M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Dans un souci de simplification, j’utiliserai toutefois l’acronyme précité.

Ce danger mortel nous menace tous. Il faut que nous soyons bien conscients de la viralité extrême à laquelle nous devons faire face.

En notre qualité de responsables politiques, l’une de nos tâches, que je considère comme essentielle, est de bien faire prendre la mesure du danger à nos populations et à nos partenaires. Il ne faut pas croire que l’opinion publique réagit avec facilité et complaisance à ce genre de défi ! Il faut expliquer et expliquer encore !

L’objectif de Daech, clairement affiché dans la référence historique au califat, vise et menace toute la région. Au-delà de la Syrie et de l’Irak, ses prochaines cibles seront – cela a été indiqué – le Liban, la Jordanie et, bien sûr, Israël. Son idéologie radicale se concrétise dans un choix simple : se soumettre ou mourir. Il organise avec une violence extrême la purification de tout ce qui n’est pas lui et, en particulier, de toutes les minorités, qu’elles soient chrétiennes, chiites, yazidies ou autres. À ce titre, l’Iran, principale puissance chiite, considéré comme hérétique, est directement visé.

Parmi ses commensaux sunnites, Daech condamne et considère comme ennemies l’Arabie saoudite et les Émirats inféodés à l’Occident.

Cette menace n’est cependant pas circonscrite au Moyen-Orient. Elle est désormais globale et recouvre ce que le Livre blanc de 2008, auquel nous avons beaucoup participé, appelait un « arc de crise », qui va des zones tribales du Pakistan au golfe de Guinée. C’est un véritable cancer, qui se développe au gré des faiblesses des pays, des régimes et des régions visées, que ce soit au Levant, en Libye, en Tunisie, au Sahel, ou encore dans la région du lac Tchad. Ses métastases se propagent aussi dans la Corne de l’Afrique jusqu’au Yémen. Le danger est bien évidemment celui de la mise en synergie, en cohérence, de cette internationale terroriste. Les porosités apparaissent, hélas !

Le ralliement de groupes largement maffieux, comme celui qui a pris en otage l’un de nos compatriotes, en est l’une des illustrations. Nos ressortissants et nos intérêts à l’étranger, nos concitoyens sur le territoire national sont désormais des cibles. Cette menace nous concerne directement, singulièrement en Europe, avec cette bombe à retardement que sont les combattants étrangers. Dans quelques jours, nous allons examiner le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et, aujourd’hui même, un débat a lieu sur cette question aux Nations unies.

Nous savons bien que la probabilité d’un attentat sur le sol français est forte en dépit de la remarquable efficacité de nos services, que je tiens à saluer.

Outre le danger immédiat que représente Daech, ses avancées territoriales se jouent des frontières existantes et risquent d’entraîner l’ensemble de la région dans un chaos total et dans une remise en cause des équilibres issus de la Première Guerre mondiale, d’une zone éminemment stratégique non seulement pour l’Europe, mais aussi pour l’Asie.

La prise de conscience, malheureusement trop récente, de ce danger a permis de réunir une coalition dont l’objectif est clairement d’éradiquer Daech, ce dont nous nous félicitons, même si, comme le constatait le ministre des affaires étrangères et du développement international à l’ONU, « il y a des pays qui sont plus rapides que d’autres à prendre leurs responsabilités ». Une formule que je fais tout à fait mienne !

La difficulté est que ce redoutable ennemi est asymétrique : il sait se diluer, pour se reconcentrer ; il alterne la barbarie la plus brutale et la subtilité du maniement des nouvelles armes que sont le cyberespace et la bataille de l’opinion, de l’influence. Il est extrêmement mobile, se fond dans la population, mais dispose en même temps d’armements sophistiqués et de ressources financières considérables, comme y faisait référence un orateur précédent. Il n’offre pas de prise, il sait se reconfigurer. Ses fragilités, en matière de logistique et de communications, ne sont, hélas, qu’éphémères.

Face à cet ennemi, face à ces nouvelles structures du terrorisme, notre action doit être globale.

La feuille de route de cette action a été clairement définie par la résolution 2170 du Conseil de sécurité, adoptée le 15 août dernier, par la conférence de Paris du 15 septembre et par la déclaration du président du Conseil de sécurité du 19 septembre. Tout cela, auquel s’ajoute l’appel du gouvernement irakien, constitue selon moi, bien que j’eusse préféré, comme vous, une décision encore plus indiscutable, une base juridique solide à notre intervention. Mais qui dit approche globale dit aussi inscription de celle-ci dans le temps long de la diplomatie, de la politique et du développement.

L’intervention militaire tardive contre ce fléau s’inscrit une fois de plus dans l’urgence. Notre action, mes chers amis, doit nous conduire à imposer notre agenda, alors que, jusqu’à présent, c’est Daech qui impose le tempo.

L’un des aspects importants de cette approche globale qu’il faut appuyer sans réserve, comme le font la plupart d’entre vous, est la condamnation de Daech par les autorités religieuses de l’islam. C’est un point évidemment fondamental, et je me félicite des prises de position récentes exprimées en France, en Arabie saoudite ou au Royaume-Uni ; celles-ci vont dans le bon sens. Mais, je vous le répète, c’est sur le terrain, dans les mosquées, lors des prêches du vendredi, au plus près des populations concernées, que ces condamnations auront le plus d’incidence.

Le Président de la République a fixé des limites à notre action, notamment deux sur lesquelles je souhaite revenir brièvement.

La première est de ne pas déployer de troupes au sol. Les États-Unis, en dépit de l’envoi de conseillers, sont sur la même ligne. Nous savons pourtant que l’éradication des forces de Daech suppose des combats qui seront sans aucun doute très durs, et que l’appui et l’action aérienne, aussi puissants soient-ils, ne suffiront pas. C’est donc sur les forces irakiennes et kurdes que reposera l’effort de la bataille terrestre, ainsi que sur l’opposition syrienne modérée quand une aide, là aussi trop tardive, leur permettra de redevenir une force qui compte, ce que nous souhaitons. La seule évocation de cette question montre que les conditions de la victoire dépendront étroitement des solutions politiques qui pourront être apportées en Irak même. Le remplacement du Premier ministre Al-Maliki et la constitution d’un gouvernement inclusif vont dans le bon sens, comme tous l’ont rappelé, mais le chemin est long et semé d’embuches pour désolidariser les tribus sunnites de Daech, pour trouver un accord avec les Kurdes qui les convainque de renoncer à leurs tendances autonomistes, voire irrédentistes, et pour traiter le cas des cadres de l’ancien régime.

Le soutien aérien ne servira à rien si la reconquête des territoires perdus n’est pas faite concomitamment par l’armée irakienne et si l’État irakien ne s’y réinstalle pas. C’est toute la question de notre stratégie pour le jour d’après.

La seconde limite est de ne pas intervenir en Syrie. C’est aux États-Unis, heureusement appuyés par certains pays, qu’il incombe de le faire, comme cela s’est passé hier encore.

Le ministre des affaires étrangères et du développement international a clairement posé, le 19 septembre à l’ONU, les termes de l’équation à résoudre : « Daech a commencé en Syrie […] et […] il y a encore des forces importantes. Il faut donc les poursuivre et faire ce qui est nécessaire [...] nous allons soutenir […] l’opposition modérée [...] Il y a certainement d’autres choses à faire, mais la France ne peut pas non plus tout faire ! »

Il est en effet évident pour tous que nous ne pouvons traiter la question de Daech indépendamment du théâtre syrien, tant il est vrai que, pour ce dernier, la notion de frontière n’existe pas. Il ne saurait y avoir de « sanctuaire » syrien pour Daech. Nous sommes dans le même cas de figure que les talibans dans les zones tribales pakistanaises.

Cette intervention pose naturellement la délicate question du gouvernement Al-Assad qui, de manière très fine, après avoir tenu des élections afin de se « relégitimiser », fait des offres de service pour combattre le danger dont il a encouragé l’émergence et feint d’être informé par les États-Unis des frappes sur son territoire. Cette question nous renvoie au livre éclairant de Pierre Grosser, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle.

La même question se pose pour l’Iran, qui est aussi, selon moi, un acteur incontournable qu’il faut impliquer directement ou indirectement dans la résolution du conflit. Mais d’autres intervenants ont posé cette question. Enfin, beaucoup ont évoqué le rôle de la Turquie, qui vient de retrouver une marge de manœuvre après la libération de ses otages.

Tout cela montre l’extrême complexité de la situation. Mais chacun a sa place pour lutter contre cette menace mortelle.

Je conclurai mon intervention en soulignant quatre enjeux, qui constituent, monsieur le ministre, autant de points de vigilance pour la commission des affaires étrangères, dont je pense que l’état d’esprit perdurera, que je la préside ou non.

Premier enjeu, la dispersion des théâtres d’opérations et la diversité des OPEX qui pèsent sur notre outil de défense.

La France ne peut évidemment pas tout. Je rappelle que nos forces armées sont engagées dans une vingtaine d’OPEX. Mais plus au Kosovo, monsieur Pozzo di Borgo... Vos informations datent un peu ! (Sourires.)

M. Yves Pozzo di Borgo. Excusez-moi, c’était une erreur !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce sont 9 000 à 12 000 hommes en moyenne qui ont été simultanément engagés en opérations lors des dix dernières années. C’est un effort considérable, et je rends hommage, une fois de plus, à nos militaires et à nos armées.

Notre engagement fort sur la bande sahélo-saharienne – l’opération Serval, puis désormais le dispositif régionalisé Barkhane – est salué de tous. Mais nous savons que le travail n’est pas fini, en particulier en Libye. Sera-ce notre prochain théâtre d’engagement ? Nous l’avons dit dès la fin 2012 à l’occasion d’une mission, et répété en 2013 dans nos deux rapports Chevènement-Larcher : dans le sud de la Libye prolifère un cancer terroriste qu’il faut aussi traiter. Le président Hollande en a fait une priorité lors de son discours à la conférence des ambassadeurs. Tout cela pose à l’évidence la question de nos possibilités, de notre degré d’engagement et du « partage des tâches » avec nos alliés et partenaires.

Deuxième enjeu, notre appréciation autonome de la situation, notre capacité à nous engager en premier et notre autonomie stratégique, qui sont le socle de notre souveraineté. Elles doivent être absolument préservées.

Troisième enjeu, les moyens de nos services de renseignement doivent aussi être confortés. C’est vrai tant pour démanteler les filières de recrutement des combattants étrangers sur le plan intérieur, que pour affaiblir, à l’extérieur, l’ennemi là où il se trouve. La délégation parlementaire au renseignement s’est unanimement prononcée, monsieur le président de la commission des lois, pour une consolidation législative du cadre juridique des services de renseignement.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il est important, monsieur le ministre, que nous puissions avancer. Nous demandons donc au Gouvernement de presser le pas.

Enfin, les ressources de la défense doivent être au rendez-vous.

À mon ami André Trillard, membre de la commission que j’ai l’honneur de présider pour quelques jours encore, je dirai avec beaucoup de cordialité qu’il convient d’être prudent lorsque l’on s’exprime sur le budget de la défense et ses contours. Posez-vous toujours la question que je me pose lorsque d’autres que les représentants de l’actuelle majorité gouvernent notre pays : si nous avions à faire face à cette situation, aurions-nous fait mieux ?

M. Jean-Jacques Mirassou. Bonne question !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cher André Trillard, le fait d’avoir obtenu la sanctuarisation de 31,4 milliards d’euros peut-il être balayé d’un revers de main ? Je ne le crois pas. Nous devons être solidaires de cette décision d’homme d’État ; c’est d’ailleurs ce que vous avez fait le plus souvent, et je vous en remercie.

Ces trois dernières années, les OPEX ont toujours dépassé le milliard d’euros. Cette année, nous avons vraisemblablement déjà franchi les 650 millions d’euros de dépassement par rapport aux surcoûts budgétisés en loi de finances initiale.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur la vigilance de la commission des affaires étrangères pour s’assurer de la mise en œuvre de la mutualisation interministérielle des surcoûts non budgétisés. Où en est le dialogue, dont je ne doute pas qu’il est tonique, entre le ministère de la défense et Bercy sur ce point ? Pouvez-vous nous donner des assurances ? Se pose aussi la question – pardon de cette incongruité ! – des ressources exceptionnelles et de leur éventuelle substitution par d’autres ressources. Des solutions doivent impérativement être trouvées.

Je ne vous questionne pas, monsieur le ministre ; je vous renouvelle tout notre soutien afin que nous puissions aboutir !

Vous l’avez compris, vous pouvez compter sur notre soutien total et disposez de notre confiance pour la conduite des opérations, mais, et c’est le rôle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, cette confiance s’accompagnera toujours, aussi, d’une réelle vigilance, qui vous servira dans votre action et ne se relâchera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier de la qualité et de la tonalité générale de ce débat, de vos interventions, ainsi que de la précision de vos questions.

Je reprendrai à mon compte les propos de M. Trillard : la première réponse aux menaces, c’est l’unité nationale.

Votre soutien très large est indispensable à nos armées et à la sécurité de la nation. Je suis donc très heureux de pouvoir en faire le constat en cette heure grave, où nous avons besoin à la fois d’unité et de détermination.

Je vous indique également au début de ce propos, qui sera assez bref, que des dépêches d’agences nous informent, vidéo à l’appui, de la probable décapitation de notre compatriote Hervé Gourdel. Nous vérifions actuellement cette information avant d’affirmer quoi que ce soit, mais tout cela montre bien la barbarie à laquelle nous sommes confrontés.

Ma préoccupation principale, en tant que ministre de la défense, est le risque de connexion des différents théâtres et espaces dans lesquels se manifeste le terrorisme.

Le groupe qui aurait assassiné Hervé Gourdel a pour nom Les soldats du califat en terre d’Algérie. Il est dirigé par Gouri Abdelmalek, lequel est le produit du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, qui a meurtri l’Algérie durant de nombreuses années, et lequel est aussi l’adjoint d’Abdelmalek Drougdal, l’émir d’Al-Qaïda.

Ce nouveau groupe vient de rejoindre Daech, sans doute parce que ce mouvement est plus attractif, sans doute aussi parce qu’il veut montrer la force de son allégeance en capturant nos compatriotes et en mettant éventuellement ses menaces à exécution.

L’émir Drougdal, qui organisait les groupes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique au nord-Mali, est aujourd’hui réfugié en sud-Libye. Il y a là des signes par rapport à la menace globale à laquelle le président Carrère et d’autres intervenants ont fait allusion. Cet exemple montre bien les risques que représente cette menace globale pour la période à venir.

J’observe, par ailleurs, que, au moment où Al-Baghdadi proclamait le califat dans une région située en Irak et en Syrie, Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram, instaurait un califat dans une partie de l’Afrique. Voilà comment progressivement des liens, des connexions s’opèrent. Il est essentiel que nous puissions réagir en intervenant comme nous le faisons aujourd'hui dans le cadre de la coalition internationale qui se met en place.

J’observe, également, que l’on évoque souvent les volontaires djihadistes français. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, a souligné à juste titre, à plusieurs reprises, les mesures devant être adoptées pour à la fois anticiper, suivre et prévenir cette situation. Il a diligenté une enquête très précise sur l’incident survenu hier dont il aura sans doute l’occasion de vous rendre compte. Il a aussi pris des initiatives à l’égard des autorités turques.

Quoi qu’il en soit, au-delà des 365 volontaires français combattant auprès de Daech, 10 000 étrangers sont aujourd'hui volontaires djihadistes en Irak et en Syrie. Ils viennent de Tunisie – d’où l’inquiétude de ce pays –, d’Arabie saoudite, de Tchétchénie, du Caucase, d’Australie, etc. Le souci est donc double : comment endiguer la diffusion d’actes terroristes à l’échelon international et comment éviter la mise en œuvre de connexions entre des groupes terroristes se manifestant sur différents sites ? Si ces groupes nouent des liens entre eux, cela risque d’engendrer une situation extrêmement difficile sur le plan de la sécurité mondiale, et singulièrement de la sécurité de la France et de l’Europe.

Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont évoqué les fondements juridiques sur lesquels nous basons l’intervention de la France. Il y a d’abord l’appel des autorités irakiennes. Il me semble que Mme Garriaud-Maylam a formulé quelques critiques, mais la référence à l’article 51 de la Charte des Nations unies est tout à fait respectable,…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … d’autant que c’est sur cette base que nous sommes intervenus au départ au Mali, à la demande d’un État. Que les choses soient très claires : nous répondons à la demande des autorités irakiennes et non à un coup de téléphone de M. Barack Obama. C’est uniquement en réponse à cette demande que nous allons appuyer les forces irakiennes et les forces kurdes peshmerga au sol pour les aider à reconquérir leur propre territoire. Cette mission s’effectuera dans le cadre d’une coalition, mais nous avons nos propres objectifs de guerre.

Concernant la Syrie, notre position est également simple : nous aiderons l’Armée syrienne libre à s’organiser – elle en a besoin – et à être en mesure de riposter à Bachar Al-Assad, car nous n’avons pas à choisir entre une dictature sanguinaire et un groupe terroriste sanguinaire.

Il y a non pas du suivisme, mais une participation à une coalition, avec des buts précis, que nous avons affirmés et sur lesquels je voudrais insister de nouveau devant vous.

J’ajoute que la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’ONU en date du 15 août dernier est une réalité forte. Et je n’oublie pas le communiqué du Conseil de sécurité du 19 septembre, mais il concerne globalement la lutte contre Daech et ne vise pas spécifiquement à justifier l’intervention et les décisions françaises.

Je veux maintenant dire à Pierre Laurent que l’OTAN n’a rien à voir avec tout cela. Je ne sais pas où il est allé chercher cette information !

Mme Éliane Assassi. Expliquez-le-lui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cette organisation est uniquement chargée d’assurer la formation des forces irakiennes, et ce déjà depuis un certain temps : personne n’a jamais contesté ce point.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Bien évidemment, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, la réponse apportée n’est pas uniquement militaire, laquelle, je l’ai précisé, est bien articulée avec l’action des forces irakiennes et des Peshmergas. Elle est aussi humanitaire. Même si cette dernière est sans doute encore insuffisante, la France en est déjà à sa sixième livraison d’équipements et de soutien humanitaires.

Par ailleurs, il existe une réponse politique et une réponse internationale.

La réponse politique relève de la responsabilité du nouveau Premier ministre, Al-Abadi, dont la volonté est de mettre en œuvre un processus de réconciliation nationale, afin de faire en sorte que l’ensemble des acteurs de la vie politique irakienne retrouvent leur place dans la reconstitution du pays, qu’il s’agisse des chiites, des sunnites, des Kurdes ou des minorités yazidies et chrétiennes. Il en est capable. Aidons-le à poursuivre son œuvre de réconciliation nationale.

Robert Hue a souligné la nécessité de fixer un cadre. La mise en place de celui-ci a déjà commencé, puisque la conférence de Paris a réuni de nombreux acteurs, à la fois pour condamner Daech et pour mettre en œuvre un processus de réconciliation dans l’ensemble de la région. Il faudra sans doute renouveler l’exercice après la clarification militaire, laquelle est nécessaire pour permettre à l’Irak de retrouver sa légitimité.

J’apporterai maintenant quelques précisions sur deux ou trois sujets qui ont été abordés.

Il s’agit véritablement d’un groupe terroriste d’un nouveau type, d’une nouvelle génération, comme M. Trillard l’a souligné, me semble-t-il. M. Hue l’a dit : ses membres veulent réussir là où Ben Laden a échoué. Quel est le plus grand changement ? Avec Ben Laden et Al-Qaïda, nous avions affaire à un terrorisme de réseaux, dont l’objectif était de mener un certain nombre d’actions pour déstabiliser à la fois l’Occident et certains pays arabes. Avec Daech, nous sommes confrontés à un terrorisme qui veut construire à partir d’un territoire, créer des États, retrouver l’Ouma des Abbassides. Ce n’est pas un hasard si son leader a pris pour surnom Abou Bakr Al-Baghdadi : il a voulu montrer cette volonté territoriale, qui s’accompagne par ailleurs de moyens militaires et financiers extrêmement importants.

Des questions ont d’ailleurs été posées sur ces moyens financiers. Daech a d’abord bénéficié du pillage de la banque de Mossoul, mais profite aussi de la contrebande du pétrole. Il est très difficile d’identifier les contrebandiers. Un certain nombre d’entre eux circulent en Turquie ou ailleurs, mais il n’existe à cet égard aucune responsabilité étatique. Il s’agit de circuits parallèles, mais étant donné le niveau du cours du baril, le prix de vente du pétrole produit dans la région de Mossoul défie évidemment toute concurrence, ce qui aiguise un certain nombre d’appétits. Cette question des trafics était soulevée par M. Gattolin.

Veuillez m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, de passer d’un sujet à l’autre, sans cohérence globale, mais j’essaie de répondre au mieux aux questions que vous avez soulevées.

Pour ce qui concerne la coalition, si la France a défini spécifiquement son autonomie d’appréciation, son autonomie militaire est également préservée. C’est elle qui identifie les frappes et qui, au sein de la coalition, décide de faire ceci et non cela. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé voilà quelques jours, au moment des premières frappes ciblées. Vous avez signalé tout à l’heure, madame Garriaud-Maylam, que j’avais parlé de succès : certes, c’est plutôt mieux que le contraire,…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … mais il était question d’une opération ponctuelle ! Nous sommes au début d’un processus qui sera long, parce qu’il faut aider les forces irakiennes à reconquérir leur territoire et ne pas se substituer à elles. Je le répète donc : il n’y aura pas d’engagement de forces au sol.

Quant à la participation de nos voisins européens, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ont dès à présent montré leur intention d’être potentiellement intervenants. Laissons les débats suivre leur cours dans ces pays et n’anticipons pas sur leur décision finale. D’autres États ont pris d’autres postures. Ainsi l’Allemagne parle de livraison d’armes à un pays confronté au combat, ce qui est une première. D’autres pays européens sont aussi membres de la coalition. Néanmoins, pour être acteur dans une intervention de type aérien, il faut en avoir les moyens. Or beaucoup de pays ne les ont pas aujourd'hui.

Une question m’a été posée sur la Turquie. Le président Erdogan a fait un choix très clair, même s’il a été un peu retenu en raison des quarante-huit otages turcs à Mossoul, lesquels ont été libérés. Il a annoncé hier au Président de la République sa détermination à être acteur dans l’ensemble de l’opération. C’est aussi le cas du Qatar. Peut-être y a-t-il eu à un moment donné quelques complaisances, mais aujourd'hui les choses sont très claires.

En raison de l’actualité, je raccourcirai un peu mon propos, mais je souhaite néanmoins évoquer la question des OPEX et des financements.

Tout d’abord, notre participation militaire s’appuie sur nos forces prépositionnées sur la base Al Dhafra à Abou Dhabi : y sont en permanence présents six Rafale, un Atlantique et un avion ravitailleur. C’est donc un prépositionnement opportun. La loi de programmation militaire et le Livre blanc avaient fixé à nos forces, en particulier aériennes, cette mission. J’avais veillé à ce qu’on préserve le site d’Al Dhafra, tout à fait utile en cette période.

Mais pour ne pas mettre le ministère de la défense en difficulté, il ne doit pas y avoir d’ambiguïté sur les OPEX. Ce n’est pas le montant des OPEX inscrit dans la loi de programmation militaire qui est essentiel. En effet, si vous inscrivez – comme nous l’avons fait, et nous en avons beaucoup discuté en commission – un montant significatif dans l’enveloppe sanctuarisée de 31,4 milliards d’euros, les investissements seront moindres d’autant.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour ma part, j’ai choisi une enveloppe de base des OPEX sur le compte du budget de la défense – 450 millions d’euros –, et j’ai préféré discuter les surcoûts, en vertu de l’article 4 de la loi de programmation militaire, en fin d’exercice. Je veille à ce que le système soit appliqué à l’euro-l’euro, ce qui a été le cas l’année dernière ainsi que l’année précédente.

Évidemment, à la fin du présent exercice, comme chaque année, nous devrons examiner ces dépenses,…

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Vous aurez notre appui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … mais le surcoût des opérations lancées à partir d’une base prépositionnée est évidemment beaucoup moins élevé, du moins en l’état actuel des choses, que celui d’une opération similaire à celle qui a eu lieu au Mali ou en République centrafricaine.

M. Pozzo di Borgo m’a demandé si la loi de programmation serait sanctuarisée. Oui, elle le sera, cela a été dit à de nombreuses reprises par le Président de la République lui-même. Je peux vous assurer, monsieur le sénateur, que l’ensemble des ressources, y compris les ressources exceptionnelles, seront sanctuarisées dans le projet de loi de finances pour 2015 que je viendrai présenter devant la Haute Assemblée.

J’évoquerai maintenant les livraisons d’armes, sur lesquelles plusieurs orateurs m’ont interrogé.

En Irak, nous livrons des armes sous contrôle des autorités irakiennes légitimes, qui s’assurent elles-mêmes de leur destination. Ces armes sont généralement acheminées au Kurdistan. Pour avoir rencontré le ministre de la défense du Kurdistan la semaine dernière, je puis vous assurer que les Kurdes en sont très satisfaits. Par ailleurs, nous les aidons à les utiliser.

En Syrie, nous passons par des réseaux bien identifiés et nous faisons preuve d’une très grande vigilance, afin d’être sûrs des destinataires. Nous avons, je pense, de bonnes garanties de ce point de vue. Nous souhaitons aider l’Armée syrienne libre à se constituer, car l’une de nos préoccupations, c’est la dispersion de la résistance syrienne depuis plusieurs mois, et encore aujourd'hui.

Enfin, des précisions m’ont été demandées au sujet de la Lybie.

Monsieur Carrère, le chaos règne en Lybie, où l’État est déstructuré. On assiste en outre à une montée des groupes terroristes à la fois sur Tripoli et sur Bengazi. Enfin, il existe au sud une sorte de hub de ressourcement de l’ensemble des groupes de la bande sahélo-saharienne. En tant que ministre de la défense, j’ai alerté la communauté internationale sur les risques que fait courir une telle situation.

Le Président de la République a pris des initiatives au cours de l’Assemblée générale des Nations unies, ou est en train de les prendre. Le Secrétaire général des Nations unies a désigné un Haut Représentant, dont le rôle est de tenter de trouver des solutions politiques afin de sortir de la crise libyenne.

Il faut ainsi faire en sorte que le Parlement, qui est légitime, mais qui ne peut aujourd'hui siéger qu’à Tobrouk, soit reconnu comme le véritable Parlement et qu’il puisse s’établir normalement à Tripoli. La Libye devra ensuite se doter des autorités politiques responsables devant ce parlement, afin de pouvoir engager un processus de clarification et de sécurisation de l’ensemble du pays. C’est une urgence dans le contexte de connexion que j’évoquais au début de mon propos.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques remarques que je souhaitais faire dans ce contexte lourd et grave.

Pour conclure, je dirai que la France ne doit rien céder s’agissant de sa sécurité – je pense que nous en sommes tous convaincus – et qu’elle doit prendre ses responsabilités. Notre pays a les moyens et la détermination de se défendre, et ce d’autant plus qu’il y a unité nationale sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. Monsieur le ministre, même s’il convient d’attendre le résultat des vérifications, au nom de la Haute Assemblée tout entière, je tiens à faire part de notre émotion après la nouvelle tragique que vous avez annoncée et à témoigner notre solidarité à la famille de notre concitoyen, dont nous partageons les inquiétudes.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il faut en effet attendre que les vérifications soient faites, monsieur le président, une manipulation n’étant pas à exclure.

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’engagement des forces armées en Irak.

4

Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution

M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste, a demandé, le 16 septembre 2014, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 643 présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, et déposée le 19 juin 2014.

Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents, qui se tiendra le 9 octobre prochain.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril 2014.

6

Dépôt de documents

M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel :

- le rapport sur l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires des 23 et 30 mars 2014 ;

- le rapport sur l’élection des membres des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie du 11 mai 2014 ;

- le rapport sur l’élection des représentants au Parlement européen des 24 et 25 mai 2014 ;

- enfin, des éléments de propositions soumis à la concertation sur la régulation des médias audiovisuels lors des trois campagnes électorales du premier semestre 2014.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission des lois.