Mme Esther Benbassa. Ah ! voilà !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. D’ailleurs, nous le faisons ! Affirmer à la tribune que ce projet de loi ne comporte pas de mesures préventives, sans rappeler toutes celles que nous avons mises en place mais qui ne figurent pas dans le texte parce qu’elles ne relèvent pas du domaine législatif, ne me paraît pas très convenable.
Chacun d’entre nous a bien entendu le droit de dire ce qu’il pense, mais il faut le faire avec une exigence de rigueur, de sincérité et de précision, afin que nous puissions au moins être d’accord sur la réalité du sujet qui nous occupe.
Mme Esther Benbassa. Vous exagérez !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux maintenant répondre à Mme Assassi, à Mme Benbassa, à M. Gorce sur une question nullement dérisoire, qui mérite d’être posée : celle de l’arbitrage constant entre le respect des libertés publiques et la nécessité de protéger les citoyens.
Concernant l’interdiction administrative de sortie du territoire, qu’ils me permettent de dire que leur raisonnement me paraît erroné en droit. Selon eux, il y aurait un « bon » juge, absolument protecteur des libertés publiques en toutes circonstances, le juge judiciaire, et un « mauvais » juge, bras armé du Gouvernement qu’il aiderait dans toutes les basses manœuvres que celui-ci voudrait accomplir, le juge administratif.
Or cela ne correspond pas du tout à l’état du droit en France. En effet, le juge administratif est l’un des juges qui, dans l’histoire de notre droit, lorsque des gouvernements ont pu être suspectés de vouloir attenter aux libertés publiques, s’est dressé face à eux pour défendre ces libertés. Sans entrer dans le détail de la riche jurisprudence du Conseil d’État, je citerai quelques arrêts parmi ceux qui ont été les plus cités, comme l’arrêt Canal de 1962 ou l’arrêt Benjamin de 1933. Tous ces arrêts de la jurisprudence administrative figurent parmi les décisions de justice les plus protectrices des libertés publiques.
À l’inverse, des décisions prises par le juge judiciaire ont pu paraître attentatoires à un certain nombre de libertés et furent contestées, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à la capacité du juge judiciaire de défendre en toutes circonstances les libertés publiques.
Alors, pourquoi opposer ainsi les deux ordres de juridictions, pourquoi instaurer une telle frontière ? Pourquoi invoquer une dichotomie qui ne correspond en rien à la réalité ?
Par ailleurs, M. Gorce a estimé que les mesures que nous proposons d’instaurer concernant internet ne sont pas convenables.
M. Gaëtan Gorce. J’ai plutôt dit qu’elles ne sont pas cohérentes !
Mme Esther Benbassa. Un peu de bonne foi, monsieur le ministre, tout de même !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous avez avancé plusieurs arguments, monsieur le sénateur, qui ont une certaine force.
Le premier de vos arguments est technique. Vous dites que le dispositif de blocage des sites n’est pas imparable et peut être contourné. C’est la vérité : je l’ai dit moi-même devant l’Assemblée nationale et je le confirme ici.
En revanche, dire que c’est un jeu d’enfant de le contourner n’est pas tout à fait exact. J’en ai parlé avec des hébergeurs et des opérateurs, ainsi qu’avec certains responsables de la CNIL : ils pensent que de 20 % à 30 % des personnes confrontées à un blocage ne pourraient pas le contourner. Un tel pourcentage est, à mes yeux, déjà considérable au regard du difficile combat que je mène !
M. Gaëtan Gorce. Je vous en donne acte !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je pense donc que, en dépit de ses limites, le blocage est tout de même une mesure qui a son utilité.
Le deuxième argument que vous avez évoqué a trait aux modalités techniques du blocage. Il existe plusieurs possibilités, d’efficacité variable, et je dois reconnaître que plus le dispositif est intrusif, plus il est efficace.
Il s’avère que j’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale, en précisant quelles étaient les modalités du blocage, de ne pas mettre en place un dispositif intrusif, parce que je ne souhaite pas que la mesure soit attentatoire aux libertés publiques. Lors de l’examen de l’article 9, je préciserai de manière extrêmement fine ce que seront les modalités techniques, pour vous apporter toutes garanties à cet égard. J’expliquerai d’ailleurs comment nous créerons les conditions de droit pour tenir l’engagement que j’évoquais et que je renouvelle devant vous.
Les opérateurs nous ont, là aussi, apporté des éléments extrêmement intéressants. Ils nous ont notamment indiqué qu’ils bloquaient des contenus de leur propre initiative. Ainsi, au début de la discussion générale, j’ai parlé d’une vidéo que la presse évoquait ce matin et dont le verbatim est assez monstrueux : or on m’indique à l’instant qu’elle a été retirée par les opérateurs eux-mêmes.
Quand les opérateurs retirent de leur propre chef une vidéo parce qu’ils estiment qu’ils ne doivent pas la diffuser en raison des risques qu’elle présente en matière d’incitation à la haine, d’apologie du terrorisme ou de provocation à commettre des actes terroristes, il ne s’agit pas d’un acte de censure, mais c’en serait un lorsque je propose d’intervenir en ce sens pour des raisons tenant à l’ordre public ?
Je rappelle en outre que la mesure qui figure à l’article 9 ne vise pas au blocage des sites : c’est un appel à la responsabilité des opérateurs, lesquels ne manqueront pas de se montrer responsables puisque, comme je viens de vous l’indiquer, ils bloquent déjà d’eux-mêmes des images, par exemple YouTube. S’ils ne le font pas, alors, nous proposerons le blocage, avec la part d’incertitude que cela comporte, et nous le ferons sous le contrôle du juge administratif, qui est garant des libertés publiques.
Vous me demandez pourquoi nous ne prévoyons pas que ce soit sous l’autorité du juge judiciaire. C’est une très bonne question : j’aurais pu, en effet, m’inscrire dans la continuité de ce qui avait déjà été acté ou envisagé auparavant. Si je ne le fais pas, c’est parce que cela me pose un problème extrêmement concret que je veux vous décrire et sur lequel je vous demande de me donner, si vous en avez, des solutions autres que celles que j’ai envisagées.
Car je ne peux pas, pour ma part, compte tenu des règles à respecter dans la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire - et auxquelles vous êtes tous attachés puisqu’elles relèvent de la séparation des pouvoirs –, donner d’instructions à un procureur de la République quand je constate qu’une telle vidéo est diffusée.
Si le juge judiciaire n’enclenche pas lui-même la procédure, je ne peux le saisir que dans un cas, qui a été précisé par le tribunal de grande instance de Paris à l’occasion d’une ordonnance rendue en juillet 2012 à propos de l’affaire Copwatch. Le tribunal a indiqué que mon ministère, qui a la charge de prévenir, ne peut intervenir que pour autant que le sujet le concerne directement, c'est-à-dire concerne son administration, son fonctionnement, ses propres services, ce qui n’est pas le cas dans la matière dont nous traitons.
Ainsi, pour faire en sorte que le juge judiciaire agisse en cette matière, faute d’avoir la capacité de le saisir moi-même, je n’ai pas de solution !
À partir du moment où je n’en ai pas en droit, je propose d’appeler l’attention des hébergeurs et des éditeurs, de le faire sous le contrôle du juge administratif, sans préjudice de la capacité du juge judiciaire de se saisir ultérieurement. Car la sensibilisation des éditeurs et hébergeurs est aussi une forme de sensibilisation du juge judiciaire qui, du fait de cette mesure, peut être appelé à se saisir beaucoup plus facilement de tels cas, alors que, compte tenu de l’état du droit et des principes fondamentaux de notre droit, je suis empêché de le saisir moi-même.
Voilà la raison pour laquelle c’est le contrôle du juge administratif qui a été retenu. De ma part, ce n’est pas une lubie, une tocade, une foucade, ce n’est pas une volonté de remettre en cause les prérogatives du juge judiciaire dans un domaine où il a légitimité à intervenir : c’est une impossibilité technique de le saisir !
Si d’autres solutions existent – et le débat parlementaire est aussi là pour en proposer –, nous sommes prêts, bien entendu, à les examiner et à les faire prospérer, mais je puis vous assurer que, avant de rédiger ce texte, ces sujets ont été examinés de près : la question a été pressée comme un citron !
Mme Éliane Assassi. C’est incroyable !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà ce que je voulais dire pour montrer qu’il n’y a pas, d’un côté, des parlementaires qui se préoccupent des libertés publiques en voulant lutter contre le terrorisme et, de l’autre côté, un Gouvernement désagréable qui, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, s’emploie d’abord à mettre en cause les libertés publiques. Il n’en est rien !
Mme Éliane Assassi. Ce Gouvernement dit pourtant le contraire de ce qu’il disait il y a deux ans !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce qui est dit sur le juge administratif, sur le juge judiciaire, sur l’équilibre de ce texte ne correspond pas à la réalité de ce qu’est l’état du droit, non plus qu’à celle du contenu de ce texte.
De même, j’appelle chacun ici à me dire concrètement comment l’on fait lorsqu’un individu s’est autoradicalisé, qu’il s’est engagé seul dans une entreprise terroriste et qu’il ne relève pas de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Comment faire pour procéder à son incrimination alors même que les juges antiterroristes nous disent qu’ils ont de plus en plus de mal à le faire ? Sauf à considérer que nous renonçons à l’incrimination pénale qui permet la judiciarisation du cas de ces individus isolés, ce qui ne semble pas être efficace pour lutter contre le terrorisme, je ne vois pas d’autre solution que celle que j’ai proposée ! Mais s’il en existe d’autres, là aussi, croyez-le bien, je suis preneur !
Voilà ce que je voulais dire, par souci de précision, de clarté du débat, pour bien matérialiser ce qu’est la position du Gouvernement sur ces questions.
Je tiens maintenant à répondre à un certain nombre d’orateurs de l’opposition, que je remercie pour leur contribution au débat, sur le fonctionnement et l’organisation des services du ministère de l’intérieur.
Auparavant, je reviendrai sur l’affaire du retour des djihadistes qu’a évoquée M. Courtois. Selon vous, monsieur le sénateur, au-delà de la question franco-turque qui a fait l’objet de mon déplacement en Turquie et de la définition d’un protocole de discussion porteur d’avancées, il y a des sujets qui sont « franco-français » et concernent notamment les conditions d’arrivée à Marseille des trois ressortissants français après leur expulsion de Turquie.
D’abord, s’ils sont arrivés à Marseille et non à Paris, où les attendaient des fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, c’est parce qu’ils ont été mis dans un avion à destination de Paris, mais que le pilote de la compagnie turque Pegasus n’a pas voulu les laisser embarquer, s’agissant de trois ressortissants français qui sortaient de centres de rétention administrative en Turquie, où ils étaient détenus pour infraction au droit au séjour dans ce pays. Ils ont alors été embarqués dans un avion à destination de Marseille sans que les autorités françaises en aient été prévenues.
Vous me demandez comment il se fait qu’ils n’aient pas été arrêtés à Marseille par la police de l’air et des frontières. Il y a deux raisons à cela.
Premièrement, au moment où ils sont arrivés en France, aucune incrimination pénale, aucun mandat international ne pesait sur eux. Par conséquent, la police de l’air et des frontières ne pouvait pas les arrêter puisque le seul service qui disposait d’une commission rogatoire pour le faire, c’est la Direction générale de la sécurité intérieure.
En l’absence d’incrimination pénale et de mandat d’arrêt et en l’absence d’une commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, ce service ne pouvait en aucun cas procéder à leur arrestation et ne pouvait même pas procéder à leur rétention avant que la Direction générale de la sécurité intérieure soit en mesure de se charger d’eux.
La deuxième raison de la non-arrestation est liée à CHEOPS, qui est d’après vous « le » sujet. Si problème CHEOPS il y a, il faut le rechercher dans l’obsolescence d’un dispositif informatique qui date du début des années quatre-vingt-dix, qui a vieilli et sur lequel on a greffé énormément de fichiers.
Je dois à la vérité de vous le dire, ce système informatique n’a fait, au cours des quinze dernières années, l’objet d’aucun investissement. Aucun ! On s’est contenté de laisser l’obsolescence de ce système se poursuivre ! Je souhaite corriger cela. Je souhaite qu’il y ait des investissements et qu’on modifie la gouvernance du dispositif de telle manière qu’il fonctionne.
Je ne suis en l’occurrence nullement animé par un esprit de polémique, mais je trouve un peu fort que l’opposition me reproche, à moi, le dysfonctionnement d’un système informatique pour lequel aucun investissement n’a été consenti pendant les dix années où elle était aux responsabilités, alors même que ce dispositif informatique faisait l’objet d’une agrégation de fichiers de plus en plus nombreux qui rendaient son obsolescence encore plus manifeste !
Cela étant, même si CHEOPS avait fonctionné, compte tenu de l’absence de commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, le problème n’aurait pas pour autant été réglé.
Je tenais d’autant plus à mettre les choses au point devant vous que certains se sont empressés de mettre en cause les services du ministère de l’intérieur, allant jusqu’à parler d’incompétence. Or ces services ont fait leur travail avec beaucoup de vigilance dans le contexte de droit que je viens d’évoquer.
MM. Alain Richard, Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, Pierre Charon et d’autres l’ont dit : les services du ministère de l’intérieur font, comme d’autres services de notre pays, un travail absolument remarquable pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Ils le font en prenant des risques, en s’exposant, en donnant le meilleur d’eux-mêmes face à un défi qu’ils n’ont jamais eu à connaître et auquel ils s’adaptent en continu, avec une exigence vis-à-vis d’eux-mêmes qui témoigne avec force de la conception qu’ils se font du service public.
Je veux conclure cette intervention en rendant hommage aux policiers, aux gendarmes, aux fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, et en les remerciant du travail qu’ils accomplissent.
Je veux aussi rendre hommage à nos juges de l’ordre judiciaire, à nos juges antiterroristes qui, eux aussi, s’exposent et font un travail remarquable. Je veux saluer ces magistrats mobilisés dans une relation en tous points excellente avec les services du ministère de l’intérieur, ainsi que les autres services de l’État qui accomplissent à l’extérieur des missions difficiles pour faire en sorte que nous soyons davantage armés dans la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Chapitre Ier
Création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 55, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport d'évaluation complet du droit en vigueur en matière de terrorisme.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, j’ai bien écouté vos propos et je crois que vous ne comprenez que ce que vous avez envie de comprendre.
Souffrez quand même que l’on ne soit pas d’accord avec vous ! Souffrez que nous ayons des interrogations ! Souffrez aussi que nous fassions quelques propositions qui ne vous conviennent pas. N’est-ce pas l’objet du débat parlementaire ? En tout cas, c’est le débat démocratique qui, à un moment donné, tranchera !
Je dois vous dire que je n’ai pas du tout apprécié le ton sur lequel vous nous avez répondu. Je constate que vous êtes aujourd’hui beaucoup plus élégant dans vos réponses quand vous vous adressez aux travées de droite que quand vous vous adressez à celles de gauche ! (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Charon. Merci, monsieur le ministre ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. Avec cet amendement, nous entendons simplement faire un constat sur lequel tout le monde peut, me semble-t-il, s’accorder. Je veux parler de la prolifération de textes législatifs en matière de terrorisme qui rend le droit un peu imprécis, voire indéchiffrable, quand il n’est pas contradictoire.
Je ne reviens pas sur l’avis de la CNCDH où il est indiqué que l’empilement des réformes dans les domaines sécuritaire et pénal révèle l’extrême segmentation des sujets traités, ce qui ne permet pas une véritable réflexion d’ensemble.
Lors du débat à l’Assemblée nationale, beaucoup de choses ont été dites sur l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi et qui est relativement lacunaire.
C’est la raison pour laquelle nous demandons que soit inséré cet article additionnel aux termes duquel un rapport sera réalisé qui permettra de mesurer la pertinence et l’efficacité des mesures existantes en matière de terrorisme.
Je sais toutefois que la mise en place d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes pourra, elle aussi, nous apporter des éléments de compréhension et, je l’espère, un éclairage nouveau sur le sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission n’a pas approuvé cet amendement pour des raisons que chacun peut entendre : de multiples rapports sont déjà en circulation sur des sujets voisins et, s’agissant de s’assurer de la cohérence et de l’efficience d’une législation, le Parlement, s’il le souhaite, est au moins aussi bien armé que le Gouvernement pour le faire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 55.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le titre II est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« Chapitre IV
« Interdiction de sortie du territoire
« Art. L. 224-1. – Tout ressortissant français peut faire l’objet d’une interdiction de sortie du territoire lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette :
« 1° Des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ;
« 2° Ou des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français.
« L’interdiction de sortie du territoire est prononcée par le ministre de l’intérieur pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée. Le ministre de l’intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de 8 jours après la notification de la décision. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
« Lorsque les conditions en sont réunies, l’interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée. Elle est levée aussitôt que ces conditions ne sont plus satisfaites. Les renouvellements consécutifs d’une interdiction initiale ne peuvent porter la durée globale d’interdiction au-delà de deux années.
« La personne qui fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire peut, dans le délai de deux mois suivant sa notification et suivant la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine.
« L’interdiction de sortie du territoire emporte retrait immédiat du passeport et de la carte nationale d’identité de la personne concernée ou, le cas échéant, fait obstacle à la délivrance d’un tel document.
« Un récépissé valant justification de son identité est remis à la personne concernée en échange de la restitution de son passeport et de sa carte nationale d’identité ou, à sa demande, en lieu et place de la délivrance d’un tel document. Ce récépissé suffit à justifier de l’identité de la personne concernée sur le territoire national dans les conditions prévues à l’article premier de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité.
« Le fait de quitter ou de tenter de quitter le territoire français en violation d’une interdiction de sortie du territoire prise en application du présent article est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. » ;
« Le fait, pour toute personne s’étant vu notifier une décision d’interdiction de sortie du territoire, de s’être soustraite à l’obligation de restitution de son passeport et de sa carte nationale d’identité, est puni de deux ans d’emprisonnement et 4 500 € d’amende.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de mise en œuvre du présent article, s’agissant notamment des modalités d’établissement du récépissé mentionné au septième alinéa ainsi que des modalités relatives à l’interdiction de transport prévue au quatorzième alinéa.
2° Le chapitre II du titre III est complété par un article L. 232-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 232-8. – Lorsque l’autorité administrative constate que les données transmises en application du présent chapitre permettent d’identifier une personne faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire mentionnée à l’article L. 224-1, elle notifie à l’entreprise de transport concernée, par un moyen approprié tenant compte de l’urgence, une décision d’interdiction de transport de cette personne.
« En cas de méconnaissance de l’interdiction de transport par une entreprise de transport, l’amende prévue à l’article L. 232-5 est applicable, dans les conditions prévues au même article. »
II. – (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Après une discussion générale intense, je voulais simplement vous rejoindre, monsieur le ministre, et dire à mon tour qu’il n’y a pas d’opposition manichéenne entre d’ardents défenseurs des libertés et de farouches partisans de la lutte contre le terrorisme.
Ce qui va se passer maintenant dans cet hémicycle est important, car il s’agit de ce que le président Larcher appelait voilà déjà quelque temps notre « droit consubstantiel », c'est-à-dire notre droit d’amendement, notre droit d’essayer d’améliorer les textes.
À cet égard, c’est vrai, la procédure accélérée nous pose quelques difficultés, et la discussion des articles qui commence n’en revêt que plus d’importance.
Par ailleurs, s’il est évident qu’internet est un vecteur essentiel de transmission et de diffusion des messages terroristes, il est non moins évident que nous n’avons pas, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, de solution miracle. Nous allons en débattre, notamment lorsque nous aborderons les articles 4, 5 et 9.
Je souhaite à présent insister sur deux points.
Premièrement, je dirai un mot de l’éclipse totale des dispositions financières. Les lois relatives au blanchiment comportent également des dispositions sur le rapport entre blanchiment et terrorisme. Cela montre bien que la lutte antiterroriste implique aussi des mesures financières. Même si les montants ne sont pas forcément importants, tous les experts s’accordent à reconnaître qu’en la matière les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Deuxièmement, j’évoquerai le volet international du dispositif. On a bien compris que tel n’était pas l’enjeu de ce texte d’urgence, réactif et nécessaire. Vous avez parlé tout à l’heure, monsieur le ministre, de la Turquie. Or il existe une convention d’assistance en matière de sécurité avec ce pays, mais elle encore qu’en gestation, car le projet de loi de ratification se trouve bloqué quelque part entre les deux chambres. Il serait extrêmement intéressant de réexaminer ce texte sous un jour nouveau.
Je le dis d’autant plus volontiers que je suis le rapporteur du projet de loi en question pour la commission des affaires étrangères et que, telle Anne – « Anne, ma sœur Anne… » –, je ne vois rien venir ! Vos services devraient coopérer très activement avec ceux du Quai d’Orsay pour faire le point sur les conventions internationales en attente de ratification, afin de pouvoir les améliorer éventuellement.
Enfin, madame Assassi, j’ai effectivement demandé dès le mois de mai la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes. Celle-ci se mettra en place à partir de la semaine prochaine. Il me semble qu’elle pourra apporter des réponses au sujet des législations en cours et sur les décrets qui ne sont pas encore parus alors qu’ils sont nécessaires. Ainsi, des décrets d’application de la LOPPSI, qui date tout de même de quelques années, sont encore attendus ! Nous ferons aussi, probablement, des propositions à cet égard.
En tout état de cause, nous avons compris qu’il s’agissait d’un texte d’urgence, répondant à un besoin pressant et apportant des solutions à des problèmes que vous avez extrêmement bien formulés, monsieur le ministre. Nous avons bien conscience que ce projet de loi ne réglera pas tout, mais il s’agit d’une première étape pour répondre à un danger absolument nouveau, sans doute d’une ampleur que certains sous-estiment.
Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, je ne crois absolument pas que quiconque dans cet hémicycle ait envie de nuire à votre action. Tout au contraire, avec nos petits moyens, nous efforcerons de vous soutenir de la meilleure façon dans cette lutte contre le terrorisme à laquelle nous nous associons avec détermination.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.
M. Roland Courteau. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et l’actualité se charge de nous le rappeler depuis quelques temps de la manière la plus abominable qui soit, prendre le terrorisme à la légère relèverait de l’inconscience.
Il est donc de notre devoir de réagir de la manière la plus ferme possible au développement du terrorisme. C’est l’objet du texte que vous nous présentez, et en particulier de son article 1er.
Parce que l’embrigadement de jeunes n’est plus un fantasme – c’est une réalité et un danger –, parce que certains n’hésitent pas à se rendre sur le théâtre d’opérations de groupements terroristes, il nous incombe de prendre toutes les mesures susceptibles d’enrayer ce phénomène.
Après une longue réflexion et des hésitations, je le reconnais, l’interdiction de sortie du territoire mise en place de manière rigoureuse et encadrée par cet article me semble être une mesure adaptée à l’urgence de la situation.
Certes, il est toujours délicat d’entraver la liberté d’aller et de venir d’un citoyen. Certains ont, à ce titre, parlé de mesure liberticide. Mais comment accepter que des jeunes gens vivant sur notre sol, parce qu’ils n’ont plus de repères, éprouvent le besoin de partir dans certains pays afin de rallier des groupes extrémistes ? Comment accepter que ces jeunes partent pour apprendre à tuer ?
Faut-il rappeler que ces groupes se sont donné pour but de détruire notre société et nos valeurs, en menaçant la population, en exécutant nos ressortissants, afin d’imposer un régime de terreur inégalitaire et barbare ?
Je note que cette interdiction de sortie du territoire sera bien entendu motivée et surtout limitée dans le temps puisque sa durée maximale ne pourra excéder six mois, sauf à être renouvelée, si les conditions sont réunies, jusqu’à un maximum de deux ans.
Mes chers collègues, le terrorisme n’est plus le fait de quelques individus isolés et fanatisés ; il est désormais le fait d’entreprises organisées, ayant des relais tout autour de la planète et disposant de moyens numériques et financiers considérables, qui n’ont de cesse de recruter parmi les plus faibles.
La vérité, c’est que ces organisations créent des assassins et promeuvent la barbarie pour asseoir le pouvoir d’une poignée d’hommes qui se cachent derrière des préceptes religieux qu’ils ont pervertis.
Force est de le constater, environ un millier de nos concitoyens seraient impliqués de près ou de loin dans des activités terroristes en Irak et en Syrie, un nombre qui a connu une augmentation de 50 % en quelques mois.
Alors, oui, après réflexion, je considère que cette interdiction de sortie du territoire se justifie, parce que nous avons le devoir de protéger nos concitoyens, mais aussi de protéger ces hommes d’eux-mêmes. Cette mesure n’éradiquera pas le terrorisme, j’en suis conscient, mais, si elle met un frein à son développement, un grand pas sera déjà accompli.
J’insiste sur ce point, mes chers collègues : j’ai tenu à vérifier que l’interdiction de sortie du territoire serait bien encadrée. Ainsi, la personne concernée, qui pourra être assistée d’un avocat ou d’un conseil, sera également entendue par le ministre de l’intérieur ou par l’un de ses représentants. Elle pourra contester la décision par référé-liberté en cas d’urgence et si l’atteinte à la liberté d’aller et venir est grave, et manifestement illégale. Je rappelle que cette mesure prise avant que tout acte terroriste soit commis existe dans des pays voisins tels que la Grande-Bretagne ou la Belgique, dont les gouvernements ne peuvent être taxés de liberticides.
Je terminerai par une question soulevée lors de l’étude du texte par la commission des lois, à laquelle, hélas ! je n’appartiens pas. Cette dernière s’est interrogée sur la capacité de sortie du territoire d’un ressortissant français possédant une autre nationalité, et donc d’autres papiers d’identité valables. Il conviendra de réfléchir aussi à cette difficulté, à moins que ce ne soit déjà fait. (MM. Jean-Pierre Sueur et Jacques Bigot applaudissent.)