accès aux soins urgents doit en effet être maintenu pour les étrangers en grande vulnérabilité qui se trouvent sur le sol français, certes en situation irrégulière, mais qui ont de manière patente un besoin urgent de soins. Il ne saurait cependant être conçu comme un accès normal à un guichet et comme l’exercice d’un droit.
Par cet amendement, la commission des finances du Sénat souhaite affirmer sa volonté d’inciter à la rénovation en profondeur de l’AME afin de ramener cette dépense à un niveau soutenable. Il serait utile, à l’instar des pays européens qui nous entourent, de redéfinir des critères d’accessibilité et d’instaurer des contrôles.
Enfin, l’article 59 sexies introduit par l’Assemblée nationale en première lecture ne pose aucune difficulté, puisqu’il vise à réduire le délai de facturation des séjours hospitaliers des patients bénéficiaires de l’AME en le faisant passer de deux ans à un an. Les délais de demande de paiement seront ainsi alignés sur ceux de droit commun, ce qui constitue une mesure de saine gestion.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, sur les crédits de la mission, la commission des finances vous propose d’adopter un amendement d’appel, un amendement fort, dont l’objet est de nous inciter tous ici à la réflexion sur une redéfinition des critères. L’AME est en effet l’objet de discussions récurrentes chez nos concitoyens, le plus souvent mal informés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous proposerons la mise en place d’un groupe de travail sur cette question en vue du prochain exercice budgétaire. À ce titre, l’aide de Mme la secrétaire d’État serait la bienvenue ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autant annoncer la couleur : la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur les orientations budgétaires définies par le Gouvernement pour la mission « Santé ».
Les contraintes croissantes qui pèsent sur les agences sanitaires à un moment où celles-ci doivent assurer des missions toujours plus denses et la progression non maîtrisée des crédits de l’AME lui paraissent, en effet, appeler une position plus que réservée.
S’agissant du programme 204, les opérateurs sanitaires de l’État sont invités à approfondir les efforts d’efficience et de productivité auxquels ils s’astreignent depuis maintenant plusieurs exercices. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit de diminuer de 4,4 % le montant total des subventions qui leur sont allouées et de réduire leurs plafonds d’autorisations d’emplois d’environ 2 %.
Il semble tout à fait légitime à la commission des affaires sociales que les agences sanitaires prennent leur part dans les mesures de redressement des finances publiques. La poursuite de la démarche de rationalisation suscite cependant aujourd’hui des inquiétudes d’autant plus fortes qu’elles s’ajoutent à l’attribution de missions nouvelles et aux incertitudes liées au projet de loi relatif à la santé dont nous débattrons prochainement.
Je ne prendrai qu’un seul exemple : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM. Malgré une subvention en baisse de plus de 3 % et une diminution de vingt équivalents temps plein par rapport à 2014, l’Agence devra non seulement organiser la montée en puissance de son département de pharmaco-épidémiologie, mais également s’assurer de la mise en œuvre du nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments. Elle devra, en outre, garantir l’application des mesures de la prochaine loi de santé, concernant notamment la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement en médicaments ou encore la création d’un accès ouvert aux données de santé.
Toutes les agences du programme 204 ont souligné la nécessité de garder une taille critique suffisante pour maintenir une expertise de qualité. De ce point de vue, notre assemblée devra être attentive à l’article 42 du projet de loi relatif à la santé qui entend habiliter le Gouvernement à agir par ordonnances pour réformer le système d’agences sanitaires. L’étude d’impact reste en effet relativement sibylline sur la façon dont sont envisagés l’articulation des missions des différents opérateurs et les moyens qui leur seront attribués. Pouvez-vous d’ores et déjà, madame la secrétaire d’État, nous donner quelques éclairages à ce sujet ?
En ce qui concerne le programme 183, la commission des affaires sociales relève que les dépenses liées à l’AME se caractérisent par une augmentation très soutenue : leur rythme de croissance - plus de 12 % - est bien supérieur à celui des dépenses d’assurance maladie. Néanmoins, ces dépenses souffrent surtout d’une absence totale de fiabilité des prévisions budgétaires.
Pour 2015, les crédits ouverts au titre de l’AME de droit commun s’élèveraient à 633 millions d’euros, alors que la dépense tendancielle est de 717 millions d’euros. Comme chaque année, le Gouvernement est ainsi conduit à ouvrir des crédits supplémentaires dans le collectif budgétaire de fin d’exercice. Parallèlement, les restes à charge de l’État à l’égard de l’assurance maladie se maintiennent ; la dette s’élevait à 52 millions d’euros à la fin de 2013.
La Cour des comptes a considéré que cette situation faisait peser un risque d’insoutenabilité sur le programme 183. Dans ces conditions, la commission des affaires sociales estime que des mesures complémentaires aux ajustements en cours sont nécessaires.
Elle a adopté, sur ma proposition, un amendement venant compléter celui de la commission des finances et visant à instituer pour les bénéficiaires de l’AME une contribution forfaitaire annuelle comparable à la participation plafonnée de droit commun à laquelle sont soumis les assurés lorsqu’ils recourent à des soins médicaux, soit un forfait de 50 euros.
Tout en envoyant un signal responsable, cette mesure ne remet en cause ni la nécessité de protéger les personnes concernées ni la capacité à éviter que des affections non soignées ne s’étendent. Elle nous permet donc de rester fidèles au double objectif sanitaire du dispositif.
La commission des affaires sociales a donc émis un avis défavorable sur le programme 204, car le Gouvernement prévoit d’agir par ordonnances. Elle est également défavorable au programme 193, en raison de l’insoutenabilité des propositions budgétaires le concernant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Remarquable !
M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je ne suis pas un spécialiste des questions de santé. Toutefois, en tant que vice-président de la commission des finances, je peux certifier que la mission « Santé » est devenue un symbole de tous les défauts de notre droit budgétaire contemporain.
Non pas que, s’agissant de la mission « Santé », un recours à des ordonnances m’étonne - il me semblerait plutôt naturel, monsieur le rapporteur pour avis (Sourires.) -, mais, plus sérieusement, parce que cette mission, dont je ne mets absolument pas en cause le bien-fondé, me semble soulever plusieurs problèmes particuliers quant à sa gestion.
Dotée de 1,2 milliard d’euros de crédits, la mission « Santé » progresse en volume de 3,3 % cette année. Autant le dire tout de suite, elle ne participe pas du tout à l’effort d’économie affiché par le Gouvernement. Avec 3,3 % de hausse de crédits, il n’y a pas d’économies « sur la tendance », dont on parle assez souvent, et il y en a encore moins sur le volume. Bref, il n’y a pas d’économies du tout, ce qui visiblement ne pose de problème à personne !
Ce qui est vrai de la dépense budgétaire l’est aussi de la dépense fiscale. Notre excellent rapporteur spécial dénombre dix niches fiscales associées à cette mission. Seules cinq d’entre elles ont été jugées efficaces par l’Inspection générale des finances. Je rappelle que le rapport Guillaume sur les niches fiscales date du mois d’aout 2011. C’était il y a plus de trois ans et, depuis, rien n’a été fait. C’est tout le problème : rien n’est fait et, finalement, personne ne veut vraiment faire grand-chose !
Nous sommes sur un bateau qui avance du fait de sa propre inertie. Il n’y a plus de capitaine à la barre pour rectifier la trajectoire. D’un côté, nous avons le programme 204, dont les crédits diminuent de 5,8 % par rapport à cette année. Il y a manifestement un effort des opérateurs sanitaires pour améliorer leur gestion, en dépit des difficultés inhérentes à l’administration d’un établissement hospitalier. En revanche, et c’est le principal point d’achoppement de cette mission, les crédits du programme 183, qui financent l’aide médicale d’État, explosent : ils augmentent de 14 % en un an !
Qui plus est, notre rapporteur spécial estime que cette enveloppe est sous-budgétisée et mal documentée ! Là encore, le Parlement fait face aux défauts non corrigés par la loi organique relative aux lois de finances : nous n’avons aucune prise sur les dépenses de guichet et, dès que le guichet est ouvert librement à tous, la dépense explose.
Derrière le problème financier de la sous-budgétisation de l’AME se cache en réalité la question du fonctionnement même de ce dispositif.
Créée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, l’AME permet aux étrangers en situation irrégulière, mais aussi aux personnes placées en rétention administrative ou en garde à vue lorsque leur état de santé le justifie, de bénéficier d’un accès aux soins. Ce droit d’accès est accordé également aux ayants droit de ces personnes.
La France s’honore de sa propre générosité. Malheureusement, pour reprendre cette phrase bien connue de l’ancien Premier ministre Michel Rocard, « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre sa juste part ».
M. Yves Daudigny. Qu’est-ce que cela vient faire là ?
M. Vincent Delahaye. Quelle est cette « juste part » ? L’AME était conditionnée au paiement d’un droit de timbre de 30 euros depuis l’adoption des dispositions proposées par le gouvernement Fillon, en 2011. L’objectif était de freiner la dynamique de la dépense tout en gardant un accès ouvert aux soins.
Ce droit de timbre a été supprimé lors du projet de loi de finances rectificative de l’été 2012 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Quel est le bilan ? Créditée de 233,5 millions d’euros en 2005, l’AME dépasserait aujourd’hui les 700 millions d’euros, d’après le rapport de Francis Delattre, rapporteur spécial. D’autres, comme moi, estiment que nous serions proches du milliard d’euros…
La suppression du droit de timbre a sans doute trop largement ouvert l’accès à un dispositif accusé de favoriser le tourisme médical et la fraude. Mais un problème d’équité se pose également, car l’AME est plus favorable que la CMU ! Où est l’équité dans l’accès au soin entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes en situation régulière ?
Bien évidemment, nous ne pouvons pas nous passer d’un tel dispositif pour des raisons à la fois sanitaires, mais aussi morales. Toutefois, la France tend à prendre à sa charge une part de la misère du monde plus grande que celle qui devrait justement lui revenir.
Il n’y a pas de solution simple au problème de l’AME. Couper dans des crédits sous-budgétisés aurait le mérite d’envoyer un signal, mais ne résoudra pas le problème.
Idem pour le droit de timbre. Faire payer une fois 30 euros ne permettra pas pour autant de financer le dispositif et ne dissuadera pas spécialement d’y avoir recours. Pour autant, cela ne m’a pas empêché de déposer par deux fois un amendement visant à rétablir cette mesure. Au-delà de la question financière, il nous faut lutter contre les filières qui font la promotion du tourisme médical en France en profitant des failles administratives du système de fonctionnement de l’AME.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Vincent Delahaye. Pour ma part, je crois que l’instauration d’un ticket modérateur – c'est-à-dire le paiement d’une somme réduite, mais à chaque prestation, pour accéder à un panier de soins défini limitativement – serait une voie intéressante à suivre.
Toutefois, n’étant pas un spécialiste des questions de santé, j’appelle le Sénat à prendre ce sujet à bras-le-corps et à créer une mission d’information ou un groupe de travail afin que nous puissions, au-delà des signaux politiques envoyés au Gouvernement, trouver de véritables solutions. Avec notre rapporteur spécial, Francis Delattre, et de nombreux autres collègues qui partagent cette position nous sommes prêts à aider le Gouvernement à agir. Je peux en témoigner, il y a au moins deux ans – je ne siégeais pas au Sénat auparavant - que nous abordons cette question lors des débats budgétaires. À chaque fois, le Gouvernement s’engage à prendre des dispositions pour limiter la dérive du dispositif, mais nous ne voyons toujours rien venir !
Aussi les sénateurs du groupe UDI-UC ne feront-ils pas obstacle à l’adoption des crédits de cette mission, en dépit de tous les défauts dont elle est accablée, à condition que le Sénat suive les positions de son rapporteur spécial. Il importe en effet, au travers de l’amendement que la commission des finances va nous proposer, d’interpeller le Gouvernement, de l’appeler à mener une action énergique afin de mettre un terme à la dérive des crédits de l’AME, qui, nous le savons, sont aujourd'hui sous-budgétisés. Il faut vraiment prendre le sujet à bras-le-corps et nous espérons que ce sera fait dans les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, deux impératifs me semblent devoir guider l’examen de la mission « Santé » de ce projet de loi de finances pour 2015.
En premier lieu, cette mission nécessite, pour être appréhendée dans sa réalité, un effort de recul particulier, puisqu’elle ne constitue qu’une part des financements de notre protection sociale. Cet effort d’appréhension globale est d’autant plus nécessaire que la santé ne doit plus se décliner de manière cloisonnée par secteur, mais doit être analysée de manière transversale autour des trois piliers définis par la stratégie nationale de santé, en matière de prévention, d’organisation des soins et de démocratie sanitaire.
Il nous faut donc tenir compte des mesures de restructuration et de clarification des financements déjà engagées et de celles qui sont à venir, dans le cadre du projet de loi de santé publique.
Ce budget constitue, dans cette perspective, une étape de transition.
Il s’inscrit, en second lieu, dans l’effort collectif de redressement des comptes publics et de maîtrise des dépenses.
Ces deux considérations préalables nous permettent d’apprécier à sa juste valeur le montant global des crédits de la mission, portés à 1,2 milliard d’euros en 2015, soit, à périmètre constant par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2014, une progression de 3 %.
Cependant, les deux programmes concernés par ces crédits recouvrent des réalités différentes. L’un s’inscrit dans le moyen et le long terme ; l’autre répond, pour l’essentiel, à un impératif immédiat de santé publique. Ils ne sont donc absolument pas comparables.
Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins, connaît, pour l’ensemble de ses huit actions, une augmentation de crédits de 0,87 %, avec, toutefois, une certaine disparité, en raison des modifications de périmètres réalisées ou à venir et l’engagement d’une première étape de rationalisation pour 2015, conformément aux recommandations de la Cour des comptes.
Par exemple, la réunion des centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles – les CIDDIST – avec les centres de dépistage anonyme et gratuit du virus de l’immunodéficience humaine et des hépatites – CDAG – permet leur intégration dans les structures financées par l’assurance maladie et la création d’un service unique. Cette mesure figurait à l’article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale et nous l’avons largement approuvée, de même qu’elle a recueilli l’accord des associations.
Le Gouvernement a également entendu marquer prioritairement son soutien à la politique de prévention. Celui-ci se traduit par une dotation aux projets régionaux de santé dans le cadre du Fonds d’intervention régional, le FIR, par une dotation de plus de 130 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 247 millions d’euros de l’assurance maladie.
Par ailleurs, la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, assure au fonds de prévention une progression de 7,3 % de ses crédits entre 2013 et 2017, soit 455,4 millions d’euros.
Le réseau d’opérateurs sanitaires, en partie financé sur le programme 204, dont la réorganisation est nécessaire, comme le relève à juste titre le rapporteur pour avis de notre commission des affaires sociales, fait l’objet d’une restructuration et participe à la maîtrise des coûts.
L’article 42 du projet de loi de santé, outre des mesures de simplification de certaines procédures, prévoit à cet égard la création d’un nouvel établissement public, l’institut national de prévention de veille et d’intervention publique, qui fusionnera l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, l’Institut de veille sanitaire, l’INVS et l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS. La voie de l’ordonnance s’impose-t-elle ? Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Globalement, les charges de service public pour les agences se réduisent de plus de 4 % en 2015, notamment grâce à des efforts de gestion, qui ont permis à l’EPRUS des économies sur le programme de renouvellement des produits et le dispositif de stockage, ainsi que sur ses dépenses de fonctionnement.
L’action n° 19, Modernisation de l’offre de soins, connaît également un changement de périmètre. Deux opérateurs de l’État, le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, le CNG, et l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, l’ATIH, pour partie financés par l’action n° 19 sur la part de subventions pour charges de service public, seront financés par l’assurance maladie à partir de 2015.
De la même manière, le financement de la formation médicale initiale est transféré de la part des dépenses d’intervention à l’assurance maladie.
Les autres dépenses d’intervention de l’offre de soins restent stables pour les subventions allouées à l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, ASIP Santé, et augmentent de près de 2,5 millions d'euros pour l’agence de santé de Wallis-et-Futuna.
Nous ne pouvons donc nous en tenir à la seule lecture comparée du montant global de subvention par action sans décomposer les crédits et examiner les raisons de certains écarts.
J’en viens au second programme de la mission, dédié à l’accès aux soins des personnes les plus défavorisées.
Est prévue pour 2015 une dotation de 632,6 millions d’euros pour l’aide médicale d’État dite « de droit commun », de 40 millions d’euros pour l’AME pour soins urgents, de 4,9 millions d’euros pour l’AME « humanitaire », accordée sur décision individuelle.
Sont également couvertes les évacuations sanitaires vers d’autres hôpitaux de personnes étrangères résidant à Mayotte, ainsi que les frais pharmaceutiques et les soins infirmiers des personnes gardées à vue.
Une ouverture de 155,1 millions d’euros complémentaires est également prévue en loi de finances rectificative pour 2014, mais la dette de l’État envers l’assurance maladie n’est pas totalement couverte.
Le Gouvernement a par ailleurs rétabli, ce qui est une excellente décision, sa participation au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, à hauteur de 10 millions d’euros.
Chers collègues, nous allons, dans quelques instants, sur l’amendement n° II-1 adopté par la nouvelle majorité de la commission des affaires sociales, rouvrir un débat récurrent, et un débat, je me dois de le dire, nécessairement malsain.
En effet, quelle que soit l’intention des signataires de cet amendement, qui a pour objet de restreindre l’accès aux soins pour les personnes les plus défavorisées, quitte à mettre la population en danger et quitte à ce que retards ou renoncements à se soigner coûtent au final bien plus cher à la collectivité, cette proposition ne peut être dissociée de la surenchère médiatique à laquelle se livrent aujourd’hui certains candidats à la candidature, jusqu’à proposer la suppression pure et simple de l’aide médicale d’état.
Je le dis d’une façon solennelle, il est donc des femmes et des hommes politiques qui se disent responsables et qui sont prêts à laisser sans soins les étrangers irréguliers qu’il faudra bien pourtant hospitaliser lorsqu’ils seront au plus mal. C’est une absurdité, et c’est une honte.
Tel était d'ailleurs le système suédois, avant le déplacement en 2006 du rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à la santé. Choqué par les méthodes discriminatoires d’un pays se targuant par ailleurs de sa tradition d’accueil, Paul Hunt a, par son rapport, permis, avec l’appui notamment de la Croix-Rouge, de changer la législation.
Vous avez certes simplement souhaité, monsieur le rapporteur pour avis – je vous cite –, « envoyer un signe ». Mais à qui ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Au Gouvernement !
M. Yves Daudigny. Aux demandeurs d’asile ou simples clandestins poussés par les guerres, les traitements inhumains, la crise ? Pensez-vous réellement qu’ils percevront ce signe et resteront là où ils sont ? S’il s’agit de filières qui monnayent les passages, croyez-vous que 30, 50 ou même 100 euros les arrêteront ?
M. Vincent Delahaye. Continuons de ne rien faire !
M. Yves Daudigny. Ce signe auquel vous semblez tant tenir, puisque vous y revenez, est bien reçu, mais par d’autres, ici, pour nourrir des fantasmes et des haines qui risquent de vous dépasser.
Nous reviendrons, sur l’article, aux raisons de fond, c’est-à-dire de santé publique, qui s’opposent absolument à une telle mesure, mais aussi aux coûts qu’elle engendrerait.
Vous vous placez malheureusement de nouveau, avec cet amendement, sur le terrain de l’exclusion, alors que nous aurions pu nous retrouver sur le terrain de la rationalisation, pour améliorer, si besoin et si possible, les nombreuses mesures d’ores et déjà prises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je ferai deux séries de remarques sur les deux programmes contenus dans cette mission « Santé ».
Concernant le programme 183, « Protection maladie », en hausse de 13,7 %, madame la secrétaire d'État, tout d’abord, nous saluons la prise en compte de la réalité des besoins concernant l’aide médicale d’État et l’augmentation de ce budget, car il ne sert à rien, mais nous en reparlerons, de fermer les yeux et d’ignorer cette réalité.
Nous nous félicitons également que l’amélioration des délais de traitement des dossiers du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, dont la durée était préoccupante, voilà peu encore, ait été prise en compte par une contribution spécifique de 10 millions d’euros de l’État.
Cet effort est à saluer, mais nous restons vigilants, car, à la suite des travaux que j’ai pu mener sur le sujet avec mes collègues du Sénat au sein du comité de suivi sur l’amiante, je crains que nous n’ayons bientôt à prendre en compte une nouvelle génération de victimes de l’amiante, liée, cette fois, aux conditions dans lesquelles s’organisent trop souvent les activités de désamiantage, si des mesures énergiques ne sont pas prises rapidement.
Le budget prévisionnel du programme 183 nous convient donc tout à fait, et nous voterons contre les amendements qui prévoient de limiter l’accès à l’aide médicale d’État tel qu’il est actuellement réglementé. Je rappelle en effet que l’AME est attribuée sous condition de ressources. Les personnes dont les revenus sont inférieurs à 780 euros par mois doivent, par ailleurs, répondre à un certain nombre d’autres conditions et contrôles.
Aux collègues qui comptent soutenir ces amendements, je voudrais rappeler, au nom de notre groupe, ce que plusieurs rapports soulignent.
L’instauration d’un droit de timbre de 30 euros dû par les bénéficiaires de l’AME a certes contribué au ralentissement de l’augmentation de la dépense liée au dispositif en 2011. Mais c’est une économie en trompe-l’œil : les personnes concernées ont en effet reporté leurs soins, et leur état de santé s’est dégradé. In fine, elles ont dû se tourner vers des soins hospitaliers beaucoup plus lourds et donc beaucoup plus coûteux, ce que soulignent d’ailleurs très bien deux rapports rendus à ce sujet par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et par l’Inspection générale des finances, l’IGF.
Ces amendements renvoient à une conception des économies en santé publique totalement court-termiste et contre-productive. Certaines études récentes, telles que l’étude du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique de 2013, montrent, à l’inverse, que l’ouverture de droits et d’accès à la santé pour des populations précaires permet, assez rapidement, de réduire les maladies et donc les dépenses publiques.
Derrière ces amendements s’exprime une position qui ne nous paraît pas responsable pour ce qui est de la sécurité sanitaire. Des épidémies comme la tuberculose, par exemple, épidémie liée à la misère, n’ont malheureusement pas disparu de notre pays.
Sur un plan plus politique, nous décelons également des considérations électorales. Cette volonté de stigmatiser des personnes particulièrement fragiles est une façon de diviser le pays, en faisant croire à certains de nos concitoyens en difficulté que les étrangers sont responsables de tous les maux.
Nous pensons, nous aussi, que ces propositions ne procèdent pas d’une attitude responsable. Attention à ne pas alimenter des fantasmes, des haines qui, là encore, pourraient nous dépasser !
Le second programme de la mission, le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », accuse une baisse de 25 % de ses crédits, ce qui nous inquiète.
Apparemment, d’autres actions seront menées sur d’autres budgets, mais je n’ai pas bien compris lesquels. La situation me semble particulièrement inquiétante, car les baisses concernent essentiellement des budgets consacrés aux structures et à des actions de prévention.
Il semble que, dans la prochaine loi relative à la santé, il devrait être mis davantage l’accent sur la prévention, ce qui est une bonne chose, et sur le rééquilibrage de la politique de santé entre actions curatives et actions préventives.
Baisser ces budgets nous paraît donc être en contradiction totale avec la nécessité de développer la prévention. Encore une fois, quand on regarde dans le détail, il s’agit d’actions portant sur la santé des populations en difficulté, du programme contraception et des actions de lutte contre les violences faites aux femmes, contre les mutilations sexuelles, contre les risques infectieux – VIH, tuberculose et autres –, contre les maladies chroniques, contre les risques liés à l’environnement, ainsi que du financement du plan national santé environnement, qui vient d’être adopté. Ces arbitrages nous paraissent dommageables.
Nous déterminerons la position de notre groupe après l’examen des amendements.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le budget de la mission « Santé » n’échappe pas, hélas, aux politiques de restriction budgétaire.
En effet, les crédits du programme « Prévention, sécurité sanitaire et offres de soins » diminueront de 25 % en 2015.
Cette réduction des moyens consacrés à la prévention nous paraît extrêmement préjudiciable pour la population, alors même que les associations et les organismes de prévention rencontrent des difficultés pour organiser leurs missions.
Ainsi, en diminuant les crédits consacrés à la prévention des maladies chroniques de 5,6 %, le risque est grand de voir se développer certaines d’entre elles. Cette baisse est d’autant plus étonnante que ces maladies chroniques représentent les deux tiers des dépenses de l’assurance maladie.
Madame la secrétaire d'État, quand à La Réunion, par exemple, le diabète touche près de 10 % de la population, ne croyez-vous pas que le rôle joué par la prévention est primordial pour mener une politique efficace contre cette maladie ? Quand les crédits consacrés à la prévention des risques liés à l’environnement, au travail et à l’alimentation diminuent de 1,4 %, ne croyez-vous pas que les travailleurs peuvent légitimement s’inquiéter, alors même que les maladies liées au travail représentent un cinquième des dépenses de santé ? En diminuant les crédits consacrés à l’éducation à la santé de 4,2 %, ce sont des missions aussi essentielles que les actions de prévention bucco-dentaire en milieu scolaire que l’on fait disparaître, ce qui entraîne un risque sanitaire pour les jeunes.
Cette baisse concerne également les actions menées pour lutter contre les pratiques addictives et à risques. Là aussi, je suis inquiète de la réduction des crédits, alors même que le tabac, l’alcool, les drogues continuent à faire des ravages parmi toutes les catégories de la population. Je ne manquerai pas de développer plus avant mon propos lors de l’examen des crédits dédiés à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA.
On nous renvoie souvent à la future loi relative à la santé, mais, au vu de la baisse des crédits, cela ne suffit pas à apaiser nos fortes inquiétudes quant à l’engagement du Gouvernement dans la prévention des maladies.
Puisqu’une ligne budgétaire est consacrée à la santé mentale, notamment pour soutenir les acteurs associatifs, j’en profite pour dire ici que ce volet est très insuffisamment traité dans le projet de loi relatif à la santé. Vous le savez, madame la secrétaire d'État, certains professionnels demandent d’ailleurs une loi spécifique, avec des moyens à la hauteur des problèmes.
En résumé, nous considérons que les politiques de prévention sont un investissement pour l’avenir, car elles permettent de réduire les risques avant la survenue des maladies. Or, pour être efficaces, les politiques de prévention des maladies et de promotion de la santé doivent être considérées de manière globale, en agissant sur les facteurs de risques sanitaires, sociaux, économiques. Cela est d’autant plus vrai que la pauvreté a encore explosé avec l’approfondissement de la crise.
J’en termine avec ce programme en exprimant toute mon inquiétude au regard des efforts également demandés à l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui, en 2015, dans un contexte de rationalisation des effectifs, est « appelée à contribuer aux efforts d’efficience et de productivité demandés aux opérateurs de l’État ». Cette recherche d’efficience se traduit par la perte de vingt emplois équivalents temps plein. Membre du conseil d’administration de cette agence et convaincue de l’importance de son rôle pour éviter de nouveaux scandales sanitaires, je ne peux qu’être perplexe à la lecture de ces lignes.
Venons-en au programme 183.
L’effort de la solidarité nationale en faveur de l’accès aux soins et de l’indemnisation des publics les plus défavorisés complète l’intervention de la sécurité sociale. À ce titre, l’État intervient pour garantir l’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière et procède à la juste indemnisation des victimes de l’amiante.
Or les crédits affectés au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante demeurent inchangés par rapport à 2014, alors que le nombre de demandes d’indemnisation a progressé de 18 %. Cet écart entre le nombre de demandeurs et le montant versé par le fonds d’indemnisation doit nous amener à raccourcir les délais de traitement des demandes et à renforcer les moyens des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, notamment celle de Nord-Picardie, qui connaît des difficultés pour répondre rapidement aux demandeurs.
Enfin, permettez-moi d’aborder le sujet de l’aide médicale d’État, l’AME, dont nous aurons l’occasion de débattre lors de la discussion des amendements déposés par des sénateurs de droite.
En effet, je voudrais rappeler les raisons qui ont poussé l’État à intervenir en complément de l’assurance maladie pour les personnes vivant sur notre territoire. Historiquement, la politique d’accueil et d’asile en France a conduit à la création d’une aide médicale gratuite pour financer les dépenses liées aux soins des personnes non affiliées à l’assurance maladie, sans distinguer si leur situation était régulière ou non.
La droite et son extrême n’ont jamais cessé de s’attaquer à ce dispositif, en stigmatisant les étrangers qui bénéficieraient de prestations indues. Je souhaiterais rappeler certaines vérités au sujet du coût de l’AME et des risques qu’entraînerait la réduction du niveau de couverture des étrangers sans papiers, car en période de crise, la politique du « bouc émissaire » rencontre, hélas, un écho favorable !
Selon le rapport de 2010 de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’aide médicale d’État, l’augmentation des dépenses de l’AME ne s’explique pas par une croissance massive du nombre de bénéficiaires, puisque celui-ci n’a pas connu de progression notable. Ainsi, près de 50 % des bénéficiaires de l’AME ne recourent pas aux prestations dont ils pourraient bénéficier. Il n’y a donc pas, contrairement à ce que répète Nicolas Sarkozy, une augmentation du nombre des étrangers qui viennent en France pour profiter de notre générosité.
Par ailleurs, si le coût global de l’AME augmente, il faut rappeler que le bénéficiaire de l’AME consomme en moyenne 1 741 euros de soins, tandis que le bénéficiaire de la CMU-C, la CMU complémentaire, consomme 2 606 euros. Les prestations servies aux bénéficiaires de l’AME sont ainsi inférieures à celles dont bénéficient les assurés au titre de la CMU-C, alors même que ces derniers ont droit au bénéfice d’un panier de soins.
Réduire le périmètre de couverture des étrangers sans papiers est une proposition populiste, dont la mise en œuvre conduirait à des risques sanitaires certains.
Enfin, la proposition tendant à instaurer un droit d’entrée pour l’AME conduirait, selon le rapport de l’IGAS, au retardement de la prise en charge médicale, et donc à un recours tardif à l’hôpital, nettement plus coûteux. Quand on fait une proposition, il faut bien en mesurer le coût !
Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre les crédits de l’ensemble de la mission « Santé », qui entérinent malheureusement la diminution des moyens attribués à la santé en termes de prévention et d’éducation à la santé, ne sont pas suffisamment ambitieux et ne répondent pas aux besoins de notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Santé » pour 2015 s’élèvent à près de 1,2 milliard d’euros et contribuent à l’effort de redressement des comptes publics. Ce budget appelle quelques observations.
La première porte sur le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui financera huit opérateurs de l’État participant à la mise en œuvre des politiques nationales de prévention et de sécurité sanitaire. Comme l’a parfaitement expliqué mon collègue Gilbert Barbier en commission des affaires sociales, « nous assistons à un empilement de structures qui empêche de distinguer exactement qui fait quoi ».
En effet, la multiplicité des agences sanitaires, progressivement mises en place pour répondre à des crises sanitaires spécifiques, a contribué à rendre l’architecture de notre système de sécurité sanitaire complexe. Plusieurs rapports ont dénoncé les chevauchements de compétences, le manque de transparence, de lisibilité et l’absence de coordination entre les agences, qui ont progressivement perdu en crédibilité.
C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à une baisse du budget de fonctionnement de ces agences, qui s’inscrit dans le cadre de la réforme structurelle de notre système d’agences sanitaires ; nous aborderons cette question lors de l’examen du projet de loi relatif à la santé. Vous envisagez notamment de créer un Institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique, qui reprendra les missions exercées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et l’Institut de veille sanitaire. Vous l’avez rappelé, cette réforme permettra « d’améliorer l’efficacité de la réponse aux risques sanitaires, de créer une agence disposant d’une approche intégrée de la santé publique et de réaliser des économies sur les dotations à ces opérateurs ».
Je note ensuite avec satisfaction que le projet de loi de finances pour 2015 prévoit à nouveau d’abonder le FIVA à hauteur de 10 millions d’euros. Cette mesure emblématique vise à reconnaître la responsabilité de l’État dans l’indemnisation des victimes de l’amiante. C’est une très bonne chose.
J’en viens enfin au dernier point : l’aide médicale d’État. Je suis surprise d’entendre depuis quelque temps une partie de l’opposition réclamer la suppression de ce dispositif. Pourtant, il n’y a pas si longtemps – c’était en mars 2012, pendant la campagne de l’élection présidentielle –, Nicolas Sarkozy refusait que l’on remette en cause « cette générosité française » et y voyait même « notre honneur ». Il promettait alors qu’il n’y toucherait pas. Le discours a bien changé !
J’estime que ce dispositif est indispensable. Il répond à la fois à une nécessité de santé publique et à une exigence morale de respect des valeurs humanistes qui sont au cœur de notre pacte républicain. Les rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires sociales nous proposeront tout à l’heure d’instaurer à nouveau une franchise, non plus de 30 euros comme avant 2012, mais de 50 euros, et de recentrer l’AME sur les soins urgents et de prévention, ainsi que sur les publics fragiles, décision nécessaire selon eux pour en maîtriser le coût.
Je rappellerai simplement qu’un rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances avait jugé la franchise « financièrement inadaptée, administrativement complexe et porteuse de risques sanitaires » ; ce rapport écartait en outre la possibilité de « limiter la prise en charge aux seuls soins urgents ».
De telles mesures risquent en effet de susciter des prises en charge tardives et de favoriser le développement de maladies graves ou contagieuses. Les médecins eux-mêmes estiment qu’il est préférable que les personnes malades puissent accéder aux soins rapidement pour éviter toute propagation des maladies.
Certes, nous savons qu’il y a des abus, des dérives. Le budget consacré à l’AME a explosé en 2013, passant de 588 millions à 744 millions d’euros en l’espace d’un an, et 73 451 bénéficiaires supplémentaires ont été recensés entre 2011 et 2013. Cette hausse s’explique en partie par l’existence de filières permettant à des personnes étrangères de venir se faire soigner dans certains hôpitaux français.
En juin dernier, devant la commission des finances du Sénat, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes s’est engagée à lutter contre les abus, notamment en renforçant les contrôles dans les différentes caisses primaires d’assurance maladie. Elle a également reconnu la nécessité d’enclencher très rapidement un travail diplomatique de coopération internationale avec les pays d’origine. Je ne peux que souscrire à cette démarche.
En conclusion, le groupe du RDSE, dans sa très grande majorité, votera en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Santé ».
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2015 s’inscrit dans un contexte d’effort de redressement des comptes publics d’une ampleur inédite. En matière de santé, la majeure partie des économies qui seront réalisées concernent l’assurance maladie, donc le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS. Marisol Touraine a eu l’occasion de présenter ces économies, que nous allons chercher dans la modernisation de notre système de santé, en améliorant l’efficience de la dépense hospitalière, en agissant sur le prix des médicaments ou encore en engageant le nécessaire virage vers l’ambulatoire. Pour autant, dans ce contexte, nous finançons les priorités essentielles.
Ainsi, l’évolution des crédits du programme 204 traduit le choix de la prévention qui est le nôtre dans le cadre du projet de loi relatif à la santé, présenté en conseil des ministres le 15 octobre dernier. Avec ce projet de loi, nous voulons promouvoir les conditions de vie favorables à la santé, comme le font d’autres pays avec succès.
Dans le projet de loi de finances pour 2015, les crédits en faveur de la prévention, de la sécurité sanitaire et de l’offre de soins sont préservés. Dans un contexte où des efforts de réduction importants sont demandés sur plusieurs programmes, la préservation des crédits de prévention constitue un choix politique fort.
La comparaison entre les crédits du programme 204 du PLF pour 2014 et ceux du PLF pour 2015 ne donne pas une image exacte de l’évolution des moyens affectés à la prévention. En effet, dans le cadre du PLF et du PLFSS pour 2015, nous avons rationalisé les champs d’intervention respectifs de l’État et de la sécurité sociale. Cette démarche se traduit par le transfert à l’assurance maladie d’un certain nombre d’interventions, comme les formations médicales effectuées en ville ou encore le fonctionnement des centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles, les CIDDIST.
Je le précise d’emblée : il s’agit non pas de débudgétisations comptables, mais de clarifications qui visent à plus d’efficacité. Le transfert du financement des formations médicales en ville peut permettre d’en améliorer et d’en simplifier la gestion. Celui des CIDDIST permet la fusion avec les structures financées par l’assurance maladie et, au-delà, de poser les bases d’un dispositif unique de dépistage, plus performant et plus accessible aux publics qui en ont le plus besoin. Cette réforme du dépistage a été saluée par l’association AIDES comme « une petite révolution […] dans la façon d’appréhender le dépistage des hépatites et du VIH en France ».
Si l’on tient compte de ces transferts et si l’on compare les moyens consacrés au programme 204 en 2014 et en 2015, à périmètre constant, on constate une progression de 0,87 %, ce qui, je le répète, traduit, dans un contexte de réduction des dépenses de l’État, un choix politique fort.
Le soutien budgétaire de l’État à la politique de prévention passe principalement par la dotation du programme 204 aux projets régionaux de santé, dans le cadre du fonds d’intervention régional, le FIR. Ces crédits resteront, sur toute la durée du budget triennal 2015-2017, au niveau qui était le leur dans la loi de finances initiale pour 2014, soit plus de 130 millions d’euros. Je rappelle que le financement des actions de prévention du FIR bénéficie des ressources de l’assurance maladie, pour un total de 247 millions d’euros en 2014. Par ailleurs, les financements du fonds de prévention de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, auront progressé de 7,3 % entre 2013 et 2017, dans le cadre de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, puisqu’ils seront passés de 424,6 millions d’euros à 455,4 millions d’euros.
Au-delà du financement des actions de prévention, les opérateurs de sécurité sanitaire et de prévention contribuent, sur la durée du budget triennal, aux efforts d’économies. Toutefois, ces dernières reposent non sur des mesures de « rabot », mais sur une réforme structurelle de notre système d’agences sanitaires. En effet, la future loi relative à la santé créera un Institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique reprenant les missions exercées aujourd’hui par l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l’INPES, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS, et l’Institut de veille sanitaire, l’InVS. Cette réforme doit permettre d’améliorer l’efficacité de la réponse aux risques sanitaires, de créer une agence disposant d’une approche intégrée de la santé publique et de réaliser des économies sur les dotations allouées à ces opérateurs.
À ce sujet, monsieur Savary, le projet de loi relatif à la santé vise effectivement à permettre la rationalisation de l’organisation des agences sanitaires nationales. Les débats sur ce texte permettront au Gouvernement de détailler ses intentions. Nous avons d'ores et déjà indiqué que nous ambitionnions de créer une grande agence de la veille sanitaire, de la prévention et de la gestion des crises sanitaires, qui regroupera progressivement les compétences des trois organismes que je viens de citer. Nos objectifs de rationalisation sont donc motivés, à titre principal, non pas par la recherche d’économies, mais par le souci de donner plus de force et de cohérence à notre politique de santé.
Contribuer aux efforts d’économies tout en finançant les priorités, c’est également le sens de l’action que nous mènerons au travers du programme 183.
Je souhaite souligner que, dans le cadre du PLF pour 2015, l’État rétablit sa contribution au FIVA, qui avait été réduite à zéro en 2013 et en 2014. Cette contribution sera de 10 millions d’euros. Il y a là non seulement un symbole – la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans l’indemnisation des victimes de l’amiante –, mais aussi l’accompagnement de l’action que nous menons pour améliorer l’efficacité du FIVA, en réduisant les délais de présentation et de paiement des offres d’indemnisation.
J’en viens à l’aide médicale d’État. Je souhaiterais, tout d’abord, rappeler la vérité des chiffres : en 2015, nous prévoyons 678 millions d’euros de crédits pour l’AME.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Nous sommes donc très loin des chiffres que certains font claquer dans les médias !
M. Roger Karoutchi. Parce que vos chiffres sont faux ! On rajoute des crédits en fin d’année !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je comprends que les compétitions internes à certains partis politiques conduisent à une surenchère,…
M. Yves Daudigny. C’est vrai !
M. Vincent Capo-Canellas. Prenez vos responsabilités !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. … mais il m’a semblé nécessaire, dans ce débat, d’en rester aux faits.
L’aide médicale d’État garantit un accès aux soins aux étrangers en situation irrégulière, c’est-à-dire à des personnes qui ne sont pas des assurés sociaux, parce que cela correspond à nos valeurs, mais aussi parce que c’est dans l’intérêt de la santé publique, dans l’intérêt de toutes et de tous.
Mme Françoise Laborde. Oui !
Mme Laurence Cohen. Très juste !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Cela ne signifie pas que l’AME doive être exemptée de l’effort d’économies. Ainsi, nous devons spécifiquement travailler sur la question des filières organisées facilitant le séjour d’étrangers uniquement motivés par le souhait de bénéficier de la prise en charge des soins, filières dont les agissements ont effectivement pu être détectés dans certaines de nos villes.
C’est une chose de prendre en charge les soins donnés à des personnes déjà présentes sur notre territoire : c’est la reconnaissance d’un état de fait, et c’est du pragmatisme. C’en est une autre de laisser entrer sur le territoire des personnes qui n’ont d’autre but que de bénéficier de la prise en charge des soins. La lutte contre ce phénomène, qui se développe, s’inscrit dans la lutte plus générale contre les réseaux mafieux de l’immigration illégale. Toutefois, elle peut également passer par une action de coopération avec les pays d’origine.
En tout état de cause, je vous rappelle que, dans notre pays, les personnes qui contribuent à financer la sécurité sociale sont, bien évidemment, les Français, les étrangers en situation régulière,…
Mme Laurence Cohen. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Oui !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. … mais aussi des étrangers en situation irrégulière, mais employés de façon régulière ! Je tenais à le préciser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
État B
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Santé |
1 200 534 173 |
1 200 534 173 |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
513 979 758 |
513 979 758 |
Protection maladie |
686 554 415 |
686 554 415 |
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° II-161, présenté par MM. Rachline et Ravier, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
||||
Protection maladie |
|
637 500 000 |
|
647 500 000 |
Total |
637 500 000 |
647 500 000 |
||
Solde |
- 637 500 000 |
- 647 500 000 |
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° II-68, présenté par M. Delattre, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
||||
Protection maladie |
|
156 000 000 |
|
156 000 000 |
Total |
||||
Solde |
- 156 000 000 |
- 156 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Mes chers collègues, cet amendement est très différent du précédent, même si les deux font l’objet d’une discussion commune !
L’amendement n° II-68 vise à ramener les autorisations d’engagement et les crédits de paiement à leur niveau de 2008. Madame la secrétaire d'État, je voudrais bien savoir pourquoi, depuis cette date, ces crédits ont augmenté d’environ 50 % !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Ne nous dites pas que c’est l’augmentation du nombre de réfugiés qui est en cause.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. S’il est vrai que nous vivons des moments historiques particulièrement difficiles, je rappelle que toute personne qui demande l’asile a droit à la CMU dès le dépôt de son dossier. Les demandeurs d’asile ne font donc pas partie des bénéficiaires de l’AME.
J’invite ceux qui estiment que l’aide médicale d’État ne pose pas problème à se rendre à l’accueil des hôpitaux, à la rencontre des personnes qui y travaillent : vous verrez comment les choses se passent. Sur ce dossier, il y a un déni de réalité !
M. René-Paul Savary. Complètement !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Je peux vous dire que, dans deux grands hôpitaux de mon département, les abus en matière d’AME orientent le vote de la moitié des personnes travaillant à l’accueil dans le sens que l’on devine… Ce qu’elles voient, ce sont des personnes en situation irrégulière qui arrivent par groupes de sept, huit ou dix et qui exigent ! C’est ainsi que les choses se passent ! Certains ont l’air de l’ignorer.
Nous devons aborder ce dossier collectivement, de façon raisonnable,…
M. René-Paul Savary. Absolument !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. … sans nier la réalité.
Il y a aussi, dans ce pays, des personnes qui n’ont plus aucun droit, alors qu’elles ont cotisé pendant vingt ou trente ans. Quand on leur explique que l’étranger en situation irrégulière a droit – sous certaines conditions, certes – à l’aide médicale d’État, cela pose problème. Devant ce type de situations, tous les républicains doivent réfléchir. Dans mon département, dans ma ville, j’affronte régulièrement des candidats du Front national lors des élections, dans le cadre de triangulaires. Leur discours laisse des traces… Je peux vous dire qu’il est temps de réagir ! Si le Gouvernement ne l’entend pas, nous prendrons, nous, les initiatives qui s’imposent.
Nous ne demandons pas la suppression des crédits de l’aide médicale d’État ; par cet amendement d’appel, il s’agit simplement d’attirer votre attention sur la nécessité de travailler sérieusement sur cette question.
Monsieur Daudigny, vous nous avez accusés de prôner l’exclusion, au lieu d’engager un travail collectif. En ma qualité de rapporteur spécial, j’ai écrit au ministre, sans obtenir aucune réaction de sa part. Que faut-il faire, dans ces conditions ? Laisser courir ? Eh bien non, nous réagissons, parce que ce sujet nous semble essentiel !
C’est très bien de se présenter comme le pays le plus généreux de l’Europe, et même du monde. Mais comment finançons-nous cette générosité ? À crédit ! Pensez-vous que l’on puisse continuer éternellement à faire le progrès social à crédit ? Votre attitude me donne presque envie de dire : « Rocard, reviens ! » (Rires sur les travées de l’UMP.) Vous savez comme nous que nous n’avons pas les moyens d’accueillir toute la misère du monde.
M. Yves Daudigny. Si vous citez Rocard, citez-le complètement !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Je pense qu’il est plus conscient des difficultés que certains d’entre vous. Vous nous accusez de populisme, mais nous sommes devant un vrai problème, qui mérite mieux que les invectives habituelles.
Mme Laurence Cohen. En tout cas, il mérite mieux que cet amendement !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Voulez-vous que je vous rappelle quelques données intéressantes du projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Pensez-vous que les comptes de l’assurance maladie soient équilibrés ?
M. Yves Daudigny. Ce n’est pas d’hier !
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Il y a tout au plus un ralentissement de la progression de la dépense. La dette de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, s’élève à 160 milliards d’euros !
M. Yves Daudigny. Qu’avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Monsieur Daudigny, ne nous énervons pas ! La responsabilité est sûrement partagée.
L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACCOS, qui est la caisse de compensation de tous les régimes, emprunte 34 milliards d’euros pour assurer la trésorerie.
Il est très gratifiant de nous présenter comme les champions du progrès social et les plus généreux du monde, mais la sécurité sociale et l’État sont aujourd'hui au bord de la faillite ! Vous savez très bien que l’on ne s’en sort aujourd'hui que parce que les marchés nous prêtent de l’argent au taux de 1 %. Pensez-vous que l’on puisse continuer à endetter la CADES à ce rythme sans faire, tôt ou tard, imploser le système ?
Nous vous présentons donc un amendement de raison, qui tient compte de l’environnement général, de la sociologie, des réalités du terrain. Le déni de réalité, c’est certes confortable, mais, dans certaines communes, quand on est maire, on ne peut pas se le permettre ! Notre responsabilité est de poser les vrais problèmes en termes corrects et d’essayer de les résoudre.
L’amendement vise à réduire de 156 millions d’euros les crédits, sans toucher à l’AME dite « de droit commun », au traitement des urgences. Le ministre ne daignant pas nous répondre, il s’agit d’appeler à une réflexion collective sur un sujet difficile.
Il faut savoir que, dans le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons la semaine prochaine, plus de 150 millions d’euros supplémentaires sont affectés à l’AME. Nous devrions tout de même pouvoir en discuter avec le Gouvernement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je voudrais apporter quelques précisions, en réponse à M. le rapporteur spécial.
Tout d’abord, les demandeurs d’asile ne font pas partie des bénéficiaires de l’AME, qui s’adresse aux étrangers en situation irrégulière.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Ils ont droit à la CMU ! On sait tout ça par cœur !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Le statut d’un demandeur d’asile n’est pas celui d’un étranger en situation irrégulière.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. C’est ce que j’ai dit !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. L’AME n’est pas la CMU, monsieur le rapporteur spécial ! Puis-je poursuivre ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Si vous ne m’écoutez pas, pourquoi le ferais-je ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État et à elle seule, monsieur le rapporteur spécial !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Vous donnez des leçons à tout le monde, mais semblez avoir quelques difficultés à écouter les autres, monsieur le rapporteur spécial ! Calmons-nous et tâchons d’être précis, car la confusion ne permet pas d’avoir un débat serein et de trouver des solutions. Au contraire, elle alimente les peurs et empêche de raisonner sur les bons éléments.
Il est en partie vrai que le nombre des bénéficiaires de l’AME a beaucoup augmenté. À force de repousser la réforme du droit d’asile,…
M. Roger Karoutchi. Qui l’a repoussée ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. … on a laissé, depuis dix ans, de nombreux demandeurs d’asile attendre jusqu’à deux ans une réponse. Dans ce laps de temps, la vie de ces hommes et de ces femmes demandant l’asile est très susceptible d’avoir évolué : peut-être se sont-ils mariés, ont-ils eu des enfants… Dès lors, s’ils reçoivent une réponse négative, ils demeurent sur notre territoire en situation irrégulière et s’inscrivent à l’AME.
Voilà aussi pourquoi nous souhaitons réformer le droit d’asile : par respect pour les demandeurs, qui ont besoin d’être très rapidement fixés sur leur sort, et pour tenir compte du fait que, en cas de réponse négative, il leur est parfois humainement impossible, après deux ans, de repartir, pour diverses raisons.
Tels sont les éléments de réponse que je peux vous apporter. Ils correspondent à des situations constatées quotidiennement par celles et ceux qui s’intéressent un peu sérieusement au sujet.
Par ailleurs, il n’existe pas de « sans-droits » dans notre pays, grâce à la création de la CMU et de la CMU-C par le gouvernement de Lionel Jospin. Ce fut une très grande avancée de la gauche plurielle. Il ne me semble pas que, à l’époque, beaucoup de parlementaires n’appartenant pas à celle-ci avaient voté en faveur de la création de ces dispositifs, aujourd’hui saluée unanimement…
Enfin, pour le dire de façon imagée, les virus ne s’embarrassent ni de frontières ni de papiers ! Les maladies qu’ils véhiculent doivent être traitées dès les premiers stades : au-delà de la question importante des coûts, nous préférons, sur le plan humain, avoir des personnes en bonne santé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour explication de vote.
Mme Agnès Canayer. L’aide médicale d’État est un sujet essentiel. Les crédits consacrés à ce dispositif augmentent de 12 % par rapport à 2014, après avoir progressé de plus de 17 % au cours des trois dernières années. En outre, la somme de 678 millions d’euros allouée pour 2015 est tout à fait sous-évaluée au regard des besoins sur le terrain.
Il s’agit non pas de chercher des boucs émissaires ou de stigmatiser quiconque, mais d’élaborer des réponses à la fois précises et pragmatiques, madame la secrétaire d’État. Notre pays ne peut rester passif, quand ses voisins européens agissent en mettant en place des conditions d’accès plus restrictives. Nous devons nous montrer responsables pour pouvoir continuer à offrir un niveau élevé de protection sociale à tous nos compatriotes.
Je tiens à saluer, au nom du groupe UMP, le travail mené par le rapporteur spécial, Francis Delattre, et par le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, René-Paul Savary, qui ont cherché des solutions pragmatiques pour contenir cette progression, avec, d’une part, l’instauration d’une participation annuelle de 50 euros – c’est une mesure d’équité à l’égard de nos concitoyens, qui doivent s’acquitter des franchises médicales –, et, d’autre part, le recentrage de l’accès gratuit à tous les soins.
Le groupe UMP votera en faveur de l’adoption du présent amendement.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Gardons-nous d’entrer dans un faux débat, limité à des postures, et abordons au fond ce sujet difficile, en regardant un certain nombre de difficultés en face. Selon moi, il nous faut conjuguer le respect des principes et la prise en compte des réalités.
Permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, d’apporter une précision. Tout à l’heure, Francis Delattre a dit clairement que les ressortissants du droit d’asile bénéficiaient de la CMU. Il n’a pas évoqué l’AME à propos de ce public. Je veux lui en rendre témoignage et contredire sur ce point les propos que vous avez tenus à l’instant.
Il faut concilier les principes et les réalités, ai-je indiqué. J’ai entendu le rapporteur spécial expliquer que l’AME était indispensable et qu’il ne souhaitait pas le rejet des crédits correspondants : la majorité sénatoriale aborde le débat dans cet esprit.
En revanche, le rapporteur spécial a appelé, de manière tout à fait claire, à une redéfinition des critères. Comment peut-on concevoir une AME tout à la fois humaniste et davantage respectueuse d’un certain nombre de critères ?
Enfin, le rapporteur spécial a également parlé d’un « amendement d’appel ». La navette doit permettre une évolution des positions de part et d’autre. On ne peut pas rester dans le déni ! La nouvelle majorité, à son arrivée aux affaires, a commencé par abroger certaines dispositions existantes, pour des raisons de principe.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Vincent Capo-Canellas. Malgré tout, les réalités demeurent.
Au-delà de l’amendement de M. Delattre, sans doute faut-il également réaliser un travail d’approfondissement avec les praticiens, refaire une mission… Il y a place pour le débat !
Nous le savons tous, chacun a droit à des soins…
Mme Catherine Génisson. C’est le serment d’Hippocrate !
M. Vincent Capo-Canellas. … et les médecins n’ont pas à prendre en compte les réalités comptables dans le cadre de leur pratique.
Pour autant, nous avons l’obligation de fixer un certain nombre de règles en matière d’offre de soins. C’est tout l’enjeu du débat, qui n’est pas si simple !
Par ailleurs, j’ai entendu certains orateurs affirmer que, quelle que soit l’intention, elle ne peut être dissociée de la surenchère médiatique. Si cela est vrai, on risque de s’interdire d’évoquer de très nombreux sujets ! En définitive, mieux vaudra opter pour la politique de l’autruche, plutôt que d’aborder une question susceptible de prêter à caricature !
Il me semble précisément que le rôle du Sénat, en particulier, consiste à tenter de faire la part des choses entre l’écho médiatique et la recherche d’un consensus pour l’élaboration de dispositions sur des sujets aigus.
Nous sommes nombreux à convenir, me semble-t-il, de la nécessité d’une évolution. Peu d’entre nous considèrent que l’AME se porte parfaitement bien et que rien n’est à changer. Mme la secrétaire d’État elle-même a évoqué la lutte contre les filières, mais pour notre part nous abordons la question de l’AME non sous l’angle de l’immigration, mais sous celui de la santé, dans un souci à la fois d’humanisme et de respect de certaines règles.
Nous ne souhaitons nullement stigmatiser quiconque ! Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, la question de la prise en charge des soins se pose de manière aiguë et doit être traitée au fond.
En termes de comparaisons internationales, l’Espagne, nous l’avons vu, a récemment modifié sa position, en révisant drastiquement les conditions d’accès aux soins gratuits en 2012, principalement pour des raisons financières. La France, quant à elle, se distingue par un très large accès aux soins gratuits.
La forte progression des crédits du programme « Protection maladie » découle presque totalement de l’évolution des crédits de l’AME. Comme cela a été rappelé, à l’exception de l’exercice 2012, les crédits consommés ont toujours été supérieurs aux crédits votés. Enfin, le nombre de bénéficiaires a crû d’environ 130 000 depuis 2002.
En conclusion, des ajustements complémentaires nous semblent nécessaires. Ils devront bien sûr préserver le double objectif humanitaire et sanitaire du dispositif, tout en fixant des règles applicables à tous. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Ce débat est très médiatique, nous dit-on… Ce n’est pas le seul ! En tout état de cause, les choses doivent être dites.
J’entendais notre collègue Françoise Laborde annoncer une augmentation de 73 000, en un an, du nombre des bénéficiaires de l’AME. Quand on nous assure que seule la charge du dispositif, et non le nombre de bénéficiaires, augmente, c’est donc faux ! Le contingent des bénéficiaires de l’AME s’accroît, et ce pour une raison toute mécanique.
Comme le rapporteur spécial l’a excellemment montré, les personnes qui sont déboutées du droit d’asile et deviennent, de fait, des « sans-papiers » passent de la CMU à l’AME. Or il se trouve que le nombre de demandes d’asile augmente considérablement depuis cinq ans, pour s’élever à l’heure actuelle à environ 70 000. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile ne délivrant que de 12 000 à 13 000 titres de réfugié, ce sont, chaque année, de 50 000 à 55 000 personnes à qui l’on refuse le droit d’asile, dont entre 10 000 et 15 000 seulement seront raccompagnées aux frontières.
Notre système est fou ! Faute de critères suffisants pour l’accès au droit d’asile, nous fabriquons, presque mécaniquement, de futurs titulaires de l’AME.
Je ne dis pas qu’il faille remettre en cause le principe de l’AME ou le serment d’Hippocrate : bien sûr que non ! Mais vous savez bien, madame la secrétaire d’État, que, depuis plusieurs années, les crédits inscrits au budget pour l’AME sont systématiquement complétés en loi de finances rectificative.
Comme je l’ai souligné dans mon rapport sur le droit d’asile et sur l’immigration, il faut raisonner à partir des vrais chiffres ! Rien n’est pire que les faux-semblants ou le mensonge dans le débat public, car ils ouvrent la voie aux extrêmes !
Si l’on exposait clairement les coûts, les critères pouvant être retenus, il serait possible de trouver un accord entre personnes raisonnables. Au lieu de cela, ceux qui veulent revoir l’AME sont taxés de xénophobie, d’inhumanité ! Cela n’a pas de sens ! Cette attitude pousse à une telle cristallisation du débat que le discours des partisans d’une suppression de l’AME finit par gagner du terrain dans l’opinion !
L’amendement de notre excellent collègue Francis Delattre ne remet pas en cause les soins d’urgence ; il vise ce que l’on appelle, avec une élégance rare, le « tourisme médical » et les filières qui l’organisent, un peu partout dans le monde. Il vise à éviter que des personnes ne viennent en France parce que notre système de santé, en particulier hospitalier, est remarquable et gratuit pour eux, grâce à l’AME. Il ne s’agit pas de fermer la porte devant les malheurs du monde, mais notre système hospitalier est sursaturé par les réseaux qui organisent le tourisme médical dans notre pays. Nous disons « oui » à une AME cohérente au regard des besoins en matière de soins d’urgence, « non » aux surcoûts liés aux réseaux !
Naturellement, je voterai l’amendement présenté par Francis Delattre. Je vous le dis sincèrement, madame la secrétaire d’État : en refusant obstinément de débattre du coût financier, des critères et de l’encadrement de l’AME, vous dénaturez totalement le sujet aux yeux de l’opinion publique et donnez des arguments aux extrêmes, alors que nous pouvons parfaitement, entre gens pondérés, trouver une solution.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez cité Michel Rocard de façon incomplète, comme on le fait trop souvent. S’il a effectivement dit que notre pays ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde, il ajoutait qu’il était fondamental, en contrepartie, d’instaurer de véritables politiques de coopération internationale, en particulier Nord-Sud. Il ne faut pas faire référence de façon tronquée à un homme qui a profondément marqué la politique de notre pays !
Nous devons en effet mener un débat de fond sur l’aide médicale d’État. Il s’est d'ailleurs engagé grâce au député UMP Claude Goasguen, qui s’étonnait que les dépenses de l’AME aient augmenté très significativement depuis son instauration dans les années 2000. Le rapport d’information qu’il a rédigé avec le député socialiste Christophe Sirugue montrait que ces dépenses augmentaient parce qu’elles commençaient seulement à être quantifiées et codifiées. Auparavant, les hôpitaux jouaient leur rôle d’hospice, au sens ancien du terme, sans que cela soit comptabilisé.
Il est vrai que les crédits alloués à l’aide médicale d’État ont très largement augmenté au fil des années, mais cette situation est d’abord liée à l’immigration et au droit d’asile. Pour traiter correctement de l’aide médicale d’État, il convient donc de réformer le droit d’asile (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.), qui donne lieu à des dérives, difficiles à vivre au premier chef pour les personnes directement concernées.
Il faut bien évidemment lutter contre les réseaux. Les personnels soignants qui accueillent des personnes éligibles à l’AME amenées par des réseaux savent à qui ils ont affaire. Les responsabilités sont partagées, il faut savoir le dire. Il est essentiel de combattre implacablement la fraude, qui est la première source d’inégalité entre nos concitoyens.
Monsieur le rapporteur spécial, j’ai exercé des responsabilités en tant que médecin urgentiste, au sein du SAMU du Pas-de-Calais. Je puis vous garantir que les migrants présents à Calais ne sont pas des fraudeurs, des profiteurs. Ce sont des personnes dans une situation de détresse morale, sociale et sanitaire profonde. Ils ne se rendent d'ailleurs pas spontanément dans les hôpitaux, mais y sont généralement conduits par les pompiers, alertés par des citoyens. Vous pouvez interroger sur ce point la maire UMP de Calais. Ces Syriens, ces Érythréens, ces Afghans sont dans la détresse la plus absolue en raison de conflits internationaux dramatiques : c’est une fierté républicaine que de les accueillir et de les soigner.
Nous devons rester sereins dans ce débat. Il est évidemment légitime de débattre de l’AME, mais il ne me paraît pas opportun de présenter des amendements dont on sait bien qu’ils n’aboutiront pas, qu’il s’agisse de diminuer les crédits de l’AME ou d’instaurer une participation forfaitaire. Ces amendements sont infondés et contribuent à entretenir, même si telle n’est pas la volonté de nos collègues ici présents, un climat délétère, malsain dans l’opinion. Ce n’est pas ainsi qu’il convient d’aborder ce débat.
Continuons à travailler sur l’aide médicale d’État ! Le vrai sujet, c’est d’abord le droit d’asile, les migrations de populations,…
M. René-Paul Savary. Eh oui !
Mme Catherine Génisson. … la coopération avec les différents pays d’origine des migrants. La question de l’AME va bien au-delà des crédits de la mission que nous étudions aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, le groupe socialiste votera les crédits de la mission « Santé » et contre les amendements que j’ai évoqués.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Bien sûr, il faut toujours travailler à améliorer les dispositifs, celui de l’AME comme les autres. Néanmoins, certains propos faisaient quasiment l’amalgame entre ce qui relève de réseaux mafieux, de la fraude, qui existent dans ce secteur comme dans d’autres, et la grande majorité des personnes qui doivent être admises aux urgences faute d’avoir été soignées en amont.
Le groupe écologiste votera contre cet amendement, qui n’engage pas le débat sur des bases correctes. La solution proposée est à la fois inefficace et coûteuse. Contrairement à ce que prétend M. le rapporteur spécial, restreindre l’accès à l’AME nous coûterait très cher : les personnes se présenteraient à l’hôpital avec des pathologies beaucoup plus lourdes parce qu’elles n’auraient pas été traitées en amont. Je vous invite à en discuter avec les personnels des services des urgences.
En outre, restreindre l’accès à l’AME ferait courir des risques sanitaires réels. Nous avons tout intérêt à juguler des maladies contagieuses telles que la tuberculose, par exemple. Ce n’est pas en réduisant l’accès à l’AME que l’on y parviendra, au contraire !
Sur un autre plan, que nos collègues le veuillent ou non, leurs propositions ciblent des populations particulièrement fragiles, chassées par les conflits, les guerres, la faim. Comme nous le verrons lors de la discussion du projet de loi relatif à la santé, au printemps 2015, il y a certainement bien d’autres mesures à prendre pour réaliser des économies. Pourquoi vouloir faire des économies précisément sur l’AME, et non sur d’autres dispositifs ? Vous désignez une cible à une opinion publique angoissée par la situation économique et sociale ; vous lui offrez une fausse solution en rendant les bénéficiaires de l’AME responsables du déficit de l’assurance maladie.
J’appelle nos collègues à maintenir la tradition humaniste de notre assemblée. Nous ne pouvons pas faire abstraction du contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui ; nous en connaissons la dangerosité. Si le Sénat adopte des amendements de ce type, nous savons très bien que d’autres les utiliseront.
Je vous demande, mes chers collègues, de mesurer la responsabilité que vous prenez en ouvrant le débat public sur cette seule question de l’AME. La mission « Santé » recouvre bien d’autres sujets mais, comme par hasard, les amendements déposés portent sur la seule AME !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Le débat me semble tronqué. La Haute Assemblée examine des crédits extrêmement importants pour la santé de nos concitoyennes et de nos concitoyens, un samedi après-midi ; nous ne sommes guère nombreux et le débat se polarise sur une question annexe en termes budgétaires.
M. le rapporteur spécial a indiqué qu’il avait déposé un amendement d’appel pour ouvrir le débat. Je peux l’entendre : pourquoi notre assemblée ne mènerait-elle pas un travail sérieux sur cette question ? Nous ne devons pas être sourds aux arguments avancés sur les autres travées.
J’observe que le rapport de l’IGAS va à l’encontre des propos tenus par nos collègues de l’UMP, puisqu’il ne fait nullement état d’une explosion du nombre de bénéficiaires de l’AME. Ce rapport est-il exact ? Faut-il créer une mission sur le sujet ? Pourquoi pas, mais, en tout cas, ce n’est pas au détour de l’examen d’un amendement que nous pourrons traiter sérieusement la question.
Si j’ai bien compris, monsieur le rapporteur spécial, votre amendement vise à recentrer le dispositif sur ses objectifs essentiels, notamment l’accès aux soins pour les femmes enceintes et les mineurs. Or, toujours selon l’IGAS, 80 % des bénéficiaires de l’AME sont des hommes. L’amendement apporte donc une mauvaise réponse.
Je mets en garde à mon tour contre les risques en termes de santé publique d’une réduction de l’accès aux soins pour les populations les plus fragiles. Là encore, l’amendement présenté ne répond pas à la problématique. La Haute Assemblée veut-elle répondre à une question de santé publique au détour de l’examen d’un amendement qui va provoquer un débat tronqué, dans un contexte politique nauséabond ?
J’entends M. le rapporteur spécial opposer les bénéficiaires de l’AME et ceux de la CMU-C. Mais si son amendement était adopté, cela ne donnerait rien de plus aux bénéficiaires de la CMU-C. Il ne s’agit donc pas d’une mesure de justice sociale. Cet amendement ne répond à aucune vraie question ! Dans ces conditions, pourquoi le maintenir, d’autant qu’il aura une vie très courte ? Il me semble malvenu, pour des raisons tant d’efficacité que de justice sociale et de respect de populations parmi les plus fragiles, déjà suffisamment stigmatisées. Mieux vaudrait que notre Haute Assemblée confie à une mission le soin de travailler sur cette question.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Il n’est pas question, au travers de cet amendement, de stigmatiser qui que ce soit,…
Mme Catherine Génisson. Implicitement, c’est pourtant le cas !
M. René-Paul Savary. … ni les bénéficiaires de l’AME ni les médecins ou les hôpitaux. Peut-on imaginer que, dans notre pays, un médecin ou un hôpital refuse de soigner un patient ?
M. René-Paul Savary. Si cela était, nous serions les premiers à dénoncer une telle situation ! Je serais le premier à dénoncer un confrère qui refuserait de soigner un patient, mettant en danger ce dernier et son entourage.
Je crois que le débat n’est pas là, soyons raisonnables…
Il y a toutefois un vrai problème, dont il faut souligner l’existence lors de la discussion du projet de loi de finances. Nos concitoyens ne comprennent plus cette politique. Nous ne pouvons demander des efforts aux uns et non aux autres. Comment expliquer qu’un Français ou un étranger en situation régulière soit soumis, en ce qui concerne les soins, à un ONDAM qui limite la progression des dépenses, mais pas un étranger en situation irrégulière résidant depuis plus de trois mois en France ? Moi, je ne peux plus l’expliquer.
Madame la secrétaire d’État, c’est un problème auquel il faut répondre en trouvant le juste milieu entre politique d’immigration et politique sanitaire.
Mme Catherine Génisson. Ce n’est donc pas un problème de santé publique !
M. René-Paul Savary. Il en va de même pour les mineurs étrangers isolés : il faut trouver le juste milieu entre politique de l’immigration et prise en charge médico-sociale.
Nous devons faire en sorte de ne pas attiser les haines, de ne stigmatiser personne, mais de répondre à un véritable problème ! Nous ne prétendons pas le faire aujourd’hui, mais nous voulons sensibiliser le Gouvernement à cette question essentielle.
Notre système ne doit pas favoriser les filières d’immigration clandestine, comme c’est le cas pour les mineurs étrangers isolés. J’interrogeais récemment l’un d’entre eux, en provenance d’un pays lointain. Il avait parcouru plusieurs milliers de kilomètres en camion, pour un coût de passage de 3 000 euros. Quand je lui ai demandé quelle destination finale lui avait été indiquée au début de son voyage, il m’a donné l’adresse du foyer départemental de l’enfance de la Marne !
J’ai le sentiment d’avoir contribué à organiser cette filière : nous avons mis en place un système qui permet à des réseaux de vendre à des personnes en difficulté une prestation de livraison dans notre pays ! Je ne veux pas être complice de cela !
Nous devons trouver le juste milieu qui caractérise en général les solutions apportées par le Sénat lorsqu’il s’agit de sujets difficiles à aborder et à expliquer à nos concitoyens.
Par cet amendement, nous proposons simplement de nous aligner sur ce que font les autres pays européens. Tous ont revu leur politique en la matière. Le dernier à l’avoir fait est l’Espagne. Je soutiens l’amendement présenté par M. Delattre.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. J’ai effectivement parlé d’une augmentation du nombre des bénéficiaires de l’AME, monsieur Karoutchi, mais j’ai aussi souligné qu’elle était due à l’activité d’un certain nombre de filières, comme l’a expliqué Mme la secrétaire d’État. Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes s’est engagée à lutter contre ces dérives.
Les opinions étant quelquefois diverses au sein de notre groupe, nous avons déjà engagé un débat sur cette question. Nous persistons à penser que l’AME est importante, car elle permet d’éviter la propagation de certaines maladies, telle la tuberculose.
Nous devons trouver les moyens à la fois de mettre fin aux activités de certaines filières et de permettre à toutes les personnes présentes sur notre territoire de se faire soigner, ne serait-ce que pour empêcher la propagation des maladies.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je suis bien sûr toujours défavorable à cet amendement, qui ne saurait à mon sens permettre de résoudre la question que vous soulevez, monsieur le sénateur Savary. Des textes vous seront bientôt soumis qui se prêteront mieux à cette fin, par exemple le projet de loi sur le droit d’asile.
Je réaffirme toute la détermination du Gouvernement à lutter contre ces réseaux mafieux qui exposent de jeunes mineurs et, plus généralement, des personnes croyant trouver sur notre territoire un nouvel Eldorado à des situations extrêmement dangereuses.
Ces personnes doivent être respectées. Il faut bien évidemment éviter les « appels d’air », mais cela doit se faire en travaillant sur la politique de l’immigration, y compris à l’échelon européen. La maire de Calais ne dit pas autre chose : sans réelle coopération européenne sur cette question de l’immigration et de la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains, nous ne pourrons traiter le sujet. L’enveloppe allouée à l’AME ne baissera que lorsque les demandeurs d’asile obtiendront plus rapidement une réponse et que les réseaux mafieux auront été maîtrisés.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-68.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 51 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 185 |
Contre | 151 |
Le Sénat a adopté.
L'amendement n° II-187 rectifié bis, présenté par MM. Laufoaulu, Magras, Frogier, Vendegou et D. Robert, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
2 000 000 |
2 000 000 |
||
Protection maladie |
2 000 000 |
2 000 000 |
||
Total |
2 000 000 |
2 000 000 |
2 000 000 |
2 000 000 |
Solde |
0 |
0 |
La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Notre collègue Laufoaulu, retenu à Wallis par la session de l’assemblée territoriale, m’a demandé de présenter cet amendement, dont l’enjeu est très important pour Wallis-et-Futuna, pour la Nouvelle-Calédonie et, surtout, pour les relations entre ces deux territoires.
La santé à Wallis-et-Futuna est une compétence de l'État, alors qu’elle est une compétence territoriale en Nouvelle-Calédonie.
Du fait du manque d’équipements médicaux et de spécialistes à Wallis-et-Futuna, les habitants ayant besoin de soins sont souvent évacués vers la Nouvelle-Calédonie.
Dotée d’un budget insuffisant, l’agence de santé de Wallis-et-Futuna a accumulé, à l’égard de la Nouvelle-Calédonie, une dette avoisinant 20 millions d’euros. Ce phénomène s'est déjà produit dans le passé, mais l'État avait toujours apuré sa dette avec rapidité.
Le Président de la République et le Gouvernement ont, à plusieurs reprises depuis un an et demi, réaffirmé que cette dette était bien celle de l'État et que ce dernier rembourserait la Nouvelle-Calédonie.
Cependant, rien n'a encore été fait et les tensions communautaires deviennent très vives en Nouvelle-Calédonie, où certains accusent les Wallisiens et Futuniens d'être responsables de l'insuffisance de l’offre de soins proposée aux Néo-Calédoniens.
Des heurts et des manifestations ont déjà eu lieu à Nouméa. Des évacués sanitaires venant de Wallis-et-Futuna ont même été refusés à l’hôpital de Nouméa, ce qui a entraîné – faut-il le rappeler ? – un décès.
Il n’est pas normal que l’État ne rembourse pas ses dettes à l’égard de la Nouvelle-Calédonie. Il n’est pas davantage normal que les habitants de Wallis-et-Futuna, qui sont pleinement Français et sont nombreux sous les drapeaux – le Président de la République l’a lui-même rappelé –, ne soient pas aussi bien traités et soignés que des étrangers en situation irrégulière…
Le rebasage du budget de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna doit donc servir à éviter la reconstitution d’une nouvelle dette et à faire des investissements – je crois, par exemple, qu’elle souhaite doter le territoire d’un scanner –, visant à réduire le nombre des évacuations sanitaires. Il ne saurait en aucun cas servir au remboursement de la dette actuelle.
Afin de calmer les tensions communautaires en Nouvelle-Calédonie et d’éviter la survenue d’événements qui pourraient être dramatiques, cet amendement tend simplement à prélever 2 millions d’euros sur la dotation de l’AME pour les verser à la Nouvelle-Calédonie. Un tel geste marquerait le début d’un apurement rapide de la dette de l’État à l’égard de cette collectivité.
Le montant total de l’AME est de 678 millions d’euros ; les Wallisiens et les Futuniens demandent non pas de le diminuer, mais d’affecter 2 millions d’euros au règlement d’un problème délicat entre deux collectivités françaises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. La commission des finances n’a pas eu l’occasion d’examiner cet amendement. Néanmoins, au moins deux de ses membres, sa présidente et moi-même, se sont déjà rendus à Wallis-et-Futuna.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Les habitants de ce territoire attendent toujours leur premier scanner. Ils sont donc très dépendants du soutien logistique de la Nouvelle-Calédonie, et plus particulièrement de l’hôpital de Nouméa.
D’après ce que m’a indiqué Robert Laufoaulu, la situation sur place en est parvenue au stade du conflit. L’hôpital de Nouméa refuse parfois des patients venus de Wallis-et-Futuna.
La dette de l’État se monte à 20 millions d’euros. Il faut absolument envoyer un signe à ces territoires : l’adoption de cet amendement en constituerait un. Affecter 2 millions d’euros au règlement de ce problème ne serait pas du luxe. Cela permettrait d’atténuer le conflit que crée la situation actuelle et que M. Laufoaulu essaie de calmer, ce qui explique son absence aujourd’hui. Ajoutons que Wallis-et-Futuna comptent trois rois…
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Moi, j’ai rencontré les trois !
À titre personnel, je suis favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur spécial, vous n’êtes pas le seul à connaître un peu Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie !
Vous proposez, monsieur Magras, d’augmenter de 2 millions d’euros la subvention de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna, afin qu’elle puisse commencer à apurer sa dette à l’égard du centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie.
Le Gouvernement partage évidemment votre préoccupation. Plusieurs mesures ont d’ailleurs été décidées afin de régler cette situation.
Premièrement, le Gouvernement a prévu, au sein du projet de loi de finances rectificative pour 2014, un abondement de 3 millions d’euros de la dotation de l’agence, afin de ne pas créer de nouvelle dette en 2014.
Deuxièmement, cet effort sera poursuivi en 2015. La dotation versée à l’agence de santé a été revalorisée de 2,5 millions d’euros, passant de 26 millions d’euros en projet de loi de finances initiale pour 2014 à 28,5 millions d’euros en projet de loi de finances pour 2015. Cette hausse de la dotation de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna doit à nouveau permettre d’éviter de constituer de nouvelles dettes en 2015, en améliorant le fonctionnement de l’agence.
Troisièmement, le Président de la République, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie, le 19 novembre dernier, a annoncé qu’une solution avait été trouvée pour l’extinction définitive de cette dette.
Il n’apparaît donc plus justifié de relever la subvention à l’agence de santé, les mesures nécessaires ayant été prises par le Gouvernement pour apurer la dette. Au bénéfice de ces explications, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Magras, l’amendement n° II-187 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Catherine Génisson. Il faut le retirer !
M. Michel Magras. Je peux entendre l’explication donnée par Mme la secrétaire d’État, et je pense que M. Laufoaulu l’entendra aussi.
Néanmoins, la mise en place du dispositif que vous proposez n’est pas encore effective et risque de prendre du temps, en tout cas plus de temps qu’annoncé. Depuis un an et demi, les engagements ont été pris et répétés, mais ils n’ont jamais été suivis d’effets concrets et immédiats.
Un geste doit donc être fait aujourd’hui, sous peine de risquer que la situation ne dégénère. Nos collègues du Pacifique sont inquiets. L’amendement est raisonnable : il ne prévoit qu’un geste d’apaisement, portant sur 10 % de la dette seulement et moins de 0,3 % du budget de l’AME ; il ne fait pas obstacle à la mise en place du système que vous proposez pour les 18 millions d’euros de dette restants.
Vous l’avez dit vous-même, madame la secrétaire d’État, pour l’essentiel, les augmentations du budget de l’agence prévues sont destinées à empêcher la création de nouvelles dettes. Il y a deux questions parallèles : il faut donner à Wallis-et-Futuna les moyens de ne pas créer de nouvelles dettes, d’une part, et lui permettre d’apurer une dette qui est en fait celle de l’État, d’autre part. Robert Laufoaulu a tenu à le rappeler : sur ce territoire, en effet, la santé est une compétence non pas du territoire, mais de l’État. Il faut se mettre à la place de la Nouvelle-Calédonie, où cette compétence est territoriale : quand un hôpital a un trou de 20 millions d’euros dans son budget, c’est le territoire qui doit trouver des solutions pour le combler.
Dès lors, dans l’immédiat, je souhaite maintenir cet amendement. Je pense en effet, mes chers collègues, que nous pourrions faire un geste à l’égard des habitants de Wallis-et-Futuna et de Nouvelle-Calédonie.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Là encore, c’est la porte ouverte à l’opposition entre des catégories différentes de patients, à la mise en concurrence entre les bénéficiaires de l’AME et ceux de la CMU. Il s’agit ici de ponctionner 2 millions d’euros sur les crédits de l’AME. Après tout, ceux qui en bénéficient le méritent-ils ?... Cette politique d’opposition, de ségrégation, est extrêmement dangereuse.
Depuis le début de l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le groupe CRC désapprouve le choix gouvernemental de la restriction budgétaire. Pour notre part, nous avons fait des propositions alternatives de financement par voie d’amendements, tous rejetés, y compris par vous-même, monsieur Magras, qui déplorez maintenant un manque d’argent. Vous auriez peut-être pu réfléchir à d’autres façons de financer notre système de protection sociale et de santé ! Il y a là une vraie contradiction.
Cette contradiction, d’ailleurs, est poussée à son paroxysme quand vous préconisez la mise en place d’un système de santé à plusieurs vitesses : il y aura la santé pour les pauvres et celle pour les nantis. Cela ne va pas ! Dans un régime démocratique, la protection sociale doit répondre à une autre logique, celle de la satisfaction des besoins humains.
Cet amendement, qui s’inscrit tout à fait dans la logique du précédent, va à l’encontre des principes que nous défendons. Il contribue à nourrir un climat particulièrement nauséabond !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. La préoccupation des auteurs de l’amendement est tout à fait légitime. Néanmoins, Mme la secrétaire d’État y ayant parfaitement répondu, cet amendement pourrait à mon sens tout à fait être retiré.
Cela étant, la façon dont vous envisagez de résoudre les problèmes de financement de la santé à Wallis-et-Futuna, en puisant dans les crédits dédiés à l’AME, est totalement inadmissible. Y aurait-il des misères plus dignes d’intérêt que d’autres ? Nous devrions avoir un débat serein sur cette question, mais, avec cet amendement, nous sombrons vraiment dans l’inacceptable !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Une fois n’est pas coutume, j’interviendrai sur le fond. J’ai la chance d’avoir, il y a bien longtemps, fait le voyage à Wallis-et-Futuna, et j’ai pu constater la réalité des problèmes de santé qui se posent dans ce territoire, particulièrement à Futuna.
Si elle avait pu examiner cet amendement, mon cher collègue, la commission des finances vous aurait probablement invité à le retirer.
Les Néo-Calédoniens vivent parfois mal l’arrivée de patients de Wallis-et-Futuna, nous le savons, mais nous examinerons dans quelques jours le projet de loi de finances rectificative. Dans cette attente, je vous invite à faire confiance au Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. L’annonce faite par le Président de la République il y a quelques jours à peine à Nouméa constitue, vous en conviendrez, monsieur le sénateur, un engagement très fort. Une solution a été trouvée et le sujet n’existe plus.
Dès lors, je réitère mon invitation à retirer cet amendement, ne souhaitant pas émettre un avis défavorable sur cet amendement, même si la compensation proposée est discutable.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Madame Cohen, vous n’avez pas, je pense, bien compris le sens de ma démarche. Cet amendement ne s’inscrit pas dans la logique du précédent. La situation est différente : l’État a une dette importante à l’égard d’une collectivité, qu’il met de ce fait en difficulté.
Cela étant, j’entends la volonté de l’État de régler le problème. Il s’agit, au travers de cet amendement, d’alerter le Sénat et le Gouvernement sur l’urgence de régler une difficulté réelle. Les propos tenus par Mme la secrétaire d’État me donnent à penser que le Gouvernement s’engage à ce qu’une solution soit trouvée. Si je maintiens cet amendement et qu’il est adopté, je sais très bien que sa vie sera très brève : elle prendra fin dans quelques jours à l’Assemblée nationale.
Ce débat a été intéressant ; je pense que vous avez tous pris conscience du problème qui se pose dans ces territoires. Il n’est pas question d’une santé pour les pauvres et d’une santé pour les riches : tout le monde doit être soigné. L’État doit assumer ses responsabilités en matière de santé.
Cela étant dit, je retire l’amendement.
M. le président. L'amendement n° II-187 rectifié bis est retiré.
Nous allons maintenant procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Santé », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix les crédits de la mission, modifiés.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 52 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 184 |
Contre | 151 |
Ces crédits sont adoptés.
J’appelle en discussion l’article 59 sexies et l’amendement qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Santé ».
Santé
Article 59 sexies (nouveau)
I. – L’article L. 253-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Les mots : « , établissements de santé » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les demandes en payement des prestations par les établissements de santé doivent, sous peine de forclusion, être présentées dans le délai mentionné à l’article L. 162-25 du code de la sécurité sociale. »
II. – Le I s’applique aux prestations fournies à compter du 1er janvier 2015.
M. le président. L'amendement n° II-69, présenté par M. Delattre, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° Les mots : « en payement » sont remplacés par les mots : « de paiement » et le mot : « doivent » est remplacé par le mot : « sont » ;
1° bis Les mots : « , établissements de santé » et le mot : « être » sont supprimés ;
II. – Alinéa 4
1° Remplacer les mots :
en payement
par les mots :
de paiement
et le mot :
doivent
par le mot :
sont
2° Supprimer le mot :
être
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. J’appelle en discussion l’amendement tendant à insérer un article additionnel qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Santé ».
Article additionnel après l'article 59 sexies
M. le président. L'amendement n° II-1, présenté par M. Savary, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Après l’article 59 sexies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – La section II du chapitre II du titre IV de la première partie du livre Ier du code général des impôts est complétée par un XIII ainsi rédigé :
« XIII. – Participation à l’aide médicale de l’État.
« Art. 968 F – Le droit aux prestations mentionnées à l’article L. 251-2 du code de l’action sociale et des familles est conditionné par le paiement d’une participation annuelle d'un montant de 50 € par bénéficiaire majeur. »
II. – Le premier alinéa de l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles est complété par les mots : « , sous réserve, s’il est majeur, de s’être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge telles que définies ci-dessus, de la participation annuelle mentionnée à l’article 968 F du code général des impôts ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. Cet amendement est dans la droite ligne du débat que nous avons eu précédemment.
Afin de responsabiliser les patients en termes de recours au système de soins, l’article 20 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a instauré une contribution forfaitaire sur les actes médicaux et les actes de biologie dont le plafond annuel est fixé à 50 euros.
Cet amendement vise à instituer une participation comparable pour les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. Le montant de la participation serait identique au plafond de la participation forfaitaire de droit commun en vigueur depuis le 1er janvier2005, soit 50 euros.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Francis Delattre, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné cet amendement qui a été adopté par la commission des affaires sociales. Toutefois, à titre personnel, j’y suis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-1.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 53 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 185 |
Contre | 151 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 59 sexies.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 1er décembre 2014, à dix heures, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (n° 107, 2014-2015).
Examen des missions :
- Justice (+ articles 56 à 56 quater).
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial (rapport n° 108, tome 3, annexe 18) ;
M. Jean René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois (avis n° 114, tome 8) ;
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois (avis n° 114, tome 9) ;
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la commission des lois (avis n° 114, tome 10).
- Action extérieure de l’État.
MM. Éric Doligé et Richard Yung, rapporteurs spéciaux (rapport n° 108, tome 3, annexe 1) ;
M. Christian Cambon et Mme Leila Aïchi, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (avis n° 110, tome 1) ;
MM. Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (avis n° 110, tome 2) ;
M. Jean-Pierre Grand et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (avis n° 110, tome 3) ;
M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis de la commission de la culture (avis n° 112, tome 1).
- Engagements financiers de l’État.
Compte spécial : accords monétaires internationaux.
Compte spécial : avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics.
Compte spécial : participation de la France au désendettement de la Grèce.
Compte spécial : participations financières de l’État
M. Serge Dassault, rapporteur spécial (rapport n° 108, tome 3, annexe 13) ;
M. Maurice Vincent, rapporteur spécial (rapport n° 108, tome 3, annexe 21) ;
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques (avis n° 109, tome 9).
- Remboursements et dégrèvements.
Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale (rapport n° 108, tome 3, annexe 27).
- Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation (+ articles 48 à 50).
M. Marc Laménie, rapporteur spécial (rapport n° 108, tome 3, annexe 5) ;
M. Jean Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales (avis n° 111, tome 1).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART