M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous faire part du plaisir que j’éprouve à inaugurer mes fonctions de ministre des outre-mer en intervenant devant le Sénat, et sur ce sujet précis. (Applaudissements.)
Je veux d’abord souligner l’importance de l’agriculture pour les économies des territoires d’outre-mer : chacun la mesure.
Nous le savons, il y a des défis économiques et écologiques à relever pour que l’agriculture ultramarine réponde aux besoins des habitants des outre-mer et aux contraintes de la société contemporaine. Nous devons aussi tenir compte des incidences sociales des décisions que nous prenons concernant les économies agricoles des outre-mer, veillant tout particulièrement à ce qu’elles ne se traduisent pas par des suppressions d’emplois.
Madame Blandin, vous soulevez la difficile question des épandages aériens de produits phytosanitaires.
Nous avons la volonté à la fois de développer l’agriculture, ce qui implique de lutter contre les maladies spécifiques pouvant affecter la banane en outre-mer, et de préserver l’environnement. Au vu des ravages causés par le chlordécone, je comprends que les populations s’inquiètent fortement qu’on puisse continuer à pratiquer les épandages aériens.
Il reste que, d’après ce que j’ai cru comprendre, ce mode d’épandage n’avait d’ores et déjà pratiquement plus cours. Dès lors, faut-il aller jusqu’à prévoir une interdiction complète et généralisée ? On ne saurait pas exclure que l’épandage aérien puisse, en certaines circonstances, se révéler utile.
Dans ces conditions, je crois que cet amendement ne se justifie pas totalement.
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, pour explication de vote.
M. Serge Larcher. Il ne faut pas se tromper de cible ! En Martinique comme en Guadeloupe, des terres sont effectivement polluées par le chlordécone, mais ce pesticide y a été généralement épandu manuellement. L’épandage aérien est un moyen technique. Ce qui doit être mis en cause, ce n’est pas le moyen, c’est le produit ! Si le produit utilisé est nocif, il faut l’interdire.
Au vu des problèmes sanitaires auxquels nous sommes confrontés localement, qu’il s’agisse du chikungunya ou de la dengue, nous aurons certainement besoin de l’épandage aérien pour détruire le vecteur de ces maladies, à savoir le moustique tigre.
Cela signifie que, même si l’on a parfois recouru à l’épandage aérien dans les bananeraies pour répandre des produits préjudiciables à long terme à la santé des populations, il peut aussi se révéler très utile.
C'est la raison pour laquelle il importe de faire une nette distinction entre le produit et la méthode de dispersion du produit. L’épandage est une technique qui peut répondre à des défis sanitaires, et l’on ne peut pas décider de l’interdire comme cela ! Ne nous privons pas de techniques susceptibles de nous permettre d’éradiquer des fléaux très préjudiciables à la santé des populations, notamment en Martinique et en Guadeloupe.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Monsieur le rapporteur, tout à l’heure, vous avez cité des chiffres qui montraient une diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires. Or, selon les chiffres dont nous disposons, les Antilles consomment encore trois fois plus de pesticides par unité de surface que la métropole.
Madame la ministre, vous avez évoqué la question de l’emploi. En l’occurrence, il existe des solutions d’épandage manuel, qui sont donc créatrices d’emplois, mais qui sont aussi beaucoup moins dangereuses pour l’environnement que l’épandage aérien.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Dès mon arrivée au ministère, nous avons pu débloquer près de 40 millions d’euros pour la banane à l’échelle européenne. Il s’agit d’ailleurs d’un accord qui restera fameux : les Polonais n’avaient aucun intérêt à le signer, mais ils l’ont fait, ce qui nous a permis de négocier beaucoup de choses ensemble dans le cadre de la politique agricole commune.
Sur ces 40 millions d’euros, 18 millions d’euros ont été utilisés précisément dans les outre-mer, en Guadeloupe et en Martinique, pour lancer le plan « Banane durable ». C’est la condition que j’avais alors posée pour débloquer ces fonds.
Aujourd'hui, et cela a été souligné par Mme la ministre des outre-mer tout comme par M. Serge Larcher, la banane des outre-mer est clairement – je n’hésite pas à faire un peu de publicité ! – celle qui consomme le moins de produits phytosanitaires et de pesticides.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Bien sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. On ne le dit pas suffisamment. Les fameuses bananes Chiquita ou d’autres consomment trois à quatre fois plus de produits phytosanitaires que celles de nos outre-mer.
Cela dit, il y a encore des progrès à faire. On commence à développer l’agroécologie pour la production de bananes. C’est l’objectif que j’ai fixé, et nous le suivrons, l’engagement en est pris, avec Mme la ministre des outre-mer.
De même, nous souhaitons essayer de nous passer de l’épandage aérien et de traiter plutôt les bananeraies, lorsque c’est malgré tout nécessaire, de manière réellement ciblée, avec des techniques adaptées ; c’est en train de se mettre en œuvre. Il est donc permis de penser que l’épandage aérien sur les bananeraies pourra être complètement abandonné à terme.
Mais nous sommes toujours face à ce dilemme : notre modèle de production nécessitant encore, parfois, le recours à des produits phytosanitaires, il est difficile de décréter aujourd'hui une interdiction comme celle qui est proposée par les sénateurs du groupe écologiste. Cela reviendrait à remettre en cause toute une filière de production, avec de lourdes conséquences sur l’emploi.
Il faut le savoir, dans les outre-mer, aussi bien aux Antilles qu’à La Réunion, il y a deux grandes productions qui dégagent de la valeur ajoutée : la canne à sucre et la banane. Sur ces deux grandes productions, nous réalisons des progrès extrêmement importants. Cela étant, le présent projet de loi a aussi pour objet de développer le marché local.
Nous devons d’ailleurs différencier la canne à sucre et les bananes des outre-mer en montrant que les conditions environnementales de production y sont bien meilleures qu’ailleurs.
Pour le reste, je rejoins M. le rapporteur, Mme la ministre des outre-mer et M. Serge Larcher pour dire que l’interdiction dans la loi des épandages aériens ferait aujourd'hui courir des risques à l’ensemble de la filière de production.
Il y a évidemment un principe de précaution, qui a été évoqué, mais il y a aussi un principe de responsabilité. Ne nous engageons pas dans une voie qui déboucherait sur des conséquences économiques et sociales seraient extrêmement lourdes ! (M. Jean-Jacques Mirassou et Mme Sophie Primas applaudissent.)
M. Didier Guillaume, rapporteur. Bien sûr !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 190.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 34 A (priorité)
Au début du titre VIII du livre Ier du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un chapitre Ier A ainsi rédigé :
« Chapitre Ier A
« Objectifs de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt dans les outre-mer
« Art. L. 181-1 A. – Outre celles définies à l’article L. 1, la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt dans les outre-mer a pour finalités :
« 1° D’assurer, à l’échelle des territoires, la définition et la cohérence des politiques de développement agricole, en concertation avec les chambres consulaires, les organismes professionnels, les collectivités territoriales et l’État ;
« 2° De consolider les agricultures traditionnelles d’exportation, de renforcer le développement des filières de diversification et de soutenir l’agriculture vivrière ;
« 3° De soutenir le développement économique agricole, agro-industriel, halio-industriel et de l’aquaculture ;
« 4° D’aider l’installation des jeunes agriculteurs en favorisant l’accès au foncier et en facilitant les transmissions d’exploitation ;
« 5° De favoriser la satisfaction de la demande alimentaire territoriale par les productions locales et d’assurer la coordination des actions de communication et de promotion relatives aux productions locales ;
« 5° bis D’encourager la mise à disposition de solutions ou méthodes de lutte contre les ennemis des cultures adaptées aux contextes phytosanitaires ultramarins ;
« 6° De promouvoir et de moderniser les productions agricoles traditionnelles grâce à la recherche et à l’innovation ;
« 7° (nouveau) De contribuer à la protection et à la mise en valeur des bois et forêts, ainsi qu’à la valorisation des produits forestiers ligneux et non ligneux dans des conditions de gestion durable. »
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la ministre, je voudrais tout d’abord vous présenter toutes mes félicitations pour votre nouvelle nomination, même si je suis aussi portée à regretter l’avis que vous avez émis, au nom du Gouvernement, à propos de notre amendement concernant l’épandage aérien. (Sourires.) J’ai bien entendu les arguments que vous avez avancés, de même que M. Serge Larcher, mais j’ai trop travaillé sur les scandales sanitaires qui se révèlent des années après que le mal a été fait, c'est-à-dire quand on en est réduit à compter les malades et les morts, quand il est devenu impossible de dépolluer les sols, pour ne pas penser qu’il faut être plus volontariste.
L’article 34 A définit les objectifs de la politique agricole et forestière en outre-mer. Cependant, il est très peu contextualisé : n’était l’alinéa relatif aux pesticides, on pourrait aussi bien croire qu’il s’agit de la Normandie ! Par exemple, il est prévu de « soutenir l’agriculture vivrière » ou « l’aquaculture ». Mais après tout, cela vaut pour toutes nos régions.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Les contextes sont différents !
Mme Marie-Christine Blandin. Rien n’est dit sur les sols où peut se développer cette agriculture vivrière non plus que sur les eaux destinées à accueillir cette aquaculture, alors que les uns et les autres sont, aux Antilles, contaminés par le chlordécone. Aucune mesure spécifique de remédiation ou d’aide aux paysans concernés n’est prévue.
De même, rien n’est dit sur les pollutions au mercure dues à l’orpaillage sauvage en Guyane. Or la situation est tragique, en particulier pour les habitants de la forêt comme les Amérindiens Teko, Apalaï et Wayana, dont le taux de suicide est actuellement onze fois plus élevé que dans l’Hexagone. En outre, cet orpaillage crée une telle insécurité que la valorisation légale de la forêt est rendue dangereuse.
Monsieur le ministre, madame la ministre, c’est à vos collègues Laurent Fabius – pour une convention avec le Brésil – et Bernard Cazeneuve – pour lutter contre les orpailleurs armés – de prendre en charge ce dossier brûlant qui fait des morts chaque jour et empêche le développement de la Guyane.
Les écologistes ne peuvent qu’approuver, à l’alinéa 11 de cet article, la référence à la recherche et à l’innovation. L'Institut de recherche pour le développement, l’IDR, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, le Cemagref, sont au travail. Vous devez les soutenir mieux encore.
M. Didier Guillaume, rapporteur. C’est déjà le cas !
Mme Marie-Christine Blandin. Le plan « Banane durable », que M. le ministre a évoqué, a permis une réduction de 72 % des pesticides aux Antilles. Nos bananes ont dix fois moins d’intrants pesticides que celles du Costa Rica, où on en répand 45 kilos par hectare et par an. Nos organismes de recherche doivent avoir les moyens de poursuivre sur cette voie.
À l’alinéa 5°bis, auquel j’ai déjà fait allusion, est affirmée la nécessité d’encourager des méthodes spécifiques pour les cultures ultramarines. Les écologistes seront vigilants afin qu’il s’agisse d’innovations pointues, responsables et propres à empêcher les scandales sanitaires d’hier par l’autorisation de poisons massifs, des toxiques alors interdits dans l’Hexagone depuis plusieurs décennies, tel le chlordécone. (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, sur l'article.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque j’entends certains de mes collègues évoquer des exploitations agricoles de plusieurs centaines d’hectares ou parler d’agriculture productiviste ou intensive, je me rends compte qu’un monde sépare la France métropolitaine des petites îles lointaines que sont Wallis et Futuna, dont la problématique est totalement différente.
Pour autant, le territoire de Wallis-et-Futuna a toujours été largement agricole, sa population est attachée aux activités de production primaire, de nombreuses familles sans ressources salariales subsistent grâce aux cultures vivrières, arboricoles et d’élevage. C’est pourquoi, même si nous sommes peu concernés par ce projet de loi, il était nécessaire que je vous fasse part de quelques points importants pour nous, d’autant que l’autosuffisance alimentaire doit être encore accrue afin que nous soyons moins tributaires des importations et que nous cessions de subir de plein fouet l’extrême cherté de la vie.
Le développement d’une agriculture professionnelle, ou à tout le moins professionnalisée, ne peut porter que sur des filières restreintes, le nombre de consommateurs étant limité et une grande activité exportatrice étant impossible à cause du différentiel des coûts de production et de transport. On peut cependant tout à fait imaginer développer des marchés de niches, comme des huiles parfumées, des fruits confits ou séchés, des charcuteries haut de gamme.
Le rapport rendu en juin 2013 par l’inspecteur général de l’agriculture Jean-Pierre Bastié contient un programme ambitieux, adapté aux contraintes locales, et il est susceptible de contribuer à l’élaboration d’un plan pluriannuel de développement du secteur primaire. J’espère qu’il pourra être mis en œuvre. Pour cela, il faudrait agir sur différents points, à commencer par le lycée agricole ; mais je reviendrai plus précisément sur ce sujet lors de la discussion de l’article 26.
Il serait hautement bénéfique que L’Office au service du développement de l’économie agricole ultramarine, l’ODEADOM, puisse avoir une pleine compétence pour intervenir sur le territoire. L’expertise de cet organisme serait utile dans les domaines de la promotion des produits agricoles ultramarins, de l’étude et de la structuration des filières, de la transformation des produits, de la définition des mesures pour compenser l’éloignement et l’insularité.
Tous les élus et acteurs économiques de Wallis-et-Futuna appellent de leurs vœux cette extension du champ de compétences de l’ODEADOM. Je sais, monsieur le ministre, madame la ministre, que le député Napole Polutélé vous a également saisis de la question.
Depuis 1998, l’Opération groupée d’aménagement foncier a été le seul dispositif d’aide à la professionnalisation du milieu agricole et il a permis de soutenir de nombreux projets. Je souhaite vivement qu’il perdure et espère que vous pourrez me rassurer sur ce point.
Enfin, je voudrais évoquer la brucellose, maladie répandue dans les élevages porcins de Wallis-et-Futuna. Son éradication est une condition absolue de l’essor de l’élevage porcin, à la mise en place d’une filière, et elle conditionne l’intégration dans un circuit commercial ainsi que le développement d’activités de transformation.
Je souhaite qu’une action efficace puisse être menée, car cela me semble faire écho au plan Écophyto mis en place par le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l'article.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi apporte des réponses pour l’agriculture ultramarine et témoigne de la qualité d’écoute du Gouvernement face aux demandes relayées par les élus de nos collectivités.
Pour autant, il faut regretter que la promesse d’une loi portant sur l’agriculture et la forêt spécifique à l’outre-mer ne soit pas tenue.
Ce texte fait écho à de nombreuses revendications et prend en compte toute une série de particularismes.
Il faut ainsi se réjouir que l’article 34 A fixe des objectifs spécifiques à la politique agricole et forestière en outre-mer, et aussi que l’article 34 prévoie des plans régionaux pour concrétiser ces objectifs.
Tout est dans la seconde finalité : « consolider les agricultures traditionnelles d’exportation, renforcer le développement des filières de diversification et soutenir l’agriculture vivrière. »
Cela ne pourra se faire sans un renforcement de la gouvernance locale, sans le soutien aux jeunes agriculteurs, sans la modernisation des techniques ou sans le développement des moyens pour lutter contre les maladies et ravageurs qui détruisent nos agricultures.
Des avancées sont réelles concernant les questions foncières, la transmission des exploitations, l’installation des jeunes, les structures coopératives, le nouvel essor des GAEC, la formation, l’agroécologie.
L’adaptation à l’outre-mer est bienvenue, en particulier la dérogation supplémentaire accordée aux agriculteurs de trente-cinq ans pour bénéficier du contrat de génération, mais aussi le régime révisé de l’indivision sur les terres agricoles.
Il reste que la situation des jeunes agriculteurs est difficile en raison de leur manque de ressources propres pour s’installer, démarrer l’exploitation et la rendre pérenne : les prêts bonifiés sont rarement accordés, les dossiers d’installation aidée ne sont pas validés à temps et les conditions de rachat des terres agricoles sont trop contraignantes pour permettre la continuation des exploitations. Je soutiens dès à présent les amendements du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer qui vont dans le sens d’un meilleur accompagnement des jeunes agriculteurs.
D’autres questions sont à peine abordées dans ce texte. Il en est ainsi de la concurrence entre nos territoires et les pays voisins sur la production agricole et de la compétitivité de nos productions. Ce sujet concerne évidemment l’agriculture d’exportation mais aussi l’agriculture vivrière. Lorsque les normes phytosanitaires sont favorables à une grande qualité à nos produits, elles conduisent à des surcoûts importants vis-à-vis des productions étrangères.
En Guyane, la vie chère oblige bon nombre d’habitants proches ou éloignés des fleuves frontières à s’avitailler en productions venant du Surinam ou du Brésil, bien moins onéreuses.
L’agriculture vivrière ne peut rivaliser avec ces produits importés. Dès lors que la majorité des exploitations guyanaises s’étendent sur moins de 2 hectares, elles disparaissent, comme aux Antilles. Or seulement 15 % de la consommation locale est satisfaite par la production locale : s’il était possible d’importer des produits ou des techniques agricoles des territoires voisins, l’offre locale pourrait être compétitive, attractive et ouverte sur les marchés régionaux ; cela permettrait aux agriculteurs de sortir de la précarité dans laquelle ils se trouvent souvent.
Ce sujet avait déjà été discuté lors de l’examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, mais nous attendons toujours l’étude que le Gouvernement doit réaliser sur ce point.
Le second sujet que je veux aborder est celui du foncier.
Dans les territoires insulaires, la pression foncière est trop importante. L’urbanisation prend le pas sur la vocation agricole des terrains et la plupart des parcelles ont cette double vocation. Cela empêche les SAFER de préempter. Cela conduit les propriétaires à préférer le développement de la construction plutôt que celui de la production agricole.
Monsieur le ministre, madame la ministre, il faut trouver des solutions pour conserver ces surfaces agricoles utiles et garantir leur exploitation.
La superficie du territoire guyanais pourrait le mettre à l’abri de ce genre de difficultés. Pourtant, la mainmise de l’État sur plus de 90 % du foncier de Guyane rend la situation quasiment similaire. Bien souvent, les exploitants agricoles s’installent sans titre sur les terrains de l’État.
Ces deux phénomènes ne peuvent être acceptés : l’État doit rétrocéder le foncier aux collectivités locales pour qu’elles puissent mener une réelle politique foncière et le proposer pour l’installation initiale d’une exploitation agricole plutôt que pour une régularisation au coup par coup.
Enfin, la Guyane représente 8 millions d’hectares de forêt primaire certifiée d’un seul tenant : 1 200 espèces d’arbustes y sont recensées, contre 130 en métropole ; le potentiel de prélèvement atteint 5 tonnes de bois par hectare, sans effets négatifs sur l’environnement.
En revanche, la destruction de la forêt est bien réelle. Cela est dû non à une exploitation illégale du bois, mais à l’orpaillage clandestin.
Sur le plan économique et humain, l’exploitation du bois ne suffit pas à couvrir les besoins locaux. Au total, la filière du bois mobilise aujourd’hui 700 à 800 emplois et produit 65 000 mètres cubes de bois par an. Or des études scientifiques ont établi, sur la base de scénarios réalistes, que la Guyane pourrait nourrir l’ambition, d’ici à 2030, de créer 10 000 emplois supportés par une filière forêt-bois performante.
Sur le plan réglementaire, le bois commercialisé de Guyane répond à l’exigence du marquage Communauté Européenne, comme des autres certifications. Il est cependant handicapé par le non-référencement de certaines essences et la non-adaptation des normes de construction aux conditions climatiques locales.
Monsieur le ministre, madame la ministre, la France ne peut pas faire moins pour sa propre forêt tropicale que ce qu’elle s’engage à faire pour les bois tropicaux étrangers. Quel avenir espérer pour la filière forêt-bois en Guyane ? Quelles mesures concrètes seront prises pour favoriser ce modèle de développement responsable qui peut faire de la France, grâce à sa forêt guyanaise, un exemple pour la planète ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre. Ce projet de loi définit un certain nombre d’orientations et de mesures pour l’agriculture des outre-mer et pour l’avenir des exploitants. Toutefois, il n’a pas pour objet de régler toutes les questions qui se posent dans les outre-mer.
Bien entendu, j’ai été très sensible aux propos de Mme Blandin concernant la situation des Amérindiens, et le taux de suicide dont elle a fait état est tout à fait alarmant. C’est un sujet lourd, mais qui déborde largement les thèmes que nous évoquons ce soir. Cela étant, madame la sénatrice, je suis toute disposée à en reparler avec vous, afin que nous puissions bâtir un plan destiné à améliorer les conditions de vie et le moral des habitants de ces régions isolées du fleuve. Ce sujet devra évidemment être réexaminé avec tous les parlementaires de la Guyane, eux aussi sensibles à ces questions.
Monsieur Antoinette, vous avez parlé de sujets sur lesquels je connais votre préoccupation. Nous avons un peu progressé sur un certain nombre d’entre eux, notamment la question de gouvernance territorialisée. Vous le savez, mon prédécesseur au ministère des outre-mer, Victorin Lurel, a pris toutes ces questions à bras-le-corps, réalisant un travail remarquable. Il a, en particulier, obtenu de Bruxelles des avancées significatives.
Nous nous inscrirons dans le droit-fil de ce qui a été accompli. Nous continuerons à avancer dans la voie que vous souhaitez pour l’agriculture guyanaise, et plus largement l’agriculture des outre-mer.
À M. Laufoaulu je veux d’abord redire tout l’intérêt que je porte à Wallis-et-Futuna, un territoire trop souvent un peu oublié. Lorsque j’ai eu le plaisir de le rencontrer cette après-midi, avec d’autres élus de ce territoire, nous avons dressé un premier bilan de la situation sur place et il m’a fait part de ses préoccupations, concernant, entre autres, la brucellose.
Monsieur le sénateur, sachez que je prêterai toujours une oreille très attentive à tout ce qui concerne Wallis-et-Futuna.
Vous considérez que les mesures contenues dans le présent article sont un peu trop générales. Certes ! Mais, à mon sens, il est important de préserver des cultures vivrières proches des populations. Ce sujet concerne tout le monde, et nous devons le prendre en considération avec une attention toute particulière pour les outre-mer, comme tout ce qui concerne la diversification.
Je sais que d’autres inquiétudes existent, notamment celles dont a fait état Serge Larcher.
En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que le Gouvernement, et Stéphane Le Foll en particulier, ne ménage pas ses efforts pour que les outre-mer soient entendus. Aussi, j’ai l’espoir que nous parvenions, avec ce projet de loi, à mettre l’agriculture des outre-mer sur une voie positive, dans l’intérêt des populations ultramarines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Laufoaulu applaudit également.)
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 285 rectifié, présenté par MM. S. Larcher, Patient, J. Gillot et Mohamed Soilihi, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
l’accès au foncier
par les mots :
leur accès au foncier et aux financements bonifiés
La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Je me permets, à travers cet amendement, d’insister une nouvelle fois sur l’urgence qu’il y a à prendre en considération le manque de soutien financier aux jeunes agriculteurs.
J’avais déjà exposé la présente proposition dans le rapport d’information qu’Éric Doligé et moi-même avions rédigé en 2009 au nom de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.
Les jeunes exploitants sont confrontés à des difficultés financières non seulement pour s’installer, mais aussi pour investir dans leurs outils de production – foncier, infrastructures, matériels.
Mes chers collègues, je vous rappelle simplement que, bien souvent, eu égard au coût du foncier outre-mer et à la faible capacité d’autofinancement des jeunes, l’accès au foncier ne peut pas être dissocié de la capacité à accéder à un prêt bonifié.
Il me paraît donc nécessaire de souligner l’importance du volet financier de la politique menée dans les outre-mer en faveur de l’agriculture. C’est en travaillant ensemble à combler ces carences que nous pourrons assurer la pérennité de notre agriculture. Le renouvellement des générations en est l’une des pierres angulaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Guillaume, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.
Cet amendement tend à favoriser l’accès aux financements bonifiés. Certes, les agriculteurs ultramarins ont, en droit, accès à ces financements. Toutefois, en pratique, la situation est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. C’est la raison pour laquelle je soutiens pleinement l’amendement de M. Serge Larcher, pour que ce qui est possible en droit le devienne également dans les faits. La commission a estimé que cette précision était bienvenue.