Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
MM. Jean Boyer, Marc Daunis.
chefs-lieux de canton et dotation de solidarité rurale
Question n° 752 de M. Pierre-Yves Collombat. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique ; M. Pierre-Yves Collombat.
Question n° 760 de M. Bernard Fournier. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique ; M. Bernard Fournier.
Question n° 781 de M. Michel Savin. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique ; M. Michel Savin.
accueil d'enfants handicapés dans les institutions spécialisées en france et en belgique
Question n° 722 de M. Daniel Reiner. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Daniel Reiner.
conséquences de la loi dite « obamacare » pour les adhérents à la caisse des français de l'étranger
Question n° 732 de M. Jean-Yves Leconte. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Jean-Yves Leconte.
numerus clausus et désertification médicale
Question n° 742 de M. Dominique Watrin. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Dominique Watrin.
cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Question n° 773 de Mme Isabelle Debré. – Mmes Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Isabelle Debré.
situation des enfants recueillis dans le cadre d'une "kafala"
Question n° 716 de M. Richard Yung. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Richard Yung.
Suspension et reprise de la séance
transformation de ZPPAUP en AVAP
Question n° 747 de Mme Catherine Deroche. – Mmes Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; Catherine Deroche.
Question n° 764 de M. Gilbert Roger. – Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; M. Richard Yung, en remplacement de M. Gilbert Roger.
Question n° 771 de M. Robert Tropeano. – Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; M. Robert Tropeano.
Suspension et reprise de la séance
situation des centres des finances publiques dans le département du morbihan
Question n° 777 de M. Michel Le Scouarnec. – MM. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale ; Michel Le Scouarnec.
allocation d'actifs de l'établissement de retraite additionnelle de la fonction publique
Question n° 763 de M. Roger Madec. – MM. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale ; Roger Madec.
usage des titres de restaurant
Question n° 701 de M. Christian Cambon. – MM. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale ; Christian Cambon.
mesures destinées à favoriser l'accession aux voitures électriques
Question n° 761 de M. Jean Besson. – MM. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale ; Jean Besson.
recherches minières et permis de villeranges
Question n° 778 de Mme Renée Nicoux. – M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale ; Mme Renée Nicoux.
réduction du réseau de distribution de la société nationale des chemins de fer français
Question n° 583 de M. Thierry Foucaud. – MM. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Thierry Foucaud.
situation des mytiliculteurs de la baie de l'aiguillon en charente-maritime
Question n° 766 de M. Daniel Laurent. – MM. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Daniel Laurent.
développement des parcs solaires photovoltaïques
Question n° 721 de M. Yvon Collin. – MM. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Yvon Collin.
3. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
4. Schéma régional des crématoriums. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi ; Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale.
MM. Bernard Saugey, Jean-Yves Leconte, Robert Tropeano, Mme Esther Benbassa, M. Yves Détraigne, Mme Cécile Cukierman.
M. André Vallini, secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Amendement n° 3 rectifié de M. René Vandierendonck. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, André Vallini, secrétaire d'État ; Mme Nathalie Goulet. – Adoption.
Amendement n° 2 de M. Robert Tropeano. – MM. Robert Tropeano, le rapporteur, André Vallini, secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 4 de M. René Vandierendonck. – MM. Jean-Yves Leconte, le rapporteur, André Vallini, secrétaire d'État. – Retrait.
Amendement n° 5 de la commission. – MM. le rapporteur, André Vallini, secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. le président de la commission.
5. Usage des techniques biométriques. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Gaëtan Gorce, auteur de la proposition de loi ; François Pillet, rapporteur de la commission des lois.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique.
Mme Virginie Klès, M. François Fortassin, Mme Esther Benbassa, M. Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Yves Leconte.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 du Gouvernement et sous-amendement n° 2 de la commission. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État ; M. le rapporteur. – Adoption du sous-amendement et de l'amendement modifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 2 (nouveau). – Adoption
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
6. Charte de l'environnement. – Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Jean Bizet, auteur de la proposition de loi constitutionnelle ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Jacques Mézard, Mmes Marie-Christine Blandin, Chantal Jouanno, Évelyne Didier, MM. Michel Teston, Philippe Bas, Michel Berson.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État.
Suspension et reprise de la séance
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Jean-Pierre Sueur. – M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Mme Chantal Jouanno, M. le rapporteur, Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Yves Détraigne. – MM. Yves Détraigne, le rapporteur, Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État ; MM. Jean-Jacques Hyest, François Grosdidier, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Christine Blandin. – Adoption par scrutin public.
Amendement n° 2 rectifié de M. François Grosdidier. – MM. François Grosdidier, le rapporteur, Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. – Rejet.
MM. Jean-Claude Lenoir, Daniel Raoul, Michel Teston, Mme Évelyne Didier, MM. François Grosdidier, Jacques Mézard, Mme Chantal Jouanno, MM. René-Paul Savary, Bruno Sido, Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean Bizet.
Adoption, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Marc Daunis.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
chefs-lieux de canton et dotation de solidarité rurale
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la question n° 752, transmise à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, comme vous le savez, le mode de scrutin adopté le 17 mai 2013 – voilà donc juste un an – pour l’élection des conseillers départementaux soulève des questions de fond, notamment celles de la représentation des territoires ruraux et de l’articulation entre les métropoles et le reste du département. Je passerai sur ces questions, même si elles ne disparaîtront pas avec le département, dont l’évaporation est, paraît-il, programmée à l’horizon 2021. Nous aurons largement le temps d’y revenir.
Ma question porte sur un point annexe, mais très important : les effets financiers collatéraux du redécoupage cantonal tel qu’il a été réalisé, sur les communes percevant jusque-là la fraction « bourg-centre » de la dotation de solidarité rurale, la DSR. Cela concerne les chefs-lieux, classés d’office dans la catégorie « bourg-centre », et les communes pouvant se prévaloir d’au moins 15 % de la population du canton.
Or la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral prévoit non seulement la division par deux du nombre de cantons, mais entraînera, du fait de la primauté de la règle démographique, la disparition en nombre des cantons ruraux.
En conséquence, les chefs-lieux qui seront supprimés ainsi que les communes n’atteignant plus le seuil de 15 % de la population de leurs nouveaux cantons, considérablement agrandis pour certains d’entre eux, perdront la fraction « bourg-centre » de la DSR.
Pour ces communes, la perte de cette dotation, alors même que la dotation globale de fonctionnement, la DGF, régresse, donnera nécessairement lieu à des difficultés de fonctionnement et de financement.
Ma question est donc simple : dans la situation mouvante que nous connaissons, que comptez-vous faire, en vue des échéances prochaines, pour éviter à ces communes de se trouver dans une telle situation, qui risque d’avoir des retombées quelque peu explosives ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez à juste titre sur les conséquences du redécoupage de la carte cantonale sur la répartition de la première fraction dite « bourg-centre » de la DSR. Cette part de la dotation est notamment, vous l’avez rappelé, attribuée aux communes chefs-lieux de canton, ainsi qu’aux communes regroupant au moins 15 % de la population totale du canton.
Je vous confirme, comme j’ai pu le constater lors de mes déplacements, que cette question taraude légitimement un certain nombre d’élus.
La réforme de la carte cantonale n’aura pas, en l’état actuel – vous avez évoqué certaines perspectives –, d’incidence avant l’année 2017 sur la répartition de la DSR « bourg-centre ». En effet, la loi du 17 mai 2013 précise ceci : « La qualité de chef-lieu de canton est maintenue aux communes qui la perdent dans le cadre d’une modification des limites territoriales des cantons […] jusqu’au prochain renouvellement général des conseils départementaux. »
Ainsi, les décrets de remodelage de la carte cantonale ne devraient s’appliquer qu’en mars 2015 au plus tôt, à l’occasion du renouvellement des conseils départementaux. Encore faudrait-il que celui-ci ait lieu, et vous avez vous-même parlé de perspectives différentes ; mais, pour faire court, je confirme que, pour 2015, il n’y a pas de souci.
En tout état de cause, l’éligibilité aux trois fractions de la dotation de solidarité rurale est appréciée sur la base des données connues au 1er janvier de l’année précédant celle de la répartition. Ce n’est donc qu’à partir de 2017 que sera prise en compte la situation des communes au 1er janvier 2016.
Le Gouvernement est pleinement conscient de l’importance que revêt la DSR « bourg-centre », qui aide les communes bénéficiaires à remplir une fonction essentielle de structuration de leur territoire. Il est aussi sensible que vous à l’enjeu de solidarité financière, sur lequel vous vous interrogez en réalité ; la DSR aura progressé de 110 millions d’euros entre 2012 et 2014 pour atteindre 954 millions d’euros.
Le précédent Premier ministre avait rappelé, lors de son intervention devant le 96e congrès des maires et des présidents de communautés de France, le 19 novembre 2013, que l’évolution de la carte cantonale n’aurait aucune incidence sur des éléments liés à la qualité de chef-lieu de canton.
Les décisions correspondantes et leur traduction législative seront donc appréhendées dès cette année 2014, en concertation avec les élus locaux au sein du comité des finances locales, dans un contexte plus global de réforme de la dotation globale de fonctionnement, dont fait partie la DSR. Ce sujet viendra à l’ordre du jour vers la fin du mois de juin, puisque le comité des finances locales se réunira officiellement le 17 juin.
En amont de cette organisation institutionnelle qui doit se réinstaller compte tenu des élections municipales, c’est à l’aune de tous les projets structurels à réexaminer avec attention que nous voulons étudier précisément le devenir des territoires ruraux. Le Premier ministre, Manuel Valls, s’est engagé à ce que les territoires ruraux soient dotés et pris en compte de manière aussi précise que possible. Par conséquent, à court terme et pour les prochaines dotations, les chefs-lieux de canton restent chefs-lieux de canton même si, sur la carte cantonale, ils ne le sont plus. C’était la meilleure des assurances qu’on pouvait leur donner.
Je vous remercie d’avoir posé cette question qui intéresse tous les maires et élus de ces bourgs-centres et bourgs chefs-lieux de canton.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je sens que cette question vous préoccupe, mais je ferai deux remarques.
D’abord, vous le savez, je me méfie toujours des pourcentages : 110 % de pas grand-chose, cela reste tout de même pas grand-chose !
Ensuite, je souligne que, si vous m’avez bien répondu sur les bourgs-centres, vous ne l’avez pas fait s’agissant des communes représentant plus de 15 % de la population totale du canton. Or ces communes sont très nombreuses puisque les cantons ont été considérablement agrandis ; je pense particulièrement au mien, qui est quatre ou cinq fois plus grand qu’auparavant. Je le répète, pour toutes ces communes qui sont peut-être aussi plus importantes que les bourgs-centres, vous ne m’avez pas répondu. Et je crains que personne, pour l’instant, n’ait encore répondu.
Vu la situation mouvante dans laquelle nous sommes, la solution la plus raisonnable serait, selon moi, en attendant de trouver une nouvelle assise à la fois territoriale et financière, une solution acceptable par tout le monde, de procéder en quelque sorte comme on l’avait fait par le passé pour la DGF, en se contentant de « coefficienter » d’une année sur l’autre.
Donc, sur ce plan-là, une incertitude demeure.
conséquences financières induites en matière patrimoniale par la fusion des établissements publics de coopération intercommunale
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 760, adressée à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention, et celle du Gouvernement, sur les conséquences financières induites en matière patrimoniale par la fusion des établissements publics de coopération intercommunale
Comme vous le savez, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a simplifié le cadre juridique de la fusion des EPCI. Certaines de ces dispositions ont été modifiées par la loi du 29 février 2012 visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.
Deux des objectifs principaux de cette réforme étaient la rationalisation des périmètres des EPCI à fiscalité propre et la réduction du nombre de syndicats intercommunaux. Le but sous-jacent était de réaliser, par la fusion d’EPCI, la mutualisation des moyens pour aboutir in fine à des économies d’échelle.
Cependant, aujourd’hui, dans les faits, les nouvelles intercommunalités se voient refuser l’enregistrement, par les services des hypothèques, de toute vente de parcelles ou de crédits-baux immobiliers si n’est pas établi au préalable, par acte en la forme administrative ou par acte notarié, un transfert des biens entre les anciens EPCI fusionnés et la nouvelle entité.
Cette procédure, que les élus critiquent, ne peut que tendre à alourdir considérablement l’exercice effectif des compétences du nouvel EPCI issu de la fusion.
En outre, elle est contre-productive et va à l’encontre de l’esprit même de la réforme, puisqu’elle constitue une charge financière supplémentaire et parfaitement inutile pour nos collectivités.
Pourtant, la loi du 16 décembre 2010 est suffisamment claire en la matière puisqu’elle indique ceci : « L’ensemble des biens, droits et obligations des établissements publics fusionnés est transféré au syndicat issu de la fusion. »
Enfin, cette loi précise également très clairement : « La fusion de syndicats est effectuée à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d’aucune indemnité, droit, taxe, salaire ou honoraires. » Quelle simplicité ! Le transfert est donc automatique et gratuit !
Madame le ministre, à l’heure où les budgets locaux sont plus que resserrés, il n’est pas acceptable, après des fusions impulsées, parfois contraintes par les services de l’État, comme cela a largement été le cas dans mon département, il n’est pas acceptable, disais-je, que les nouvelles intercommunalités subissent une fois encore les conséquences financières en matière patrimoniale.
Je crois, pour ma part, qu’il n’est pas souhaitable d’alourdir l’exercice effectif de l’action communautaire.
En conséquence, je souhaite connaître votre position sur ce sujet et vous demande solennellement de bien vouloir remédier à cette situation, que je trouve quelque peu injuste.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous appelez à juste titre mon attention sur les conséquences financières et patrimoniales des fusions d’établissements publics de coopération intercommunale.
Je partage pleinement le souhait que vous avez formulé d’une simplification des démarches liées à la refonte de la carte intercommunale.
Je suis particulièrement sensible à la préoccupation que vous avez exprimée au sujet du coût que représente, par exemple, l’enregistrement d’actes auprès des services de la publicité foncière à la suite des fusions d’EPCI.
Ces formalités constituent une démarche indispensable pour garantir la consistance des droits patrimoniaux détenus par les EPCI issus de fusions. En soi, il serait déraisonnable de faire disparaître purement et simplement cette procédure.
En revanche, les transferts de biens à l’EPCI issu de la fusion étant effectués à titre gratuit, dans un but d’intérêt général, ils ne sauraient donner lieu au paiement de taxes ou de droits.
Tel est le sens de l’exonération générale qui a été prévue par les articles L.5211-41-3 du code général des collectivités territoriales et 1042 A du code général des impôts, que vous signalez à juste titre.
Les textes applicables sont clairs. Tout transfert à titre gratuit de biens et droits immobiliers ou mobiliers opéré à la faveur d’une fusion d’EPCI échappe de plein droit aux droits d’enregistrement et à la taxe de publicité foncière, à la taxe additionnelle aux droits d’enregistrement, à la contribution de sécurité immobilière prévue à l’article 879 du code général des impôts, ainsi qu’à tout autre droit accessoire.
Il en va désormais de même pour les communes nouvelles – M. Pélissard avait beaucoup insisté sur ce point –, à la suite de l’adoption de l’article 46 de la loi de finances rectificative pour 2013.
En tout état de cause, le rappel de ces règles a été diffusé à l’ensemble des acteurs administratifs, qui ne manqueront pas de faire diligence pour donner leur plein effet à ces mesures d’assouplissement.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir rouvert ce dossier très important, d’autant que d’autres EPCI pourraient fusionner. Nous devons tous ensemble être vigilants. Votre question, que je considère comme une alerte, me donne l’occasion de vérifier l’ensemble du dossier.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vois que nous partageons la même analyse, ce dont je me réjouis.
métropoles
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 781, adressée à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.
M. Michel Savin. Je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur les difficultés que peuvent rencontrer certains EPCI, établissements publics de coopération intercommunale, dans leur transformation en métropole, prévue au 1er janvier prochain en application de la loi de modernisation de l’action publique territoriale du 27 janvier 2014.
Ces nouvelles collectivités seront compétentes de plein droit, en lieu et place des communes membres, dans des domaines structurants – l’urbanisme, la politique locale de l’habitat, le développement et l’aménagement économiques, l’aménagement de l’espace métropolitain – ou dans des domaines ayant un impact sur la vie quotidienne des usagers – je pense notamment à la gestion du service de l’eau potable et des réseaux énergétiques.
Ces transferts de compétences sont donc lourds de conséquences à trois points de vue au moins : en matière financière, avec l’évaluation des coûts de chacune d’elles dans les budgets communaux et l’estimation de leurs coûts dans les futurs budgets communautaires ; en matière de ressources humaines, avec le transfert des personnels et la recherche de mutualisation pour un fonctionnement raisonné à l’échelle du territoire métropolitain ; enfin, au niveau de la qualité du service public, qui ne devra pas faire les frais d’une quelconque dégradation à l’occasion de ces processus de métropolisation.
En outre, la rédaction de cette loi laisse aux exécutifs locaux la possibilité de définir le contour précis de ces transferts quand seront parus les décrets, circulaires et autres mesures transitoires annoncés pour la mise en œuvre des plans locaux d’urbanisme intercommunaux.
Comme vous le constatez, le travail restant à accomplir pour la transformation en métropole est très important à quelques mois de l’échéance du 1er janvier 2015.
Si je prends pour exemple le cas de l’agglomération de Grenoble, le dossier est au stade du diagnostic, dont l’élaboration a suscité plusieurs questions et a mis en évidence des impacts collatéraux directs ou indirects sur des syndicats de communes, dont l’existence peut être remise en cause. Ces effets en cascade dépassent très largement le territoire et la gouvernance de l’agglomération.
De plus, le calendrier électoral de 2014 a entraîné une suspension plus ou moins longue des exécutifs locaux le temps des scrutins municipaux, puis communautaires, et de l’installation des nouvelles équipes.
Enfin, le volume des transferts à opérer peut être différent d’une communauté urbaine ou d’une communauté d’agglomération à une autre en fonction de son niveau d’intégration avant le passage en métropole.
Pour l’agglomération grenobloise, le nouvel exécutif présentera prochainement les orientations qui présideront au projet de territoire de sa mandature.
Aussi, vous l’aurez compris, madame la ministre, les six mois qui restent avant le 1er janvier 2015 semblent bien insuffisants pour organiser, dans des conditions acceptables, les transferts de compétences des communes à la future métropole.
Au regard de cette situation, de ses enjeux et des conséquences que pourraient avoir des transferts précipités sur la continuité du service public, les personnels et les finances des collectivités, je souhaiterais savoir, madame la ministre, si le Gouvernement accepterait de repousser d’un an le passage en métropole pour les EPCI qui le jugeraient opportun et en feraient la demande.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous demandez qu’il soit possible de repousser d’un an, au 1er janvier 2016, la transformation des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en métropoles, tout du moins pour ceux qui le jugeraient opportun et en feraient la demande.
L’article 43 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles prévoit en effet que sont transformés en métropoles par décret, au 1er janvier 2015, les EPCI de plus de 400 000 habitants situés dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants.
Sont ainsi concernées cinq communautés urbaines – Bordeaux, Lille, Nantes, Toulouse et Strasbourg – et trois communautés d’agglomération – Grenoble, ville que vous avez citée, Rennes et Rouen –, auxquelles s’ajoute Nice, dont le statut s’alignera sur le statut de droit commun.
À l’heure où le Gouvernement s’engage dans une réforme territoriale prévoyant un renforcement du cadre intercommunal, il paraît souhaitable de conserver la date du 1er janvier 2015 pour la création de ces métropoles et la rénovation du régime juridique métropolitain. Ce nouveau statut constitue en effet un progrès pour faire émerger les initiatives économiques, sociales, environnementales et culturelles. C’est ce que nous ont demandé les métropoles et, en particulier, les anciennes communautés d’agglomération.
Repousser cette date nuirait sans doute au processus d’intégration de l’exercice des politiques publiques locales à l’échelon des grands bassins de vie de nos capitales régionales, donc au redressement de nos territoires.
J’ajoute, enfin, que ce choix d’une transformation rapide est véritablement conforme à la volonté du législateur, puisque l’introduction de la date du 1er janvier 2015 s’est matérialisée par un amendement introduit lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
Je me sens liée par le fait que c’est le Parlement qui a demandé que nous allions assez vite. Mais, vous avez raison, monsieur le sénateur, il restera des problèmes à régler. Nous avons évoqué les syndicats locaux et certaines coopérations entreprises par l’ancien EPCI qui devront être reprises par la métropole.
La direction générale des collectivités locales, ou DGCL, est à la disposition des élus et des services administratifs de l’EPCI concerné pour essayer de trouver des solutions. Engager la réforme territoriale en laissant les métropoles au bord du chemin risquerait d’être quelque peu compliqué ! Il faut aussi faire attention à la durée des mandats et avoir de véritables discussions sur les transferts de patrimoine notamment.
C’est la raison pour laquelle je préfère, à ce stade, maintenir la date du 1er janvier 2015 et me mettre à la disposition des services des collectivités concernées et de vous-même, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Madame la ministre, j’entends bien votre réponse. Cette évolution est bien évidemment un progrès, et tous les élus locaux estiment que c’est une bonne démarche.
Encore une fois, le problème vient du fait que toutes les intercommunalités concernées par cette transformation en métropole ne sont pas au même niveau. Autant les communautés urbaines et certaines communautés d’agglomération ont déjà intégré de nombreuses compétences liées au passage au statut de métropole, autant d’autres n’en sont qu’au tout début. Pour certaines, les discussions n’ont pas encore commencé, alors qu’il ne reste qu’un peu plus de six mois. Agir dans la précipitation est, me semble-t-il, un très mauvais signal envoyé à ces collectivités.
Si je prends l’exemple de la collectivité dans laquelle je suis élu, aucune réunion n’a encore eu lieu sur les questions d’organisation ou sur les choix qui seront faits en termes de compétences – j’ai évoqué dans mon intervention liminaire l’urbanisme, le logement, la politique économique ou encore la politique de l’eau, qui a un impact direct tant sur le service fourni et son coût que sur les personnels.
Mon intervention n’a pas pour objet de remettre en cause la transformation en métropole. Je souhaite que soit donnée la possibilité aux intercommunalités qui le désirent – une ou deux d’entre elles seulement seront concernées – de travailler de façon sereine à cette évolution, en leur donnant un an pour la préparer, l’organiser et en débattre avec les personnels. Comment peut-on réussir ce passage, certes souhaité mais important, en six mois lorsque rien n’a encore été fait ?
Encore une fois, cette loi est soutenue par tous, mais toutes les intercommunalités ne sont pas au même niveau d’intégration. La réforme risque donc d’être imposée à certains et d’être réalisée dans la précipitation. Je le redis, c’est un très mauvais signal envoyé aux collectivités.
Je vous demande, madame la ministre, s’il n’est pas possible, à titre tout à fait exceptionnel, et sans remettre en cause le passage au statut de métropole, de donner aux élus l’opportunité de préparer les choses dans de meilleures conditions. Ceux-ci se posent de nombreuses questions, car ils ne disposent aujourd'hui que d’un court délai : six mois, cela passe vite.
accueil d'enfants handicapés dans les institutions spécialisées en france et en belgique
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 722, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
M. Daniel Reiner. Madame la secrétaire d’État, ma question a été déposée au mois de février dernier. Depuis, le Gouvernement n’est pas resté sans rien faire sur ce sujet, ce qui m’a conduit à actualiser certains points de mon propos.
Vous le savez, de 6 000 à 8 000 Français handicapés, enfants et adultes, sont aujourd’hui accueillis dans des structures d’hébergement en Belgique. En effet, devant l’insuffisance de places dans des institutions spécialisées, un grand nombre de familles françaises n’ont d’autre recours que de faire appel à ces lieux d’accueil, souvent éloignés de leur domicile.
Dans mon département de Meurthe-et-Moselle, frontalier avec la Belgique, les familles concernées demandent la construction d’un foyer de vie à Jarny. On rencontre des demandes similaires dans la plupart des départements frontaliers.
Par ailleurs, de nombreuses associations, au premier rang desquelles l’UNAPEI, l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés, ont alerté les pouvoirs publics sur les conditions de prise en charge des personnes dans certains établissements belges. Régulièrement, la presse se fait l’écho de ces problèmes. Ainsi, un grand journal du matin a publié, voilà moins d’un mois, un long article sur « le scandale des handicapés ».
Il faut rappeler que l’assurance maladie et les conseils généraux financent une grande part de cet accueil, dont le coût s’élève à plus de 300 millions d’euros, et qu’il est donc normal que nous disposions de moyens pour en garantir la qualité. J’ai noté d’ailleurs avec satisfaction que l’accord-cadre signé entre la France et la Wallonie, ratifié récemment par le Parlement, permet aujourd’hui d’envisager au moins un échange d’informations.
Début mai, Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, s’est rendue à Namur où elle a fait le point sur la situation avec sa collègue wallonne, Mme Tillieux, puis à Lille où elle a rencontré des élus locaux.
Madame la secrétaire d’État, ma question est donc en réalité double.
J’aimerais que vous m’indiquiez les modalités de mise en œuvre de la décision du Gouvernement d’augmenter le nombre de places d’accueil et les mesures de soutien aux associations et collectivités territoriales qui s’engagent pour une meilleure prise en charge des handicapés mentaux et physiques en France.
Je souhaiterais également que vous puissiez me dire, notamment après ce déplacement de Mme Neuville en Belgique, quelles actions le Gouvernement met en œuvre pour assurer une meilleure coopération avec l’État belge, et ce afin de rassurer les familles, qui ont légitimement besoin d’un soutien appuyé des pouvoirs publics.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Mme Ségolène Neuville, s’est entretenue au début du mois de mai sur ce sujet avec Mme Tillieux, ministre wallonne de la santé, de l’action sociale et de l’égalité des chances, afin d’engager une phase active de collaboration entre nos deux pays.
D’abord, vous avez raison de le souligner, le Gouvernement poursuit la création de places : ce sont de 3 000 à 4 000 places qui sont ouvertes chaque année. Ainsi, en 2014, plus de 1 000 places devraient être créées en Île-de-France, région où les besoins sont encore énormes.
Mais ces mesures ne répondent pas totalement aux besoins : la création de places n’exonère en rien les structures existantes d’accueillir les personnes les plus lourdement handicapées, les plus difficiles à accompagner. C’est pourquoi Mmes Touraine et Neuville ont demandé à un conseiller d’État, M. Piveteau, de leur formuler des préconisations cohérentes avec la politique du Gouvernement afin de développer une « réponse accompagnée », une médecine de parcours, qui visent à favoriser un parcours sans rupture de prise en charge pour les personnes handicapées. Ce rapport devrait leur être adressé au tout début du mois de juin.
Par ailleurs, le Gouvernement met en place, depuis le mois de mars 2014, l’accord franco-wallon, ratifié par le Parlement en novembre dernier.
Je tiens à rappeler que si l’accueil des personnes handicapées en Wallonie est une réponse limitée à des situations bien précises, elle est majoritairement de qualité.
Les autorités wallonnes et la France ont engagé un travail qui vise à s’assurer de cette qualité. Des conventions de financement plus rigoureuses s’appliqueront prochainement entre les établissements wallons et la sécurité sociale française ; l’Agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais y travaille actuellement. Certains conseils généraux ont engagé, aux côtés des autorités belges, un travail en direct avec les centres belges avec lesquels ils collaborent. Des travaux d’élaboration d’un référentiel qualité commune France-Wallonie vont s’engager, conjointement avec l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées, l’AWIPH, qui en est d’accord.
En ce qui concerne le calendrier, sachez que la prochaine commission mixte franco-wallonne se tiendra effectivement à la fin du mois de juin en Wallonie.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour l’ensemble de vos réponses.
Le rapport qui a été confié à M. Piveteau sera très utile : il permettra de décrire une réalité, celle du traitement des enfants et des adultes handicapés, qui, malheureusement, n’est pas à l’honneur de notre pays.
J’ai bien entendu qu’une relation se noue, sur cette question, avec la région Nord-Pas-de-Calais, essentiellement à Lille. Je veux néanmoins attirer votre attention sur le fait que le problème se pose également dans les Ardennes ou en Lorraine, et qu’il est tout à fait essentiel de couvrir l’ensemble des besoins. (Mme la secrétaire d’État opine.)
Je transmettrai vos éléments de réponse aux associations qui m’avaient sollicité.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Quant à moi, je transmettrai ces informations à l’association régionale de santé de Lorraine.
conséquences de la loi dite « obamacare » pour les adhérents à la caisse des français de l'étranger
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, auteur de la question n° 732, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences, pour les adhérents à la Caisse des Français de l’étranger résidant aux États-Unis, de la loi Affordable Care Act, dite « Obamacare », entrée en vigueur le 1er janvier 2014.
L’« Obamacare » impose à toute personne résidant fiscalement aux États-Unis de souscrire une assurance maladie avant le 31 mars 2014, sous peine d’une amende équivalant à 1 % du salaire brut la première année et en augmentation les années suivantes.
À ce jour, la Caisse des Français de l’étranger n’est pas reconnue par les autorités américaines comme satisfaisant aux exigences de la loi, et la direction de la caisse n’a pu obtenir les éclaircissements permettant de conseiller ses assurés sur la meilleure attitude à adopter.
En conséquence, je vous demande quelles mesures peuvent être prises dans les meilleurs délais avec les autorités américaines pour que soit reconnue, par l’administration américaine, l’affiliation à la Caisse des Français de l’étranger, afin d’éviter à ces derniers toute double cotisation. Je souhaite également que vous nous précisiez s’il est exact que les résidents étrangers aux États-Unis disposent d’un délai d’un an pour choisir leur couverture maladie.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question relative à l’Affordable Care Act, ou « Obamacare » ; avec ce texte, il s’agit, pour les pouvoirs publics américains, de rendre obligatoire l’affiliation à une assurance maladie, dans un pays où de nombreuses personnes ne sont pas encore couvertes, comme vous l’avez vous-même souligné.
Les conditions d’application de ces mesures à la situation des affiliés français de la Caisse des Français de l’étranger, la CFE, pose question.
En effet, l’un des objectifs principaux de l’Obamacare vise à permettre à tout citoyen américain de disposer d’une couverture santé assurant un minimum de garanties au regard des principaux risques maladies et maternité, à un coût considéré comme abordable au regard de ses revenus.
L’offre en assurance maladie, pour être suffisamment protectrice, doit garantir dix besoins essentiels. Il appartient à chaque assureur étranger de satisfaire aux procédures prévues par l’administration américaine pour s’en assurer. À cet égard, il nous semble que la CFE, qui a comme mission de garantir aux Français de l’étranger une couverture équivalente à celle que propose la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés en France, dispose d’une offre qui devrait être jugée satisfaisante. Il appartient à la CFE d’informer ses adhérents.
Je vous précise également qu’à notre connaissance, sous réserve de la parution prochaine d’une nouvelle réglementation, il n’existe pas, à ce stade, de disposition particulière permettant à des expatriés de disposer d’un délai supplémentaire d’un an.
Monsieur Leconte, je saisis l’occasion que m’offre votre question pour saluer votre implication dans ce dossier, et je vous renouvelle l’assurance que nos services sont à votre écoute sur ce sujet, qui est au cœur des préoccupations des affiliés français de la CFE résidant sur le sol américain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour cette réponse. Toutefois, dans la perspective de l’application prochaine de la loi « Obamacare », il est important que la CFE confirme de manière définitive qu’elle remplit bien les obligations de la loi, ce qui n’est pas le cas pour l’instant, les attestations qui lui ont été délivrées ne répondant pas aux exigences de la loi américaine. Cette confirmation devient de plus en plus urgente, en particulier si les résidents étrangers ne peuvent disposer d’un délai supplémentaire d’un an.
Je profite de l’occasion pour inciter le Gouvernement à travailler sur la Caisse des Français de l’étranger et sur sa gouvernance. À cet égard, je me satisfais de la décision du Conseil constitutionnel qui a déclassé la loi précisant le mode de désignation du conseil d’administration de la CFE : j’espère qu’elle permettra au Gouvernement d’annoncer dans les toutes prochaines semaines un calendrier de concertation, de manière à adapter la caisse aux nouvelles exigences de l’expatriation et à rendre sa gouvernance plus universelle.
numerus clausus et désertification médicale
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 742, transmise à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, fixé à 8 500 à sa création, le numerus clausus des médecins a atteint son plancher en 1993, au niveau de 3 500, avant de remonter progressivement pour s’établir à 8 000 aujourd’hui.
Pourtant, le numerus clausus semble un outil de régulation peu pertinent puisqu’il est désormais contourné par le principe de libre circulation dans l’espace européen. En effet, 24 % des médecins inscrits au tableau de l’Ordre en 2013 ont un diplôme étranger.
Nous prenons acte des mesures adoptées dans le pacte territoire-santé. Ce dernier prévoit la signature de 1 500 contrats d’engagement de service public d’ici à 2017. Toutefois, l’amélioration qui en résultera ne représente que 0,7 % de l’effectif actuel des généralistes, quand, selon les prévisions, le nombre de ces médecins devrait décliner beaucoup plus fortement.
La question de la démographie médicale se pose avec plus d’acuité encore dans la région Nord-Pas-de-Calais, compte tenu de sa situation sanitaire préoccupante, avec 70 % de surmortalité évitable, mais aussi de fortes disparités infrarégionales : par exemple, la démographie médicale est supérieure de 27 % à la moyenne nationale sur la Métropole-Flandre-Lys, mais inférieure de 27 % sur l’Artois-Douaisis. Avec 90,9 médecins généralistes pour 100 000 habitants, le bassin minier est largement en dessous de la moyenne nationale, laquelle est de 112. Le déficit est encore plus accusé pour les médecins spécialistes. Ainsi, le nombre de cardiologues et d’ophtalmologistes est inférieur de 32 à 50 % à la moyenne nationale.
Le Nord-Pas-de-Calais pâtit aussi d’un sous-effectif très net des hospitalo-universitaires, avec 93 professeurs d’université-praticiens hospitaliers, pour une moyenne nationale qui s’élève à 133. En réalité, le Nord-Pas-de-Calais est victime des choix des gouvernements successifs. Cette région de 4,5 millions d’habitants ne compte qu’un seul CHU. Pis, il n’y en a aucun dans le Pas-de-Calais, malgré ses 1 450 000 habitants !
Dans ces conditions, la vocation universitaire du futur pôle hospitalier de la Gohelle à Lens devrait être affirmée avec force, afin de créer des conditions nouvelles pour fixer des spécialistes sur ce territoire et pour créer des liens attractifs avec les centres de santé du régime minier, lesquels, ouverts à toute la population, constituent un véritable atout en termes d’accès aux soins de premier recours.
Madame la secrétaire d’État, avez-vous la volonté politique de rééquilibrer la situation en matière de démographie médicale et de conforter la vocation universitaire du futur pôle hospitalier de la Gohelle ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir attiré l’attention de Mme Marisol Touraine sur le niveau du numerus clausus et sur ses conséquences sur l’offre sanitaire en région Nord-Pas-de-Calais.
Le doublement du numerus clausus des étudiants en médecine de 1999 à 2014 a permis d’affecter des postes supplémentaires dans les régions où la densité médicale était inférieure à la moyenne nationale. Ainsi, dans le Nord-Pas-de-Calais, le numerus clausus a été doublé entre 1999 et 2010 et s’établit, en 2014, à 552 places.
Pour autant, compte tenu de la durée des études de médecine, comprise au minimum entre neuf et onze ans selon la spécialité choisie, les effets de la hausse du numerus clausus sont nécessairement décalés dans le temps. Par ailleurs, il convient de considérer qu’il s’agit ici d’une régulation territoriale des flux de formation, qui ne permet pas à elle seule d’assurer une répartition équilibrée des professionnels de santé, au regard de la liberté d’installation dont jouissent ces derniers tant sur le plan géographique qu’en termes de mode d’exercice – hospitalier ou libéral, en particulier.
À la fin de l’année 2012, le Gouvernement a lancé le pacte territoire-santé, que vous avez évoqué, afin de disposer d’un certain nombre de leviers incitatifs pour lutter contre les déserts médicaux et les inégalités d’accès aux soins.
Dans ce cadre, le contrat d’engagement de service public permettra notamment de verser à des étudiants ou internes en médecine ou en odontologie une allocation de 1 200 euros par mois en contrepartie de leur engagement à exercer pendant au moins deux ans dans une zone géographique jugée déficitaire en professionnels de santé. Pour l’année universitaire 2013-2014, ce sont 290 contrats qui ont été signés, dont 12 pour la région Nord-Pas-de-Calais.
Le contrat de praticien territorial de médecine générale a quant à lui pour objet de favoriser l’activité de jeunes médecins dans les territoires manquant de professionnels de santé, en sécurisant leurs deux premières années d’installation par une garantie de revenus et une protection sociale améliorée.
Afin de garantir un accès aux soins urgents en moins de trente minutes, le nombre de médecins correspondants du SAMU a également considérablement évolué, passant de 150 en 2012 à 650 en 2014.
Par ailleurs, vous soulignez le déficit d’effectifs hospitalo-universitaires de la faculté de médecine de Lille. Dans un cadre budgétaire contraint ne permettant aucune création d’emploi, la révision des effectifs hospitalo-universitaires au titre de l’année 2014 a néanmoins conduit à la transformation, au centre hospitalier et universitaire de Lille, d’un emploi de maître de conférences des universités-praticien hospitalier en un emploi de professeur des universités-praticien hospitalier dans la discipline pédopsychiatrie.
Enfin, vous souhaitez que la vocation universitaire du futur pôle hospitalier de la Gohelle à Lens soit affirmée afin de rendre celui-ci attractif pour des médecins spécialistes. Le Gouvernement est particulièrement attentif aux actions actuellement engagées, permettant d’assurer la pérennité du centre hospitalier de Lens, avec un nécessaire retour à l’équilibre financier. Le développement de coopérations avec l’Association Hospitalière Nord Artois Cliniques ainsi qu’avec les centres hospitaliers du territoire de l’Artois-Douaisis permettra de dimensionner le futur pôle de la Gohelle et d’organiser une offre de soins cohérente et équilibrée. Les relations avec le CHU de Lille devront également permettre de déterminer les conditions de participation de ce futur pôle aux missions hospitalo-universitaires d’enseignement et de recherche.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, vous avez précisé que le numerus clausus avait été doublé sur une période de plusieurs années, mais, dans le même temps, vous avez reconnu que ce dispositif ne permettait pas d’assurer une régulation équilibrée, en particulier dans des territoires comme le Pas-de-Calais, qui accuse des déficits importants en termes de démographie médicale. Pourquoi aucune mesure plus incitative, voire un peu plus directive, n’est-elle prise pour corriger ces inégalités ?
Vous avez soulevé la question des leviers incitatifs, évoquant notamment les 1 500 contrats d’engagement de service public qui doivent être signés. Mais il faut savoir que des projections à l’horizon 2018 ont établi que plus de la moitié de l’enveloppe prévue serait nécessaire pour compenser les déficits démographiques estimés pour la seule région parisienne ! Autant dire que les mesures annoncées sont insuffisantes pour régler la question, notamment sur mon territoire.
Dans votre réponse, vous avez indiqué que des efforts de recherche clinique seraient déployés sur le pôle hospitalier de la Gohelle, et qu’une relation devait être construite avec le CHU de Lille. Je pense que l’on reste en deçà de ce que l’on pourrait attendre : dans la mesure où le centre hospitalier de Lens développera ses activités dans trois secteurs – la neurologie, la cardiologie et la pneumologie –, l’enjeu est de fixer des spécialistes de ce CHU à Lens.
Au reste, vous n’avez pas du tout répondu sur les centres de santé. Le temps m’est compté, mais je veux rappeler combien ces centres sont importants pour ce territoire, en termes d’accès aux soins et compte tenu des difficultés financières des populations. Il y a là aussi un lien à construire, cette fois avec l’hôpital de Lens. Il s’agit de renforcer ces centres de santé, auxquels il faut véritablement donner une priorité de développement, en les aidant à fixer des spécialistes.
cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, auteur de la question n° 773, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Isabelle Debré. Madame la secrétaire d’État, le 31 janvier 2013, le Sénat adoptait une proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, avec des revenus professionnels.
Ce texte avait pour objectif, je le rappelle, de permettre aux retraités bénéficiant du minimum vieillesse de cumuler intégralement leur allocation avec les revenus tirés de la reprise d’une activité, dans la limite d’un certain plafond.
Avec cette mesure pragmatique, humaine et indolore pour les finances publiques, nous avions la possibilité de redonner leur dignité aux retraités modestes et de sortir ces derniers de la pauvreté dans laquelle la loi les maintient.
Examinée dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UMP de l’Assemblée nationale, la proposition de loi a fait l’objet d’une motion de renvoi en commission le 25 avril 2013, ce qui conduit en pratique à en reporter sine die l’examen par la chambre basse.
C’est pourquoi, lors de l’examen du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, j’ai tenu, avec mes collègues, à déposer le texte de cette proposition de loi sous la forme d’un amendement.
Cet amendement a été adopté et, sans y être toutefois favorable, Mme Touraine nous a confirmé que notre proposition était légitime. Je la cite : « Il paraît nécessaire de mettre en place un dispositif permettant aux bénéficiaires de l’ASPA de cumuler cette allocation avec l’éventuel revenu tiré d’une activité, une possibilité qui est déjà ouverte aujourd’hui aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés ou à ceux du RSA ».
Vous nous avez cependant précisé que l’intervention du législateur n’était pas nécessaire et qu’un décret suffisait, vos services ayant par ailleurs élaboré un projet de décret qui devait être transmis au Conseil d’État.
Or, depuis le 31 janvier 2013, quinze mois se sont écoulés et aucune décision n’a été prise sur le plan réglementaire. Certes, l’ASPA a été revalorisée de 0,6 % au 1er avril 2014, pour atteindre 792 euros par mois. Mais le seuil de pauvreté, je le rappelle, s’élève à 977 euros mensuels. Dès lors, peut-on se satisfaire de cette revalorisation ?
Pourquoi tant de temps perdu ? Pourquoi ne pas donner aux retraités les plus démunis la possibilité d’améliorer leurs ressources ? Pourquoi maintenir cette discrimination envers les retraités les plus pauvres ?
Le droit de travailler est un droit fondamental dans notre pays. Beaucoup de retraités aux revenus modestes attendent depuis longtemps de pouvoir librement bénéficier de quelques revenus liés à une reprise d’activité.
Voulez-vous, madame la secrétaire d'État, me préciser si vous faites toujours de ce dossier une priorité et dans quel délai le décret sera signé ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, Mme Marisol Touraine avait pris devant la représentation nationale trois engagements en faveur des retraités les plus modestes lors de la discussion de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Elle s'était d’abord engagée à augmenter de 50 euros l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé ; cette hausse de 10 % est effective depuis le 1er janvier dernier.
Ensuite, elle s'était engagée à revaloriser deux fois le minimum vieillesse en 2014 ; la première revalorisation a eu lieu en avril, la seconde aura lieu en octobre. Cet engagement sera donc également tenu.
Enfin, elle avait pris l’engagement d’autoriser par décret – c'est le point que vous évoquiez – un cumul entre minimum vieillesse et petits revenus d’activité. Comme les deux autres, ce dernier engagement sera tenu. Le projet de décret qui rendra possible ce cumul est en phase de consultation obligatoire auprès des caisses de retraite depuis quelques semaines, avant sa transmission au Conseil d’État. Il devrait donc être publié avant l’été.
Comme Mme Marisol Touraine vous l’avait précisé, elle a souhaité intégrer la création d’un mécanisme de cumul entre emploi et minimum vieillesse dans le cadre plus large d’une refonte du cumul emploi-retraite. Cette réforme structurelle a eu lieu lors de la réforme des retraites. Trois mois après, le décret est donc finalisé.
Jusqu’à présent, quand un bénéficiaire de l’ASPA travaillait, son allocation diminuait d’autant. Dès la publication du décret, les retraités pourront désormais cumuler leur minimum vieillesse avec des revenus d’activité, dans la limite d’un plafond, à travers un mécanisme d’abattement. Il s’agit d’un dispositif particulièrement simple, les revenus d’activité n’étant pas pris en compte jusqu’au plafond.
Mme Marisol Touraine tiendra donc, dans les délais voulus, les trois engagements qu’elle avait pris cet hiver devant la représentation nationale en faveur des retraités les plus modestes.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Je vous remercie de ces engagements, madame la secrétaire d’État.
Malgré tout, je regrette que le décret prime sur une loi issue de la représentation nationale, élue par les citoyens. Je regrette que l’on ait ainsi perdu presque deux ans – je pense que l’on aurait pu aller beaucoup plus vite.
Ce décret paraîtra donc avant l’été. Dont acte ! Votre réponse me paraît cependant un peu floue : vous nous parlez d’un plafond, mais lequel ? Dans la loi, nous avions fixé un plafond à 1,2 SMIC pour une personne seule et à 1,8 SMIC pour un couple...
Nous verrons donc si nous nous satisfaisons de ce décret et si, surtout, les personnes concernées auront enfin ce droit fondamental – j’y insiste – de pouvoir travailler et d’en tirer quelque bénéfice, car, comme vous le savez, toute peine mérite salaire.
Je trouve anormal que l’on ait attendu aussi longtemps pour permettre aux personnes les plus démunies de compléter leur retraite. Certes, vous avez revalorisé le minimum vieillesse, mais il reste bien en dessous du seuil de pauvreté, ce qui est totalement inacceptable dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 716, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur la situation des enfants d’origine étrangère recueillis dans le cadre de la « kafala ».
Prévue par le droit coranique, la kafala est un acte de recueil légal d’un enfant mineur qui ne crée pas de lien de filiation : il peut y avoir une adoption simple, mais pas d’adoption plénière. Cette procédure, appliquée dans la plupart des pays de droit musulman, est reconnue comme une mesure de protection de l’enfant par l’article 20 de la convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
L’absence de reconnaissance par le droit français de la kafala – la règle de droit en France est en effet la loi personnelle de l’enfant – crée de nombreux problèmes pour les familles ayant recueilli un enfant dans ce cadre. Ainsi, le traitement des demandes de visa pour un tel enfant est extrêmement variable selon les consulats.
En 2009, le Médiateur de la République avait suggéré de transposer dans la loi plusieurs propositions : définition d’une procédure d’agrément applicable à la kafala ; application de la jurisprudence du Conseil d’État concernant le regroupement familial, l’enfant se trouvant en France auprès de ses nouveaux « tuteurs », en quelque sorte ; unification des règles relatives à la délivrance des visas à long terme pour les enfants concernés ; opposabilité de plein droit des effets juridiques de la kafala en France ; enfin, suppression du délai de résidence de cinq ans exigé pour l’attribution de la nationalité française, dans la mesure où la loi du pays d’origine prohibe l’adoption.
De nombreuses familles attendaient beaucoup du projet de loi « famille », et son silence sur la question de la kafala a donc été, pour elles, une grande déception.
À l’issue de différents travaux engagés à la suite de recommandations du Médiateur de la République – je pense en particulier à ceux qui ont été menés par un groupe de travail au ministère de la justice –, je m'interroge donc sur l’état des réflexions en cours au sein du ministère de la justice – et, madame, au sein de votre secrétariat d’État – sur le statut de la kafala et sur la question de savoir si les attentes légitimes des familles ayant recueilli un enfant sous ce statut pourront recevoir rapidement une réponse.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, Mme la garde des sceaux, actuellement à l’Assemblée nationale pour une audition devant la commission des lois, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
La kafala est une institution qui a pour objet d’offrir à un enfant une protection sans créer de lien de filiation entre ce dernier et la personne qui le recueille, assure son éducation et son entretien. La kafala est expressément reconnue par plusieurs conventions que la France a ratifiées.
S’agissant de la filiation, une modification de la loi actuelle ne paraît pas envisageable. En effet, l’article 370-3 du code civil, issu de la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale, adoptée à l’unanimité par le Parlement français, prévoit que « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».
Il ne serait donc pas raisonnable de revenir sur cette disposition qui repose sur le respect de la souveraineté des États prohibant l’adoption et qui est aussi conforme aux exigences de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur l’adoption internationale.
En ce qui concerne la suppression de la durée de résidence de cinq ans exigée pour l’acquisition de la nationalité française, la question mérite plus ample expertise et discussion : il ne faudrait en effet pas créer de différences de traitement entre, d’une part, les enfants recueillis par kafala et, d’autre part, les enfants nés de parents étrangers en France et y résidant, pour lesquels une résidence habituelle en France de cinq ans depuis l’âge de onze ans est exigée pour acquérir la nationalité à la majorité.
Au demeurant, les enfants recueillis par kafala ne sont pas dépourvus, en France, de statut. En effet, une kafala judiciaire, comme toute décision relative à l’état des personnes, est reconnue de plein droit sur le territoire français, sans formalité particulière, dès lors que sa régularité n’est pas contestée. Si l’enfant n’a pas de filiation établie ou a été abandonné, il sera protégé au titre des règles relatives à la tutelle.
Si, en revanche, l’enfant dispose encore d’une filiation établie à l’égard de l’un de ses parents, la personne qui l’a recueilli en France sera considérée comme délégataire de l’exercice de l’autorité parentale.
D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt en date du 4 octobre 2012, a considéré que le dispositif français ne portait pas atteinte au respect de la vie privée et familiale, et ce d’autant que l’enfant, s’il devient Français ultérieurement, est ensuite adoptable.
Conscient toutefois de la nécessité de mieux faire connaître cette institution, le ministère de la justice entend rappeler par voie de circulaire les effets produits en France par une kafala, afin de faciliter les démarches effectuées par les familles.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, je dois dire que je suis un peu déçu par cette réponse qui signifie pour moi : « circulez, il n’y a rien à voir » ! Or, la question de la kafala revient régulièrement. J’en veux pour preuve qu’un groupe de travail, constitué au ministère de la justice, s'est penché sur cette question pendant deux ans ; il semble que ses travaux se soient évaporés…
Nous sommes confrontés aux parents qui rencontrent des problèmes de délais et de situation juridique de l’enfant. La Cour européenne des droits de l’homme peut bien dire que tout est parfait en France, je ne crois pas que cela soit le cas… Je pense que nous passons ici à côté d’une question importante. Nous pourrions, sans bouleverser le droit civil français, améliorer les choses, par exemple sur le délai de cinq ans ou l’adoption simple. C'est d’ailleurs ce qu’ont dit le Médiateur de la République et le groupe de travail du ministère de la justice…
Nous verrons donc, quand la loi « Famille » arrivera au Sénat, ce que nous déciderons de proposer.
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la question orale suivante, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteur de la question n° 747, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la forte inquiétude exprimée par des collectivités territoriales de mon département quant à l’obligation qui leur est imposée de transformer leur zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, ZPPAUP, en aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, AVAP.
La loi n° 2010–788 du 12 juillet 2010 a prévu en effet la création des AVAP en lieu et place des ZPPAUP. L’article L. 642–8 du code du patrimoine pris en application de cette loi disposait que les ZPPAUP mises en place avant la date d’entrée en vigueur de ladite loi continuaient de produire leurs effets jusqu’à ce que s’y substitue une AVAP, et ce au plus tard dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de cette loi.
De ce fait, les ZPPAUP existantes devaient devenir caduques au 14 juillet 2015 si une AVAP ne s’y était pas substituée à cette date. Or ce délai apparaissait trop court pour certains. La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, l’a prorogé, et je m’en félicite. Toutefois, au-delà du simple délai, le principe même du dispositif est dénoncé si la future loi sur le patrimoine doit encore évoluer et « annuler » les AVAP.
J’en veux pour exemple la situation des élus de la commune de Denée – 1 400 habitants – qui s’inquiètent de voir leurs choix antérieurs annulés par l’abandon ou la transformation d’une législation qui fonctionne pourtant parfaitement, notamment grâce à la collaboration des architectes des Bâtiments de France. Ces derniers apportent en effet leur appui technique et légal à des petites communes qui n’ont ni les compétences ni les moyens de s’offrir les conseils de cabinets juridiques spécialisés pour l’instruction des dossiers d’urbanisme situés dans les zones protégées de leur territoire.
Ainsi établie, la ZPPAUP satisfait nombres d’élus, et elle est considérée comme un outil dont la force juridique est importante. Il en existe aujourd'hui 670 dans toute la France, dont les contenus sont très variables. Moins d’une centaine, à ce jour, ont été transformées en AVAP, auxquelles s’ajoutent d’autres servitudes, notamment environnementales, qui exigent ce processus d’études préalables, dont le coût à la charge des collectivités, estimé entre 30 000 euros et 100 000 euros, malgré l’aide de l’État, reste important pour les ZPPAUP les plus élaborées.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, et afin de répondre aux inquiétudes des maires ruraux qui ne souhaitent pas nécessairement transformer leur ZPPAUP en AVAP dans un contexte incertain, je vous remercie, madame la ministre, de m’informer sur les dispositions qui seront prises dans le cadre de la future loi sur le patrimoine à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice Catherine Deroche, la loi Grenelle II, vous l’avez rappelé, a modifié l’article L. 642–8 du code du patrimoine et a prévu que les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, continueront à produire leurs effets de droit jusqu’à ce que s’y substituent des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, les AVAP, et au plus tard dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de cette même loi.
Toutefois, pour éviter l’effet couperet, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, récemment promulguée, prolonge ce délai d’un an, soit jusqu’au 14 juillet 2016.
J’ai pleinement conscience des difficultés que peuvent rencontrer les communes pour la transposition des ZPPAUP dans un délai aussi court que celui qui était initialement prévu et de la catastrophe patrimoniale que représenterait pour notre pays la perte de tous ces espaces protégés. Le projet de loi « Patrimoines » que je présenterai prochainement prévoit la suppression de toute échéance « couperet » et permettra ainsi de préserver l’acquis des ZPPAUP et des AVAP.
Dans le projet de loi « Patrimoines », est proposée la création d’un seul outil d’identification et de protection, appelé à ce stade « cité historique », qui intègre automatiquement les actuels secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine.
Les cités historiques seront dotées d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur ou à défaut d’un plan local d’urbanisme « patrimonial ». Les règlements des ZPPAUP et des AVAP seront intégrés dans ces documents d’urbanisme. Ainsi, les acquis des ZPPAUP et des AVAP seront totalement préservés.
Le futur projet de loi aura pour objet la protection du patrimoine et la simplification, au service des élus qui sont engagés dans des démarches de protection du patrimoine. Il traitera plus largement des patrimoines dans leur ensemble, c'est-à-dire aussi l’archéologie, l’architecture, les archives, les espaces protégés, les monuments historiques et les musées.
Cette réforme profonde du droit du patrimoine, préparée depuis un an et demi en concertation avec les associations d’élus, les autres ministères impliqués, les associations de défense du patrimoine et, bien sûr, les services du ministère de la culture directement concernés, est vraiment au service du patrimoine.
L’un des principaux axes de cette réforme vise à clarifier la protection du patrimoine en la rendant plus compréhensible pour les citoyens, pour les élus et les collectivités territoriales et pour les entreprises, en mettant fin à la superposition des dispositifs et des servitudes qui rendaient très complexe l’application des règles et en fusionnant des commissions consultatives.
Je ne doute pas que ce texte pourra montrer le caractère consensuel des enjeux liés à la protection de notre patrimoine.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui est claire concernant les délais ; c’est un premier point.
Il est cependant tout aussi important, pour les communes qui s’étaient engagées dans une ZPPAUP voire dans une transformation de celle-ci, que leurs efforts, qui s’étalent souvent sur plusieurs années, ne soient pas anéantis. Ces processus, nous le savons, sont longs et coûteux. Les communes mobilisent une partie de leur budget pour la protection de leur patrimoine, en dépit de nombreux besoins. Il s’agit vraiment d’un choix courageux de leur part.
Nous attendons par conséquent le futur projet de loi pour en débattre. Nous serons vigilants sur ses implications pour les communes, notamment rurales, qui se sont déjà engagées dans une ZPPAUP, voire dans une AVAP.
prêt à taux zéro pour l'accession à la propriété et subventions en faveur de l'amélioration de l'habitat
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, en remplacement de M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 764, adressée à Mme la ministre du logement et de l'égalité des territoires.
M. Richard Yung. Madame la ministre, je remplace M. Gilbert Roger, qui ne peut être présent ce matin en raison d’un empêchement.
M. Gilbert Roger attire l’attention de Mme la ministre du logement sur l’impossibilité, pour les primo-accédants, de bénéficier du prêt à taux zéro, dit PTZ, pour l’accession à la propriété puis, dans un second temps, des aides de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, relatives à l’amélioration de l’habitat. Cette interdiction de cumul pose problème, notamment depuis que le PTZ s’applique à l’accession à la propriété de logements anciens, qui nécessitent souvent des travaux de rénovation thermique.
Le délai pendant lequel les aides de l’État pour la construction, l’acquisition et l’amélioration des logements en accession et les subventions de l’ANAH ne peuvent être cumulées a été réduit, un décret de 2009 ayant ramené de dix ans à cinq ans la période d’une subvention de l’ANAH.
Toutefois, ce délai de cinq ans est encore trop long. En effet, les primo-accédants sont bien souvent et logiquement de jeunes ménages aux revenus modestes qui ne peuvent pas s’endetter, au moment de l’acquisition, pour contracter un prêt pour leurs travaux d’amélioration de l’habitat en plus de leur prêt logement. Or, leur interdire d’effectuer des travaux de rénovation thermique dans les premières années qui suivent l’acquisition de leur logement, c’est les contraindre à une dépendance énergétique forte pendant cinq ans, ce qui réduit d’autant leur pouvoir d’achat et constitue un gaspillage d’énergie.
Aussi M. Gilbert Roger aimerait-il savoir si le Gouvernement est prêt à prendre des dispositions visant à autoriser le cumul du PTZ et des aides de l’ANAH dès la date d’acquisition pour les travaux de mise aux normes énergétiques.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires, qui est retenue à l’Assemblée nationale par une séance de questions orales sans débat.
Le PTZ+ est un prêt sans intérêts, aidé par l’État, qui peut être accordé, sous conditions de ressources, aux personnes qui souhaitent acquérir leur première résidence principale en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Ses conditions d’éligibilité sont précisées par le code de la construction et de l’habitation.
Or, depuis le 1er janvier 2012, le PTZ+ ne peut plus financer que la construction d’un logement, l’achat d’un logement neuf ou l’achat, par les locataires d’HLM, d’un logement ancien vendu par un bailleur social à ses occupants. Ce dernier cas a concerné en 2013 environ 200 ménages, soit moins de 0,5 % des PTZ+ émis. En outre, depuis 2013, les logements neufs financés par le PTZ+ doivent nécessairement respecter la nouvelle réglementation thermique, la « RT 2012 ».
Dans la quasi-totalité des cas, le PTZ+ est donc mobilisé pour financer une construction neuve qui ne nécessite pas de travaux d’amélioration énergétique durant les années qui suivent son achèvement. Dès lors, une modification de la règle de non-cumul ne semble pas impérative.
En revanche, pleinement conscient de l’enjeu que représente la rénovation énergétique des logements, le Gouvernement a lancé en septembre 2013 son plan de rénovation énergétique de l’habitat, le PREH, programme ambitieux de rénovation thermique de 500 000 logements par an destiné à redonner du pouvoir d’achat aux ménages tout en contribuant à réduire le réchauffement climatique.
Les ménages qui accèdent aujourd’hui à la propriété dans l’ancien peuvent bénéficier des aides mises en place dans le cadre de ce plan, y compris des aides de l’ANAH, en particulier le programme « Habiter mieux », qui est réservé aux ménages modestes.
Ceux qui ne peuvent pas bénéficier des aides de l’ANAH peuvent prétendre à plusieurs autres aides en faveur de la rénovation énergétique : le crédit d’impôt développement durable, qui peut financer jusqu’à 25 % des dépenses supportées pour payer des travaux d’amélioration énergétique ; la prime « rénovation énergétique », d’un montant de 1 350 euros, qui est octroyée sous conditions de ressources aux propriétaires occupants de leur résidence principale réalisant des travaux de rénovation énergétique lourde ; l’éco-prêt à taux zéro, accessible à tous les propriétaires d’un logement achevé avant le 1er janvier 1990 et utilisé en tant que résidence principale, également pour financer des travaux de rénovation lourde.
Le plan du Gouvernement s’appuie en outre sur un réseau de « Points rénovation info service », ou PRIS, couvrant l’ensemble du territoire, à la disposition des ménages qui souhaitent s’engager dans des travaux d’amélioration énergétique de leur logement, pour les aider notamment à sélectionner les aides financières les plus adaptées à leur projet.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Les multiples et divers dispositifs que vous venez de décrire devraient répondre, au moins en grande partie, au souci évoqué par M. Gilbert Roger de permettre la rénovation thermique des logements anciens pour les primo-accédants.
aide aux viticulteurs qui pratiquent les méthodes d'enrichissement du vin aux moûts concentrés et concentrés rectifiés
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 771, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la séance de la semaine dernière, en lieu et place de notre collègue Christian Bourquin, j’ai interrogé le ministre de l’agriculture sur une question similaire qui préoccupe les viticulteurs, notamment ceux de la région Languedoc-Roussillon et plus particulièrement ceux du département de l’Hérault.
En effet, depuis 2012, nos vignerons ne bénéficient plus de l’aide à l’enrichissement aux moûts concentrés et moûts concentrés rectifiés.
Dans le cadre de la nouvelle organisation commune du marché – OCM – de 2008, il avait été décidé d’apporter à ces viticulteurs une aide sur trois ans, destinée à compenser le coût différentiel des méthodes employées pour l’enrichissement du vin : la méthode d’enrichissement par chaptalisation et ajout de saccharose est en effet beaucoup moins onéreuse que celle privilégiée par les viticulteurs du Languedoc-Roussillon qui pratiquent l’enrichissement par moûts concentrés, méthode élaborée uniquement à partir du raisin.
La suppression de l’aide aux viticulteurs du Sud, qui, contrairement à leurs homologues du reste de la France et d’une partie de l’Europe, ne sont pas autorisés à recourir à la chaptalisation, entraîne des surcoûts inadmissibles et lèse des viticulteurs tout autant confrontés à la concurrence mondiale.
Dans votre réponse, il nous était indiqué que le Gouvernement avait la volonté d’avancer sur ce sujet et entendait faire évoluer ce dossier au niveau européen. Cependant, comme aucune solution ne sera adoptée avant les vendanges de 2014, vous nous aviez annoncé que des solutions étaient à l’étude en vue de soutenir nos viticulteurs.
Pouvez-vous nous apporter des précisions quant aux solutions recherchées par le Gouvernement, ainsi que sur le calendrier retenu ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur Tropeano, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt qui assiste actuellement aux questions orales sans débat à l’Assemblée nationale.
La question de l’enrichissement des vins dans les départements du sud de la France dans lesquels le sucrage à sec – ou chaptalisation – est interdit pose problème depuis la suppression de l’aide aux moûts concentrés et aux moûts concentrés rectifiés.
Rappelons que la suppression de cette aide, qui visait à compenser le différentiel de coût entre le sucre et les moûts concentrés, a été décidée lors de la réforme de l’OCM vitivinicole de 2008 et a pris effet à compter des vendanges 2012.
La France va demander le rétablissement de ce soutien ; toutefois, il ne pourra pas être effectif en 2014.
Dans l’attente de l’aboutissement au niveau communautaire de la demande française de rétablissement de cette aide, les services du ministre chargé de l’agriculture et ceux du ministre chargé de la consommation ont clarifié les conditions dans lesquelles seront instruites les demandes à titre dérogatoire de recours à la chaptalisation.
Ces dérogations à l’interdiction d’enrichissement par sucrage à sec peuvent être accordées, selon la réglementation communautaire, lorsque des « circonstances exceptionnelles le justifient ».
Les améliorations apportées à la procédure visent à rappeler les marges d’appréciation dont disposent les préfets. Il s’agit, d’une part, de renforcer la coordination interrégionale des services instructeurs tout en maintenant leur réactivité et, d’autre part, d’harmoniser les éléments de réflexion des préfets de région en mettant à leur disposition des lignes directrices leur permettant de disposer d’une aide à la décision harmonisée au niveau national pour toute demande d’autorisation d’enrichissement ou demande d’autorisation exceptionnelle d’enrichissement par sucrage à sec.
Les deux ministres veilleront à une application harmonisée en 2014 de ces lignes directrices.
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Comme nous l’avait indiqué M. le ministre de l’agriculture la semaine dernière, ce problème ne pourra être réglé avant les vendanges 2014.
Voilà qui est dommageable et qui posera un problème certain à nos nombreux viticulteurs et vignerons, qui font de très gros efforts pour élaborer un produit de qualité. Je tiens à vous rappeler que la viticulture du Languedoc-Roussillon exporte énormément à l’étranger, que ce soit en Chine, au Canada ou dans tous les pays anglo-saxons.
Je ne manquerai pas de faire part de votre réponse à mes amis vignerons, en espérant qu’ils pourront, en 2014, avoir recours à l’enrichissement par moûts concentrés et moûts concentrés rectifiés.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à onze heures.)
M. le président. La séance est reprise.
situation des centres des finances publiques dans le département du morbihan
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 777, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le secrétaire d’État, les contribuables français, qui remplissent ces temps-ci leur déclaration fiscale, sont de plus en plus nombreux à être assujettis à l’impôt, et pour des montants de plus en plus élevés, notamment en raison du gel du barème de l’impôt sur le revenu. Au même moment, les agents des centres de finances publiques du Morbihan subissent la baisse des moyens décidée par la direction générale des finances publiques, la DGFIP.
Reconnaissez que la situation est étonnante : alors que la pression fiscale et le nombre de contribuables augmentent, les moyens accordés aux services baissent considérablement.
De fait, 14 000 emplois ont déjà été supprimés en six ans, dont 200 dans le Morbihan. Malgré les coupes claires déjà opérées, le comité technique local aurait décidé de supprimer cette année 24 postes d’agent, en plus des 32 postes déjà supprimés l’année dernière. Cinq trésoreries de proximité ont déjà été fermées dans le département, qui compterait à ce jour moins de 1 000 agents, et des inquiétudes pèsent sur d’autres trésoreries, comme celle de Pluvigner. Encore ce tableau ne tient-il pas compte des projets non encore dévoilés, qui contribueront à faire reculer le service public dans notre département et qui supprimeront des emplois.
À l’heure où le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé vouloir économiser 19 milliards d’euros sur la fonction publique d’État, les agents des finances ne doivent pas supporter les effets néfastes du pacte de responsabilité !
Cette politique d’austérité prend, au sein de la DGFIP, le nom de « démarche stratégique » ; placée sous le joug de la modernisation de l’action publique, la MAP, cette « démarche stratégique » fait l’objet d’une impulsion vigoureuse.
Or elle correspond à la poursuite et à l’amplification des suppressions d’emplois, ainsi qu’à des regroupements de services destinés à réaliser des économies d’échelle, décidés sans la moindre préoccupation pour les attentes des usagers et pour les impératifs de justice fiscale et de lutte contre la fraude, alors même qu’il est urgent d’amplifier cette lutte, vu le montant des fraudes.
Elle conduit aussi à la remise en cause des garanties sociales des personnels, et plus particulièrement de celles qui sont liées au droit de mutation. L’objectif est de laisser les directeurs locaux disposer des agents en fonction des contraintes résultant pour les services de la poursuite des suppressions d’emplois.
Il s’agit, in fine, de diminuer le personnel et de réduire drastiquement les moyens de fonctionnement.
Mes chers collègues, vous le comprenez : l’administration des finances publiques est un service public en souffrance – une souffrance dont les agents sont les premiers à ressentir les symptômes dans l’exercice quotidien de leurs fonctions.
Par ailleurs, les percepteurs, notamment dans les trésoreries rurales, sont des receveurs municipaux. À ce titre, ils entretiennent des rapports étroits avec les collectivités territoriales dans la gestion des comptes publics et dans l’élaboration du budget de celles-ci. L’État ne saurait se désengager de cette mission primordiale pour les élus et affecter ce travail à des cabinets d’experts-comptables privés.
Dans ce domaine, la stratégie consiste à demander aux agents de faire plus avec beaucoup moins, puisqu’on ferme environ une trésorerie par an et par département. Cette situation laisse penser que les missions de ces fonctionnaires seraient inutiles, ou que leur travail serait inefficace, alors que leurs prérogatives devraient au contraire être consolidées.
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, la « démarche stratégique » qui a été lancée ne semble pas être la bonne voie au service de tous. Le Gouvernement compte-t-il amender rapidement ce plan et surseoir à diminuer les postes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Le Scouarnec, je vous prie, tout d’abord, d’excuser l’absence du ministre des finances et des comptes publics, M. Michel Sapin, qui se trouve ce matin à Aulnay pour suivre le travail de terrain des services de douane.
Vous avez bien voulu, monsieur le sénateur, appeler l’attention du Gouvernement sur la situation des structures et des emplois au sein de la direction départementale des finances publiques du Morbihan et me faire part de vos inquiétudes au sujet de l’accessibilité des services de la direction générale des finances publiques, la DGFIP, à ses différents publics.
Je tiens à vous indiquer que la DGFIP veille à adapter ses implantations, de manière pragmatique, à l’évolution des contextes socioéconomiques locaux et aux besoins des usagers. En effet, la méthode appliquée par la DGFIP est fondée sur le dialogue social et sur l’appréciation des besoins au plus près du terrain. C’est dans ce cadre que s’inscrit la prospective initiée par la « démarche stratégique » dont vous avez parlé.
Aucun objectif chiffré de réorganisation n’a été proposé dans ce document, ni au niveau national ni au niveau départemental. Les opérations de réorganisation sont réalisées avec l’accord du préfet de département et à l’issue d’une concertation approfondie menée, au plan départemental, avec les élus concernés, les personnels et les organisations syndicales.
Cette démarche peut aboutir à la fermeture des structures les moins adaptées. En pratique, elle est déconcentrée au plan local, sous le contrôle de la direction générale, qui veille à la cohérence des restructurations sur l’ensemble du territoire.
C’est dans ce contexte qu’une réflexion a été menée dans le Morbihan afin de dégager des pistes de réorganisation du réseau des trésoreries et de consolider la situation des postes les plus fragiles. En effet, ce réseau dense – puisqu’il comporte 49 postes comptables – se caractérise notamment par la taille très réduite d’une partie des structures qui le composent. Les structures les plus petites ne peuvent pas assurer leurs missions dans de bonnes conditions, ce qui conduit à des difficultés de gestion importantes.
À ce stade, néanmoins, aucun projet de regroupement de trésoreries pour le 1er janvier 2015 n’est validé.
Par ailleurs, les services complémentaires permis par les progrès de la dématérialisation et des téléprocédures offrent aux usagers la possibilité d’accomplir de nombreuses démarches sans avoir à se déplacer physiquement.
Ainsi, la DGFIP s’attache à maintenir sur l’ensemble du territoire national un réseau suffisamment dense au profit des élus, des contribuables et des partenaires du secteur local, tout en développant la qualité de ses missions à destination de chacun de ces trois publics.
La loi de finances pour 2014 prévoit la diminution du plafond d’emplois de la DGFIP de 1 988 équivalents temps plein. Dans le Morbihan, les suppressions d’emplois au titre de l’exercice 2014 sont de 24 équivalents temps plein, contre 32 au titre de 2013. L’effort prévu dans votre département, monsieur le sénateur, reste certes exigeant, mais, en proportion, il est inférieur au taux d’effort national.
En outre, les réductions d’emplois sont modulées et concernent davantage, en proportion, l’administration centrale que les services déconcentrés, et davantage les catégories A+ et A que les catégories B et C.
Enfin, ces réductions ont été localisées de façon à épargner au maximum les services en contact physique avec les usagers.
Ces dispositions, qu’accompagne une offre de services constamment améliorée au bénéfice des contribuables comme des élus locaux, me paraissent de nature, monsieur le sénateur, à répondre aux préoccupations légitimes que vous avez exprimées.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Je me réjouis qu’aucun regroupement pour 2015 n’ait été validé à ce jour et je prends bonne note de vos propos sur l’attention que le Gouvernement accorde au dialogue social et aux besoins des usagers.
J’ai posé cette question à la suite d’un mouvement du personnel, inquiet des suppressions d’emplois à venir. Or, le 16 avril dernier, le Premier ministre a confirmé, outre le gel de la valeur du point d’indice, la poursuite des suppressions d’emplois, ce qui a été perçu comme une marque de non-reconnaissance par les fonctionnaires de l’administration des finances publiques.
Je souhaite que le Gouvernement fasse preuve d’une grande prudence et qu’il songe à la population et au personnel.
En vérité, il y a tant à faire, au moment où la fraude fiscale représente des montants considérables : je crois avoir retenu qu’elle s’élève à 70 milliards d’euros pour la seule TVA, sans parler, donc, de l’évasion fiscale. Monsieur le secrétaire d’État, à vouloir économiser trop, on risque de perdre beaucoup !
allocation d'actifs de l'établissement de retraite additionnelle de la fonction publique
M. le président. La parole est à M. Roger Madec, auteur de la question n° 763, transmise à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Roger Madec. Monsieur le secrétaire d’État, l’article 76 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a créé un régime public de retraite additionnelle et obligatoire, dénommé « retraite additionnelle de la fonction publique » par le décret n° 2004–569 du 18 juin 2004 relatif à la retraite additionnelle de la fonction publique, modifié notamment les 30 décembre 2010 et 28 décembre 2011.
L’établissement de retraite additionnelle de la fonction publique, l’ERAFP, est l’établissement public administratif chargé de la gestion du régime de retraite additionnelle de la fonction publique, qui permet aux 4,6 millions de fonctionnaires concernés d’acquérir des droits à une retraite additionnelle. Ce régime est financé à parité par les fonctionnaires et par les employeurs.
Les contraintes qui lui sont imposées par l’arrêté du 26 novembre 2004 portant application du décret n° 2004–569 du 18 juin 2004 sont extrêmement sévères : ses 18 milliards d’euros d’actifs doivent être investis à 65 % au moins en obligations, les autres formes de placements ne pouvant dépasser 25 % pour les actifs à revenu variable et 10 % pour l’immobilier.
Or les caractéristiques du marché obligataire altèrent, depuis au moins deux ans et de manière durable, les perspectives de rendement associées à cette classe d’actifs, au point que le risque de destruction de valeur sur le portefeuille de l’ERAFP n’est pas exclu.
En outre, cette allocation d’actifs empêche l’établissement public de jouer son rôle au service de l’économie durable, alors que les caractéristiques de son passif – très longue durée de ses engagements et exceptionnelle importance de sa liquidité – le conduiraient naturellement à investir à long terme et à apporter aux entreprises le capital patient dont elles ont besoin.
Revoir les limites d’investissement fixées par le cadre réglementaire actuel permettrait à l’ERAFP d’investir directement dans des fonds ouverts et d’employer ses actifs à des fonctions socialement utiles, telles que l’innovation pour le soutien à l’emploi, le financement des PME-PMI, des collectivités territoriales et des établissements de santé, le logement, dont celui des fonctionnaires, la gestion durable des forêts, les infrastructures, ou encore la transition énergétique et écologique.
Au moment où le Gouvernement a engagé une action volontariste en matière de logement, il apparaît indispensable de revoir ces contraintes fixées il y a de nombreuses années et qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins actuels.
Élu du nord-est parisien, je constate au quotidien les difficultés croissantes des petites et moyennes entreprises pour accéder au crédit dans le but d’assurer leur développement, ainsi que les tensions dues au déficit de logements sociaux. De fait, à Paris, les fonctionnaires ne sont pas épargnés, hélas, par la crise du logement social.
Dans ces conditions, je considère qu’il est à la fois juste, pertinent et conforme à l’intérêt général de consacrer une partie des avoirs considérables de l’ERAFP à des investissements favorables à notre économie et au financement du logement social, notamment à destination des fonctionnaires qui ne trouvent pas à se loger en Île-de-France alors même qu’ils sont des serviteurs de l’État.
Ce point de vue est largement partagé par le conseil d’administration de l’ERAFP qui, à plusieurs reprises, a exprimé une position similaire et unanime en faveur d’une évolution des contraintes actuelles, qui privent l’établissement public de possibilités d’intervention conformes à la charte de l’investissement socialement responsable, à la fois pour le financement de notre économie réelle et pour le logement. Il s’agirait de diversifier les placements dans ces deux directions tout en conservant des règles de prudence très strictes.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement envisage-t-il d’accroître la part des actifs à revenu variable et d’autoriser les placements dans des fonds dits ouverts ?
Ces mesures permettraient sans aucun doute de renforcer le volontarisme du Gouvernement en matière de relance de notre économie et de répondre en partie au déficit criant de logements sociaux dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Roger Madec, je vous prie d’excuser l’absence de M. Sapin, ministre des finances et des comptes publics, dont je répète qu’il est à Aulnay pour un déplacement consacré aux services de la douane.
L’allocation actuelle des actifs de l’établissement de retraite additionnelle de la fonction publique a été élaborée pour répondre à un souci prudentiel, au regard de la nature des engagements du régime. C’est pourquoi les dispositions de l’arrêté du 26 novembre 2004 portant application du décret n° 2004–569 du 18 juin 2004 limitent la proportion des actifs les plus volatils.
Le Gouvernement est conscient des contraintes posées par la réglementation existante et de la diminution du taux de couverture de l’ERAFP, dans le contexte actuel de baisse des taux. Néanmoins, toute évolution du cadre réglementaire actuel devrait tenir compte de la spécificité du passif de l’ERAFP, ainsi que des couples rendement-risque impliqués par une modification du portefeuille d’actifs.
C’est la raison pour laquelle il a été demandé à l’ERAFP de réaliser une étude pour déterminer le portefeuille d’investissements optimal au regard des passifs de ce régime. Cette étude permettra au Gouvernement d’ajuster les règles d’allocation des actifs, de manière à favoriser le financement des entreprises tout en préservant la sécurité des épargnants.
Nous ne manquerons évidemment pas, monsieur le sénateur, de vous tenir informé du résultat de cette étude.
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le secrétaire d’État, je partage votre souci de prudence, destiné à assurer le meilleur usage possible des actifs pour les fonctionnaires.
J’ai bien compris qu’une étude avait été lancée, ce qui marque une évolution de la position du Gouvernement. J’espère que les résultats de cette étude iront dans le sens des souhaits du conseil d’administration.
J’espère en particulier qu’une partie des actifs pourra être investie dans le logement social, car il serait dommage qu’un établissement public disposant de liquidités ne puisse pas servir la politique du logement social, qui est une priorité du Gouvernement.
usage des titres de restaurant
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 701, transmise à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
M. Christian Cambon. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’usage des « tickets restaurant ».
Comme vous le savez, ces « chèques déjeuner » sont distribués par les entreprises et font l’objet de règles précises. Ils sont cofinancés par le salarié et par l’employeur, lorsqu’il n’existe pas de possibilité de restauration sur le lieu de travail.
Selon la législation, ces titres de restaurant permettent d’acheter un repas ou une préparation alimentaire dans les établissements qui les acceptent. Depuis les premières initiatives, qui datent des années soixante, les habitudes de consommation des Français ont évolué, et avec elles l’utilisation des titres de restaurant.
En effet, depuis le 30 novembre 2010, un décret a permis aux détaillants en fruits et légumes d’accepter des titres-restaurant pour régler les achats. Ainsi, le salarié peut utiliser ces bons pour déjeuner à la table d’un restaurant, mais aussi auprès d’une boulangerie, d’une charcuterie, d’une supérette ou d’une moyenne surface, l’essentiel étant de consommer un produit à consommation immédiate.
En ces temps de morosité économique, cette souplesse permet aux salariés, qui voient fondre leur pouvoir d’achat, de consommer différemment et plus économiquement.
Or, depuis le 1er janvier 2014, ces différents points de vente sont assujettis à des taux de TVA très différents.
En effet, pour une supérette qui vend des produits pour déjeuner avec un titre-restaurant, le taux est de 5,5 %, contre 10 % pour un restaurant.
Dans une boulangerie, les sandwichs ou salades vendues avec assaisonnement et couverts, étant considérés comme de consommation immédiate, sont taxables à 10 %, alors que le pain, les viennoiseries et pâtisseries, étant considérés comme à consommation différée, sont soumis au taux de 5,5 %.
Un titre de restaurant est souvent utilisé pour acheter dans un même lieu un produit taxé à 5,5 % et un autre à 10 %. Vous conviendrez que, dans un tel maquis fiscal, il est très difficile de s’y retrouver.
En 2012, 40 % du chiffre d’affaires des titres-restaurant a été réalisé dans des circuits de distribution alimentaire autres que la restauration. L’utilisation du titre-restaurant s’est donc considérablement éloignée de l’usage défini initialement. Ce sont environ 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires perdus pour les restaurateurs.
Dès lors, et vous le comprendrez aisément, les organisations professionnelles demandent qu’une logique fiscale un peu plus compréhensible soit prise en compte, avec l’application d’un même taux de TVA intermédiaire pour tous les produits non bruts ayant déjà subi une transformation et pouvant être consommés immédiatement.
Selon les professionnels, le manque à gagner en termes de chiffre d’affaires représente, tenez-vous bien, l’équivalent de 20 000 emplois qui pourraient être immédiatement créés dans la restauration.
Compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi, et sachant que près de 150 000 emplois ne sont pas pourvus dans le secteur, je pense qu’un effort de la part du ministère des finances s’impose.
Face à une telle concurrence, assez déloyale, quelles mesures le Gouvernement souhaite-t-il mettre en place pour équilibrer les taux de TVA lors de l’utilisation des titres-restaurant et rendre le système plus logique et compréhensible par tous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le sénateur, cher Christian Cambon, vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur le taux de taxe sur la valeur ajoutée, ou TVA, applicable aux produits alimentaires et aux ventes à emporter ou à livrer de produits alimentaires préparés en vue d’une consommation immédiate.
Vous l’avez rappelé, les ventes à emporter ou à livrer de produits alimentaires préparés en vue d’une consommation immédiate, à l’instar des ventes à consommer sur place, sont soumises au taux réduit de 10 %, hormis pour les boissons alcoolisées, où le taux normal s’applique.
Par leur nature et leur conditionnement autorisant une consommation dans les instants suivant l’achat, les produits comme les sandwichs, les salades salées avec couverts ou avec assaisonnement séparé et les salades sucrées – même composées d’un seul fruit – avec couverts sont toujours réputés être des produits vendus à emporter en vue d’une consommation immédiate, quel que soit leur emballage.
Ils se distinguent des autres produits alimentaires destinés à être conservés par le consommateur, tel que le pain, et soumis à ce titre au taux réduit de la TVA de 5,5 %. Ces dispositions s’appliquent indépendamment du lieu de vente de ces produits, que celui-ci offre ou non un service de restauration sur place et quel que soit le mode de paiement utilisé, les tickets restaurants en étant un parmi d’autres.
Cette distinction entre la consommation immédiate ou ultérieure des produits vendus à emporter a été mise en place en 2011. Cette mesure a permis de ne pas recréer une distorsion de concurrence entre la restauration rapide et la restauration traditionnelle, comme c’était le cas avant la baisse de la TVA dans les restaurants à compter du 1er juillet 2009.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le secrétaire d’État, à la lecture même des règles particulièrement complexes de ce dispositif, je pense que vous-même avez sombré dans une certaine perplexité (M. le secrétaire d’État sourit.) ; entre les salades sucrées avec couverts et les salades salées sans fourchette, le système n’est pas facile à comprendre ! (Sourires.)
Je réitère donc ma demande. Je sais bien que le ministère des finances a toujours de nombreux arguments à nous opposer pour ne pas faciliter la compréhension des mécanismes fiscaux… Mais puisqu’on parle depuis longtemps de réforme fiscale, j’espère bien qu’il y aura quelque part un article ou un petit volet qui permettra d’y voir plus clair.
Il s’agit, et c’est l’enjeu le plus sérieux du débat, de donner plus de moyens à nos restaurateurs, notamment en baissant leurs charges. Encore une fois, il y a là un fort potentiel de créations d’emplois pour peu que l’on parvienne à préserver les professionnels concernés d’une TVA plus pénalisante pour les uns que pour les autres.
mesures destinées à favoriser l'accession aux voitures électriques
M. le président. La parole est à M. Jean Besson, auteur de la question n° 761, adressée à M. le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique.
M. Jean Besson. J’attire l’attention du Gouvernement sur l’opportunité industrielle d’une transition énergétique des transports en France, notamment concernant les voitures électriques.
Après avoir reçu la synthèse du débat national sur la transition énergétique, puis installé le Conseil national de la transition écologique au mois de septembre dernier, il apparaît urgent, à l’aune de la présentation de la loi sur la transition énergétique, de donner une direction claire à l’industrie automobile et énergétique en France.
Alors que nombre de nos concitoyens s’interrogent sur un potentiel rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence, ils sont malheureusement trop peu incités à se tourner vers des technologies d’avenir moins polluantes. Dans le cadre des priorités industrielles réaffirmées par le Gouvernement, l’orientation des consommateurs vers les véhicules à énergies alternatives, notamment fonctionnant à l’électricité, doit clairement être soutenue par une politique économique incitative.
Ces filières d’avenir bénéficient d’un potentiel énorme pour favoriser le redressement productif de la France, pour notre économie, nos emplois, notre indépendance énergétique, mais également pour pallier les phénomènes de pollutions ; nous l’avons vu voilà quelques semaines à Paris, ainsi que dans la région de Lyon et de Grenoble, cher André Vallini.
Alors que ces véhicules écologiques permettent de créer de nouveaux débouchés pour le développement des énergies renouvelables, il est regrettable de constater que certaines mesures freinent leur élan. C’est le cas notamment s’agissant du bonus écologique accordé à ceux qui souhaitent acquérir une voiture électrique. En effet, le bonus écologique octroyé aux voitures propres n’est plus le même selon le mode d’acquisition du véhicule, qu’il soit au comptant ou en location longue durée. Pour exemple, le bonus pour une Renault Zoé, véhicule tout électrique, passe de 6 300 euros à 4 100 euros pour un achat en location longue durée. La location longue durée, ou location avec option d’achat, est pourtant la solution privilégiée par un acquéreur de voiture électrique sur deux. Cela constitue donc un frein important pour plus de 50 % des acquéreurs potentiels.
C’est aussi le cas pour nos collectivités locales. À titre d’exemple, dans le syndicat départemental d’énergie que je préside, le choix de modèles hydrides pour le renouvellement de notre flotte de véhicules de service a été en partie motivé par le montant du bonus dont la collectivité a pu bénéficier lors de l’attribution du marché public pour une location longue durée.
C’est pourquoi je souhaite interroger le Gouvernement sur les mesures qu’il compte adopter en faveur du développement de l’industrie des voitures électriques en France. J’aimerais notamment savoir s’il envisage de mettre en œuvre d’autres leviers d’accession à ce type de véhicules pour les acheteurs les plus modestes.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le sénateur, cher Jean Besson, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, qui est retenu ce matin à Bercy.
Levier indispensable à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des pollutions atmosphériques locales, l’électromobilité peut et doit être mise au service de notre souveraineté énergétique.
Vous l’avez souligné, le véhicule électrique connaît aujourd'hui un véritable essor ; en 2013, les ventes ont ainsi progressé de 50 % par rapport à 2012.
Le véhicule électrique va changer les villes et les vies de nos concitoyens. C’est un véhicule écologique, à zéro émission, sans nuisance sonore, et de surcroît économique à l’usage.
Notre pays est déjà le premier marché d’Europe pour les véhicules électriques et hybrides de nouvelle génération, sur lesquels nos constructeurs ont pris une avance technologique reconnue, puisqu’ils produisent sur le territoire national des véhicules qui se vendent de mieux en mieux. L’État joue pleinement son rôle pour conforter la place de leader de notre pays et de notre industrie dans ce développement.
Ainsi, le bonus écologique a été consolidé à 6 300 euros pour les véhicules électriques et des discussions interministérielles sont en cours au sujet des achats en location longue durée.
Par ailleurs, la commande de véhicules de l’État, notamment des ministères, a été réorientée au minimum à 25 % vers les véhicules électriques et hybrides. L’État est ainsi passé de moins de 100 véhicules électriques et hybrides en 2012 à plus de 1 270 en 2013 !
L’État apporte également son soutien à l’innovation dans l’électromobilité au travers du programme des investissements d’avenir. On peut citer par exemple le projet ESSENCYELE, porté par Valeo, qui doit permettre de développer un nouveau système d’hybridation pour véhicules à essence, ce que l’on appelle « l’hybride rechargeable », ou le projet Badge, porté par Renault, qui vise le développement d’une nouvelle génération de batteries pour véhicules électriques.
Enfin, face à la peur de la panne, qui retient encore de nombreux Français d’adopter le véhicule électrique, l’un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle a été confié au préfet Francis Vuibert pour amplifier et structurer le réseau national de bornes de recharges électriques.
Vous le constatez, tous les leviers possibles sont actionnés. On peut citer notamment le programme d’investissements d’avenir, dont une enveloppe de 50 millions d’euros vient encourager les initiatives des collectivités locales.
C’est également la vocation de la proposition de loi, donc d’origine parlementaire, facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public qui sera discutée ici même le 3 juin prochain et qui permettra d’accélérer le déploiement de réseaux à maille nationale dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Jean Besson.
M. Jean Besson. Monsieur le secrétaire d’État, je vois que vous êtes convaincu de l’importance de ce dossier. J’imagine que notre collègue Jean-Claude Lenoir l’est également,…
M. Jean-Claude Lenoir. Je le suis !
M. Jean Besson. … compte tenu de son engagement sur les questions énergétiques.
Je salue la position du Gouvernement, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de la politique, chère à notre ministre, de « patriotisme économique ».
Je crois en effet qu’il est vital pour notre pays d’opter pour des mesures de protection des intérêts stratégiques, notamment en matière énergétique. Toutes ces mesures en faveur des voitures électriques, domaine dans lequel la France est incontestablement un des leaders mondiaux, vont évidemment dans le bon sens.
Monsieur le secrétaire d’État, mon cher collègue Jean-Claude Lenoir, les conseils généraux et leurs syndicats d’énergie font de gros efforts. Certes, l’État, notamment les ministères, agit, mais les collectivités territoriales ne sont pas en reste.
recherches minières et permis de villeranges
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux, auteur de la question n° 778, adressée à M. le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le secrétaire d’État, en novembre 2013, un permis exclusif de recherches de mines d’or, de cuivre, d’argent, d’antimoine, de zinc, d’étain, de tungstène et autres substances connexes a été octroyé pour une durée de trois ans à la société Cominor, filiale du groupe La Mancha Resources Inc., basée au Canada. Ce permis, dit de « Villeranges », porte sur sept communes creusoises et couvre une superficie de plus de quarante-sept kilomètres carrés.
L’octroi de ce permis soulève de nombreuses interrogations dans la population, très peu informée de la démarche. Certes, la demande, déposée en janvier 2011, a été soumise à consultation publique du 24 juillet au 4 septembre 2013, mais très peu d’habitants en ont eu connaissance. Et les maires du secteur concerné estiment ne pas avoir obtenu toutes les informations voulues lors de la réunion qui s’est tenue à la préfecture de la Creuse, en présence de la société exploitante, au mois de juillet 2013.
Aujourd’hui, les inquiétudes vont grandissantes, malgré plusieurs réunions d’information organisées par le directeur général de Cominor.
Ces craintes sont d’autant plus vives en Creuse que le site concerné se situe sur la seule nappe souterraine du département, avec les deux puits dits de Varennes, sur la commune de Lussat, alimentant le syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable du bassin de Gouzon.
À proximité se trouvent également un double site Natura 2000, le bassin de Gouzon et l’étang des Landes, ainsi que les vallées de la Tarde et de la Voueize. La réserve naturelle de l’étang des Landes, remarquable par la diversité de sa flore et de sa faune, abrite des centaines d’espèces d’oiseaux, d’insectes et de plantes, dont certaines, très rares, sont protégées au niveau régional, national ou même communautaire et constituent un patrimoine exceptionnel, reconnu d’intérêt européen. Ce site est une véritable richesse touristique pour le département. Il est la vitrine de la politique écologique du conseil général, qui ambitionne de faire de la Creuse un éco-département. C’est d’ailleurs l’ensemble de ces considérations qui a conduit le conseil général, le 19 mai dernier, à adopter à l’unanimité une motion demandant le retrait de ce projet.
Certes, il ne s’agit pour l’instant que d’un permis de recherches, mais l’investissement de 3 millions d’euros de la société dans cette opération rend très probable une exploitation prochaine.
C’est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir me préciser dans quelles conditions ce permis de recherches exclusif a été attribué à la société Cominor et selon quelles modalités il pourrait se transformer en autorisation d’exploiter. Si tel devait être le cas, quelle procédure précise serait alors mise en place ? Une nouvelle consultation auprès des communes et des habitants serait-elle organisée et, dans cette hypothèse, comment les avis formulés seraient-ils pris en compte ?
Plus généralement, pouvez-vous, compte tenu des risques environnementaux, des impacts sur la production et les activités liées au tourisme, m’indiquer dans quelles conditions une telle exploitation pourrait être avantageuse pour le territoire et ses habitants et, plus largement, dans quel projet d’avenir et quel choix de société il s’inscrit ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la sénatrice Renée Nicoux, vous avez bien voulu attirer l’attention d’Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, sur le permis dit « Villeranges », octroyé pour trois ans à la société Cominor le 18 novembre 2013.
La demande de permis de recherches avait recueilli un avis favorable des services déconcentrés de l’État. L’instruction menée par les services au niveau central avait conclu que l’entreprise possédait les capacités techniques et financières nécessaires pour mettre en œuvre le projet. Le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGEIET, a également émis un avis favorable sur la demande.
Le projet de décision a fait l’objet d’une procédure de mise à disposition du public de portée nationale, dont les résultats ont été pris en compte avant l’adoption de la décision d’attribution.
Le permis ne confère à la société Cominor que l’exclusivité du droit de recherches. Pour pouvoir réaliser concrètement des travaux de recherches, cette société devra, en fonction de l’importance et de l’impact potentiel des travaux envisagés, déposer soit une simple déclaration soit une demande d’autorisation d’ouverture des travaux auprès du préfet de la Creuse. C’est dans le cadre de cette procédure que sont examinés les enjeux environnementaux du dossier. Les technologies proposées sont évaluées.
Il est veillé à la prise en compte des zones à forte sensibilité environnementale, en l’occurrence à la réserve naturelle de l’étang des Landes, que vous avez évoquée.
Dans le cas d’une demande d’autorisation, une étude d’impact devra être réalisée. Celle-ci sera soumise à l’avis de l’autorité environnementale et à enquête publique. À l’occasion de cette dernière, tous les avis pourront bien sûr s’exprimer.
Si la société Cominor souhaitait procéder à une exploitation du site au terme de l’exploration, une demande de concession minière devrait être déposée auprès des services d’Arnaud Montebourg. Elle entraînerait une nouvelle instruction par le préfet, avec consultation des maires concernés et enquête publique d’un mois. Ensuite, une instruction ministérielle portant sur l’analyse des capacités techniques et financières de la société, notamment ses capacités à valoriser au mieux le gisement dans le respect de l’environnement, serait conduite. Les avis du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies et, en cas d’acceptation, du Conseil d’État seraient enfin sollicités.
Comme pour un permis de recherches, une concession ne confère pas le droit de procéder à des travaux. Un dossier d’ouverture de travaux serait de nouveau à déposer auprès du préfet. Une procédure complète telle que celle que j’ai décrite serait de nouveau requise. Enfin, après délivrance de l’autorisation d’ouverture de travaux et tout au long de l’activité d’exploitation, l’entreprise serait soumise à la police des mines, exercée par le préfet du département.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le code minier encadre strictement la procédure d’octroi des permis, afin d’assurer que les enjeux environnementaux et sociaux attachés à tout projet d’exploration et d’exploitation minière soient pris en compte de manière satisfaisante. Dans le cadre de la réforme en cours du code minier, l’attention portée à ces enjeux sera encore renforcée. Ensemble, Parlement et Gouvernement, nous devons œuvrer à renforcer l’acceptabilité d’une activité créatrice de valeur et d’emplois pour notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des précisions que vous venez d’apporter. Elles ne manqueront pas de rassurer les riverains concernés par le projet d’exploration de cette surface.
En effet, l’industrie minière moderne est tournée vers l’exploitation de gisements de faible concentration, ce qui implique l’utilisation d’importants volumes de produits toxiques, tels que le cyanure et l’acide sulfurique, ainsi que la génération massive de déchets.
Ce sujet est d’autant plus sensible dans notre département que la population locale a déjà connu par le passé une exploitation de mine d’or, la mine du Châtelet, située non loin du site de Villeranges, laquelle a été source d’importants dégâts environnementaux. Le site, exploité de 1905 à 1955, n’a pu être entièrement dépollué et réhabilité qu’en 2011, après la réalisation d’importants et coûteux travaux représentant près de 4,5 millions d’euros de fonds publics.
Nombreux sont les riverains se demandant si les dommages environnementaux ne risquent pas d’être plus importants que l’économie engendrée par l’exploitation du sous-sol. Quoi qu’il en soit, je ne manquerai pas de relayer la réponse que vous venez de m’apporter.
réduction du réseau de distribution de la société nationale des chemins de fer français
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 583, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, depuis plusieurs années, la gestion par marché adoptée par la SNCF se décline selon une différenciation de gestion des offres de transport et des prestations complémentaires.
Ce choix de conduite de la SNCF et de son groupe dépasse l’approche comptable pour nourrir une logique uniquement financière s’agissant de l’imputation des coûts de fonctionnement.
Alors que les exigences collectives en matière d’écomobilité et de développement des technologies nouvelles devraient étendre, fluidifier et amplifier les possibilités d’accès à la préparation aux voyages et contribuer à une meilleure prise en charge des usagers de toutes catégories, la SNCF poursuit sa politique de déclin du service public de proximité.
Après les gares fermées, les triages désaffectés, les arrêts supprimés un peu partout en France, la SNCF décide ainsi de la fermeture prochaine de points de vente de billets.
Après, notamment, Ivry-sur-Seine et Argelès-Gazost, sont ciblés dans le seul département de Seine-Maritime les guichets du Havre, du Tréport, de Sotteville-lès-Rouen et de Rouen-Saint-Sever.
La zone Seine-Sud de l’agglomération de Rouen serait particulièrement concernée par la fermeture des deux boutiques précitées, alors même que la gare d’Oissel fait déjà l’objet de nombreuses journées de fermetures inopinées et qu’a été décidée la fermeture de la gare de Saint-Étienne-du-Rouvray.
Les retraités, les mères de familles, les travailleurs, nombreux à utiliser le chemin de fer et à fréquenter les boutiques actuelles, ont besoin de conseils personnalisés, de présence humaine pour organiser leurs voyages ou leurs trajets quotidiens et comprendre des tarifications malheureusement de plus en plus complexes.
J’estime donc nécessaire le rétablissement d’une réelle relation humaine pour ce qui concerne la commercialisation des titres de circulation et l’accès aux renseignements concernant la circulation ferroviaire.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de bien vouloir m’indiquer quelles actions le Gouvernement entend mener afin d’assurer le maintien des boutiques de la rive gauche de Rouen, du Havre et du Tréport, ainsi que de toutes celles qui sont actuellement menacées de fermeture sur le territoire national. Il s’agit bien sûr de répondre humainement aux besoins de la population française en matière de transport ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, je suis tout à fait conscient de votre préoccupation quant au maintien, sur l’ensemble du territoire, d’un service de transport ferroviaire de proximité, accessible à tous, avec l’ensemble des prestations qui s’y rapportent. Cette préoccupation, je la retrouve dans bien d’autres régions de France, parfois moins urbanisées que la communauté d’agglomération de Rouen. Nous l’avons évoquée avec le président de la SNCF voilà quelques jours.
Toutefois, nous ne pouvons nier l’évolution des comportements : pour réserver et acheter leurs billets de train, les voyageurs sont de moins en moins nombreux à se rendre dans les boutiques SNCF et à se tourner vers les points de vente situés dans les gares. Les achats en boutiques ne représentent aujourd’hui plus que 5 % du volume d’affaires des ventes de billets de trains, 36 % des ventes s’effectuant par internet et 26 % aux guichets des gares.
Nous devons à la fois maintenir une présence humaine – vous souligniez la nécessité de la proximité et du conseil, notamment pour un certain nombre de catégories de personnes – et tenir compte de la réalité de l’évolution des comportements.
S’agissant des trois boutiques de la communauté d’agglomération de Rouen auxquelles vous faites référence, la décision de la SNCF résulte du constat d’une baisse de leur fréquentation. Ces points de vente ont présenté en 2012 un déficit de près de 300 000 euros au total. En 2013, le déficit devrait s’élever à plus de 400 000 euros. Les projections à moyen terme montrent une aggravation de la situation, liée à la dématérialisation des achats.
Cela ne signifie pas que nous devions nous ranger à cette simple lecture comptable. Je rappelle que nous débutons cet après-midi en commission, à l’Assemblée nationale, l’examen de la réforme ferroviaire que je présenterai devant le Sénat dans quelques semaines.
La réalité, c’est une perte de 1,5 milliard d’euros par an. L’un des objets de la réforme ferroviaire est donc nécessairement l’optimisation. Pour autant, il s’agit d’un service public, dont la présence sur le territoire doit également être optimisée.
Les boutiques auxquelles vous faites référence, monsieur le sénateur, se situent toutes à proximité d’un arrêt du tramway de Rouen, par lequel la gare de Rouen-Rive-Droite est directement accessible en moins de quinze minutes. Cette gare dispose de guichets ouverts sept jours sur sept. Tel n’est pas le cas dans un certain nombre d’autres situations.
Il faudra que nous mettions très rapidement en place – tel était le sens de la discussion que j’ai eue avec Guillaume Pepy – un maillage territorial, dans le cadre d’une mutualisation avec d’autres services publics, qui sont confrontés à une réalité identique dans un certain nombre de zones, et les services rendus par les petits commerces. Nous devons optimiser les services offerts aux populations, afin que le service public ne se dégrade pas et que le lien humain soit conservé.
La réalité que je suis en train d’évoquer est certes financière, comptable, budgétaire. Toutefois, elle est également liée à la dimension humaine des relations sociales. C’est tout l’objet des débats que nous aurons bientôt ensemble.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, si je comprends la nécessité d’optimiser, je ne comprends pas celle de rentabiliser, notamment si l’on considère la nature du service, qui doit être un service de proximité.
Affirmant être conscient de ces problématiques, vous entendez poursuivre les discussions avec la direction de la SNCF. Pour ma part, je veux bien apporter ma pierre à l’édifice pour ce qui concerne la situation de la Seine-Maritime, que je connais bien. J’estime en effet que les populations ne doivent pas subir un désengagement de la SNCF, consécutif à la volonté de rentabiliser à tout prix, en particulier les guichets. La perte de clientèle que vous avez évoquée pour 2012 et 2013 est liée au désengagement de la SNCF, notamment, comme je l’expliquais voilà un instant, aux fermetures inopinées des guichets en question. Ainsi, les gens cessent de se rendre aux guichets, redoutant d’éventuelles fermetures, bien qu’ils éprouvent toujours le besoin d’être renseignés à un guichet de proximité.
Concernant la durée de transport de quinze minutes pour aller de la rive gauche à la gare de Rouen-Rive-Droite, je puis vous dire, monsieur le ministre, pour bien connaître la ville de Oissel, située à dix kilomètres de Rouen, qu’il faut quarante-cinq minutes.
M. Thierry Foucaud. En tramway effectivement !
Je tenais à vous apporter cette information. Et ce sera plus long encore si, demain, le contournement de la ville est mis en place, mais c’est là un autre débat.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de votre réponse.
situation des mytiliculteurs de la baie de l'aiguillon en charente-maritime
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 766, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, ma question, à laquelle j’associe bien sûr mes collègues de Charente-Maritime et de Vendée, porte sur la situation des mytiliculteurs de la baie de l’Aiguillon, confrontés à un phénomène de mortalité d’une exceptionnelle gravité depuis le début du printemps.
La totalité des moules de filière et 80 % des moules de bouchot sont décimées. La perte de production est ainsi estimée à plus de 20 millions d’euros.
Le besoin de trésorerie remonté par les mytiliculteurs auprès de leurs comités régionaux de la conchyliculture est de l’ordre de 12 millions d’euros pour faire face aux charges de l’année à venir.
La baie de l’Aiguillon est le troisième bassin mytilicole français, avec une production annuelle de 10 000 tonnes. Il est donc un acteur économique local incontournable.
Ce sont ainsi soixante entreprises de Charente-Maritime et de Vendée qui sont immédiatement touchées, sans aucun moyen de faire face seules à cette crise d’une ampleur sans précédent.
Quant aux chercheurs de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, ils n’ont, à ce jour, apparemment pas de réponse sur les causes de ces mortalités et semblent exclure l’hypothèse d’un agent pathogène.
Au vu de la gravité de la situation, les mytiliculteurs attendent des réponses concrètes et rapides en termes de reconnaissance du caractère de calamités agricoles par le Comité national de gestion des risques en agriculture, qui doit se réunir le 11 juin prochain ; d’accès au fonds d’allégement des charges ; d’exonération des redevances domaniales et de mesures aqua-environnementales pour le nettoyage et le recensement des concessions.
De même, ils sollicitent, à l’instar des mesures mises en place pour aider le secteur ostréicole, l’activation du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche dans le cadre d’un plan national.
Lors de la session de printemps, le conseil général de la Charente-Maritime a adopté un programme exceptionnel de soutien à la filière, avec la mise en place d’un dispositif d’exonération du paiement des redevances d’occupation temporaire du domaine public portuaire départemental, assortie d’une compensation financière du manque à gagner pour les concessionnaires de ces ports départementaux.
Le 5 mai dernier, Mme Béatrice Abollivier, préfet de la Charente-Maritime, a organisé une table ronde en présence des représentants des professionnels, des collectivités territoriales et des parlementaires du département, dont je faisais partie bien sûr, ainsi que des services de l’État concernés, pour faire un point sur la situation et trouver les solutions idoines.
Le 6 mai dernier, lors d’une séance de questions orales sans débat, vous avez répondu à mon collègue et ami Didier Quentin, député de la Charente-Maritime, que des mesures de soutien étaient en cours d’expertise pour faire face à cet événement exceptionnel.
Fort de ces soutiens, les professionnels attendent aujourd’hui, vous l’imaginez bien, des réponses concrètes.
Au-delà des mesures annoncées ou en cours qui sont très loin d’être à la hauteur de la catastrophe, les professionnels attendent la mise en place en urgence d’un dispositif d’aide exceptionnelle et une exonération des charges de l’Établissement national des invalides de la marine – l’ENIM – et de la Mutualité sociale agricole – la MSA –, lesquelles ne pourront être réglées du fait de l’absence de chiffre d’affaires durant les douze prochains mois.
Ma question est donc simple : quelles mesures urgentes le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour accompagner cette filière, qui se trouve dans un état catastrophique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Laurent, vous avez appelé mon attention sur la situation de crise liée aux mortalités mytilicoles dans la baie de l’Aiguillon.
Je l’ai dit à votre collègue député et je vous le dis aujourd’hui, face à l’inquiétude – légitime – des mytiliculteurs et aux difficultés financières et sociales qu’ils rencontrent, soyez assurés de la forte mobilisation des services de l’État. Nous suivons la situation avec une grande vigilance, et nous devons faire preuve d’une grande solidarité à l’égard de l’ensemble des professionnels concernés.
L’IFREMER est pleinement mobilisé pour déterminer les causes de ces mortalités, avec, d’un côté, l’aspect santé animale au travers de la recherche de maladies, avec la présence d’une bactérie pathogène – vous avez indiqué qu’aucune bactérie n’avait été détectée à ce jour – et l’aspect environnemental, lié à une situation climatique exceptionnelle et atypique cet hiver, avec une forte pluviométrie, des températures douces et de nombreuses tempêtes successives ayant brassé les fonds. C’est l’ensemble du littoral qui a été perturbé et qui l’est encore, ce qui a créé des conditions extrêmes et particulièrement stressantes pour les moules.
La situation est problématique, et l’ampleur du phénomène exige une solidarité nationale à tous les niveaux.
Je salue la mobilisation de l’ensemble des acteurs des services déconcentrés de l’État, mais aussi des élus, des collectivités territoriales et des professionnels. Le département de la Charente-Maritime a fait plus qu’un geste, il a pris un certain nombre de mesures témoignant de sa solidarité.
Des possibilités existent, notamment pour les cotisations sociales auprès de la MSA et de l’ENIM, telles que des reports, des étalements et des remises gracieuses. Nous devons également expertiser la possibilité d’une prise en charge au titre du dispositif des calamités agricoles. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, a été saisi à cet effet, et nous travaillons ensemble sur ce dossier. D’ailleurs, vous avez noté que le Comité national se réunira le 11 juin prochain à cet effet.
L’exonération des redevances domaniales, à laquelle vous avez fait référence, est également une mesure envisagée. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a été saisi à cette fin.
En outre, afin de permettre aux entreprises de conforter leur trésorerie et de préparer le prochain cycle de production, des mesures d’accompagnement doivent être mises en place. L’instauration d’un fonds d’allégement des charges est possible ; il permet la prise en compte des intérêts bancaires pour les emprunts qui pourront être souscrits par les entreprises.
Il s’agit là d’une situation particulièrement grave, que nous ne méconnaissons pas et qui exige, je le répète, une solidarité nationale. À cet égard, je salue toutes celles et tous ceux qui relaient les préoccupations de ces professionnels. Je recevrai d’ailleurs demain les élus concernés de Charente-Maritime et de Vendée pour examiner l’ensemble de ces mesures.
Enfin, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la possibilité de recourir au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP. J’en ai discuté avec la commissaire européenne, il est encore un peu tôt car nous ne connaissons pas encore l’enveloppe globale. Mais si nous pouvons anticiper des mesures dans ce cadre-là, nous le ferons.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, de l’attention dont vous faites preuve et de votre mobilisation auprès de ces professionnels. Je sais à quel point ils traversent une période extrêmement douloureuse. Ce qui est en cause, c’est non seulement l’activité de l’année, leurs revenus, mais aussi, et surtout, la pérennité de leur activité économique.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces réponses encourageantes.
Vous l’avez compris, il s’agit d’une filière importante. De nombreux jeunes, qui ont consenti des investissements lourds, sont concernés. Ils n’ont d’autre réponse que celle de l’État pour être en mesure de poursuivre leur activité et de pérenniser cette économie.
Je vous remercie également de votre invitation à venir vous rencontrer demain soir au ministère, en vue de nous concerter sur ce dossier. Si j’ai maintenu ma question ce matin, c’est parce que je ne pourrai pas être présent pour des raisons personnelles, mais Dominique Bussereau, président du conseil général de Charente-Maritime, et d’autres collègues assisteront à cette réunion. Je vous remercie d’être attentif à la situation et, surtout, d’être rapide dans vos actions.
développement des parcs solaires photovoltaïques
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la question n° 721, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Yvon Collin. Ma question s’adressait à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, mais je suis sûr que M. le secrétaire d’État me répondra avec précision. Elle porte sur les moyens d’encourager les collectivités locales dans la transition énergétique, en particulier dans le domaine photovoltaïque.
Le Grenelle de l’environnement a fixé un objectif quantitatif en matière de développement des énergies renouvelables. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit de porter à 23 % la part de ces énergies dans la consommation d’énergie finale d’ici à 2020. L’exploitation de l’énergie solaire est un des moyens privilégiés pour l’atteindre.
De nombreuses collectivités territoriales souhaitent participer à la réalisation de cet objectif. Les élus locaux sont de plus en plus impliqués en matière de développement durable par, notamment, le remplacement des sources publiques lumineuses énergivores, la mise en place de chaufferies dans les bâtiments publics ou encore par des programmes d’isolation thermique.
Certaines communes ont aussi décidé d’accompagner des projets locaux d’installation solaire au sol. C’est le cas dans le Tarn-et-Garonne, où des maires prennent des initiatives volontaristes pour développer les parcs solaires.
Si certaines communes ont le patrimoine foncier pour développer de gros projets, d’autres doivent concevoir des solutions originales pour trouver des espaces porteurs n’affectant pas le paysage. L’utilisation d’anciennes décharges, par exemple, est une piste très intéressante car elle permet la reconversion utile de terrains fortement impactés par leurs activités passées.
Toutefois, j’ai pu constater, dans mon département, que des projets ne pouvaient pas aboutir car leur potentiel de puissance, inférieur à 250 kilowatts-crête, les excluait du bénéfice du tarif préférentiel de rachat de l’électricité.
Alors que ces parcs solaires sont bien acceptés par la population locale, les conditions actuelles des appels d’offres nationaux bloquent les initiatives d’ampleur modeste, certes, mais pourtant essentielles, indispensables à long terme au grand projet de transition énergétique.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de nous préciser quelles sont les possibilités d’évolution de la réglementation pour que les communes prennent toute leur part, quand elles le souhaitent, au développement de l’énergie solaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, cher Yvon Collin, j’ai cru noter dans vos propos une petite déception tenant au fait que je sois simplement porteur d’une réponse de Mme la ministre de l’écologie, que vous auriez certainement souhaité pouvoir interroger directement. Sachez néanmoins que Ségolène Royal est tout à fait attentive à ce sujet. En effet, le dispositif de soutien mis en place pour développer les installations photovoltaïques en France, notamment les centrales solaires au sol de puissance inférieure à 250 kilowatts, est une de ses préoccupations.
Mme la ministre de l’écologie ne pouvant être présente, elle m’a demandé de vous transmettre la réponse suivante.
Elle tient tout d’abord à vous rappeler que le tarif de rachat de l’électricité photovoltaïque, mis en place avant 2010, a conduit à un emballement mal maîtrisé du dispositif de soutien. Cela s’est soldé par des mesures brutales, qui ont lourdement ébranlé les exploitants de la filière.
Depuis, pour toutes les installations supérieures à 100 kilowatts, le soutien passe par des appels d’offres nationaux régulièrement organisés. C’est un dispositif beaucoup plus lisible et stable pour les porteurs de projet. C’est aussi un outil efficace pour concilier la maîtrise des coûts pour la collectivité et l’objectif d’un rythme continu de développement.
C’est pourquoi le dispositif de soutien à la filière solaire continuera de privilégier les appels d’offres. Telle est la réponse que souhaitait vous apporter Mme la ministre, à qui je ferai part, monsieur le sénateur, de vos remarques.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le secrétaire d’État, ce fut non pas une déception, mais un plaisir que vous répondiez pour Mme la ministre. Tous les ministres et secrétaires d’État sont compétents et représentent le Gouvernement. Ils sont donc à même de donner les meilleures réponses. Je suis en tout cas satisfait de celle que vous venez d’apporter. Il semble en effet que Mme la ministre ait pris en compte cette dimension importante du problème. J’en suis particulièrement ravi, et je ne manquerai pas de faire part de ces propos, que j’ai compris comme positifs, aux nombreux maires qui m’ont contacté à ce sujet.
Enfin, et si je puis me le permettre, monsieur le secrétaire d’État, je vous charge de transmettre mes remerciements à Mme la ministre.
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Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 26 mai 2014, M. François Zocchetto, président du groupe UDI–UC, a demandé l’interversion de l’ordre d’examen des propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe de demain, mercredi 28 mai, après-midi.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du mercredi 28 mai 2014 s’établit comme suit :
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :
1°) Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles ;
2°) Suite de la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers.
Acte est donné de cette demande.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Schéma régional des crématoriums
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 252, texte de la commission n° 546, rapport n° 545).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les questions relatives au droit funéraire ne suscitent pas toujours un intérêt soutenu. Pourtant, chaque famille de ce pays est, hélas, confrontée au sujet.
Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux collectivités locales, il y a de cela quelque temps, j’ai trouvé sur mon bureau un projet de réforme des pompes funèbres. Dans un premier temps, je me suis interrogé sur ce texte. Puis, à force de travail, et avec l’appui d’un ami qui, malheureusement, nous a quittés, Pierre Bérégovoy, nous avons réussi à faire adopter à une très grande majorité, en 1992, un texte, qui, devenu la loi du 8 janvier 1993, a réformé le droit des obsèques dans notre pays.
Cette loi était nécessaire : trois inspections, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, avaient conclu dans un rapport conjoint que nous vivions dans un système aberrant où un monopole faussé cohabitait, de fait, avec une concurrence biaisée. Nous subissions donc tous les inconvénients du monopole, avec des situations où les mêmes prestations pouvaient voir leur prix varier de un à cinq dans la même entreprise, en fonction du territoire concerné, et ce au détriment des familles.
Si je me suis intéressé depuis à cette question, en prenant l’initiative de six ou sept textes de loi relatifs à ce domaine, c’est toujours avec la même idée, partagée par notre collègue et ami Jean-René Lecerf, avec lequel j’ai rédigé un rapport d’information sur le sujet : défendre les familles de ce pays lorsqu’elles sont éprouvées.
En effet, lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil, qui se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser à ce sujet, aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, aussi, est alors absolument nécessaire.
La première loi, celle de 1993, a créé les conditions d’une mise en concurrence. Il était en effet plus sain qu’il y eût enfin une concurrence claire, plutôt qu’une concurrence totalement faussée par la réalité d’un monopole. Toutefois, à cette époque, le non-respect du monopole ne pouvait pas être sanctionné, en raison de règles européennes. La situation n’était donc pas bonne.
On oublie souvent que la loi de 1993 avait deux objets : d’une part, instaurer le pluralisme parmi les entreprises, tout en maintenant les régies et les sociétés d’économie mixte, qui travaillaient dès lors dans un contexte concurrentiel ; d’autre part, et indissociablement, redéfinir les règles du service public. En effet, que l’on ait affaire à une entreprise privée, à une régie, à une société d’économie mixte ou à une association, dans tous les cas, il était nécessaire d’appliquer des règles strictes de service public, en rapport avec la décence, l’hygiène, le respect dû aux familles, la transparence, etc.
Ensuite, il y eut bien d’autres textes, que je ne veux pas tous détailler.
En 2004, notamment, un texte a défini les contrats d’obsèques, précisant notamment que les contrats qui n’étaient pas affectés strictement au financement à l’avance des obsèques étaient nuls. En effet, il existait une confusion entre contrat d’assurance vie et contrat d’obsèques qui se traduisait, en fait, par une financiarisation du dispositif et pouvait porter atteinte à l’intérêt des familles.
Nous avons également adopté un texte relatif à l’autopsie judiciaire. C’est en effet après avoir reçu un habitant du Pas-de-Calais auquel on avait rendu le corps de son épouse dans un état innommable, à la suite d’une autopsie judiciaire, que nous avons pris l’initiative de fixer des règles dans un domaine où il n’y en avait pas.
La loi de 2008 est venue consacrer le principe selon lequel les restes humains, notamment les cendres après crémation, devaient être traités avec respect, dignité et décence, principe qui a ensuite été repris par les tribunaux dans leur jurisprudence. C’est en s’appuyant sur cet article de la loi qu’un tribunal a pu interdire, dans notre pays, une exposition utilisant des éléments de cadavres d’origine chinoise. Cette règle est importante par rapport à l’idée que nous nous faisons de la civilisation et du respect dû à la personne humaine.
Dans la même loi, nous avions envisagé deux avancées qui, malheureusement, n’ont pu se concrétiser comme nous l’aurions souhaité.
Tout d’abord, nous avions inscrit dans la loi que les sommes versées dans le cadre des contrats d’obsèques étaient revalorisées chaque année au taux d’intérêt légal. Cette disposition avait été adoptée par l’Assemblée nationale et par le Sénat – il avait fallu attendre quelque temps avant que le texte adopté à l’unanimité par le Sénat arrive devant l’Assemblée nationale.
Nous pensions que l’affaire était réglée, mais les assurances veillaient… et elles ont découvert que notre législation n’était pas conforme aux règles européennes. Il a donc fallu remettre l’ouvrage sur le métier : après cinq ans d’efforts – grâce, notamment, au travail d’un administrateur du Sénat que je ne citerai pas, conformément à nos usages, mais que je tiens à remercier –, nous sommes parvenus à introduire cette revalorisation dans la récente loi de séparation et de régulation des activités bancaires. L’arrêté ministériel est paru et tous les contrats d’obsèques qui seront souscrits à l’avenir donneront lieu désormais à une revalorisation au bénéfice des souscripteurs.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre action s’inspire toujours de la même idée : défendre les familles ou les personnes confrontées à ces réalités.
Depuis 1993, un autre sujet donne lieu à un débat avec les entreprises funéraires et je veux l’évoquer brièvement : il s’agit de la question des prix.
Quand on est éprouvé, quand on doit prendre des décisions immédiates sur les modalités des obsèques, mais aussi sur les prestations et les fournitures, on n’est pas toujours en situation de faire les meilleurs choix. C’est pourquoi je défends, depuis 1993, la conception des « devis modèles », que l’on a longtemps appelés « devis types ». Il s’agit d’un ensemble de prestations définies pour lesquelles chaque entreprise habilitée – j’en profite pour souligner l’importance de l’habilitation – est amenée à indiquer des prix qu’elle s’engage à respecter pendant une année.
Toutes les entreprises étant habilitées dans un secteur défini donneront, pour des prestations équivalentes, les mêmes indications, lesquelles pourront figurer, par exemple, sur le site internet de la mairie.
Les professionnels sont toujours quelque peu réticents. En 1993, ils avaient accepté que ces indications figurent dans le règlement national des pompes funèbres ou dans les règlements locaux, mais cela n’avait pas eu d’effet. Il a donc fallu revenir à la charge, et cela a pris du temps.
Nous sommes parvenus, en 2008, à une rédaction qui me semblait tout à fait satisfaisante, et qui a pourtant été contestée. C’est pourquoi nous avons adopté une nouvelle formulation dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, cette formulation me semble tout à fait claire : elle ne pourra être ni contournée ni détournée - comme vous le savez, ce n’est pas le cas d’autres articles de ce projet de loi. Il faudra donc attendre encore quelques semaines. Mais, dès lors que l’article en question a été adopté dans les mêmes termes, il n’y a plus de problème !
L’idée que je défends, congrès après congrès, devant les organisations professionnelles, c’est que tout le monde a intérêt à la transparence. Bien entendu, le fait d’afficher des prix pour des prestations définies n’empêche pas de proposer d’autres prestations. Pour autant, les familles doivent avoir la certitude que, pour telle prestation, tel prix sera appliqué par telle entreprise pendant une année. Cela ne voudra pas forcément dire qu’elles choisiront les prestations les moins chères, mais, en tout état de cause, la transparence sera totale.
On nous a rétorqué cent fois que l’obligation existait déjà de fournir un devis.
Je vous le demande, mes chers collègues, qui donc, le jour du décès d’un être cher, ou même le lendemain, ira lire des devis de cinquante pages écrits en petits caractères, après les avoir retirés auprès de toutes les agences existantes aux fins de comparaison ? Personne !
En revanche, l’idée selon laquelle la puissance publique, en l’espèce la commune ou l’intercommunalité, doit fournir l’information aux familles en toute transparence, est, je crois, protectrice.
J’ai cité ces quelques textes – j’aurais pu être beaucoup plus long ! – pour montrer que cette proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums s’inscrit dans une longue histoire.
Mais de quoi s’agit-il ici ? Je me permettrai d’être assez succinct, car Jean-René Lecerf développera le contenu des différentes dispositions ; nous n’allons pas répéter les mêmes choses ! Il s’agit tout simplement, alors même que la crémation s’est considérablement développée, de prévoir les équipements les mieux adaptés possible.
Quand nous travaillions, quelques mois avant son adoption, sur la loi de 1993, les crémations représentaient 1 % des obsèques en France. Aujourd’hui, dans les grandes villes, ce pourcentage est de l’ordre de 50 %. L’évolution est donc considérable.
Il a fallu créer des équipements, toujours sous l’autorité de la puissance publique – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État –, c’est-à-dire de la commune ou de l’intercommunalité. Les crématoriums peuvent être gérés directement par la commune ou être confiés, par une délégation de service public, à une société spécialisée ; il en existe un certain nombre de ce type.
Nous avions constaté qu’il existait des situations tout à fait étranges. Cependant, nous n’avions pas pu en tenir compte dans la loi de 2008, même si nous l’avions souhaité à l’époque. À Roanne, par exemple, on compte deux crématoriums à quelques kilomètres de distance. On observe une situation comparable en Moselle et en Seine-et-Marne. Quatre départements, en revanche, sont dépourvus de tout équipement : la Lozère, le Cantal, la Haute-Marne et le Territoire de Belfort. Dans certains cas, les familles doivent donc accomplir un trajet de deux heures, voire deux heures et demie, à l’aller et au retour, pour participer à la cérémonie. Ce n’est ni rationnel ni respectueux des familles.
Par ailleurs, comme toujours, des considérations économiques sont en jeu. Lorsqu’il existe trop d’équipements, donc une offre supérieure à la demande, la situation n’est pas toujours très saine sur le plan économique. Elle ne l’est pas plus lorsqu’il manque des équipements, ce qui contraint, de surcroît, aux déplacements que je viens d’évoquer.
Il est donc apparu sage de prévoir un schéma régional, établi par le préfet après consultation des conseils régionaux et des intercommunalités compétentes, consultation que notre rapporteur a d’ailleurs proposé d’élargir.
Il s’agit d’un schéma révisable tous les cinq ou six ans, selon les amendements qui seront adoptés, et qui permettra de maîtriser la situation, étant entendu qu’un crématorium ne peut exister que dès lors qu’une commune le décide ou choisit de faire appel à une société dans le cadre d’une délégation de service public.
Je conclurai mon propos en évoquant la question des cérémonies.
Il est très fréquent, vous le savez, mes chers collègues, que les cérémonies aient lieu dans l’enceinte des crématoriums. On se rend compte, ainsi, de la nécessité de disposer d’une salle spécialement aménagée et susceptible d’accueillir des participants, parfois en grand nombre.
Lorsque j’étais président de la communauté d’agglomération d’Orléans, j’ai moi-même conçu, avec mes collègues, un équipement doté d’une salle « omniculte » - ou laïque, je ne sais comment dire - pouvant accueillir des cérémonies civiles ou religieuses. Eh bien, contrairement à ce que nous avions pensé au départ, l’expérience a montré que cette salle n’était pas assez grande !
Bien entendu, la prise en compte d’une large capacité d’accueil pour les cérémonies augmente le coût des crématoriums. Pour autant, il me semble que ce sujet récurrent devrait être intégré dans la réflexion sur le schéma régional. Lors de nombreuses obsèques, en effet, la seule cérémonie a lieu dans la salle annexée au crématorium.
De la même manière, il faut veiller à la question des sites cinéraires attenants aux crématoriums, qui ne peuvent être installés qu’au sein des cimetières et à l’immédiate proximité des crématoriums.
J’en profite pour rappeler que, dans la loi de 2008, nous avions également traité de la fameuse question du statut des cendres, en prenant en compte les principes de respect, de dignité et de décence que j’ai énoncés précédemment.
Tout cela implique une grande attention. En outre, mais Jean-René Lecerf reviendra sur ce sujet, des questions d’environnement se posent. Tous les crématoriums devront en effet être équipés en 2018 de nouvelles installations conformes aux règles relatives aux fumées. Certes coûteuses, ces installations sont nécessaires au respect de l’environnement.
Autrement dit, vous le voyez, ce texte, qui vient après d’autres, a pour objet de faire progresser encore le droit funéraire, afin qu’il soit le plus respectueux possible des personnes et des familles éprouvées. Dans une société humaine et humaniste, celle-là même où nous souhaitons tous vivre, c’est une nécessité ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes saisis, sur l’initiative du groupe socialiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
On sait l’attention que porte la commission des lois, et tout particulièrement son président, à la législation funéraire. Je rappellerai simplement, pour la période récente, la mission d’information que nous avons conduite ensemble sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, que nous avions intitulée Sérénité des vivants et respect des défunts, et qui s’est très vite concrétisée par le dépôt d’une proposition de loi : adopté à l’unanimité par le Sénat, le texte est devenu, après quelques aléas liés à son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.
La présente proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans le même mouvement, en s’attachant toutefois à la seule question de la création et de l’extension des crématoriums. Il est vrai que de nombreux problèmes ont été réglés par la loi de 2008, tandis que ceux qui, à mon avis, perdurent, comme la qualité des sites cinéraires ou le déficit de carrés confessionnels, soit relèvent de la compétence réglementaire, soit font craindre des reproches d’inconstitutionnalité. Quant aux devis type ou devis modèles, ou à la moralisation des contrats d’obsèques, ils n’ont pas échappé à la nécessaire vigilance du président de notre commission des lois.
Rappelons d’abord quel est le paysage français de la crémation.
Si la loi du 15 novembre 1887, qui a consacré la liberté des funérailles, a placé la crémation sur un pied d’égalité avec l’inhumation, cette pratique concernait moins de 1 % des décès jusqu’en 1980. Mais la progression a été, depuis, très importante : 10 % en 1993 ; 23,5 % en 2004 ; 32,15 % en 2011. Dans notre rapport de 2006, nous observions déjà que la crémation figurait alors dans les intentions de 40 % à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d’obsèques.
Dans ce contexte, l’adaptation de l’offre de crémation aux besoins de la population se révèle donc plus que jamais d’actualité.
La loi du 19 décembre 2008 a doté la pratique de la crémation d’un encadrement juridique complet, en trois volets.
Le premier volet portait sur la qualification juridique des cendres, lesquelles cessaient d’être considérées comme des choses pour devenir des restes humains exigeant respect, dignité, décence.
Dans le deuxième volet, relatif à la destination juridique de ces cendres, qui est en quelque sorte la conséquence juridique du premier, il était mis fin à l’appropriation privative des urnes ainsi qu’à certaines situations totalement inacceptables.
Enfin, le troisième volet portait sur l’encadrement de la création, de l’extension et de la gestion des crématoriums et des sites cinéraires.
Mettant fin à la détention de tels équipements par des entreprises privées, le législateur a confié aux seules communes ou établissements publics de coopération intercommunale la compétence pour les créer et les gérer, tout en les autorisant cependant à en déléguer la gestion à un opérateur funéraire dûment habilité. En tout état de cause, crématorium et site cinéraire sont la propriété de la collectivité, ou y font retour au terme de la gestion déléguée.
La création ou l’extension d’un crématorium sont, par ailleurs, soumises à l’autorisation préalable du préfet de département, précédée d’une enquête publique destinée à associer les citoyens et à évaluer l’impact du projet sur l’environnement.
La jurisprudence invite également le préfet à examiner l’intérêt de l’opération au regard des besoins de la population, comme la pertinence de l’implantation précise de l’équipement au vu, notamment, de ses facilités d’accès.
Pourquoi convient-il, aujourd’hui, de mieux réguler l’implantation des crématoriums ?
Lors de l’examen de la proposition de loi adoptée en 2008, dont j’étais également le rapporteur, je relevais déjà de nombreuses lacunes dans ces implantations. En 2006, on comptait 115 crématoriums, gérés en régie pour moins d’un tiers, et en gestion déléguée pour le reste. En étaient totalement dépourvus dix-sept départements métropolitains. Certains choix d’implantation étaient déraisonnables, comme Roanne, qui en comptait deux à moins de 8 kilomètres de distance, au prix d’une concurrence préjudiciable.
Si la couverture du territoire a progressé, avec aujourd’hui 167 crématoriums et 32 en projet, quatre départements métropolitains et deux d’outre-mer en restent toujours dépourvus.
Demeurent surtout des problèmes d’implantation concurrente, sans lien avec les besoins réels de la population. Il en va ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, des crématoriums de Sarrebourg et Saint-Jean-Kourtzerode, en Moselle, de ceux de Beaurepaire et de Marcilloles, en Isère, ou du projet de Mareuil-lès-Maux, à proximité du crématorium de Saint-Soupplets, en Seine-et-Marne.
La Direction générale des collectivités locales ne semble pas disposer d’une carte des implantations à jour. Le législateur a pourtant expressément confié au préfet, dans la loi de 2008, le soin de délivrer les autorisations, ce que le Gouvernement avait alors jugé suffisant pour organiser adéquatement l’offre. Or une relative anarchie persiste, dont les conséquences se révèlent redoutables tant pour les citoyens que pour les collectivités territoriales.
Certaines zones restent dépourvues de tout équipement, tandis que d’autres sont saturées. Dans ce dernier cas, les gestionnaires, pour préserver leur rentabilité malgré la faiblesse de l’activité, fixent des frais de crémation très élevés. Or la demande est largement, et par nature, captive, d’autant plus qu’il s’agit de familles endeuillées, donc vulnérables.
Par ailleurs, cette pratique s’est intégrée au rituel du deuil. Au Père-Lachaise, la cérémonie civile organisée dans ce cadre est, dans 66 % des cas, la seule qui soit prévue au titre des funérailles. Ainsi que le souligne notre collègue Jean-Pierre Sueur dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, « le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire par la diminution des surfaces des salles dédiées à l’accueil des familles et au déroulement des cérémonies civiles ».
En outre, le risque financier d’une exploitation non rentable pèse, en dernier lieu, sur les collectivités locales, auxquelles revient la gestion du crématorium quand le délégataire l’abandonne.
Ajoutons que l’évolution de la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement alourdit les contraintes de rentabilité de ces équipements, puisque les gestionnaires sont tenus de mettre aux normes avant 2018 leur dispositif de filtrage des effluents toxiques, pour des coûts très significatifs.
Il est donc apparu nécessaire à la commission des lois d’élaborer un nouveau modèle de régulation pour une meilleure adéquation entre les besoins et l’offre de crémation, tout en veillant à ne pas privilégier à l’excès les situations acquises au détriment de l’entrée de nouveaux acteurs. C’est la finalité essentielle de cette proposition de loi.
Ce texte renoue ainsi avec l’inspiration initiale de la proposition de loi qui avait abouti à la loi relative à la législation funéraire de 2008. En effet, un schéma régional des crématoriums, proposé dans le rapport d’information, avait été adopté par le Sénat en première lecture, avant d’être supprimé par l’Assemblée nationale. Les députés s’étaient rangés à l’avis du Gouvernement et avaient estimé qu’il était préférable d’éviter d’ajouter les contraintes d’un schéma, dans la mesure où la procédure d’autorisation après enquête publique leur paraissait suffisante pour réguler harmonieusement les projets d’implantation de crématoriums.
Cette espérance a été déçue. Elle reposait sur une mauvaise appréhension de l’enquête publique, qui porte sur l’impact environnemental du projet et non sur son adéquation avec les besoins de la population en matière de crémation.
Cette proposition de loi compte trois articles.
L’article 1er est consacré à la définition de l’objet du schéma ainsi qu’à sa procédure d’élaboration. Le schéma découpera le territoire d’une région en zones géographiques en indiquant pour chacune d’entre elles le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires. La référence à la dimension des équipements vise à la fois leur capacité, c’est-à-dire le nombre des crémations qu’ils permettront d’accomplir, et la taille des bâtiments.
La commission des lois a précisé qu’il fallait tenir compte des équipements funéraires existants, par exemple une vaste salle de cérémonie, qui peuvent justifier que le crématorium ne soit pas nécessairement doté d’une salle de même taille.
Ce schéma serait délibéré par le préfet de région en collaboration avec les préfets de département. La procédure d’adoption débuterait par une consultation du conseil régional.
La commission des lois a précisé que le schéma devrait prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution, ce qui conforte la compétence régionale.
La consultation concernerait également les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de crématoriums, mais ils ne sont que 52 dans les 15 communautés urbaines pour lesquels la compétence est obligatoire.
Aussi la commission des lois a-t-elle ajouté la consultation des communes de plus de 2 000 habitants – elles sont environ 5 000 –, ce chiffre correspondant au seuil à partir duquel la commune doit prévoir un site cinéraire.
Enfin, la commission a prévu l’avis du Conseil national des opérations funéraires, le CNOF, ce qui permettra non seulement d’associer tant les professionnels du funéraire que les représentants des familles, mais aussi de prendre en compte la cohérence des éventuelles implantations à la frontière de deux régions. Si le nombre des régions est appelé à diminuer, monsieur le secrétaire d’État, il en restera tout de même quelques-unes ! (Sourires.)
Au terme de ces consultations, il reviendrait au préfet de région d’arrêter le schéma, qui devrait être révisé tous les six ans, délai qui permettrait de « caler » cette révision sur le mandat des élus municipaux et intercommunaux auxquels ce schéma s’imposera.
Pour répondre à un souhait exprimé de manière insistante par l’ensemble des professionnels, la commission a également prévu que le premier schéma ferait l’objet d’une révision à plus brève échéance, au terme de trois années.
L’article 2 subordonne la délivrance de l’autorisation de création ou d’extension du crématorium à sa compatibilité avec les dispositions du schéma régional, exigence de compatibilité bien distincte d’une obligation de conformité et qui est habituelle en matière de planification.
Enfin, l’article 3 organise la mise en œuvre du dispositif.
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essentiel de cette proposition de loi que la commission des lois a adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre cet après-midi n’est pas ordinaire. Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le président de la commission des lois.
Parler de la mort, même au Parlement, c’est aborder un sujet qui touche au plus intime et souvent au plus douloureux de la vie de chacune et de chacun d’entre nous, un sujet qui cristallise, bien sûr, les émotions humaines et qui renvoie aussi aux croyances philosophiques et religieuses.
Dès lors, la mort est un sujet qui, même sur le plan juridique et législatif, ne peut échapper à sa dimension philosophique.
Légiférer dans ce domaine exige donc d’avoir à l’esprit la nécessaire, mais difficile, recherche de l’équilibre entre l’encadrement des pratiques funéraires et le respect des convictions de chacune et de chacun.
À ce titre, je tiens à saluer le travail approfondi de l’auteur de cette proposition de loi, par ailleurs président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que celui du rapporteur, Jean-René Lecerf. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont parlé de cette question à l’instant. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont élaboré et examiné ce texte et je tiens à souligner que c’est le même humanisme qui les inspire l’un comme l’autre quand ils abordent les questions pénales et pénitentiaires.
Ces deux éminents sénateurs, qui avaient déjà œuvré en tant qu’auteur et rapporteur de la loi relative à la législation funéraire du 19 décembre 2008, nous proposent aujourd’hui de traiter, plus spécifiquement, de la question du déploiement des crématoriums sur le territoire national.
Cette question n’est pas nouvelle.
En effet, lors de la discussion de ce qui allait devenir la loi du 19 décembre 2008, vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission des lois, vous aviez déjà eu l’occasion de déposer un amendement visant à instaurer un schéma régional des crématoriums. Sous-amendée par le gouvernement d’alors avant d’être adoptée par le Sénat en première lecture, cette disposition avait finalement été supprimée par l’Assemblée nationale.
La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi tend à reprendre le même dispositif.
Depuis la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, seuls les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont compétents pour créer et gérer des crématoriums. Ces dispositions, dont vous êtes l’auteur, monsieur le président de la commission des lois, et qui datent de l’époque où vous étiez membre du gouvernement Bérégovoy, sont désormais codifiées à l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales.
La compétence de création d’un crématorium est, de plus, automatiquement transférée aux communautés urbaines, l’article L. 5215-20 mentionnant parmi les compétences obligatoires de ces EPCI les « création et extension des crématoriums ». Cette compétence peut être exercée directement par délégation de service public.
Les communes et les EPCI ne sont toutefois pas libres de créer de tels équipements, mais doivent recevoir une autorisation préfectorale délivrée après enquête publique et avis des conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques.
Or, depuis une trentaine d’années, vous l’avez l’un comme l’autre rappelé, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, les pratiques funéraires de nos concitoyens ont beaucoup évolué. Longtemps marginale, et controversée, la crémation est aujourd’hui une pratique courante.
En 1975, seulement 0,4 % des obsèques étaient des crémations. Aujourd’hui, le chiffre atteint 30 % en France, 40 % à Paris et souvent plus de 50 % dans les grandes agglomérations. Cependant, alors que le besoin en équipements de crémation s’accentue, la France ne compte aujourd’hui qu’un nombre modeste de crématoriums : 141 crématoriums, soit un crématorium pour 468 000 habitants, alors que l’Espagne, où le taux de crémation est pourtant plus faible, dispose d’un crématorium pour 343 000 habitants et le Royaume-Uni d’un crématorium pour 246 000 habitants.
La création de nouveaux crématoriums est donc nécessaire.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, monsieur Sueur, vous indiquez qu’« il apparaît que les crématoriums sont en nombre insuffisant et que leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins ». Le Gouvernement partage ce constat d’une nécessaire rationalisation des conditions de création des crématoriums de manière à obtenir une répartition plus équilibrée sur le territoire, afin que chaque famille puisse bénéficier du principe de la liberté des funérailles garanti par la loi du 15 novembre 1887, tout en évitant la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant.
Pour autant, la proposition de loi suscite des interrogations que je ne peux éluder.
Ainsi, les créations ou les extensions de crématoriums qui ne seraient pas compatibles avec les prescriptions du schéma régional pourraient être refusées par le préfet de département.
Or les collectivités territoriales sont confrontées de plus en plus à une multiplication des normes et des schémas de toutes sortes. Face à ces contraintes, le Président de la République a fait du « choc de simplification », annoncée au mois de mars 2013, l’une des priorités du quinquennat. Le gouvernement de Manuel Valls tente, après celui de Jean-Marc Ayrault, de mettre en œuvre ce choc de simplification. Le Gouvernement craint que l’émergence d’un schéma sectoriel supplémentaire ne nuise à l’allégement normatif attendu par tous les élus locaux de notre pays.
La création d’un document supplémentaire de planification à l’échelle régionale irait sans doute à rebours de l’objectif de rationalisation du nombre de schémas porté par le Gouvernement et inscrit dans le projet de loi clarifiant l’organisation territoriale de la République. Ce texte, qui est en préparation, devrait être soumis au Sénat dans les prochains mois.
À cet égard, plusieurs sénateurs avaient appelé de leurs vœux une réduction du nombre de schémas, lors de la discussion parlementaire de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014.
Par ailleurs, alors que le code général des collectivités territoriales indique clairement que « les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires », il peut apparaître étonnant de prévoir une consultation du conseil régional sur un sujet pour lequel il ne détient aucune compétence, au sens juridique du terme.
Pour autant, et en conclusion, conscient que la coexistence de plusieurs crématoriums dans des zones géographiques très rapprochées est préjudiciable à l’équilibre économique de ces équipements et contribue à un renchérissement des coûts supportés par les familles endeuillées, conscient que l’insuffisance des crématoriums ne permet pas, dans un certain nombre de secteurs géographiques, de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables, conscient enfin que, dans l’intérêt des familles, et eu égard à la nécessaire dignité des cérémonies d’obsèques ainsi qu’au souci de maîtriser les finances publiques, il apparaît nécessaire que le développement des crématoriums puisse, pour l’avenir, se faire de manière coordonnée et cohérente, le Gouvernement s’en remettra, sur cette proposition de loi, à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Saugey.
M. Bernard Saugey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Cécile Cukierman, qui a bien voulu inverser sa prise de parole avec la mienne. J’ai en effet quelques contraintes d’agenda que je ne peux modifier aujourd’hui.
Je tiens aussi à saluer la persévérance de nos collègues et amis Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur. En effet, en 2006 déjà, ils avaient recommandé l’élaboration d’un schéma régional des crématoriums, document coproduit par l’ensemble des acteurs concernés par la question funéraire et crématoire. Le gouvernement d’alors était d’ailleurs favorable à un tel outil d’organisation et de rationalisation des moyens, sous réserve qu’un débat se tienne.
Pour autant, ce débat n’a pas eu lieu. Vous avez persévéré par l’introduction d’amendements, à l’occasion de différents textes dont j’ai parfois été le rapporteur, sans pouvoir toutefois relancer ce débat de fond attendu par nombre de nos concitoyens.
L’occasion nous est aujourd’hui donnée de discuter de ce sujet et d’aboutir à un texte qui permettrait de mettre en place un service public crématoire plus opérationnel, de satisfaire les besoins grandissants de la population et de préserver les intérêts financiers de nos collectivités territoriales.
Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte de la nécessité de restructurer les crématoriums. En pratique, comme vous l’avez tous rappelé, la crémation progresse, les statistiques le prouvent. Nous ne disposons pas exactement des mêmes chiffres, mais elle représentait 1 % seulement des obsèques environ dans les années quatre-vingt, contre 32 % aujourd’hui. Selon un sondage IFOP de 2010, 51 % des Français souhaitent se faire incinérer.
Cette progression s’est également illustrée chez nos voisins européens : la Suisse et le Danemark, par exemple, en sont à plus de 70 % de crémations ; à Londres, ce chiffre avoisine les 90 %.
Nous devons donc « repenser les funérailles », et tel est bien l’objet du texte qui nous est présenté.
Ce sont nos communes et quelques-unes de nos intercommunalités qui ont la charge de gérer les crématoriums, c’est-à-dire la lourde tâche de les construire, de les entretenir et de procéder à toutes les opérations liées à la crémation. Elles doivent gérer la location des salles, parfois l’incinération de certaines pièces pour les établissements de santé, autant de missions complexes à assumer pour les plus petites communes, qui ne possèdent ni l’expertise ni les moyens financiers ou humains. Elles choisissent alors, à juste titre, de déléguer cette mission de service public à des entreprises privées.
Les difficultés actuelles viennent justement de cela. Les écarts de prix sont de l’ordre de 400 euros d’un établissement à l’autre, et le coût peut tripler dans les collectivités d’outre-mer. Ces établissements profitent de leur situation de quasi-monopole, et les communes sont dans l’impossibilité d’en créer aussi facilement qu’elles le souhaiteraient sans risquer d’éventuelles difficultés financières.
En outre, la répartition des crématoriums n’est pas forcément équilibrée de la même manière sur tout le territoire français, ce qui crée, dans certains départements et régions, une inégalité de fait. Certains établissements se retrouvent surchargés, la conséquence étant un allongement des temps d’attente, lesquels sont déjà difficilement supportables pour les familles qui ont perdu un être cher.
Nous devons donc saisir l’occasion de rééquilibrer la répartition des crématoriums en encadrant leur création et leur extension. Cette tentative de rationalisation est essentielle pour offrir un service de qualité. Nous devons pour cela prendre en compte les souhaits de l’ensemble des acteurs de la filière, et fédérer ces derniers autour d’un projet commun équilibré, projet que vous proposez précisément de construire autour d’un schéma régional.
Face à ce constat d’inégalité territoriale, le Sénat a donc, aujourd’hui, un rôle fort de rééquilibrage à jouer.
D’une part, on constate que tous les territoires ne disposent pas de crématorium, même si la demande existe. Pourquoi ? Toutes les communes n’ont pas la capacité technique et financière de créer ou de gérer un tel équipement, en particulier à l’heure des baisses de dotations budgétaires. Il s’agit d’un investissement qui peut être jugé disproportionné lorsqu’on ne peut évaluer le besoin territorial et son évolution.
Le schéma des crématoriums, en donnant une vision plus globale de la situation, limiterait les cas de non-rentabilité et permettrait aux communes concernées de mutualiser leurs moyens.
D’autre part, l’emplacement des crématoriums existants – nous en avons tous fait le constat –, ne répond pas forcément à une répartition cohérente. Certains départements en comptent plusieurs, d’autres aucun. On trouve des établissements tout juste rentables, quand d’autres arrivent à saturation. Ce sont les familles qui supportent ce déséquilibre, l’attente entre le décès et la crémation pouvant aller jusqu’à une semaine. Nous pouvons peut-être soulager le travail de deuil en proposant, dès aujourd’hui, une simplification décisionnelle.
La question est de savoir quel échelon territorial est à même de faire face à cette problématique. Le schéma des crématoriums répond-il à une logique d’aménagement du territoire qui devrait être assumée par les régions ?
L’initiative et la responsabilité de gérer les crématoriums doivent, à mon avis, rester aux communes et aux EPCI. En effet, ces collectivités maintiennent le lien de proximité avec les familles ; elles sont et doivent rester leur interlocuteur privilégié. Cependant, nous devons adopter un raisonnement à long terme, qui englobe un territoire assez large. Ces établissements coûteux, à faible rentabilité, doivent être implantés dans des lieux à périmètres stratégiques.
Pour mener à bien la réflexion, vous nous proposez que le schéma soit défini au niveau régional. C’est une piste intéressante. Les objectifs du schéma de crématoriums sont les mêmes que pour le schéma régional d’aménagement et de développement du territoire, c’est-à-dire la mise en place de projets d’équipements cohérents, afin de satisfaire au mieux les besoins de la population, réduire au minimum les inégalités de traitement et protéger les intérêts financiers de nos collectivités locales.
Nous avons souhaité suivre le rapporteur quand il a proposé d’intégrer les communes à la consultation préalable à l’élaboration par le préfet de région du schéma régional. En effet, les communes détiennent, avec les EPCI, le monopole de gestion des crématoriums. Pour mémoire, seuls 2,5 % des EPCI détiennent cette compétence.
De plus, en matière fiscale, les communes sont les seules habilitées à mettre en place les taxes sur les convois, l’inhumation et la création. Pour cette raison, leur réintégration au processus décisionnel est fondamentale.
Par ailleurs, il nous a semblé important d’associer également le Conseil national des opérations funéraires, regroupant les professionnels du funéraire et les représentants des familles, dont l’avis pourra ainsi être pris en compte.
Malgré la recommandation contenue dans le rapport d’information de 2006, ni la proposition de loi initiale ni le texte élaboré par la commission n’ont prévu une évaluation prospective des besoins dans le schéma des crématoriums. Un tel dispositif présentait pourtant l’intérêt de permettre l’analyse des besoins futurs compte tenu des mobilités, qu’elles soient interdépartementales, régionales ou interrégionales.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à redire que cette proposition de loi est l’occasion pour nous d’optimiser un service public de qualité sur l’ensemble du territoire et de réduire durablement les inégalités, essentiellement territoriales et financières.
C’est pourquoi, avec mon groupe, je voterai ce texte d’avenir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi déposée par Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
Ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux de notre commission des lois et de sa mission d’information sur le bilan et la perspective de la législation funéraire, qu’elle avait confiée en 2005 à nos deux collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur.
Déclinant les principales recommandations de la mission d’information, la loi de décembre 2008 relative à la législation funéraire a permis un encadrement juridique complet de la crémation, rendu nécessaire par le constat de l’essor croissant de cette pratique et par l’importance qui s’attache au respect des volontés des défunts et de leurs familles. Depuis une trentaine d’années, les pratiques funéraires ont en effet considérablement évolué et le recours à la crémation est de plus en plus fréquent - environ 30 % des obsèques.
Avec cette nouvelle proposition de loi, il s’agit de permettre une planification cohérente de l’implantation des crématoriums dans les territoires, afin de répondre aux besoins des populations et de faire en sorte que celles-ci puissent disposer d’un crématorium à une distance raisonnable, afin d’exercer pleinement la liberté de choix de leurs funérailles.
L’auteur de la proposition de loi et le rapporteur ont rappelé, chiffres à l’appui, la nécessité d’une meilleure régulation de ces implantations et d’une programmation de ces équipements plus adaptée aux besoins réels. Certains départements sont en effet dépourvus de crématoriums, alors que d’autres en comptent trop, entraînant parfois des surcoûts pour les familles liés à des frais de crémation majorés pour garantir la rentabilité d’une exploitation déficitaire.
En créant un schéma régional des crématoriums, ce texte vise à mieux coordonner les autorisations de création et d’extension de ces équipements, afin d’assurer une meilleure couverture du territoire, et à permettre aux familles d’exercer les dernières volontés du défunt dans des conditions acceptables.
En commission, le rapporteur a utilement proposé quelques amendements visant à étendre le périmètre des consultations préalables à l’adoption du schéma régional, à préciser les critères de son élaboration et à en adapter la durée.
À l’initiative de notre collègue du Nord, René Vandierendonck, qui ne peut malheureusement pas être parmi nous ce jour, le groupe socialiste a souhaité présenter deux amendements sur le texte adopté en commission.
Le premier amendement vise à intégrer la dimension transfrontalière de la programmation des crématoriums, étant donné la libre circulation des habitants en Europe et les mouvements de population dans les pays limitrophes.
Le second vise à assouplir et simplifier les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers.
En effet, dans un contexte de forte augmentation de la pratique de la crémation, les proches des personnes de nationalité française qui décèdent dans les pays frontaliers – Belgique, Espagne, Italie, Allemagne, Suisse –, et inversement, rencontrent des difficultés pour procéder à la crémation dans leur pays d’origine. Ces difficultés sont liées au contexte juridique du transport transfrontalier de dépouilles mortelles.
Aujourd’hui, le transport international des corps des personnes décédées est réglementé par deux accords internationaux, l’arrangement de Berlin de 1937 et l’accord de Strasbourg de 1973, signés et ratifiés par la France.
Or, lorsqu’un ressortissant français décède à l’étranger, son corps est rapatrié sur le territoire français dans un cercueil en zinc hermétique et scellé, ce qui ne permet pas la crémation pour des raisons techniques liées au fonctionnement des crématoriums et rend ainsi impossible la satisfaction des dernières volontés des défunts ayant émis le souhait de voir leur corps incinéré.
De plus, la législation française interdit le transfert d’un défunt dans un autre cercueil avant un délai de cinq ans suivant la mise en bière.
Si elle trouve tout son sens pour les transports internationaux de longue distance, cette réglementation stricte est jugée disproportionnée pour des trajets transfrontaliers de quelques kilomètres.
Prenons le cas de l’eurométropole Lille-Courtrai-Tournai, à cheval entre la France et la Belgique. La réglementation plonge dans le désarroi un nombre croissant de familles, compte tenu notamment du nombre important de personnes âgées françaises résidant dans des maisons de repos situées du côté belge de la frontière. Aujourd’hui, les familles des ressortissants français décédés en Belgique ne peuvent pas organiser de crémation dans un site français proche, mais doivent s’adresser aux crématoriums belges, qui sont nettement plus éloignés. Ce problème est exacerbé par la décision récente de plusieurs communes wallonnes d’instaurer une taxe significative sur le transport de corps de la Belgique vers la France,…
Mme Nathalie Goulet. Cela fait une moyenne avec l’évasion fiscale !
M. Jean-Yves Leconte. … pour surveiller de plus près le respect des dispositions de l’accord de Strasbourg.
Ce constat a amené le groupement européen de coopération transfrontalière de l’eurométropole à se saisir de la question. Les intercommunalités de Tournai, en Wallonie, de Courtrai, en Flandre et de Lille Métropole ont réalisé, avec l’appui d’un cabinet d’avocats, une étude juridique comparative qui a permis de bâtir le contenu d’une convention bilatérale entre la France et la Belgique pour donner une solution juridique à ce problème. Ce projet de convention bilatérale a été envoyé aux ministres français et belges compétents le 21 février 2014.
Lors de nos débats au Sénat, en avril dernier, pour autoriser la ratification de l’accord de coopération franco-espagnol sur la coopération sanitaire transfrontalière, plusieurs de nos collègues avaient évoqué la même problématique s’agissant des personnes décédées à l’hôpital transfrontalier de Cerdagne en Espagne, à quelques kilomètres seulement de la frontière française. Comment permettre à la famille de transporter le corps dans une chambre funéraire en France sans qu’il ait besoin d’un cercueil scellé ?
D’autres territoires ont soulevé cette même difficulté : les Ardennes, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle, etc.
L’objet de l’amendement que nous avons déposé est bien d’alléger les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers, de faciliter ainsi le rapatriement du corps dans une commune française située dans un rayon maximum de 50 kilomètres du lieu de fermeture du cercueil, et de répondre aux demandes des familles des personnes décédées.
Le groupe socialiste, saluant les travaux de longue date de Jean-Pierre Sueur et de Jean-René Lecerf, mais restant vigilant quant à l’adoption des amendements qu’il propose, votera bien entendu ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’organisation des obsèques représente, pour les proches du défunt, un temps d’urgence et d’obligations qui s’ajoute à la douleur de la perte. Les délais entre le décès et les obsèques sont assez brefs. Il faut alors respecter de nombreuses contraintes, effectuer des démarches administratives, faire des choix, contacter des personnes.
Contrairement aux pays d’Europe du Nord ou de tradition protestante, la France a connu un développement de la crémation longtemps erratique, du fait de sa tradition catholique. Cette différence historique avec l’inhumation est à l’origine de nombreux désagréments pour les familles : temps d’attente trop long, trajets rallongés du cortège funéraire, renchérissement des tarifs.
À titre d’exemple, mon collègue Alain Bertrand nous a fait part de grandes difficultés pour les habitants de la Lozère : du fait de l’absence de crématoriums dans ce département, les cortèges funéraires sont contraints de se rendre en Aveyron.
Dans le contexte particulier de la perte d’un être cher, comme cela a été souligné par le président de la commission, cela n’est ni acceptable ni rationnel. Aussi avons-nous déposé un amendement visant à attirer l’attention sur une situation qui concerne de nombreux territoires.
Aujourd’hui, la crémation ne constitue plus une pratique exceptionnelle, et son développement est exponentiel. Alors que seulement 0,9 % des Français y avaient recours en 1980, ils étaient 10,5 % en 1994 et 30 % en 2010. En parallèle, le développement des structures adaptées a été moins spectaculaire : en 1980, la France comptait 9 crématoriums ; en 2006, il en existait 120. Une trentaine de projets sont aujourd’hui en cours d’étude ou de réalisation.
La loi du 15 novembre 1887 a autorisé les modes de sépulture autres que l’inhumation. Les formalités de l’incinération furent réglementées par le décret du 27 avril 1889. Le premier incinérateur fut installé peu après, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Suivirent ensuite celui de Rouen, en 1899, de Marseille, en 1907, de Lyon, en 1914, et, plus près de nous, de Béziers, dans le département de l’Hérault, en 1998.
De nombreux progrès ont été faits en la matière, grâce aux efforts constants et répétés de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui a fait de l’amélioration du droit funéraire un véritable cheval de bataille.
La loi du 19 décembre 2008 a réformé le sort des cendres en les protégeant comme le corps inhumé et en organisant un régime juridique proche de celui de l’inhumation. Cette loi a également fait de l’existence d’un site cinéraire une obligation pour les communes. Comme nous le rappelle le code civil, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de créer un schéma régional des crématoriums. La création et l’extension des crématoriums font d’ores et déjà l’objet d’une autorisation délivrée par le préfet du département. Mais, aux fins d’assurer une meilleure répartition territoriale, et dans le souci également de respecter le deuil des proches, le texte prévoit une concertation entre les acteurs concernés – les conseils régionaux, les organes délibérants des EPCI compétents en matière de crématoriums, ainsi que les communes de plus de 2 000 habitants.
Le schéma sera délivré après avis du Conseil national des opérations funéraires à l’échelon national, en prenant en compte les contraintes environnementales. Cette dernière précision est de taille : les sites cinéraires sont source d’une grande pollution du fait des rejets du mercure contenu dans les amalgames dentaires et les responsables ont jusqu’à 2018 pour équiper les crématoriums de filtres antipollutions.
Enfin, pour tenir compte des contraintes temporelles de cette élaboration, le schéma régional sera renouvelé tous les six ans, cette durée étant alignée sur celle du mandat des élus locaux.
Si cette initiative est bienvenue, elle devra être mise en œuvre dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi que du droit de la concurrence.
La Cour de justice des communautés européennes considère en effet que, lorsque le service public est confié à un tiers, la collectivité concédante, État ou collectivité locale, doit, même en l’absence de texte le lui imposant, organiser, par des mesures de publicité adéquates, une mise en concurrence des prestataires intéressés. C’est la jurisprudence Telaustria, bien connue.
Compte tenu du développement exponentiel de la crémation et des crématoriums, n’y aura-t-il pas des recours, dans le futur, contre des refus de délivrer une autorisation d’installation, en raison de ce même schéma régional ? Pis encore, ne peut-on y voir une entrave au principe de libre établissement ?
Par ailleurs, dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, nous nous interrogeons sur le financement des nouveaux crématoriums par les collectivités locales. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ?
Deux préoccupations s’imposent : d’un côté, celle de la neutralité au service de tous, en particulier des entreprises de pompes funèbres, qui favorise la création et la gestion par des opérateurs spécialisés ; de l’autre, celle, tout aussi légitime, d’éventuelles entorses à la libre concurrence, ainsi que de possibles rentes de situation, qu’il s’agit d’empêcher les unes et les autres.
Enfin, comment sera financée l’extension de ces services publics, sachant que la construction d’un crématorium coûte des millions d’euros ? En la matière, il faudra compter sur la sagesse et la sagacité des différents acteurs, notamment du préfet de région.
L’avenir nous dira si nous avons eu raison de voter ce texte. En attendant, nous espérons que la création de schémas régionaux permettra de rééquilibrer la donne territoriale entre les départements.
Mais, parce que l’usage veut que penser à la mort raccourcisse la vie, il me semble vital d’abréger mon propos. (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, les membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
L’étude de certaines pratiques permet de saisir les évolutions de notre société. Les rites et usages liés à la fin de vie, partagés à divers degrés par tous ses membres, en reflètent une facette importante. Ils révèlent des réalités et des constantes d’ordre religieux, spirituel, idéologique, culturel et social.
En France, nous assistons depuis un quart de siècle à une augmentation de la crémation dans les pratiques funéraires. Longtemps marginale, elle représente aujourd’hui plus de 30 % des obsèques, voire 50 % dans les grandes agglomérations.
Serions-nous en train de vivre une révolution anthropologique, appelée à progresser jusqu’à devenir la nouvelle norme ? Les rites funéraires sont manifestement soumis à des évolutions que l’on se doit de comprendre.
Autorisé en France depuis 1889, l’acte de brûler le corps d’une personne décédée, puis de recueillir ses cendres, s’est transformé en un usage funéraire répandu. Cette pratique a été encouragée par la levée de l’interdit de l’Église catholique en 1963, mais surtout par une diminution du nombre de pratiquants et de croyants en France, au départ de tradition chrétienne, la crémation étant interdite dans le judaïsme et en islam.
On observe que, dans les pays où la tradition catholique est davantage ancrée historiquement et socialement, la crémation est beaucoup moins pratiquée. Ainsi le taux de crémation est-il de 8,5 % en Italie. À l’inverse, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CRÉDOC, relève, dans un rapport, que l’effritement des pratiques religieuses françaises « joue un rôle dans la baisse de l’inhumation au profit de la crémation ». Cette évolution ne se double pas pour autant d’un complet abandon du rite puisque 80 % des cérémonies sont réalisées dans un lieu de culte. Toujours selon le CRÉDOC, « la ritualisation ne disparaît pas, elle prend des formes nouvelles ».
Au regard des évolutions de notre société, les pratiques funéraires se trouvent en quelque sorte allégées et libérées des contingences communautaires ou sociales d’autrefois.
Les auteurs de cette proposition de loi font un constat clair : les crématoriums sont en nombre insuffisant et leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins de la population. Il importe aujourd’hui de s’assurer d’une répartition plus équilibrée des équipements sur l’ensemble du territoire par une rationalisation de la répartition géographique des crématoriums. Cette rationalisation permettrait également d’éviter la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant.
La proposition de loi prévoit d’instaurer un schéma régional des crématoriums. Ce dernier aurait une valeur prescriptive. Le schéma serait arrêté par le préfet de région, après avis du conseil régional et des intercommunalités compétentes en la matière. En revanche, chaque décision d’autorisation devrait être précédée d’une enquête publique.
Ce schéma régional des crématoriums serait révisé tous les cinq ans afin d’être adapté aux besoins de la population.
Par ailleurs, je me félicite que, sur l’initiative du rapporteur, M. Lecerf, un amendement visant à prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution émise par les crématoriums ait été adopté.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe écologiste soutiendra ce texte, qui nous met en phase avec les développements que connaît notre société en matière de rites funéraires. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’offrir, pour ce qui est de la crémation, un dispositif mieux adapté à la population.
En 2005, nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf avaient déposé deux propositions de loi visant déjà à faire évoluer la législation funéraire. La loi de 2008 qui en a résulté a permis de renforcer les contrôles de qualification des professionnels et de développer la formation dans le secteur funéraire, mais aussi et surtout d’accompagner l’essor de la crémation en comblant certaines lacunes juridiques, notamment concernant le statut des cendres des défunts.
Depuis cette loi, les communes ou les EPCI compétents de plus de 2 000 habitants sont notamment obligés de créer un site cinéraire.
La proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums présentée par M. Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans la continuité de la législation précédente. Elle résulte du constat que les équipements de ce type se trouvent en nombre insuffisant sur le territoire. En outre, leur implantation géographique est parfois inadaptée, ce qui pénalise de nombreuses familles endeuillées.
La France dispose de moins de deux crématoriums par département en moyenne, alors que l’évolution des rites funéraires depuis trente ans se traduit par une augmentation du recours à la crémation. Aujourd’hui, plus de 30 % des obsèques donnent lieu à crémation, contre 1 % en 1980.
Si l’on compare deux régions similaires par leur population, Aquitaine et Midi-Pyrénées, qui comptent environ trois millions d’habitants chacune, on constate de grandes disparités : la région Aquitaine dispose de près de deux fois plus de crématoriums que sa voisine ; certains départements de la région Midi-Pyrénées sont même totalement dépourvus de tels équipements.
Une rationalisation de l’implantation des crématoriums paraît donc pleinement justifiée pour permettre une accessibilité accrue à cette pratique funéraire.
La mise en place d’un schéma régional des crématoriums permettrait également de diminuer les coûts pour les familles et les professionnels des secteurs aujourd’hui dépourvus de ces installations.
Ainsi, sur le fond, on ne peut qu’être en accord avec cette proposition de loi. Elle tend à répondre aux préoccupations des familles, mais aussi à adapter nos infrastructures à une mutation profonde observée dans le choix des funérailles.
Cependant, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur les conséquences de ce texte. Ce sont les communes et les intercommunalités compétentes qui sont chargées de créer et de gérer les crématoriums et les sites cinéraires. Dans un contexte de baisse drastique des dotations aux collectivités territoriales, la question de la capacité des communes de certains départements à assurer et assumer un tel service peut se poser dans un avenir relativement proche. Notre rapporteur a d'ailleurs souligné que, dans certains cas, les collectivités se trouvaient exposées à un risque financier non négligeable, la rentabilité des crématoriums n’étant pas toujours assurée.
Je salue l’introduction, par la commission, de considérations environnementales dans la proposition de loi, tant la France est en retard en la matière. En effet, à l’heure actuelle, rares sont les crématoriums dotés d’un système de filtrage limitant l’émission de polluants. Je rappelle que, aux termes de l’arrêté du 28 janvier 2010, qui découle de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, tous les crématoriums devront être pourvus d’un système de filtrage avant 2018. Cet impératif environnemental se traduira cependant par une hausse des coûts pour les communes. Dans le contexte de baisse des dotations aux collectivités territoriales que j’évoquais, les citoyens et les familles endeuillées devront certainement en supporter la charge.
Je salue également la modification prévoyant que la révision du schéma régional ait lieu tous les six ans, et non plus tous les cinq ans. Cela permettra de faire coïncider la durée du schéma avec celle du mandat des élus communaux et intercommunaux. Personnellement, je pense qu’un délai plus long aurait pu être retenu, étant donné le temps nécessaire pour mener à bien un tel projet.
Quoi qu’il en soit, il faut saluer le travail entrepris depuis de nombreuses années par nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf afin d’adapter notre législation à l’évolution des rituels funéraires dans notre société. Le législateur a vocation à s’atteler à des réformes liées à l’évolution de la société. La proposition de loi que nous examinons participe évidemment de cette approche. Le groupe UDI-UC la votera, car elle va dans le bon sens et tend à apporter une réponse concrète aux familles endeuillées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ceux qui ont pris la parole avant moi l’ont dit : aujourd’hui, le choix de la crémation s’est fortement développé, et il est bon de veiller à ce que chaque citoyen ait accès à ce service, quel que soit le lieu où il vit. Il nous faut donc créer les conditions d’un tel accès.
À cet effet, notre collègue Jean-Pierre Sueur nous invite, par cette proposition de loi, à créer un schéma régional de plus ; c’est du moins ainsi que nous pourrions prendre ce texte de prime abord. Nous nous sommes dans un premier temps interrogés sur l’opportunité de ce schéma supplémentaire. En effet, en 2008, lors des débats sur la proposition de loi relative à la législation funéraire, l’idée d’un schéma avait été abandonnée. Nos collègues députés avaient préféré maintenir le système existant, toujours en vigueur, en invitant cependant le Gouvernement à inciter les préfets à réaliser des enquêtes publiques détaillées.
Cependant, le problème du faible nombre de crématoriums dans certaines zones géographiques perdure. La nécessité de fournir aux familles un équipement peut donc justifier la solution proposée quand le mécanisme des enquêtes publiques a échoué. Notre collègue Jean-René Lecerf démontre en effet, dans son rapport, que, aujourd’hui encore, dans plusieurs secteurs géographiques, le nombre de crématoriums, parce qu’il est insuffisant, ne permet pas de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables ; certains de nos collègues ont évoqué les départements vides de tout service de crématorium. Il en découle des délais d’attente trop longs pour les familles et des contraintes liées à des déplacements longs et coûteux ainsi qu’à la conservation du corps jusqu’à la crémation.
L’exemple de la Loire, qui a été cité, illustre ces difficultés. Dans ce département, dont je suis issue, la crémation représente 40 % des funérailles, un chiffre supérieur à la moyenne nationale. Pourtant, il n’existe que trois crématoriums dans le département : un dans le sud, à Saint-Étienne, et deux dans le nord, qui sont très proches l’un de l’autre puisqu’ils se trouvent à Roanne et à Mably. Ces deux derniers crématoriums – l’un est public, l’autre est en gestion déléguée – se partagent le territoire roannais, alors même qu’un seul équipement pourrait suffire puisqu’ils ne sont utilisés aujourd’hui qu’à la moitié de leur capacité. En revanche, dans le centre du département, on ressent un manque : les habitants du secteur sont obligés d’aller à Roanne ou à Saint-Étienne s’ils souhaitent incinérer leurs défunts, ce qui entraîne un coût supplémentaire, notamment pour le transport du corps.
Au vu de ces difficultés, l’élaboration d’un schéma régional peut se révéler un outil intéressant. Néanmoins, il faut rester vigilant, car les crématoriums constituent des équipements coûteux. Le risque financier encouru par les communes est réel, puisque, au terme d’une délégation de service public ou en cas de faillite du délégataire, la charge de l’équipement leur incombe. Par exemple, 500 000 euros devront être déboursés d’ici à 2018 pour chacun des crématoriums de Roanne et de Mably afin de respecter des normes bien précises en matière de filtration des fumées. C’est un décret de septembre 2008 relatif à la hauteur de la cheminée des crématoriums et aux quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère qui impose ces travaux.
Si ces normes environnementales sont importantes – dans ce domaine comme dans les autres, nous n’avons pas pour objectif de négliger les normes qui protègent –, se pose la question du maintien de deux crématoriums dans une zone où un seul suffirait.
Ces difficultés de financement existent dans bien d’autres collectivités ; elles sont importantes. Nous n’allons pas ouvrir maintenant le débat sur le financement des collectivités territoriales ; monsieur le secrétaire d'État, nous serons amenés à nous revoir dans les semaines à venir pour débattre plus largement du devenir des collectivités, et nous poserons alors beaucoup plus fortement la question. Néanmoins, je tiens à souligner dès à présent que le financement des collectivités territoriales pose problème. C’est une réalité dont il faut tenir compte.
La proposition de loi n’imposant pas expressément l’ouverture de crématoriums, on peut s’interroger. J’ai pris l’exemple du nord de la Loire, mais je peux aussi prendre celui de la Lozère, qui a également été cité, car ce département ne dispose d’aucun crématorium. Ce n’est pas parce que l’on aura constaté qu’il y a un crématorium de trop dans la Loire que l’on en ouvrira un en Lozère, où pourtant les populations n’ont pas du tout accès à ce service. C’est la limite de ce schéma régional des crématoriums. Il représente certes une contrainte, mais n’a pas de caractère prescriptif et ne règle pas la question du financement. On peut toutefois penser que la proposition de loi aura un fort pouvoir d’incitation.
L’élaboration du schéma par le conseil régional, qui impliquera la saisine d’autres collectivités, puisque la région n’est pas forcément la collectivité pertinente, permettra le débat.
Par l’intermédiaire du préfet, l’État aura donc le pouvoir d’inciter à l’ouverture d’un crématorium dont les collectivités locales assumeront seules le coût et les risques financiers. Il faudra bien avoir tout cela en tête au moment de l’élaboration des schémas.
En dépit de cette importante remarque, la proposition de loi contribuera, nous n’en doutons pas, à une meilleure prise en compte de l’évolution des traditions funéraires dans notre pays ; c'est pourquoi nous la voterons. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien écouté les uns et les autres, mais je serai bref dans ma réponse.
Une fois n’est pas coutume, je reprendrai, en guise de conclusion provisoire de ce débat, les propos d’un membre du groupe CRC, en l’occurrence Cécile Cukierman : encore un schéma. Oui, encore un schéma, mais la voie est étroite, et c’est au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Gouvernement de la trouver, entre la nécessité d’organiser les territoires, y compris dans le domaine funéraire, et le souci de ne pas alourdir la gestion des collectivités territoriales par trop de schémas et trop de normes.
Quant à la question du financement des crématoriums et, plus généralement, des finances locales, je vous confirme que nous aurons l’occasion de nous revoir prochainement pour en débattre.
Mme Cécile Cukierman. Je ne suis pas sûre que vous reprendrez mes propos à ce moment-là ! (Sourires.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. Nous verrons ! (Nouveaux sourires.)
Je rejoins la préoccupation de Robert Tropeano, qui a exprimé son inquiétude quant au coût des crématoriums. La proposition de loi n’impose ni aux communes ni aux EPCI de créer des crématoriums. Il s’agit simplement d’organiser les implantations au niveau régional. Cela devrait atténuer vos inquiétudes, que je comprends, monsieur le sénateur.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis rendu compte, en vous écoutant, que la sagesse de la Haute Assemblée, à laquelle le Gouvernement s’en était remis par ma voix, était largement partagée sur toutes les travées cet après-midi.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums
Article 1er
Après l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2223-40-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-40-1. – I. – Un schéma régional des crématoriums est établi dans chaque région. Il a pour objet d’organiser la répartition des crématoriums sur le territoire concerné, afin de répondre aux besoins de la population, dans le respect des exigences environnementales. Il précise à ce titre, par zones géographiques, en tenant compte des équipements funéraires existants, le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires.
« II. – Le schéma est élaboré par le représentant de l’État dans la région, en collaboration avec ceux des départements qui la composent.
« Le projet de schéma est adressé pour avis au conseil régional, au conseil national des opérations funéraires, ainsi qu’aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale et aux communes de plus de 2 000 habitants compétents en matière de crématoriums. Ceux-ci se prononcent dans un délai de trois mois après la notification du projet de schéma. À défaut, leur avis est réputé favorable.
« Le schéma est arrêté par décision du représentant de l’État dans la région. Il est publié.
« III. – Le schéma est révisé tous les six ans. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Bertrand, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il ne peut prévoir moins d’un crématorium par département.
Cet amendement n’est pas soutenu.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’amendement n° 1 ne sera pas soutenu, mais Alain Bertrand m’en a parlé. Dans la mesure où j’ai la possibilité, avec votre permission, monsieur le président, de m’exprimer à tout moment, je tiens à dire à notre collègue que nous comprenons totalement sa préoccupation.
Comme je l’ai souligné précédemment, quatre départements dans notre pays ne disposent d’aucun crématorium. Le cas de la Lozère est particulier ; il mérite vraiment l’attention. Les familles sont obligées de se rendre dans un département voisin, ce qui peut entraîner de très longs temps de transport, dans des conditions difficiles, la situation psychologique étant ce qu’elle est dans ces circonstances.
Sur le fond, nous prenons en compte cette préoccupation.
Pour ma part, je ne doute pas que les schémas des régions dans lesquelles se trouvent les quatre départements qui ne disposent d’aucun crématorium recommanderont la création d’un tel équipement comme étant particulièrement précieuse et utile.
Sur la forme, comme l’a indiqué M. le rapporteur en commission ce matin, il n’est évidemment pas possible d’imposer la création d’un crématorium. Il faut qu’une commune décide d’en créer un ou de recourir à une délégation de service public. Cependant, le fait que nous insistions ici sur l’intérêt de la suggestion d’Alain Bertrand, que nous disions qu’il nous paraîtrait naturel que le préfet et le conseil régional veillent à ce que la situation des territoires soit prise en compte, aidera sans nul doute à répondre à la légitime préoccupation de notre collègue.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Vandierendonck, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'évaluation des besoins de la population tient compte, le cas échéant, de ceux des populations immédiatement limitrophes sur le territoire national ou à l'étranger.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à préciser que le schéma régional des crématoriums prend en compte la dimension transfrontalière des besoins dans les régions concernées. René Vandierendonck pensait particulièrement à la Belgique, mais il va de soi que nous pensons également à l’Allemagne, à la Suisse, à l’Italie ou encore à l’Espagne, bref, là où la problématique transfrontalière est pertinente.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement visait initialement à imposer au préfet de prendre en compte les besoins de la population sans réduire celle-ci à la seule population du département ou de la région, en intégrant la dimension transfrontalière.
La question soulevée était tout à fait pertinente, mais elle aurait aussi pu être posée à propos de zones frontalières avec une autre région. C’est la raison pour laquelle j’ai suggéré une légère rectification de l’amendement, pour qu’il puisse viser toutes les situations dans lesquelles la population concernée s’étend à celle des territoires limitrophes. Cette recommandation ayant été suivie, l’avis de la commission est tout à fait favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Vallini, secrétaire d'État. L’objet de cet amendement est de préciser que le schéma régional des crématoriums prendra en compte la dimension transfrontalière des besoins dans les régions concernées.
L’amendement pose la question de la situation particulière que peuvent rencontrer les habitants des régions transfrontalières, soumis à des contraintes juridiques lorsque le décès ne se produit pas dans le pays d’origine du défunt.
Néanmoins, il sera sans doute difficile, pour le préfet de région, de déterminer avec précision les besoins des populations concernées par cette dimension transfrontalière, notamment ceux des personnes qui sont domiciliées à l’étranger. Je pense, en particulier, aux personnes vivant dans un établissement de soins, un établissement pour personnes âgées ou une résidence secondaire, pour lesquelles les données fiables manqueront à l’évidence.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je trouve assez réjouissant d’avoir à débattre d’un tel amendement dans le cadre de la discussion d’un texte aussi sérieux… (Exclamations amusées.)
Finalement, la coopération transfrontalière pourra s’organiser plus vite en matière de crématoriums qu’en termes de réponse aux besoins économiques ou à d’autres sujets de préoccupation plus habituels : je trouve que c’est un très bon signal ! (Sourires.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 2, présenté par M. Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
en collaboration avec
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les représentants de l’État dans les départements qui la composent.
La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement rédactionnel particulièrement bienvenu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Vandierendonck, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Lorsque le corps d’une personne décédée dans un pays frontalier doit être rapatrié dans une commune française située dans un rayon maximum de cinquante kilomètres du lieu de fermeture du cercueil, son transport s’effectue dans un cercueil répondant aux normes en vigueur dans le pays de mise en bière. Le permis d’inhumer ou de crématiser, délivré par l’autorité compétente en France, tient lieu de laissez-passer.
Un décret précise les conditions d’application du présent article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement a déjà été longuement défendu lors de la discussion générale. Il s’agit de simplifier la législation pour les transports transfrontaliers de corps sur quelques kilomètres. Il s’agit en fait d’un amendement d’appel à la négociation de conventions bilatérales, en particulier entre la France et la Belgique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à répondre à une situation que nous savons douloureuse et incompréhensible pour les familles : il n’est pas toujours possible de procéder à la crémation en France des personnes décédées sur le territoire d’un État étranger qui avaient émis un tel vœu.
En effet, le cercueil utilisé pour le transport du corps contient parfois, conformément aux prescriptions locales, des éléments métalliques, comme le zinc, qui le rendent impropre à la crémation en France, compte tenu de la nature de nos équipements. Il faut donc ouvrir le cercueil scellé pour placer le corps dans un nouveau cercueil, démarche qui est d’une infinie complexité pour les familles, voire quasiment impossible à réaliser.
Les auteurs de l’amendement proposent d’imposer que le transport s’effectue dans un cercueil conforme aux normes françaises de crémation, ce qui revient à imposer à des autorités étrangères, qui seules sont habilitées à organiser les conditions initiales de ce transport, le respect de la réglementation française. Prévoir une telle exigence n’est pas du ressort de la loi, c’est pourquoi M. Leconte a indiqué qu’il s’agit d’un amendement d’appel.
Il est préférable de s’en remettre aux négociations engagées par le Gouvernement. Je proposerai par conséquent aux auteurs de l’amendement de retirer celui-ci, au bénéfice des explications que M. le secrétaire d’État voudra bien nous donner.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Vallini, secrétaire d'État. Deux accords internationaux signés et ratifiés par la France, l’arrangement de Berlin de 1937 et l’accord de Strasbourg de 1973, régissent les transports internationaux des corps des personnes décédées.
Lorsque le pays de destination du corps est signataire de l’un ou de l’autre de ces deux textes, des formalités administratives allégées spécifiques sont appliquées. Les principales difficultés tiennent aux prescriptions techniques applicables aux cercueils utilisés pour procéder au transport des corps, qui soit sont métalliques, soit contiennent du zinc, ce qui les rend incompatibles avec la crémation.
L’objet de cet amendement est d’alléger les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers pour permettre aux personnes qui en avaient émis le souhait d’être incinérées en France.
Sur ce point, je souhaite vous assurer que le Gouvernement est conscient des difficultés posées par le transport transfrontalier de corps. Les ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et de la décentralisation travaillent depuis plusieurs mois en vue d’élaborer des projets d’accords bilatéraux avec l’Espagne et avec la Belgique. Ils n’ont pas eu connaissance de difficultés particulières avec le Luxembourg, mais le travail ainsi réalisé pourrait servir de base de discussion pour l’élaboration d’autres conventions bilatérales avec les pays signataires de l’arrangement de Berlin, à savoir l’Allemagne et l’Italie, ou de l’accord de Strasbourg, c’est-à-dire, outre l’Espagne et la Belgique, Andorre, le Luxembourg et la Suisse.
S’agissant du projet de convention bilatérale avec l’Espagne, il porte notamment sur le cas particulier de l’hôpital franco-espagnol de Puigcerdà, construit dans le cadre d’un groupement européen de coopération territoriale pour augmenter l’offre de soins dans la vallée de Cerdagne, de part et d’autre de la frontière franco-espagnole.
Toutefois, les autorités espagnoles et françaises travaillent en parallèle sur un projet d’accord de coopération judiciaire, qui relève d’une compétence plus spécifique des ministères de la justice en France et en Espagne.
Le ministère des affaires étrangères a indiqué à nos services que le volet relatif au transport de corps ne pourrait intervenir que dans un second temps, compte tenu du climat politique actuellement tendu entre Madrid et Barcelone.
S’agissant du projet de convention bilatérale avec la Belgique, les autorités belges se sont montrées favorables à la signature d’un accord bilatéral avec la France, qui concernerait le gouvernement du Royaume de Belgique, le gouvernement de la Région wallonne, le gouvernement de la Région flamande et le gouvernement de la Région Bruxelles-capitale. Dans la perspective d’une conclusion prochaine, les services du ministère des affaires étrangères et la direction générale des collectivités locales du ministère de l’intérieur finalisent en ce moment un projet de convention.
Le Gouvernement regrette de ne pouvoir donner un avis favorable à cet amendement. En effet, le droit interne ne saurait déroger à une convention internationale signée et ratifiée. C’est la raison pour laquelle je vous demande moi aussi, monsieur Leconte, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement est-il maintenu ?
M. Jean-Yves Leconte. J’ai indiqué qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, ayant conscience qu’une disposition législative nationale ne pouvait s’appliquer hors de notre territoire. Je prends note des travaux menés par le Gouvernement sur cette question et je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 4 est retiré.
Article 2
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’autorisation ne peut être délivrée que si la création ou l’extension envisagée est compatible avec les dispositions du schéma régional des crématoriums mentionné à l’article L. 2223-40-1. » – (Adopté.)
Article 3
Dans chaque région, le premier schéma régional des crématoriums est arrêté dans un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi. Par exception au III de l’article L. 2223-40-1 créé par la présente loi, il est révisé au bout de trois ans.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Seconde phrase
Supprimer les mots :
créé par la présente loi
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il s’agit d’un amendement purement rédactionnel, tendant à supprimer une mention inutile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il arrive assez fréquemment qu’un tel sujet suscite un large consensus. Ce fut déjà le cas lors de l’examen de la loi de 2008 relative à la législation funéraire.
Sur un tout autre thème, ce fut aussi le cas pour une très importante proposition de loi relative aux sondages, adoptée à l’unanimité par le Sénat, sur l’initiative de M. Portelli et de moi-même, mais qui est toujours en attente d’examen par l’Assemblée nationale. Or il s’agit d’un vrai sujet pour la démocratie.
Le Sénat a également adopté à l’unanimité une proposition de loi, qui avait été inspirée par Robert Badinter, relative au rôle du juge français en matière d’infractions relevant de la Cour pénale internationale. Je crois savoir que l’Assemblée nationale s’intéresse au sujet et pourrait même étudier ce texte dans les jours ou les semaines qui viennent. Eu égard à un certain nombre d’enjeux internationaux sur lesquels il ne me semble pas utile de s’étendre, il serait important pour la France qu’il puisse être adopté définitivement avant la fin de la session extraordinaire prévue en juillet.
Pour en revenir au présent texte, je remercie très chaleureusement notre rapporteur, Jean-René Lecerf, ainsi que l’ensemble des collègues qui ont bien voulu participer à ce débat.
5
Usage des techniques biométriques
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi visant à limiter l’usage des techniques biométriques, présentée par M. Gaëtan Gorce et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 361, texte de la commission n° 466, rapport n° 465).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Gaëtan Gorce, auteur de la proposition de loi.
M. Gaëtan Gorce, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi avoir choisi de présenter une proposition de loi visant à limiter l’usage de la biométrie aux seules finalités de sécurité ? Pourquoi prendre ainsi le risque de donner le sentiment de vouloir s’opposer à cette évolution inéluctable que l’on appelle encore le progrès ? Pourquoi vouloir priver nos concitoyens de la possibilité d’ouvrir une session sur leur smart phone grâce à la reconnaissance faciale ou d’accéder à un équipement public par lecture du contour de la main ? Bref, comme me le reprochait l’autre jour une personnalité intervenant dans le cadre d’un débat fort opportunément organisé par M. le président de la commission des lois, pourquoi créer des difficultés en obligeant chacun à continuer à mémoriser un code, à utiliser une carte ou à acheter un ticket ?
Je n’oublie pas que ces questions recouvrent de forts enjeux économiques, industriels, technologiques, et je ne propose pas d’aborder ce sujet uniquement par le biais de la protection des libertés individuelles, même si beaucoup d’observations fort légitimes sont régulièrement formulées à ce titre, pour insister par exemple sur les risques d’interopérabilité entre les différents systèmes, évolution qui pourrait conduire à une mise sous profil de l’ensemble de nos concitoyens.
Je n’oublie pas non plus que, dans ce domaine, la réglementation reste extrêmement rigoureuse, puisque, sous l’empire de la loi de 1978, modifiée en 2004, c’est le régime d’autorisation qui prévaut toujours aujourd’hui pour la mise en place de tels traitements de données biométriques.
Je n’oublie pas, enfin, les travaux qui ont été menés par le Parlement, et notamment par le Sénat, sous la responsabilité, en particulier, de Jean-René Lecerf.
Si j’ai suggéré, au travers de cette proposition de loi, reprise par le groupe socialiste, d’aborder la question du traitement des données biométriques, c’est qu’il m’a semblé que trois problèmes devaient absolument être débattus dans les assemblées parlementaires.
Le premier d’entre eux a trait à l’ampleur du changement technologique que nous connaissons aujourd’hui. Naturellement, la nouveauté tient non pas à l’importance de l’innovation dans nos sociétés, puisque celle-ci est au cœur de nos économies depuis plus de deux siècles, notamment depuis la révolution industrielle, mais au fait qu’elle prend aujourd’hui une dimension et surtout un rythme qui n’ont plus rien à voir avec ce que nous avons connu auparavant. L’introduction de la machine à vapeur ou de la machine à tisser dans les modes de production s’est opérée sur des décennies et elle a modifié très progressivement les façons de vivre et de travailler. La révolution permise par l’électricité s’est effectuée un peu plus rapidement, mais l’échelle de temps fut néanmoins celle d’une vie humaine.
Ce qui se passe aujourd’hui, notamment avec la révolution numérique, c’est que le changement technologique s’opère à une vitesse telle que les habitudes, les pratiques et les usages deviennent caducs en l’espace de quelques années.
En la matière, les chiffres sont spectaculaires. On considère par exemple que, au rythme d’innovation observé en 2000, il aurait fallu simplement vingt ans pour mettre en œuvre l’ensemble des innovations intervenues tout au long du XXe siècle, et que, à ce rythme, on aurait pu mettre en place en moins d’un siècle la totalité des innovations réalisées par l’humanité depuis que la civilisation s’est organisée.
C’est dire la vitesse à laquelle le changement est en train de s’opérer. Nous pouvons parfois avoir le sentiment d’être moins à l’initiative du changement que, d’une certaine manière, produits par lui, et celui que les créatures produites par la technologie sont en voie de nous échapper.
Cela pose évidemment la question de la démocratie. En effet, si le changement est non plus le fait de la volonté politique, mais celui d’un mouvement qui lui échappe et dans lequel elle est intégrée, la question de savoir quelle société nous voulons revêt des aspects nouveaux. C’est la raison pour laquelle il m’a semblé indispensable que nous puissions nous interroger sur ces évolutions.
La deuxième raison qui m’a conduit à déposer ce texte tient à la nature du changement. Jusqu’à présent, le changement technique, l’innovation technologique avaient surtout concerné les organisations. Depuis maintenant quelques décennies, ils touchent à la personne elle-même.
Certes, la révolution numérique porte sur des aspects qui intéressent la personne dans ses éléments les plus essentiels, à commencer par la connaissance. Elle traite des données qui touchent à sa vie quotidienne, à son travail, à ses loisirs, aux recherches qu’elle opère pour effectuer des transactions commerciales, mais aussi aux relations que l’on entretient avec ses proches ou avec ses amis. Toutes ces données font l’objet de traitements de plus en plus rapides, de plus en plus poussés, souvent à des fins commerciales, parfois à des fins de renseignement et de police, comme l’a révélé l’affaire Snowden.
Avec le traitement des données biométriques, ce sont des éléments qui touchent au corps physique, à son intégrité, qui sont désormais mis en jeu. Cette évolution mérite un débat, d’autant que le cadre juridique dans lequel elle s’opère me paraît mal ajusté. En effet, aujourd’hui, il existe en réalité peu de protections. J’ai évoqué à l’instant les lois de 1978 et de 2004, auxquelles s’ajoute la perspective d’un règlement européen, mais rien n’encadre les conditions dans lesquelles la Commission nationale de l’informatique et des libertés est amenée à autoriser les traitements biométriques. Les critères sont laissés à sa seule appréciation, ce qui conduit aujourd’hui la CNIL à autoriser des traitements biométriques non plus simplement de sécurité, mais aussi de confort, par exemple la reconnaissance du contour de la main pour accéder à une cantine scolaire ou à un équipement sportif, ce qui banalise indiscutablement le recours à la biométrie et crée une situation nouvelle.
À cela s’ajoute le fait que, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel – c’est vrai aussi pour le Conseil d’État – a été amené à refuser aux données biométriques une protection équivalente à celle qui prévaut pour le corps humain, les principes d’inviolabilité et d’indisponibilité ne s’appliquant pas, pour l’instant, à ces données. Or, comme je l’ai indiqué, ces dernières touchent à l’intimité de la personne. Leur utilisation et leur traitement posent, me semble-t-il, un problème extrêmement important d’ordre philosophique, et non pas simplement juridique ou économique : celui de l’objectivation de la personne.
Dans quelles conditions peut-on accepter que des éléments directement liés à la personne puissent être ainsi utilisés et traités ? Qu’est-ce qui nous paraît justifier le recours à ce type de données ? Ne peut-on pas considérer qu’il existe un risque, si la banalisation de l’usage de ces données devait s’installer, de mesurer la personne à la seule aune de critères quantifiables, numérisables, selon une logique purement économique, comme si, au fond, la valeur ou l’appréciation personnelle ne comptait plus ? Cela renvoie à ce que certains philosophes auraient autrefois appelé une « rationalité purement instrumentale ». N’y a-t-il pas là le risque d’un changement profond de notre société ?
Ce sont toutes ces questions que je souhaitais aborder au travers du texte que j’ai déposé, sans avoir le sentiment de pouvoir y apporter une réponse totalement satisfaisante, mais avec la conviction que ce débat devait se tenir dans nos assemblées, tant il a d’implications, non pas seulement sur les plans économique et juridique, mais aussi sur le plan philosophique.
La proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui ne vise donc pas à traiter de questions comme le développement de l’usage de la biométrie – je le regrette presque, mais il s’agit d’ouvrir le débat – dans le cadre des relations contractuelles unissant l’utilisateur d’un outil numérique à une société commerciale. Par exemple, on a vu qu’Apple avait la volonté de développer un nouveau type de téléphone mis en service par reconnaissance de l’empreinte digitale. Même si cet appareil n’a pas connu un grand succès, c’est un élément nouveau. On sait aussi que Facebook travaille actuellement sur un système de reconnaissance faciale, qui a pour objet non pas de faciliter l’activité des utilisateurs de ses services, mais d’améliorer le profilage, en essayant de repérer quelle est l’humeur de la personne au moment où elle entre une information ou passe une commande : s’agit-il d’un achat d’impulsion, d’un achat réfléchi, d’un achat fait sous l’emprise de la colère, d’une impatience ou d’un manque ? Tous ces éléments intéressent de grandes sociétés qui sont en train de transformer, à des fins commerciales, ce qui constitue notre vie même, en portant atteinte à notre droit à l’hésitation, à l’imprécision, à l’erreur, à l’errance, au secret…
Cette proposition de loi vise donc non pas, je le redis, à traiter de ces questions de relations contractuelles, mais simplement à marquer une borne : on ne doit pouvoir mettre en place un traitement de données biométriques qu’en cas d’exigence majeure de sécurité liée à la nature du site que l’on veut protéger, à la nature des personnes qui le fréquentent ou à la nature des informations concernées. Cette exigence doit dépasser le pur intérêt commercial et relever d’une préoccupation plus large.
Telle est, mes chers collègues, la motivation qui est la mienne. Je n’ignore évidemment pas que l’on s’expose à des critiques très vives en abordant ce sujet, puisque l’on peut donner l’impression de vouloir s’opposer à la marche inéluctable du progrès. J’ai pourtant le sentiment qu’en le faisant nous nous inscrivons dans la tradition de la Haute Assemblée, qui consiste à examiner les questions de fond avec patience et impartialité, en rappelant à notre société qu’elle ne doit pas simplement se conformer à des modes ou à la loi du marché, mais défendre des valeurs auxquelles elle reste attachée. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, parce que la biométrie embrasse l’ensemble des procédés qui identifient un individu à partir de la mesure de l’une ou de plusieurs de ses caractéristiques physiques, physiologiques, voire comportementales, parce que, produite par le corps, la donnée biométrique le désigne ou le représente de façon immuable, parce que ces données concernent la propriété la plus proche de l’immatérialité de chaque être, parce que les catégories classant ces techniques évoluent – la distinction entre données « à trace » et « sans trace » est ainsi bousculée par les progrès du traitement des images et la multiplication des engins vidéo, qui placent désormais la reconnaissance faciale parmi les techniques « traçantes » –, parce que ces évolutions peuvent inquiéter, la réflexion à laquelle nous invite Gaëtan Gorce est particulièrement opportune.
Le Sénat doit se donner une doctrine sur l’usage et la conservation des données biométriques, dans la perspective de l’examen prochain du projet de loi sur les libertés numériques.
Sur l’initiative de la CNIL, le législateur a soumis, par la loi du 6 août 2004, le traitement des données biométriques à un régime d’autorisation préalable. Afin de faciliter le travail de la CNIL, l’article 25 de cette loi dispose que les traitements identiques peuvent être autorisés par une décision unique : cela concerne, par exemple, la reconnaissance par le contour de la main pour l’accès à un restaurant scolaire.
La France s’est ainsi dotée de l’un des régimes les plus protecteurs en la matière, mais sans que le législateur se soit prononcé sur la pertinence des différents usages des techniques biométriques, laissant à la CNIL toute latitude pour élaborer une doctrine.
Or cette dernière est en cours d’évolution. Comme pour toute autre autorisation, l’examen par la CNIL consiste en l’analyse de la proportionnalité eu égard à la finalité envisagée. De 2005 à 2012, la CNIL a distingué les techniques biométriques « à trace » – les données sont susceptibles d’être capturées à l’insu de la personne – des techniques « sans trace », reposant par exemple sur la reconnaissance du contour de la main, de la voix, du réseau veineux du doigt ou de l’iris.
À partir de 2013, la CNIL a pris conscience de la faiblesse de cette classification et engagé une réflexion en envisageant trois cas.
Le premier cas est celui de la biométrie de sécurité, indispensable pour répondre à une contrainte de sécurité physique ou logique d’un organisme. Les personnes à qui elle est imposée doivent cependant être informées des conditions d’utilisation du dispositif : on peut penser, par exemple, à celui qui protège l’accès à l’Île-Longue.
Le deuxième cas est celui de la biométrie de service ou de confort, reposant sur le libre consentement de l’usager, qui se voit proposer, sans contrainte ni surcoût, un dispositif alternatif.
Enfin, le troisième cas a trait aux expérimentations, c’est-à-dire aux travaux de recherche fondamentale menés par des laboratoires ou au test de dispositifs avant leur mise en œuvre éventuelle.
Adaptant ses exigences aux finalités de chaque traitement, la CNIL ne s’autorise pas à juger de leur pertinence. Or l’utilisation de la biométrie se banalise et se répand dans tous les domaines de la vie quotidienne, notamment pour sécuriser les transactions financières.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui peut faire office de première pierre à la construction de la réflexion sénatoriale. Gaëtan Gorce s’interroge sur la légitimité de certains usages, comme le contrôle de l’accès aux cantines scolaires. Sécurisante par son ergonomie, la biométrie de confort n’est, il est vrai, guère rassurante quant à la valeur du consentement des usagers : les parents ont-ils vraiment le choix de refuser l’application de ces techniques pour la fréquentation des cantines par leurs enfants ?
L’exposé des motifs de la proposition de loi invite à réfléchir à un statut spécifique pour les données biométriques qui ne peuvent bénéficier de la protection de l’article 16-1 du code civil. Le dispositif du texte vise à compléter l’article 25 de la loi du 6 janvier 1978, qui soumet à autorisation de la CNIL les traitements non étatiques. Les traitements mis en œuvre pour le compte de l’État seraient ainsi exclus du champ de la proposition de loi, qui n’encadrerait que le pouvoir de la CNIL, et non le pouvoir réglementaire. À ce propos, je rappelle que le Conseil constitutionnel, par sa censure partielle de la loi de 2012 relative à la protection de l’identité, n’a pas interdit l’usage de la biométrie, mais seulement restreint la portée de certains fichiers.
La proposition de loi ne définit pas un statut de la donnée biométrique, mais elle conditionne l’autorisation de son traitement par la CNIL à une « stricte nécessité de sécurité ». Cette formule pose problème ; nous y reviendrons.
Ne sont pas incluses dans le champ de la proposition de loi les activités exclusivement personnelles, comme l’ouverture de sessions sur les nouveaux iPhones par reconnaissance digitale ou faciale. Ce sujet mériterait pourtant réflexion.
Quant aux effets des mesures du texte proposé sur les dispositifs existants, la CNIL estime avec raison que toutes les autorisations ayant été délivrées jusqu’à présent ne seraient pas reconduites et que sa nouvelle doctrine ne pourrait être conservée. Enfin, la proposition de loi autorise implicitement les expérimentations.
Le problème fondamental est celui du rôle que nous voulons jouer : en 2004, le législateur n’a pas saisi l’occasion de se prononcer sur les usages légitimes de la biométrie ; j’estime que ce rôle lui revient et qu’il ne peut le laisser à un organisme comme la CNIL, si sérieux soit-il.
Or le Gouvernement devrait déposer un projet de loi sur les libertés numériques. Le Conseil de l’Europe s’apprête à réviser la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 » : son article 6 inviterait le législateur à encadrer le traitement des données biométriques.
Je partage l’objectif de promouvoir un usage raisonné des techniques biométriques, sous quelques réserves.
Il faut que notre décision soit cohérente avec le règlement européen à venir sur la protection des données à caractère personnel, qui sera d’application directe. Toute contrainte a priori serait supprimée au bénéfice d’un contrôle a posteriori renforcé. La résolution législative du Parlement européen du 12 mars 2014 interdit le traitement des données biométriques en prévoyant des exceptions, en particulier si la personne y a consenti, à moins qu’une disposition nationale n’y fasse obstacle.
La notion de stricte nécessité de sécurité a semblé insuffisamment précise à de nombreuses personnes entendues lors des auditions. Je suggère qu’elle soit précisée et comprise de façon ni trop large ni trop étroite, car cela pourrait être contreproductif, les acteurs se trouvant incités à acheter à l’étranger des services pour échapper à la loi française. La notion d’intérêt excédant l’intérêt propre de l’organisme, introduite par une communication de la CNIL de 2007, pourrait nous y aider. Enfin, pour éviter que certaines dispositions ne se trouvent « hors la loi », un dispositif transitoire est nécessaire.
L’examen de cette proposition de loi ouvre donc un débat utile sur un patrimoine humain qui doit être protégé. Le Sénat doit se forger une opinion sur la question et affirmer que l’on ne peut faire n’importe quel usage des données biométriques, même pour des raisons de confort.
J’en viens maintenant au texte de la commission des lois. Sur mon initiative, celle-ci a adopté deux amendements.
Je commencerai par évoquer le second, qui crée un article 2 : il n’a, semble-t-il, posé aucune difficulté. Il prévoit un dispositif transitoire afin d’accorder un délai de trois ans aux responsables de traitements de données biométriques pour se mettre en conformité avec la nouvelle législation.
En revanche, le premier amendement, qui tend à récrire l’article 1er, a suscité des interrogations et des hésitations. Une critique a été émise à l’encontre de l’imprécision des expressions « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme » et « préjudice grave et irréversible ». Je m’arrêterai donc un instant sur chacune d’entre elles pour expliquer mon intention ; nous pourrons ensuite en débattre sereinement.
La première condition est donc posée par l’expression « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme ».
Ce qui motive l’emploi de cette expression, c'est la volonté de proclamer la nature particulière des données biométriques et d’affirmer que leur utilisation, loin d’être anodine, doit répondre à un intérêt en quelque sorte « supérieur ». Si la société accepte que soit utilisé ce type de données, c’est à la condition qu’elle y trouve son compte, soit en tant que collectivité, soit au travers de chacun de nous. Cette expression peut recouvrir, en particulier, le cas d’usage de la biométrie dans la sécurisation des transactions financières, car, au-delà de l’intérêt de la banque et du commerçant, il y va bien de l’intérêt même du citoyen consommateur. Cela étant dit, nous verrons à l’occasion de la discussion que la rédaction de cette condition peut être amendée.
En revanche, cette expression étant, en quelque sorte, issue de la jurisprudence de la CNIL, il ne peut lui être opposé le grief d’imprécision. Comment peut-on prétendre qu’il y a ici un risque d’insécurité juridique, alors même que nous disposons du corpus des délibérations de la CNIL pour nous assister dans son interprétation ?
J’invite ceux dont le doute persisterait à consulter la communication de la CNIL en date du 28 décembre 2007. Celle-ci nous fournit de nombreux exemples de dispositifs autorisés parce qu’ils relèvent d’un « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme ». C'est notamment le cas pour la protection d’installations nucléaires, de sites classés SEVESO, d’entreprises travaillant pour la défense nationale, de salles contenant des informations classées « confidentiel défense », et même de bâtiments d’un service de l’éducation nationale contenant les sujets d’examen et de concours.
La seconde condition est contenue dans l’expression « préjudice grave et irréversible », issue de l’exposé des motifs de la proposition de loi de Gaëtan Gorce.
Je rappelle que nous nous situons ici dans le cadre de la loi Informatique et libertés, qui vise à protéger les personnes en matière de traitements de données à caractère personnel. Mes chers collègues, cette expression sera maintenue si vous l’acceptez, le Gouvernement l’acceptant pour sa part.
Je ferai en outre observer que, à l’heure du numérique, toute donnée est aisément reproductible et peut être stockée à moindre coût en de multiples endroits. En cas de fuite, les conséquences sont donc effectivement irréversibles.
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de l’accès à mon « nuage ». Si j’avais recours, demain, à une technique biométrique pour accéder à mon espace sur un cloud et si celui-ci était piraté, le hacker pourrait disposer de mon identifiant et l’utiliser pour usurper mon identité. La conséquence serait grave : je ne pourrais plus utiliser cet élément biométrique pour m’identifier à l’avenir ; autrement dit, une partie de moi-même ne m’appartiendrait plus !
Sous réserve de l’adoption d’amendements tendant pour l’essentiel à affiner la rédaction du texte, et avec l’accord unanime des membres de la commission des lois, je propose au Sénat d’adopter cette proposition de loi. (Applaudissements.)
(M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat se situe à l’interface entre le passé et l’avenir. Cicéron disait que « si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes ». C’est dire que le corps a un sens et que son utilisation n’est pas anodine. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le peuple Masaï, en Tanzanie, refuse d’être photographié, par crainte de voir son âme volée…
Le sujet que nous examinons aujourd’hui suscite une inquiétude bien réelle, répondant à un sentiment d’insécurité de nos compatriotes qu’il faut savoir entendre.
Ainsi, une étude récente du CREDOC montre que les Français sont réservés quant à l’usage de la biométrie dans la vie quotidienne. Ils acceptent que les données biométriques soient utilisées dans le cadre des fichiers de police ou pour l’établissement de pièces d’identité, car cela relève du domaine régalien, de l’institutionnel, de la sécurité nationale. En revanche, leurs réticences sont plus fortes lorsque ces données sont destinées à être utilisées dans un cadre marchand : par exemple, moins de 30 % des Français souhaitent qu’il en soit fait usage pour les transactions bancaires.
Ce constat est paradoxal, sachant que les Français sont très friands d’innovations. La présente proposition de loi a pour objet de résoudre ce paradoxe, en conciliant le choix de l’innovation et la préservation des libertés et du respect de la vie privée.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement considère qu’il est très opportun qu’un tel débat se tienne au Parlement. La législation française est complète et très protectrice des données personnelles, surtout si on la compare à d’autres cadres législatifs en vigueur en Europe ou ailleurs dans le monde. Néanmoins, la loi de 1978 Informatique et libertés ne précise pas quelles doivent être les finalités de la collecte et de l’usage des données biométriques.
Je remercie donc la commission des lois du Sénat, en particulier MM. Gorce et Pillet, d’avoir engagé cette réflexion. Le sujet est fondamental, car il touche à l’intégrité et à la dignité du corps humain. À cet égard, le chapitre II du titre Ier du code civil sous-tend l’ensemble du corpus réglementaire relatif aux données biométriques. On le voit bien, l’esprit du code civil doit nous inspirer dans ce débat. Cela est d’autant plus vrai que les données biométriques ont des caractéristiques particulières : elles sont irrévocables et revêtent un caractère d’unicité et de permanence.
Ce débat s’inscrit dans le contexte d’une réticence des Français quant à l’usage des données biométriques et d’un recours croissant aux applications biométriques. Le nombre des autorisations délivrées par la CNIL ne cesse d’augmenter. Les usages se développent, notamment en matière de paiement de transactions et d’utilisation de la reconnaissance faciale ou vocale pour l’ouverture de sessions sur des terminaux mobiles.
Faut-il d’emblée s’insurger ? Certaines applications concrètes nous montrent que certains usages des données biométriques peuvent être utiles. Nous comptons en France des entreprises leaders, au niveau mondial, en matière de développement de terminaux biométriques reposant par exemple sur l’usage de deux types de données, pour limiter les risques d’usurpation d’identité. La biométrie est donc utile pour répondre au sentiment d’insécurité né du progrès technologique.
On peut également citer d’autres applications, ayant vu le jour, en particulier, au sein du pôle de compétitivité de Lille. Il est notamment possible de développer des prototypes de systèmes de paiement avec authentification biométrique et stockage sécurisé sur un support détenu par les individus. En l’occurrence, il s’agit de régler une transaction commerciale au moyen d’un support autonome et individuel contenant les données biométriques d’une personne, sans stockage par une entreprise ou une tierce partie.
La France est aussi à l’avant-garde de ce que l’on appelle la « crypto-biométrie », qui permet de rendre les données biométriques révocables. En cas de vol de données, il est alors possible de rechercher et de récupérer des données biométriques.
Je me permets de vous alerter, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le risque de bloquer la recherche et le développement dans ce secteur.
On a évoqué l’exemple du déverrouillage d’un téléphone portable par reconnaissance de l’empreinte d’un seul doigt. En réalité, le niveau de sécurité de cette technique « gadget » est assez faible. Il s’agit surtout là d’un usage qui relève de l’exception domestique au sens où l’entend la CNIL, les données étant stockées dans le téléphone et ne faisant pas l’objet d’une collecte par une tierce partie.
Les cas de figure sont donc très divers, c'est pourquoi il est important de légiférer de manière éclairée, en prenant en compte toutes les applications pratiques.
On peut également citer l’exemple des récentes élections au Mali. En l’absence d’état civil, c’est à la collecte et à la vérification d’empreintes digitales qu’il a été recouru pour organiser un scrutin démocratique, dans un pays où la guerre n’a pas permis d’effectuer un recensement fiable de la population.
Toutefois, les risques liés à l’usage de techniques biométriques sont aussi importants. Je pense notamment à l’usurpation d’identité, qui peut avoir des conséquences graves, ainsi qu’à la perte ou à la corruption des bases de données biométriques. Par exemple, les empreintes digitales qui sont recueillies au moment de l’entrée sur le sol des États-Unis, que ce soit par voie aérienne, maritime ou terrestre, sont conservées pendant soixante-quinze ans. Je dois me rendre à New York à la fin du mois de juin : cela signifie que les Américains détiendront mes empreintes digitales jusqu’en 2089. Est-ce là ce que nous souhaitons pour notre pays et nos concitoyens ? En tout cas, cela aboutit à des pratiques extrêmes, en particulier de mutilation : certaines personnes se brûlent l’extrémité des doigts pour brouiller les pistes.
En outre, il est vrai que la reconnaissance faciale, qui est notamment permise sur certains réseaux sociaux, peut induire un sentiment de dépossession. La recherche de l’identité par l’image, qui est autorisée aux États-Unis, ne l’est pas en Europe, grâce à une législation protectrice, mais pour combien de temps encore ?
Enfin, concernant tout particulièrement les mineurs, il existe sans doute un risque réel de banalisation de l’usage des données biométriques, avec le développement d’une accoutumance et d’une acceptation, lié au confort que peut procurer cette pratique.
Toutes ces questions doivent être posées, c'est pourquoi ce débat est important.
Concernant la proposition de loi, je regrette qu’elle ne soit pas accompagnée d’une étude d’impact économique. Notre pays compte des sociétés innovantes qui ont développé des technologies en lien avec la confiance numérique. Ce secteur, en plein essor, est une source d’attractivité économique pour la France, qui dispose d’une législation protectrice en matière d’utilisation des données : nos sociétés ont dû s’adapter au cadre législatif et réglementaire et développer des technologies qui sont aujourd'hui recherchées à l’étranger. Il eût fallu pouvoir analyser l’impact d’une nouvelle législation sur ce domaine économique et industriel qui emploie des dizaines de milliers de salariés en France.
Nous touchons là à l’économie des données, des data, dont on dit communément, désormais, qu’elles sont le pétrole du XXIe siècle. De fait, les services sont aujourd'hui tournés vers leur collecte, et ils le seront plus encore à l’avenir. À cet égard, il faut s’inscrire dans la tradition des valeurs fondamentales françaises sans pour autant bloquer l’innovation en ce domaine.
Je suis pleinement d’accord avec certaines des propositions formulées par le rapporteur. Par exemple, je souscris à l’idée d’utiliser la biométrie à des fins de sécurité, pour permettre l’accès à des locaux ou à des ordinateurs. D’ailleurs, cette proposition va dans le sens de la jurisprudence de la CNIL, qui autorise l’usage des données biométriques pour l’accès aux locaux ou à la cantine d’une entreprise. En revanche, le recours aux données biométriques n’est désormais plus autorisé pour le contrôle des horaires.
Le rapporteur veut aussi permettre l’utilisation de données biométriques pour l’authentification en vue d’un paiement. Il s’agit là d’une technologie d’avenir, qu’il ne faut pas exclure a priori.
En revanche, il est proposé d’interdire l’usage des données biométriques concernant les mineurs, en particulier pour l’accès aux cantines scolaires. Cela me paraît relever du bon sens. Il est également proposé d’interdire a priori le recours à la biométrie pour accéder à des équipements tels que les piscines. Sur ce point, le débat reste ouvert, mais on peut en effet s’interroger sur l’opportunité d’utiliser ces technologies pour des usages dits de confort.
La proposition de loi aurait également gagné à être accompagnée d’une analyse des risques. En matière de systèmes d’information, un tel document vise à objectiver les mesures de sécurité à prendre pour répondre à des risques identifiés en fonction de certains critères, comme le nombre de personnes concernées, le type de données collectées, l’infrastructure informatique utilisée. Or, en l’espèce, aucune analyse des risques tenant compte des cas particuliers qui peuvent se présenter n’a été conduite.
La proposition de loi n’est pas non plus assortie d’une évaluation d’impact sur la vie privée. Bien que relativement récentes dans le droit des données personnelles, de telles évaluations se répandent aujourd'hui et sont utiles tant au législateur qu’aux citoyens et aux entreprises.
Enfin, mener un travail en collaboration avec des institutions telles que la CNIL ou l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, qui a mis au point certaines méthodes de travail pour développer des processus de certification et des normes de confiance dans d’autres secteurs que celui de la confiance numérique, pourrait être utile.
Le Gouvernement salue le travail des parlementaires. L’objectif doit effectivement être de fixer, par la voie législative, des principes clairs, de nature à guider les autorités administratives indépendantes dans leur travail, sans pour autant freiner l’innovation biométrique. Par exemple, il faut permettre que la recherche et le développement se poursuivent en la matière.
Afin d’améliorer le texte, tout en maintenant l’équilibre qui a été trouvé par la commission des lois, le Gouvernement a déposé un amendement, répondant à deux objectifs précis.
Premièrement, il s’agit de clarifier la finalité pour laquelle les traitements de données pourraient être autorisés. Dans le texte de la commission, deux finalités sont citées : le contrôle d’accès et la protection des personnes, des biens et des données. Cette seconde finalité me semble être la plus pertinente.
Deuxièmement, l’amendement du Gouvernement tend à clarifier la notion d’« intérêt excédant l’intérêt propre de l’organisme ». Cette notion nous semble insuffisamment précise : si elle renvoie à la doctrine technique de la CNIL, elle ne relève pas véritablement du domaine de la loi. Je crois que nous devrions affiner la terminologie juridique en ce domaine, notamment pour continuer à permettre l’utilisation des données biométriques pour les paiements en ligne. Lors d’un paiement, la sécurité ne sert pas seulement l’intérêt du marchand : elle sert aussi celui de l’usager, du consommateur et du marché économique de manière générale, puisque la sécurité de la transaction participe de la confiance des acteurs économiques dans leur ensemble.
Pour toutes ces raisons, je propose de poursuivre la démarche engagée par le Sénat, notamment par la création, si cela vous agrée, d’un groupe de travail qui serait chargé d’affiner la réflexion sur le sujet d’ici à l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. En fonction du calendrier législatif et du calendrier du travail gouvernemental, peut-être sera-t-il possible d’intégrer dans le projet de loi à venir certaines des dispositions qui auront été élaborées par les parlementaires.
Il existe une tradition française de protection des données. Vous l’aurez compris, notre objectif n’est pas d’aller à l’encontre de cette tradition. Au contraire, nous entendons l’affirmer et en faire une source d’attractivité sur le plan international. Pour autant, dans ce débat entre liberté et sécurité, il s’agit aussi de trouver le juste équilibre, pour ne pas freiner l’innovation en France et encourager les acteurs économiques et la puissance publique à agir en conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur l’utilisation des données biométriques.
Ce qui est peut-être le plus surprenant sur ce sujet, c’est la perception et la connaissance qu’en ont les Français. Comme l’a montré l’étude du CREDOC déjà citée, les Français sont assez nombreux à craindre un détournement des données biométriques par les entreprises privées ou les employeurs. En revanche, ils font confiance aux institutions en matière d’usage des données biométriques, notamment en matière de sécurité. Parallèlement, il me semble qu’ils méconnaissent toutes ces traces biométriques qu’on laisse partout où l’on passe, de façon automatique.
En vous écoutant, madame la secrétaire d’État, je pensais aussi aux phéromones, dont personne n’a encore parlé. Ces substances chimiques un peu particulières, qui signent chaque individu, font partie de ces données biométriques qui feront sans doute un jour l’objet d’investigations de la part des entreprises qui s’intéressent à ces sujets. Pour le coup, il me semble qu’elles sont parfaitement inconnues des Français !
Face aux données biométriques, la population oscille donc entre acceptation, rejet, crainte et inconscience.
De fait, on assiste à une certaine banalisation, qui me semble dangereuse, de ce que l’on appelle la « biométrie de services ». Nous en avons parlé, et M. Pillet l’a particulièrement signalé dans son rapport : il s’agit de tous ces dispositifs qui utilisent la reconnaissance biométrique pour l’accès aux services de restauration ou aux équipements de loisirs. Il existe même, dans un département, des cartes de fidélité gérées au moyen de données biométriques ! Il me semble que tous ces usages banalisés des données biométriques doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part du législateur, ainsi que d’un effort de pédagogie et d’explication auprès des Français.
Monsieur le rapporteur, comme vous l’avez très bien dit tout à l’heure, la donnée biométrique, c’est une partie de moi qui m’a échappé à un moment ou à un autre, sans que je l’aie voulu, sans que je l’aie accepté, sans que j’en aie été consciente. C’est pourquoi il me semble important de bien expliquer que la puissance de cet outil est aujourd’hui liée au développement des logiciels et de l’informatique ; profitons du présent débat pour le faire. Tout notre corps, tout ce qui en émane peut être numérisé en suites logiques, conservé de façon très simple, peut laisser des traces dans les logiciels informatiques et, par croisement de fichiers, être retrouvé.
On parle souvent de génétique et de chromosomes. Nous avons tous en tête l’image du petit chromosome XX ou XY, mais la signature chromosomique, ce n’est pas cela : c’est une succession de bases azotées – on a l’habitude, en biologie, de les désigner par leurs initiales, A, T, G et C – qui laisse une trace unique pour chacun dans les logiciels informatiques et permet de nous identifier.
Je ne suis pas certaine que, lorsque l’on parle de données biométriques, les Français pensent à leur comportement face à l’ordinateur, à leur façon de taper sur le clavier. Or il s’agit là de données biométriques importantes, qui, une fois de plus, laissent de nombreuses traces.
Au reste, la frontière qu’établissait autrefois la CNIL entre données « à trace » et données « sans trace » disparaît aujourd’hui, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur. Par exemple, toutes les techniques relevant de la reconnaissance faciale sont aujourd’hui traçantes, dans la mesure où, avec le développement de la vidéoprotection, de nombreuses images sont enregistrées, qui permettent de nous retrouver et de nous identifier.
Bien évidemment, je partage toutes les réserves énoncées par notre collègue Gaëtan Gorce sur les données biométriques et leur utilisation. Comme lui, je souscris à la nécessité de les protéger et de les considérer comme une partie de nous, comme une partie du corps humain, à ce titre inviolables, du moins en principe, même si le texte qui est soumis à notre examen aujourd'hui ne va pas jusqu’à donner un statut aux données biométriques.
Néanmoins, comme l’ont dit tant Gaëtan Gorce que M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État, les données biométriques et leur utilisation présentent tout de même des avantages. Heureusement ! Ainsi, elles permettent de limiter les usurpations d’identité.
Sur ce point, nous allons revenir à la discussion que nous avions eue, dans cette assemblée, sur la carte nationale d’identité biométrique. Ce qui faisait alors surtout débat, ce n’était pas tellement la donnée biométrique en elle-même : c’était son stockage. À cet égard, je pense qu’il importe de bien expliquer la différence entre un stockage centralisé, qui ne pourra jamais être sécurisé à 100 % et sera malheureusement toujours potentiellement accessible à des hackers ou à des personnes particulièrement malintentionnées, et un stockage limité à l’endroit, à l’accès que l’on veut protéger, à une carte ou à un badge porté par l’individu, qui conserve ainsi la maîtrise de ses données biométriques.
Il faut aussi bien expliquer la différence entre l’authentification et l’identification d’une personne. L’authentification ne peut se faire qu’en présence du corps et du prolongement du corps qu’est la donnée biométrique.
Il me semble extrêmement important de prendre tous ces éléments en considération et de les expliquer quand on parle aux Français de données biométriques.
La biométrie, ce n’est pas seulement les empreintes digitales ou l’ADN, c'est le comportement, c'est tout ce que notre corps émet, tout ce qui nous signe et que l’on peut aujourd'hui mettre en équations ou en suites numériques pour retrouver notre trace dans de multiples endroits, grâce au formidable développement des logiciels et de l’informatique.
Nous suivrons Gaëtan Gorce et voterons bien entendu cette proposition de loi, tout en restant conscients qu’elle ne règle pas tous les problèmes, qu’elle doit s'inscrire dans un débat sur le numérique et qu’il ne faut pas empêcher le développement technologique et la recherche. Dans un cadre imposé par le législateur, un équilibre doit être trouvé entre ce développement, dont dépend la place de la France en la matière sur la scène mondiale, et le nécessaire respect des libertés publiques et privées.
La présente proposition de loi, me semble-t-il, va dans ce sens. Il reste du travail à faire, des textes à examiner, notamment le projet de loi sur les libertés numériques qui viendra d’ici peu en discussion au Parlement, mais c'est déjà un premier pas important et intéressant que de limiter strictement l’usage des données biométriques à des finalités de sécurité, termes qui ont été explicités en commission par l’adoption de deux amendements du rapporteur et l’examen, ce matin même, d’un amendement du Gouvernement.
C'est donc sans hésitation que nous voterons le texte proposé par Gaëtan Gorce, que nous remercions de son travail, de même que M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ère de la biotechnologie et de l’informatique permet désormais l’entrée des phénomènes propres à la vie de l’espèce humaine dans l’ordre du savoir et du pouvoir, et par conséquent dans le domaine du droit.
Cette nouvelle ère conduit à une mise en réseau croissante de données individuelles, parmi lesquelles certaines, notamment les données biométriques, sont identifiantes. À l’heure de l’essor de la biométrie dans de nombreux domaines de la vie courante, le recours à ces techniques soulève des questions critiques en matière de sécurité et de liberté, auxquelles le législateur se doit de répondre.
La biométrie est un dispositif qui permet d’identifier un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales. Les données sont produites par le corps lui-même et le désignent de façon définitive, permettant de ce fait le « traçage » des individus et leur identification certaine.
La liste des procédés biométriques actuellement opérationnels va de l’identification de l’ADN, de l’empreinte digitale ou de l’empreinte palmaire à la reconnaissance de la rétine, de l’iris, du visage, du contour de la main, de la voix, de l’écriture manuscrite au travers de l’analyse dynamique des gestes usuels accomplis par chacun pour signer ou encore de la façon de taper sur un clavier.
Or le risque est bien aujourd’hui celui de la banalisation du recours à la biométrie, avec la tentation de substituer celle-ci à d’autres outils de sécurisation tout aussi performants, en toutes circonstances. Citons un exemple de cette diversification des usages de la biométrie : le 18 juin 2009, la CNIL a autorisé pour la première fois le recours à un système biométrique reposant sur la reconnaissance du réseau veineux pour lutter contre la fraude à un examen. Cependant, il ne faudrait pas croire que toutes les fraudes peuvent être décelées : dans ce domaine, l’imagination est très fertile…
L’identification biométrique est devenue une pratique courante dans les entreprises, notamment pour le contrôle de l’accès aux locaux, mais aussi pour le contrôle de l’accès physique aux cantines scolaires, aux équipements de loisirs, aux salles de sport, aux cercles de jeux, ainsi que pour le contrôle de l’accès logique à des services ou à des applications, pour la signature de documents électroniques, la gestion d’une carte de fidélité, l’accès à un dossier médical partagé… À ce propos, je pense que la biométrie pourrait également être utile en matière de dons d’organes : ce champ d’application n’a pas encore été totalement exploré.
Cette diversification des usages de la biométrie, qui se double de leur banalisation, est en grande partie due à la souplesse du contrôle opéré par la CNIL. La loi Informatique et libertés de 2004, qui a modifié la loi de janvier 1978, a subordonné la mise en œuvre de tous les traitements automatisés comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité des personnes à l’autorisation préalable de la CNIL, hormis ceux qui sont mis en place pour le compte de l’État : seul l’avis de cette instance est alors requis.
Toutefois, afin de faciliter la tâche de la CNIL, les dispositifs biométriques qui visent une même finalité et des catégories de données et de destinataires identiques sont autorisés par des décisions-cadres de la CNIL appelées « autorisations uniques ».
Les risques d’une généralisation de ce « biopouvoir » sont grands. Je prendrai l’exemple, déjà évoqué par Mme la secrétaire d’État, de l’usage récent de cette technique par un fabricant de téléphones qui a intégré un capteur biométrique permettant le déverrouillage du smartphone par passage du doigt de son utilisateur : ce dispositif a été récemment piraté.
L’initiative de notre collègue Gaëtan Gorce est extrêmement heureuse en ce qu’elle nous met face à nos responsabilités. Quel est l’avenir du traitement des données, notamment de ces données « individualisantes » permettant la traçabilité ?
La NSA – l’agence nationale de la sécurité américaine – a illégalement capté les secrets ou surveillé la simple vie privée des Français dans une mesure jusqu’à présent inégalée. Ainsi, sur une période de trente jours, de décembre 2012 à janvier 2013, la NSA a procédé à plus de 60 millions d’enregistrements de données téléphoniques concernant des citoyens français… L’ampleur de ces débordements est édifiante ! Il reste que le traitement de telles masses de données requiert beaucoup de temps.
La proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce a le mérite de susciter un questionnement. Elle prévoit de conditionner l’autorisation de la mise en œuvre d’un traitement de données biométriques à une « stricte nécessité de sécurité », définie comme « la sécurité des personnes et des biens, ou la protection des informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible ». Eu égard à la difficulté de modifier l’état antérieur de la législation, le texte prévoit en outre un dispositif transitoire.
J’en viens maintenant aux quelques réserves que le groupe RDSE tient malgré tout à exprimer. Le texte proposé laisse de côté la construction d’une définition des données biométriques. Par ailleurs, les moyens mis à la disposition de la CNIL sont insuffisants, comme l’a fait remarquer M. le rapporteur.
En outre, il semble que le calendrier de cette proposition de loi ait joué. Étant donné l’état actuel des discussions sur le règlement européen relatif au traitement des données personnelles, le texte ne pouvait être que d’une ambition modeste, et l’on peut dire qu’il nous arrive de manière trop précoce, lançant un débat à venir… Dans un délai de deux années, en fonction de l’avancée des négociations à l’échelle européenne, il sera nécessaire de procéder à un certain nombre d’ajustements de la législation française –notamment de la loi du 6 janvier 1978 – à des fins d’harmonisation. Le règlement européen pourrait ainsi substituer à la contrainte a priori un renforcement a posteriori de la responsabilité des opérateurs. Par ailleurs, le Gouvernement doit prochainement présenter un projet de loi sur les libertés numériques, ce qui permettra un débat global sur ces questions recouvrant des enjeux nationaux et internationaux et évitera l’adoption d’une approche par trop stratifiée.
Sous ces réserves, notamment calendaires, mon groupe approuvera la proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres, puisqu’elles présentent la particularité d’être permanentes et spécifiques à un individu. Ainsi, elles permettent le « traçage » des personnes et leur identification certaine. Le caractère sensible et très personnel de ces données impose un encadrement et un contrôle de leur collecte.
Cependant, la frontière entre privé et public tendant aujourd’hui à s’estomper, notamment sur internet, le danger d’une violation de l’espace privé ne se limite évidemment pas à la seule utilisation des données biométriques. Nous attendons donc avec impatience que le projet de loi sur les libertés numériques promis par le Gouvernement soit présenté et soumis au Parlement.
De plus en plus de dispositifs de reconnaissance biométrique sont mis en place, notamment pour contrôler l’accès à des locaux professionnels, commerciaux, scolaires ou de loisirs.
Comme en de nombreux domaines, tout est ici affaire de mesure. Un usage abusif de ces techniques biométriques est à éviter puisque, rappelons-le, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres : elles sont intrinsèques à l’individu et le définissent irrémédiablement.
En même temps, il convient de ne pas ouvrir la voie à un verrouillage qui risquerait d’entraver l’innovation en matière de techniques biométriques, d’autant qu’il s'agit d’un domaine pourvoyeur d’emplois, dans lequel la France est en pointe. J’ajouterai qu’il serait chimérique d’envisager un tel verrouillage…
En revanche, est-il bien raisonnable de mettre en place un système biométrique pour autoriser l’accès de jeunes enfants à la cantine ou à la piscine ?
Au sein du groupe écologiste, nous sommes loin d’en être convaincus, et nous souscrivons à ces propos tenus en 2011 par notre collègue Alex Türk : « Face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ; dans vingt ans il sera trop tard… »
Au regard du droit et des libertés fondamentales, la biométrie oppose, à l’évidence, l’exigence collective de sûreté au droit individuel à la protection des données et au respect de la vie privée. Cela invite donc à trouver un équilibre entre ces droits et intérêts légitimes.
Certes, la mise en place de dispositifs biométriques est soumise à autorisation préalable de la CNIL. Toutefois, la collecte et le traitement des données ne sont conditionnés à la poursuite d’aucune finalité particulière. C’est cette lacune que la présente proposition de loi vise à combler, et nous partageons la volonté de ses auteurs de mettre en place des garde-fous en la matière.
Il s’agit ainsi de compléter la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, afin de conditionner l’usage des données biométriques à une stricte nécessité de sécurité – et rien d’autre – et de répondre à un souci de proportionnalité entre la nature de l’information ou du site à sécuriser et la technologie utilisée. La sécurité est entendue comme celle des personnes et des biens, ou au sens de la protection des informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porteraient un préjudice grave et irréversible.
Nous nous situons ici dans la droite ligne de la position du Conseil de l’Europe, qui, à l’occasion de la révision de la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 », invitait le législateur français à se pencher sur cette question.
L’article 6 du projet final de convention stipule en effet que le traitement de données biométriques identifiant un individu de façon unique « n’est autorisé qu’à la condition que la loi applicable prévoie des garanties appropriées » venant compléter celles de la convention. Il précise en outre que « les garanties appropriées doivent être de nature à prévenir les risques que le traitement de données sensibles peut présenter pour les intérêts, droits et libertés fondamentales de la personne concernée, notamment un risque de discrimination ».
Le groupe écologiste est très attaché à la protection de la vie privée, du corps humain et, plus généralement, à la défense des libertés individuelles. À condition que son adoption n’entrave pas l’évolution des techniques biométriques sécurisées, nous soutiendrons ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui témoigne une nouvelle fois du souci du Sénat de se dresser en protecteur et défenseur des libertés individuelles. Il est important de le souligner, alors que trop souvent la Haute Assemblée est la cible de critiques : c’est le Sénat qui a joué un rôle pionnier dans les années soixante-dix, lors de la formation des premières autorités administratives indépendantes ; c’est également notre chambre qui a été en avance sur les sujets dits « modernes », par exemple avec l’adoption le 23 mars 2010, pour faire suite au rapport d’information réalisé par Anne-Marie Escoffier et moi-même, de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, jamais inscrite, hélas, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Hélas !
M. Yves Détraigne. La biométrie, cette science qui regroupe l’ensemble des techniques informatiques visant à reconnaître automatiquement un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales, évolue toujours plus. La première génération des techniques liées à la reconnaissance anatomique, au travers des empreintes digitales ou oculaires, laisse progressivement place à des procédés de reconnaissance dynamiques tels que l’analyse de la démarche ou même de la frappe au clavier d’ordinateur. Tous ces progrès sont, il est vrai, impressionnants sur un plan technique.
Or, il semblerait que nous assistions aujourd’hui à une banalisation excessive de l’usage de la biométrie, qui touche pourtant à ce qu’il y a de plus intime et de plus personnel pour un individu : ses empreintes, son ADN, son iris, bref tout ce qui le distingue en dernier lieu de toute autre personne sur la Terre. La biométrie s’insinue ainsi dans tous les aspects de notre vie quotidienne.
Le succès, peut-être trop éclatant, de ces technologies fait peser un risque important sur les libertés de nos concitoyens. On imagine encore difficilement à quoi pourrait aboutir un détournement massif des données biométriques, mais il est clair que celles-ci sont trop précieuses et trop sensibles pour que leur usage soit banalisé, et que les techniques permettant leur collecte et leur traitement sont trop intrusives pour être aussi largement diffusées.
Il est donc important qu’intervienne le législateur. En 2011, notre collègue Alex Türk, ancien président de la CNIL, indiquait déjà que, « face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ». Il ajoutait que, dans vingt ans, il serait trop tard…
En effet, ainsi que le souligne fort justement notre collègue Gaëtan Gorce dans sa proposition de loi, le régime juridique actuel de la régulation des techniques biométriques ne semble plus adapté aux usages contemporains de ces technologies.
La loi du 6 aout 2004 avait pourtant doté la France d’un régime particulièrement protecteur et unique en Europe, avec la mise en place d’un contrôle a priori par la voie de la délivrance d’une autorisation préalable, accordée par une autorité administrative indépendante, la CNIL.
Près de dix ans plus tard, au vu des évolutions technologiques, les législateurs que nous sommes peuvent penser que ce régime laisse peut-être une part trop importante de la décision à la CNIL, qui demeure finalement seule compétente pour autoriser l’emploi des techniques biométriques. Or cette autorité administrative, si elle est indépendante, n’est pas pour autant toute-puissante. Elle ne dispose pas de pouvoirs de contrôle suffisants pour parer à tous les risques potentiels liés à une banalisation ou à une diffusion trop grande de ces techniques et des données collectées.
En outre, la loi en vigueur ne conditionne pas l’octroi de l’autorisation préalable à des finalités particulières ou à des modalités spécifiques de contrôle. La CNIL a donc dû développer sa propre doctrine d’intervention pour faire face à la demande massive et exponentielle d’utilisation de techniques biométriques.
Nous partageons tous, dans cet hémicycle, le sentiment que ce système n’est plus satisfaisant en l’état. En effet, les données biométriques, si elles ne sauraient se confondre avec le corps humain lui-même, sont la production et le prolongement de ce dernier. Elles peuvent donc être utilisées à des fins a priori sensibles.
Dès lors, l’intervention du législateur est justifiée par l’article 34 de la Constitution, qui dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Deux voies étaient théoriquement ouvertes au législateur : soit un accroissement des pouvoirs de la CNIL, soit une définition en amont, resserrée et restrictive, du domaine du biométrique et de ses applications. C’est la seconde option qui a été retenue par notre collègue Gaëtan Gorce, auteur de la présente proposition de loi. À titre personnel, je pense que c’est le choix le plus avisé et le plus approprié au regard des enjeux. En effet, afin d’éviter une banalisation excessive, il paraît opportun de limiter ce phénomène en amont plutôt que de chercher à en contrôler les conséquences, qui, pour l’heure, nous dépassent.
Si la rédaction initiale de la proposition de loi avait le mérite de poser le problème, elle ne permettait pas de le résoudre, se contentant de conditionner l’octroi de l’autorisation de la CNIL à de « strictes nécessités de sécurité ». Son adoption en l’état aurait contraint l’administration à formuler un certain nombre de mesures réglementaires aux fins de précision. Or celle-ci n’a pas à donner d’injonctions à une autorité indépendante.
Je tiens donc à saluer le travail effectué par notre commission des lois, sous l’égide de son rapporteur, François Pillet. En dressant une liste plus spécifique d’usages de la biométrie, le texte, tel qu’issu des travaux de la commission, tend à établir un statut, voire une définition, de la donnée biométrique.
Dans tous les cas, le dispositif qui est désormais proposé permet au moins de justifier en droit et au niveau législatif l’autorisation de l’emploi des techniques biométriques. Il prévoit en outre les mesures transitoires nécessaires pour assurer une pleine et entière sécurité juridique de la mise en œuvre du texte.
Au-delà de ce satisfecit adressé à la commission des lois et à son rapporteur, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Gorce. J’espère que le débat prospérera et que nous parviendrons à transcrire dans la loi l’équilibre manifestement opportun qui a été trouvé par la commission des lois. Le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption du présent texte dans la rédaction retenue par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme le souligne le rapport de M. Pillet, « la biométrie est usuellement définie comme embrassant l’ensemble des procédés tendant à identifier un individu à partir de la mesure de l’une ou de plusieurs de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales ».
Au vu de cette définition, si l’on conçoit que les technologies biométriques et leurs usages puissent avoir des finalités bienvenues et ne sont pas mauvais en soi, on devine aussi aisément la gravité des dérives dont ils peuvent faire l’objet. Ainsi, nous avons, me semble-t-il, la responsabilité de légiférer afin de les encadrer et de trouver le juste équilibre qui préservera les droits individuels.
Le régime d’autorisation préalable de traitement de données biométriques dont s’est dotée la France est déjà, en soi, protecteur. Cependant, je partage le constat de mes collègues : la loi de 2004, qui confie à la CNIL la mission d’autoriser les traitements de données biométriques, ne dit rien sur la pertinence des différents usages des techniques biométriques.
C’est cette lacune législative que la proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce a pour objet de combler, en précisant sous quelles conditions de finalité peuvent être autorisés les « traitements automatisés comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité des personnes ».
L’exposé des motifs de la proposition de loi cite, à titre d’exemple, les dérives constatées dans les cantines scolaires, où l’on use et on abuse de ces technologies. J’évoquerai aussi, pour ma part, le danger d’une telle banalisation dans le milieu de l’entreprise, où la biométrie devient un moyen supplémentaire de suivre à la trace, à la minute, les salariés.
Nous saluons donc la démarche de nos collègues, porteuse de protections supplémentaires pour les libertés individuelles. Cependant, la proposition de loi ne concerne qu’une certaine catégorie de traitements des données biométriques. Elle exclut de son champ les traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État.
Je comprends que nos collègues, eu égard aux contraintes de temps qui s’imposaient à eux, aient fait le choix de restreindre le champ de leur proposition de loi. Néanmoins, je voudrais utiliser le temps qui m’est imparti pour attirer l’attention sur un autre danger lié à notre législation relative aux traitements de données biométriques.
En effet, la question du respect des libertés publiques se trouve souvent posée s’agissant des traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État. Je pense notamment ici au fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED, ou au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.
Alors que les récentes remises en cause de notre législation par la Cour européenne des droits de l’homme concernant le fichier automatisé des empreintes digitales invitent le Gouvernement à modifier le décret du 8 avril 1987 ayant institué ce fichier – je crois que cela est en cours –, le Parlement doit aussi s’emparer de cette question, afin de réformer le cadre général du fichage.
Dans un arrêt du 18 avril 2013 – affaire M. K. contre France –, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, à propos du fichier automatisé des empreintes digitales, que la France avait commis une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel « toute personne a droit au respect de sa vie privée ».
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la France a « outrepassé sa marge d’appréciation en la matière », au regard tant de l’arbitraire du fichage que de la durée de conservation des données. Elle a estimé que « le régime de conservation, dans le fichier litigieux, des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées, tel qu’il a été appliqué au requérant en l’espèce, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. »
La Cour rappelle aussi, de manière plus générale, que « le droit interne doit notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles soient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Il doit aussi contenir les garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées. »
Mes chers collègues, la portée de cet arrêt remettant en cause un décret que seul le Gouvernement peut modifier dépasse le cas du fichier automatisé des empreintes digitales. Il s’applique à notre code de procédure pénale, qui régit un fichier similaire, le FNAEG. À la gestion de ce fichier devraient s’appliquer les mêmes principes de proportionnalité, de pertinence, de non-excessivité et de non-stigmatisation.
Or, on le sait, le champ des infractions relevant du FNAEG, initialement limité aux infractions à caractère sexuel, a été considérablement étendu par Nicolas Sarkozy, pour couvrir la plupart des infractions, même mineures, prévues au code pénal. Notre ex-président s’est toutefois bien gardé de l’élargir aux délits financiers, tels que le délit d’initié, la fraude fiscale ou l’abus de bien social.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela ne laisse pas de traces ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Nous refusons que les données biométriques de militants syndicaux, de salariés en lutte pour faire valoir leurs droits sociaux ou encore de simples manifestants puissent être enregistrées, pour une durée indéterminée, au côté de celles d’auteurs de crimes, de viols, de trafics de drogue ou de membres du grand banditisme.
En complément de notre proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives, nous avons récemment déposé une autre proposition de loi, visant à encadrer le fichage génétique et à interdire le fichage des personnes poursuivies pour des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives.
Tout comme le texte qui nous occupe aujourd’hui, notre proposition de loi se veut le reflet des exigences qui se font jour au niveau international, mais surtout celui du refus d’une société que notre code de procédure pénale traite des militants syndicaux comme des criminels en puissance.
Ainsi, si nous votons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, je suis persuadée que nous aurons très vite à réfléchir de manière plus poussée non simplement à l’usage de l’intégralité des données biométriques, mais aussi à leur traitement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut saluer l’auteur de cette proposition de loi : le travail a été bien fait !
Ce soir, il s’agira de dire que l’application du principe de précaution ne doit pas empêcher l’innovation ; cet après-midi, il s’agit plutôt de dire que l’innovation ne doit pas se faire sans précaution… (Sourires.)
Il a été affirmé tout à l'heure que les données étaient le pétrole du XXIe siècle et que ce secteur créerait des milliers d’emplois à l’avenir. C’est à voir ! Même si la France dispose d’une avance technologique dans ce domaine, je ne crois pas que le potentiel, en matière d’emploi, soit aussi important que l’on veut bien le dire.
Je tiens à féliciter l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi. Le développement des techniques biométriques doit certes beaucoup à celui de l’informatique, mais la biométrie existe en réalité depuis longtemps : que l’on pense à la photographie ou aux empreintes digitales.
Cela étant, la reconnaissance biométrique automatique ou dynamique est une véritable innovation, dont les incidences en matière de protection des droits fondamentaux, notamment du droit au respect de la vie privée, nous amènent aujourd’hui à nous interroger.
Monsieur le rapporteur, vous êtes un expert en ce domaine, comme nous avons pu le voir lors des débats sur les fichiers publics ou sur la carte d’identité biométrique.
La jurisprudence a rappelé la nécessité de protéger la vie privée et précisé quels sont les éléments pouvant s’y rattacher : le domicile, l’image, la voix, l’état de santé, les attributs du corps humain, etc.
S’agissant de la collecte, du traitement et de l’utilisation des données biométriques pour un contrôle d’identité, nous pouvons actuellement identifier trois risques d’atteinte à la vie privée : au moment de la collecte, du fait de l’absence de consentement de la personne lorsque celui-ci constitue une condition légale de la collecte d’information ; au moment du traitement des informations, si le contenu des fichiers a été usurpé ; au moment de l’utilisation, chacun laissant des traces de ses empreintes, plus ou moins exploitables, lorsqu’un dispositif de biométrie « à trace » est mis en œuvre.
La présente proposition de loi vise donc à limiter le recours à la collecte et au traitement de données biométriques aux fins de contrôle d’identité, pour renforcer la protection du droit au respect de la vie privée.
Je ne parlerai pas de l’article 2, qui vise à mettre en place une phase transitoire d’adaptation. L’article 1er, en revanche, constitue la substance du texte. Il comporte deux avancées : le renforcement de la doctrine de la CNIL, consacrée à l’encadrement des contrôles biométriques d’identité, et la suppression de la biométrie dite « de confort ».
Les conditions de recours à la biométrie pour procéder à un contrôle d’identité posées par la proposition de loi viennent en quelque sorte donner une valeur législative à la doctrine de la CNIL.
En effet, dans une fiche pratique du 17 décembre 2012 consacrée à la biométrie sur les lieux de travail, la CNIL rappelle que l’autorisation d’utiliser la biométrie dite « à trace » ne peut être délivrée qu’à plusieurs conditions, tenant notamment à la finalité du dispositif, à la proportionnalité, à la sécurité et, bien entendu, à l’information des personnes concernées.
En précisant la notion de « stricte nécessité de sécurité », la commission des lois propose très justement de procéder à droit constant, donnant ainsi une véritable force au travail engagé par la CNIL et à sa doctrine.
En ce qui concerne la biométrie dite « de confort », lorsqu’une demande d’autorisation lui est adressée, la CNIL fixe actuellement des exigences plus ou moins élevées en fonction des finalités du dispositif envisagé.
Dans le cas de la biométrie « de sécurité », la mise en œuvre d’un dispositif biométrique apparaît comme indispensable pour répondre à une contrainte de sécurité physique ou logique d’un organisme. Dès lors, l’utilisation du dispositif biométrique sera exclusive, et les personnes concernées par le contrôle devront s’y soumettre.
Dans le cas de la biométrie « de service », la finalité du dispositif envisagé est double : elle est d’assurer la sécurité d’un site ou la protection d’informations sensibles et de permettre la recherche d’une ergonomie d’utilisation.
Dans ce second cas, l’impératif de sécurité n’est pas strict ; il s’agit d’un dispositif alternatif au dispositif biométrique, qui doit donc nécessairement être proposé aux utilisateurs.
La proposition de loi tend à mettre un terme à l’utilisation de ce type de biométrie, dite « de confort », à juste titre à mon sens, car on peut douter, en l’espèce, de la valeur du consentement des usagers. En effet, dans quelle mesure peut-on refuser de se soumettre à des contrôles biométriques dont l’usage se serait généralisé dans une entreprise ?
De surcroît, on peut aisément convenir qu’en réduisant les possibilités de recours à la biométrie, nous diminuons de fait les risques de dispersion des informations personnelles.
L’ensemble de ces éléments constitue donc une véritable avancée, dont il faut se féliciter, en matière d’encadrement de la biométrie. Je souhaite saluer à nouveau le travail effectué par le rapporteur, qui attire notre attention sur les limites du texte, de telle façon qu’après avoir dégagé des éléments de nature à avancer sur cette question, il nous ouvre des perspectives de réflexion en vue de l’examen d’un projet de loi sur les libertés numériques à venir.
Je tiens à rappeler tout d’abord que la proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978, ce qui exclut de son champ d’application les traitements de données biométriques mis en œuvre par un responsable de traitement pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles.
Il faut donc s’attendre à ce que le législateur soit sollicité de nouveau, dès lors que la collecte d’informations, bien que réalisée avec le consentement des intéressés, soulève aujourd’hui un certain nombre de questions, notamment quant au droit à l’oubli, au droit de propriété ou, là encore, au droit au respect de la vie privée.
Il faut également rappeler que, comme le souligne très justement le rapport, l’adoption éventuelle de cette proposition de loi devrait aller en principe de pair avec un renforcement des pouvoirs de la CNIL.
En effet, dans le cadre du contrôle a priori que cette instance exerce, le rapport relève que, depuis 2006, le nombre de contrôles rapporté au nombre total d’autorisations délivrées sur la même période montre que les vérifications n’auraient porté que sur 4,5 % des dispositifs. Il est donc sous-entendu que cet organisme aura besoin de moyens humains supplémentaires pour assumer plus largement sa mission…
Nous nous trouvons là dans un domaine plein d’incertitudes, notamment en raison du projet de règlement européen : celui-ci imposera probablement la suppression des autorisations préalables, au profit d’un contrôle a posteriori. Il faudra alors renforcer les moyens de contrôle.
Au-delà de ces remarques, je crois pouvoir dire, en conclusion, qu’il existe un large consensus en faveur de l’adoption de ce texte, grâce notamment à l’ample travail de réflexion engagé depuis longtemps par la commission des lois sur ce sujet.
Au sein tant de l’Union européenne que du Conseil de l’Europe, la France est plutôt en pointe sur la question de la protection des libertés publiques. Elle doit jouer un rôle moteur dans ce débat.
Nous souhaitons donc instaurer progressivement le cadre législatif le mieux adapté à la protection de la vie privée de nos concitoyens. Nous avons conscience qu’il restera encore à faire, mais nous convenons qu’il s’agit d’une étape indispensable, eu égard au développement exponentiel des techniques biométriques.
Le groupe UMP votera la proposition de loi, que l’amendement du Gouvernement vise à améliorer sans la dénaturer. Je crois que nous pouvons nous féliciter de l’unanimité du Sénat sur la question de la protection de la vie privée et des données personnelles. Beaucoup de sociétés aimeraient pouvoir faire aussi bien ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la biométrie est vieille comme le monde. Comme l’a signalé Virginie Klès, les progrès de l’informatique ont permis le traitement de données multiples, parfois collectées à l’insu de la personne. Je pense en particulier à la reconnaissance faciale, développée grâce à de nouveaux algorithmes : conjuguée à la vidéosurveillance, elle peut porter atteinte à la vie privée.
Il est donc particulièrement opportun de préciser quelles doivent être les finalités de l’usage de la biométrie. Comme le soulignait M. Hyest, la protection du droit au respect de la vie privée est un combat que mènent depuis longtemps le Sénat et sa commission des lois.
Les tentatives de certains gouvernements pour aller plus loin, qu’il s’agisse de la carte d’identité biométrique ou des modalités de collecte des empreintes destinées au fichier des passeports, ont été à chaque fois bloquées, par le Conseil constitutionnel dans le premier cas ou par le Conseil d’État dans le second.
Toutefois, compte tenu des évolutions technologiques, il est important aujourd’hui de s’interroger sur les usages de la biométrie ; je tiens, à cet égard, à saluer l’initiative de notre collègue Gaëtan Gorce.
Les protections que nous pouvons assurer à nos citoyens en ce domaine sont incertaines, dans la mesure où toutes ces données circulent en ignorant les frontières. Telle est la nature de la société de l’information. Par conséquent, il ne saurait y avoir de protection totale sans maîtrise de l’innovation et sans règlements européens et internationaux.
Vous avez évoqué, madame la secrétaire d’État, les élections récemment organisées au Mali, mais ce n’est pas, à l’évidence, en instituant un fichier biométrique de l’ensemble de la population que nous parviendrons à protéger nos données personnelles et les libertés individuelles en France. Cela irait à l’encontre de nos valeurs.
Dans le même esprit, un Français en voyage à l’étranger peut se trouver confronté aux conséquences de l’application de législations autorisant la collecte de données personnelles par le biais de sociétés privées, ces données pouvant ensuite être utilisées en France.
La manière dont nous exploitons un certain nombre de fichiers, tels que AGDREF2 – le fichier d’application de gestion des ressortissants étrangers en France –, EURODAC ou SIV, le système européen d’identification des visas, pose aussi question. Si nous voulons que les données personnelles et la vie privée de nos concitoyens soient protégées, il convient d’apporter les mêmes garanties aux étrangers présents au sein de l’espace Schengen. Dans la mesure où nous externalisons de plus en plus le traitement des demandes de visa déposées à l’étranger, il convient de s’interroger sur les moyens d’assurer une protection satisfaisante des données recueillies à cette occasion.
Par ailleurs, il faudrait se montrer un peu plus audacieux quant à certains usages de la biométrie. En particulier, une plus grande coopération au sein de l’espace Schengen serait souhaitable afin de rendre compatibles les pratiques des différents pays en matière de biométrie, ce qui permettrait que les passeports puissent être délivrés à nos compatriotes résidant à l’étranger ailleurs que dans les consulats français. De même, il serait utile de rendre biométriques les certificats de nationalité française, car cela permettrait d’écarter de nombreuses suspicions de fraude.
En résumé, dans ce domaine, il n’y aura pas de protection sans échanges entre la France et les autres pays, sans coopération européenne et sans respect du droit des étrangers.
Comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, la banalisation de l’usage de la biométrie pour les plus jeunes est un danger pour la société. Il faut avoir bien conscience des risques qu’elle emporte.
Bien sûr, rien ne se fera sans un cadre national approprié ; la présente proposition de loi, qui vise à en instituer un, est donc tout à fait bienvenue. Cela étant, sans maîtrise technologique, nous ne pourrons faire respecter la loi et protéger nos concitoyens comme nous le souhaitons. Cela implique de favoriser l’effort d’innovation des sociétés françaises dans ce domaine.
Bien entendu, le groupe socialiste votera la présente proposition de loi, qui tend à préciser les finalités de l’usage de la biométrie. Elle prolonge le combat mené de longue date par notre assemblée sur ces questions, mais son adoption n’aura d’utilité que si le Gouvernement relaie nos préoccupations à l’échelon européen, afin que la société européenne dans son ensemble se mobilise. Cela passe, bien sûr, par la réciprocité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à limiter l’usage des techniques biométriques
Article 1er
Après le II de l’article 25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Pour l’application du 8° du I du présent article, ne peuvent être autorisés que les traitements ayant pour finalité le contrôle de l’accès physique ou logique à des locaux, équipements, applications ou services représentant ou contenant un enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme et ayant trait à la protection de l’intégrité physique des personnes, à celle des biens ou à celle d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II bis. – Pour l’application du 8° du I du présent article, ne peuvent être autorisés que les traitements dont la finalité est la protection de l’intégrité physique des personnes, la protection des biens ou la protection d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible et qui répondent à une nécessité ne se limitant pas aux besoins de l’organisme les mettant en œuvre. »
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Le présent amendement démontre tout l’intérêt du Gouvernement pour le sujet qui nous occupe et sa volonté de nourrir le débat que M. Gorce a voulu engager.
Par cet amendement, le Gouvernement souhaite clarifier le texte établi par la commission des lois sur deux points.
Il s’agit d’abord de préciser la finalité de sécurité pour laquelle les techniques biométriques pourraient continuer à être utilisées. Le texte retient en effet deux types de finalité : le contrôle d’accès physique ou logique, d’une part, et la protection des personnes, des biens et des données, d’autre part.
Le présent amendement tend à préciser que c’est bien la finalité de sécurité – c’est-à-dire la protection des personnes, des biens et des données – qu’il faut viser. L’objectif est également de s’assurer que la loi n’interdit pas certains usages de ces techniques, comme l’authentification d’un paiement par biométrie, par exemple.
Ensuite, afin d’atteindre l’objectif de limiter le recours à la biométrie aux cas pour lesquels il est nécessaire, le Gouvernement propose de retenir une rédaction plus facilement utilisable par le juge et par la CNIL. Celle-ci doit pouvoir recourir, quand elle est saisie d’une demande d’autorisation de traitement de données biométriques, à des outils pertinents, semblables à ceux qu’elle utilise habituellement, mais aussi à des outils plus nouveaux, comme l’analyse des risques pesant sur les données personnelles.
Cet amendement, s’il est adopté, ne modifiera qu’à la marge le dispositif prévu par le présent texte, mais il en affinera la définition juridique, de manière à renforcer la clarté de la loi.
M. le président. Le sous-amendement n° 2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 1, alinéa 3
Remplacer les mots :
ne se limitant pas aux besoins
par les mots :
excédant l’intérêt propre
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1.
M. François Pillet, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, nous nous rejoignons sur un regret et sur un accord.
Le regret, c’est que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information n’ait pas fourni son avis sur ce texte. Ce n’est pas la faute du rapporteur ni de la commission des lois : l’ANSSI n’a pas répondu à notre demande d’audition. Nous partageons avec vous ce regret, madame la secrétaire d’État.
Par ailleurs, l’accord porte sur la création d’un groupe de réflexion, que vous avez suggérée tout à l’heure. Je me réjouis de cette proposition, en espérant que ce groupe fonctionnera au-delà de la navette parlementaire, compte tenu des textes qui seront bientôt soumis à notre examen.
J’en viens à un point qui a été évoqué par plusieurs collègues, notamment par Esther Benbassa. Il ne s’agit pas, avec cette proposition de loi, de freiner l’initiative économique et industrielle ou l’innovation dans ce domaine. La biométrie représente un immense progrès pour l’humanité, comparable à celui qui fut permis par l’invention de l’écriture. Or, en inventant l’écriture, on a également inventé la lettre anonyme : on n’a pas interdit, pour autant, l’usage de l’écriture ! De même, l’écriture peut servir à diffuser des idées repoussantes ; dans ce cas, c’est le livre en cause que l’on interdit, et non pas l’écriture elle-même.
C’est donc à certains usages des techniques biométriques que ce texte tend à apporter des limites, dans des conditions souples et précises et dans le respect des principes qui fondent notre société. Ce faisant, nous n’interdisons absolument pas les progrès techniques.
L’amendement du Gouvernement fait suite à une réflexion que nous avons eue après l’élaboration du texte de la commission des lois, dont la rédaction, je l’admets, était un peu « proustienne », comme l’a relevé le président de la commission des lois…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’était un compliment, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
M. François Pillet, rapporteur. Je le prends comme tel, monsieur le président !
Il fallait donc simplifier la rédaction. J’avais prévu de déposer un amendement en ce sens, dont j’ai communiqué le texte au Gouvernement voilà deux jours. C’est sur cette base que vous avez vous-même déposé l’amendement que vous venez de présenter, madame la secrétaire d’État, et qui reprend pour l’essentiel le dispositif de la commission, avec en particulier le caractère cumulatif des deux conditions, auquel nous sommes très attachés, et la finalité de sécurité, que vous définissez comme « la protection de l’intégrité physique des personnes, la protection des biens ou la protection d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible ». En outre, la rédaction se trouve affinée conformément à notre souhait, allégée sans que sa signification et l’objectif visés soient altérés : tout cela nous convient parfaitement.
Reste un point purement rédactionnel, qui a motivé le dépôt d’un sous-amendement par la commission, visant en quelque sorte à passer d’une formulation négative à une formulation positive, en réintégrant la notion d’intérêt propre de l’organisme. Sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement, la commission a donné, de façon unanime, un avis favorable à l’amendement du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 2 ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Le sous-amendement vise donc à réintroduire la notion d’intérêt propre de l’organisme, que le Gouvernement n’avait pas souhaité conserver parce qu’elle n’est pas définie en droit et parce que le recours à la biométrie peut parfois être utile indépendamment de l’intérêt de l’organisme, par exemple quand il est dans l’intérêt de l’usager lui-même.
J’ai évoqué tout à l’heure, à cet égard, les transactions commerciales avec paiement authentifié par le biais d’un lecteur de données biométriques. Dans ce cas, il est de l’intérêt du consommateur que la transaction soit sécurisée au maximum, sans pour autant que les données biométriques soient stockées ailleurs que dans le matériel utilisé par ce dernier.
Il y va aussi de l’intérêt de l’économie en général que le plus haut niveau de sécurité possible soit assuré sur les marchés.
C’est pourquoi le Gouvernement était réticent à l’emploi de la notion d’intérêt propre de l’organisme. Je crois que le débat entre nous sur ce point se poursuivra.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y aura la navette !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. En attendant, je vous remercie d’avoir attrapé au vol ma suggestion de créer un groupe de travail sur le sujet. C’est là un engagement sérieux du Gouvernement, dont la portée va au-delà du calendrier législatif. Pour l’heure, nous ne savons pas quand le projet de loi sur les libertés numériques sera examiné par le Parlement.
Au bénéfice de ces observations, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur le sous-amendement n° 2.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Les responsables de traitements de données à caractère personnel dont la mise en œuvre est régulièrement intervenue avant l’entrée en vigueur de la présente loi disposent, à compter de cette date, d’un délai de trois ans pour mettre leurs traitements en conformité avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction issue de la présente loi.
Les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, demeurent applicables aux traitements qui y étaient soumis jusqu’à ce qu’ils aient été mis en conformité avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, dans leur rédaction issue de la présente loi, et, au plus tard, jusqu’à l’expiration du délai de trois ans prévu à l’alinéa précédent – (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. François Pillet, rapporteur. À l’unanimité !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt et une heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Charte de l'environnement
Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation, présentée par M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 183, texte de la commission n° 548, rapport n° 547, avis n° 532).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Bizet, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « À chaque époque sa vérité, à chaque génération sa nature. » C’est par ces mots empruntés à Lamartine que je souhaitais débuter mon propos et exprimer ainsi mon attachement à la Charte de l’environnement, cette Charte qui, en 2005, est venu répondre aux préoccupations de notre époque.
Personne n’a oublié ici ce qui allait nous conduire au début des années 2000, sous la présidence de Jacques Chirac, à lui donner une valeur constitutionnelle, par l’adoption de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Dans l’ensemble, la Charte devait symboliser la haute importance accordée par les pouvoirs publics à l’environnement : d’une part, pour répondre à un devoir vis-à-vis de nos concitoyens, celui de préserver leur milieu de vie et leur santé ; d’autre part, pour répondre à une réalité économique qui nous conduit à penser globalement le développement durable et la préservation de nos richesses naturelles.
Cette volonté, engagée par notre majorité à l’époque, nous imposait de réfléchir à la question du principe de précaution, avec un texte équilibré autour de droits et de devoirs clairs. Il nous était alors apparu nécessaire de repenser la prévision des risques pour mettre fin à un certain « attentisme » des pouvoirs publics, qui appréhendaient le risque seulement de deux manières : par le principe de prudence ou de prévention lorsqu’il était avéré ou bien, comme dommage, par le principe d’indemnisation lorsqu’il s’était réalisé.
Pour cela, nous avons constitutionnalisé le principe de précaution, qui n’était alors présent dans notre droit interne que dans certaines mesures législatives codifiées ou qui ne se manifestait indirectement qu’au travers du respect de nos engagements internationaux, comme le principe 15 de la déclaration de Rio ou l’article 174 du traité de Maastricht. Ainsi, par cette constitutionnalisation, nous réaffirmions notre volonté de protéger l’environnement et la santé de nos concitoyens, largement traumatisés, notamment par les affaires de l’amiante, de la vache folle ou du sang contaminé.
À l’époque, ce travail s’était accompagné, rappelons-le, d’une très large consultation qui avait réuni tout au long des débats plusieurs centaines d’experts : des scientifiques, des juristes, des économistes. Tout était donc réuni pour élaborer un texte équilibré. Pourtant, après dix années d’application, la Charte n’a pas permis de répondre à toutes les interrogations, à toutes les attentes de nos concitoyens. Les débats qui perdurent aujourd’hui encore suffisent à le démontrer. Ces craintes trouvent notamment leur source dans la préoccupation de concilier précaution et innovation. Il est vrai que l’ensemble des travaux préparatoires ont, dès l’origine, très clairement indiqué que l’objectif recherché par le constituant n’était pas d’entraver la recherche et l’innovation, bien au contraire.
Lors de l’examen du texte au Sénat, le rapport de la commission des lois, alors présenté par notre collègue Patrice Gélard, à qui je tiens à rendre hommage – le tandem de l’époque se reconstitue au fil du temps (Sourires.) –, était très clair quand il rappelait que le principe de précaution devait conduire les autorités publiques à surpasser le risque potentiel d’une innovation, en procédant à une évaluation technique et scientifique de ces dangers hypothétiques. L’autorité compétente devait alors prendre toutes les mesures, proportionnelles et provisoires – je le souligne – permettant d’aiguiller la recherche vers les procédés les mieux adaptés, eu égard aux connaissances scientifiques. Ainsi, le principe de précaution, « bien loin de ralentir ou de paralyser la recherche », devait au contraire être « un aiguillon et un moteur susceptibles de favoriser l’approfondissement des connaissances ».
Lors de leurs auditions, Bernard Rousseau, alors président de France Nature Environnement, et Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, estimaient à leur tour que ce principe de précaution permettrait en tant que « filtre et accélérateur » d’encourager la recherche et l’innovation.
Pour reprendre les termes du rapport, le principe de précaution n’a donc « aucune vocation à garantir le "risque zéro" ». Il appelle au contraire à « une prise de risque raisonnable dans un contexte jugé encore incertain ».
Enfin, la jurisprudence pénale et la jurisprudence administrative ont elles-mêmes circonscrit l’application directe du principe de précaution, afin de ne pas inhiber l’action des pouvoirs publics. En effet, conformément à l’interprétation constante du principe de précaution par la jurisprudence administrative, le constituant entendait exclure la responsabilité pénale pour manquement à des obligations de précaution par les autorités publiques.
Comme je l’avais d’ailleurs précisé dans mon rapport pour avis rendu au nom de la commission des affaires économiques, « il résulte des lois du 13 mai 1996 et du 10 juillet 2000 » que la responsabilité pénale « ne pourrait être engagée pour faute de non précaution dans la mesure où, parmi les conditions posées par la loi, figure l’exigence d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu’on ne pouvait ignorer ». J’ajoutais ensuite : « Le risque incertain est donc exclu. » Quant à la responsabilité administrative, elle était limitée à l’erreur manifeste d’appréciation.
En somme, en appréciant la lettre de la Charte et la jurisprudence, on peut constater clairement que l’interdiction d’un procédé innovant par l’autorité publique doit être subordonnée à l’exigence d’un dommage environnemental potentiel qui serait, le cas échéant, grave et irréversible, mais également que cette limitation provisoire et proportionnelle impose aux autorités publiques de prendre les mesures susceptibles d’informer le public, de prévenir la dégradation de l’environnement et de poursuivre les recherches, afin d’évaluer les risques encourus.
Voilà comment aurait pu être alors appréhendé le principe de précaution. Mais tel n’a pas été le cas, et ce principe a d’ailleurs souvent été dévoyé. En effet, malgré tous les moyens législatifs et jurisprudentiels qui organisent l’application directe du principe de précaution, force est d’admettre que tout dépend en dernier lieu de l’interprétation toute relative qui en est faite par les autorités publiques et les juges saisis dans le cadre du contrôle de légalité. Or, comme le constate dans son rapport la commission pour la libération de la croissance française de 2008, l’article 5 de la Charte de l’environnement « introduit une disposition nouvelle en droit constitutionnel, en faisant référence à un "principe de précaution", déjà présent dans le corpus législatif, et dont la portée normative reste incertaine. Cette référence génère des incertitudes juridiques et instaure un contexte préjudiciable à l’innovation et à la croissance, en raison des risques de contentieux en responsabilité à l’encontre des entreprises les plus innovantes [...]. Si le texte constitutionnel entend prévenir la réalisation de dommages nuisibles à la collectivité, sa rédaction très ouverte laisse place à des interprétations potentiellement divergentes, susceptibles de paralyser l’activité économique et celle de l’administration ».
Ce qui est redouté dans cette perspective par l’administration, c’est donc l’obligation reposant sur elle d’agir dès lors que la réalisation du dommage, non définie par la Constitution, est « incertaine en l’état des connaissances scientifiques ». Une telle logique implique que l’administration soit en mesure de suivre l’ensemble des recherches scientifiques et qu’elle puisse, en conséquence, ériger en règle ultime la maxime « Dans le doute, abstiens-toi », conformément à la théorie du risque zéro.
En raisonnant ainsi, mes chers collègues, nous entretenons une forme de démission des politiques, persuadés, pour certains d’entre eux, que seule la Charte pourra nous prémunir contre tous les aspects négatifs de la mondialisation.
Pour toutes ces raisons, beaucoup d’experts avaient alors préconisé, notamment dans le rapport de la commission Innovation 2030, l’adoption d’un principe d’innovation destiné à équilibrer le principe de précaution. J’ai eu l’occasion d’aborder ce point à plusieurs reprises avec Mme Anne Lauvergeon, présidente de cette commission. À défaut, il leur paraissait nécessaire de préciser dans la Constitution que le principe de précaution ne doit pas nuire à la recherche et l’innovation, toutes deux indispensables à la croissance économique de notre pays. C’est dans cet esprit que j’ai voulu présenter cette proposition de loi, pour mettre un terme, enfin, à une ambiguïté qui n’aurait jamais dû perdurer.
Mes chers collègues, le principe de précaution est aussi un principe d’innovation !
Le 8 juillet 2010, nous avions pris connaissance des recommandations formulées par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, qui préconisait la création d’une instance susceptible de procéder aux débats relatifs aux travaux mettant en balance le principe de précaution et de les organiser. Évidemment, la création d’une telle instance paraît toujours être la meilleure des solutions, dès lors qu’elle aurait pour fonction de se concentrer sur cette seule tâche. Cependant, c’est tout autrement que j’ai souhaité traiter cette délicate question attachée au principe de précaution.
En effet, sur la base des différents travaux publiés, qu’il s’agisse du rapport d’information de l’Assemblée nationale de 2010, de l’avis de 2011, du rapport de 2013 du Conseil économique, social et environnemental et des nombreux articles de doctrine ayant abordé cette question, j’ai constaté que nous pouvions mettre en place une politique publique articulée autour de deux orientations, que je considère comme les deux jambes nécessaires à une marche équilibrée : d’une part, mettre fin définitivement à toute ambiguïté quant à l’interprétation du principe de précaution, ce qui paraît urgent ; d’autre part, renforcer l’information du public et de promouvoir l’innovation auprès de nos concitoyens, ce qui semble primordial.
Ma première proposition, qui vise d’abord à rappeler que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation, s’inscrit dans la continuité des actions menées en faveur de l’environnement, que notre famille politique n’a eu de cesse de porter, que ce soit au travers de la Charte de l’environnement ou du Grenelle de l’environnement. Le Grenelle avait d’ailleurs été l’occasion de réaffirmer l’importance du lien entre précaution et innovation, comme le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, l’avait d’ailleurs rappelé lors de la clôture des discussions en octobre 2007. Il avait en effet déclaré : « Le principe de précaution n’est pas un principe d’interdiction. C’est un principe de vigilance et de transparence. Il doit donc être interprété comme un principe de responsabilité. »
Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’écologie, elle affirmait : « Le principe de précaution n’est pas la négation du progrès, il n’est pas la négation de la science. Il est même tout le contraire, car le doute, qu’il soit méthodique ou hyperbolique, mais aussi l’éthique sont partie intégrante de la démarche scientifique […]. Il constitue à mon sens un exemple d’une vision nouvelle de l’écologie : non plus une écologie de l’objection et de l’obstacle, mais une écologie "intégrée" aux processus tant politiques qu’économiques ou scientifiques, une écologie qui les accompagne, les fonde en légitimité et leur donne de la viabilité. »
Pourtant, la frilosité des acteurs publics a trop souvent conduit à l’abandon de choix novateurs et de la recherche. J’ai évoqué en introduction la crainte des acteurs publics de voir engager leur responsabilité, mais il convient également d’insister sur la méconnaissance des fondements du principe de précaution, qui avaient pourtant fait l’objet d’un consensus lors de l’adoption de la Charte. Elle explique la réticence des pouvoirs publics.
Voilà ce qui motive la première de mes propositions, qui vise l’article 5 de la Charte. On pourrait dire, se référant aux propos que je viens de tenir, que l’inscription à l’article 5 de la Charte de la mention « le principe de précaution constitue un encouragement au développement de la connaissance, à la promotion de l’innovation et au progrès technologique » est superfétatoire. J’écarte pourtant cette affirmation.
Tout d’abord, il faut reconnaître qu’une chose superfétatoire n’est pas inutile d’un point de vue législatif lorsqu’elle permet de répondre à l’exigence de lisibilité et d’accessibilité de la loi. Or quand les conflits d’interprétation se perpétuent dans le temps, comme c’est le cas ici, il faut bien admettre qu’il devient urgent de trancher.
Ensuite, nous pensons que, en inscrivant une telle précision dans le texte, nous éclairons la méthodologie qui doit encadrer l’étude du risque potentiel par les pouvoirs publics. Ainsi, lorsqu’elle appréhende un risque potentiel, l’autorité publique doit faire en sorte de promouvoir la recherche et l’innovation, afin de limiter ou surpasser les conséquences négatives qui pourraient potentiellement en résulter.
Dans le cadre d’un tel processus, la recherche appellera l’innovation, laquelle, à son tour, lorsqu’elle présentera des risques potentiels, imposera que de nouvelles recherches soient menées. Le seul doute ne pourra en aucun cas fonder un blocage à l’innovation.
À terme, le doute sera ainsi dissipé : soit le risque n’existe pas et, dans ce cas, la limitation fixée par l’autorité publique devra disparaître ; soit le risque existe réellement, et il devra alors être appréhendé autrement, par le régime de la prévention, de la surveillance ou de l’interdiction.
J’en viens au deuxième objet de la proposition de loi : faire changer les mentalités pour remettre l’innovation au cœur de nos préoccupations. Peut-être cette proposition de loi – j’ignore quel sera son avenir, d’abord au sein de notre assemblée, puis au-delà – permettra-t-elle à nos concitoyens de comprendre qu’ils ne doivent pas avoir peur de l’avenir et de la globalisation de notre économie, qui fait et fera partie – chacun ici partagera cette analyse – de notre quotidien.
Très tôt, nous avons compris que l’opinion publique peut avoir une influence importante sur l’arbitrage des acteurs publics. Or celle-ci s’inquiète moins du risque encouru que du fait de savoir s’il existe ou non.
La solution de simplicité pourrait encore être celle du blocage, mais c’est ce que nous voulons éviter. Pour cela, l’information nous paraît constituer un élément central de nos politiques environnementales, d’une part, parce qu’elle participe au renforcement de la vie démocratique et, d’autre part, parce qu’elle peut désamorcer le blocage de principe, rassurer nos concitoyens et même conduire à l’acceptation d’un risque raisonnable.
Ma démarche se trouve donc fondée par la volonté de renforcer le droit à l’information. Je propose à cette fin de modifier l’article 7 de la Charte, en prévoyant, tout d’abord, que l’information du public et l’élaboration des décisions publiques s’appuient sur la diffusion des résultats de la recherche et sur le recours à une expertise pluridisciplinaire, ensuite, que la loi définit les conditions de l’indépendance de l’expertise scientifique et de la publication des résultats.
Toutefois, j’aimerais appeler votre attention sur un dernier point, qui explique l’importance que j’accorde à l’indépendance des expertises. Elle justifie la dernière modification que je préconise et qui concerne l’article 8 de la Charte. Je veux parler du droit absolu à l’information.
Parfois, la volonté d’être informé de nos concitoyens peut suivre un cycle négatif. On veut tout d’abord connaître les risques potentiels, ce qui conduit ensuite à la recherche d’une nouvelle expertise, destinée à s’assurer de la pertinence de la première. Enfin, un nouveau désir d’information de type contestataire discrédite le fondement scientifique de la gestion des risques et débouche sur la stigmatisation d’un procédé innovant. À ce moment-là, l’aspiration à l’information sort du champ de l’étude rationnelle pour aller vers celui de la phobie irrationnelle ou du blocage contestataire.
J’ai donc également voulu nous prémunir contre ces phénomènes. Il s’agit tout d’abord de modifier l’article 7 de la Charte relatif à l’indépendance des expertises, afin d’éviter une remise en question des travaux menés lors de l’examen d’un risque potentiel. La proposition de loi tend ensuite à retoucher l’article 8 de la Charte, pour promouvoir non plus uniquement l’environnement, mais aussi la culture scientifique, ce qui permettrait de mettre fin à une défiance parfois instinctive et déraisonnable sur ces sujets.
Mes chers collègues, le Sénat a toujours eu une culture d’avenir, j’aime à le rappeler, et nous aurions tort de rester au milieu du gué. Il nous faut au contraire continuer l’œuvre que nous avons engagée voilà dix ans et dont nous pouvons être fiers. En effet, au-delà des bonnes intentions et des déclarations-chocs, nous avons permis, pour la première fois, une véritable synergie entre l’action des pouvoirs publics et l’environnement. Pour notre famille politique, c’était un acte fort qui marquait l’universalisme des questions liées à l’environnement, dont finalement aucun parti n’a le monopole. Pour tous ceux qui s’étaient engagés pour faire de ces questions une préoccupation majeure, c’était une victoire sans précédent.
Aujourd’hui, le deuxième acte de ce chantier consiste à envoyer un message aux chercheurs et aux entreprises qui mettent l’innovation au cœur de leur travail, alors même que la France se caractérise en Europe par le faible taux d’investissement de ses entreprises dans le domaine de la recherche.
Enfin, puisque nous visons toujours l’avenir, le troisième acte de ce chantier consistera dans la réconciliation des partisans de la recherche et de l’innovation et de ceux qui militent en faveur de la protection de l’environnement, tous associés dans la croissance. C’est certainement là le cœur de la différence entre écologistes et environnementalistes.
Notre objectif n’est pas d’imposer un principe par rapport à un autre. Il ne s’agit pas de privilégier l’innovation au détriment de l’environnement ni même de créer impérativement un équilibre qui serait de fait rompu au gré des changements politiques. Par ce texte, nous voulons démontrer que ces deux principes, précaution et innovation, peuvent ne faire qu’un. La recherche conduit à l’innovation, l’innovation conduit à la recherche en faveur du développement durable, cette dernière permettant de nouvelles innovations. J’ai la certitude que, par ce cercle vertueux, l’innovation préservera l’environnement et que l’environnement encouragera la recherche. Tel est ce que je crois et ce à quoi je vous invite, très modestement, à croire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous célébrons aujourd'hui un anniversaire : il y a dix ans, Jean Bizet, Jean-Jacques Hyest et moi-même étions reçus par le président Chirac, qui nous disait tout l’intérêt et toute la passion qu’il vouait à la Charte de l’environnement. Même si certains d’entre nous n’y étaient pas tout à fait favorables, en particulier pour ce qui concernait son préambule, nous l’avons défendue et adoptée.
Aujourd'hui, nous examinons de nouveau une proposition de loi destinée à actualiser un texte adopté voilà quelques années. Selon moi, c’est une bonne méthode pour faire le point sur l’application d’une loi et la jurisprudence qui s’est développée. Je salue donc l’initiative de Jean Bizet et de ses collègues, qui nous permet de débattre d’un texte important, la Charte de l’environnement, en particulier de son article 5, qui met l’accent sur le principe de précaution.
Un précédent me revient toujours à l’esprit quand nous sommes amenés à réfléchir sur de tels principes. La loi Littoral, comme vous le savez, posait le principe de protection du littoral, à égalité avec un autre principe, celui du développement des activités économiques du littoral, notamment l’ostréiculture, la pêche ou le tourisme. Pendant dix-huit ans, les décrets d’application de cette loi n’ont pas été publiés. Par conséquent, nous avons laissé se développer la jurisprudence ; celle-ci a été notoirement excessive, en instaurant des zones de protection allant jusqu’à quinze kilomètres à l’intérieur des terres, et il a fallu que le Conseil d’État, après les cours administratives d’appel, mette le holà pour que le Gouvernement se décide enfin à prendre les décrets attendus depuis dix-huit ans. Dès lors, les deux objectifs fixés par la loi Littoral – la protection de l’environnement et le développement économique – ont pu être conciliés.
Il était donc bon d’évaluer dans quelle mesure le principe de précaution a néanmoins permis le développement de l’innovation et de la recherche. C’est en ce sens que l’initiative de Jean Bizet me paraît intéressante.
La Charte de l’environnement est un texte étonnant : elle énonce peu de droits en faveur des citoyens – deux articles seulement y sont consacrés – et beaucoup d’obligations. Tel est le cas de l’article 5, qui est en général mal interprété, non pas par les tribunaux – j’y reviendrai tout à l’heure –, mais par l’opinion publique. En effet, le principe de précaution est un principe de procédure et non un principe de fond : il énonce des règles que seule l’autorité publique doit respecter ; il ne s’impose pas aux entreprises privées ni aux associations, par exemple.
Le terme même d’« autorité publique » est intéressant, car la jurisprudence des tribunaux ne reconnaît pas aux maires la qualité d’autorités publiques ayant le devoir de respecter le principe de précaution. Cette jurisprudence est importante en ce qui concerne les antennes de téléphonie mobile : elle n’applique pas aux maires le principe de précaution, mais un autre principe, le principe de prévention. En l’occurrence, il s’agit pour les maires de respecter une recommandation de l’Association des maires de France, qui préconise de ne pas installer d’antenne à moins de cent mètres d’une école, d’une maison de retraite ou d’un hôpital.
Nous pouvons donc en tirer une première conclusion intéressante : nous devons étudier la jurisprudence. Indépendamment de la décision récente de la cour d’appel de Colmar contredisant complètement un jugement de première instance – ce qui va nous permettre de connaître la position de la Cour de cassation, puisque le procureur général l’a saisie –, il faut reconnaître que la jurisprudence des tribunaux administratifs et judiciaires est raisonnable. Elle respecte en effet l’esprit de l’article 5 de la Charte en vérifiant qu’un certain nombre de points ont bien été appliqués par l’autorité publique. Les tribunaux français respectent donc parfaitement l’esprit de la Charte, tel qu’il ressort notamment des travaux parlementaires d’il y a dix ans.
Cette jurisprudence va être confortée par celle du Conseil constitutionnel, qui a reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Charte de l’environnement – ce qui ne veut pas dire qu’il soit d’application directe. On peut également constater que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne va dans le même sens, pour des litiges qui concernent essentiellement les entreprises ; cette jurisprudence à peu près constante est comparable à la nôtre. Il est intéressant de relever que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore été saisie de l’application du principe de précaution, ce qui pourrait à terme se produire, notamment en ce qui concerne la protection de la santé.
En revanche, si l’on étudie ce qui se passe à l’étranger, on s’aperçoit que la France est en avance et qu’elle est allée plus loin que bien d’autres pays. Quelques constitutions mentionnent le principe de précaution, mais s’arrêtent là – tel est le cas des constitutions du Brésil, de l’Inde ou de l’Allemagne, mais l’application du principe n’est pas aussi poussée dans ces pays qu’en France.
Arrivés à ce stade, il était bon que nous nous interrogions sur le bien-fondé de la Charte de l’environnement et de son application. On constate que les choses se passent relativement bien dans notre pays, mais qu’une rupture existe entre la jurisprudence des tribunaux et la volonté du législateur, d’une part, et l’opinion publique, d’autre part. Malheureusement, les autorités publiques, investies du pouvoir de mettre en œuvre ce principe de précaution, ont souvent peur des réactions de l’opinion dans le cas où elles ne respecteraient pas une conception extrêmement étriquée de ce principe. On peut notamment constater que certaines autorités publiques prennent peur, après un débat public par exemple, et, au lieu de prendre les décisions prévues par l’article 5 de la Charte de l’environnement, comme la commande d’études ou la consultation d’experts, arrêtent le processus et paralysent l’initiative et la recherche.
Il était bon, par conséquent, de souligner cette situation, comme l’a fait notre collègue Jean Bizet en déposant sa proposition de loi. Évidemment, sa démarche témoigne d’une forme de naïveté constitutionnelle, si j’ose dire. En effet, vous savez comme moi qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’a abouti depuis 1958.
M. Charles Revet. Il faut bien un commencement !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela va de soi, parce qu’une proposition de loi constitutionnelle doit d’abord être adoptée en termes identiques par le Sénat et l’Assemblée nationale, avant d’être soumise à référendum, selon le bon vouloir du Président de la République. Chacun sait les réticences que certains d’entre nous peuvent avoir actuellement à l’égard du référendum ; il n’est donc pas surprenant qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’ait abouti depuis le début de la Ve République.
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée va dans le sens non seulement du respect de l’environnement, mais aussi de l’innovation et de la recherche scientifique ; elle est donc bienvenue, parce qu’elle fait le bilan de ce qui a été réalisé depuis dix ans et nous permet de voir que le principe de précaution a pu être adapté au système juridique français. Grâce au texte déposé par Jean Bizet et complété par la commission des lois, nous avons pu mener une réflexion commune de qualité et qui restera. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du RDSE. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’être parmi vous ce soir pour discuter de cette proposition de loi visant à apporter des clarifications au principe de précaution que la Charte de l’environnement a porté au niveau constitutionnel.
Il nous faut sortir du débat qui oppose depuis la naissance de ce principe ses partisans à ses détracteurs. Il suffit de voir les débats réguliers autour des organismes génétiquement modifiés, des nanotechnologies, des antennes-relais pour en être persuadé.
Pour ses partisans, le principe de précaution doit permettre de prévenir le risque et d’anticiper les effets potentiellement néfastes de certaines innovations et développements industriels. Pour ses détracteurs, au contraire, le principe de précaution constitue un risque de paralysie de la recherche scientifique, de multiplication des recours judiciaires et de blocage des initiatives économiques et des innovations technologiques, avec comme conséquence possible un décrochage de notre pays.
Si je comprends votre démarche et souscris à l’objectif de ce texte, il me semble néanmoins nécessaire de nuancer la solution proposée.
Je rappellerai tout d’abord que le principe de précaution n’est pas une innovation française. Si la Chine, l’Inde ou le Brésil sont cités dans l’exposé des motifs, il est nécessaire de rappeler que le principe de précaution est déjà énoncé dans un certain nombre d’accords européens et internationaux ratifiés par la France. Bien avant la conférence de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, les textes et conventions internationales relatifs au droit de la mer, tels que la convention de Londres de 1990 sur les hydrocarbures ou la convention de Paris de 1992 pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, faisaient déjà référence au principe de précaution.
C’est à Rio que le principe de précaution a été posé comme une référence : « […] l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Cette même référence au principe de précaution a ensuite été reprise dans le traité de Maastricht la même année.
Le principe de précaution a été introduit en 1995 dans le droit interne français par la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement défendue par Michel Barnier.
Dix ans plus tard, l’article 5 de la Charte de l’environnement a introduit au niveau constitutionnel un principe d’action pour les autorités publiques. Il impose la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et de mesures de contrôle proportionnées pour parer à la réalisation de dommages graves et irréversibles à l’environnement, même pour des dommages incertains en l’état des connaissances scientifiques.
Ce principe est donc un principe d’action, qui doit amener les autorités publiques à développer la recherche scientifique : sans expertise scientifique rigoureuse et transparente, associant différents milieux disciplinaires, comment en effet évaluer les risques et apprécier le caractère « proportionné » des mesures mises en œuvre au nom du principe de précaution ?
Vous conviendrez que les propositions de modifications que vous portez, mesdames, messieurs les sénateurs, n’apportent rien de nouveau à l’état du droit constitutionnel et ne pourront ainsi constituer la solution du problème. En effet, si le principe de précaution défini à l’article 5 de la Charte de l’environnement est dorénavant bien ancré dans les esprits et dans la réglementation européenne, son caractère constitutionnel accepté, c’est moins son existence que la difficulté des pouvoirs publics à en encadrer la mise en œuvre qui crée des freins à la recherche, à l’innovation et au transfert de ces innovations dans notre économie. Jean-Louis Borloo disait : « L’utilisation inappropriée d’un terme n’appelle pas la suppression du concept ; il s’agit plutôt de revenir à un usage approprié du terme en question. »
Permettez-moi de reprendre les conclusions du rapport rendu en 2010 par les députés Alain Gest et Philippe Tourtelier, qui établissaient un quadruple constat. Tout d’abord, aucun de leurs interlocuteurs n’a proposé de faire marche arrière et de supprimer le principe de la Constitution. Ensuite, ils relèvent « l’extrême confusion » quant au sens même du principe de précaution, « très souvent confondu avec le principe de prévention par les médias, l’opinion publique et même les politiques au plus haut niveau ». Ils soulignent également que le principe de précaution est d’abord invoqué dans le domaine de la santé et de l’urbanisme – je pense aux antennes-relais – beaucoup plus que dans celui de l’environnement, alors que le législateur n’avait pas retenu la santé comme domaine d’application de la Charte de l’environnement. Dernier constat, enfin, des jurisprudences divergentes font ressortir des « insuffisances dans l’énoncé de la loi ».
Il convient donc aujourd’hui de mieux définir les modalités de mise en œuvre de ce principe, de façon à éviter de laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence, dont nous venons de voir les contradictions. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 4 février 2009 en est un exemple type, puisqu’il estimait que l’implantation d’une antenne-relais était source de « trouble anormal de voisinage », non pas en raison d’un risque sanitaire éventuel, mais à cause de « la crainte légitime » que constituait l’impossibilité de garantir au voisinage « l’absence de risque sanitaire généré par l’antenne-relais », en se référant au principe de précaution indépendamment des principes de proportionnalité et d’expertise scientifique.
On voit bien que le cadre d’application du principe de précaution doit être mieux défini, en tenant compte à la fois de la hiérarchisation des risques, de la démocratisation de l’expertise, de sa transparence et de son périmètre d’application.
L’environnement de la prise de décision doit être amélioré. Cela commence par une culture scientifique et technique davantage partagée ainsi que par l’organisation de débats publics ouverts et respectueux de la diversité des points de vue exprimés.
Je souhaiterais m’attarder sur certains de ces points.
Ce devoir impose de se mettre d’accord, en vertu du principe de précaution, sur le cadre légal dans lequel ces recherches doivent avoir lieu ainsi que sur les limites éthiques et environnementales de ces expérimentations. Nous le faisons dans le cadre des lois sur la bioéthique.
Je ne vous rappellerai pas les conditions d’encadrement qui sont imposées, à juste titre, aux chercheurs qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires humaines, qu’il s’agisse de conditions scientifiques ou éthiques. J’ai contribué, comme ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, à passer d’une interdiction de la recherche hors dérogations, qui exposait les recherches autorisées à des recours fondés sur des arguments fallacieux sur le plan scientifique, à une autorisation strictement encadrée. Il ne s’agissait pas de déréglementer les usages de la science. Il ne s’agissait pas non plus de répondre à l’impatience des chercheurs, mais bien de se donner les moyens d’une recherche importante dans un domaine d’avenir et de ne pas priver de résultat bénéfique les patients affectés de cardiopathie grave ou de cécité causée par la dégénérescence maculaire liée à l’âge.
Je signale, au passage, une contradiction entre les votes intervenus à l’époque et la proposition de loi dont nous débattons ce soir.
Les restrictions de la loi, en 2004 comme en 2011, ont de toute évidence freiné les échanges de savoir et la coopération scientifique internationale dans ce domaine. L’impact scientifique de l’interdiction sous dérogation a été évident, et la France est passée en dix ans de la troisième à la cinquième place, puis à la quinzième, en matière de publications scientifiques au niveau international.
Ne laissons pas le principe de précaution freiner la recherche ! Au contraire, faisons en sorte qu’il soit un moteur de la recherche et d’un retour à une « société de la confiance ».
Il n’est probablement pas utile de rappeler dans le détail l’ensemble des recherches qui portent sur la chaîne conduisant de la recherche à l’innovation et de l’innovation à l’analyse de son impact.
Des recherches sont menées, par exemple, sur la réalisation de substances et de matériaux innovants pour l’énergie, la production et la transformation alimentaire. Leur utilisation non maîtrisée peut laisser craindre des effets nocifs sur l’environnement et la santé.
Parallèlement, des recherches sont donc menées sur la notion de risque, sur les stratégies de prévention, qui ne pourraient pas être mises au point si les recherches que j’évoquais étaient interrompues.
Pour que l’investissement majeur de notre pays dans la recherche puisse porter ses fruits en termes d’impact socio-économique, dans le respect et la protection des humains et de l’environnement, il faut permettre aux chercheurs de travailler dans un cadre juridique sécurisé.
Je conviens qu’il est un domaine dont la France s’est dessaisie. Il s’agit de l’analyse coût-bénéfice, qui doit pourtant être la base des textes réglementaires et des argumentations des parties prenantes.
Les interprétations catégoriques du principe de précaution sont l’expression d’un état de la société dans lequel l’analyse risques-bénéfices a été abandonnée, à la fois au plan collectif et au plan des décisions individuelles, au profit d’un rejet massif du risque ou d’une adhésion parfois aveugle au progrès scientifique, quoi qu’il en coûte.
Nous avons donc souhaité, avec la ministre de l’écologie, au sein du Haut Conseil des biotechnologies, étendre les compétences du comité scientifique aux analyses économiques et sociétales, en élargissant et en diversifiant la représentation d’experts de ce comité. Le décret réalisant cet élargissement sera soumis très prochainement au Conseil d’État à cet effet.
Le baromètre IRSN 2012 montre que 31 % des personnes interrogées considèrent que la science et les technologies créent « plus de risques qu’elles n’en suppriment », que 32 % d’entre elles sont « plus ou moins d’accord » et 34 % « pas d’accord » avec cette idée. L’expertise est alors mise à mal, la confiance est déstabilisée.
La recherche est non seulement un moyen d’acquérir de la connaissance, mais également un instrument de support à la décision pour les autorités publiques. L’expertise scientifique prend à ce niveau toute son ampleur et son importance.
Je rappelle que l’expert scientifique ne décide pas : il éclaire sur un problème afin qu’une décision politique puisse être prise en toute connaissance de cause. Cette expertise est certes perfectible, mais elle reste à ce jour le moyen le plus raisonnable d’agir. Agir sans s’appuyer sur l’expertise scientifique porte un nom : l’obscurantisme.
Je tiens, dans ce contexte, à réitérer ma confiance envers les chercheurs, leurs analyses, leurs expertises. La recherche publique doit contribuer de manière décisive à l’expertise scientifique. Nous devons en assurer les conditions.
Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu’il s’appelait alors, avait innové en incitant les organismes, à la suite du Grenelle de l’environnement, à se munir d’une charte de l’expertise scientifique basée sur trois principes : une expertise transparente et encadrée ; une déclaration d’intérêt ; un traitement systématique de l’alerte environnementale et sanitaire pour les établissements signataires. Après une adoption par la majorité des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, il est maintenant nécessaire d’inciter à l’échange de bonnes pratiques entre ces acteurs. Il faudrait porter à la connaissance du grand public l’existence de ces pratiques encore trop peu connues.
Il est de notre devoir de fournir des experts scientifiques au meilleur niveau international et de rendre les expertises exemplaires.
Le fonctionnement d’ensemble de chaque agence, comme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, l’INERIS, doit, lui aussi, pouvoir être transparent. À cet égard, les agences opèrent sous le contrôle de différents corps d’inspection – santé, environnement,... – et du Parlement ; je pense notamment à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST. Le Gouvernement, d’une part, et les citoyens, d’autre part, ont donc les moyens de contrôler leur fonctionnement et de le faire progresser en tant que de besoin.
La proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, présentée par Marie-Christine Blandin, et adoptée en avril 2013, devrait permettre d’aller dans ce sens.
Mais l’application du principe de précaution est difficile. Elle repose, par définition, sur une situation d’incertitude que le scientifique, seul, n’est pas capable de trancher à un moment donné, en fonction des connaissances dont il dispose. Le débat avec la population, conformément à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est alors nécessaire, non seulement pour aboutir à une décision, mais surtout pour que celle-ci soit comprise et acceptée par la société. Ce n’est qu’à ce prix que l’application du principe sera considérée comme satisfaisante.
Les pratiques du débat public inscrites dans la loi ne sont toutefois pas adaptées à l’examen de questions scientifiques complexes. Dans un domaine particulier, la biologie de synthèse, que je connais bien pour avoir rédigé en 2012 un rapport sur le sujet pour l’OPECST, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a mis en place un observatoire, lieu expérimental de débat, dont il conviendra de faire le bilan des travaux dans les mois à venir.
La bonne application du principe de précaution se heurte aussi à une insuffisance de la connaissance scientifique, de l’histoire des sciences et donc de la compréhension des enjeux scientifiques. Pour pallier cette insuffisance, il faudrait développer bien davantage l’action des centres culturels, scientifiques, techniques et industriels, et ce dès le plus jeune âge, afin de donner aux citoyens, par le savoir – je pense notamment au travail exceptionnel réalisé par certaines associations, comme La Main à la pâte, ou à celui des enseignants, lequel sera encouragé par les écoles supérieures du professorat et de l’éducation –, l’évaluation et le dialogue, des outils pour décider en toute connaissance de cause.
La diffusion de la culture scientifique est un enjeu essentiel de la politique que je conduis, car elle est le fondement d’une société démocratique et de la connaissance partagée.
La science appartient à tous, et nous devons créer les conditions pour que toutes et tous puissent s’approprier les principes et les méthodes de la connaissance scientifique, la culture d’innovation et de création, l’audace, l’envie d’entreprendre. Ainsi, 40 millions d’euros sont disponibles pour soutenir les initiatives innovantes en matière de diffusion des cultures scientifiques et techniques dans le programme d’investissements d’avenir.
Avec ma collègue Aurélie Filippetti, qui en assure la cotutelle, nous avons présenté le 30 janvier dernier les grands axes de la réforme de la gouvernance de la médiation culturelle scientifique, technique et industrielle engagée par le Gouvernement. Cette réforme signe le retour d’un État stratège, qui affirme son rôle en définissant une politique nationale en lien étroit avec les opérateurs.
La recherche et l’innovation doivent revenir au premier plan de nos programmes éducatifs, car l’innovation, c’est avant tout un état d’esprit, une culture.
Pour conclure, je dirai que la proposition de loi constitutionnelle ne modifie pas l’état du droit actuel. La modification proposée de la Charte de l’environnement vise à ce que le principe de précaution « constitue un encouragement au développement de la connaissance, à la promotion de l’innovation et au progrès technologique ». Or le principe de précaution, dans son esprit, participe d’ores et déjà de ces dynamiques, et les modalités proposées n’empêchent en rien la jurisprudence.
Il n’en reste pas moins que les critères du principe de précaution sont insuffisamment appréhendés dans la Charte et qu’il conviendrait de mieux les définir et les encadrer, comme je viens de l’exposer. En ce sens, l’amendement déposé par le président de la commission des lois pourrait constituer une première étape.
Je reprendrai de ce fait à mon compte les propos que Robert Badinter, ancien sénateur, avait tenus en 2004 sur la Charte de l’environnement : reconnaître ce principe, au niveau constitutionnel, en se dispensant de l’intervention du législateur, c’est négliger la hiérarchie des normes et ouvrir la voie à un désordre constitutionnel évident.
Je voudrais terminer mon propos en disant que trois écueils me semblent devoir aujourd’hui être évités.
Le premier serait une évolution de la jurisprudence qui n’irait pas dans le sens d’une interprétation du principe de précaution comme étant un principe d’action.
Le deuxième écueil serait une mauvaise perception sociale du risque, qui conduirait à une défiance générale à l’égard de l’innovation, à un immobilisme suscité par la crainte du progrès.
Enfin, le troisième écueil serait l’absence de prise en compte des données scientifiques, qui conduirait à une mauvaise mesure du risque, à une mauvaise appréciation de la proportion des mesures prises pour répondre au risque.
C’est ensemble, nous au Gouvernement, vous au Sénat et à l’Assemblée nationale, en dialoguant avec la société et les chercheurs, que nous devons faire de ce principe de précaution un principe d’action et d’innovation au service d’une société qui soit d’abord, tout en protégeant la planète et ses habitants, une société de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si le principe de précaution devient un dogme, alors il faut le combattre. Certes, il convient d’être prudent, d’être diligent, de ne pas faire n’importe quoi n’importe comment, mais il ne convient jamais d’être dogmatique. Faut-il vraiment pousser encore les administrations de ce pays à ouvrir les parapluies ? Une société peut-elle se développer en cultivant constamment la peur de tout et de toute innovation ?
Alors que, jusqu’à la moitié du XXe siècle, le risque faisait partie du quotidien, nous dérivons vers une société aseptisée où le progrès est souhaité, mais le risque rejeté, ce qui pèse non seulement sur notre compétitivité, mais aussi sur le moral de nos concitoyens et sur la volonté de progrès, lequel devrait être inhérent à toute société humaine.
Le rapport Gallois, qui fut très à l’honneur voilà peu de temps, déplorait une interprétation extensive, voire abusive du principe de précaution : « Fuir le progrès technique parce qu’il présente des risques nous expose à un bien plus grand risque, celui du déclin, par rapport à des sociétés émergentes qui font avec dynamisme le choix du progrès technique et scientifique ».
Mes chers collègues, imaginez Pasteur tentant de mettre en application ses découvertes, qui ont sauvé tant de millions de vies, ou encore la construction de nombre de nos barrages hydroélectriques, avec la déclinaison du principe de précaution que certains préconisent aujourd’hui....
Je ne résiste pas au plaisir de citer Jacques Attali, ce qui est pour moi une première à cette tribune.
M. Didier Guillaume. C’est pourtant une très bonne référence !
M. Jacques Mézard. Et il a beaucoup compté, cher Didier Guillaume, pour le pouvoir socialiste !
M. Attali déclarait donc, le 10 décembre dernier, à propos du principe de précaution, qu’il s’agissait « d’un principe suicidaire que la France est le seul pays du monde à avoir inscrit dans sa Constitution ».
En effet, en 1995, la loi dite « Barnier » introduisait dans notre droit interne le principe de précaution, s’inspirant fortement de la déclaration de Rio.
En 2005, sa consécration au sein du préambule de la Constitution, au même niveau que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et que les droits fondamentaux prévus dans le préambule de la Constitution de 1946, n’allait, selon nous, pas de soi. D’aucuns, qui avaient voulu cette consécration, s’en mordent peut-être les doigts aujourd’hui ; c’est en tout cas ce que j’ai cru comprendre. Pour ma part, je ne pense pas qu’il s’agissait d’une décision opportune.
Nous le savons, la Charte de l’environnement était globalement acceptée, en dépit de ces quelques déclarations incantatoires. Cependant, sa constitutionnalisation masque les discussions cristallisées autour du principe de précaution, qui soulevaient un grand nombre d’interrogations, puisqu’une lecture extensive aurait pour effet d’entraver la recherche et l’innovation.
Quelle devait être la définition du dommage grave et irréversible ? Quel niveau de risque pourrait être jugé acceptable pour ne pas remettre en cause la responsabilité des décideurs publics ?
Dominique Perben – il y en a pour les deux côtés de l’hémicycle (Sourires.) –, alors garde des sceaux, lors de la discussion générale au Sénat au mois de juin 2004, le reconnaissait : « Manifeste ou latent, ce principe se diffuse dans l’ensemble de l’ordre juridique national et européen sans avoir de véritable définition, en étant parfois appliqué dans des domaines qui relèvent de la prévention. » Dès lors, l’article 5 de la Charte devait encadrer de manière claire le recours à ce principe. Des verrous ont donc été imaginés par le pouvoir constituant en restreignant l’obligation d’agir aux autorités compétentes, exclusivement dans leurs domaines d’attribution, en imposant la mise en œuvre préalable de procédures d’évaluation des risques ainsi qu’en exigeant un caractère provisoire et proportionné des mesures de précaution. Pourtant, loin de proposer une définition, l’article 5, tel qu’il est rédigé, n’établit qu’une procédure de gestion des risques, le juge veillant à son respect.
Il faut le rappeler, le rôle du politique n’est jamais de freiner le progrès. Il lui revient de décider de ce qui peut être jugé comme un risque acceptable, conformément à l’interprétation retenue du principe de précaution, inscrit dans le droit européen depuis le traité de Maastricht, par une communication de la Commission européenne datant du 2 février 2000. Ainsi, une lecture raisonnée de ce principe aboutirait à une maîtrise du risque plutôt qu’à l’interdiction de toute prise de risque.
Reconnaissons-le, le bilan de l’application est pour le moins contrasté. Bien que nous ayons pu constater quelques dérives en première instance, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et surtout du Conseil d’État est stable et en général prudente. Comme l’a justement rappelé Patrice Gélard dans son rapport, elle n’a pas conduit à une application extensive du principe. Les dérives ont notamment pu être évitées grâce à la nécessité d’évaluer le risque préalablement et au caractère provisoire et proportionné requis par la Charte. En effet, le risque étant méconnu, toute interdiction ne peut revêtir qu’un caractère temporaire en l’attente de nouvelles données scientifiques.
Certes, y compris avant 2005, nous pouvons regretter le développement de ce contentieux, qui peut se révéler dissuasif en soi. Dans le cadre des organismes génétiquement modifiés par exemple, si les arrêtés d’interdiction ont été annulés par le Conseil d’État, la prise de position des pouvoirs publics a frappé la recherche française dans ce domaine. Pourtant, ces décisions sont établies sur le fondement du droit européen.
La nature du problème n’est donc pas juridique. C’est la communication faite autour de ce principe qui engendre aversion du risque et lecture erronée. La présente proposition de loi constitutionnelle permet de tempérer la rédaction de notre Constitution pour que ces fausses interprétations cessent d’instiller une peur irrationnelle chez nos concitoyens. Elle a pour avantage d’instaurer un climat de confiance nécessaire pour donner de la visibilité à la recherche et à l’industrie. Cela passe également par le renforcement des moyens de la recherche publique, propice à l’indépendance de l’expertise dont nous avons de plus en plus besoin.
Mes chers collègues, notre pays a accueilli longtemps de nombreux experts – maintenant, il les fait plutôt partir –, sans lesquels notre société n’aurait pu se développer.
Comme Gaston Bachelard, je conclurai que « c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique ». Seul cet état d’esprit nous permettra de les dépasser et d’éviter toute régression du savoir et, plus encore, d’accompagner le progrès scientifique et l’innovation auxquels, nous, nous croyons toujours. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, voilà presque dix ans que nous avons examiné le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement. Cette Charte était le fruit de quatre ans de travail de la commission Yves Coppens.
Ce projet, je l’avais soutenu au Sénat, puis au Parlement réuni en Congrès, pour son message solennel – oui, l’avenir de l’humanité dépend du bon état des écosystèmes ! –, mais aussi pour la précaution qui s’imposerait à ceux qui veulent mettre tout et n’importe quoi sur le marché.
Présenté par une droite réticente,…
Mme Annie David. Oui !
Mme Marie-Christine Blandin. … initialement boudé par une gauche qui n’était pas dupe, critiqué par les députés écologistes parce que n’y figuraient pas les atteintes à la santé, commenté n’importe comment, diabolisé par une minorité de scientistes autistes, le principe de précaution a finalement trouvé sa juste place. La raison l’a emporté.
Certes, certains ont entretenu la confusion sur son champ d’application. Je pense à Roselyne Bachelot évoquant le « principe de précaution » contre un virus, pour engager 1 milliard d’euros d’argent public lors de la pandémie grippale. Ce n’était pas le sujet.
Aujourd’hui, monsieur Bizet, vous nous proposez de brouiller à nouveau les cartes et de revenir sur le texte de cette Charte, au motif qu’il serait mal compris et tendrait à devenir un principe d’inaction. Bien au contraire, vous l’avez vous-même commenté, par une prise en compte précoce des risques, il questionne, il interroge, il crée des obstacles, comme dit M. Mézard, et oblige à chercher des réponses.
Vouloir faire passer le principe de précaution comme un « frein aux activités de recherche et au développement économique » est un message très partial, éclairé par des finalités contestables. Ou bien s’agit-il de balayer les derniers obstacles au dumping environnemental du projet de traité transatlantique ?
M. Jean Bizet. Oh !
Mme Marie-Christine Blandin. C’est l’absence de principe de précaution qui a forgé l’inaction face à l’hormone de croissance, aux rejets de PCB dans les fleuves ou à l’amiante. Alors que la maladie mortelle était diagnostiquée, les bonnes décisions face au faisceau de signaux convergents et à la gravité du risque encouru n’ont pas été prises, différées par un Comité permanent amiante, au fil du temps transformé en club de lobbyistes.
Un seul point nous accorde vraiment, la nécessité d’un meilleur partage de la culture scientifique, car l’ignorance et l’obscurantisme aliènent. Tout le monde est d’accord, mais les budgets sont ridicules !
L’écologie est la première à avoir besoin d’innovations pour inventer des alternatives technologiques respectueuses de l’environnement : photovoltaïque performant, bioremédiation, stockage de l’énergie, meilleur rendement du transport de l’électricité. Ces innovations, ce n’est pas le principe de précaution qui les bloque, c’est le manque d’argent, le manque de volonté politique et des inféodations aux vieilles technologies comme le diesel. Vous parlez d’innovation, mais vos intentions sont ailleurs...
Pour vous, la perspective de progrès se fonde davantage sur une compétitivité dont les bénéfices ne doivent pas être entravés par la protection de l’environnement et des humains. Votre ambition est de réduire la portée de la jurisprudence pour permettre le développement des OGM, chers à votre cœur, les extractions d’huiles et de gaz de schiste...
M. Charles Revet. Eh bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Qu’importe le sabotage du sous-sol, l’hypothèque des nappes phréatiques, si X ou Y peut encore, avec votre soutien, s’enrichir en compromettant l’avenir de tous.
Depuis dix ans, le juge applique le principe sans en faire un combat idéologique. Aux termes du rapport, les juridictions françaises font du principe de précaution « une application mesurée, circonscrite et raisonnable ».
Je pense très sincèrement que cette proposition de loi constitutionnelle n’est pas opportune. Elle est assurément un message et donne des gages à vos amis de la chimie ou de l’agroalimentaire, mais elle est sans issue. Si elle venait à être adoptée par les deux assemblées, croyez-vous que votre loi serait soumise à référendum ?
Les écologistes estiment que le principe de précaution ne doit être considéré que comme un élément moteur d’une innovation au service de l’homme et des générations futures et de la protection de l’environnement. L’atteinte à la compétitivité, la vraie, celle qui se fonde sur l’intelligence et la performance sans dégâts collatéraux, n’est pas un argument recevable.
Pour ces raisons, les sénatrices et sénateurs écologistes s’opposeront à toute modification de la Charte de l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la constance de l’auteur de la proposition de loi constitutionnelle, Jean Bizet, même si nos positions divergent souvent.
M. Charles Revet. C’est vrai qu’il a beaucoup de constance !
Mme Chantal Jouanno. Moi aussi ! (Sourires.)
Je souhaite m’adresser à ceux, très nombreux dans cet hémicycle, qui ont voté pour le principe de précaution.
Tous les orateurs l’ont souligné, le débat que nous avons ce soir est nécessaire. Notre pays est-il confronté à un « précautionnisme » excessif qui contraindrait la recherche et l’innovation ? À l’évidence, oui ! Plusieurs exemples le confirment : destruction des parcelles de recherche sur les OGM, obstruction du débat sur les nanotechnologies – souvenons-nous de cet épisode –, détournement des études sur les ondes. Sur bien des sujets, cette instrumentalisation très politique a donc été un frein. C’est d’autant plus dommage que nous souhaitons prouver que l’écologie est un facteur d’innovation.
Le principe de précaution tel qu’il est inscrit dans la Constitution explique-t-il cet esprit frileux ?
Le rapport que vient de présenter avec brio Patrice Gélard montre l’inverse : les juges font de ce principe une application « mesurée, circonscrite et raisonnable ». La consultation qui a été menée pour la modernisation du droit de l’environnement conclut également à l’inverse. Sur les 700 contributions, dont un tiers émane des acteurs économiques, aucune n’a demandé la modification ou la suppression du principe de précaution. En revanche, la complexité, la contradiction et la rigidité du droit de l’environnement ont été évoquées. Le vrai sujet, c’est la crainte non pas du principe de précaution, mais du principe de responsabilité, c’est la judiciarisation excessive, parfois, de la société.
Même si la proposition de loi constitutionnelle n’est pas a priori nécessaire – c’est d’ailleurs un peu la conclusion de la commission –, permettra-t-elle de revivifier l’esprit d’innovation ?
Plusieurs points me posent problème.
Je comprends mal la nécessité de préciser que les mesures prises au titre du principe de précaution doivent avoir un coût économiquement acceptable. Cette exigence est inscrite dans le principe de proportionnalité. On comprend mal que ce principe prévale sur d’autres principes, comme la sécurité.
Je comprends mal également la nouvelle rédaction de l’article 5, qui ajoute l’obligation pour les autorités publiques de veiller au développement de la culture scientifique, de l’innovation et du progrès. Cette exigence est au cœur du principe de précaution.
Je crains que notre Constitution, qui est déjà un peu bavarde, ne le devienne plus encore si l’on ajoute ces précisions. N’oublions pas que l’article 5, tel qu’il était rédigé à l’époque, ne prévoyait qu’un principe de procédure qui renvoyait au législateur le soin d’appliquer, de définir et de préciser le principe de précaution. C’est pourquoi, monsieur Sueur, l’amendement que vous avez déposé – j’ignore si vous allez le soutenir – a du sens.
M. Jean-Pierre Sueur. Merci !
Mme Chantal Jouanno. La modification de l’article 7 me pose véritablement problème. À l’origine, j’étais plutôt favorable à la nouvelle rédaction. Cependant, après avoir consulté des juristes, j’ai pris conscience que chaque mot serait source de contentieux et risquerait même d’avoir un effet contre-productif. Il est en effet demandé que, pour chaque décision, individuelle ou réglementaire, les études soient publiées, qu’elles soient indépendantes et contradictoires. Pour chacune de ces trois exigences, il faut s’attendre à quatre pages de mémoire en contentieux, plus ou moins bienveillantes bien évidemment. J’imagine le nombre de recours possibles sur un projet d’implantation d’antenne-relai qui pourraient être fondés sur chacun de ces termes.
En revanche, je suis d’accord pour reconnaître que la question de la formation constitue un véritable enjeu.
En conclusion, je peux dire que je suis très favorable à des évolutions législatives pour que l’écologie soit un facteur d’innovation et non de régression, en cas d’instrumentalisation, bien entendu, car il n’est pas du tout dans mes intentions d’affirmer que l’écologie est facteur de régression. Par la lourdeur de nos procédures, par notre esprit encore trop tourné vers des principes du XXe siècle et non du XXIe siècle, nous sommes en train de louper certaines marches de l’innovation, tout particulièrement dans le domaine de l’écologie.
Ainsi, alors que nous étions premiers sur les hydroliennes, le Canada va nous dépasser. De même, nous loupons la marche pour le véhicule électrique, à propos duquel nous avons tiré la sonnette d’alarme tout à l’heure en commission, comme nous l’avons loupé sur le solaire ou les éoliennes, qui sont pourtant des secteurs d’exportation majeurs aujourd’hui.
Sur le fond, pourquoi devrions-nous donner le sentiment, en tout cas à l’extérieur de nos enceintes parlementaires, que nous renions en partie ce qui avait été voté à l’époque sur le principe de précaution ? Ne nous méprenons pas : malgré l’intention de l’auteur de la proposition de loi constitutionnelle de redonner du poids au principe d’innovation, les médias risquent, au terme d’une lecture extrêmement biaisée de nos débats, d’en conclure que nous revenons sur le principe de précaution.
Pourtant, ce qui était vrai en 2004 l’est toujours plus aujourd’hui : jamais une génération entière n’a ainsi été exposée, partout dans le monde, aux mêmes produits. En cas d’alerte sur un produit, c’est toute une génération qui sera touchée. Nous devons donc être très vigilants. De même, jamais les alertes sur la disponibilité des ressources halieutiques ou sur les événements climatiques – je vous renvoie aux dernières conclusions des météorologues – n’ont été aussi nombreuses.
Il est vrai que notre génération profite d’un niveau de vie jamais égalé par les générations précédentes. Mais c’est peut-être la première fois qu’on risque de le faire au détriment de la génération future. Nous devrions donc avoir deux débats : l’un sur le rôle du Sénat en tant que garant du long terme, l’autre sur le principe d’innovation, qui mériterait en lui-même un débat autonome, pour ne pas donner le sentiment qu’on l’oppose au principe de précaution. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP. – M. le président de la commission des lois et Mme Marie-Christine Blandin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Ce sont les termes fondateurs du principe de précaution, posé dans le principe 15 de la déclaration de Rio de 1992, traduite en droit interne au travers de la loi Barnier de 1995.
En 2005, la Charte de l’environnement a fait un pas supplémentaire, en intégrant le principe de précaution au bloc de constitutionnalité. Pourtant, presque dix ans après, ce principe fait encore largement débat, comme en témoigne cette proposition de loi constitutionnelle.
Je voudrais d’abord revenir, loin des caricatures qui ont pu être faites du principe de précaution, sur ses conditions d’application concrète. Ce principe n’est ni général ni absolu. Il est, de plus, largement encadré.
Pour que le principe de précaution puisse être invoqué, il faut non seulement que le risque de dommages soit grave, mais également qu’il soit irréversible – je ne l’ai pas assez entendu dans ce débat ! En outre, il est nécessaire que les hypothèses de risque soient suffisantes, comme les jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État l’ont établi. Ainsi, il est « défendu aux autorités d’adopter une approche purement hypothétique du risque et d’orienter leurs décisions à un niveau de risque zéro ».
Ainsi que le spécifie l’article 5 de la Charte de l’environnement, la décision doit également être révisable, à l’aune de l’évolution des connaissances, et elle doit être proportionnée. Tous ces mots ont un sens, et leur application est lourde de conséquences. L’article L. 110-1 du code de l’environnement a également inséré le concept de « coût économiquement acceptable ». Autant d’éléments qui nous conduisent à penser que ce principe est aujourd’hui suffisamment encadré et précisé au niveau constitutionnel. Nous pourrions même dire qu’il est tellement encadré qu’il a été appliqué avec la plus grande parcimonie.
Pourtant, nombre d’économistes et de politiques – je souhaite moi aussi rendre hommage à la constance de Jean Bizet – voudraient le remettre en cause en lui reprochant de constituer un frein à la recherche et au développement économique, bref à la sacro-sainte compétitivité économique. Ils tentent alors de lui adjoindre le principe d’innovation, sous-entendant ainsi que ces deux principes seraient antinomiques, voire contradictoires.
Or le principe de précaution est par essence un principe d’innovation. En effet, le principe de précaution a pour corollaire celui du renforcement de la recherche scientifique, afin d’évaluer précisément les risques et, par conséquent, de faire évoluer les technologies. Comme l’a dénoncé le comité de la prévention et de la précaution, « il est spécieux de discerner une machination anti-science dans un principe qui, tout au contraire, vise à redoubler l’effort de recherche ». Cela supposerait d’ailleurs de renforcer l’indépendance des chercheurs, en travaillant à lutter contre les conflits d’intérêts, à augmenter les bourses des doctorants et les crédits des laboratoires et des instituts de veille sanitaire.
Nous nous inscrivons donc en faux avec la vision portée par la proposition de loi constitutionnelle, qui ferait du principe de précaution un principe d’inaction. Il n’y a pas d’un côté les modernes et de l’autre les archaïques, les pro-sciences et les obscurantistes ! D’ailleurs, si l’on cherche bien les archaïsmes, ils sont plutôt à trouver du côté de ceux qui veulent opposer systématiquement considérations environnementales et économiques, alors même que ces considérations doivent aujourd’hui, au regard des déréglementations environnementales liées à l’activité humaine, être appréhendées dans un même mouvement. Il est vrai que les résistances du monde économique libéral sont fortes…
Anne Lauvergeon a récemment déclaré qu’il « faut instaurer un principe d’innovation, fondé sur l’acceptation du risque et reconnaissant davantage le droit à l’échec ». Ne mélangeons pas tout ! Cela n’a rien à voir avec le droit à l’échec. L’institut économique Molinari, think tank libéral implanté à Bruxelles, est plus clair encore en indiquant que « le principe de précaution contrevient à des intérêts économiques ». Voilà un bel a priori ! Toujours selon cet institut, le principe de précaution « sert aussi à justifier de nombreuses interventions de l’État dans l’économie. Il comprend notamment une insécurité juridique accrue pour l’économie et l’innovation dans le marché. »
On voit bien que, derrière ces déclarations, ce qui est fondamentalement reproché au principe de précaution, c’est le symbole qu’il porte d’affirmation de la capacité du politique à intervenir pour réguler l’économie. Cela est fondamentalement jugé par les marchés comme une intervention indue des pouvoirs publics, parce que, par principe, ils refusent toute entrave.
Par ailleurs, à l’époque de la discussion sur la Charte de l’environnement, le président du MEDEF faisait déjà part de ses inquiétudes a priori, arguant d’un retard de la France, de menaces pour la compétitivité, de coûts inacceptables, de pertes de parts de marché… C’est toujours la même chose !
M. Bruno Sido. Et de pertes d’emplois !
Mme Évelyne Didier. Le principe de précaution n’a rien à voir avec les pertes d’emplois !
Mme Annie David. Voilà !
Mme Évelyne Didier. Ces propos traduisaient au fond très simplement la pensée du patronat, qui veut regarder les préoccupations écologiques, et bien sûr sociales, comme autant d’atteintes à la profitabilité des entreprises. On comprend d’ailleurs très précisément l’intérêt de la discussion de cette proposition de loi constitutionnelle et de cette nouvelle offensive, alors même que la question de l’exploitation des gaz et huiles de schiste revient dans le débat public, par exemple.
Sur le fond, nous pensons qu’il ne faut pas se focaliser sur le seul principe de précaution, qui ne permet pas de répondre aux causes profondes de la dégradation accélérée de notre environnement.
On sait qu’il faut conduire une croissance compatible avec un développement durable. Mais cela nécessite de raisonner et d’investir à long terme, en développant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Mme Annie David. Voilà !
Mme Évelyne Didier. L’économie est aujourd’hui gangrenée par la finance, qui ne mesure que le rendement à court terme et le rendement annuel, voire trimestriel de l’action.
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme Évelyne Didier. Le rendement des actions ne se mesure pas par trimestre ? Osez dire le contraire, monsieur Sido !
C’est à cela qu’il faut s’attaquer pour favoriser un développement compatible avec la vie. Alors, si l’innovation scientifique et technologique est absolument nécessaire, l’urgence réside aussi dans une innovation politique et démocratique.
Je noterai pour finir que la proposition de loi constitutionnelle revient également, de manière extrêmement pernicieuse, sur la notion d’expérimentation. En effet, telle qu’elle est rédigée, la refonte de l’article 7 laisse planer un doute entre « expertise » et « expérimentation ». Or l’expérimentation peut aussi être source de dommages graves et irréversibles pour l’environnement. C’est le cas d’ailleurs pour ce qui concerne les gaz et huiles de schiste, de même que pour les OGM. Soyons prudents ! Insérer ce concept nouveau dans la Charte de l’environnement créerait de sérieuses difficultés.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat sur la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation intervient dans un contexte médiatique relativement passionnel, faisant suite à l’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 14 mai dernier, qui a relaxé cinquante-quatre personnes accusées d’avoir détruit volontairement, en 2010, une parcelle expérimentale de soixante-dix porte-greffes de vigne génétiquement modifiés, exploitée par l’INRA.
Dans ces circonstances, il est essentiel de faire preuve de rigueur juridique et de mesure politique pour que le débat sur un sujet aussi important que le principe de précaution soit le plus serein possible. C’est dans cet esprit que je souhaite vous faire part de mes interrogations concernant cette proposition de loi constitutionnelle. Elles sont au nombre de trois.
La première porte sur la méthode. Il est proposé de procéder à une réécriture substantielle de la Charte de l’environnement, en particulier de son article 5 relatif au principe de précaution. Or la Charte de l’environnement, adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 28 février 2005, a donné lieu à quatre années de travaux, menés notamment par des comités scientifiques, avec la consultation de près de 14 000 acteurs régionaux. Sur la forme, le choix d’une proposition de loi constitutionnelle pour modifier la Charte de l’environnement traduit un certain empressement, alors que l’aménagement du principe de précaution mériterait le temps d’une plus large concertation.
Ma deuxième interrogation tient à l’analyse qui est faite du principe de précaution dans l’exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle. En effet, ce principe est présenté, au mieux, comme la source d’une inaction, au pire, comme un empêchement à agir.
L’auteur du texte souhaite exprimer plus clairement le principe de précaution par l’introduction d’un principe d’innovation. Cette approche laisse entendre, d’une part, que le principe de précaution serait mal défini et qu’il donnerait lieu à des interprétations restrictives de la part des juges et, d’autre part, que, dans les faits, il constituerait une contrainte et même un empêchement à l’exercice de la recherche scientifique et au développement économique.
Concernant la définition du principe de précaution, le rapporteur du texte, Patrice Gélard, a pourtant souligné que « les personnes entendues […] ont toutes estimé que les juges saisis de contentieux s’appuyant sur le principe de précaution en faisaient une application mesurée, circonscrite et raisonnable ». Même si des améliorations sont toujours possibles, on peut donc se poser la question de savoir pourquoi il serait nécessaire de définir encore plus clairement, et surtout à la hâte, le principe de précaution.
En outre, le rapport souligne bien que le principe de précaution n’est « pas une règle de fond interdisant d’agir dès qu’un risque existe, même de façon hypothétique ». Cela démontre bien une certaine modération dans l’application du principe de précaution, car, comme le souligne Patrice Gélard, « le juge se [limite] à contrôler, sur le fondement de l’erreur manifeste d’appréciation, les mesures qui doivent être prises par l’administration pour parer à la réalisation » des risques éventuels. Le principe de précaution est donc avant tout un principe procédural, encadrant l’exercice des pouvoirs de l’administration, qui ne juge pas de l’opportunité d’une innovation ou d’une recherche.
Ainsi, l’arrêt de la cour d’appel de Colmar s’inscrit bien dans la logique de la jurisprudence actuelle, puisque celle-ci a estimé que l’arrêté ministériel qui avait autorisé l’expérimentation de l’INRA était illégal, en raison d’une erreur manifeste d’appréciation sur les risques inhérents à une culture d’organismes génétiquement modifiés en plein champ, sans mesures de confinement. La cour d’appel n’a donc pas sanctionné le fait de réaliser des recherches sur les OGM, ni même le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour les réaliser, mais l’absence de données scientifiques nécessaires au dossier d’autorisation de dissémination volontaire dans l’environnement demandé par la directive européenne du 12 mars 2001.
Quant à l’affirmation selon laquelle le principe de précaution constituerait un empêchement à l’exercice de la recherche scientifique et à l’innovation, elle est difficilement évaluable.
D’abord, la jurisprudence portant sur le principe de précaution reste relativement rare pour avoir un réel impact dans le quotidien des chercheurs et des entreprises.
Ensuite, si le principe de précaution constituait une importante contrainte économique et scientifique, le volume des brevets déposés, élément essentiel en matière d’innovation, devrait s’en ressentir. Or, selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPI, en 2013, la France a déposé 7 844 brevets, contre 6 256 en 2006, et ce malgré la crise économique et l’affaiblissement de son secteur industriel.
Enfin, le principe de précaution ne paraît nullement nuire à la compétitivité de la France par rapport à celle des autres pays. En effet, comme le rappelait Christine Noiville, directrice de recherche au CNRS, lors de son audition par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en 2009, la Cour de justice de l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce sont rentrées dans « une dynamique d’homogénéisation de la jurisprudence » du principe de précaution.
Cela me conduit à une troisième interrogation sur les raisons ayant motivé le dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle.
Sur la forme, la proposition de loi constitutionnelle a été déposée le 3 décembre 2013, soit deux mois après la décision du 1er octobre 2013 du Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, par une société, à propos des articles 1er et 3 de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherche comportant des projets ayant recours à cette technique.
Sur le fond, l’argumentaire présenté à l’appui de la proposition de loi constitutionnelle est relativement proche des griefs soulevés contre l’abrogation des permis exclusifs de recherche devant le Conseil constitutionnel. En effet, les requérants avaient mis en avant le fait que la loi du 13 juillet 2011 méconnaissait l’article 6 de la Charte de l’environnement, qui impose la conciliation entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, d'autre part, et le développement économique, d'autre part. Le Conseil constitutionnel a jugé que l’article 6 n’instituait pas un droit ou une liberté que la Constitution devait garantir.
L’auteur de cette proposition de loi constitutionnelle espère-t-il que cette conciliation, sous une nouvelle forme, c’est-à-dire entre principe de précaution et principe d’innovation, pourrait instituer un droit ou une liberté garantie par la Constitution, ouvrant ainsi la voie à un revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel s’agissant des OGM et des huiles et gaz de schistes ?
Certes, j’entends bien l’argumentaire sur la « nécessité » d’aménager les conditions d’application du principe de précaution pour favoriser l’innovation, mais un tel aménagement doit être entrepris après une large concertation de l’ensemble des acteurs du territoire. Il serait peu judicieux, à mon sens, de prendre position sur ce texte dans le contexte médiatique actuel, exacerbé par une décision de justice d’appel commentée hâtivement, et sans prendre le temps d’effectuer un travail approfondi sur une proposition de loi soulevant tant d’interrogations. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Courage, fuyons !
M. Michel Teston. M’exprimant à titre personnel, et non pour le groupe socialiste, j’indique que je suis favorable à l’amendement de Jean-Pierre Sueur, qui tend à renvoyer les conditions d’application du principe de précaution à une loi organique.
En revanche, je suis défavorable à l’amendement d’Yves Détraigne, qui vise à maintenir la proposition de loi Bizet, en renvoyant à une loi ordinaire le soin de définir les conditions d’application du principe de précaution incluant un principe d’innovation et non les conditions d’application du seul principe de précaution.
Je demeure attaché au principe de précaution, car, comme le soulignait Jean Jaurès : « Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vive Jean Jaurès !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai cosigné cette proposition de loi constitutionnelle.
Le principe d’innovation, auquel il s’agit de donner une portée constitutionnelle, permettrait en effet de tempérer et de prévenir des interprétations excessives, et même erronées, du principe de précaution. Cependant, il ne s’agit pas de remettre en cause ce principe.
Si le principe de précaution est au cœur de la problématique du développement durable, cet instrument juridique encore nouveau, mais déjà incontournable, doit être manié avec discernement et prudence. Il ne doit pas servir de caution à des approches passéistes, immobilistes ou obscurantistes, en faisant de l’irrationalité et de la peur les nouvelles vertus cardinales de l’action publique et de l’écologie.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Philippe Bas. Chacun ne le sait que trop, il est plus facile d’inquiéter que de rassurer. Le principe de précaution doit être mis en œuvre avec objectivité, en évitant de lui donner une portée qu’il n’a pas et de l’instrumentaliser à tout propos. Il renferme aussi une exigence de recherche et d’expertise, d’ailleurs réaffirmée par l’article 9 de la Charte. Il ne saurait être hâtivement traduit par une sorte d’impératif d’interdiction systématique de tout ce qui n’est pas conforme à l’utopie du risque zéro.
La Charte de l’environnement est un progrès majeur de notre ordre juridique. Voulue par le Président de la République Jacques Chirac, qui en avait pris l’engagement devant les Français lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2002, elle établit les fondements constitutionnels d’une écologie humaniste. Elle est aussi à l’origine du Grenelle de l’environnement.
L’adossement de ce texte à la Constitution, formule nouvelle et originale, et son adoption par le Congrès dans les formes prévues par l’article 89 de la Constitution lui donnent la même valeur juridique que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la constitution de 1946. Ainsi, la protection de nos droits fondamentaux repose désormais sur trois piliers : les droits individuels, les droits économiques et sociaux, les droits environnementaux.
La Charte de l’environnement proclame avec force, quoique dans une langue qui n’est plus celle de Mirabeau, que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Certains y ont vu une forme de désarmement unilatéral dans la compétition économique. Pourtant, nul ne conteste aujourd’hui, notamment au travers des effets de plus en plus tangibles du réchauffement climatique, que l’humanité doit inventer de nouveaux modes de développement pour assurer son avenir.
Que la France fasse partie des nations pionnières ne doit pas choquer ceux qui croient en sa mission historique pour l’affirmation et l’approfondissement des droits universels. Du reste, dans le domaine de l’environnement, notre pays est aussi redevable de l’œuvre accomplie par la communauté internationale depuis l’adoption de la Déclaration de Rio en 1992, ainsi que des principes forgés au sein de l’Union européenne, qui ont débouché sur l’article 174 du Traité.
La Charte doit donc être défendue, et non pas fragilisée. Et j’ai le sentiment, au fond, qu’elle sera mieux défendue si elle peut être complétée par la proposition de loi dont nous débattons.
S’agissant en particulier du principe de précaution, celui-ci n’a pas attendu la Charte de l’environnement pour faire partie du droit positif français, tant en application du régime juridique propre à l’incorporation du droit communautaire dans le droit français qu’en vertu du principe selon lequel les traités, parmi lesquels, bien sûr, les traités relatifs à l’environnement, ont une valeur supérieure à celle des lois. Ce principe est également pris en compte par la loi Barnier de 1995.
Dès avant la Charte de l’environnement, l’ensemble des juridictions françaises de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif avait donc déjà à faire respecter le principe de précaution. La portée constitutionnelle donnée par la Charte à ce principe est d’ailleurs plus étroite qu’on le croit souvent.
Tout d’abord, cela a été dit, l’article 5 ne crée d’obligation que pour les autorités publiques, dans la limite de leurs attributions, et non pour les personnes privées, qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’entreprises. Ensuite, il ne vise que des dommages dont la nature reste incertaine, mais qui, s’ils se réalisaient, auraient pour l’environnement des conséquences dramatiques, qualifiées dans le texte de « graves et irréversibles ». Enfin, il n’impose rien de plus que des mesures « provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Cela ne postule pas l’interdit de la prise de risque ; cela pose simplement l’exigence que des mesures de précaution appropriées soient prises.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Philippe Bas. Dans ces conditions, il est clair que le principe de précaution ne saurait ni exonérer de leur responsabilité pénale ceux qui détruisent des installations de recherche ni imposer l’interdiction systématique des cultures d’OGM, de l’exploitation du gaz de schiste, ou de la production d’électricité nucléaire. De telles mesures relèvent de choix politiques, que l’on peut soutenir ou combattre – je les combats !–, mais ne résultent pas d’une obligation juridique relevant du principe de précaution.
La proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Jean Bizet ne retire rien à l’article 5 de la Charte, qui fait référence au principe de précaution. Elle se borne à le compléter. L’interprétation de ce principe devrait dorénavant tenir compte d’un nouveau principe constitutionnel, le principe d’innovation. C’est une explicitation, car le principe de précaution, dans son acception la plus rigoureuse, implique nécessairement que la recherche soit stimulée pour apporter des solutions à des risques dont l’éventualité est identifiée.
L’histoire de l’homme, celle des sociétés humaines, s’inscrit depuis toujours dans une tension dynamique, positive, féconde, entre les risques et les progrès induits par l’extension continue du champ des connaissances. Jusqu’à nos jours, l’homme a su se doter des instruments permettant de surmonter les dangers nés de ses propres découvertes. Sa faute est de n’avoir pas toujours voulu les mettre en œuvre.
La confiance dans la science et la notion de progrès sont cependant des ressorts essentiels de notre civilisation et elles conservent une place éminente dans notre idéal républicain. Le progrès sans le risque, cela n’existe pas, depuis la maîtrise du feu jusqu’à la découverte de l’atome, en passant par la recherche d’une meilleure adaptation des productions végétales aux besoins alimentaires de la planète.
On ne peut renoncer au progrès à cause du risque. C’est pourquoi il faut répondre aux risques non par l’interdit, mais par la précaution, par la prévention, et surtout par de nouveaux progrès. C’est ainsi que nos sociétés parviennent inlassablement à améliorer la qualité et la durée de vie, ainsi que la situation matérielle de leurs membres.
Il reste bien sûr que l’accélération inouïe des technologies nouvelles dans tous les domaines, leur diffusion mondiale, le formidable développement économique des pays émergents, font craindre aujourd’hui la réalisation de risques environnementaux massifs, d’une ampleur et d’une gravité sans précédent si de nouveaux modèles de développement ne sont pas rapidement mis en œuvre.
C’est pourquoi, si nous précisons aujourd'hui le texte de la Charte grâce à la proposition de loi de notre collègue Jean Bizet, nous voulons le faire avec prudence, sans en atténuer la portée. Il me semble justement que cette proposition de loi est utile, clarificatrice, et qu’elle respecte bien les contraintes de l’exercice. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Berson.
M. Michel Berson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 a inscrit dans le préambule de notre loi suprême la Charte de l’environnement, qui, à son article 5, définit le principe de précaution. Dix ans après cette révision, la constitutionnalisation du principe de précaution, déjà consacré dans notre droit par la loi Barnier de 1995, fait toujours l’objet d’un vif débat. La controverse continue entre partisans et détracteurs non pas de ce principe, mais de son inscription dans la Constitution.
Certes, face aux grands risques technologiques, sanitaires et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, il convient d’anticiper, afin d’éviter les dommages que ces risques peuvent engendrer pour l’homme et la société. Cependant, l’inscription du principe de précaution dans la Constitution, sans un encadrement précis de son application, peut constituer un frein au développement de la recherche, de l’innovation et donc de l’activité économique.
Depuis dix ans, des voix s’élèvent contre l’usage excessif du principe de précaution, contre les dérives dont il peut faire l’objet, contre le climat préjudiciable à l’innovation et à la croissance qu’il peut provoquer. Récemment, la cour d’appel de Colmar a ainsi relaxé cinquante-quatre faucheurs volontaires qui avaient détruit une parcelle de vigne OGM expérimentale cultivée par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Michel Berson. Cette décision étonnante, pour ne pas dire choquante,…
M. Daniel Raoul. Scandaleuse !
M. Michel Berson. … a suscité, à juste titre, une très forte inquiétude de la communauté scientifique. Il n’est pas de la compétence de la justice d’évaluer le travail scientifique du Haut Conseil qui avait légalement donné l’autorisation de pratiquer cette culture.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Michel Berson. Si une telle jurisprudence venait à s’imposer, elle empêcherait toute expérimentation scientifique et toute innovation technologique.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jean-Claude Requier. C’est ce qu’ils veulent…
M. Michel Berson. En janvier 2008, dans le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, Jacques Attali préconisait d’abroger l’article 5 de la Charte de l’environnement ou, à tout le moins, de préciser très strictement la portée du principe de précaution.
L’article 5, soulignait-il, « risque d’inhiber la recherche fondamentale et appliquée, dans la mesure où une innovation qui générerait potentiellement un dommage dont la réalisation serait “incertaine en l’état des connaissances scientifiques” pourrait ouvrir des recours en responsabilité, tant à l’égard des entreprises ou des instituts de recherche que des collectivités publiques en charge de la police administrative ».
En novembre 2012, dans un rapport au Gouvernement préconisant un « pacte pour la compétitivité de l’industrie française », Louis Gallois soulignait quant à lui que « la notion même de progrès technique [était] trop souvent remise en cause à travers une interprétation extensive – sinon abusive – du principe de précaution et une description unilatérale des risques du progrès, et non plus de ses potentialités ». Il ajoutait que « le principe de précaution [devait] servir à la prévention ou à la réduction des risques, non à paralyser la recherche ».
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Michel Berson. Nous savons en effet que la prise de risque est inhérente à la compétitivité ; elle est l’un des fondements de la recherche et développement, générateur d’innovations et de croissance.
En octobre 2013, la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon, proposait « de reconnaître, au plus haut niveau, l’existence d’un principe d’innovation équilibrant le principe de précaution, yin et yang du progrès des sociétés ». Les membres de cette commission considéraient qu’il fallait « réapprendre à oser, à accepter le risque » et encourager « l’expérimentation l’audace, la création » et l’innovation qui « permet à l’Homme d’évoluer sans cesse ». Ils concluaient ainsi : « L’innovation est indispensable pour que la France, dans dix ans, soit dans la course mondiale et conserve son niveau de vie et son modèle social. »
Il convient de redire aujourd’hui haut et fort que l’innovation, fruit de la recherche et de sa valorisation, est devenue, en ce début de XXIe siècle, le moteur de la croissance économique et de la création d’emplois. L’innovation est la clef des grands défis auxquels nous devons faire face, à commencer par celui de la compétitivité internationale. Oui, l’innovation est au cœur de la nouvelle économie de la connaissance et de la sortie de la crise de la mondialisation.
Enfin, le récent rapport d’Alain Feretti – c’est le dernier rapport que je citerai –, adopté à l’unanimité des membres du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, préconise lui aussi une meilleure articulation entre principe d’innovation et principe de précaution, après avoir souligné que le principe de précaution est souvent dévoyé par la gestion émotionnelle des crises, l’emballement médiatique et les attentes irrationnelles de la société face aux inquiétudes et même aux peurs qui la caractérisent aujourd’hui : peur du nucléaire et des gaz de schiste, peur des biotechnologies et des nanotechnologies, peur des OGM et des ondes électromagnétiques.
Je partage les réflexions et les préconisations des auteurs des rapports que je viens de citer. Le principe de précaution ne peut être appréhendé, compris, appliqué qu’à travers un autre principe, celui d’innovation. Il ne s’agit pas d’opposer l’un à l’autre, puisqu’ils sont complémentaires, mais de reconnaître l’un et l’autre.
Il ne me paraît guère possible aujourd’hui d’ôter au principe de précaution sa portée constitutionnelle. Ce serait incompris ; ce serait un recul et non un progrès. En revanche, la reconnaissance d’un principe d’innovation adossé au principe de précaution et conçu comme un principe de vigilance et de transparence, d’expertise et d’action, serait un progrès.
Le principe de précaution est essentiel. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les tragédies du sang contaminé, de l’amiante, de l’hormone de croissance ou encore de l’épidémie de la vache folle. Cependant, le principe de précaution ne doit pas être considéré comme un principe d’interdiction et d’immobilisme, comme une méfiance à l’égard de l’innovation et du progrès technologique. Il ne peut pas être un frein aux activités de recherche et développement, puisque la mise en application du principe de précaution nécessite précisément le développement des connaissances scientifiques. Ainsi interprétés, principe de précaution et principe d’innovation vont de pair ; ils sont indissociables.
Le redressement de notre économie, le développement de notre société, la foi républicaine dans la science et le progrès, qu’il nous faut d'ailleurs retrouver, passent par la double reconnaissance du principe de précaution et du principe d’innovation, sans que l’un prime sur l’autre. Nous n’avons pas à choisir entre précaution et recherche ou entre compétitivité et précaution. Dans la société de la connaissance et du risque qui est la nôtre aujourd’hui, le progrès repose sur un équilibre responsable entre le principe de précaution et le principe d’innovation.
Précaution, innovation et progrès sont des principes fondamentaux qui doivent être inscrits dans notre Constitution. La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons concourt opportunément, utilement, sagement à l’approfondissement du débat public sur ces principes, un débat qui se prolongera d'ailleurs le 5 juin prochain lors de l’audition publique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, sur le principe d’innovation, qui vise en particulier à analyser ce que pourraient être demain – rêvons un instant – les fondements d’une Charte de l’innovation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de cinq minutes.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, madame la secrétaire d’État ;
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution
Article unique
La Charte de l’environnement de 2004 est ainsi modifiée :
1° L’article 5 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Après le mot : « proportionnées », sont insérés les mots : « , à un coût économiquement acceptable, » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Elles veillent également au développement des connaissances scientifiques, à la promotion de l’innovation et au progrès technique, afin d’assurer une meilleure évaluation des risques et une application adaptée du principe de précaution. » ;
2° L’article 7 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’information du public et l’élaboration des décisions publiques s’appuient sur la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise scientifique indépendante et pluridisciplinaire.
« L’expertise scientifique est conduite dans les conditions définies par la loi. » ;
3° À l’article 8, après les mots : « formation à l’environnement », sont insérés les mots : « et la promotion de la culture scientifique ».
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 34-1 de la Constitution, il est inséré un article 34-2 ainsi rédigé :
« Art. 34-2. – Le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement s’applique dans les conditions fixées par une loi organique. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, comme vous tous, ce débat depuis le début,…
M. Charles Revet. Il était intéressant !
M. Jean-Pierre Sueur. … et toutes ces interventions, très riches, m’ont conduit à quelques réflexions que je souhaite partager avec vous.
Il est permis, me semble-t-il, d’être un farouche partisan du principe de précaution, qui est non pas un dogme, effectivement, mais un principe qu’il est important de respecter et de mettre en œuvre.
En même temps, il est aussi permis de croire, comme vous-même, madame la secrétaire d’État, depuis bien avant votre entrée au Gouvernement,…
M. Jean-Claude Lenoir. Madame Fioraso est jeune ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. … dans les vertus de la recherche scientifique, d’être persuadé qu’elle est indispensable et que rien ne doit porter atteinte à la liberté des chercheurs, dès lors que, bien sûr, ils respectent un certain nombre de principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés.
Il ne peut pas y avoir, il ne doit pas y avoir, il n’y a pas de contradiction entre le principe de précaution et la conception du progrès, notamment scientifique, à laquelle nous sommes très nombreux à croire. Aussi, nous en venons parfois à nous demander si certaines oppositions ne sont pas quelque peu forcées…
L’amendement que j’ai eu l’honneur de déposer a suscité un grand intérêt, et je remercie Mme la secrétaire d’État, ainsi que Mme Jouanno et M. Teston, d’avoir marqué un peu plus que de l’intérêt pour cette proposition.
Je dois dire qu’il s’agit d’un amendement de fidélité. Vous le savez, il arrive que, dans la vie politique, nous ayons des maîtres, des personnes qui nous marquent, qui nous influencent beaucoup.
Pour ma part, je n’oublierai jamais le discours qu’a fait ici même, voilà dix ans, Robert Badinter.
M. Jean-Jacques Hyest. Moi non plus !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pour faire suite à ce discours et à ce qu’il a énoncé alors avec une grande force que j’ai déposé cet amendement.
Robert Badinter avait expliqué de manière très convaincante qu’il n’était pas justifié, à son sens, d’inscrire le principe de précaution sans que la manière dont celui-ci s’applique donne lieu à une loi.
Mme la secrétaire d’État l’a déjà cité, mais permettez-moi de reprendre certains passages de son intervention de ce jour-là : « Reconnaître ce principe et lui donner une applicabilité directe en se dispensant expressément, consciemment, délibérément de l'intervention du législateur, pourtant prévue pour les autres articles – je pense en particulier au principe de prévention –, en prétendant qu'il pourra toujours intervenir plus tard, mais que c'est pour l'instant inutile, puisque le principe est d'applicabilité directe, c'est négliger la hiérarchie des normes et ouvrir la voie à un désordre juridique ».
Il poursuivait : « Le véritable risque de confusion s'inscrit ailleurs : il réside dans l'applicabilité directe, innovation majeure et fâcheuse ».
Il s’interrogeait ensuite : « Pourquoi ne pas prévoir que le principe de précaution, comme le principe de prévention, s'exercera dans des conditions prévues par une loi, organique ou ordinaire, débattue et votée par le Parlement ? Pourquoi cette défiance à ce sujet, dans cet article, à l'égard du législateur, quand il s'agit du principe de précaution ? »
Enfin, il concluait sur ce sujet : « Du fait de ce refus, pour moi incompréhensible, d'un renvoi à la loi organique ou ordinaire, l'article 5 signifie à la fois l'abaissement du législateur et la montée en puissance constitutionnelle du juge administratif – qui d'ailleurs n'en demande pas tant ! ».
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Je conclus, monsieur le président.
J’ai présenté cet amendement ce matin en commission, à la suite de quoi nous avons eu un très riche débat, comme tous les membres de la commission des lois peuvent en témoigner.
À la demande de M. Patrice Gélard, rapporteur, les membres du groupe socialiste, qui avaient cosigné cet amendement, ont accepté de le retirer, au bénéfice de celui qui a été présenté par M. Détraigne. Les dispositions de ce dernier reprennent certains points du texte qui, à notre sens, ne sont pas contradictoires avec le principe de précaution, c’est-à-dire tout ce qui favorise nécessairement, légitimement, positivement la recherche scientifique.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. De surcroît, dans votre amendement, monsieur Détraigne, figure ce point essentiel selon lequel le principe de précaution s’applique dans les conditions fixées par la loi.
Comme il s’agit pour nous du point absolument essentiel du débat, un point que nous défendons depuis dix ans, nous avons choisi de retirer notre amendement au bénéfice de celui que vous allez présenter dans quelques instants.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, je dois le dire, j’ai beaucoup de regrets à vous voir retirer ainsi cet amendement.
Je suis perplexe, car votre proposition avait le mérite de s’appuyer sur l’argumentaire de Robert Badinter, que j’ai moi-même évoqué dans mon propos liminaire et qui me paraissait tout à fait pertinent, tant sur le plan juridique que sur le plan de l’état d’esprit qui le sous-tend.
En effet, un principe d’innovation, comme d’ailleurs un principe de précaution, ne se décide pas de manière précipitée. C’est quelque chose qui doit être discuté, partagé, débattu. Pour ces raisons, j’étais tout à fait favorable à votre amendement, monsieur Jean-Pierre Sueur, et je dois dire que je n’ai pas bien compris les raisons pour lesquelles vous avez décidé de le retirer. Sans doute y a-t-il eu des débats dont je n’ai pas eu connaissance ou qui m’ont échappé…
Il me semble en effet que le principe d’innovation, plutôt que d’être décrit dans la Constitution – ce n’est pas la vocation de cette dernière –, devrait figurer dans les dispositions d’une loi organique.
Je le répète, monsieur Sueur, je suis perplexe, même si j’ai bien compris que vous aviez pris une décision dont les tenants et les aboutissants m’échappaient.
M. Christian Cambon. Reprenez l’amendement, alors !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Vous le savez, je suis aussi en charge de la recherche, et j’ai pu mesurer, à de nombreuses reprises, la défiance provoquée par des jurisprudences qui, même si elles sont peu nombreuses, ont un impact extrêmement négatif, notamment sur les vocations scientifiques, dont nous déplorons régulièrement le tarissement.
Toutefois, posons-nous les bonnes questions : pourquoi sont-elles en train de se tarir ? Pourquoi, dans les médias et dans le débat politique, donne-t-on une image bien trop négative de la recherche en ne s’attachant qu’à ses dysfonctionnements et en n’évoquant pas assez ses formidables découvertes ?
Je représente, certes, le Gouvernement, mais également la communauté des chercheurs, à laquelle le Président de la République et le Premier ministre tiennent beaucoup, et qui doit dialoguer davantage avec la population, car je crois que notre débat public n’est au niveau ni de notre recherche scientifique ni de la démocratie à laquelle nous aspirons tous.
Nous avons jusqu’à présent raté presque tous nos débats nationaux, que ce soit sur les nanotechnologies ou sur d’autres techniques issues de découvertes scientifiques pouvant, à juste titre, poser des questions, mais sur lesquelles nous devrions apprendre à travailler et à discuter de façon beaucoup plus mature. Certains pays l’ont fait pour certaines découvertes, mais nous n’avons pas été capables, à ce jour, d’en débattre avec l’intelligence nécessaire, et je le regrette.
Si j’ai dit que j’étais perplexe, c’est parce que j’ai dû m’adapter à ce changement dont je n’avais pas connaissance, et je suis donc amenée à prendre une position qui doit, pour le coup – c’est l’ironie de l’histoire ! –, tenir compte des avantages et inconvénients ou des risques et avantages, selon cette fameuse méthode que je préconisais. Seulement, il se trouve que je dois prendre cette décision quelque peu à chaud.
Je ne veux pas adresser un signe négatif supplémentaire à la communauté scientifique, à tous les chercheurs qui, dans les laboratoires, travaillent avec acharnement et dévouement. Ils le font, non pas pour des intérêts mercantiles – on sait, et cela a été maintes fois souligné sur toutes les travées de cette assemblée, que la recherche publique ne permet guère de s’enrichir –, mais par vocation, qu’ils soient dans la recherche fondamentale, dans la recherche appliquée ou dans la recherche partenariale. Même quand ils font du transfert – et c’est important, car le transfert de la recherche, de l’innovation, vers l’industrie crée des emplois –, ils le font en accord avec leur mission de service public.
J’ai un très grand respect pour ces chercheurs, à qui on ne rend jamais suffisamment hommage, de la recherche fondamentale jusqu’à la recherche appliquée et aux activités de transfert.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est ce respect des chercheurs qui me conduira à m’en remettre à la sagesse de votre assemblée sur l’amendement n° 3 rectifié bis, qui sera présenté dans quelques minutes. Je ne lui donnerai pas un avis favorable, car je regrette que cette mention de la loi soit conservée, ma préférence allant à une loi organique. Et je déplore le retrait inattendu, mais sûrement opportun, pour des raisons qui m’échappent, de l'amendement n° 1.
M. Bruno Sido. Quel numéro ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Toutefois, je veux avant tout redonner confiance à la communauté des chercheurs, parce qu’elle en a besoin et parce notre avenir en dépend.
Le rayonnement de notre pays, la survie non pas seulement de notre économie, mais aussi de notre société, dépendent de la confiance que nous accorderons au progrès, un progrès maîtrisé, respectueux de l’environnement, mais qui soit tout de même porté par l’ensemble des citoyennes et des citoyens.
Donc, pour ces raisons, je le répète, tout en déplorant le retrait de l'amendement n° 1,…
M. Bruno Sido. Dans ce cas, reprenez-le !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. … je m’en remettrai tout à l'heure à la sagesse du Gouvernement sur l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. le président. L'amendement n° 1 ayant été retiré, les trois amendements suivants seront examinés séparément.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est dommage !
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Jouanno, MM. Lasserre et Roche, Mme Morin-Desailly et M. Marseille, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Comme je l’ai expliqué dans le cadre de la discussion générale, la plupart des dispositions de cet article unique me posent problème. Aussi, je propose de n’en conserver que la dernière partie concernant la formation à l’environnement et de supprimer toutes les autres dispositions, qui m’apparaissent soit inutiles, soit dangereuses en termes de contentieux potentiels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, pour l’évidente raison que l’adoption de ce dernier aurait pratiquement pour effet de faire disparaître la proposition de loi !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous vous retrouvons, madame la secrétaire d'État ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Détraigne, Mme Férat et MM. Capo-Canellas, J. Boyer, Merceron et Amoudry, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...) Les mots : « et dans leurs domaines d'attributions » sont remplacés par les mots : « dans leurs domaines d'attributions et dans les conditions définies par la loi » ;
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement vise également à préciser, à encadrer par la loi l’application exacte du principe de précaution, mais dans des conditions qui seraient définies par une loi simple, et non pas par une loi organique.
L’application du principe de précaution doit être encadrée ; le législateur explique ce qu’il veut au travers du principe de précaution qu’il a voté. Nous suggérons donc, au travers de cette disposition qui avait déjà été proposée au moment de la discussion initiale de la Charte, d’encadrer dans des conditions définies par la loi l’application du principe de précaution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement, que j’expliciterai en apportant quelques explications complémentaires.
Tout d’abord, je souligne que l’amendement de M. Détraigne est conforme à la position exprimée il y a dix ans par M. Robert Badinter. Celui-ci ne parlait pas de loi organique, il parlait de la loi. Ce n’est même pas la loi ordinaire, c’est la loi in abstracto, c’est-à-dire le texte qui crée des normes applicables. Il peut donc, dans certains cas, s’agir d’un règlement.
Ainsi, le Préambule de la Constitution de 1946 énonce que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Or il y a très peu de lois qui réglementent le droit de grève.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il y en a bien une sur la grève dans les services publics, mais c’est la seule.
Par conséquent, nous sommes là dans un domaine où « la loi » est un terme abstrait. Ce n’est pas un terme qui désigne la loi ordinaire ou la loi organique ou la loi constitutionnelle ou un règlement.
M. Charles Revet. C’est la loi in abstracto !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà ! Par ailleurs, pourquoi ne peut-il s’agir d’une loi organique ? L’article 46 de la Constitution dispose : « Les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées [….] » En d’autres termes, c’est la Constitution qui confère le caractère organique à une loi. A-t-on jamais vu une seule disposition du préambule de la Constitution, que ce soit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Préambule de 1946 ou la Charte de l’environnement renvoyer à une loi organique ?
Ce serait d'ailleurs extrêmement dangereux pour la suite. Imaginez que puisse être renvoyée à une loi organique la modification de telle ou telle disposition du Préambule de 1946 ! Dès lors, le caractère supraconstitutionnel ou constitutionnel des préambules se trouverait affecté par cette disposition.
Par conséquent, la formulation proposée par M. Détraigne est conforme à ce qui s’est déjà pratiqué pour le Préambule de 1946, mais il ne faut pas aller plus loin.
En outre, la loi organique prévue par l’amendement n° 1, qui a été retiré, avait un grave inconvénient, celui de rendre inapplicable le principe de précaution tant qu’une loi organique n’aurait pas été adoptée. Pour l’instant, tant qu’il n’y a pas de loi, ce principe est d’application immédiate, exactement comme le droit de grève.
C’est la raison pour laquelle nous donnons, dans un esprit de consensus, un avis favorable à cet amendement déposé par M. Détraigne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. À l’égard de la proposition de M. Détraigne, je réitère tout de même mes réserves, qui ne portent pas tant sur l’aspect juridique que sur l’aspect politique de son argumentation.
Si l’on juxtapose les principes d’innovation et de précaution dans la Constitution, on retrouvera exactement les mêmes désordres de jurisprudence. On ne pourra pas avoir de débat démocratique, ni les précisions que permet une loi, qu’il s’agisse d’une loi ordinaire ou d’une loi organique.
Le problème est donc plutôt de surcharger la Constitution et de juxtaposer des notions qui ne devraient jamais être mises en complémentarité ou en opposition, pour peu qu’elles soient définies dans un texte de loi qui a été débattu démocratiquement.
Or, là, en faisant les choses à la va-vite, on prend pour le coup un plus grand risque – puisqu’il a été question de risques –, celui d’introduire dans la Constitution une complexité complémentaire que l’on ne maîtrisera pas, dont on ne contrôlera pas la jurisprudence, parce que les précisions n’auront pas été données.
Encore une fois – que ce soit bien compris –, le Gouvernement est tout à fait favorable à l’innovation. Il a été le premier à demander un rapport à Louis Gallois, qui avait une expérience de cette innovation et de sa diffusion. Il a aussi été le premier à renverser la logique s'agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. D'ailleurs, je n’ai pas souvenance, monsieur Détraigne, que votre parti ait, à ce moment-là, émis un seul vote favorable sur ces questions, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat…
Nous avons donc donné des preuves de notre attachement à l’innovation, au progrès et surtout à la liberté de la recherche, pour peu que celle-ci soit encadrée lorsque les procédés ou les explorations mis en œuvre requièrent des précautions particulières.
C’est pourquoi, tout en réitérant sa confiance dans la recherche et dans l’innovation – ce sont deux choses différentes –, mais aussi dans les chercheurs et dans la capacité de notre pays d’entreprendre, afin de transformer l’invention du laboratoire en innovation adaptée à l’industrie et développée en emplois, le Gouvernement ne peut pas souscrire à la complexité juridique et aux risques supplémentaires en termes de jurisprudence que votre amendement tend à introduire.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement s’en remet à la sagesse de votre assemblée. Je ne veux pas que notre position soit mal interprétée, mais je tenais à réitérer ces réserves, qui me paraissent tout de même pouvoir être prises en considération et débattues.
Nous ne sommes pas ici dans une démarche de grand débat, je le regrette également, mais je m’en remets à la sagesse du Sénat, à qui l’on reconnaît traditionnellement cette qualité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne suis pas un grand scientifique, je ne suis qu’un modeste juriste. On m’a appris, à la faculté de droit, ce qu’était qu’une loi organique : l’application de certaines dispositions constitutionnelles à l’organisation des pouvoirs publics. Il y en a d'ailleurs extrêmement peu dans la Constitution.
Renvoyer un principe à une loi organique, c’est juridiquement absurde. Et ma position sur ce point tient uniquement à des motifs juridiques.
Par ailleurs, j’observe – M. Détraigne aurait pu faire cette remarque – que le texte ne crée pas de principe d’innovation, mais précise que l’on veille à l’innovation. Il est dit, dans les dispositions relatives au principe de précaution, que l’on doit veiller aussi à « la promotion de l’innovation », ce qui n’est pas tout à fait pareil.
En fait, on applique le principe de précaution inscrit dans la Charte depuis son adoption ; des lois existent qui permettent de veiller à l’application du principe de précaution, mais il y a aussi des règlements, des décisions administratives. C’est un principe de procédure, nous a-t-on dit – je renvoie sur ce sujet au rapport de notre excellent doyen Gélard –, et qui est d’application directe.
On peut bien sûr faire des lois, mais prévoir une loi organique, ce qui serait tout de même un paradoxe juridique, et même introduire un nouvel article 34-2 dans la Constitution, c’est peut-être aller trop loin... On peut certes bouleverser la Constitution. On a déjà fait la Charte de l’environnement, qui est, de mon point de vue, un objet juridique et constitutionnel assez mal identifié. Certains auraient été prêts aujourd'hui à adopter un article 34-2 pour l’appliquer. Il me paraît préférable de s’en tenir à quelques principes juridiques ; c’est quand même la moindre des choses !
Je me demande d'ailleurs, mon cher collègue – vous l’aviez proposé à l’époque et cela n’avait pas été accepté, je m’en souviens fort bien –, si le principe de précaution s’applique uniquement dans le cadre des lois. Ce n’est pas sûr… À ce moment-là, faudrait-il renvoyer à l’article 34 de la Constitution, en disant que les textes qui concernent ce principe de précaution font l’objet de lois ? Non ! On voit bien qu’il y a quand même là une hésitation. Je m’interroge donc encore sur l’intérêt d’ajouter cette notion de loi.
M. Bruno Sido. On ne vote plus l'amendement, alors ?
M. Jean-Jacques Hyest. Vous ferez comme vous voudrez ! (Sourires.)
Je ne fais que donner mon avis, mais je pense qu’il faut se méfier des blocages. On dira : « il faut une loi ! » ; mais cela entre-t-il dans le domaine de la loi ?
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Je ne suis pas un scientifique et je suis un bien plus modeste juriste que Jean-Jacques Hyest. Néanmoins, j’ai effectivement appris en première année de droit quel était l’objet de la loi organique, et nous n’y sommes pas du tout lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des principes ou des droits, qu’ils soient sociaux, économiques, civils ou environnementaux d'ailleurs.
Nous ne sommes pas là pour définir le fonctionnement de nos institutions, de nos corps constitués. Nous sommes en plein dans le domaine de la loi. Et je m’étonne quelque peu que Mme la secrétaire d’État parle de la complexité qu’induirait cet amendement, alors que c’est précisément la loi organique, en l’espèce inadaptée, qui ajouterait une complexité !
Je suis, pour ma part, très attaché à la valeur constitutionnelle du principe de précaution. Mme la secrétaire d'État disait que celui-ci peut être en contradiction avec d’autres principes. Certes, mais c’est tout à fait normal ! Tous les principes constitutionnels sont, dans l’absolu, contradictoires les uns avec les autres : on en a un exemple avec la liberté et l’égalité. C’est à la loi et à la jurisprudence constitutionnelle d’établir des compromis entre des principes contradictoires. Pour autant, il serait souhaitable, dans bien des cas, que cela soit réglé par la loi.
J’avais d’abord craint que l’adoption de l’amendement de M. Détraigne n’offre à ceux qui, sans forcément le dire, parfois même dans ma famille politique, sont opposés au principe de précaution le moyen de supprimer l’applicabilité directe de ce dernier. Il faudrait, en effet, attendre une loi, ce qui, finalement, pourrait ôter toute portée à ce principe.
En réalité, ce n’est pas du tout le cas ! Le renvoi à la loi pour la mise en œuvre d’un principe constitutionnel ne supprime nullement l’applicabilité directe de celui-ci, même si cela n’a pas été précisé. L’exemple le plus flagrant a été rappelé par M. le rapporteur : c’est l’exercice du droit de grève. Il s’agit d’un droit à valeur constitutionnelle qui, bien qu’il renvoie à une loi, s’applique malgré tout. Les victimes de risques potentiels doivent bénéficier du droit que leur ouvre le principe de précaution.
Par ailleurs, je rappelle que le principe de précaution est inscrit dans l’ordre juridique européen : il a donc, de toute façon, une valeur supra-légale.
Cet amendement n’est donc pas forcément indispensable, mais, sur un plan pédagogique, il n’est pas inutile. L’objet principal de la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui est de rappeler que le principe de précaution est également un principe d’innovation.
Personnellement, j’estime que la rédaction initiale de la Charte, que j’ai relue avant notre débat de ce soir, est excellente. Pour autant, il ne serait pas forcément inutile que, dans certains domaines, le législateur précise les modalités de mise en œuvre des principes constitutionnels.
Pour conclure, cet amendement n’est pas indispensable, mais il n’est pas non plus inutile. Dès lors, autant le voter !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Vous l’avez rappelé, monsieur Grosdidier, le principe de précaution figure dans l’ordre juridique européen : un règlement de 2002 prévoit un processus précis, en six étapes, d’évaluation et de prévention des risques connus.
Force est de constater que, en réalité, l’introduction du principe de précaution, par la Charte de l’environnement, dans notre Constitution est d’une portée qui est à la fois plus exigeante et plus floue. Par conséquent, si l’on souhaite éviter que les non-juristes ne fassent du principe de précaution un principe d’abstention, il est préférable de le préciser dans une loi plutôt que d’attendre la jurisprudence.
Je formulerai quelques remarques supplémentaires.
Tout d’abord, le progrès scientifique n’entraîne pas toujours celui des sociétés. En revanche, il en est une condition indispensable.
Ensuite, la situation actuelle de la planète et l’exploitation de cette dernière exigent que des efforts scientifiques soient menés pour comprendre la situation et protéger ses habitants. Dans ces conditions, le premier risque, c’est de ne pas en prendre.
Le principe de précaution devrait plutôt s’appeler « obligation d’anticipation ». Il faudrait d’abord procéder à une analyse raisonnée, maîtrisée et collective du risque. La régulation devrait se faire par la démocratie représentative et ne pas consister en une gestion médiatique des fantasmes véhiculés sur des bases non rationnelles.
Le principe de précaution doit s’appuyer sur une analyse des conséquences néfastes possibles sur la base des connaissances scientifiques disponibles. Par conséquent, sans approfondissement de ces connaissances, il ne pourra être correctement appliqué.
Enfin, cela a été rappelé, le principe de précaution doit être contrôlé par les tribunaux. Il s’agit, en fait, d’une procédure.
En conclusion, le principal risque pour la planète et ses habitants, c’est l’incapacité des hommes à s’émanciper de l’ignorance et de l’oppression. La France a toujours porté un message universel issu du siècle des Lumières : il faut comprendre l’inconnu et s’émanciper par l’éducation et la recherche. Aujourd’hui, nous devons rester fidèles à ce message. Je le redis, plutôt que de principe de précaution, je préférerais que l’on parle d’obligation d’anticipation, qui conjuguerait conviction dans la force du progrès et maîtrise collective de celui-ci par l’éducation et le droit.
Pour ces raisons, je voterai l’amendement de M. Détraigne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Ma conviction est toujours la même : ce texte est absolument inutile et vain, à moins que l’on estime, si l’on est quelque peu paranoïaque, qu’il cache d’autres desseins…
J’aimerais éclaircir les choses. On compare l’amendement de M. Sueur, qui tend à renvoyer à une loi organique, à celui de M. Détraigne, qui vise à proposer une loi simple. Toutefois, ce n’est pas la seule différence ! Le premier a pour objet de prévoir une rédaction de l’article 34-2 de la Constitution qui se substitue à celle de la proposition de loi constitutionnelle, alors que le second tend à en quelque sorte à s’introduire dans le texte visé.
Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression que nous assistons à un jeu de rôles, dont on connaît déjà l’issue. On dépose un amendement pour le retirer ensuite, on a des états d’âme, on défend les chercheurs, mais on s’en remet avec tristesse à la sagesse du Sénat… Madame la secrétaire d'État, nous avons adopté une loi sur les lanceurs d’alerte, certes, mais cela fait plus d’un an que nous attendons les décrets d’application. Pendant ce temps, les lobbys sont tranquilles ! Tout cela me donne une mauvaise impression.
On se réfère au grand Robert Badinter. Les propos qui ont été cités sont admirables. Nous avons tous connu son charisme et son talent. Néanmoins, rappelez-vous, mes chers collègues, que lorsque nous avons débattu de la Charte de l’environnement, ce n’était pas son meilleur jour : il en avait contesté la rédaction au nom de la laïcité. En effet, il était écrit que l’avenir de l’humanité dépendait du bon état des écosystèmes, et Robert Badinter estimait que cela pouvait froisser les croyants, pour lesquels l’avenir dépend d’autre chose…
Je n’aurais pas voté l’amendement de M. Sueur s’il avait été maintenu, pas plus que je ne voterai celui de M. Détraigne. J’ai entendu les propos du doyen Gélard, repris par certains de nos collègues. Pour autant, en tant que citoyenne et parlementaire, il ne m’a pas convaincue que le renvoi à une loi ne risque pas d’ouvrir un espace-temps dans lequel s’engouffreront les lobbys du gaz de schiste. Ces derniers pourront arguer que, en l’absence de loi, le principe de précaution ne s’applique pas : « En attendant, allons-y, sortons les foreuses ! »
M. Daniel Raoul. Oh là là !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mes chers collègues, la loi qui complète la Charte existe déjà : il s’agit du code de l’environnement et de la réglementation du ministère de la santé !
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Par conséquent, cet amendement n’est, en quelque sorte, que la reconnaissance d’une réalité.
J’ajouterai que, sans l’amendement de M. Détraigne, rien n’interdira un jour à un justiciable de déposer une question prioritaire de constitutionnalité contre les dispositions du code de l’environnement pour non-conformité à la Charte de l’environnement.
Cet amendement est donc tout à fait logique. Une loi existe déjà ; il ne fait que la reconnaître.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UDI-UC.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 185 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 281 |
Contre | 37 |
Le Sénat a adopté.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Grosdidier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
, à un coût économiquement acceptable,
insérer les mots :
au regard des enjeux sanitaires et environnementaux
La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Cet amendement vise à modifier la rédaction de l’alinéa 3, qui mentionne un « coût économiquement acceptable » à l’article 5 de la Charte de l’environnement.
J’étais décidé à voter le texte initial, mais cette rédaction, issue de l’adoption d’un amendement de M. le rapporteur, me gêne énormément. En effet, les mesures, notamment d’évaluation, à prendre en cas de survenue d’un risque potentiel doivent rester proportionnées à ce risque qui, même s’il est hypothétique, pourrait tout de même affecter l’environnement « de manière grave et irréversible ». Autrement dit, le coût des mesures doit tenir compte de la gravité des risques.
Le texte évoque un coût « économiquement acceptable », sans préciser, d'ailleurs, pour qui il le serait. Est-ce pour le générateur du risque, qui prend le risque non pas pour lui, mais pour la société ou pour l’environnement ? Il est assez rare qu’il considère le coût des mesures comme inacceptable ! Du reste, s’agit-il du coût immédiat ou d’un bilan coûts-avantages agrégeant l’ensemble des coûts, y compris sociaux, sanitaires, environnementaux et éventuellement économiques, pour la société elle-même ?
Selon la rédaction actuelle du texte, le « coût économiquement acceptable » concerne celui qui crée le risque sans le prendre. Or, ceux qui prennent le risque ne l’ont généralement pas souhaité ! Les dispositions de l’alinéa 3 sont donc contradictoires avec l’idée de proportionnalité.
Pour reprendre l’exemple de l’amiante, que certains ont évoqué, nous sommes, depuis les années quatre-vingt, dans la prévention, le risque étant certain, avéré. Toutefois, des années soixante aux années quatre-vingt – on peut débattre de la date –, le risque était encore incertain, contesté : il était nié par le patronat, les syndicats, la représentation nationale et même l’Académie de médecine. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
On peut considérer que nous étions alors dans la précaution. Dès lors, si les mesures nécessaires pour contrer ce risque avaient été prescrites à l’époque, leur coût aurait été considéré comme n’étant pas économiquement acceptable.
Tout le problème est de savoir si l’on place la compétitivité et l’emploi, auxquels nous sommes tous sensibles, au-dessus des considérations de santé ou de l’environnement. Il s'agit véritablement d’un problème de hiérarchie des valeurs.
Dans ces conditions, parler de « conditions économiquement acceptables », sans préciser pour qui – est-ce uniquement pour celui qui génère le risque et le fait supporter aux autres ? –, fait passer la considération économique au-dessus de toute autre.
C'est la raison pour laquelle je conditionne mon vote sur l’article unique de la proposition de loi à l’adoption du présent amendement, lequel vise à rétablir cette idée de proportionnalité, sans faire primer la considération économique sur les autres.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement est satisfait par les articles 1er, 2, 3 et 4 de la Charte, qui ne sont ni modifiés ni abrogés par le présent texte, ainsi que par l’adoption de l’amendement n° 3 rectifié bis de M. Détraigne, qui permet de tenir compte de la préoccupation que vous venez d’exprimer.
La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, étant cosignataire de la proposition de loi constitutionnelle, je n’insisterai pas sur les vertus que je trouve à ce texte, ni sur le fait que je l’adopterai.
Néanmoins, je tiens à souligner que notre débat, extrêmement intéressant, a permis de mettre en valeur un certain nombre de principes auxquels nous sommes attachés et qui, d'ailleurs, se fondent sur le principe de la liberté.
On ne peut aujourd'hui, par prudence, éventuellement par maladresse et, très souvent, par confort intellectuel se réfugier derrière des arguments pour tout simplement décider qu’il ne se passera rien.
La France est le pays des Lumières ; c’est le pays de la science.
Mme Cécile Cukierman. La science doit éclairer !
M. Jean-Claude Lenoir. On pourrait réciter la liste de toutes les innovations et inventions qui n’auraient jamais vu le jour si avait été appliqué le principe de précaution tel qu’il a été décrit par certains, en particulier à l’extérieur de notre assemblée.
Heureusement, le bon sens l’a emporté et le courage a caractérisé aussi bien des responsables publiques, notamment politiques, que des chercheurs qui ont beaucoup donné pour mener à bien un certain nombre de travaux.
Je souhaite insister, et c'est la raison pour laquelle je me suis permis, monsieur le président, de prendre la parole, sur une autre disposition de la proposition de loi constitutionnelle, dont il n’a pas été vraiment question jusqu’alors : l’information du public.
Pour m’être vu confier un certain nombre de travaux, notamment dans cette assemblée, j’ai été frappé de voir à quel point les mauvais arguments chassaient les bons, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne. Lorsque l’on s’intéresse à un sujet assez complexe et susceptible d’avoir un impact sur la vie quotidienne, combien de fois entend-on se dresser devant nous des arguments qui heurtent la vérité et, surtout, le bon sens ? Or, malheureusement, le public retient ce qui fait peur, au détriment des bons arguments. C’est un phénomène très répandu et entretenu, en particulier, par le développement des réseaux sociaux et par l’accès à des informations non fiables.
À l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, dont je salue le président et les collègues qui en sont membres, combien de fois, mus par la même volonté de faire progresser la science et de faire reculer l’obscurantisme, nous sommes-nous dit qu’il était absolument nécessaire que la vérité puisse être établie de façon impartiale et indépendante ?
C’est ce que permet la présente proposition de loi constitutionnelle, qui, dans sa seconde partie, dont nous avons moins discuté, dispose que « l’information du public et l’élaboration des décisions publiques s’appuient sur la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise scientifique indépendante et pluridisciplinaire ». Il est précisé, à l’alinéa suivant, que « l’expertise scientifique est conduite dans les conditions définies par la loi ».
Bien évidemment, il est difficile d’édifier, sur la seule base du présent texte, un dispositif juridique complet, permettant d’atteindre cet objectif. Néanmoins, il est absolument indispensable que l’on puisse disposer d’expertises avérées, incontestées et réfutant les arguments inspirés par la méfiance, le doute, mais aussi la mauvaise foi, et entretenus par des personnes qui, de toute façon, s’opposent à ce qu’il se passe quelque chose.
Je veux donc souligner le mérite de cette proposition de loi constitutionnelle, en toute modestie puisque j’y ai apporté ma signature (Sourires.), mais en insistant sur ce point, qui mériterait certainement d’autres développements. En effet, mes chers collègues membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il me semble que nous tenons là un bon moyen de consolider la vérité contre la mauvaise foi ! (MM. Jean Bizet et Bruno Sido applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. À l’instar de Mme la secrétaire d’État, je me réjouis que cette proposition de loi constitutionnelle envoie un message positif à nos chercheurs.
En effet, pour être élu dans une ville où se trouve un grand centre de l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, je puis vous dire que plus aucun doctorant ne veut s’aventurer dans le domaine de la génétique, en raison des pressions psychologiques, quand ce ne sont pas des menaces physiques, qu’ils subissent. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
C’est un véritable problème, dont je parlais encore récemment avec Marion Guillou. Dans le domaine de la recherche, en particulier dans la génétique du végétal, nous sommes en train de nous démunir complètement. Cela dit, je puis comprendre les chercheurs qui n’ont pas envie de prendre des coups !
Je veux ensuite rappeler que l’innovation a toujours conduit à une prise de risque. À cet égard, avec l’interprétation que certains font du principe de précaution, jamais Pasteur n’aurait pu combattre la rage !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Daniel Raoul. En outre, je ne voudrais pas que les tribunaux se mettent à interpréter la volonté du législateur.
Or, dans l’amendement de M. Détraigne, qui vise à faire appel à la loi, cette dernière, comme l’a dit le doyen Gélard, renvoie à l’ensemble du contexte législatif, mais aussi réglementaire !
Je pense en particulier au texte relatif aux OGM que nous avons examiné voilà quelques semaines : les essais en champ étaient cadrés par le code de l’environnement. Malgré tout, une opération qui, comme l’a rappelé M. Bizet, avait reçu l’aval à la fois du Haut Conseil des biotechnologies, des élus locaux et des associations environnementales, a été saccagée, et la Cour d’appel de Colmar a rendu un jugement différent de celui qui avait été prononcé en première instance. Je suis choqué par cette décision, même si elle s’appuie sur un texte antérieur à la Charte de l’environnement, et non sur le principe de précaution.
Mme Évelyne Didier. Très juste !
M. Daniel Raoul. L’action en question ne peut rester impunie, quel que soit le texte sur lequel on s’appuie.
Mme Évelyne Didier. Cette proposition de loi constitutionnelle n’y changera rien !
M. Daniel Raoul. En tout cas, j’espère qu’elle aura permis de rappeler le contexte dans lequel on peut faire de la recherche : dans le respect des règlements et des lois. J’espère aussi qu’il servira à redonner confiance au monde de la recherche. C’est indispensable ! Sinon, nos laboratoires ne pourront plus innover. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des lois et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Pour les raisons que j’ai eu l’occasion d’exposer dans la discussion générale, je voterai contre cette proposition de loi constitutionnelle.
Un certain nombre de membres du groupe socialiste émettront le même vote.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit lors de la discussion générale. Simplement, je pense que, aujourd'hui, le principe de précaution, tel qu’il figure dans la Constitution, n’entrave pas le développement de la recherche. Au contraire, il la favorise !
Les problèmes posés par des actions comme le fauchage d’OGM n’ont rien à voir avec la Charte de l'environnement ; ce n’est pas elle qui les provoque, et l’on fait des amalgames qui ne sont pas corrects !
Je pense que l’on vient de mettre le doigt dans l’engrenage. Depuis toujours, notre collègue Jean Bizet attaque le principe de précaution au travers d’amendements et de cavaliers. Nous pouvons avoir confiance dans sa pugnacité pour tenter de mettre un coin dans ce principe, pour arriver progressivement à détricoter – je ne le souhaite pas, mais je le crains – ce qui constituait tout de même un beau travail.
Ce travail tenait juridiquement la route, puisque le principe de précaution était d’application directe et que – vous l'avez presque tous dit, chers collègues – cette dernière est loin d’empêcher aujourd'hui toute recherche ou toute innovation ; vous l’indiquez aussi par ailleurs, monsieur Bizet.
Non, il y a bien d’autres freins, dont je dirai que le premier est constitué par les abus et les excès. N’oubliez pas qu’il y a eu l’amiante, et l’on sait bien le temps qu’il a fallu pour que certains admettent la vérité. Il y a eu Métal Europe, et bien d’autres affaires qui ont créé les conditions pour que l’on se sente effectivement dans l'obligation de mettre un frein aux atteintes à l'environnement.
Cela va donc continuer. Je pense que de nouveaux amendements ne tarderont pas à attaquer ce principe, jusqu’à ce que mort s'ensuive ! (Exclamations sur les travées du groupe UMP.) Je parlais de la mort du principe de précaution, chers collègues !
M. Jean Bizet. Nous sommes rassurés ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. En dépit de ses redondances, j’aurais aimé pouvoir voter ce texte. Il n’est pas forcément inutile de rappeler que le texte initial de la Charte de l’environnement, dont je continue à dire qu’il est excellent et plus pertinent que jamais, et que le président Jacques Chirac avait bien fait d’en demander l’adoption à la représentation nationale, pose bien un principe d’action et d’innovation, même s’il est souvent invoqué comme un principe d’abstention dans le débat public.
Je suis donc d’accord pour le rappeler, même dans un texte comprenant des redondances. De même, je suis d’accord pour rappeler la nécessité d’expertises contradictoires, indépendantes et pluridisciplinaires. Je suis également d’accord pour renforcer l'information et je suis même heureux d’appuyer cette initiative : on oppose parfois le secret industriel à un renforcement de l’information, alors que celle-ci ne peut que lever toutes les suspicions et combattre l’obscurantisme.
Venant d’une famille politique qui est le gaullisme, je n’ai aucune approche idéologique des questions liées à l'environnement ou à la santé ; je cherche simplement à me forger un jugement en honnête homme.
Or, la raison, ce n’est pas de penser que l’homme peut tout se permettre, y compris des dégâts irréversibles, et qu’il trouvera toujours le moyen de les corriger. Ce n’est pas davantage penser que tout changement de l’ordre naturel constitue une faute à ne pas commettre. Les uns et les autres, nous devons éviter de tomber dans ces excès.
Sur l’application directe, il y a débat. Je pense que l’absence de loi n’interdit pas la mise en œuvre du principe. D’ailleurs, si la loi doit préciser un certain nombre de modalités, elle ne déterminera pas tout. Comment, en effet, pourrait-elle prévoir la gestion de risques encore inconnus aujourd'hui, dans des domaines qui ne sont peut-être même pas envisagés à ce jour ? Il existe donc des limites à l’anticipation législative.
Par ailleurs, je réitère mon regret que les considérations économiques, la santé et l’environnement ne soient pas au moins placés sur le même plan. Peut-être cela aurait-il été redondant, peut-être ce souhait était-il déjà satisfait, mais ce texte est précisément le support d’une succession de redondances sur bien d’autres sujets, et j’estime que, chaque fois que l’on pose le principe des considérations économiques, on doit aussi poser les principes d’intérêt public de la santé et de l'environnement.
Selon moi, ce texte risque de rompre cet équilibre et c'est pourquoi, avec regret, je ne le voterai pas.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je peux le dire, notre groupe déplore unanimement que le principe de précaution ait été inscrit dans la Constitution. Nous voterons donc très majoritairement cette proposition de loi – seuls deux membres du groupe s'abstiendront, mais c’est en fait parce qu’ils sont complètement opposés au principe de précaution.
Il est des messages qu’il est important d’adresser à nos concitoyens. Pour notre part, il est à la fois nécessaire de préserver notre environnement – c'est une évidence –, et indispensable de permettre à nos chercheurs de continuer à faire leur travail. Et ce que nous constatons en France – Daniel Raoul l’a rappelé avec pertinence –, ce sont des comportements qui sont devenus strictement inacceptables.
Je suis de ceux qui ont fait voter par le Sénat la proposition de loi sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires – elle a été déposée par le groupe RDSE –, dont je me réjouis qu’elle ait pu ensuite prospérer à l’Assemblée nationale. Même si ce texte n’est pas exactement de la même nature que celui qui nous occupe, il est aussi le signe, parmi d’autres, de l’accumulation des obstacles opposés à tout ce qui relève de la recherche, ainsi que de l’accumulation de discours mettant en cause la santé de nos concitoyens en leur faisant peur.
Il suffit d'ailleurs de consulter sur internet nombre de sites d’organisations politiques pour se rendre compte que tout cela est extrêmement néfaste au développement de notre pays. La fuite de nombreux chercheurs à l’étranger est une réalité !
Il est donc urgent d’inverser très clairement cette tendance, et c'est aussi ce message qui est envoyé ce soir.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Le doyen Gélard nous a expliqué avec beaucoup de finesse que, depuis vingt et une heures, nous débattons pour rien, et cela à un double titre : d'une part, in fine, cette proposition n’aboutira pas, et, d'autre part, l’application du principe constitutionnel de précaution par la jurisprudence a été maîtrisée, mesurée et raisonnable. Depuis vingt et une heures, nous sommes donc présents ici pour rien !
M. François Grosdidier. Tout de même, nous avons eu un débat intéressant !
Mme Chantal Jouanno. Nous avons eu un débat, certes, mon cher collègue, mais je ne sais pas s'il enverra un signal positif. Nous n'avons pas eu un débat de fond sur le contenu même de la proposition de loi. Nous n’avons pas débattu du principe de proportionnalité, ni de la rédaction précise de l’article 5, ni des risques de contentieux liés à cette nouvelle rédaction de l’article 7.
M. Jean-Jacques Hyest. Si, nous en avons débattu.
Mme Chantal Jouanno. Je les ai évoqués tout à l'heure en discussion générale, mais je ne me souviens pas que nous ayons ensuite creusé ces différents sujets.
La réalité, c'est que le principe de précaution a bon dos, qu’il permet de masquer certaines de nos lâchetés… Par exemple, lorsque des parcelles de recherche sur les OGM ont été détruites, je n’ai pas entendu s'élever un concert politique de condamnations de ces agissements.
M. Daniel Raoul. Il faut changer de sonotone ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Chantal Jouanno. À de rares exceptions près, le silence a été généralisé, sans prise de risque. De même, lors de l’obstruction du débat sur les nanotechnologies, on n’a rien entendu.
Certes, le principe de précaution existe. Cependant, en réalité, s'il n’y a pas d’innovation, c'est d’abord parce que l’on n’a pas été suffisamment courageux pour dénoncer ces différentes exactions, parce que l’on ne trouve pas les financements pour l’innovation et parce que certaines procédures sont trop longues, si bien que l’on n’arrive pas à les mettre en œuvre ni à les faire aboutir.
L’appel à manifestation d’intérêt pour les hydroliennes, on parviendra à le mettre à jour dans deux ans. Or dans deux ans, les Canadiens auront maîtrisé cette technologie et développé leur propre projet depuis bien longtemps…
Ce débat s'imposait, c’est vrai. Il était nécessaire de discuter de l’innovation, comme il serait nécessaire de débattre d’une charte de l’innovation en tant que telle. Toutefois, de grâce, n’opposons surtout pas le principe de précaution au principe d’innovation !
Dans notre groupe, les votes sont extrêmement partagés. Je voterai contre ce texte, mon collège Yves Détraigne votera pour, et certains autres s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Je dois dire que j’attendais avec impatience cette loi associant l’innovation à la précaution. D'ailleurs, avec le même esprit que celui qui m'anime aujourd'hui, je suis déjà intervenu sur la loi d’avenir agricole.
Quand, sur un territoire, on vit au quotidien certaines innovations dans le domaine des biotechnologies, quand, par la voie fermentaire, par la voie blanche, ce que l’on produit dans notre sol connaît des transformations extraordinaires, on se trouve confronté au principe de précaution, que l’on nous oppose régulièrement.
Je crois que, dans nos débats, nous devrons évoluer dans le domaine des biotechnologies, dans le domaine bioéthique, dans le domaine génétique… Si l’on veut réaliser des avancées, faire de la médecine prédictive – on voit bien les limites de la prévention actuelle –, avec notamment le décryptage du génome, une avancée législative s'impose par rapport à une éthique prenant insuffisamment en compte l’évolution technologique et la mutation que nous vivons actuellement.
Il faut remettre les choses à l’endroit ! On m'a toujours appris que l’on faisait de la recherche fondamentale avant de faire de la recherche appliquée. De même, je crois que l’innovation doit s'entourer de précaution et que le principe de précaution s'accompagne réciproquement d’innovation. C'est la raison pour laquelle il est temps de mettre innovation et précaution en rapport : l’une ne va pas sans l’autre.
Dans un monde en train de se transformer, c'est un signe de modernité que de ne pas avoir d’appréhension vis-à-vis de l’innovation. Les autres pays avancent plus vite que nous, ils arrivent à des résultats, tandis que nous demeurons attachés à des raisonnements archaïques, ancrés sur des grands principes, en voulant toujours donner des leçons, mais sans avancer face à la réalité d’un monde qui bouge, hélas, plus que nous ne le faisons.
C'est pourquoi je voterai avec un véritable enthousiasme ce principe d’innovation accompagnant la précaution.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Le président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques que je suis encore pour quelque temps ne peut que se féliciter de la qualité des débats qui se sont tenus, ce soir, au sein de la Haute Assemblée.
Naturellement, chacun le sait, notre société progresse dans des domaines toujours plus difficiles, toujours plus pointus et – pardonnez-moi l’expression –, toujours plus improbables. Je pense qu’il était donc nécessaire et important, à un moment donné, d’introduire le principe de précaution et de l’adosser à notre Constitution.
Hélas, il a été, sinon mal compris, du moins mal interprété et, je dois le dire, trop souvent mobilisé, alors que l’on devrait préciser que, du point de vue constitutionnel, le principe de précaution ne s'applique qu’en matière environnementale, et dans aucun autre domaine.
Mme Évelyne Didier. Tout à fait !
M. Bruno Sido. Je voudrais remercier Mme la secrétaire d'État d’avoir rappelé que le monde de la recherche est inquiet et qu’il a besoin du signe fort que nous lui adressons ce soir : le principe de précaution n’empêche pas, évidemment, l’innovation et la recherche. C'était toute l’utilité du débat de ce soir.
Il a été rappelé que certains secteurs de la recherche sont presque abandonnés.
Mme Évelyne Didier. Faute de moyens, et depuis longtemps !
M. Bruno Sido. Les chercheurs voyant le produit de leur recherche finalement détruit, abandonné, arraché, se demandent en effet à quoi bon continuer. Cela, monsieur Raoul, vous avez parfaitement raison de l’avoir dit et précisé.
Notre pays, qui est tout de même la patrie des lumières, ne peut pas, de mon point de vue, rester dans cette ambiguïté et poser ce principe de précaution sans plus d’explication. Je voudrais donc remercier notre collègue Jean Bizet d'avoir rédigé cette proposition de loi constitutionnelle. Si elle est votée, elle rendra confiance au monde de la recherche et de l’innovation et permettra à notre pays, à notre chère France, de tenir son rang et sa grandeur. (MM. Jean Bizet et Jean-Claude Lenoir applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. S’il est un point sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est le lien étroit entre le principe de précaution et l’innovation et la recherche. Ce texte était donc inutile, même s’il a été fort bien emballé.
Vous êtes vraiment adroit, monsieur Bizet. Vous savez occuper les postes utiles : à la commission des affaires européennes, où l’on anticipe la transposition des textes relatifs, par exemple, à la brevetabilité des semences ; à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui est vraiment devenu le lieu où l’on ouvre grand les oreilles aux industries et aux innovations, mais où il ne reste plus personne pour écouter, lors des troisièmes tables rondes, les victimes de vaccinations, contre la grippe notamment.
À l’Office, on écoute de plus en plus d’une seule oreille ; c’est une constante qui va en s’intensifiant, et je ne dis pas cela contre vous, monsieur Sido. Du reste, comme vous pouvez le constater vous-même, les rangs se désertifient, pendant ces journées d’étude, lorsqu’il s’agit d’entendre un autre son de cloche.
Une majorité va sans doute se dégager sur ce texte. Les écologistes voteront contre. Je forme des vœux pour qu’il n’aboutisse pas et soit arrêté à un moment donné de la procédure. Dans le cas contraire, je vous donne rendez-vous, et nous vérifierons ensemble qui était dans le cheval de Troie !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Ce texte devrait rassembler une majorité de notre assemblée, et je m’en réjouis. Il a simplement pour but – je voudrais rassurer Mme Blandin, mais je crains malheureusement de ne pas y parvenir – d’expliciter que le principe de précaution est aussi un principe d’innovation. Si cela peut paraître superfétatoire, c’est précisément parce que, au fil du temps, la lecture qu’en ont faite nos concitoyens n’est pas celle qu’a voulue le législateur voilà une dizaine d’années. Le temps a passé ; nous sommes, selon moi, dans notre rôle de législateur en apportant un éclairage sur ce principe, qui est aussi un principe d’inaction.
Je déplore, tout comme Mme la secrétaire d’État – M. Raoul a aussi succinctement évoqué ce problème – que le débat public n’ait pas, en France, le même succès que dans les démocraties d’Europe du nord. Nous avons essayé de le susciter, voilà plus d’une dizaine d’années, avec le député Jean-Yves Le Déaut. La société française est réticente à ce type de débats, que ce soit sur les biotechnologies ou sur les nanotechnologies, et c’est dommage, parce que nous aurions ainsi évité bien des erreurs et des pertes de temps.
Je suis surpris, madame la secrétaire d’État, que vous considériez que, au travers de ce texte, nous envoyions un message négatif aux chercheurs. Je côtoie des chercheurs – sans doute beaucoup moins que vous. Je suis en relation depuis plusieurs années avec l’actuelle secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences, avec laquelle j’ai partagé la première réflexion sur l’évolution négative de la perception du principe de précaution par nos concitoyens, en vue justement de le clarifier et d’en faire aussi un principe d’innovation. Je puis donc vous dire que les chercheurs, les entreprises, les hommes et les femmes qui, au sein des entreprises, font de la recherche et du développement attendent cet éclairage.
Il est vrai, je suis d’accord sur ce point avec le doyen Gélard, que la jurisprudence n’a pas maltraité le principe de précaution. Toutefois, nous devons apporter un éclairage. Si ce débat n’avait que cette seule finalité – j’espère, madame Blandin, qu’il en aura bien d’autres –, il aurait atteint son but. Cette discussion aura en outre permis d’adresser un message au Gouvernement, aux chercheurs, aux chefs d’entreprise, sur ce que pense et veut la représentation nationale.
J’invite donc le Président de la République à considérer cette proposition de loi constitutionnelle, en cohérence tant avec les rapports de M. Gallois et de M. Attali, hier, et de M. Feretti, du Conseil économique, social et environnemental, aujourd'hui, qu’avec les recommandations de Mme Lauvergeon.
Madame la secrétaire d’État, vous dites que le Gouvernement veut développer la recherche et l’innovation. Eh bien, chiche ! Ce texte vous en donne l’occasion. J’ignore quel parcours lui sera réservé au-delà de son adoption par la Haute Assemblée, mais je souhaite vivement qu’il prospère.
Je ne suis pas un constitutionnaliste, encore moins un juriste, mais je sens confusément que nous avons besoin de dire à nos concitoyens et surtout aux chefs d’entreprise, qui sont les véritables créateurs de richesse de notre pays, que nous croyons à une écologie scientifique, dans laquelle les sauts technologiques permettent de conjuguer modernité et respect de l’environnement. C’est tout simplement la quintessence du développement durable ! À cet égard, je me réjouis de la prise de position de M. Raoul, avec lequel nous avons de grandes convergences de vues sur ce sujet comme sur certains autres, au-delà de nos différentes sensibilités politiques.
Pour conclure, je le répète, je souhaite que ce texte puisse prospérer au-delà du vote de notre assemblée, parce que la mondialisation, qui fait partie de notre quotidien, et ce sera encore davantage le cas demain, doit se vivre dans la modernité et dans le respect de l’environnement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 186 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 291 |
Contre | 44 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 28 mai 2014, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (n° 368, 2013-2014) ;
Rapport de M. Philippe Kaltenbach, fait au nom de la commission des lois (n° 549, 2013-2014) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 550, 2013-2014).
2. Suite de la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers (n° 154, 2013-2014) ;
Rapport de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 340, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 341, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 28 mai 2014, à zéro heure vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART