M. Pierre Laurent. Je pense, enfin, à la question des aspirations nationales du peuple kurde, singulièrement réprimées par le régime d’Erdogan, membre de l’OTAN. Notre devoir est de soutenir les forces kurdes du PYD et du PKK, aujourd’hui en première ligne. Allons-nous, monsieur le ministre, laisser le PKK figurer dans la liste des organisations terroristes de l’Union européenne ?
Évidemment, tous ces drames ont pour toile de fond la question du pétrole, l’Irak possédant les quatrièmes réserves mondiales, avec une capacité de production de 12 millions de barils par jour.
L’invasion de l’Irak et son occupation par l’armée américaine pendant huit ans se sont traduites par une quasi-disparition de l’État irakien, par la mise en place de structures politiques et administratives fondées sur des critères religieux et ethniques, facteurs de frustrations et d’humiliations, favorisant les tensions communautaires et empêchant l’émergence d’une vision nationale commune, chacun des acteurs jouant pour ses propres intérêts.
C’est dans ce contexte que les différents groupes djihadistes ont pris leur essor. Les populations sunnites, maltraitées, ont été écartées du pouvoir et du partage des richesses par la politique sectaire d’Al-Maliki, lequel était soutenu tant par les Américains que par les Iraniens.
L’État central a été démantelé, l’armée, privée de cadres et de moyens. Quant à l’économie irakienne, rendue dépendante du seul pétrole, elle est désormais contrainte de tout importer.
Cette fuite en avant a favorisé la corruption, l’enrichissement fulgurant de quelques-uns, le blanchiment de l’argent des trafics et de la corruption, le tout sur fond de privatisations Al, sous les yeux bienveillants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
Cette société s’est peu à peu disloquée, créant un terrain favorable à la montée de la radicalisation.
Mais tous ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls l’expansion rapide des groupes djihadistes armés. En effet, ces groupes sont financés et équipés militairement – tout cela ne tombe pas du ciel ! – par des puissances régionales qui, à la faveur d’une proximité idéologique, les utilisent au gré de leurs intérêts : soit contre les Kurdes, telle la Turquie, soit contre l’influence chiite, tels l’Arabie saoudite et le Qatar.
Sans ces soutiens extérieurs, officiels ou non, jamais ces groupes djihadistes n’auraient pu acquérir la puissance qui est aujourd'hui la leur, telle qu’elle menace l’existence même de l’Irak et de la Syrie.
Allons-nous enfin ouvrir le débat sur les liens étroits que la France entretient avec ces puissances régionales, la Turquie, membre de l’OTAN, ou les monarchies du Golfe, ces clients fortunés qui achètent nos armes ? Peut-on encore longtemps fermer les yeux sur ces réalités ?
Mes chers collègues, que faire pour combattre ces groupes djihadistes et leur projet, à savoir la destruction de la démocratie et des droits humains ?
L’Irak mais aussi les troupes kurdes, qu’elles soient irakiennes ou syriennes, doivent recevoir toute l’aide nécessaire pour combattre les groupes armés. Cependant, les frappes aériennes ne sont pas la réponse, elles ne permettront pas de nous attaquer à ce fléau. Chaque jour, elles perdront de leur efficacité et nourriront le ressentiment des populations sunnites qui en sont victimes.
S’attaquer aux racines du mal, c’est aussi en finir avec le cadre dans lequel nous multiplions nos interventions, épousant la prétention d’un petit nombre d’États occidentaux qui s’autoproclament garants de l’ordre international. Il faut cesser de considérer ces régions comme l’arrière-cour de puissances occidentales en recherche de matières premières et de débouchés à leurs produits.
L’un des facteurs communs aux guerres actuelles et aux dangers qui montent est la prétention perpétuée de l’Occident à jouer le gendarme du monde, bien que les pays qui le composent ne représentent plus que 12 % de la population mondiale.
Chaque fois, notre réponse est strictement militaire, alors que ces situations de violence et de destruction sont le résultat de très profonds déséquilibres, auxquels il est urgent de s’attaquer en menant d’autres politiques, fondées sur le développement, la coopération et la solidarité, avec pour objectifs l’éradication de la pauvreté et la sécurité dans tous les domaines : santé, éducation, habitat, emploi et lutte contre les trafics.
Le Moyen-Orient n’est pas condamné à vivre guerre sur guerre ; les solutions politiques et diplomatiques peuvent être efficaces. Contre la radicalisation djihadiste, en effet, les réponses les meilleures sont, je le répète, le développement, la paix, la démocratie et la solidarité.
Il est grand temps de redonner aux Nations unies leur place et leur rôle dans la prévention des conflits, dans leur résolution et dans la mise en œuvre de programmes de développement et de partages des richesses. L’abandon progressif du seul cadre multilatéral, reposant sur le droit international et la souveraineté de toutes les nations de la planète, au profit d’un rôle accru de l’OTAN, sous l’égide des États-Unis, est une des plus grandes erreurs commises depuis la chute du mur de Berlin.
La France doit reconstruire sa vision du monde et cesser de s’accrocher au wagon de l’OTAN. Nous appelons de nos vœux l’organisation, dans cet hémicycle et dans celui de l’Assemblée nationale, d’un débat approfondi sur la politique extérieure de la France. Définie sans la représentation nationale et les citoyens, cette politique est plus « atlantisée » que jamais, à contresens de tout ce que les évolutions du monde nous appellent à penser.
À défaut d’un tel débat, notre politique restera dramatiquement aveugle et la voix de la France perdra sa portée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux exprimer l’accord et le soutien du groupe socialiste du Sénat à l’action que mène le Gouvernement en Irak. La gravité du moment est à la mesure de la menace à laquelle nous faisons face.
Le Président de la République ne s’y est pas trompé, le 15 septembre dernier, à l’occasion de son allocution d’ouverture de la conférence de Paris, lorsqu’il a qualifié Daech de « menace majeure […], qui fait peser sur l’Irak, sur la région du Moyen-Orient et sur le monde un risque majeur ».
Nous voulons saluer ici l’action menée ces dernières semaines par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense. Leur sens de l’anticipation conduit aujourd’hui la France à assumer pleinement ses responsabilités dans cette crise majeure. Nous voudrions également vous remercier, monsieur le ministre de la défense, comme nous remercions M. le ministre des affaires étrangères, d’avoir tenu régulièrement informées, et ce depuis plusieurs semaines, les commissions compétentes en matière d’affaires étrangères et de défense au Sénat et à l’Assemblée nationale.
En prenant d’emblée le parti d’affronter cette menace, la France relève un défi global, un défi de civilisation, lancé à nos sociétés. Elle le fait en toute légitimité, dans un cadre international ; elle est, dans cette circonstance, fidèle à elle-même.
Parce que la France est un pays de droit et que l’ampleur de la menace ne suffit pas à elle seule à justifier une intervention armée, il est nécessaire de souligner ici la légitimité dans laquelle elle inscrit son action.
En effet, il est important de rappeler qu’elle agit à la demande des autorités irakiennes. Ainsi, elle a été l’une des premières puissances à reconnaître le nouveau gouvernement d’union nationale, dirigé par le nouveau Premier ministre, Haïdar Al-Abadi. C’était le sens du déplacement que le Président de la République a effectué en Irak le 12 septembre dernier et au cours duquel il a témoigné son soutien. C’était un acte important, qui conditionnait notre intervention, car nous estimions, comme d’autres partenaires, que ce gouvernement devait être représentatif et donc inclure à une juste proportion les minorités, en particulier sunnites, écartées jusque-là des responsabilités par le précédent Premier ministre, Nouri Al-Maliki.
C’est donc à la demande d’un gouvernement d’union nationale, oint d’une légitimité démocratique, que la France répond.
Les relations de la France avec l’Irak sont fortes et anciennes. Elles ont été parfois teintées d’ambiguïté, mais elles ont constamment été guidées par l’amitié avec le peuple irakien. Ainsi, si la France a participé à la libération du Koweït, elle a refusé, en 2003, d’intégrer une coalition internationale parce que les raisons invoquées par nos alliés, notamment américains, ne lui semblaient pas reposer sur des preuves tangibles et que les vraies motivations lui paraissaient se trouver ailleurs.
Les relations entre nos deux pays sont désormais normalisées et doivent répondre à un souci de réciprocité.
Il est tout aussi important de rappeler que l’intervention française ne saurait déroger au droit international, et que c’est à une demande du Conseil de sécurité qu’elle répond. C’est le sens du communiqué du Conseil du 19 septembre dernier : « Le Conseil prie instamment la communauté internationale de renforcer et d’élargir, dans le respect du droit international, l’appui qu’elle fournit au gouvernement irakien dans sa lutte contre l’EIIL et les groupes armés qui lui sont associés. »
Un sommet organisé par les Nations unies et consacré à la lutte contre la menace mondiale créée par les combattants terroristes étrangers a lieu aujourd’hui même.
Cette prise de conscience témoigne de la gravité de la menace. Le Gouvernement, d’ailleurs, n’a pas été en reste puisque la France a très tôt fait partie des États qui ont tenu à s’impliquer dans la lutte contre Daech.
Notre pays a décidé d’accueillir sur son sol des réfugiés irakiens : une première vague issue des minorités menacées, au mois d’août, puis une deuxième, samedi dernier. Bien entendu, il doit le faire en prenant en compte les liens qui existent avec les familles des résidents en France. Seules doivent compter à nos yeux les souffrances imposées par l’organisation terroriste aux Irakiens, qu’ils soient yazidis, chrétiens, chiites ou sunnites.
La France a très vite décidé de fournir de l’aide humanitaire d’urgence. Plusieurs dizaines de tonnes ont déjà été expédiées à ce jour. D’ailleurs, lors de son déplacement en Irak, le Président de la République a confirmé le déploiement d’un véritable « pont humanitaire » entre nos deux pays.
Elle a aussi livré des armes aux Peshmergas kurdes, armes qui ont permis à leurs destinataires de mieux tenir face aux éléments de Daech, voire de reprendre l’initiative. La reprise du barrage de Mossoul, de concert avec les forces régulières irakiennes, en témoigne.
La France a agi dans les diverses enceintes internationales afin que soit engagée une action armée, en conformité avec le droit international, et de conférer une dimension collective à la réponse. Ainsi, après avoir reconnu, par le déplacement à Bagdad, le gouvernement irakien du nouveau premier ministre, elle a organisé à Paris une première conférence sur la sécurité en Irak, le 15 septembre dernier. En réunissant trente États, cette conférence a favorisé la coalition internationale qui en réunit aujourd’hui une quarantaine.
Enfin, la France a effectué des missions de reconnaissance et, le 19 septembre dernier, nos chasseurs Rafale ont frappé, à partir de la base où se trouvent nos forces prépositionnées aux Émirats, un dépôt logistique près de Mossoul, en territoire irakien.
Dans cette lutte contre le terrorisme, l’action de la France s’inscrit dans une stratégie globale qui répond à une menace, elle aussi globale.
Comme l’actualité vient de le rappeler avec cruauté voilà encore quelques heures, Daech participe d’une logique qui dépasse les territoires irakien et syrien et menace aujourd'hui directement nos ressortissants. Nous avons affaire à une échelle inédite de terrorisme qui se répand sur de vastes territoires d’Afrique : du Mali au sud de la Libye et, plus largement, sur une grande partie du Sahel.
Par anticipation, compte tenu de cette nouvelle dimension, la France a réorganisé, en étroite coopération avec ses partenaires locaux, son dispositif sur le continent africain dans le cadre de l’opération Barkhane.
Notre pays soutiendra donc les autorités irakiennes sur les plans logistique, humanitaire et politique, ainsi que par des frappes aériennes, mais il ne déploiera pas de troupes au sol. Ce choix obéit à des considérations qui tiennent compte de l’expérience du passé. Les troupes américaines se sont retirées d’Irak en 2011 : le souvenir de troupes occidentales dans ce pays est encore trop récent pour qu’un retour ne suscite pas de polémiques.
La lutte contre Daech s’inscrit en toute logique dans un tel affrontement global, dans un même continuum géographique et temporel. Mais, en dépit de tous ces efforts humanitaires, diplomatiques et militaires, ces initiatives doivent être encore complétées et élargies.
Nous mènerons ce combat non pas seuls avec les États-Unis et les autorités irakiennes, mais unis au sein d’une coalition face à un péril inédit dans sa forme. Et si la lutte armée contre Daech est un impératif stratégique et une exigence morale à court terme, au regard des exactions qui ont été commises, la solution à moyen et long termes ne peut naturellement être que politique.
Parce que son idéologie est la négation de valeurs portées par nos sociétés, parce que ses actes sont d’une inhumanité inqualifiable, Daech doit être combattu. Ce mouvement est né en 2003 contre les États-Unis et le nouveau pouvoir en Irak. La France avait déjà eu affaire à lui. Il s’appelait alors l’Armée islamique en Irak. C’est cette même organisation qui avait enlevé une journaliste française. Son chef d’alors avait lancé les premières attaques anti-chiites dès 2004, creusant plus encore les fondations des confrontations intercommunautaires d’aujourd’hui.
Nourris d’une idéologie sommaire, les actes mêmes de cette organisation sont dénoncés par tous, à l’image de l’appel de Paris, lancé par l’ensemble des organisations islamiques françaises et dont l’un des paragraphes est ainsi rédigé : « Les signataires dénoncent sans ambiguïté les actes terroristes qui constituent des crimes contre l’humanité et déclarent solennellement que ces groupes, leurs soutiens et leurs recrues ne peuvent se prévaloir de l’islam. Ces agissements d’un autre âge, tout comme les appels inconsidérés au djihad et les campagnes d’endoctrinement des jeunes ne sont fidèles ni aux enseignements ni aux valeurs de l’islam. »
De même, au mois d’août dernier, à la suite d’une déclaration du pape, un haut responsable de La Mecque a déclaré : « L’extrémisme et l’idéologie de groupes tels que l’État islamique sont contraires à l’islam, sont le plus grand ennemi de l’islam et les musulmans en sont les premières victimes ». La condamnation est unanime et sans appel : cette organisation n’est ni un État ni islamique.
Si nous devons aujourd’hui combattre idéologiquement et militairement Daech, la question du tarissement de ses financements reste posée. Nous le savons, ceux-ci proviennent des taxes sur les zones qu’il contrôle, de multiples sources privées, de trafics, de détournement de pétrole… La communauté internationale doit chercher des réponses opérationnelles à cette question.
Cette organisation a prospéré, hélas ! sur les frustrations engendrées par les impérities du régime de Bachar Al-Assad en Syrie et du gouvernement de Nouri Al-Maliki en Irak. La non-prise en compte de la pluralité, pourtant multiséculaire, de ces sociétés-États a encouragé l’émergence de cette entité dans ce qui est, rappelons-le, l’un des berceaux de nos civilisations. C’est bien la preuve que ce sont des solutions politiques qui doivent être apportées, à la fois localement et à une échelle plus globale.
L’enjeu régional est réel. L’engagement des États du Moyen-Orient doit devenir effectif, car ce sont les premiers concernés. Pour nombre d’entre eux, il s’agit bien d’une question existentielle.
La Turquie craint, on le comprend, que le rôle et la place des Kurdes dans la lutte contre cet organisme ne confortent l’émergence d’un Kurdistan autonome. Comme pour d’autres États de la région, des garanties sur l’intangibilité des frontières doivent être apportées à Ankara. Par ailleurs, la mise à l’écart de l’ex-Premier ministre irakien devrait faciliter une participation plus effective de la Turquie, longtemps préoccupée par le sort réservé aux sunnites d’Irak.
L’Égypte subit elle-même les répercussions de groupes terroristes sur son sol, notamment dans le Sinaï.
Au Liban, l’islamisme sunnite et le Hezbollah chiite se livrent à une surenchère qui met en péril les partis politiques modérés.
S’agissant de l’Arabie saoudite et du Qatar, leurs assises monarchiques sont remises en cause par l’idéologique salafiste véhiculée par Daech, qui privilégie un vaste ensemble communautaire dépourvu d’expression institutionnelle politique.
La Syrie et l’Iran sont évidemment des cas très particuliers, mais leur rôle respectif ne peut pas être négligé. L’intégration de l’Iran dans la coalition est conditionnée à l’issue que connaîtront les négociations sur le nucléaire. Celle de la Syrie l’est tout autant par l’acceptation par le régime de Damas d’une solution politique entre les différentes parties prenantes d’une guerre civile, où la responsabilité de Bachar Al-Assad ne pourra jamais être exclue. Pour la Syrie, un processus politique semblable à celui qui s’est plus ou moins esquissé en Irak pourrait constituer le fondement d’une négociation entre les parties.
Une action concertée de ces pays au sein de la coalition internationale constituerait naturellement une « percée diplomatique majeure ». Elle permettrait un rééquilibrage par lequel les frontières de ces États seraient consolidées et leurs tensions internes, stabilisées, car elle obligerait les régimes en place à trouver des réponses politiques chez eux tout en participant à une solution politique globale.
Cette organisation lance un défi à l’ensemble du monde. Le territoire qu’elle entend contrôler, le long du Tigre et de l’Euphrate, échappe à toute convention internationale. C’était aussi, rappelons-le, l’objectif du groupe AQMI au Mali. Ainsi émergerait un édifice aux contours vagues, mais organisé, un peu à l’image de celui qui avait été bâti par les talibans d’Afghanistan ou du Waziristan dans les années quatre-vingt-dix.
Comme le démontre l’actualité de ces derniers jours et même de ces dernières heures, Daech crée une logique de multinationale du terrorisme, semblable à celle d’Al-Qaïda. Des groupuscules, comme en Algérie aujourd'hui, dans le Sinaï ou en Afrique subsaharienne demain, et des individus – on dénombre près d’un millier de Français et 10 000 Européens en Syrie et en Irak – s’en réclament. Comme les dernières déclarations incitent à le penser, les risques d’attentat sont donc accrus pour les pays occidentaux et pour ceux de la coalition.
Au-delà de la lutte sécuritaire et militaire, qui va durer longtemps, c’est un défi qui est lancé à l’ensemble de nos sociétés. La lutte contre Daech est un combat de nature civilisationnelle, qui nous ramène aux fondements de nos sociétés libérales et démocratiques et nous renvoie malheureusement à la fragilité, parfois, de nos États de droit.
En ce sens, l’absence de participation des Européens aux opérations militaires interpelle. (M. Daniel Raoul acquiesce.) Peut-être faudra-t-il soulever cette question lors du prochain Conseil européen, afin d’inciter le prochain Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et la nouvelle Commission à définir une ligne plus claire sur un sujet essentiel pour l’Europe. En effet, comme M. le Premier ministre l’a récemment dit, Daech s’en prend à nos libertés et à nos valeurs fondamentales, non seulement à celles des Français, mais aussi à celles de tous les Européens. (MM. Daniel Raoul et André Gattolin applaudissent.)
Enfin, c’est parce que la France ne doit pas déroger à ses valeurs qu’elle s’engage dans cette coalition internationale. Elle conservera son autonomie d’appréciation dans les objectifs militaires et encouragera la plus large coopération avec les États participants, en conformité avec le droit international et dans le respect de ses partenaires.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Et voilà !
M. Daniel Reiner. La France est une fois de plus à sa place, à la hauteur de ce double défi : combattre le terrorisme – nous avons en ce moment une pensée pour nos militaires qui conduisent ces missions dans différents théâtres extérieurs et en France – et travailler à la recherche des issues politiques pour que cette région du Moyen-Orient retrouve équilibre et sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour le groupe du RDSE.
M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 juin dernier, la proclamation d’un califat par Daech sur une partie de l’Irak et de la Syrie a marqué un tournant majeur, même si nous étions déjà alertés depuis plusieurs mois sur cette évolution inquiétante, imposée avec barbarie par les djihadistes.
Ces dernières semaines, nous avons tous suivi avec effroi la brutalité de l’avancée de ces terroristes jusqu’à Mossoul. Je rappellerai les exactions commises sur leur passage, notamment à l’encontre des chrétiens d’Orient, qui n’ont pas eu d’autre choix que l’exil, la conversion forcée ou la mort. La France a d’ailleurs très vite mesuré la gravité de la situation. À cet égard, je salue sa prompte réaction, qui a permis de mobiliser l’Union européenne dès le 15 août pour l’organisation d’un pont humanitaire, afin d’aider les populations d’Erbil. Fidèle à sa tradition de protection des minorités persécutées, notre pays a accueilli des réfugiés, ce dont je me réjouis également.
Dans ce chaos insoutenable, je n’oublie pas la violence de l’assassinat des trois otages occidentaux, qui illustre une détermination sans borne, pour ne pas dire « sans foi ni loi », chez ces djihadistes, dont la prétendue ferveur n’a pas d’autre ambition que celle d’une domination absolue pour mieux propager leur obscurantisme.
C’est contre cela que nous devons lutter, contre un mouvement qui fait de la négation de l’être humain une politique. Et, contrairement à ce que prétendent les communiqués de ces terroristes, notre engagement ancien dans la lutte contre l’extrémisme islamiste n’est pas une guerre de civilisation.
Tout au long de son histoire, la France a toujours noué des liens étroits et mutuellement enrichissants avec la plupart des pays du Moyen-Orient et, plus globalement, avec les pays musulmans. C’est d’ailleurs au nom de cette amitié, en l’occurrence au nom de celle que nous avons souvent entretenue avec le peuple irakien, que nous ne pouvons pas laisser des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se faire massacrer.
Bagdad a officiellement demandé l’aide de la France : comment ne pas y répondre ? Le Président de la République a donc décidé la participation de notre pays à la coalition mise en place au sommet de l’OTAN, à Newport. Dans sa grande majorité, le groupe du RDSE approuve cette initiative, même si, pour ma part, j’émettrai tout à l'heure quelques réserves.
Pour reprendre les termes utilisés par le Président de la République, il fallait agir rapidement pour affaiblir l’organisation terroriste et venir en appui des autorités irakiennes. Nous le savons, les forces armées irakiennes auraient été débordées sans l’aide efficace des Peshmergas kurdes, dont il convient de souligner l’engagement. L’armée irakienne doit affronter une force qui, auparavant estimée à 10 000 hommes, serait désormais, selon les experts, composée de 30 000 combattants – M. le ministre nous le confirmait ce matin.
En outre, en conquérant un territoire couvrant près de 40 % de l’Irak, les terroristes s’enrichissent : ils mettent la main sur des axes stratégiques et des richesses naturelles et organisent des flux financiers. Vous l’avez rappelé récemment devant les membres de la commission des affaires étrangères, monsieur le ministre, Daech disposerait d’une manne financière évaluée entre un et deux milliards de dollars. Au fur et à mesure de l’avancée de cette organisation, cette réserve progresse de façon exponentielle. Il est donc temps de la contenir, car nous connaissons les visées expansionnistes d’Abou Bakr al-Baghdadi.
Vous le savez, mes chers collègues, le leader de Daech ne cache pas ses intentions, qui ne concernent pas uniquement la Syrie et l’Irak. La Palestine, la Jordanie, mais aussi le Liban figurent parmi ses objectifs. Il veut réussir là où Ben Laden a échoué.
Face à un tel dessein, dont la réalisation déstabiliserait profondément et pour longtemps la région, nous ne pouvions pas rester passifs. Un large consensus s’est dégagé au plan politique comme dans l’opinion en faveur de l’intervention des forces françaises en Irak.
Sur le terrain, les premières frappes aériennes ont eu lieu. Je rappellerai cependant que tout doit être mis en œuvre pour épargner les populations civiles qui n’ont déjà que trop souffert.
J’ajouterai que cette intervention est également nécessaire pour la propre sécurité de nos concitoyens, même si, à court terme, le risque de représailles est réel, comme le montre, hélas, l’enlèvement d’un Français en Algérie. C’est une triste nouvelle, et je tiens à exprimer ma solidarité avec ses proches. Je sais, monsieur le ministre, que tout est fait pour éviter le pire, notamment en coopération avec les autorités algériennes.
Par ailleurs, comme vous l’avez aussi exposé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, l’organisation sur notre territoire de filières d’apprentis terroristes expose les Français à une menace croissante.
Au demeurant, tout est mis en œuvre, je le sais, pour que notre pays dispose d’outils toujours plus efficaces. Je pense à l’action des services de renseignement, à Vigipirate et à notre législation concernant la lutte contre le terrorisme, dont nous aurons l’occasion de discuter dans quelques semaines.
Tout cela est positif, mais ne nous met malheureusement pas à l’abri du risque d’un acte isolé. Par ailleurs se pose la question, au regard de « l’incident » d’hier relatif au retour de trois djihadistes français, des moyens des services de lutte contre le terrorisme et de leur coordination… Les prochains débats budgétaires permettront d’en discuter. Cependant, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous éclairer dès aujourd’hui sur ce qui apparaît comme un « raté ».
Si je devais néanmoins exprimer quelques regrets concernant cette intervention, je pointerais tout d’abord le manque d’implication significative, absolument inacceptable, de nos voisins européens, la France paraissant finalement se placer derrière les États-Unis. Les Français seraient ainsi les « bons élèves » supplétifs d’une stratégie purement américaine.
Or la France est forte dans ce monde quand elle porte cette conscience et ses valeurs, en affirmant plus que jamais sa capacité d’intervenir en toute autonomie et indépendance. Notre pays s’honore du combat conduit sur son initiative en Afrique, que ce soit au Mali ou en République centrafricaine. Toutefois, peut-il tenir tous ces fronts ? Est-ce souhaitable politiquement ? Et en a-t-il les moyens ?
Par conséquent, gardons également, pour ce qui concerne l’Irak, notre libre arbitre. Je pense en particulier à la question de l’extension de l’intervention de la coalition en Syrie. Les États-Unis effectuent depuis peu des raids en territoire syrien, alors que ce point n’avait pas été tranché lors du dernier Conseil de sécurité des Nations unies. Rappelons que notre décision d’intervenir a été prise avec l’accord de Bagdad. Quelle est la position de la France en la matière, monsieur le ministre ?
Ensuite, cette intervention, dans son seul format militaire, si nécessaire soit-elle, ne me paraît pas suffisante. Nous savons pertinemment que l’absence de stratégie globale ne fait que différer les problèmes. Nous ne pouvons que le déplorer pour ce qui concerne l’Irak, où l’intervention de 2003, à laquelle je m’étais d’ailleurs opposé – la position adoptée par la France à l’époque lui a fait honneur –, n’a pas produit l’effet escompté.
Daech est une réminiscence hybride de l’idéologie d’Al-Qaïda et de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine des années 2003-2008. Après une intervention militaire alliée dans un pays en crise, la question reste souvent entière : comment contribuer à une solution politique dans le cadre d’une stratégie diplomatique dans laquelle la France et l’Europe peuvent prendre une place majeure et indépendante ?
Dans ce pays et au-delà, nous sommes devant une situation complexe, où la lutte d’influence entre le sunnisme et le chiisme minoritaire complique les choses. On le sait, le gouvernement irakien de M. Nouri Al-Maliki a concentré tous les pouvoirs, sans intégrer toutes les communautés, contrairement aux dispositions de l’accord d’Erbil de novembre 2010.
Dans cet esprit, il est temps que tous les pays concernés de la région, que ce soient les pays en crise ou les acteurs incontournables comme l’Iran ou l’Arabie saoudite, participent sans ambiguïté à une stratégie commune, car seule la coexistence de toutes les communautés jugulera le terrorisme, lequel se nourrit de la marginalisation et de la paupérisation qui, bien souvent, en découle. Comment imaginer aussi dans cette partie du monde une solution durable qui n’associerait pas la Russie et la Chine ?
Dans cette perspective, du côté de la diplomatie occidentale, il convient, selon moi, d’intensifier les efforts en faveur des règlements politiques, car l’intervention militaire est une réponse d’urgence, mais certainement pas la voie de la paix.
Mes chers collègues, la France a pris ses responsabilités en décidant de contribuer à éliminer Daech, le visage inquiétant du fanatisme le plus monstrueux. Comme je l’ai dit, le groupe du RDSE soutient cette entreprise, qui doit s’accompagner d’une réflexion stratégique plus profonde et d’une action diplomatique soutenue avec la communauté internationale, dans le cadre et sous l’autorité de l’ONU. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.