M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’article 265 bis A du code des douanes prévoit une réduction de 3 euros par hectolitre de biodiesel, tandis que l’article 266 quindecies assujettit le gazole à la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, à l’exception du biodiesel.
Il existe donc un régime spécifique favorable au biodiesel. Faut-il aller plus loin ? La commission n’a pas eu les moyens de mener une expertise plus approfondie, faute, comme le disait Gérard Longuet, de connaître les volumes réels vendus.
La commission demande donc le retrait de ces amendements, le biodiesel bénéficiant déjà de deux dispositifs fiscaux incitatifs. Elle souhaite toutefois connaître l’avis du Gouvernement, qui a peut-être des arguments en faveur de l’opportunité de créer une fiscalité spécifique pour ce type de carburant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’observe, tout d’abord, que l’adoption de l’amendement n° I-155 rectifié ter alourdit la fiscalité sur les carburants. On pourrait certes penser que moins 1 centime, d’un côté, et plus 1 centime, de l’autre, c’est une opération neutre. Or une diminution de 1 centime concerne au maximum un tiers de la consommation, tandis qu’une augmentation du même montant porte sur les deux tiers. Le Gouvernement, je tiens à le dire, n’était pas demandeur de cette augmentation de la fiscalité sur les carburants décidée par le Sénat.
La mesure préconisée par les auteurs des amendements nos I-300 et I-352 constituerait, comme l’a dit le rapporteur général, un nouvel avantage fiscal, qui viendrait s’ajouter à la défiscalisation et à la TGAP sur les biocarburants, sans aucun gain supplémentaire pour l’environnement.
Dès lors que les émissions de CO2 de ce carburant ne sont pas significativement différentes de celles du diesel, la mesure proposée s’inscrirait en contradiction avec l’introduction de la composante carbone de la TICPE, fondée sur les émissions à la combustion des produits, en créant de ce fait un avantage indu pour le gazole B30, qui, par ailleurs, peut présenter d’autres inconvénients en matière environnementale, notamment en termes d’émissions de particules fines.
La situation particulière du carburant E85 que vous mentionnez ne justifie pas la création de nouvelles niches fiscales. La mise en place d’un tarif spécifique créerait d’ailleurs une charge administrative disproportionnée par rapport aux enjeux fiscaux – vous l’avez d’ailleurs signalé, monsieur Longuet, car vous maniez aussi bien que moi les tables de multiplication –, lesquels sont relativement faibles.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je suis curieux de savoir ce que signifient les mots « faible impact environnemental », que l’on peut lire dans l’objet de ces amendements. En effet, je ne vois pas la différence entre le carburant B30 et les autres gazoles en termes d’émission de CO2. S’il y en a une, il faudra me le démontrer techniquement.
Le seul argument qui tienne est celui de l’indépendance énergétique, mais il n’est pas d’ordre environnemental, seulement économique ! Et encore cet impact est-il limité puisqu’il reste 70 % de gazoles « normaux »...
Par ailleurs, des essais ont été faits sur des bus urbains avec du B30. On les a arrêtés, car cela posait des problèmes techniques qui mettaient en jeu la longévité des moteurs.
M. Jacques Chiron. Exactement !
M. Jean Bizet. Ce problème a été corrigé !
M. Daniel Raoul. Nous sommes donc revenus, pour ces véhicules, à des moteurs diesels classiques conformes à la norme antipollution Euro 6. Le B30 nous a beaucoup déçus !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. N’ayant pas une compétence totale sur le sujet, je laisserai Jean Bizet compléter ma réponse.
Nous avons en effet tenu à souligner le faible impact environnemental du gazole B30 au regard des émissions de CO2 : ce carburant, qui contient 30 % de biodiesel, a un solde neutre en CO2 puisqu’il ne fait que restituer ce qu’il a précédemment absorbé.
Voilà qui devrait satisfaire ceux qui considèrent que le CO2 est un ennemi impitoyable qu’il faut combattre avec une sévérité de tous les instants !
Jean Bizet brûle de vous répondre sur la question des moteurs...
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. Je suis tout à fait d’accord avec Gérard Longuet : tout végétal absorbe du CO2, en plus ou moins grande quantité. Avoir 30 % de biodiesel dans un carburant, c’est donc un plus du point de vue environnemental.
Pour ce qui concerne la fiabilité des moteurs fonctionnant avec ce type de carburant, vous avez raison, monsieur Raoul : il y a eu des problèmes, mais ils ont été techniquement corrigés. Ce que vous avez dit était vrai, mais ne l’est plus !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-300 et I-352.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° I-271, présenté par M. Doligé, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 1 à 3
Supprimer ces alinéas.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Cet amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° I-41, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
III. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 avril 2015, un rapport précisant et expertisant les différentes mesures envisagées afin de financer durablement l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement concerne également la fiscalité des carburants, une fiscalité affectée en raison de l’épisode malheureux de l’écotaxe, sur lequel je ne reviendrai pas, mais qui coûte 800 millions d’euros...
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Après la suppression de l’écotaxe, le Gouvernement a fait le choix d’affecter une partie de la hausse de 2 centimes sur le diesel à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France. Je regrette à titre personnel, comme de nombreux membres de la commission des finances, notamment Marie-Hélène Des Esgaulx, cette solution adoptée dans l’urgence. Elle est en effet de nature fondamentalement différente de l’écotaxe, laquelle présentait l’avantage de faire payer les poids lourds étrangers qui traversent la France sans verser un centime de contribution et qui, on le sait, n’achètent pas forcément leur carburant dans notre pays, mais parfois à la frontière.
M. Charles Revet. Presque toujours !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous nous rallions donc à cette solution à regret.
Le Gouvernement a proposé un arrondissement de la fiscalité sur le gazole à hauteur de 807 millions d’euros, lesquels seront affectés à l’AFITF, qui, sinon, ne recevrait quasiment aucune recette au titre de l’année 2015. Mais cette mesure est prévue pour 2015 seulement. Qu’adviendra-t-il ensuite ? La hausse de 2 centimes, théoriquement temporaire, sera-t-elle pérennisée ? Le Gouvernement a la chance que le prix du baril soit actuellement faible ; ce type de hausse est plus facilement accepté en période de baisse du prix à la pompe...
Faute de ressources pérennes, l’AFITF, dont Gérard Longuet a été président, se trouverait confrontée à de grandes difficultés en 2016. La commission souhaite donc que le Gouvernement s’engage sur des mesures permettant d’assurer une recette pérenne susceptible de remplacer l’écotaxe, en vue d’assurer le financement de l’AFITF en 2015. Pour l’année 2015, nous nous contenterons de cette solution d’urgence, même si nous la regrettons.
Je le répète, le Gouvernement a bien précisé que cela ne s’appliquerait qu’en 2015. Quid après ?
Nous demandons donc que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 30 avril 2015, un rapport qui recense les pistes qu’il envisage pour remplacer de manière définitive la perte de recettes et assurer un financement à l’AFITF. Les besoins en matière de transports sont partout, et il est indispensable que le Gouvernement s’engage. Les entreprises de travaux publics ont également besoin de visibilité, car les programmes d’investissement et les charges de travail se prévoient à l’avance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je suis très étonné de l’engouement de la majorité sénatoriale pour l’écotaxe. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On l’a votée !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Dès qu’il est question de la fin de l’écotaxe, ce n’est que larmes, regrets, atermoiements.
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, rien ne vous empêche de remettre l’écotaxe en place,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle est en place !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est le contrat qui a été rompu !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … de prévoir les recettes nécessaires et les modalités de son recouvrement. Assumez !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est une blague ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non, ce n’est pas une blague ! On ne peut pas tenir de double discours. Le Gouvernement, lui, assume ses responsabilités.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pas vraiment !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il les assume tellement qu’il a la volonté de mettre au crédit de l’AFITF des moyens financiers à hauteur de 1,9 milliard d’euros. Pour ce faire, il demande une contribution supplémentaire de 2 centimes par litre de gazole consommé, même s’il connaît les limites et les inconvénients de ce dispositif.
Le Gouvernement est parfaitement conscient que les poids lourds qui traversent notre territoire peuvent pour beaucoup échapper à cette contribution. Il étudie d’autres pistes avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes et explore les voies législatives que les contraintes européennes et constitutionnelles françaises laissent à sa disposition. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ces solutions en détail, mais tout le monde n’était pas présent, et je ne voudrais pas donner aux fidèles de cet hémicycle l’impression que je me répète. Il peut, par exemple, s’agir d’une vignette.
Un travail avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes s’impose, car un dispositif fiscal paraît difficile. Le Premier ministre a d’ailleurs engagé une discussion avec ces sociétés, qui, je l’espère, aboutira à des solutions. Faute de quoi, il faudra probablement aller plus loin et envisager une dénonciation des contrats et une remise en adjudication dans des conditions financières autres que celles qui ont été choisies par le gouvernement de l’époque. Ce n’est pas notre souhait. Nous préférons une solution amiable.
Nous avons également eu des discussions avec la société Ecomouv’. Nous avons émis des réserves sur des éléments qui n’ont pas été respectés, ce qui nous a conduits à dénoncer le contrat.
Il est irritant de voir certains d’entre vous se complaire dans une posture qui consiste à rejeter la faute sur nous, à nous reprocher d’avoir renoncé à l’écotaxe et à nous rendre responsables des difficultés actuelles. Je rappelle que les manifestations contre l’écotaxe ont parfois reçu un large soutien de certains parlementaires.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils n’étaient pas majoritaires !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes au Sénat !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne dis pas qu’il s’agit de ceux qui sont présents ce soir dans cet hémicycle. Je me rends aussi souvent dans une autre assemblée, et j’y entends régulièrement des élus, notamment bretons, dont je ne citerai pas les noms – ils se coiffent volontiers du bonnet rouge ! –, se féliciter d’avoir mis en échec l’écotaxe.
M. Jacques Chiron. Et qui l’avaient votée !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’assume !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En l’occurrence, celui auquel je pense, car tout le monde a deviné à qui je faisais allusion, se vante régulièrement de s’être abstenu sur cet article, même s’il a voté le texte dans sa globalité. Je prends acte de cette position. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas, même si cela n’honore pas beaucoup la vie parlementaire…
M. Gérard Longuet. Ni l’action gouvernementale !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … et ne facilite pas la mise en œuvre des politiques décidées par le Parlement.
Reconnaissons tout de même que les responsabilités sont très largement partagées. La conception et la signature du contrat de l’État avec la société Ecomouv’ en sont une parfaite illustration ; il n’est qu’à se rappeler la date.
M. Michel Bouvard. Cela ne répond pas à la question !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous dire que ce n’est pas ce gouvernement qui a signé le contrat serait tout de même trop facile. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vraiment ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je n’irai pas sur ce terrain. Je pense que la défaillance est collective.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mais enfin, madame Des Esgaulx, vous avez présidé une commission d’enquête sur le sujet !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Justement !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous connaissez donc les tenants et aboutissants de ce problème. Pouvez-vous affirmer ici, publiquement, qu’il était facile et responsable de conduire le contrat Ecomouv’ à son terme ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bah oui !
M. Jacques Chiron. Tout à fait !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Assumez et dites que, dans ce projet de loi de finances, il faut relancer l’écotaxe pour dégager des recettes pour l’AFITF.
Le Gouvernement sait qu’il est dans une situation difficile. Il l’a exposé avec beaucoup de transparence. Il continue à travailler avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes et avec la société Ecomouv’ pour trouver d’autres pistes de financement.
Monsieur le rapporteur général, revenons à votre amendement et aux remarques que vous avez formulées. Le Gouvernement peut toujours produire un rapport, mais la situation ne cesse d’évoluer, et je doute qu’un tel document contribue à solder et à résoudre le problème.
M. Gérard Longuet. C’est un rendez-vous !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement peut prendre l’engagement devant vous de tenir régulièrement le Parlement informé des discussions en cours, en respectant bien évidemment le secret des affaires et le déroulement des négociations, même si je le fais déjà régulièrement.
L’augmentation de 2 centimes d’euro de la TICPE sur le gazole n’a pas de limite dans le temps. En revanche, l’affectation de ce produit à l’AFITF est décidée pour une année seulement.
M. Charles Revet. Ah bon ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les transporteurs n’ont pas compris cela !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il sera toujours temps de reconduire cette affectation au profit de l’AFITF en 2016, si d’autres solutions ne sont pas trouvées : taxe d’aménagement du territoire,…
M. Michel Bouvard. C’est la taxe Pasqua de 1995 !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … vignette, renégociation des contrats avec la société concessionnaire...
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’État, toutes les pistes que vous avez évoquées – vignette, contribution des sociétés autoroutières… – nous donnent très envie de vous entendre. C’est pourquoi la date du 30 avril 2015 fixe un rendez-vous qui permettra au Gouvernement de tenir informé le Parlement.
M. Charles Revet. Oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le prélèvement de 2 centimes est fixé sans limitation de temps. En revanche, l’affectation à l’AFITF ne durera qu’un an. Le Parlement veut donc savoir quelle recette sera pérennisée. Voilà pourquoi il souhaite ce rendez-vous. Il n’y a ni malice ni intention particulière derrière cette demande. Il s’agit de connaître les différentes pistes envisageables pour remplacer durablement la perte de recettes de l’écotaxe et travailler dans la sérénité, car l’AFITF a besoin de financement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je soutiens cet amendement. Ce rendez-vous est indispensable et, à tout prendre, fixer une date est une façon d’exercer une sorte de pression morale pour que le Gouvernement ordonne ses idées.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous demandez pourquoi nous ne rétablissons pas ce prélèvement magique. Pour une raison très simple : vous ne l’avez pas supprimé.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Gérard Longuet. La loi a posé le principe de l’écotaxe, elle est toujours valide. Vous avez suspendu la mise en œuvre de l’écotaxe par une décision réglementaire qu’il n’appartient pas au Parlement de remettre en cause. C’est le Gouvernement qui a décidé sa suppression motu proprio, sans aucune consultation et sans aucun débat, ni avec sa majorité ni avec les autres parlementaires.
En l’espèce, et ce n’est pas une attaque personnelle, vous avez fait preuve d’une extrême émotivité. Le fait que les Bretons disposent d’un réseau routier gratuit depuis toujours est assez largement justifié par le caractère excentré de leur région.
M. Michel Canevet. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. On peut donc comprendre qu’ils soient opposés à une écotaxe, et une fraction d’entre eux – pas tous – l’ont exprimé avec force.
En matière d’infrastructures routières, on compte au moins deux catégories de régions françaises qui sont très fortement demanderesses d’équipements et d’infrastructures financés par les poids lourds.
Il s’agit, d’une part, des régions lotharingiennes, qui assurent la liaison entre le nord et le sud de l’Europe – c’est l’une des fonctions de notre pays. Leurs autoroutes, routes nationales, voire départementales sont saturées par des poids lourds étrangers qui ne payent aucune TICPE en France. En effet, ceux-ci font le plein à la frontière et peuvent traverser notre pays sans acheter un litre de carburant. Certains payent les péages lorsqu’ils empruntent l’autoroute, mais tous n’utilisent pas ce réseau, et ils dégradent fortement nos infrastructures. D’ailleurs, il existe des itinéraires gratuits. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes lorrain, comme moi, et vous connaissez bien la situation de l’A31. Elle est saturée, sans péage, donc sans ressources, et aucune solution ni aucune perspective ne sont envisageables.
Il s’agit, d’autre part, de la région parisienne. Les infrastructures y sont les plus coûteuses, elles sont même ruineuses en termes d’investissements, sont manifestement saturées, notamment par des poids lourds étrangers, et sont pourtant dépourvues de postes de péage.
Lorsqu’un provincial prend l’autoroute, il paye l’utilisation de ce réseau au premier kilomètre : il rencontre immédiatement un péage. C’est en quelque sorte le premier contact avec la civilisation une fois qu’il a quitté sa route départementale. (Exclamations amusées sur diverses travées.) En région parisienne, pour les raisons historiques que nous connaissons – je ne dresserai pas la liste des ministres de l’équipement qui ont reporté les premiers péages à soixante kilomètres pour l’A6 ou à trente kilomètres pour l’A4 –, des décisions funèbres ont rendu la grande francilienne et l’A86 gratuites.
Monsieur le secrétaire d’État, si votre collègue en charge de ces questions avait eu le sang-froid d’ouvrir une négociation avec les régions et les départements et si elle avait eu la sagesse de consulter les commissions du Parlement, elle se serait rendue compte que, certes, il y a des Bonnets rouges, dont on peut parfaitement comprendre l’exaspération sur certains points, mais qu’il n’était pas nécessaire de sacrifier un principe d’ensemble sur lequel il est aujourd'hui indispensable de revenir.
Vous n’osez pas proposer de texte pour abolir l’écotaxe, parce que vous savez que vous n’aurez pas de majorité. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. L’intervention de Gérard longuet va me permettre d’être plus synthétique et de prolonger les propos que j’ai tenus lors de la discussion générale.
Les enjeux sont doubles : d’une part, l’attractivité du territoire et, d’autre part, la qualité de vie de nos concitoyens, à travers les infrastructures de transports urbains. Dans les deux cas, nous faisons face depuis maintenant vingt-cinq ans à un problème de recettes.
En 1995, Charles Pasqua créait le Fonds d’investissement des transports terrestres et des voies navigables, dans la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, alimenté par deux taxes, l’une sur l’énergie hydraulique et l’autre sur les autoroutes – déjà ! – dite « taxe d’aménagement du territoire ».
Quelques années plus tard, le gouvernement Jospin supprimait le FITTVN, considérant que le dispositif était trop compliqué. On a alors privé le système des infrastructures d’une ressource régulière.
Un soir, en catastrophe, on privatise la société ESCOTA, c'est-à-dire la société d’autoroutes de la Côte d’Azur. J’en ai un souvenir très précis, car j’ai été obligé de demander une suspension de séance pour qu’on me dise combien elle valait. Ce fut la première privatisation autoroutière.
Par la suite, un nouveau système a été envisagé par Gilles de Robien, qui a proposé d’affecter les dividendes des sociétés autoroutières au financement d’un plan autoroutier. Cette idée n’aura vécu que quelques jours, jusqu’à la déclaration de politique générale de Dominique de Villepin, qui a décidé de privatiser les autoroutes, contre l’avis de la commission des finances de l’Assemblée nationale, de son rapporteur général Gilles Carrez, de votre serviteur et de quelques autres, qui se sont battus jusqu’au bout pour que cette privatisation ne se fasse pas. Au moins notre combat n’aura-t-il pas été inutile puisque le prix des autoroutes a été réévalué. Cela a d’ailleurs coûté sa tête au commissaire général au plan, qui a été débarqué quelques jours après avoir communiqué à la commission des finances de l’Assemblée nationale les taux d’actuarisation des sociétés d’autoroutes.
Aujourd’hui, nous faisons toujours face au même problème : un manque de courage collectif. Nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur une recette stable pour financer les infrastructures. Alors que l’écotaxe a été votée à l’unanimité, il ne s’est pas trouvé grand monde pour la défendre le jour où les premiers manifestants sont apparus…
Comme l’a dit Gérard Longuet, peut-être aurions-nous pu trouver une autre solution avec un peu plus de sang-froid. Il aurait suffi de rassembler les bonnes volontés, dans la majorité comme dans l’opposition, prêtes à prendre des responsabilités, notamment celles qui avaient le recul nécessaire pour comprendre le problème récurrent de financement des infrastructures.
Je pense qu’il ne faut pas prendre l’amendement du rapporteur général comme une critique. Bien sûr, il s’agit de savoir combien cette affaire aura coûté au final, compte tenu du dédommagement d’Ecomouv’. Bien sûr, la majorité considère que le contrat avec Ecomouv’ n’était pas satisfaisant et qu’il a fait la part belle à l’entreprise, mais la question est de savoir comment trouver enfin une recette stable.
Vous nous dites, monsieur le secrétaire d’État, avec beaucoup d’honnêteté, que l’augmentation du gazole sera affectée à l’AFITF pour un an. Or nous devrons déposer dans quelques semaines des dossiers devant la Commission européenne pour le financement de deux infrastructures, dont le Gouvernement, avec beaucoup de courage et de lucidité, a décidé qu’elles étaient utiles : le canal Seine-Nord et la ligne ferroviaire Lyon-Turin.
L’Union européenne, qui sait que le programme RTE-T, le réseau transeuropéen de transport, n’a jamais été exécuté tel que cela était prévu dans les contrats budgétaires, attend évidemment des assurances sur notre capacité de financement. Pour cela, il ne suffit pas de dire que l’on va prévoir une ligne budgétaire. Il faut apporter la preuve que la recette existera et qu’une ressource sera affectée à ces ouvrages, afin qu’ils puissent être financés dans la durée. C’est un enjeu d’attractivité pour notre pays comme pour l’Europe.
Loyola de Palacio – c’était une amie –, qui a été commissaire européen aux transports, a indiqué à plusieurs reprises que le déficit d’infrastructures coûtait 0,7 point de croissance à l’Europe. Sans doute ce 0,7 point de croissance manque-t-il aujourd'hui également à notre pays.
Monsieur le secrétaire d’État, des parlementaires de bonne volonté sont prêts à travailler sur ce sujet d’intérêt général, qui peut nous réunir. Le rapport que souhaite M. le rapporteur général doit nous permettre de faire des constats, d’ouvrir des voies et d’affecter, enfin, de façon responsable, une recette pérenne aux infrastructures de transport. Cette recette ne doit pas être fragilisée, voire supprimée à chaque alternance, au motif que ce qui a été fait avant n’était pas satisfaisant. N’écrivons pas aujourd'hui un nouvel épisode de ce feuilleton qui dure depuis vingt-cinq ans ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je suis très favorable à ce rapport.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes moqué de notre engouement pour l’écotaxe, mais je rappelle, comme cela a été très bien dit avant moi, que le Parlement a voté cette taxe, laquelle figure toujours dans le code des douanes, comme cela est indiqué dans les conclusions du rapport de la commission d’enquête que j’ai présidée.
Le Parlement a été méprisé, tout simplement parce que, dans sa très grande majorité, il était favorable au maintien de l’écotaxe. En effet, nombre d’élus doivent faire construire une route, un pont ou une infrastructure quelconque et attendent beaucoup des contrats de projets État-région. Or nous savions que, tant que l’écotaxe ne serait pas mise en œuvre – les préfets ne cessaient de nous le dire –, tous les contrats de projets État-région seraient à l’arrêt. C’est d’ailleurs toujours le cas à l’heure actuelle.
Selon moi, l’écotaxe n’a pas eu de chance. Il a fallu un temps considérable pour la mettre en œuvre, notamment en raison d’un contentieux, mais aussi certainement de retards de la part de la société Ecomouv’. Finalement, cette taxe est arrivée au mauvais moment. Elle a coïncidé avec un ras-le-bol des Français pour les impôts. C’est tombé sur cette taxe, cela aurait pu tomber sur une autre. C’est bien dommage !
Le Gouvernement, cela nous a été confirmé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, a envoyé une lettre de résiliation du contrat à la société Ecomouv’. Or, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement n’assume pas ses décisions, car il n’a pas inscrit l’indemnité de résiliation du contrat dans le projet de budget pour 2015. On sait que, dans le meilleur des cas, la résiliation étant intervenue avant le 31 octobre, le montant de cette indemnité s’élèvera à 830 millions d’euros. Puisqu’elle ne figure pas dans le projet de loi de finances, cela signifie-t-il que l’AFITF sera amenée à la payer un jour ou l’autre ? Dans ce cas, elle ne pourra plus financer d’infrastructures de transport. Nous sommes donc bien face à une difficulté.
Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que nous avons non seulement perdu une recette, mais aussi une technologie excellente et qui fonctionne, comme en atteste le document signé au mois de juin auquel la commission d’enquête a pu avoir accès. L’État y reconnaissait que le système fonctionnait et prévoyait sa mise à disposition le 20 mars 2014. Il ne peut donc pas dire aujourd'hui qu’il y a eu des problèmes de fonctionnement.
En résumé, cette affaire se solde par une perte de recettes, par la mise à la poubelle d’une technologie qui fonctionne, par la résiliation d’un contrat, pour un coût de 830 millions d’euros, et par le discrédit de la parole de l’État. C’est grave de signer des contrats de cette importance et de revenir sur ce qui y a été prévu !
Quant à l’argument du caractère anticonstitutionnel du contrat, il ne tient pas du tout. Les professeurs de droit auditionnés par la commission d’enquête nous l’ont dit. La société Ecomouv’ n’est pas un collecteur d’impôt, elle se contente de facturer : le produit de la taxe ne passe pas par ses comptes bancaires.
Le cafouillage est total : Mme Ségolène Royal a déclaré hier que ce n’est pas l’écotaxe qui est suspendue, c’est le contrat avec Ecomouv’. Il n’y pas mieux pour tout compliquer et pour faire croire n’importe quoi aux Français !
Quant à M. le Président de la République, il a déclaré qu’il était favorable à une expérimentation en Alsace. Or le contrat étant résilié, comment procédera-t-on à une telle expérimentation ? Avec quel matériel ? Avec quel personnel ? Tout cela n’est vraiment pas sérieux.
Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiens l’amendement de M. le rapporteur général. Ce rapport sera un grand rendez-vous pour une véritable clarification. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)