Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je n’avais pas l’intention d’intervenir, car tout semble avoir été dit sur ce sujet. Toutefois, après avoir écouté certains orateurs, j’ai envie de prendre la parole, me référant à mon parcours personnel.
Tout d’abord, nous préférons toutes le combat aux quotas. Néanmoins, sans quotas, il est parfois difficile de mener des combats, car les obstacles que rencontrent les femmes pour parvenir aux responsabilités sont nombreux. C’est l’épreuve du 110 mètres haies, où il faut affronter des hommes élus depuis longtemps, et parfois passer sous les fourches caudines des partis politiques. Le mode de scrutin adopté permettra de compter davantage de femmes au sein de cet hémicycle.
Ensuite, si beaucoup d’entre nous n’ont pas rencontré de problèmes, d’autres doivent au contraire batailler. C’est donc par solidarité que je voterai ce texte.
Je rappelle simplement à notre assemblée que des jeunes filles nigérianes ont été kidnappées par Boko Haram voilà aujourd'hui cent jours. Dans certains pays du monde, le fait d’être une femme n’est pas simple à assumer. Alors que nous-mêmes bénéficions de conditions extrêmement faciles pour exercer nos droits, nous devons penser à celles pour qui le sort n’a pas été aussi favorable.
Par ailleurs, je connais les problèmes liés aux pensions alimentaires, puisque j’y ai été confrontée dans une vie antérieure, mon ex-compagnon ne les ayant pas payées durant dix-huit ans. Ce texte permettra sûrement d’améliorer un certain nombre de choses en la matière.
Enfin, je veux rendre hommage au travail de Muguette Dini, qui a décidé de ne pas solliciter un nouveau mandat, qu’elle aurait d’ailleurs sûrement obtenu haut la main. Elle est une voix posée, délicate et énergique dans le cadre de la défense de nombreux droits, on l’a encore vu voilà quelques semaines lors des débats sur les violences faites aux femmes. Elle nous manquera dans cet hémicycle.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voterai ce texte avec beaucoup de conviction, car il contient en lui-même les nombreux combats, luttes, mouvements et difficultés connus, vécus, portés par les femmes de ce pays pour l’égalité.
Je le voterai nonobstant le fait qu’un adjectif ait subsisté, malgré nos efforts au sein de la commission mixte paritaire pour le supprimer. Je souhaite apporter sur ce point quelques explications. On croit toujours qu’un ajoutant des adjectifs ou, parfois, des adverbes, on renforce le propos. Mais tel n’est pas le cas.
Le magnifique poème de Paul Éluard intitulé Liberté, que tout le monde connaît, n’est pas une ode à la liberté réelle, véritable, authentique. Certains mots ont une telle force qu’ils s’imposent dans leur plénitude. Ainsi avons-nous défendu la laïcité, alors que certains voulaient que l’on y adjoignît l’adjectif « positive », ce qui présupposait inévitablement qu’il pourrait y avoir une laïcité « négative », comme il y aurait, madame la ministre, une égalité « irréelle ».
Mme Laurence Cohen. Dans les faits, pourtant…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Donc, je plaide – et c’est ce pour quoi vous vous battez, chère Michelle Meunier, avec beaucoup de talent – tout simplement pour l’égalité.
On n’a jamais souhaité changer la devise de notre République, pour parler d’égalité véritable, de liberté authentique et de fraternité réelle. Les mots ont un sens et, en tant que législateurs, nous devons poursuivre l’œuvre qui consiste, sans forcément être bavards, à « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », pour reprendre l’expression du grand poète Stéphane Mallarmé. Donnons le sens le plus fort possible à ces mots, notamment à celui d’« égalité ».
Qu’il me soit enfin permis, puisque j’ai la parole, ce dont je vous remercie, madame la présidente, de rendre hommage à plusieurs des intervenants dans ce débat.
Mme Goulet a parlé de Mme Dini, qui a mené ce combat pour l’égalité, mais je tiens aussi à saluer Mme Printz – elle me le permettra puisqu’elle a choisi de ne pas poursuivre son mandat – qui a combattu avec force pour faire valoir ses convictions.
Je remercie également nos rapporteurs. J’ai déjà parlé de notre rapporteur pour avis, Michelle Meunier, qui, elle, reste au Sénat. Je remercie très sincèrement notre rapporteur, Virginie Klès, car, comme j’ai eu l’occasion de le lui dire ce matin, c’est une femme de conviction, qui a constamment défendu ici, avec beaucoup de ferveur, ses positions. Vous venez, encore une fois, ma chère collègue, d’en apporter la preuve par votre intervention.
Tout le monde aura compris que rien n’eût été possible sans Mme la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, que je remercie également.
Madame la ministre, je puis témoigner, comme l’ensemble de mes collègues, que vous avez fait preuve d’une grande ténacité afin que ce texte soit, premièrement, élaboré, deuxièmement, adopté en conseil des ministres et, troisièmement, qu’il trouve sa place dans les agendas parlementaires. Donc, nous vous devons également – et vous me permettrez en l’espèce d’ajouter un petit adjectif ! – un grand remerciement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 241 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 199 |
Pour l’adoption | 199 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la vie d’un ministre, il y a quelques rares moments d’émotion pure : l’adoption d’un texte de loi comme celui-ci en est évidemment un.
Je vous remercie pour la qualité du travail effectué. J’ai calculé que l’examen de ce texte avait représenté vingt-quatre heures de débat. De nombreux amendements ont été présentés par votre assemblée ; 45 % d’entre eux ont été retenus et sont venus enrichir ce texte, contribuant ainsi à sa qualité.
Madame la présidente, permettez-moi enfin de vous saluer puisque c’est la dernière fois que vous siégez en tant que vice-présidente de cette assemblée avant son prochain renouvellement. Je veux vous remercier de la sérénité avec laquelle vous avez présidé ces débats, en nous rappelant quelquefois à l’ordre, tant il est vrai que, sur des sujets comme celui de l’égalité entre les femmes et les hommes, nous avons rapidement tendance à nous enflammer. (Sourires.)
Merci et très longue vie à cette loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
5
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Vincent Delahaye membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, avant que nous passions au point suivant de l’ordre du jour, je sollicite une suspension de séance de dix minutes.
Mme la présidente. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le président de la commission des lois.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Sécurisation des transactions du quartier central de Gerland à Lyon
Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurisation des transactions relatives à la zone d'aménagement concerté du quartier central de Gerland à Lyon (proposition n° 719, texte de la commission n° 731, rapport n° 730).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l'égalité des territoires. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les propositions de loi relatives à la sécurisation des transactions relatives à la zone d’aménagement concerté, ou ZAC, du quartier central de Gerland à Lyon font partie des textes qui réparent et sécurisent.
Je note que cette question a réuni de très nombreux parlementaires du territoire lyonnais. En effet, le texte, déposé à l’Assemblée nationale par Thierry Braillard, lorsqu’il était encore député, a été repris par Jean-Louis Touraine et Gilda Hobert, mais également, au Sénat, par le sénateur-maire de Lyon, Gérard Collomb.
Tout projet d’aménagement repose, en amont, sur des procédures ayant trait à l’ingénierie foncière : maîtrise, acquisition, cession de terrains… Or, dans le cas précis de la ZAC de Gerland, une étape majeure, préalable aux autres démarches administratives et techniques, n’a pas été formalisée en son temps : les terrains du domaine public de la ville de Lyon n’ont pas été formellement déclassés avant division et cession au profit d’opérations d’aménagement et de construction.
Cette omission fragilise juridiquement tous les contrats et conventions passés relatifs à ces terrains. Au regard des enjeux d’aménagement et de l’impossibilité pour la collectivité de procéder au déclassement formel dès à présent sans fragiliser juridiquement les contrats passés, seule la solution d’une validation législative de ces contrats peut être retenue.
C’est l’objet de la proposition de loi qui vous est soumise, dont je tiens à souligner le caractère d’urgence. En effet, tout recours déposé à l’heure actuelle remettrait en cause l’ensemble des actes juridiques ayant trait aux transactions foncières pris depuis les années quatre-vingt. Si cette irrégularité a jusqu’alors été sans conséquence, le présent texte vise à valider rétroactivement l’ensemble des contrats relatifs à ces terrains autorisés et passés par la ville de Lyon.
Il témoigne de la forte mobilisation locale autour d’un projet majeur de l’agglomération lyonnaise, porté depuis plus de trente ans par les acteurs locaux.
La démarche a, en effet, débuté officiellement en 1982, lorsque le conseil municipal de la ville de Lyon a approuvé, par délibération, le projet de création-réalisation d’une zone d’aménagement concerté sur les terrains du quartier central de Gerland. Le programme était ambitieux et exemplaire, puisqu’il reposait sur la mobilisation de 28 hectares de foncier entièrement propriété des collectivités publiques de la ville de Lyon et de la communauté urbaine de Lyon.
Une première tranche de cette ZAC d’envergure devait renforcer sensiblement le programme de construction du campus de l’École normale supérieure, afin de permettre la réalisation d’environ 600 logements, dont plus de 300 logements sociaux, et 31 000 mètres carrés de bureaux, commerces et équipements publics.
Ce projet mixte et bâti autour d’un établissement majeur a créé un réel effet d’entraînement dans la mutation du secteur de Gerland, amorçant son intégration dans le tissu urbain environnant. De surcroît, cette réussite a stimulé l’émergence de nouveaux projets dans le cadre de la ZAC, permettant de conforter l’émergence d’un pôle national de recherche dans le domaine de la santé et des biotechnologies, le pôle de compétitivité Lyonbiopôle et le projet de développement de l’université de Lyon.
Aujourd’hui, le secteur continue d’évoluer et le projet d’ensemble prévoit le développement du pôle de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, au travers de l’installation d’établissements majeurs, comme le laboratoire de virologie P4 ou le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé.
La réussite de ce projet va de pair avec un fort investissement des collectivités qui défendent des projets ambitieux pour leur territoire.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue l’unique vecteur législatif que nous ayons trouvé pour pérenniser le travail accompli et sécuriser celui à venir. Son article unique a pour objet de régler le problème de domanialité de la ZAC de Gerland, en validant de manière rétroactive tous les contrats portant sur les biens construits sur les terrains désaffectés, mais non déclassés, du domaine public de la ville de Lyon.
Bien sûr, cette opération n’est envisageable que dès lors que certaines conditions, posées par la jurisprudence en matière de validation législative, sont bien respectées, ce qui est le cas.
Premièrement, la validation est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, recevable au regard de la jurisprudence connue en la matière, puisque la bonne réalisation du pôle de biotechnologie de Gerland participe de l’attractivité économique de ce territoire.
Deuxièmement, la validation respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée, comme le texte de la proposition de loi le rappelle explicitement.
Troisièmement, l’acte validé ne méconnaît aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, puisque les différents contrats n’ont pas fait l’objet d’un quelconque recours par le passé. La validation législative proposée intervient donc à titre préventif. Par conséquent, elle respecte la séparation des pouvoirs, seul principe à valeur constitutionnelle qui aurait pu sembler méconnu.
Quatrièmement, enfin, la portée de la validation est strictement définie, puisqu’elle est circonscrite au territoire couvert par la ZAC de Gerland.
La proposition de loi respecte donc l’ensemble des critères posés par la jurisprudence en matière de validation législative. Je partage, en ce sens, les conclusions de votre rapporteur.
Les habitants et les entreprises déjà présents sur le site ou qui envisagent de s’y installer méritent d’être sécurisés. Concrètement, ce texte vise à entretenir l’élan d’une opération d’aménagement majeure pour la région lyonnaise, en confortant juridiquement son développement, afin de favoriser sa pleine réussite.
Une validation législative constitue bien la seule alternative à la régularisation du vice de forme que constitue le non-déclassement des terrains du domaine public de la ville de Lyon.
De plus, elle permet de faire rentrer complètement dans le droit commun une opération à l’encontre de laquelle n’a été engagé jusqu’à maintenant aucun recours contentieux, malgré la complexité et la longévité du projet d’aménagement, preuve de la qualité de l’investissement des porteurs de ce projet et des différents acteurs impliqués localement.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée dans les mêmes conditions que devant l’Assemblée nationale. Compte tenu de la nature du sujet, j’espère que le Sénat approuvera ces dispositions et que celles-ci sauront rassembler l’ensemble de ses membres, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Isabelle Lajoux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’Assemblée nationale, le Sénat est saisi d’une proposition de loi relative à la sécurisation des transactions relatives à la zone d’aménagement concerté du quartier central de Gerland à Lyon. La commission des lois a joint à l’examen de cette proposition de loi celle de notre collègue Gérard Collomb qui présente le même objet.
La finalité de ces deux propositions de loi est de mettre un terme à un risque de contentieux, en validant les contrats de vente ou de bail conclus à l’occasion de l’établissement de la zone d’aménagement concerté, ou ZAC, du quartier central de Gerland à Lyon.
En effet, la légalité de ces actes est fragilisée par un vice de procédure qui date de plus de trente ans. Or, si ce dernier n’a jusqu’à présent donné lieu à aucun recours, on peut craindre qu’il ne soit à l’avenir utilisé à des fins dilatoires, pour contester les futurs actes pris en application du nouveau plan d’aménagement du quartier de Gerland.
Le point de départ de la proposition de loi est donc la création, au début des années quatre-vingt, de la ZAC de Gerland. Celle-ci a été instaurée à partir de terrains initialement dévolus aux abattoirs municipaux de la ville de Lyon. Ces derniers ont été fermés à partir de 1967, leur activité ayant été délocalisée dans une autre commune de l’agglomération. La création de la ZAC a permis de tirer parti de cette friche industrielle.
Comme vous avez pu le voir sur le plan reproduit dans le rapport écrit, la partie ouest de la parcelle a servi à l’implantation de l’École normale supérieure, ou ENS, de Lyon, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, ou de l’Établissement français du sang. La partie est a été cédée à des bailleurs sociaux ou à des personnes privées, ce qui a permis la construction de logements et de commerces, ainsi que l’implantation du siège social de l’entreprise Sanofi.
C’est dans cette partie est que se pose le problème : les opérations de cession de terrains à des personnes privées sont entachées d’un vice de procédure susceptible de conduire à leur remise en cause. En effet, les terrains n’ont pas été formellement déclassés du domaine public de la ville de Lyon vers son domaine privé.
Même si les faits remontent à plus de trente ans et n’ont jamais fait l’objet d’un quelconque recours, une telle remise en cause menace potentiellement la propriété de tous ceux qui se sont portés acquéreurs des terrains, en toute bonne foi. Elle menace aussi le nouveau projet ambitieux d’aménagement de la ZAC de Gerland.
Telles sont les données du problème. La commission s’est posé deux questions. Le vice de procédure allégué est-il réel ? Ce faisant, la validation proposée est-elle acceptable ?
La commission estime que la première question appelle une réponse positive.
En effet, la distinction entre le domaine public et le domaine privé d’une collectivité rend compte du fait que, parce qu’ils sont affectés à l’usage du public ou d’un service public, certains biens détenus par une personne publique doivent bénéficier d’une protection juridique particulière, qui assure la pérennité de cette affectation et les mette à l’abri de toute cession ou de toute appropriation par des personnes privées. Les abattoirs municipaux étant un service public, il va de soi que les terrains sur lesquels ils étaient établis relevaient du domaine public de la collectivité.
Or le rattachement d’un bien au domaine public d’une collectivité lui assure une protection supérieure, qui se décline en trois traits : inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité. Cette protection est la caractéristique qui distingue le plus le domaine public et le domaine privé d’une collectivité.
Si l’administration peut généralement librement disposer des biens rattachés à son domaine privé, comme le ferait un particulier, tel n’est pas le cas pour les biens de son domaine public : elle ne peut en principe les céder. Un procédé permet toutefois de s’affranchir de ces limites : le déclassement du bien du domaine public de la collectivité vers son domaine privé.
Ce déclassement procède de deux opérations distinctes.
La première est matérielle : il s’agit de la désaffectation du bien à l’usage du public ou à l’accomplissement du service public. Concrètement, dans le cas du terrain de Gerland, par exemple, il s’agissait, de la fermeture des abattoirs intervenue en 1967 et de leur démolition.
La seconde opération est juridique : la collectivité doit prendre formellement une décision qui constate le déclassement et le passage du terrain, qui ne fait plus l’objet d’une affectation à l’usage du public, dans son domaine privé. Or le juge administratif n’accepte pas les déclassements implicites et exige une décision expresse, faute de quoi il considère que le bien est toujours rattaché au domaine public de la collectivité concernée et demeure donc inaliénable. Il annule en conséquence les ventes, les échanges ou les dons consentis sur ce bien.
C’est là que le bât blesse, dans le cas de la ZAC de Gerland : si la désaffectation a bien eu lieu, à aucun moment la collectivité n’a formellement procédé au déclassement des terrains. Leur mise à bail ou leur vente pourraient donc être annulées, même trente ans après les faits. On ne peut exclure que, à l’occasion d’un nouveau projet d’aménagement, des recours soient engagés sur ce fondement.
La présente proposition de loi vise donc à éviter ce désordre contentieux en validant les opérations passées, en rendant impossible leur contestation sur le fondement de cette illégalité et en apportant ainsi une plus grande sécurité à ceux qui ont acquis les terrains à l’époque, en toute bonne foi.
La validation est donc bien justifiée. Est-elle conforme au droit ? Il me semble que l’on peut également donner une réponse positive à cette question, parce que la validation est très strictement délimitée.
Sans être systématique, la pratique des lois de validation est fréquente : selon les années, on a pu en compter entre une dizaine ou une vingtaine. Elle est cependant très exorbitante du droit commun, puisque l’intervention législative peut, le cas échéant, contrecarrer des décisions de justice et porter atteinte aux droits des justiciables. Ce faisant, elle est très encadrée par les jurisprudences constitutionnelle, administrative et judiciaire, ainsi que par celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces jurisprudences sont très largement convergentes.
Le Conseil constitutionnel soumet la conformité à la Constitution d’une validation législative au respect de cinq conditions. La présente proposition de loi satisfait à chacune.
Première condition, la validation doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Ce point est acquis, car il s’agit d’éviter la remise en cause de situations établies depuis trente ans et de permettre d’engager une nouvelle opération d’aménagement d’intérêt régional, voire national, avec la création d’un biopôle à Lyon.
Deuxième condition, la validation doit respecter les décisions ayant force de chose jugée. À défaut, le principe de séparation des pouvoirs serait méconnu. La proposition de loi réserve expressément ce cas.
Troisième condition, la validation doit respecter le principe de la non-rétroactivité des peines et des sanctions. Cela va de soi, puisque le présent texte ne vise aucune sanction.
Quatrième condition, l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général visé par la validation elle-même soit de valeur constitutionnelle. Ce point ne pose pas non plus de difficulté : les abattoirs municipaux étaient fermés depuis plus de dix ans au moment de la création de la ZAC, il n’y a donc pas eu d’atteinte portée à la continuité du service public.
Enfin, dernière condition, la portée de la validation doit être strictement délimitée. La catégorie des actes validés doit être clairement définie, ainsi que le motif précis dont le législateur entend purger les actes contestés. Tel est bien le cas de cette proposition de loi, dont le champ est strictement délimité : elle ne concerne que les actes de cession de terrains, de bail ou de concession d’usage emportant reconnaissance de droits réels, conclus dans le cadre de la ZAC de Gerland, et au seul motif de l’absence de déclassement. Aucun autre type d’illégalité n’est couvert par la validation.
La proposition de loi paraît ainsi tout à fait conforme aux exigences tant constitutionnelles que conventionnelles.
Pour conclure, je formulerai trois observations.
La validation ne saurait valoir pour l’avenir : elle n’affectera que les actes antérieurs à la promulgation de la loi. À défaut, sa portée pourrait être jugée imprécise. En revanche, les actes légalement adoptés à partir de décisions validées ne pourront, eux, faire l’objet d’aucune contestation.
Par ailleurs, si la proposition de loi régularise les actes conclus en dépit de l’absence de déclassement, elle ne vaut pas, par elle-même, déclassement des terrains en cause, pour ceux qui demeurent toujours dans le patrimoine de la collectivité. Il s’agit, en l’espèce, des terrains sur lesquels ont été consentis un bail ou une concession d’usage. Si la ville de Lyon ne procède pas au déclassement, le même vice de procédure risque de frapper la décision de renouveler le bail ou la concession en cause. Or il ne sera pas, cette fois-ci, couvert par la validation. J’ai alerté les représentants de la ville de Lyon sur ce point ; ils m’ont assuré qu’ils entendaient bien procéder ainsi.
Enfin, l’illégalité couverte par le présent texte est une irrégularité formelle, jamais contestée en trente ans. Ce faisant, sa validation s’apparente à une simple régularisation, peu susceptible de nuire aux intérêts des justiciables. Elle est donc tout à fait opportune. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter conforme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, mon propos sera bref, parce que tout a déjà été dit et, surtout, parce que le texte que nous examinons n’est que la traduction législative d’une régularisation nécessaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle – je vais tout de suite mettre un terme au suspense insoutenable vécu par notre collègue maire de Lyon, Gérard Collomb – le groupe UMP l’adoptera.
J’ajouterai cependant quelques mots d’explication. Depuis de nombreuses années, la zone d’activité de Gerland attire un nombre croissant de PME innovantes, d’habitants et de services. Ce quartier présente une grande diversité d’entreprises industrielles et tertiaires et une bonne croissance démographique. Cette ZAC est le cœur d’un regroupement d’entreprises multinationales de santé et de biotechnologies de niveau mondial : le site accueille ainsi plus de 2 750 chercheurs publics ou privés et des infrastructures de pointe.
Or la création de cette ZAC de Gerland est entachée d’un vice de procédure, à savoir le défaut de déclassement des terrains concernés du domaine public de la ville de Lyon dans son domaine privé, défaut qui menace aujourd’hui la légalité des actes de cession ou de mise à bail des terrains concernés.
Au moment où un nouveau programme d’aménagement de la ZAC est envisagé, il est urgent de restaurer la légalité. Notre démarche d’aujourd’hui tend donc à rappeler clairement à quoi correspond le distinguo entre le domaine public et le domaine privé d’une personne publique, essentiel pour déterminer le régime des biens qui sont affectés à chaque domaine.
Cette ZAC créée et aménagée voilà plus de trente ans, par arrêté du préfet, sur les anciens abattoirs municipaux de la ville de Lyon relevait par conséquent bien du domaine public de la commune et les bâtiments et terrains étaient également soumis à ce régime.
En l’absence d’une décision juridique claire, le terrain visé pourrait donc être réputé toujours intégré au domaine public de la collectivité et, à ce titre, inaliénable. En légiférant aujourd’hui, nous éviterons donc de potentiels contentieux et permettrons de garantir une meilleure sécurité juridique, répondant aux exigences constitutionnelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)