M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Patrick Courtois. Il ne renonce jamais !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Courtois, vous le savez, il est très difficile de m’empêcher de parler ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. Joël Guerriau. Vous n’hésitez jamais non plus à interrompre les autres ! Épargnez-nous vos leçons de morale !
M. Jean-Pierre Sueur. Je salue la volonté de M. le ministre de renforcer l’indépendance de l’ONDRP afin de garantir l’observation objective indispensable à une réflexion scientifique.
Cette approche objective, monsieur Courtois, sera peut-être de nature à nous débarrasser de polémiques récurrentes où la sécurité fait perpétuellement office d’enjeu politicien, alors que, en la matière, mieux vaudrait unir nos efforts.
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recensement réalisé à Mayotte à un rythme quinquennal n’est plus en adéquation avec le rythme de la croissance démographique, car celle-ci tend à exploser. Cette inadéquation ne facilite guère la mise en œuvre de politiques publiques adaptées aux réalités du terrain.
À Mayotte, 50 % de la population a moins de vingt-cinq ans et 40 % de la population est en situation irrégulière. Selon le rapport du Défenseur des droits d’avril 2013, sur ce territoire exigu, le nombre de mineurs isolés est estimé à 3 000, dont 500 sont en situation de grande fragilité car livrés à eux-mêmes.
Tous les rapports publiés sur Mayotte font état d’un constat qui se répète de manière alarmante : Mayotte connaît une délinquance et une insécurité inquiétantes.
Voici donc quelques chiffres illustrant cette situation pour la période 2012-2013 : d’une année à l’autre, on est passé de 1 363 à 1 398 atteintes volontaires à l’intégrité physique, soit une hausse de 2,57 % ; les atteintes aux biens sont, elles, passées de 4 229 à 4 837, soit une progression de 14,38 % ; les escroqueries et infractions économiques et financières, qui étaient de l’ordre de 364 en 2012, ont baissé de 31,04 % en 2013, leur nombre étant ramené à 251 ; enfin, la délinquance juvénile, qui représentait un total de 5 956 infractions en 2012, est en forte progression, avec 6 486 infractions en 2013, soit une hausse de 8,90 %.
En matière d’immigration clandestine, là aussi, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 13 000 illégaux en un an, selon Le Figaro du 7 novembre 2013, étant entendu que les reconduites aux frontières sont effectuées systématiquement. Le bras de mer séparant Mayotte et Anjouan est devenu un grand cimetière marin, avec des drames bien plus graves encore que celui s’est récemment déroulé à Lampedusa et a défrayé la chronique en Europe.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le ministre, il est fort regrettable de constater que des jeunes mal lotis, pour la plupart sans emploi, sont entraînés dans la délinquance.
Face à ce fléau que constitue une insécurité grandissante, quelles sont les mesures que le Gouvernement propose pour Mayotte ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, vous soulevez des questions justes sur la situation de Mayotte, mais vous conviendrez que les problèmes de délinquance sur votre territoire ne se posent pas seulement depuis dix-huit mois. Cela dit, je vous sais gré de ne pas chercher à polémiquer sur les chiffres de la sécurité.
Disons-le clairement, Mayotte souffre de la persistance de certaines formes de délinquance particulièrement inquiétantes. Votre département connaît aussi des problèmes de violences scolaires, qui surviennent aux abords des établissements ou à l’encontre des transports scolaires. Elles sont souvent le fait de très jeunes gens, appâtés par le gain facile et agissant parfois en bande.
Les forces de l’ordre ont déployé régulièrement des dispositifs de sécurisation adaptés aux circonstances.
Je rappelle aussi que la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte fait l’objet d’efforts soutenus, qu’il s’agisse de l’interpellation des étrangers en situation irrégulière, du contrôle des documents d’identité ou de la lutte contre le travail illégal.
Je me rendrai prochainement à Mayotte, comme je me suis rendu aux Antilles il y a quelques semaines. La situation outre-mer fait l’objet de toute l’attention du Gouvernement, dont le rôle est de garantir la sécurité de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire de la République.
Mayotte a besoin de la réussite de son projet de départementalisation, qui a été voté à l’unanimité par le Parlement. C’est sur tous ses aspects que nous gagnerons en efficacité : économie, éducation, soutien à l’administration, lutte contre l’immigration irrégulière et contre l’insécurité. À cette fin, je compte m’appuyer sur les propositions que me soumettront l’ensemble des élus du territoire lors de mon déplacement.
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi, pour la réplique.
M. Abdourahamane Soilihi. Votre venue sur place, monsieur le ministre, nous donnera l’occasion de discuter ensemble, à nouveau, des problèmes de Mayotte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la politique du chiffre et sur le rapport Rouzeau.
Pendant des années, les chiffres de la délinquance ont fait l’objet de toutes sortes d’instrumentalisations et, malheureusement, de nombreuses manipulations. Détournés de leur vocation première, ils ont été utilisés comme support de communication politique par le précédent gouvernement. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
M. Antoine Lefèvre. Avec vous, cela n’existe plus, évidemment ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Kaltenbach. Cela n’a pas été très efficace et les Français n’ont pas été dupes !
Cette situation anormale et nuisible à l’intérêt général a conduit à la mise en place d’une véritable politique du chiffre. En effet, à l’époque, des objectifs chiffrés de baisse de la délinquance étaient fixés aux services de police et de gendarmerie. La plupart du temps, heureuse coïncidence, ces objectifs étaient atteints… Mais au prix de quelles contorsions !
Ces contorsions ont conduit de nombreux responsables de la police et de la gendarmerie à dénoncer les pressions dont ils faisaient l’objet, lesquelles avaient naturellement des conséquences désastreuses sur le management de leurs services, leurs effectifs étant sommés de « faire du chiffre ». Or ce qu’attendent les Français, ce ne sont pas des chiffres, c’est une baisse concrète de la délinquance.
Le rapport de l’IGA relatif aux pratiques d’enregistrement des plaintes et de confection des chiffres de la délinquance, paru en juin dernier, met au jour le véritable dévoiement dont ceux-ci ont pu faire l’objet. Ses conclusions, très sévères, appellent en tout état de cause à une véritable transparence dans la production et la publication des statistiques de la délinquance.
Vous vous êtes engagé dans ce sens, monsieur le ministre, et nous nous en félicitons.
Pouvez-vous nous indiquer quelles conséquences a entraînées, selon vos analyses, la politique du chiffre dans la police et la gendarmerie ?
Mme Catherine Procaccia. C’est téléphoné !
M. Philippe Kaltenbach. Pouvez-vous, en outre, nous confirmer qu’une telle façon d’envisager les statistiques de la délinquance est désormais révolue (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.) et nous indiquer les mesures prises pour le garantir ?
Mme Catherine Procaccia. C’est un peu gros !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai déjà évoqué ce sujet en répondant à vos collègues.
Oui, il faut un outil statistique indépendant pour mieux combattre, au fur et à mesure de sa mise en place et de la meilleure connaissance que nous aurons de la réalité du terrain, la délinquance et le crime.
Nous devons regarder les choses dans le temps.
Je prendrai un exemple peu connu de nos compatriotes : les homicides, notamment crapuleux, sont en très nette baisse depuis vingt-cinq ans : de 47 % ! On note également que les règlements de comptes ont reculé de 30 % durant la même période, une tendance qui se retrouve au cours des dernières années.
En revanche, le nombre de tentatives d’homicide a augmenté de façon importante : de 35 % entre 2007 et 2012. Cette hausse s’est interrompue en 2013, année au cours de laquelle on note que les règlements de comptes et les homicides crapuleux ont diminué.
Par conséquent, les formes de la délinquance ont évolué, tout comme son acceptabilité.
Les homicides sont certes moins nombreux, et c’est heureux, mais nous observons d’autres formes de violence, comme les violences physiques non crapuleuses, dites aussi « gratuites », dont le nombre a explosé au cours des vingt-cinq dernières années : 331 % d’augmentation !
Les violences physiques crapuleuses, les menaces, les violences sexuelles, les violences faites aux femmes ont également augmenté.
Plutôt que de « s’empailler » de manière un peu ridicule sur tel ou tel point, ce qui donne le sentiment d’une forme d’impuissance des formations politiques qui ont gouverné le pays ces dernières années, mettons-nous d’accord, comme vous le proposez, sur un système de statistiques qui permette aux forces de l’ordre de travailler. Donnons-leur les moyens techniques, scientifiques et financiers de lutter contre la délinquance. C’est ce que je fais, souvent avec le soutien des collectivités territoriales. Il faut, également, créer des postes de policiers et de gendarmes.
Attaquons-nous aux véritables phénomènes ! Voilà comment, sur ces enjeux essentiels de sécurité, nous redonnerons confiance à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour la réplique.
M. Philippe Kaltenbach. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Vous avez été particulièrement convaincant. (Rires sur les travées de l'UMP.)
La sécurité est une préoccupation importante des Français, et ses statistiques ne sauraient faire l’objet d’une manipulation à des fins politiques.
Il y a aujourd’hui une crise de confiance envers les politiques, laquelle concerne, je vous l’accorde, tant la droite que la gauche.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault tient depuis maintenant dix-huit mois un discours de vérité à l’attention des Français.
MM. Vincent Delahaye et Joël Guerriau. Qu’il tienne plutôt ses promesses !
M. Philippe Kaltenbach. C’est aussi cela, faire de la politique : dire la vérité, ne pas manipuler les chiffres et trouver les bonnes solutions.
Je félicite le ministre de l’intérieur pour sa politique courageuse, qui vise à renforcer la sécurité des Français.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la sécurité et les chiffres de la délinquance.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Loi de finances pour 2014
Discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 155, rapport n° 156).
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances intervient dans un contexte dont chacun mesure la gravité, tant l’exaspération de nos concitoyens et de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux est perceptible. Au-delà de l’Hexagone, nos partenaires européens commencent à douter de nous, comme si la France était devenue le maillon faible de la zone euro.
Nous n’allons pas attendre 2017 pour sortir de la crise ! C’est dire si nous avons le devoir de tenter de convaincre le Gouvernement et la majorité qui le soutient encore à l’Assemblée nationale, à défaut de celle du Sénat, de rectifier ses options, son discours et son action, sans pour autant demander l’illusoire « remise à plat » de notre modèle de prélèvements obligatoires.
En préambule, je voudrais vous demander, monsieur le ministre, de mettre un terme à l’invocation de l’héritage laissé par les gouvernements qui ont précédé le vôtre, d’abord parce que vous êtes au pouvoir depuis maintenant dix-huit mois, ensuite parce que, si la rhétorique est bien conforme à la tradition de gauche, les procédés et les dérives n’ont pas changé.
Depuis l’élection de François Hollande, la dette publique a progressé d’au moins 150 milliards d’euros, sans doute de près de 200 milliards d’euros si l’on tient compte des prêts, des avances et des dotations au capital de telle ou telle institution européenne.
Par ailleurs, les astuces cosmétiques n’ont rien perdu de leur hardiesse. Il en est ainsi des investissements « d’avenir », qui représentent 12 milliards d’euros venant en complément des 50 milliards d’euros votés en 2010. Convenons que c’est une manière de reporter à plus tard les arbitrages budgétaires douloureux.
Dans le même registre, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, permet aux entreprises de constater au 31 décembre 2013 une créance sur l’État de 10 milliards d’euros, alors que nous chercherons en vain, dans les comptes de ce dernier, l’inscription de cette dette. Pourtant, au 31 décembre 2014, la dette en question atteindra 20 milliards d’euros. Voilà une façon de différer la constatation des charges dans les comptes publics !
Ces petits arrangements permettent de maintenir l’illusion et d’ajourner les réformes structurelles politiquement redoutées.
Dans le même ordre d’idées, vous nous annoncez, monsieur le ministre, que les dépenses publiques vont baisser de 15 milliards d’euros, alors qu’elles continuent à progresser en valeur absolue. Oserai-je dire : gauche, droite, mêmes aveuglements !
Je déplore que vous n’ayez pas pris, pour sortir du brouillard ambiant, l’initiative à laquelle le gouvernement précédent, en dépit des recommandations de la commission des finances du Sénat, avait renoncé ; je veux parler de la présentation d’un projet général agrégeant le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, qui nous permettrait d’avoir une vision globale de l’ensemble des ressources et des dépenses publiques…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Jean Arthuis. … et nous épargnerait de devoir discuter à deux reprises, séparément, des prélèvements obligatoires,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est absurde !
M. Jean Arthuis. … avec toutes les incohérences et contradictions que cela peut comporter.
Quelle cohérence y a-t-il à débattre de la sorte ? Je n’en vois malheureusement guère, en dépit de la gravité de la situation. Est-ce pour mieux dissimuler l’effet « matraquage fiscal » contre lequel M. Moscovici a mis le Gouvernement en garde ?
Bref, les joutes oratoires et le déni de réalité sont devenus indécents.
L’État-providence est en faillite et notre responsabilité est collective. Sortons donc des sentiers battus pour redonner à notre économie sa compétitivité et assainir nos finances publiques, hypothéquées par le poids d’une dette qui ne cesse de s’amplifier ! Ce sont bien là les deux priorités que nous devons assumer avec courage. Nous y parviendrons d’autant mieux que nous ferons taire nos clivages partisans.
La vie des entreprises françaises est menacée. Les fermetures d’usines, les plans sociaux, les délocalisations, la désindustrialisation, le détachement de travailleurs venus des pays de l’est de l’Union européenne sont autant d’éléments qui alimentent une sombre chronique et semblent dessiner un déclin programmé.
Pour enrayer le processus, le Gouvernement croit trouver la réponse en facilitant le financement des entreprises au travers de la Banque publique d’investissement. Cette banque serait donc la clé du redressement…
S’il est vrai que le crédit bancaire fait trop souvent défaut, notamment lorsque l’entreprise traverse un cap difficile, le problème majeur est, non pas la difficulté de financement, mais l’absence de rentabilité. Je ne connais pas d’entreprise rentable qui n’ait trouvé les financements dont elle avait besoin. Or, depuis vingt ans, les marges des entreprises n’ont cessé de baisser et, parmi les 17 pays de la zone euro, c’est en France qu’elles sont le plus faibles, ce qui compromet l’investissement et la création d’emplois.
À un moment donné, la majorité a imaginé instaurer un impôt sur l’excédent brut d’exploitation. C’était, à la vérité, un mécanisme infaillible pour comprimer un peu plus les marges des entreprises ! Le Gouvernement y a renoncé, mais, ce faisant, il s’est aussi montré indécis et a renforcé l’impression d’instabilité qui est attachée à notre politique fiscale.
La loi de finances est bien le cadre approprié pour réformer notre fiscalité. Je reconnais, monsieur le ministre, que vous avez fait un premier pas avec le CICE. Vous avez certes tiré les conséquences du rapport de Louis Gallois, mais, comme lui, vous restez dans la demi-mesure, comme si nous n’avions rien compris aux défis de la mondialisation, aux enjeux de la compétitivité.
J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer publiquement mes compliments au gouvernement de Jean-Marc Ayrault pour l’institution du CICE, et ce malgré les critiques que je viens de formuler au regard de la sincérité budgétaire. La création du CICE est d’autant plus courageuse de votre part que vous vous étiez empressés, chers collègues socialistes, d’abroger la TVA sociale votée, il est vrai trop tard et pour si peu, par la majorité précédente.
En effet, le CICE fait tomber deux tabous de gauche : d’une part, il est reconnu que les charges sociales pèsent sur la compétitivité des entreprises ; d’autre part, l’augmentation du taux de la TVA n’est plus considérée comme une voie interdite.
Si nous taxons la production ici, en France, la production s’exilera là où les charges sont moindres. Or le phénomène s’accélère depuis trente ans : on privilégie la consommation à bon marché au détriment de la production et de l’emploi. Comment pouvons-nous hésiter encore, mes chers collègues ? Faut-il rappeler que la France surtaxe massivement le travail, c’est-à-dire les coûts de production ?
Les chiffres sont éloquents : les charges sociales représentent, en France, 42 % du total des prélèvements obligatoires, alors que le taux moyen s’élève à 35 % dans la zone euro et à 27 % parmi les pays de l’OCDE ; inversement, c’est en France, où l’on taxe massivement le travail, que la consommation subit la taxation la moins lourde, son produit représentant le quart de nos prélèvements obligatoires, contre 33 % au sein de l’OCDE.
Dès lors, taxons les produits pour compenser l’allégement des charges sociales et préserver le financement de notre système de protection sociale !
Nos diagnostics convergent, monsieur le ministre. C’est un acquis important dont je me réjouis. Mais alors, si nous estimons notre vision fondée, allons jusqu’au bout de la démarche et réduisons de 50 milliards d’euros, au moins, les contributions payées par les employeurs.
En outre, puisque vous proclamez votre volonté de simplification, supprimez donc les cotisations d’allocations familiales et allégez celles qui sont relatives à l’assurance maladie. Passer par le CICE, c’est évidemment choisir la complexité, tout en optant pour une commodité budgétaire vous permettant de décaler d’un an la constatation de cet allégement de charges. Allons plutôt vers la clarté et la simplicité ! Osez assumer votre choix et porter clairement le débat devant les Français ! Soyez pédagogue et expliquez que c’est ainsi que nous lutterons contre le chômage et redonnerons du souffle à la croissance ! Croyez bien que nous serons à vos côtés lorsque vous porterez ce message. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Si, comme je le souhaite, nous débattions simultanément du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je n’aurais pas manqué de vous soumettre un amendement en ce sens et de proposer une « TVA sociale », ou « TVA emploi » ou « TVA anti-délocalisation », qu’importe son nom ! Un tel amendement n’est malheureusement pas recevable dans le cadre formel de l’exercice auquel nous nous livrons, l’allégement des charges sociales ne pouvant être voté qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et le supplément compensatoire de TVA ne pouvant l’être que dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances.
Dans l’immédiat, subsiste une difficulté pour les commerçants, artisans, agriculteurs et personnes exerçant une profession libérale qui travaillent dans le cadre d’une entreprise individuelle. Ces professionnels vont devoir appliquer des taux de TVA plus élevés sans bénéficier, corrélativement, d’un allégement du coût de leur travail, constitué, pour l’essentiel, de la rémunération du chef d’entreprise et des charges afférentes. Dans ces conditions, il me paraîtrait équitable que l’on crée un « crédit d’impôt pour la compétitivité des professions indépendantes », afin que ces entreprises qui n’ont pas de salariés, ou en ont très peu, aient droit, elles aussi, à un allégement de leurs charges. C’est une mesure de justice !
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Jean Arthuis. Nous proposerons donc un amendement en ce sens, et j’espère que le Sénat le soutiendra.
Avant de conclure, je souhaite évoquer une autre priorité : l’assainissement de nos finances publiques.
L’obligation de réduire nos déficits ne résulte pas seulement de nos engagements européens. Sans l’Europe, nous aurions été bien plus rapidement appelés à réduire nos déficits. Monsieur le ministre, j’espère que vous avez bien mesuré les limites du « matraquage fiscal ». Vient un moment où la hausse des barèmes réduit les ressources. La seule issue est évidemment la réduction de nos dépenses publiques. Il nous faudra, tous ensemble, beaucoup de courage pour y parvenir, ne serait-ce qu’en remettant en cause les 35 heures dans la sphère publique.
À cet égard, monsieur le ministre, lorsque vous étiez ministre des affaires européennes, vous avez participé aux négociations visant à réduire les frais administratifs de la Commission européenne et des institutions européennes et soutenu la proposition de porter non seulement les horaires de travail des fonctionnaires européens de 37,5 heures à 40 heures, mais aussi l’âge de départ à la retraite de 63 ans à 65 ans.
M. Albéric de Montgolfier. C’était sage !
M. Jean Arthuis. Dès lors que vous êtes favorable à ce dispositif à l’échelon européen, sans doute vous faut-il vous interroger sur l’opportunité de l’introduire à l’échelon national.
Chacun ici est conscient que l’heure est grave. Cessons de tergiverser et de gesticuler vainement. Allons à l’essentiel et osons cette réforme d’ampleur pour retrouver la compétitivité.
Ce texte, que les députés viennent d’adopter, ne répond pas à nos attentes. Il n’améliore pas la compétitivité par le basculement des cotisations sociales vers une taxation de la consommation, il ne prévoit pas de réductions effectives des dépenses publiques et laisse filer la hausse des prélèvements obligatoires. En conséquence, le groupe UDI-UC ne pourra voter le projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où commence ce débat budgétaire, mon esprit de parlementaire est traversé d’un doute existentiel profond. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous n’êtes pas le seul !
M. Éric Bocquet. Le Parlement s’empare du projet de loi de finances pour 2014 – enfin ! aurais-je envie de dire – après que toute une série d’acteurs nous ont expliqué sans relâche que nous devions dépenser moins, que la France vivait à crédit et au-dessus de ses moyens.
Je tiens à dresser la liste de ces acteurs qui tiennent tous le même discours.
La clé de voûte de ce raisonnement se trouve au cœur du dernier traité européen qui institua la « règle d’or », traité qui, chacun s’en souvient, fut adopté ici même par une très large « majorité plurielle » et rejeté par trente-deux sénateurs, dont les vingt membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ainsi, les marchés qui financent les États nous exhortent à dépenser moins. Les agences de notation, dont l’expertise et l’indépendance peuvent être pour le moins contestées, abaissent en plein débat budgétaire la note de la France, adressant ainsi, pour rappel, un nouveau signal au Gouvernement.
Pour la première fois de son histoire, la France, comme ses homologues européens, a présenté à la Commission européenne sa copie, sur laquelle le professeur Barroso a porté l’appréciation suivante : « Correct, mais peut mieux faire ».
Nous avons d’ores et déjà bénéficié, tout au long de cette année, des recommandations insistantes de la Cour des comptes, instance estimable au demeurant, mais qui, je crois, sort de ses prérogatives lorsqu’elle adresse au Gouvernement ses préconisations de restriction des dépenses publiques.
Nous eûmes droit aux avis experts du Haut Conseil des finances publiques, instance hybride rassemblant des hauts fonctionnaires de la finance publique et des représentants de grandes banques privées – ces chères banques qui, ces dernières années, ont bien montré leur capacité à gérer l’argent dans le sens de l’intérêt général en nous entraînant dans un processus dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences désastreuses.
Enfin, dans ce concert « austéritaire » très harmonieux, voilà quelques jours, l’OCDE conseillait à la France d’accroître ses efforts en matière de réduction des dépenses publiques et de réformes structurelles, « indispensables » selon les termes des économistes de cette institution.
M. Jean-Pierre Caffet. Tu parles !
M. Éric Bocquet. J’arrête cette énumération. Je pense n’avoir oublié aucun de ces prophètes de l’austérité.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Et le FMI ?
M. Éric Bocquet. Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le Parlement puisse s’interroger sur son rôle dans ce débat budgétaire. Certes, nous débattrons, nous amenderons le texte, mais le poids du Parlement français sera-t-il suffisant pour infléchir, ne serait-ce qu’à la marge, la feuille de route budgétaire de notre pays dont nous avons le sentiment que l’essentiel a déjà été écrit par d’autres autorités ?
Pour autant, ce débat est essentiel pour notre démocratie. Il est le moment de faire entendre une voix différente, celle d’une alternative aux choix que vous nous proposez dans ce projet de loi de finances pour 2014.
Car il faut bien observer les effets de ces choix. Au début de l’année, le FMI mettait en garde contre la mise en œuvre trop brutale et trop générale de politiques d’austérité au sein de l’Union européenne.
Le même propos fut tenu il y a quelques jours par M. Jan in’t Veld. Cet économiste éminent de la Commission européenne, présenté comme le modélisateur en chef de l’Union européenne, a mesuré les effets sur les pays concernés des mesures d’austérité mises en place de façon coordonnée dans la zone euro de 2011 à 2013, avec la bénédiction des commissaires de Bruxelles. Le constat qu’il dresse est absolument édifiant. Selon ses calculs, l’austérité budgétaire aurait fait perdre en cumulé 4,78 % de croissance du produit intérieur brut à notre pays, de 2011 à 2013, l’Allemagne aurait perdu 2,61 %, l’Italie, 4,86 %, l’Espagne, 5,39 % et la Grèce, plus de 8 %.
La Banque de France vient, quant à elle, de rendre publique une étude qui montre que le niveau des concours bancaires à l’économie ne progresse pas, les crédits accordés aux entreprises restant fixés aux alentours de 800 milliards d’euros.
La lecture des données fournies par la Banque de France est d’ailleurs stupéfiante. Ainsi, 40 % des crédits bancaires intéressent le secteur de l’immobilier, les crédits pour celui-ci secteur atteignant près de 328 milliards d’euros sur 804 milliards d'euros ! De septembre 2012 à septembre 2013, les crédits aux entreprises industrielles ont baissé de 5,5 % en un an. Le niveau de mobilisation des fonds disponibles, de l’ordre de 94,2 milliards d'euros – moins de 12 % de l’encours ! –, est proche de 50 %, ce qui traduit ni plus ni moins une faible demande de crédit émanant des plus grandes entreprises et des critères d’attribution rendus plus délicats pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire. En d’autres termes, le taux d’investissement est appelé à baisser...
Nous présenterons des amendements visant à une plus grande justice fiscale, tendant à solliciter davantage dividendes et patrimoines et à soutenir le pouvoir d’achat des ménages, dont chacun sait qu’il constitue 50 % de notre produit intérieur brut. Réduire ce pouvoir d’achat par les hausses de TVA ne pourra avoir qu’un effet négatif.
Le débat sur la fraude et l’évasion fiscale, l’optimisation abusive des grands groupes : autant de chantiers que la République doit investir avec volonté, ténacité et efficacité, y compris en accordant à l’administration fiscale les moyens humains, juridiques et techniques d’une lutte contre ces pratiques qui déstabilisent jusqu’à notre République.
Nous restons sur notre faim quant à l’objectif bien modeste d’une somme de 2 milliards d’euros annoncés au titre du produit de la lutte contre la fraude fiscale.
Je me permettrai, à ce stade, de citer un notaire expert en fiscalité qui déclarait dans Le Nouvel Économiste du 15 novembre 2013 : « La complexité du droit fiscal français et européen, assortie de nombreuses exceptions, permet à ceux qui en ont les moyens d’échapper, voire d’amoindrir leur impôt. Cette complexité rend le contrôle difficile. L’État ne dispose pas de brigades suffisantes en quantité et en qualité pour mener à bien ses contrôles sur le terrain. Il serait pourtant possible de rentrer des milliards de recettes dans les caisses de l’État. Preuve que, même en enfer fiscal, il peut y avoir des "coins de paradis" ». La question des moyens est ici posée très crûment.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaite réagir à votre intervention de ce matin, que j’ai écoutée avec beaucoup d’attention. Vous avez déclaré que la réforme fiscale annoncée mardi par M. le Premier ministre avait en fait déjà eu lieu depuis le début du quinquennat,... (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)