M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je l’ai souvent répété depuis le début du quinquennat : l’héritage reçu en mai 2012 était lourd. Il était dû en grande partie à la crise de 2008, que vous reconnaissez enfin, et que vous invoquez aujourd’hui, avec six années de retard.
Au mois de mai dernier, cet héritage a dramatiquement fructifié : on relève 395 000 chômeurs supplémentaires – un premier record ! –, une dette qui avoisine les 2 000 milliards d’euros – un deuxième record ! –, soit 30 000 euros par habitant, et une baisse de 20 % des permis de construire, un troisième record qui a des conséquences importantes sur l’emploi. Selon la Commission européenne, le déficit commercial de notre pays s’aggrave. La trajectoire budgétaire dérape, le déficit public s’établit à 3,8 % au lieu des 3,6 % prévus et le mécanisme de correction budgétaire est désormais déclenché.
Oui, « c’est dans la cohérence et la continuité que se jouent la solidité et […] la réussite de notre politique économique » : vous avez raison, monsieur le secrétaire d’État. Pourtant, depuis deux ans, la politique économique et fiscale n’a pas mis en œuvre cette préconisation ; elle en a même pris le contrepied.
Où est la cohérence ? Où est la continuité ?
Le gouvernement Ayrault avait augmenté les impôts et les charges pesant sur les entreprises de 28 milliards d’euros et, selon les estimations, ceux qui concernent les ménages de 15 à 17 milliards d’euros. Il s’est évertué, deux années durant, à éteindre le feu de la crise en l’alimentant par une taxation compulsive.
La Cour des comptes a souligné « les limites d’une stratégie concentrée trop exclusivement sur l’augmentation des recettes ». Comme je vous l’avais prédit, cette stratégie a provoqué un affaiblissement des recettes de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés en 2013 et de la TVA en 2012. La multiplication des mesures nouvelles a créé une incertitude quant à la stabilité de la fiscalité. Cette politique a surtout généré 8 milliards d’euros de recettes en moins en 2013 et, selon les estimations, 4,8 milliards d’euros en moins en 2014, voire davantage.
Est-il nécessaire de rappeler, encore une fois, que trop d’impôt tue l’impôt ? M. le ministre Michel Sapin a lui-même souligné, hier, que la coupe fiscale était pleine et qu’elle stérilisait l’économie, avec un taux de prélèvements obligatoires de 46,1 % du PIB – là aussi, c’est un record !
Aujourd’hui, le gouvernement Valls réduit l’impôt sur le revenu de 4 millions de foyers fiscaux ; il en exclut 1,7 million, alors que le gouvernement précédent les y avait introduits !
À la lecture du rapport de Valérie Rabault, rapporteure générale du budget, membre du parti socialiste, il est clair qu’on ne réforme pas l’assiette de l’impôt sur le revenu : on ne fait qu’appliquer un pansement exceptionnel et non financé de façon pérenne.
Avec une prise de conscience trop tardive, vous prenez aujourd’hui des mesures en faveur des entreprises, comprenant enfin que ce sont elles qui créent l’emploi, après avoir passé des mois à les vilipender. La TVA sociale avait été l’objet de critiques virulentes avant ralliement partiel : là encore, vous comprenez enfin la nécessité de soutenir l’appareil productif.
À ce sujet, quel est le sort réservé aux conclusions des quatre groupes de travail des Assises de la fiscalité, pertinemment rassemblées par le Premier ministre Ayrault en début d’année ? Il n’y en a pas une trace dans votre projet de loi !
M. Aymeri de Montesquiou. Je suis heureux que vous corrigiez ce propos, monsieur le secrétaire d’État.
Quoi qu’il en soit, vous comprendrez notre déception : nous attendions beaucoup de ce collectif, qui, conjointement avec le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, met en œuvre les premières mesures du pacte de responsabilité et de solidarité, nouvelle feuille de route du Gouvernement.
Ce pacte aurait pu être un signal fort, allant dans le bon sens, que l’UDI était prête à soutenir. Malheureusement, sa mise en œuvre est beaucoup trop poussive et la déception est à la mesure de l’attente : forte, très forte !
Pourquoi faire un geste aussi exceptionnel qu’improvisé sur l’impôt sur le revenu alors que, depuis le mois de novembre, de nombreux parlementaires ont travaillé à un projet de réforme dans le cadre des Assises de la fiscalité ? Pourquoi augmenter de 4 millions d’euros le plafond des ressources affectées au Centre national du spectacle vivant ? La liste serait encore longue ; le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale est un inventaire de cadeaux électoralistes sans vision d’ensemble.
La Cour des comptes et la Commission européenne vous exhortent à des réformes de structure : repousser l’âge de la retraite, baisser le nombre de fonctionnaires, augmenter le temps de travail effectif. Quelles mesures – elles peuvent certes être difficiles et parfois même très difficiles – avez-vous prises en ce sens ?
Les prévisions de croissance et d’emploi sont traditionnellement trop optimistes. C’est pourquoi je renouvelle ma proposition d’élaborer le budget sur la base d’une prévision de croissance nulle, ce qui permettrait de réduire en euros constants les dépenses du montant de l’inflation et donc de réduire mécaniquement les déficits, sauf les rarissimes années de croissance négative. Monsieur le secrétaire d'État, je tiens beaucoup à ce que vous répondiez à cette proposition.
Vous annoncez 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017 et affirmez « poursuivre l’assainissement des finances publiques en le fondant sur des économies en dépenses ». Ces 50 milliards d’euros d’économies restent très mystérieux quant à leur réalité.
Quand comprendrez-vous qu’il s’agit non pas de modérer les dépenses, mais de les faire baisser ? Elles représentent 57,4 % de notre PIB, soit 10 points de plus que la moyenne européenne, faut-il encore le rappeler ? En 2013, les dépenses publiques ont augmenté en France alors qu’elles ont baissé dans le reste de l’Europe. C’est une réalité qui devrait vous conduire à vous mobiliser et à prendre des mesures drastiques.
Il faudrait près de 17 milliards d’euros d’efforts par an pour parvenir à l’objectif annoncé. À part les baisses de dépenses liées à la diminution de la charge d’intérêt de la dette qui dépendent des marchés et la baisse des dotations aux collectivités territoriales, où sont les économies ?
Quand mettrez-vous en application les préconisations de la Cour des comptes, les injonctions de la Commission européenne et les conclusions de bon sens des rapports de qualité que vous avez commandés ? Prendrez-vous exemple sur l’action de pays dont la situation est comparable à la nôtre et qui ont su redresser leurs finances et se réformer ? Voyez la Grande-Bretagne, voyez l’Italie !
J’ai l’impression désagréable de répéter les mêmes exhortations : vox clamantis in deserto...
Monsieur le secrétaire d'État, soit vous laissez votre texte n’être que le support d’une vaste opération de communication, auquel cas nous voterons contre, soit le présent débat est l’occasion d’une réforme que nous pourrions soutenir tous ensemble. À vous d’en décider ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’évidence, l’examen de ce projet de loi de finances rectificative pour 2014 intervient dans un contexte très particulier pour notre pays. En effet, il n’est pas imaginable d’étudier ce texte sans avoir en tête le doute profond qui s’est emparé de l’ensemble de nos concitoyens. Nous débattons ce soir de la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de nous expliquer qu’il convenait de poursuivre et d’amplifier les efforts, car ceux-ci payaient. Je doute que nos concitoyens partagent votre enthousiasme…
Voilà quelques semaines, deux rapports ont été rendus publics : le premier par la Cour des comptes et le second par le Haut Conseil des finances publiques. S’y est ajouté, au début du mois de juin, le verdict critique de la Commission européenne sur le programme français de stabilité des finances publiques pour la période 2014-2017. C’est moins le traditionnel discours catastrophiste de ces trois institutions sur la dette publique qui doit retenir l’attention que le constat commun de rentrées fiscales moins bonnes que prévu malgré les hausses importantes d’impôts. Six semaines après le séisme des élections européennes, la réalité impose son implacable vérité : plusieurs milliards d’euros manquent à l’appel.
Faute de croissance, la politique du Gouvernement ne marche pas. N’est-ce pas le moment de rouvrir le débat escamoté lorsque la décision de lancer le trop fameux pacte de responsabilité a été prise ? À ce propos, il est intéressant de relever la déclaration suivante faite par l’ancien ministre des finances Pierre Moscovici sur un plateau de télévision, au lendemain des élections européennes : « Le désendettement sans croissance, cela ne marche plus. » L’intéressé n’avait jamais tenu de tels propos dans cette enceinte. Moment d’égarement, liberté de parole recouvrée ou propos de campagne d’un candidat à la fonction de commissaire européen, qui sait ? Il n’empêche que ces paroles ne manquent pas de conduire à s’interroger.
Le débat n’est pas clos. Notre gouvernement s’entête cependant dans ses choix. La priorité donnée à la réduction des déficits provoque une baisse de la croissance et l’austérité imposée à tous les pays nous mène à l’échec.
Je voudrais également faire référence aux propos de la députée Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Les mots qu’elle a prononcés sonnent comme une mise en cause radicale de la politique économique suivie par le chef de l’État et le Premier ministre : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le Gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »
Ce constat n’est pas nouveau. Depuis que le début de la crise financière et économique, en 2007, de nombreux économistes nous alertent sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produit un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer.
À la suite de la publication, le 2 juillet, de la dernière enquête de l’INSEE vous vous êtes très certainement interrogé, monsieur le secrétaire d'État. Selon cet institut, les inégalités ont atteint leur plus haut niveau depuis 1996. L’année 2011 fut particulièrement faste pour nos concitoyens disposant de hauts revenus, tandis que la pauvreté touche aujourd'hui 8,7 millions de personnes, un niveau historique.
Savez-vous que, dans mon département, le Nord, le conseil général dépense chaque minute, oui, chaque minute, 1 100 euros pour financer le RSA socle ? La conséquence de l’explosion de cette dépense de solidarité est la réduction sensible de l’investissement du conseil général pour la population du Nord. Ce montant d’investissement passera l’an prochain de 400 à 200 millions d’euros. Comme ce docteur Diafoirus, cher à Molière, qui préconisait des saignées à son malade déjà anémié, vous réduisez encore les dotations aux collectivités, dont chacun connaît pourtant le poids économique dans les territoires.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas noircir le tableau à l’extrême, mais le constat est là, partagé sur toutes les travées de cet hémicycle : nos concitoyens souffrent et s’interrogent. L’immense majorité d’entre eux désespèrent de la politique. Il est urgent et crucial d’opérer une réorientation radicale des choix politiques.
Le rapport de la commission des finances présenté par le rapporteur général, François Marc, garde une once d’optimisme lorsqu’il indique que la prévision de croissance pour l’année en cours est « discutée », mais « demeure crédible ». Nous craignons pour notre part que trop de voyants ne soient au rouge pour qu’il soit encore possible de partager cette prévision.
Le Président de la République avait annoncé que le début du quinquennat serait une période de remise en ordre qui permettrait ensuite une nouvelle redistribution de la richesse. À l’évidence, la feuille de route n’a eu cours que le temps d’une campagne électorale. C’est un pari risqué sur le plan non seulement social et économique, mais aussi politique.
Oui, les dépenses publiques pèsent lourd dans notre pays. Qui osera parler de gâchis ? Ne faut-il pas, comme le disent de nombreux économistes, plus de biens publics dans des sociétés de plus en plus complexes et de plus en plus fragiles ? Nous combattons cette idée selon laquelle il y aurait, d’un côté, des acteurs privés producteurs de richesses, et, de l’autre, un État prédateur irresponsable et dépensier.
Ce déficit qui est devenu l’arme de destruction massive des aspirations de nos concitoyens serait uniquement le résultat de dépenses publiques excessives, entend-on. Mais regardons un peu du côté des recettes, voyons l’évolution de la situation ces dernières années. L’État a progressivement provoqué un déficit de recettes dans le budget. Du fait des choix d’exonération systématique des ménages les plus aisés et des grandes entreprises, la part des recettes de l’État dans le PIB a diminué de cinq points en trente ans ; sur la même période, la part des dépenses publiques a chuté de deux points de PIB.
Si l’État, au lieu de se financer sur les marchés financiers, avait eu recours à des emprunts directement auprès des ménages, dont l’épargne ne cesse de se consolider – principe de précaution oblige –, tout au moins pour ceux qui ont encore la possibilité d’épargner, ou bien auprès de banques pratiquant un taux d’intérêt réel de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure à 29 % du PIB, soit environ 600 milliards d’euros.
Vous l’avez compris, les membres de mon groupe sont en désaccord complet avec la philosophie générale du présent projet de loi de finances rectificative. Vous voulez réduire le « coût du travail » ; à titre personnel, je mets entre guillemets cette expression qui est une pièce maîtresse des éléments de langage fabriqués dans l’arsenal d’une certaine idéologie, car nous avons la faiblesse de penser que le travail n’est pas un coût, mais un facteur de richesse. Nous sommes étouffés par le carcan de la règle d’or, étouffés par la rigueur budgétaire ; tous les ministères seront touchés.
Il y a eu une grande communication autour de la baisse d’impôts pour des catégories de contribuables modestes. Il s’agit certes d’une bonne nouvelle, mais ne convient-il pas de rapporter cette somme de 1,16 milliard d’euros aux quelque 6 milliards d’euros de TVA supplémentaires que la hausse des taux au 1er janvier 2014 a pu générer ? Vous donnez d’une main ce que vous avez déjà repris de l’autre.
Cela étant, nous nous félicitons du renforcement du contrôle des prix de transfert, notamment en cas de transfert vers les paradis fiscaux.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Éric Bocquet. C’est très bien, mais est-il prévu de réintégrer dans la liste française des paradis fiscaux Jersey et les Bermudes, qui en furent retirées de manière tout à fait incompréhensible au mois de janvier dernier ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bonne question !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Éric Bocquet. Oui, il faut pousser activement les feux de l’échange automatique d’informations en matière fiscale ; c’est un enjeu d’avenir. Il faudra beaucoup de volonté et d’engagement. Il ne faut pas croire ou laisser croire que le seul retour des exilés « repentis » vers Bercy afin de régulariser leur situation suffira à éradiquer le scandale de l’évasion fiscale. C’est toute une machinerie, une industrie qu’il faudra démanteler afin d’espérer récupérer un jour les dizaines de milliards d’euros qui manquent au budget de la République. Il faut aussi pousser les feux de la transparence totale, sans dérogation. C’est l’une des conditions de la réussite de cette bataille à livrer pour la justice fiscale.
Mon groupe défendra des amendements visant à opérer un véritable changement de logique. Ils porteront notamment sur le barème de l’impôt et sur l’impôt de solidarité sur la fortune, dont, soit dit en passant, le rendement a été supérieur de 10 % aux prévisions en 2013, alors même que le nombre d’assujettis avait été réduit de 300 000. C’est dire les possibilités de ressources qui existent de ce côté. Pas de dogmatisme, beaucoup de pragmatisme.
Monsieur le secrétaire d'État, votre argument essentiel est qu’un nouvel allégement important pour les entreprises serait nécessaire. La troisième conférence sociale, qui s’ouvre aujourd'hui et qui, à l’évidence, ne fédère pas l’ensemble des acteurs sociaux de ce pays – nous apprenons que deux organisations syndicales majeures ont décidé de ne pas participer aux tables rondes de demain – est quasiment mort-née.
Depuis deux décennies, depuis le gouvernement Balladur, ce sont des dizaines de milliards d'euros d’allégements et d’exonérations divers qui ont été accordés. Pour quel bilan ? Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez dit qu’il fallait poursuivre et amplifier les efforts. A-t-on procédé à la moindre évaluation de l’efficacité des aides ? Je note avec intérêt l’objectif de créer un observatoire des contreparties ; un tel organisme nous manque singulièrement aujourd'hui.
À ce propos, je voudrais anticiper sur la remise du rapport de la mission d’information menée par Charles Guené, en tant que président, et mon amie Michelle Demessine, sénatrice du Nord, en qualité de rapporteur. Sans déflorer le contenu de ce rapport, qui sera rendu public la semaine prochaine, je me permettrais d’en évoquer d'ores et déjà un constat assez édifiant.
L’efficacité des exonérations de charges en matière d’emploi n’est absolument pas démontrée. Plus on entre dans le détail, plus on doute et plus on constate les dérives. Cette importante dépense publique est bâtie uniquement sur le dogme du « coût du travail ». Elle nécessite une réelle évaluation, qui fait défaut aujourd'hui malgré l’abondante littérature et l’empilement des rapports sur le sujet. On est incapable de faire la différence entre les emplois créés et les emplois sauvegardés, et on ne sait pas donner de fourchette plus précise que 700 000 à 800 000 emplois créés. Le constat est également fait que des secteurs non exposés à la concurrence étrangère, comme la grande distribution, bénéficient des exonérations. Plus grave encore, on tire les salaires vers le bas.
À n’en pas douter, le rapport précité constituera une mine d’informations essentielles pour cet observatoire des contreparties. Ne nous privons pas de cette nouvelle et belle contribution du Sénat à la réflexion collective.
Il doit bien rester dans les armoires du MEDEF une partie du million de pin’s qui arboraient fièrement le slogan « un million d’emplois » voilà quelques mois… (Sourires.)
Chiche, monsieur Gattaz !
Monsieur le secrétaire d’État, le présent collectif budgétaire, en l’état, ne peut recueillir l’accord du groupe CRC. Nous pousserons donc le débat le plus loin possible pour infléchir vos choix, car nous sommes convaincus que la situation économique, sociale et politique l’exige : il y va de l’équilibre de notre société ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cette année, à mi-chemin dans l’exécution budgétaire, un projet de loi de finances rectificative qui constitue, avec le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, que nous étudierons dans les prochains jours, le premier vecteur législatif du pacte de responsabilité et de solidarité.
Initialement, outre l’article liminaire, dont il sera question tout à l’heure, ce texte comportait six articles, dont l’article 1er, sans doute le plus important, qui a pour objet de procéder à des allégements d’impôt sur le revenu en faveur des ménages modestes. Il s’agit d’une mesure de justice fiscale à laquelle les membres du RDSE sont très attachés.
Quant aux entreprises, le présent texte ne leur est, à première vue, guère favorable, puisque le principal article les concernant, l’article 5, tend en réalité à prolonger d’un an la surtaxe de l’impôt sur les sociétés versée par les plus grandes d’entre elles.
Certes, j’en conviens, il faut considérer ces mesures dans une stratégie d’ensemble. Le Gouvernement a déjà mis en place la Banque publique d’investissement, ainsi que le CICE, qui est un outil simple et efficace, plébiscité par les entreprises.
Par ailleurs, dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité, des allégements très importants de cotisations sociales pour les employeurs et pour les salariés, ainsi que pour les travailleurs indépendants, sont prévus ; il en sera pris acte dans la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.
Ensuite, à compter de 2017, une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés – ce taux est, il faut bien le dire, exceptionnellement élevé dans notre pays – sera engagée pour le porter à 28 % en 2020.
Monsieur le secrétaire d’État, ces mesures sont attendues ; elles permettront aux entreprises de restaurer leurs marges, d’investir pour renforcer leur compétitivité et, in fine, nous l’espérons, de créer plus d’emplois. Personnellement, je m’en réjouis, mais je souhaiterais tout de même souligner que nous ne pouvons pas agir uniquement sur des facteurs de compétitivité-coût, en particulier sur le coût du travail.
Nos entreprises doivent aussi et surtout se différencier par des facteurs de compétitivité hors coût, comme l’innovation et la qualité : c’est d’ailleurs l’esprit de la fameuse montée en gamme que Louis Gallois appelait de ses vœux dans son excellent rapport du mois de novembre 2012. Il s’agit d’une étape supplémentaire à franchir, avec l’accompagnement des pouvoirs publics.
Cependant, de sept articles à l’origine, ce projet de loi est passé à trente-six articles, un article ayant été supprimé et trente nouveaux adoptés par l’Assemblée nationale. Dans les textes de cette nature, je sais qu’il s’agit souvent de prendre un certain nombre de mesures de correction, voire d’adaptation, mais cela ne devrait pas empêcher une cohérence d’ensemble, qui fait, me semble-t-il, cruellement défaut dans le cas présent.
Ainsi, avec une certaine précipitation, l’Assemblée nationale a adopté des dispositions très disparates, qui peuvent même sembler, à certains égards, contradictoires, si bien que l’on a du mal, parfois, à comprendre le sens de ce collectif.
Certaines mesures ont été jusqu’à créer des dissensions au sein même du Gouvernement, faute d’arbitrage interministériel. Je pense bien sûr aux articles qui portent sur la taxe de séjour, dont notre rapporteur général nous propose, sans doute avec raison, de repousser l’entrée en vigueur, tant ils apparaissent précipités et mal calibrés.
Mme Nicole Bricq. C’est une sage décision !
M. Yvon Collin. Pour ma part, il me semble qu’il serait peut-être encore plus sage de les supprimer purement et simplement, dans l’attente du rapport de l’Assemblée nationale sur la fiscalité du tourisme et d’un dispositif plus abouti, et surtout plus juste.
En effet, nous savons d’expérience que les amendements aux projets de loi de finances adoptés dans la précipitation, à des heures souvent tardives, à l’Assemblée nationale, n’augurent rien de bon. Nous en avons eu un exemple flagrant l’an dernier avec la taxe communale sur la consommation finale d’électricité, la TCCFE.
Autour de trois heures du matin, un jour de décembre 2013, nos collègues députés ont adopté un amendement gouvernemental aussi long que complexe, dont une partie tendait à remettre en question les règles relatives à la perception de la TCCFE. La Haute Assemblée, avec sagesse, comme souvent, avait ensuite essayé de limiter les dégâts en adoptant un amendement de son rapporteur général.
Malheureusement, ces efforts n’ont pas été récompensés. Résultat : dès la publication de la loi de finances rectificative pour 2013, une véritable levée de boucliers est apparue dans les communes de plus de 2 000 habitants percevant habituellement cette taxe, lesquelles se seraient trouvées privées de cette ressource souvent substantielle, et ce dès 2015.
Le Sénat a ensuite adopté à la quasi-unanimité, le 29 avril dernier, la proposition de loi du groupe RDSE visant à revenir sur cette disposition et à rétablir la situation antérieure, afin de ne pas pénaliser davantage les communes, qui souffrent déjà, comme les autres échelons de collectivité, d’ailleurs, de la baisse des dotations, d’une péréquation encore largement insuffisante et de l’augmentation inexorable de certaines de leurs charges. Chacun, dans cette enceinte, sera d’accord avec moi.
Je me félicite de ce que les députés, revenus enfin à la raison, aient cherché dans le présent collectif budgétaire à corriger ce qu’ils avaient adopté lors de l’examen du précédent, c’est-à-dire le transfert systématique du produit de la TCCFE des communes vers les syndicats d’électricité ou les départements, lorsqu’ils exercent la compétence d’autorité organisatrice de la distribution d’électricité. Cependant, l’article 5 sexies du présent projet de loi de finances rectificative pose encore, à notre sens, quelques difficultés que nous vous proposerons de résoudre en votant les amendements que nous avons déposés sur le sujet.
Au bénéfice de ces quelques ajustements, qui résulteront de l’adoption soit des amendements de la commission, soit d’autres que nous vous soumettrons, les membres du RDSE, toujours responsables et conscients que les textes budgétaires déterminent l’appartenance à une majorité, approuveront très majoritairement le projet de loi de finances rectificative pour 2014. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. Un article paru récemment dans un grand quotidien du matin avait pour titre Michel Sapin, le ministre qui repeint la vie en rose. (Exclamations sur plusieurs travées) En vous écoutant tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, j’ai pensé qu’il avait trouvé en vous un diacre zélé, à défaut d’un disciple.
Cet optimisme affiché et assumé, y compris dans les documents officiels livrés au Parlement, est-il à la hauteur des enjeux d’un pays qui vient d’afficher 34 300 chômeurs supplémentaires au mois de mai pour atteindre un niveau historique ?
Le problème n’est pas tant dans les montures de lunettes que dans les verres correcteurs de celui qui se veut le gardien de la courbe des déficits. (Sourires.) À vrai dire, le seul exploit ministériel connu ces derniers temps a été de faire admettre à Bruxelles que le déficit atteindrait cette année 3,8 % au lieu de 3,6%, tout en sachant qu’il s’établira probablement à 4 %, et j’ose dire allegretto.
Il en va de même pour le taux de croissance, toujours affiché à 1 %, alors que l’INSEE, le FMI et tous les organismes sérieux prévoient un taux au grand maximum de 0,7 %.
La méthode Coué est servie abondamment non seulement aux médias, mais aussi dans des documents aussi sérieux que le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013 qui affecte largement, vous en conviendrez, le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis.
Ainsi, dans l’exposé général de ce texte présenté par le Gouvernement, nous relevons, au II, l’intitulé suivant : « Une amélioration continue des finances publiques depuis le début de la législature ».
Pourtant, dans la synthèse du rapport de la Cour des comptes – il ne s’agit pas de l’opposition ! –, on peut lire : « L’exécution du budget de l’État en 2013 présente donc une singularité : alors que les dépenses ont été maîtrisées et que les recettes ont augmenté fortement par rapport à 2012, le déficit a été plus important que prévu, de même que la dette, qui a continué à augmenter. »
Donc, selon vous, monsieur le secrétaire d’État, une nette amélioration des finances publiques serait caractérisée par une dette qui continue d’augmenter pour dépasser deux caps extrêmement dangereux : 2 000 milliards d’euros de dettes cumulées et 100 % du PIB.
Est aussi extraordinairement parlant le tableau de la Cour des comptes faisant apparaître un État qui, dès le 1er octobre de chaque année, ne peut vivre qu’à crédit pour assurer ses dépenses de fonctionnement. Le déficit, qui représente un tiers des recettes nettes et 25 % des dépenses nettes, est bien supérieur à ce que rapporte l’impôt sur le revenu.
En réponse à vos discours invoquant l’héritage, il n’est pas inutile de citer, dans le texte toujours, cette remarque de la Cour des comptes : « En 2013, le budget de l’État présente un déficit de 74,87 milliards d’euros, […] en réduction de 12,28 milliards d’euros par rapport à 2012, mais d’un niveau encore bien supérieur aux déficits constatés avant la crise », crise dont vous semblez avoir une véritable méconnaissance puisque vous servez des comparaisons avantageuses que la Cour des comptes ramène à de plus justes proportions.
Aussi, quand les discours présidentiels se tournent vers l’avenir de la jeunesse, avec toute la condescendance intéressée qui sied, quelle crédibilité de telles paroles peuvent-elles avoir, alors que cette jeunesse devra rembourser notre incapacité à financer nos dépenses courantes annuelles pendant un quart de l’année ?
La légère décrue des dépenses nettes de l’État, à hauteur de 0,89 milliard d’euros, soit moins de 1 milliard d’euros, n’est pas à la hauteur des efforts constatés dans la plupart des États de l’Union européenne qui commencent, eux, à récolter les fruits de vraies réformes structurelles, notamment en nous prenant des parts de marché dans l’industrie, l’agroalimentaire, les transports. Notre problème, ce n’est pas la Chine, mais ce sont nos partenaires européens.
Au surplus, cette légère baisse est en réalité le résultat de conditions de financement de la dette très favorables, les remboursements ayant diminué de 1,41 milliard d’euros, passant de 46,30 milliards d’euros en 2012 à 44,89 milliards d’euros en 2013. Il s’agit donc de facteurs largement exogènes qui ne sont pas reconductibles à l’infini.
Toujours dans l’exposé des motifs du projet de loi de règlement pour 2013, nous relevons un sous-titre étonnant : « Une exécution du budget de l’État qui traduit la qualité de la gestion du Gouvernement ». En la matière, c’est vrai, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !
Or que note-t-on dans le rapport de la Cour des comptes ? Tout bonnement que « le moindre rendement des recettes fiscales demeure mal expliqué par l’administration », dont vous êtes le chef, me semble-t-il.
Ainsi la loi de finances initiale prévoyait 298,6 milliards d’euros de recettes fiscales pour un résultat effectif de 284 milliards d’euros, soit près de 15 milliards d’euros en moins. Comme le contexte économique n’a pas changé en 2014, il est fort probable que l’excellente gestion du Gouvernement produira des résultats très voisins. Rappelons que, selon la Cour des comptes, ces erreurs d’appréciation ont produit en 2013 un déficit plus élevé de 12,5 milliards d’euros que celui qui était prévu.
Ces incertitudes ont amené la Cour des comptes à formuler la réserve n° 2, très sévère, dans sa certification des comptes de l’État : « En dépit d’une amélioration de l’utilisation par l’administration des concepts et des outils du contrôle interne, son effectivité et son efficacité demeurent insuffisantes, ce qui limite l’étendue des vérifications de la Cour et crée des incertitudes sur la qualité des comptes de l’État, à l’exception de la dette financière. »
Monsieur le secrétaire d'État, c’est non pas l’opposition qui vous le dit, mais la Cour des comptes : nous sommes aux frontières de l’insincérité !
Un peu de modestie dans son propre contentement de soi permettrait peut-être encore au Gouvernement de réaliser des progrès pour s’attribuer le label d’une gestion de qualité, et plus encore de comprendre que les minces résultats obtenus l’ont été au prix d’un véritable matraquage fiscal. Aujourd’hui, l’expression « trop d’impôt tue l’impôt » est non pas un simple slogan, mais l’interprétation populaire d’une courbe bien connue des économistes relative à la flexibilité fiscale.
Ainsi, alors que la loi de finances pour 2013 prévoyait 30 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires par rapport à 2012, le résultat effectif s’est élevé exactement à la moitié de cette somme, soit 15 milliards d’euros. Tous les impôts importants sont touchés : l’impôt sur les sociétés – moins 6,3 milliards d’euros –, l’impôt sur le revenu – moins 4,9 milliards d’euros –, la TVA – également moins 4,9 milliards d’euros.
En général, l’histoire éclaire l’avenir, et, comme elle est très récente, elle risque de rejoindre rapidement l’actualité budgétaire, d’autant que la mauvaise anticipation de l’évolution spontanée des recettes fiscales dénoncée par la Cour des comptes en 2013 n’a fait l’objet d’aucune correction, ni dans la loi de finances pour 2014 ni dans le présent projet de loi de finances rectificative. La Cour des comptes voyait dans cette mauvaise anticipation les principales explications de « la dégradation du solde budgétaire », phrase porteuse de tous les dangers !
À ce stade, et s’agissant de l’héritage trop souvent complaisamment invoqué, il n’est pas inutile de rappeler que, en 2010 et 2011, la réduction du déficit constaté était de l’ordre de 14 milliards d’euros, et que l’exécution de la loi de finances pour 2011 avait été conforme aux prévisions.
Une dette toujours croissante et des rentrées fiscales aléatoires – 15 milliards d’euros de moins par rapport aux prévisions – nous exposent, tout le monde en conviendra, à des risques majeurs.
Au surplus, les engagements hors bilan que l’État a contractés affectent également gravement notre capacité à soutenir des dettes financières aussi étendues. Leur montant publié dans le compte général de l’État s’élève à 2 838 milliards d’euros, dont 1 460 milliards d’euros pour les engagements des retraites.
Enfin, ici, au Sénat, il n’est pas inutile de signaler que l’encours des dépôts des collectivités territoriales au Trésor a diminué de 2,7 milliards d’euros en 2013, concrétisant un contexte de fortes incertitudes quant aux ressources de ces dernières et pesant sur la trésorerie de l’État, qui a connu un solde en baisse de 7,9 milliards d’euros.