compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Hubert Falco.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Nelson Mandela
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à quelques moments de l’histoire, au fil des siècles, s’élèvent des femmes et des hommes qui par leur courage, par leur détermination, donnent confiance et espoir à des millions d’autres. Nelson Mandela (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent.) était de ceux qui incarnent les grandes luttes de leur temps et changent le cours de l’histoire.
Nelson Mandela nous a quittés le 5 décembre.
Dans son combat contre le racisme, contre l’injustice, Nelson Mandela a porté au plus haut ses convictions, ses valeurs, chevillées au corps : la liberté, l’égalité, la fin des discriminations. C’était un être rayonnant, éclatant, apportant un peu de lumière dans un XXe siècle trop longtemps marqué par sa part d’ombre.
Nelson Mandela, c’est d’abord le militant engagé. Il participa à la création en 1944 de la Ligue des jeunes du Congrès national africain, l’ANC, avant de se rapprocher du parti communiste sud-africain.
Nelson Mandela, ce fut un révolutionnaire, un homme d’action. Dans ce pays où Gandhi séjourna plus de vingt ans et où il conduisit ses premiers combats politiques, il mena des actions de désobéissance civile contre des centaines de lois qui retiraient aux Noirs, aux Indiens et aux métis leurs droits et libertés ; contre ce qu’il dénonça comme « un système monolithique, diabolique dans le détail, inéluctable dans son objectif et écrasant dans son pouvoir ». Cette désobéissance lui valut ses premières condamnations. Mais, dans la résistance, il acquit le sentiment de « marcher droit comme un homme et de regarder tout le monde dans les yeux avec dignité ».
Oui, révolutionnaire et non-violent, il fallut l’horreur du massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960, pour qu’il reconsidère les méthodes d’action de l’ANC. Face à la brutalité sanglante de l’apartheid, qui ignorait les revendications légitimes de la population noire, il entra dans la clandestinité. Arrêté à son retour en Afrique du Sud après un voyage dans une douzaine de pays, il est mis en prison le 5 août 1962, pour n’en ressortir que le 11 février 1990, près de vingt-huit ans plus tard.
À soixante-treize ans, cet homme enfin libre incarnait alors l’avenir de son pays. « Je me tiens devant vous non pas en tant que prophète mais en tant que serviteur de vous, le peuple », déclara-t-il en toute humilité. Son nom avait porté l’espoir de ceux qui luttèrent pendant quarante ans contre l’apartheid.
Parvenu à faire tomber le système ségrégationniste qui avait voulu le briser, Nelson Mandela fut un sage. Sa force, sa grandeur d’âme lui venaient aussi de la culture xhosa, découverte au cours de son adolescence dans la tribu Thembu. Il avait fait sienne l’ubuntu, cette philosophie de fraternité, fondée sur l’appartenance de chacun à un ensemble plus vaste, à une humanité qui oblige au respect, à la compréhension d’autrui.
Loin de tout esprit de revanche, Nelson Mandela conduisit son pays sur le chemin de la réconciliation.
Devenu le symbole universel de toutes luttes contre le racisme et contre l’oppression, ce « héros au sourire si doux », pour reprendre les mots de Victor Hugo, donna à ces combats un visage.
Prix Nobel de la paix, premier président démocratiquement élu de la République d’Afrique du Sud, c’est à Sharpeville qu’il choisit, en 1996, de parapher la nouvelle Constitution de la « nation arc-en-ciel ».
Nelson Mandela, Madiba, resta toute sa vie fidèle à la plaidoirie qu’il prononça lors du procès de Rivonia, il y a un demi-siècle, vouant sa vie à la « lutte pour le peuple africain », pour « l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités ».
Nelson Mandela savait qu’il ne suffit pas d’abolir certaines lois iniques pour faire disparaître les idées qui ont pu conduire à leur adoption. Il était conscient que tout ne vient pas en quelques mois, conscient du chemin qui reste à parcourir pour que chacun vive dans le respect et la dignité qui lui sont dus.
Nelson Mandela nous lègue ce message, cette responsabilité, celle d’œuvrer encore et toujours pour la liberté, contre les discriminations raciales, pour ces idéaux universels auxquels notre pays est si profondément attaché.
Mes chers collègues, par vos applaudissements, je vous demande de rendre hommage à Nelson Mandela. (Applaudissements prolongés.)
3
Souhaits de bienvenue à M. Ilir Meta, président de l’Assemblée de la République d’Albanie
M. le président. Mes chers collègues, j’ai l’honneur et le plaisir de saluer la présence, dans la tribune officielle, de M. Ilir Meta, président de l’Assemblée de la République d’Albanie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
M. Meta est accompagné de Mme Monika Kryemadhe, députée membre de la commission pour l’intégration européenne, de Son Excellence M. Dritan Tola, ambassadeur d’Albanie en France, et de notre collègue Bernard Fournier. Je me suis entretenu avec nos deux collègues albanais ce midi, avant qu’ils ne rencontrent des membres du groupe d’amitié.
Leur visite s’inscrit dans un contexte renouvelé, après les élections législatives de juin dernier qui ont permis l’alternance politique en Albanie et avec la proposition récente de la Commission européenne d’octroyer à ce pays le statut de candidat à l’Union européenne. La France soutient le processus de réformes qui permettra à l’Albanie d’entamer les négociations d’adhésion.
La visite du président Meta et de sa collègue contribue à renforcer encore les excellentes relations entre nos deux pays et nos deux assemblées.
Au cours des derniers mois, le Sénat a conduit une coopération intense en faveur du renforcement du Parlement albanais, dans le cadre d’un jumelage qui a abouti à la rédaction de guides de travail dans des domaines comme la procédure législative, le contrôle de l’action gouvernementale et la communication.
Je forme des vœux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente, et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue. (Applaudissements.)
4
Hommage à deux soldats français morts en République centrafricaine
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant que nous n’engagions le débat sur l’intervention des forces armées françaises en République centrafricaine, c’est avec une grande émotion que je souhaite rendre hommage aux deux soldats français du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, qui sont morts au combat cette nuit à Bangui. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent.)
Le Sénat tout entier salue l’immense courage de ces deux hommes, qui ont fait le sacrifice de leur vie pour défendre les valeurs universelles de liberté et de démocratie.
Nous exprimons à leurs familles et à leurs proches nos condoléances les plus attristées. Nous nous associons à leur douleur, ainsi qu’à celle de leurs camarades de régiment.
Nos pensées vont également à cette heure vers l’ensemble des militaires déployés en République centrafricaine pour rétablir la sécurité et protéger les populations.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir observer une minute de silence pour honorer la mémoire des deux soldats morts au combat la nuit dernière. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)
5
Engagement des forces armées en République centrafricaine
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine, dans le cadre du mandat résultant de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, jeudi dernier, le Président de la République s’est adressé à la nation pour annoncer l’intervention des forces françaises en République centrafricaine. La décision d’engager nos forces armées est toujours une décision grave.
Nous venons de rendre hommage aux deux soldats, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, qui ont fait cette nuit le sacrifice de leur vie. Mes pensées vont à leur famille et à leurs proches, auxquels j’exprime la solidarité de la nation, et je transmets les condoléances les plus attristées de l’ensemble du Gouvernement.
En République centrafricaine, nos hommes interviennent en appui à la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, et sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette intervention était urgente et nécessaire. Quelques heures auparavant, des miliciens armés massacraient encore dans les rues de Bangui, n’épargnant ni les femmes ni les enfants, munis de listes de victimes et faisant du porte-à-porte pour les traquer. Le danger d’une telle situation, le Président de la République l’avait dénoncé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier. Notre alarme était justifiée : le pays était bien au bord du gouffre.
Depuis la prise du pouvoir par des rebelles de la Séléka, le 24 mars 2013, les exactions, l’arbitraire, les pillages, le recrutement d’enfants soldats, les villages brûlés, les viols, les mutilations, les exécutions sommaires : voilà à quoi s’est résumée la vie quotidienne des populations civiles, victimes de la faillite de l’État centrafricain. Plus inquiétants encore, les affrontements entre groupes ont pris récemment une tournure intercommunautaire et interconfessionnelle extrêmement dangereuse. Cette spirale de la haine aurait pu à tout moment déboucher sur un enchaînement d’exactions et de représailles entre chrétiens et musulmans.
L’anarchie en République centrafricaine est aussi une menace pour une région – les Grands Lacs, les Soudans – déjà très fragile. Ce pays, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville, ne doit en aucun cas devenir un nouveau sanctuaire pour tous les trafics et tous les groupes terroristes. À cet égard, c’est aussi notre sécurité et celle de l’Europe qui sont en cause.
À cette crise, à cet effondrement sécuritaire s’ajoute une tragédie humanitaire : un habitant sur dix a dû abandonner son foyer ; 70 000 Centrafricains ont déjà quitté le pays et 2,3 millions de personnes ont besoin d’une assistance en urgence.
Face à ce drame, la France pouvait-elle ne rien faire ? La France pouvait-elle rester sourde aux appels à l’aide des autorités centrafricaines et de nos partenaires de l’Union africaine ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la France, l’inaction n’était pas une option. Attendre, c’était prendre le risque d’un désastre. Attendre, c’était nous exposer au risque d’une intervention ultérieure, beaucoup plus coûteuse et beaucoup plus difficile.
Cette décision fait suite aux efforts déployés depuis plusieurs mois en faveur d’une réponse collective à cette tragédie en plein cœur de l’Afrique. Il y a eu d’abord le message d’alarme du Président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies, je l’ai rappelé. Il y a eu ensuite l’encouragement aux pays de la région à renforcer les troupes qu’ils avaient commencé à déployer et à user de toute leur influence pour que les parties cessent les violences et reprennent le chemin de la transition politique.
C’est la France qui a saisi le Conseil de sécurité et qui a obtenu que deux résolutions soient votées à l’unanimité. La résolution 2127, adoptée la semaine dernière, donne mandat à la force africaine de stabiliser la République centrafricaine et de protéger les civils. Elle nous permet d’appuyer cette force.
C’est encore la France qui a su convaincre ses partenaires internationaux d’apporter leur soutien politique, logistique et financier à cet effort international de stabilisation.
Le cadre de l’opération Sangaris est incontestable. La France agit sur la base d’un mandat des Nations unies. Elle répond à l’appel lancé par l’Union africaine, le 13 novembre dernier. Elle répond également à une demande d’assistance des autorités de transition centrafricaines.
Nos objectifs sont clairement circonscrits.
Premièrement, il faut rétablir la sécurité en République centrafricaine, enrayer la spirale d’exactions et la dérive confessionnelle et permettre le retour des organisations humanitaires ainsi que le déploiement des structures étatiques de base.
Deuxièmement, nous voulons favoriser la montée en puissance rapide de la MISCA et permettre son plein déploiement opérationnel. La MISCA doit en effet être en mesure d’assurer le contrôle de la situation sécuritaire, de désarmer les milices et de faciliter la transition politique.
Le Président de la République l’a dit, notre intervention sera rapide, elle n’a pas vocation à durer. Elle est pleinement cohérente avec le message du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique : la sécurité de l’Afrique relève de la responsabilité des Africains.
Nos forces sont engagées, dans l’urgence, en soutien des contingents africains de la MISCA, dont l’action a déjà commencé et va se renforcer. L’Union africaine a en effet annoncé qu’elle porterait rapidement sa présence sur le terrain de 2 400 à 6 000 hommes. Ces hommes viennent de tous les pays de la région.
Le désengagement de nos forces commencera dès que la situation le permettra, en fonction de l’évolution sur le terrain et de la montée en puissance des capacités opérationnelles des forces africaines. Ce doit être l’affaire de quelques mois.
Nous savons qu’il faudra du temps pour désarmer les milices, former de nouvelles forces de sécurité centrafricaines et mener à bien un processus électoral. C’est le rôle, dans la durée, de la MISCA.
La résolution 2127 prévoit qu’une opération de maintien de la paix des Nations unies pourra, si le Conseil de sécurité en décide, lui succéder pour la conforter et lui apporter un cadre plus robuste, y compris en matière de financement. L’Union européenne pourra également y contribuer, notamment grâce aux instruments de la politique de sécurité et de défense commune.
Je salue la rapidité et la qualité de l’action que conduisent nos forces sur le terrain. Nous avons pu, grâce à la complémentarité entre notre dispositif prépositionné dans la région et les forces en alerte en France, porter en deux jours notre présence sur place à 1 600 hommes. Nous avons pu, grâce aux renforts rapides qui ont été déployés à Bangui et ailleurs, à Bossangoa en particulier, éviter des massacres de masse, alors que la situation dans la capitale devenait critique. Vous avez d’ailleurs pu lire les témoignages des observateurs et des représentants des organisations non gouvernementales, dont je salue l’engagement.
Nos hommes, aux côtés des forces africaines, sécurisent les sites les plus sensibles, notamment l’aéroport et les zones de regroupement de nos compatriotes, qui sont près de 800, dont 500 binationaux. Ils assurent une présence constante par des patrouilles, dont la vertu dissuasive joue pleinement. Déjà, ils participent aux actions de cantonnement et de désarmement des groupes armés afin de rétablir calme et sécurité. Ils favorisent le retour à des conditions d’un fonctionnement normal des structures étatiques indispensables au règlement durable de la situation dans le pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons clairs : la République centrafricaine n’est pas le Mali. La situation sur le terrain diffère. Les groupes armés ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Pourtant, j’entends à nouveau les mêmes questionnements.
J’entends les questionnements sur nos moyens. Oui, la France a la capacité d’agir aujourd’hui ! Le financement de l’opération Sangaris est prévu au budget de l’État, comme en atteste la clause de garantie figurant dans le projet de loi de programmation militaire que nous examinerons tout à l'heure. La France le pourra aussi demain, dans le cadre défini par cette loi, avec un format parfaitement adapté à la conduite simultanée d’opérations telles que celles engagées au Mali et en République centrafricaine.
J’entends les questionnements sur notre posture, même s’ils sont rares. Non, la France n’agit pas en gendarme de l’Afrique ! Elle assume tout simplement ses responsabilités internationales. Elle répond à l’appel de ses partenaires africains et fait face à l’urgence absolue de prévenir une spirale de massacres. Le sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique a été l’occasion d’un message unanime de tous les Africains sur la nécessité de renforcer les capacités africaines de réponse aux crises sur le continent. La mise en place d’une vraie force panafricaine de réaction rapide mobilisera, dans les mois à venir, l’Afrique et ses partenaires.
J’entends également les questionnements sur notre prétendu isolement. Non, la France n’est pas seule ! Elle bénéficie du soutien politique de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Secrétaire général des Nations unies a encore lancé, vendredi dernier, un appel d’urgence sur la situation en République centrafricaine.
La France agit, je le répète, aux côtés des Africains, regroupés au sein de la MISCA.
L’Union européenne l’accompagne depuis le début. Le président du Conseil européen, qui participait au sommet de l’Élysée, a souligné les risques que la déstabilisation des pays africains fait peser sur la sécurité de l’Europe tout entière. L’Europe agit sur le terrain, avec la mise en place hier d’un pont aérien entre Douala et Bangui pour acheminer l’aide humanitaire indispensable. L’Europe apporte ses capacités de financement.
Les États membres qui disposent des moyens opérationnels nécessaires s’engagent également. Sans attendre, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont mis des moyens aériens à disposition de la France et des Africains. La Belgique se prépare à apporter son appui. D’autres pays nous ont fait savoir leur disponibilité. Je les en remercie par avance.
Les États-Unis fourniront, dans les prochains jours, des capacités de transport pour les contingents africains et ont promis 40 millions de dollars pour la MISCA. L’Union européenne la finance déjà à hauteur de 50 millions d’euros et examine comment s’engager rapidement dans le domaine de la formation.
Car au-delà de l’urgence, il faut préparer l’avenir. Et cet avenir passe notamment par la restructuration des forces de sécurité et par la restauration de l’autorité de l’État et des services publics. Il faudra surtout que la transition politique soit menée à son terme. Trop longtemps, la République centrafricaine a été ballottée au gré de pouvoirs faibles, d’une gouvernance défaillante et de l’ingérence d’acteurs extérieurs. Notre volonté est de tourner cette page. C’est celle qu’exprimera le Président de la République à l’occasion de sa visite à Bangui, ce soir, au retour de l’Afrique du Sud.
Avec les Centrafricains, les pays de la région ont posé les contours d’un processus de transition devant aboutir à des élections présidentielle et législatives libres et transparentes, le plus tôt possible. Les autorités centrafricaines se sont engagées à mener à bien cette transition. La communauté internationale fera preuve de la plus grande vigilance. Il y va de la renaissance de la République centrafricaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai dit, la décision d’engager nos forces armées est toujours une décision grave. En ces circonstances, l’unité de la nation et de l’ensemble des forces politiques est indispensable. En recevant, ce matin, les présidents des deux assemblées, de leurs groupes politiques et des commissions compétentes, le Premier ministre a déjà pu constater une large convergence de vues.
Cette unité, nous la devons à nos soldats qui, au péril de leur vie, agissent sur un nouveau théâtre. Je ne soulignerai jamais assez leur courage et leur professionnalisme.
Cette unité, nous la devons aussi au peuple centrafricain, qui traverse depuis trop longtemps les épreuves et qui est en droit de prétendre à des lendemains meilleurs. La crise actuelle pourra, j’en suis persuadé, être surmontée et céder le pas à la reprise du dialogue intercommunautaire, à la réconciliation nationale et à une perspective de développement. La France saura faire preuve de solidarité.
Cette unité, nous la devons enfin à l’Afrique, notamment aux pays d’Afrique centrale, qui se sont mobilisés de manière exemplaire et qui ont demandé l’aide de la France. La France assume ses responsabilités internationales et tient parole en étant à leurs côtés. Elle respecte ses valeurs, celles qui sont au cœur de notre République.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un des plus grands hommes que le continent africain ait connu disait : « Ce monde doit être celui de la démocratie et du respect des droits humains, un monde libéré des affres de la pauvreté, de la faim, du dénuement et de l’ignorance, épargné par les guerres civiles et les agressions extérieures et débarrassé de la grande tragédie vécue par les millions de réfugiés. » Cet homme, c’était Nelson Mandela.
C’est la liberté du peuple centrafricain, son aspiration à retrouver la paix et la sécurité, à bénéficier de l’assistance humanitaire la plus élémentaire que nos hommes défendent aujourd’hui avec les forces africaines. Cette cause est juste. Elle correspond à l’idée même que la France se fait de sa place dans le monde.
Le Président de la République et le Gouvernement ont fait le choix de l’action. À l’heure d’assumer à nouveau cette responsabilité, je sais que nous continuerons à nous rassembler pour que nos soldats soient plus forts et que les objectifs de la France soient pleinement atteints. (Applaudissements.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe de l’UMP.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la deuxième fois cette année, le Président de la République engage les troupes françaises dans une opération extérieure.
Je tiens tout d’abord à adresser à nos soldats et à leurs familles, au nom du groupe UMP, un message de soutien. J’en suis certain, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes tous reconnaissants à nos soldats de leur professionnalisme et de leur courage. L’annonce de la mort de deux d’entre eux aujourd’hui en opération nous touche profondément.
Nos soldats sont la fierté de notre pays quand ils concrétisent ainsi l’action de notre diplomatie, laquelle n’a pas ménagé sa peine au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire adopter la résolution 2127, malgré les atermoiements et hésitations de certains de nos partenaires.
Mais pourquoi, après le Mali, intervenir une nouvelle fois, et en Centrafrique ? Serions-nous devenus les gendarmes de l’Afrique ? Nous ne devons pas revendiquer ce rôle que nous n’avons pas vocation à jouer, car les États africains sont indépendants depuis maintenant des décennies. Cependant, le Mali et la Centrafrique sont des territoires auxquels nous unissent encore des liens affectifs et culturels puissants. Si nous n’étions pas intervenus, ils auraient pu rapidement sombrer dans le chaos.
Je connais bien la Centrafrique. C’est un pays où j’ai été coopérant en qualité de volontaire du service national. J’y enseignais le français dans un collège de brousse.
Ce pays de 600 000 kilomètres carrés, un peu plus grand que la France, peuplé à l’époque par 1,5 million d’habitants – ils sont maintenant 4,5 millions –, était connu jadis sous le nom d’Oubangui-Chari. Il fut le deuxième territoire africain à rejoindre la France libre en 1940. N’oublions pas l’aide que ses soldats nous ont apportée au moment le plus sombre de notre histoire !
Il a été conduit à l’indépendance par un homme remarquable, l’abbé Barthélemy Boganda. Il avait une vision : il rêvait de construire les États-Unis d’Afrique latine. Il avait constitué une formation dénommée Mouvement d’évolution sociale de l’Afrique noire. Il voulait conduire l’Afrique centrale vers la modernité dans la coopération avec la France, et il avait donné à son pays cette belle devise en langue locale, le sango : « Zo kwe zo », ce qui signifie qu’un homme est un homme. Mais il est mort très vite, victime d’un accident d’avion à l’aube de l’indépendance, et son pays a connu une spirale de coups d’État et de désordres qui le mènent aujourd’hui au bord de l’effondrement.
Quand j’ai connu Bangui, on l’appelait « Bangui la coquette », et c’était une belle petite ville. Malheureusement, on la surnomme maintenant, et depuis des années, « Bangui la roquette ».
Avions-nous le droit, la possibilité de ne rien faire ? Pouvions-nous laisser massacrer la population de Bangui à quelques kilomètres d’une force française stationnée sur l’aéroport de cette capitale ? Comment pourrions-nous justifier, devant notre conscience et l’opinion internationale, le choix de ne rien faire le jour même où nous pleurons tous unanimement la disparition de Nelson Mandela, qui a su, lui aussi, comme Barthélemy Boganda, conduire son peuple à l’indépendance en voulant dépasser les différences de couleur et d’ethnie ?
Ce n’était pas possible. Il nous fallait agir ! Il faut simplement regretter que nous soyons les seuls, une fois de plus, à avoir aujourd'hui la capacité et la volonté de le faire dans cette partie de l’Afrique.
C’est d’abord au continent africain qu’il appartient de régler les problèmes qui se déroulent sur son sol. L’aide à l’Afrique ne relève pas seulement de la France, et nous devrions obtenir de nos amis européens autre chose qu’un soutien timide et quelques facilités de transport.
La Grande-Bretagne, la Belgique, le Portugal, l’Italie, l’Espagne et même l’Allemagne ont aussi été présents sur le continent africain. L’Europe et l’Afrique ont un avenir beaucoup plus étroitement lié qu’on ne peut l’imaginer. L’Europe saura-t-elle définir une politique africaine ambitieuse, respectueuse de l’Union africaine en construction et tournée vers un véritable développement qui, seul, peut empêcher le renouvellement des crises ?
Il faut dire aussi aux Français qui s’interrogent sur notre engagement en Centrafrique que cette décision est tout à fait conforme aux intérêts de la France.
Nous avons empêché au Mali l’instauration d’une dictature religieuse obscurantiste et brutale. Pouvions-nous laisser s’installer au cœur de l’Afrique un espace de non-droit accueillant sur son sol tous les trafiquants de drogue, d’ivoire, d’armes et tous les fanatiques qui auraient pu y trouver refuge ? Je pense aux coupeurs de route venus du Darfour ou des confins du Tchad et du Soudan, du Nord comme du Sud, aux métastases de Boko Haram, cette rébellion sanguinaire qui désole le Nigeria, menace le Cameroun et enlève nos ressortissants, à l’Armée de résistance du Seigneur, la LRA, sortie d’Ouganda et qui a déjà brûlé tant de villages centrafricains.
La Centrafrique que j’ai connue et aimée n’était pas déchirée par les haines religieuses. Les Pygmées, les Bayas de l’Ouest centrafricain, animistes ou chrétiens, et les Peuls bororos de la région de Bouar, où nos troupes ont été acclamées samedi, coexistaient sans heurts. C’est l’irruption d’éléments violents, armés, venus d’ailleurs qui a changé la situation. Le processus amorcé il y a dix ans déjà lors de la prise de pouvoir par le général Bozizé se renforce aujourd’hui.
Les menaces sont pressantes. L’État centrafricain a pratiquement disparu. La capitale, Bangui, est en proie aux affrontements ; dans la brousse, il n’y a plus d’administration, de police, de gendarmerie, de représentants de l’état. L’État centrafricain s’est effondré, comme quelques autres dans le monde. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour le reconstruire : il s’agit d’abord de garantir l’intégrité du territoire et de rendre la parole au peuple centrafricain par des élections véritablement libres avant, ensuite, et le plus vite possible, d’aider ce pays à se reconstruire et à se développer. Face à une telle situation, il ne faut pas se contenter d’apporter une aide de court terme et puis rentrer chez soi. Avec le maximum de partenaires, il faut accompagner cet État dans la durée pour lui éviter de nouvelles crises.
Actuellement, les paysans en brousse n’osent plus semer. La disette est déjà présente dans un pays qui devrait pouvoir nourrir sa population. Je ne parle même pas des investissements étrangers, qui sont, bien sûr, complètement arrêtés.
Il y a urgence à agir, mes chers collègues. Je pense même que la communauté internationale a déjà beaucoup trop tardé. C’est pourquoi j’avais interpellé ici, il y a quelques semaines, le ministre des affaires étrangères en m’inquiétant de la situation dans ce pays.
Je ne reprocherai sûrement pas au Président de la République d’avoir décidé, au vu de l’urgence, d’engager nos troupes dès que les conditions de l’intervention ont été réunies au Conseil de sécurité à New York. Je me réjouis simplement qu’un débat sur cet engagement soit maintenant organisé, comme le permet la révision constitutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy en 2008. En modifiant l’article 35 de la Constitution, cette réforme a permis de renforcer le rôle du Parlement, tout en laissant au chef de l’État la possibilité de réagir vite face aux massacres et aux tragédies.
C’est une chance pour notre diplomatie de n’être pas tributaire a priori de tractations partisanes. Mais il est tout à fait normal que le Président de la République doive, au bout de quatre mois, obtenir du Parlement l’autorisation de poursuivre une opération extérieure.
Faudra-t-il qu’il en soit ainsi dans quatre mois ? Je le crains et je le crois. En effet, nous ne devons pas nous faire d’illusions. Si elle est nécessaire, cette intervention est aussi périlleuse. Certes, les conditions climatiques et politiques sont différentes de celles du Nord-Mali. Mais peut-on sécuriser rapidement un pays grand comme la France avec seulement 1 600 militaires français et quelques milliers de militaires africains ? Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la combativité des Séléka, souvent redoutables, qui ont connu ailleurs d’autres conflits et en sont sortis endurcis et très violents. Les événements de cette nuit, hélas, le confirment.
Il est nécessaire que les Nations unies et l’Europe s’engagent vraiment à nos côtés. La France a une admirable armée, mais son volume et ses moyens sont de plus en plus contraints. En cette période de débats budgétaires, je voudrais redire notre conviction que la faute essentielle est toujours de prendre des engagements internationaux que nos moyens militaires et diplomatiques ne permettraient pas d’honorer.
Nous sommes membres du Conseil de sécurité. C’est une charge et une chance, et nous devons y rester. Mais si nous en sommes membres, c'est aussi parce que nous disposons d’une dissuasion nucléaire, d’une véritable armée et d’un réseau diplomatique très étoffé. Réduire encore les moyens de nos armées et de notre diplomatie serait, à terme rapide, nous condamner à n’être plus qu’une nation de second ou troisième rang. Après bien d’autres crises, c’est aussi une leçon à tirer de ce que nous vivons aujourd’hui.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a parfois des raccourcis saisissants. Alors que vient de s’achever un nouveau sommet France-Afrique, nous voici tout à la fois engagés une fois de plus sur ce continent, au secours d’une population menacée, et plongés dans la peine universelle ressentie à l’annonce de la mort de Nelson Mandela.
On le voit bien, la France et l’Afrique ont tissé de tels liens que, tout naturellement, ce qui se passe en Afrique, et singulièrement en Afrique francophone, prend chez nous une singulière résonance, comme il est vrai aussi que l’Afrique, qui ne regarde plus seulement vers les anciennes puissances coloniales, n’est néanmoins jamais indifférente à ce qui nous concerne et continue à attendre beaucoup, peut-être trop, de nous.
Cette empathie n’est pas ce qu’on appelait la « Françafrique », mais c’est le sentiment réel de liens particuliers. Je souhaite que la jeunesse africaine et la jeunesse française puissent continuer à échanger, à se rencontrer, à se comprendre, car c'est important pour l’avenir. Pour ma part, j’ai eu la chance de faire jadis, comme de nombreux autres jeunes Français, mon service national en Afrique, qui pouvait certes être utile, mais qui m’a surtout beaucoup appris.
Une fois de plus aujourd’hui, la France, dans l’urgence, s’engage par fidélité à ses valeurs. Cependant, cet engagement ne nous dispense pas d’aider d’abord ceux que nous avons rendus indépendants de nous à acquérir progressivement les moyens réels de cette indépendance.
Un homme politique centrafricain, M. Ngoupandé, avait écrit un livre intitulé L’Afrique sans la France. La France, fort heureusement, répond encore une fois à l’appel de l’Afrique. L’Afrique n’est pas sans la France. Ce que nous devons faire, c’est bâtir une véritable solidarité entre la France, l’Europe et l’Afrique, pour notre bien commun ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)