M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe de l’UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je salue Jacques Legendre, dont les propos ont été à la fois forts, justes et émouvants.
L’intervention des forces armées françaises en République centrafricaine, en appui de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, vient répondre à une situation de danger extrême pour les populations civiles, alors que les violences interethniques et interreligieuses menacent de plonger un peu plus le pays dans le chaos. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre de la défense, il y va aussi de notre sécurité.
Ainsi que nous l’avions fait lors de l’intervention au Mali et dans un esprit de responsabilité et d’union nationale, nous apportons notre soutien à la décision du Président de la République, qui s’inscrit dans la légalité internationale, conformément à la résolution 2127 des Nations unies.
Permettez-moi à mon tour de saluer la mémoire de nos deux soldats engagés dans l’opération Sangaris qui sont tombés au combat dans la nuit d’hier à aujourd’hui. J’associe à cet hommage ceux qui ont fait le sacrifice suprême lors de l’intervention au Mali, qui se poursuit toujours.
Si les objectifs de l’opération Sangaris ont d’ores et déjà été annoncés par le Président Hollande – désarmement des « milices et groupes armés », stabilisation du pays en vue d’« élections libres et pluralistes » –, nous attendons vos précisions, monsieur le ministre, non pas sur la situation d’aujourd'hui, sur laquelle vous avez été suffisamment précis, ni sur le format et la durée de l’intervention. En effet, comme vous l’avez dit ce matin à Matignon, il s’agit d’une opération complexe et on ne peut vous demander de nous dire précisément aujourd'hui ce qu’il en sera dans deux ou trois mois. En revanche, nous comptons sur vous pour nous informer et informer nos concitoyens tout au long de l’intervention et pour nous apporter au fur et à mesure des précisions sur le rôle qu’entend jouer la France dans le processus de stabilisation et de reconstruction du pays.
Quoi qu’il en soit, certains enjeux, d’ordre sécuritaire, politique ou humanitaire, sont d'ores et déjà perceptibles.
La priorité consiste évidemment à rétablir un climat de sécurité, sans lequel les efforts de reconstruction seront vains. La République centrafricaine est devenue depuis plusieurs mois une « zone grise », où prospèrent des bandes armées, avec pillages, exactions, viols et massacres.
Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de rebelles Séléka, la situation sécuritaire s’est dégradée à Bangui et dans le reste du pays, en raison d’affrontements opposant des éléments de la Séléka à des groupes d’autodéfense, laissant apparaître le spectre d’un génocide interreligieux. Oui, il était temps d’intervenir, et il fallait le faire dans le respect de la légalité internationale !
Néanmoins, le renforcement du dispositif militaire français ne saurait remplacer l’indispensable et nécessaire montée en puissance de la force africaine. Il y va de la responsabilité partagée des Africains face aux défis sécuritaires de la région.
Cette « africanisation » passe, bien sûr, par le renforcement de la MISCA, qui, à ce jour, mobilise environ 2 500 soldats sous la bannière de l’Union africaine, avec l’appui de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. À l’issue du récent sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, l’Union africaine a décidé de porter cette force intervenant en Centrafrique à 6 000 hommes, contre 3 600 initialement prévus. Je salue cette décision.
Cependant, des incertitudes persistent sur la capacité de cette force à se déployer rapidement et efficacement, quand on voit, par exemple, les difficultés que rencontre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, dont les contingents sont souvent sous-entraînés et sous-équipés. Plus généralement, force est de constater que la mutualisation par les États membres de l’Union africaine de leurs moyens civils, militaires et policiers pour participer à la résolution des conflits à l’échelle régionale reste encore balbutiante. Certes, la volonté existe – on a pu le constater récemment –, mais du chemin reste à parcourir.
Pourtant, la mise en place d’une véritable architecture de sécurité africaine, disposant d’une force de réaction rapide, demeure plus que jamais une nécessité, comme le souligne d'ailleurs le rapport que Jeanny Lorgeoux et moi-même venons de cosigner au nom de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La constitution d’une telle force africaine continue de rencontrer des problèmes d’interopérabilité et de financement, outre qu’elle souffre du manque de volonté politique de certains États. La France s’est d’ailleurs engagée ce week-end à former 20 000 soldats africains par an pour cette force, afin qu’elle soit opérationnelle dès 2015.
L’Europe devrait également prendre sa part à cet effort de soutien aux forces africaines, car les deux continents sont liés et les enjeux de sécurité ne connaissent pas de frontières, à l’image du terrorisme. Or, si nous saluons la prompte réaction de notre pays en RCA, nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, l’absence totale de décision européenne. Certes, l’Union européenne a salué le feu vert donné par l’ONU à une intervention des forces africaines et françaises, Catherine Ashton ayant même évoqué un soutien « substantiel » pour répondre à l’urgence et à la gravité de la situation. Mais que compte faire l’Europe de manière concrète pour nous soutenir militairement, logistiquement ou financièrement dans cette opération ?
Du côté des pays européens, le Royaume-Uni a proposé une « aide logistique limitée » à la France, mais, à notre connaissance, l’envoi de troupes britanniques ne semble pas pour le moment sur la table.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, ce matin, lors de la réunion à Matignon, le Premier ministre a fait savoir que d’autres pays européens s’étaient manifestés pour contribuer, à tout le moins, à ce soutien logistique. Vous avez évoqué, notamment, l’Allemagne et la Pologne. Nous verrons ce qu’il en adviendra, mais il serait évidemment positif que certains de ces pays puissent être présents d’une manière ou d’une autre sur le terrain, même de manière symbolique.
Aussi pourquoi ne pas plaider auprès de nos partenaires européens pour le déploiement du groupement tactique européen – le battlegroup –, dont l’objectif est justement de pouvoir participer rapidement à des opérations à l’étranger ? Créé en 2007, ce groupement n’a encore jamais été utilisé sur un théâtre d’opération. Or, au second semestre de 2013, il comprend environ 1 500 militaires, originaires de cinq pays, dont le Royaume-Uni, qui le dirige. Rêvons un peu : ce déploiement permettrait de mettre en pratique l’idée de défense européenne, à quelques jours du Conseil européen consacré à cette question.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean-Marie Bockel. Dans le même temps, le rétablissement de la sécurité en RCA doit permettre la mise en œuvre au plus vite d’un processus de transition politique, auquel nous apportons tout notre soutien.
J’avais salué il y a quelques semaines la signature, à Bangui, par le Président de transition de la République centrafricaine, Michel Djotodia, son premier ministre, Nicolas Tiangaye, qui est en France en ce moment, et le président de son « conseil national de transition » d’un « pacte républicain », sous l’égide de la Communauté de Sant’Egidio, laquelle est souvent intervenue avec succès dans bien des conflits dramatiques sur la planète, notamment sur le continent africain. Je pense au Mozambique, lorsque la guerre civile y faisait rage.
Ce « pacte républicain », issu des pourparlers de paix des 6 et 7 septembre dernier, exclut la violence comme moyen d’accéder au pouvoir et réaffirme la nécessité de renforcer les institutions et de travailler durant l’actuelle phase de transition politique pour préparer le pays et ses structures à la démocratie. Il est désormais urgent que l’ensemble des acteurs mettent en œuvre ces principes directeurs dans une démarche d’inclusion et de réconciliation, à même d’apaiser les tensions encore vives entre les communautés ethniques et religieuses.
Le groupe UDI-UC est particulièrement attaché au bon déroulement, jusqu’à son terme, du processus politique devant aboutir, au début de l’année 2015 – ou peut-être avant, monsieur le ministre ? –, à des élections libres et transparentes. Cette transition ne pourra s’opérer sans le désarmement, la démobilisation et la réintégration de tous les groupes armés présents en RCA.
Pour conclure, je dirai qu’il est urgent d’apporter une réponse immédiate à la grave crise humanitaire que traverse la République centrafricaine. L’accès à l’aide humanitaire reste en effet très limité, en raison du climat d’insécurité, alors que les besoins sont énormes.
Alors que les opérations militaires sont en cours, n’oublions pas que le chaos que connaît la RCA depuis décembre 2012 a provoqué la fuite de plus de 60 000 Centrafricains vers d’autres pays de la région. Plus de 415 000 ont été déplacés dans leur propre pays et, selon la Secrétaire générale adjointe de l’ONU aux affaires humanitaires, la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire, et 1,3 million d’habitants de manière urgente.
L’Union européenne a déjà débloqué une aide humanitaire de 20 millions d’euros depuis le début de l’année. On parle à présent de 50 millions d’euros supplémentaires. Si le déploiement des forces françaises et africaines devrait faciliter l’acheminement de l’aide, beaucoup reste à faire. Nous appelons à la tenue d’une conférence de bailleurs de fonds pour répondre à cette situation d’urgence et, ainsi, enclencher un processus de reconstruction indispensable. Sans développement, il n’y aura pas de sécurité durable, ni ici ni ailleurs !
La France démontre, aujourd'hui en RCA comme hier au Mali, en Côte d’Ivoire ou en Libye, même si ces opérations sont très différentes, qu’elle est en mesure d’intervenir rapidement lors d’une crise grave, à travers une capacité de projection et des forces prépositionnées. Néanmoins, alors que des zones d’instabilité persistent en Afrique, notamment au Sahel, avec un risque de déstabilisation régionale, la solution ne peut venir uniquement de l’usage des forces françaises, dont les moyens se contractent du fait de la contrainte budgétaire. La mobilisation de nos partenaires européens et de l’ensemble de la communauté internationale est essentielle. Toutefois, c’est surtout l’émergence d’une véritable architecture de sécurité africaine dotée d’une capacité d’intervention robuste, sous l’égide de l’Union africaine et des organisations subrégionales, qui permettra d’assurer à long terme la sécurité et la stabilité du continent. Cet intérêt existe de part et d’autre de la Méditerranée.
Dans cette attente, monsieur le ministre, le groupe UDI-UC apporte son soutien à votre décision d’engager nos forces armées en Centrafrique. Il veut également témoigner sa solidarité à nos soldats qui servent courageusement sous nos couleurs, que ce soit en Centrafrique, au Mali ou sur les différents théâtres extérieurs.
L’Afrique est notre avenir. Cette Afrique convoitée, diverse – c’était aussi le message de Nelson Mandela –, nous devons aujourd'hui la considérer d’égal à égal. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste, du RDSE et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la disparition de Nelson Mandela résonne douloureusement dans les tragiques événements de Centrafrique. Après avoir lutté la majeure partie de sa vie contre l’inhumanité suprême qu’est la ségrégation raciale, cet homme a réussi à éviter un désastre à son pays en prônant la réconciliation entre ses différentes composantes, pour construire une Afrique du Sud libre, démocratique, non raciale, progressant sur la voie du progrès économique et social.
Nelson Mandela disparaît alors qu’un petit pays du continent est en proie à une extrême pauvreté et au sous-développement, source d’affrontements entre les populations. La Centrafrique sombre depuis plusieurs mois dans un chaos indescriptible de violences et de massacres et menace d’y entraîner toute une région.
Depuis vendredi dernier, nos troupes interviennent dans ce pays, avec comme première mission de mettre fin aux exactions de toutes sortes contre les populations civiles, de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et de désarmer les bandes qui sévissent. Cette difficile mission a déjà fait deux victimes au sein du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Je salue le courage et l’abnégation de ces jeunes hommes qui sont allés jusqu’au sacrifice suprême pour remplir la mission que leur avait confiée notre pays.
Les informations qui nous parviennent de Bangui, les images que nous avons vues en boucle durant le week-end, la gravité de la situation et les scènes d’horreur provoquent d’abord légitimement des réactions passionnelles, qui laissent peu de place à une réflexion raisonnée.
Face à cette situation qui se dégradait de semaine en semaine, il fallait, sans doute, intervenir en urgence. En prenant, une nouvelle fois en moins d’un an, la décision d’engager nos troupes sur le continent africain, le Président de la République a assumé ses responsabilités, au nom de la France. Certes, nous devions agir, mais mesurons-nous pleinement toutes nos responsabilités et toute la portée de notre décision d’intervenir, au regard des conditions dans lesquelles se déroule l’opération ?
Cinq jours après le début de l’opération dénommée « Sangaris », le présent débat permet au Parlement de dépasser les apparences et les évidences et de prendre le temps de réfléchir, avec lucidité, aux conditions et à la forme de notre intervention, d’en mesurer les conséquences et d’envisager l’évolution de la situation pour préparer l’avenir.
Certes, cette intervention a la légitimité que lui confère la légalité internationale puisqu’elle résulte d’une résolution adoptée, sur l’initiative de la France, à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité.
Concrètement, cette résolution donne mandat à nos forces pour intervenir afin de rétablir la sécurité, en appui des troupes africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA. Placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui permet le recours à la force pour faire appliquer les résolutions, elle les autorise ainsi « à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la MISCA dans l’accomplissement de son mandat ». La résolution envisage, enfin, la transformation éventuelle de la MISCA en force de maintien de la paix de l’ONU « quand les conditions le permettront ».
Du point de vue de la légalité internationale, le mandat est donc fondé juridiquement, et il est relativement clair. Il reste que, en pratique, la mise en œuvre d’une opération militaire et, surtout, la suite politique qui en découle se révèlent plus compliquées que le simple vote d’une résolution des Nations unies.
Outre les difficultés techniques d’une opération qui comprendra, avec les forces panafricaines, environ 5 000 hommes, vous vous défendez aujourd’hui de vouloir vous investir directement dans le règlement politique de cette crise, et proclamez que vous laisserez au plus vite la place aux Nations unies. Sera-ce encore possible après avoir préparé et engagé, seuls, cette opération ?
En Centrafrique, en l’absence d’institutions étatiques depuis des décennies, notre pays est certainement le plus mal placé pour agir en avant-garde sur la transition politique et le développement économique. Dans ce pays qui a longtemps été sous notre tutelle, nous serons à juste titre suspectés de vouloir nous substituer aux Centrafricains eux-mêmes et de ne défendre que nos propres intérêts. Pourquoi avoir persisté à intervenir seuls, alors que le Président de la République s’était engagé à ne plus faire d’ingérence dans les crises survenant en Afrique et à entretenir des relations d’un type nouveau avec les pays africains ?
Monsieur le ministre de la défense, il faut préciser la stratégie du Gouvernement dans cette opération. Quels objectifs poursuivons-nous réellement ? Pourquoi et comment, avec qui et avec quels moyens la France veut-elle gérer cette nouvelle crise au centre de l’Afrique ?
La déclaration du Gouvernement qui vient de précéder ce débat ne nous a pas apporté les clarifications que nous attendions. D’ailleurs, contrairement à l’intervention au Mali, le trouble, voire le rejet, qui existe aujourd’hui dans l’opinion publique à l’égard de l’engagement dans ce pays est révélateur.
Au-delà d’une opposition qui, certes, pourrait n’être que passagère et s’expliquer par la situation économique que vit actuellement la France, je pense surtout que nos compatriotes sont essentiellement réticents et sceptiques quant à l’efficacité de ces interventions militaires plus ou moins ponctuelles et à leur capacité à résoudre les crises dans ces pays et à agir sur les causes qui les provoquent. Ils s’interrogent également sur le coût de ces opérations pour nos finances publiques, puisqu’elles se font au détriment d’autres priorités.
Et puis, il ne faut pas céder aux sentiments ni aux illusions ! La faillite centrafricaine ne date pas de ces dernières semaines. Cette faillite provient aussi très concrètement d'une profonde crise économique et sociale résultant de l’effondrement des cours des produits agricoles locaux.
Disons clairement les choses : les politiques successives de la France portent une large part de responsabilité dans la situation de ce pays, car nous y avons souvent joué un rôle d’influence discutable en soutenant des gouvernements peu recommandables. De plus, notre pays a soutenu – et soutient encore – les institutions internationales qui appliquent à ces pays des politiques ultralibérales qui asphyxient leurs économies et plongent leur population dans la misère.
Aujourd’hui, nous intervenons in extremis, dans l’urgence, alors que la situation se dégradait depuis de nombreux mois, ce dont les ONG présentes sur le terrain n’ont eu de cesse de nous alerter. Ce pays était déjà au bord du gouffre au mois de mars, et peut-être n’avons-nous pas suffisamment réagi lorsque les opposants au président Bozizé ont pris le pouvoir avec le soutien du Tchad.
Quelles initiatives diplomatiques auprès de la communauté internationale et des pays de la région notre pays a-t-il pris pour empêcher cet engrenage fatal ? S’il y en a eu, reconnaissons qu’elles ont été particulièrement discrètes et peu efficaces.
Le gouvernement auquel vous appartenez s’est résolu à éteindre cet incendie généralisé pour se lancer en héros solitaire dans l’une de ces opérations militaires qui deviennent, malheureusement, notre spécialité dans les relations internationales de cette partie du monde. Mais quelle est donc votre politique dans cette région ?
Au-delà des discours convenus et de la promesse d’organiser au plus vite des élections, le Gouvernement n’est pas véritablement en mesure de proposer à la représentation nationale l’esquisse d’une solution politique à cette crise. Cette nouvelle intervention militaire en Centrafrique succède à des années d’une tutelle française qui ne lui a jamais permis de trouver le chemin de la stabilité, de la paix et du développement. Quand sera dépassée l’urgence d’arrêter les massacres, les vraies questions se poseront.
Notre pays ne s’y rend-il pas pour rétablir un minimum d’ordre et reprendre la main sur le plan économique et stratégique, tout cela en accord avec l’Union européenne et les États-Unis ? Cette façon de gérer le conflit ne risque-t-elle pas de perpétuer l’instabilité, la violence et l’échec ?
Bien sûr, dans l’immédiat, il faut mettre un terme aux violences qui ensanglantent le pays. La Centrafrique ne doit pas sombrer dans une guerre civile intracommunautaire. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, il faut surtout s’attaquer aux causes profondes qui déstabilisent ce pays depuis si longtemps.
Il s’agit tout d’abord de casser la relation néocoloniale que nous entretenons avec lui. De la même façon, il est nécessaire que les pays voisins, comme le Tchad, cessent de considérer la Centrafrique comme leur arrière-cour. Il est grand temps que les Centrafricains recouvrent pleinement leur souveraineté.
Il faut ensuite lutter contre la pauvreté, véritable fléau dans la région. Cela passera nécessairement – il faudra bien en discuter, une bonne fois pour toutes – par une remise à plat de la répartition des dividendes tirés de l'exploitation par les grands groupes multinationaux des ressources naturelles. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.) Libérés du joug de la domination et de l’exploitation, les Centrafricains seront alors à même de tourner la page des putschs et des rébellions.
Le débat que nous avons cet après-midi met à nouveau fortement en évidence que, dans ce type de crise internationale, il faut avoir une approche globale et traiter les causes, et pas seulement les conséquences.
Avec d’autres, nous l’avions déjà dit ici même, il y a quelques mois, lors du débat sur le Mali : le Gouvernement doit sans tarder procéder à une véritable refonte de l’ensemble de notre politique d’aide publique au développement qui redéfinisse ses objectifs, ses enjeux et ses moyens. À cet égard, les résultats de la conférence de Paris, qui, pour l’essentiel, se borne à offrir aux Africains notre aide pour prendre en charge leur propre sécurité, ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux.
Vous devriez, par des actes concrets, rompre avec la politique de vos prédécesseurs qui donnait aux pays africains l’image d’une France dont le seul souci est de bénéficier de leurs ressources aux meilleures conditions. À l’inverse, il faut maintenant nouer de véritables partenariats équilibrés, de nouvelles relations économiques avec les États et entretenir des relations débarrassées des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques.
M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Michelle Demessine. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe estime, pour le regretter, que cette intervention militaire ne s’inscrit pas du tout dans ce cadre. Nous en désapprouvons la forme et nous doutons qu’elle soit la réponse appropriée à la crise que traverse la Centrafrique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme pour d'autres intervenants, en cet instant, ma première pensée va aux deux soldats qui ont trouvé la mort ce matin en accomplissant leur devoir. Je leur rends hommage à mon tour, et j’exprime toutes mes condoléances, en mon nom et en celui des sénateurs de mon groupe, à leur famille, à leurs proches et à leurs camarades de combat.
Une fois de plus, l’armée française accomplit sa mission avec un professionnalisme, une ténacité, une rapidité et une efficacité qui font honneur à notre pays. Le courage de nos soldats fait écho à celui de leurs prédécesseurs qui montaient au front il y a bientôt un siècle et dont nous aurons, ici même, l’occasion d’honorer la mémoire dans le cadre du centenaire de la Grande guerre.
M. Jean Besson. Très bien !
M. François Rebsamen. Mais ce qui me vient également à l’esprit, c’est le nombre d’enfants, de femmes et d’hommes qui ont été sauvés par l’arrivée des troupes françaises sur le sol de Centrafrique, même si les vies épargnées ne compensent en aucune manière la mort de nos militaires. Pour autant, la normalisation de la situation est loin d’être acquise aujourd’hui. La population sort peu à peu de la terreur, les meurtres, les viols, les massacres atroces dans Bangui ont cessé, et cela seul suffirait à justifier, s'il en était besoin, l’intervention française sous mandat de l’ONU.
Face au drame qui se jouait en Centrafrique, la France, fidèle à sa tradition de puissance responsable et fidèle à ses valeurs humanistes, a pris les devants et a agi pour que la communauté internationale assume son rôle face à un enjeu à la fois sécuritaire et humanitaire. En effet, d'autres intervenants l'ont dit, l’enjeu sécuritaire est d’importance. La situation en Centrafrique s’inscrit dans un cycle qui prend sa source dans les années quatre-vingt-dix, la crise actuelle n’étant – espérons-le – qu’un ultime soubresaut d’une spirale de troubles qui fragilisent et détruisent progressivement la République centrafricaine depuis 1996.
Déjà, en 1998, face à l’instabilité croissante et à des violences exacerbées, le Conseil de sécurité des Nations unies avait envoyé une première mission : la mission des Nations unies en République centrafricaine. Celle-ci avait tenté, conjointement avec une force interafricaine, de rétablir la paix et la sécurité dans le pays. Lors de son retrait en 2000, les tensions persistaient. À la fin de 2012, après bien des péripéties et des rébellions confortées par des ingérences étrangères, les troubles latents se sont transformés en crise majeure.
La Séléka, un regroupement composite rassemblant tous les déçus du régime du président Bozizé – si je puis lui attribuer ce titre de président, alors qu’il a pris le pouvoir par un coup d'État –, opposants politiques comme armée, s’est emparé des villes stratégiques.
Le 11 janvier 2013, de nouveaux accords de paix sont signés à Libreville entre le gouvernement et la rébellion. Il s’agit de mettre un terme à l’insurrection et de contenir la rébellion aux portes de Bangui. L’instauration d’un gouvernement d’unité nationale de transition échoue et de nouvelles élections ne peuvent être tenues.
En mars dernier, la Séléka contraint donc le président Bozizé à quitter le pouvoir et Michel Djotodia – alors vice-premier ministre, ministre de la défense du gouvernement d’union nationale et chef des factions rebelles – s’est autoproclamé président du gouvernement de transition. Il dissout officiellement la Séléka et lâche ainsi la bride à une soldatesque d’environ 20 000 hommes. Cette masse grossit de jour en jour avec l’arrivée de nouveaux combattants en provenance des pays voisins. Vous les connaissez, mes chers collègues, qu’il s'agisse des combattants soudanais, des éléments appartenant à Boko Haram au Nigeria, voire de miliciens de la LRA – l'armée de résistance du Seigneur – du tristement célèbre Joseph Kony, qui est déjà implantée dans une partie de la Centrafrique.
La République centrafricaine, carrefour stratégique entre le Sahel, la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique, est ainsi en passe de devenir une zone de non-droit dans sa totalité. Cette crise a donc des répercussions régionales importantes puisque la plupart des États voisins font eux-mêmes face à des défis sécuritaires considérables. Les frontières sont poreuses, les foyers de tensions énormes, et nous ne pouvons pas laisser la République centrafricaine devenir une source de déstabilisation supplémentaire, voire une base arrière pour le développement d’activités terroristes.
L’enjeu sécuritaire se double d’un enjeu humanitaire immense. Cela a été dit, mais je tiens à le rappeler.
Sans qu’il faille actuellement employer de grands mots et parler de génocide, le pays fait face à un climat de violence tel qu’il laisse présager une évolution vers un conflit à connotation confessionnelle. La Séléka est majoritairement composée de musulmans, tandis qu’une majorité de la population se situe dans la mouvance chrétienne.
On l’a vu – les images télévisuelles l’ont attesté –, la violence se déchaîne et est allée croissante. Les violations des droits de l’homme, ne cessant de s’amplifier, ont été quotidiennes. Les civils ont été la cible de multiples exactions : arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires, violences sexuelles, tortures, pillages, enrôlements d’enfants soldats drogués – les femmes et enfants étant, d'une façon générale, particulièrement visés.
On dénombre aujourd’hui environ 1,3 million de personnes victimes d’insécurité alimentaire, soit un tiers de la population, ainsi que 480 000 déplacés, dont 50 000 à Bangui. Le Haut-Commissariat des Nations unies a enregistré, depuis le début des affrontements, 66 000 réfugiés. Malheureusement, les ONG ne peuvent pas apporter d’aide aux populations dans le besoin.
Face à ce danger de catastrophe humanitaire, c’était un devoir impératif de mettre un terme à ce cycle infernal. Je citerai ici les propos tenus par Président de la République lors du sommet africain de l’Élysée : « Aujourd’hui, au cœur de l’Afrique, un peuple est en souffrance. Il nous appelle. […] Nous ne pouvons plus laisser les massacres se perpétrer, […]. Cet engagement n’est pas simplement sécuritaire, il doit être humanitaire, parce que c’est aussi notre devoir. »
Comme lors de la crise malienne, le Président de la République a su prendre la mesure de la gravité de la situation, et je veux ici le souligner et lui en rendre hommage.
Dès le 24 septembre dernier, dans son discours à la soixante-huitième Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République avait lancé un cri d’alarme sur la situation en République centrafricaine. Il avait alors invité la communauté internationale à se mobiliser et à agir sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies.
Pendant de longs mois, la France a réitéré cette volonté et travaillé à la résolution de la crise. Elle a fait adopter par le Conseil de sécurité une première résolution. D’ores et déjà, celle-ci définit le cadre politique de l’intervention actuelle, en autorisant la France à aider nos partenaires africains, mobilisés depuis de nombreuses années sur le terrain. Elle autorise également notre pays à accompagner la montée en puissance d’une force internationale dont le mandat a été présentement fixé par la résolution 2127, votée il y a quelques jours.
L’intervention Sangaris diffère de l’opération Serval, car la situation de ce pays n’est pas celle que les troupes françaises ont rencontrée au Mali en début d’année. La République centrafricaine est aujourd’hui, à n’en pas douter, un État failli. Les groupes rebelles s’affrontent et les exactions y sont systématiques. Les forces de sécurité ne disposent ni des moyens techniques ni des ressources humaines suffisantes à l’exercice de leur fonction.
Il s’agit donc, dans une situation de chaos, de poser les jalons d’une intervention internationale qui devra embrasser l’ensemble des défis qui s’imposent. L’action qui sera menée avec nos partenaires recouvre en effet quatre domaines : la sécurité, la dimension humanitaire, la transition politique – indispensable – et le développement économique. C’est donc à une mission multidimensionnelle que la France et la communauté internationale vont devoir s’atteler.
Je l’affirme, la France n’est pas seule : elle bénéficie du soutien de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies et elle est aux côtés des pays africains regroupés au sein de la MISCA. Sans cela, la sécurisation ne serait pas durable. La crise centrafricaine sera d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil européen du 19 décembre, date à laquelle débutera la mission des Nations unies.
L’Union européenne apporte déjà un premier soutien financier : elle a porté ses aides en 2013 à hauteur de 20 millions d’euros et la Commission européenne a débloqué la semaine dernière 50 millions d’euros, sans compter l’aide matérielle. À cet égard, je considère que les dépenses liées à des interventions extérieures au service de la paix, de la lutte contre le terrorisme et au secours de populations en danger doivent absolument être décomptées du calcul du déficit budgétaire de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) La France ne peut agir au nom des autres nations, notamment européennes, en faveur de l’intérêt international et en être en même temps pénalisée. Le citoyen français ne le comprendrait pas, et il aurait raison. Je souhaite donc, monsieur le ministre de la défense, que vous agissiez avec le Gouvernement dans ce sens au niveau européen dès le sommet de la semaine prochaine.
Comme pour l’opération Serval, l’opération qui se déroule actuellement participe de notre volonté de consolider le partenariat avec nos amis africains pour la paix et la sécurité sur le continent, qui ne peut que renforcer la paix et la sécurité en Europe.
II est bien clair que l’ambition de la France n’est pas de rester durablement en Centrafrique, mais de faciliter et de soutenir la communauté internationale et nos partenaires africains dans leurs actions en matière de sécurité collective.
La France est fidèle à sa mission : elle agit en soutien des Africains, conformément à la légalité internationale et elle travaille pour la paix. Notre participation n’est donc que le premier jalon qui doit conduire nos partenaires africains à assumer leur propre sécurité. C’est tout le sens des propositions qui ont été débattues lors du sommet de l’Élysée, avec la mise en place d’une force de réaction rapide africaine qui pourrait jouer un rôle semblable à celui tenu par la France au Mali et en République centrafricaine. Cette volonté a été unanimement saluée par les chefs d’État de tout le continent africain lors du sommet de l’Élysée, ainsi que par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.
Comme le déclarait le Président de la République devant ses homologues, si la maîtrise de leur sécurité relève aujourd’hui de la responsabilité des Africains, la France est prête à apporter tout son concours, prête à former, à équiper et à apporter du renseignement aux armées africaines.
À l’heure où la tentation du repli sur soi se généralise, la France – notamment l’ensemble des formations politiques, presque unanimes – a su dépasser ses préoccupations nationales pour se porter au secours d’un peuple en souffrance. En cela, notre pays se montre fidèle et digne de sa vocation de patrie des droits de l’homme.
Mes chers collègues, je vous invite tous à en être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)