PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour un rappel au règlement.

Mme Laurence Cohen. Je souhaite faire un rappel au règlement, me référant à l’article 36, alinéa 3 du règlement.

Ce matin, alors que nous débattions de la réforme des retraites, la direction de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, tentait de déménager des lits de médecine interne de l’Hôtel-Dieu. Les personnels sont parvenus à empêcher que la salle Saint-François soit vidée de ses lits et du matériel d’hospitalisation. À cette violence s’en ajoutent d’autres, comme le fait que des patients de la salle Saint-Robert, dont certains font partie des populations les plus précaires, sont littéralement renvoyés chez eux.

Depuis des mois, les personnels, les usagers, les élus de toutes sensibilités politiques luttent contre la fermeture des urgences de cet établissement hautement symbolique situé au cœur de Paris.

La visite de l’Hôtel-Dieu m’a permis de constater, avec mes collègues du groupe CRC, que des millions d’euros avaient été consacrés à la rénovation des locaux, contrairement à ce que disait la direction de l’AP-HP.

Madame la ministre, vous avez été interpellée sur cette question et vous avez demandé un moratoire de la fermeture des urgences prévue le 4 novembre prochain, afin de prendre le temps de la concertation.

Les personnels ne sont pas favorables au statu quo. Ils veulent eux aussi des évolutions. Il est donc plus que temps, et il est même vital, de créer les conditions pour que les deux projets, celui que porte la direction de l’AP-HP et celui que défendent les personnels, soient examinés avec un regard non partisan.

En réalité, malgré votre intervention, que, je le répète, nous soutenons, madame la ministre, l’Hôtel-Dieu est vidé peu à peu de son mobilier ainsi que de son matériel médical, et ses personnels sont sommés de choisir leur affectation dans un autre hôpital. Or chacun sait que sans lits d’aval, les urgences ne peuvent tenir. Cette attitude irresponsable de la part de la direction de l’AP-HP ne peut manquer, à long terme, de mettre en danger la vie des patients.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que de tels agissements cessent ? La direction de l’AP-HP serait-elle au-dessus de l’autorité du ministre et, par voie de conséquence, de celle du Gouvernement ? Il faut absolument que vos engagements puissent être respectés.

J’en appelle donc à la mobilisation de l’ensemble de mes collègues, sénatrices et sénateurs, qui soutiennent l’hôpital public, pour que, à vos côtés, ils défendent l’Hôtel-Dieu et que cet hôpital puisse fonctionner dans de bonnes conditions. De l’avenir de l’Hôtel-Dieu dépend la situation des autres hôpitaux de Paris, donc la qualité des soins pour la population francilienne.

Mme la présidente. Ma chère collègue, en toute amitié et sans porter de jugement sur le fond de votre intervention, je ne puis prendre acte de ce rappel au règlement, parce que ce n’en est pas un. (Marques d’étonnement sur les travées du groupe CRC.)

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Article 10 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Article 10

Avenir et justice du système de retraites

Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système des retraites.

Nous poursuivons l’examen de l’article 10, dont je rappelle les termes :

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Articles additionnels après l'article 10

Article 10 (suite)

I. – Le I de l’article 86 et l’article 88 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites sont abrogés.

II. – Les articles 5 à 9 de la présente loi entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2015, à l’exception du dernier alinéa de l’article L. 4162-3 du code du travail, qui entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, cinq ans après l’entrée en vigueur de l’article 6.

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 282, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

II. – Les articles 6 à 9 de la présente loi entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2015. Pour les entreprises employant moins de 250 salariés, l’article 6 de la présente loi entre en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. L’amendement n° 282 vise à modifier l’alinéa 2 de l’article, de sorte que les articles 6 à 9 du présent texte entrent en vigueur non pas au 1er janvier 2015, mais au 1er janvier 2017.

Je ne reviendrai pas sur les difficultés d’application qu’entraîne le compte personnel de prévention de la pénibilité. Nous souhaitons un recul de la date d’entrée en vigueur pour les entreprises de moins de 250 salariés, si ce compte venait à être validé ultérieurement.

Mme la présidente. L'amendement n° 280, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

II. – Les articles 6 à 9 de la présente loi entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2015. Pour les entreprises employant moins de 50 salariés, l’article 6 de la présente loi entre en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Cet amendement vise à prévoir une date d’entrée en vigueur des articles 6 à 9 du présent texte au 1er janvier 2017 pour les entreprises employant moins de cinquante salariés.

Mme la présidente. L'amendement n° 281, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

II. – Les articles 6 à 9 de la présente loi entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2015. Pour les entreprises employant moins de 20 salariés, l’article 6 de la présente loi entre en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Cet amendement vise à prévoir une date d’entrée en vigueur des articles 6 à 9 du présent texte au 1er janvier 2017 pour les entreprises employant moins de vingt salariés.

Mme la présidente. L'amendement n° 318, présenté par M. Delahaye, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Pour les entreprises employant moins de 250 salariés, l’article 6 de la présente loi entre en vigueur à compter du 1er janvier 2017, à l’exception du dernier alinéa de l’article L. 4162-3 du code du travail, qui entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, cinq ans après l’entrée en vigueur de l’article 6.

Cet amendement n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 282, 280 et 281 ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la sénatrice, vous suggérez de différer l’entrée en vigueur du compte personnel de prévention de la pénibilité au 1er janvier 2017 en proposant trois seuils différents : les entreprises de moins de 250 salariés par l’amendement n° 282, de moins de cinquante salariés par l’amendement n° 280, enfin de moins de vingt salariés par l’amendement n° 281.

Je ne comprends pas le sens de ces amendements. En effet, pour les salariés, qu’ils travaillent dans une entreprise de 350, 239, 48 ou 18 salariés, l’exposition au risque est la même ! C’est non pas la taille de l’entreprise qui détermine l’exposition au risque, mais bien les postes de travail.

La commission émet donc, bien évidemment, un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote sur l'amendement n° 282.

Mme Catherine Deroche. J’entends bien votre réponse, madame la rapporteur. Toutefois, nous avons mis l’accent hier sur les difficultés que le compte pénibilité générait, notamment pour les TPE-PME, d’où notre amendement.

Or vous ne voulez pas entendre cet argument et vous restez fixée sur la notion d’égalité entre les entreprises, quelle que soit leur taille, tandis que nous tenons compte des difficultés de ces dernières.

Permettez-moi de vous dire que, alors même que vous voulez appliquer aux établissements privés des règles en matière de pénibilité différentes de celles qui valent à l’hôpital, il est incohérent de vous tenir mordicus à ces règles en ce qui concerne les petites entreprises et ne pas les appliquer dans le grand secteur public.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 282.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote sur l’amendement n° 280.

M. Gilbert Barbier. Je pense effectivement que les entreprises de moins de 250 salariés peuvent s’organiser.

En revanche, pour les petites entreprises de moins de vingt salariés – je pense pour ma part que le seuil de dix salariés serait bon –, il est beaucoup plus difficile de rédiger ces fiches pénibilité. En effet, le travail qu’elles demanderont aux chefs d’entreprise rebutera un certain nombre d’entre eux : cela créera une surcharge de travail, il faudra embaucher quelqu’un parce qu’il n’existe pas de direction des ressources humaines dans l’entreprise, etc. En somme, cela créera des complications qui s’ajouteront les unes aux autres.

Je soutiens par conséquent l’amendement n° 280.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 280.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur l'amendement n° 281.

M. Gérard Longuet. Il s’agit évidemment d’un amendement de repli par rapport aux amendements précédents.

Je reprends l’excellente intervention de mon collègue Gilbert Barbier. Le seuil qui est retenu par l’amendement n° 281, rédigé par Jean-Noël Cardoux, est de vingt salariés ; nous parlons donc vraiment ici des TPE.

La réflexion sur la pénibilité est un devoir absolu, mais je crois profondément que votre système ne peut pas fonctionner dans les petites entreprises, sauf à susciter des charges administratives qu’à aucun moment vous ne faites l’effort d’évaluer en les rapportant au nombre de salariés.

Madame la rapporteur, vous avez dit quelque chose d’important tout à l’heure sur un autre article. Vous avez dit : on passe de la sécurité sociale au droit du travail, de l’invalidité à la pénibilité.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Absolument.

M. Gérard Longuet. On ne se situe plus sur le terrain de la santé – je cherche du regard mon collègue M. Alain Milon –, mais sur celui du fonctionnement de l’entreprise, au cœur de celle-ci.

Or, dans le fonctionnement de l’entreprise, ou bien l’on retient des normes générales qui s’appliquent d’une façon indifférenciée au sein de grandes catégories d’entreprises, ou bien, comme le propose le projet de loi à travers des fiches, on entre dans le détail de l’activité de chaque salarié. Vous avez choisi cette seconde solution, mais je crains qu’elle ne soit irréaliste.

En effet, l’intervention du salarié, lorsqu’il va réparer une chaudière, par exemple, livrer des meubles en ville ou monter un mur d’aggloméré, est prévisible théoriquement – du moins peut-on l’imaginer. Toutefois, la vie ne se passe pas toujours comme la théorie le prévoit. À certains moments, le salarié est obligé de s’adapter. L’équipe, le contremaître s’adaptent eux-mêmes aux réalités du travail, et ce qui était facile devient difficile.

Pour reprendre l’exemple du marteau-piqueur qui a déjà été évoqué, démolir une dalle dont on s’aperçoit finalement qu’elle est en béton armé avec un ferraillage dense est un travail beaucoup plus difficile que celui qui était prévisible théoriquement. Comment va-t-on procéder ? Va-t-on considérer que chaque mètre carré de terrassement permet d’atteindre un seuil de pénibilité, ou faudra-t-il revenir sur chaque action ? Très honnêtement, on a besoin de comprendre.

Vous me direz que ces réflexions relèvent de l’application, pas même des décrets, mais des circulaires. Je le concède, mais ce que je voulais dire à travers cet amendement, c’est que, très tranquillement, vous imposez une charge nouvelle aux employeurs.

Vous savez que dans une année, un salarié doit, je crois, en moyenne, 220 journées de travail à son employeur, et l’employeur, lui, doit 365 jours par an à son entreprise. A-t-il nécessairement envie de consacrer le temps dont il dispose à établir le compte pénibilité ? Nous ne contestons pas qu’il doive appliquer les lois – vous avez tout à fait raison, madame la ministre, il faut appliquer les lois – et les normes – il faut en effet appliquer les normes de sécurité, d’hygiène, d’environnement. Nous acceptons tout cela. Cependant, selon votre rédaction du projet de loi, il faudra qu’il établisse une sorte de dialogue permanent, prévisionnel d’abord, rétrospectif ensuite, pour savoir si toutes les marches d’accès au seuil de pénibilité ont été franchies ou non.

Je crains que vous n’aboutissiez ainsi véritablement à décourager les employeurs, qui risquent, pour les toutes petites entreprises, de prendre la décision de ne pas saisir les occasions de développement, lorsqu’elles existent, tant ils seront préoccupés de la charge de travail que représenterait – j’insiste sur le conditionnel pour ne pas être systématiquement négatif – une interprétation conflictuelle de l’obligation d’établir des fiches restituant la réalité de la pénibilité dans le travail.

S’il s’agit d’une norme générale, eh bien, on coche des cases. S’il s’agit de restituer ce qu’a été la réalité d’une journée de travail sur un chantier, bonjour les dégâts ! En tous les cas, bonjour le découragement pour l’employeur.

C’est la raison pour laquelle je voulais défendre avec conviction cet amendement n° 281, qui vise à modifier la date d’entrée en vigueur du texte pour les entreprises de moins de vingt salariés.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 281.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 161, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... – L’article L. 4622-2 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le refus de l’employeur de se conformer aux prescriptions du médecin du travail doit être motivé par écrit.

« En cas de contentieux liés à l’altération ou à la dégradation de l’état de santé du salarié, en lien avec son activité professionnelle, le refus de l’employeur de se conformer aux prescriptions du médecin lui est opposable. »

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement vise à tirer les conséquences de l’allongement progressif de la durée de vie au travail.

Nous considérons en effet qu’étendre le nombre d’années de cotisations, quand bien même l’espérance de vie augmente, n’est pas sans effets sur la santé des travailleurs. Encore aujourd’hui, dans nombre de métiers pénibles, les conséquences d’une vie de travail sont telles que l’espérance de vie en bonne santé est très inégale. Ce sont bien souvent les populations issues de milieux déjà frappés par la crise et les bas salaires qui sont les plus mal loties.

Disons-le sans ambages : avec ces multiples réformes, la retraite à soixante ans ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Nombre de nos jeunes ne peuvent aujourd’hui espérer, compte tenu des périodes de chômage ou d’inactivité qu’ils auront à traverser, de retraite complète avant d’atteindre l’âge de soixante- cinq ans. Aussi devons-nous réfléchir sur les conditions dans lesquelles les citoyens de ce pays auront à effectuer ces années supplémentaires.

Il nous semble tout à fait opportun de renforcer les protections du travailleur dans le domaine de la santé au travail, puisque l’allongement de la durée de cotisations et, partant, de la durée de vie passée au travail ne sera pas sans incidence sur sa santé.

Il s’agit donc de s’assurer que les prescriptions du médecin du travail seront suivies d’effets.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les obligations de l’employeur au regard des prescriptions du médecin du travail. Bien entendu, notamment sur les travées de gauche de cet hémicycle, on ne peut que partager cet objectif.

Pour autant, il convient d’observer que cet amendement n’a pas véritablement de lien avec l’objet du projet de loi. On peut même dire qu’il s’agit d’un cavalier législatif. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel à cet égard est très claire : il avait censuré la réforme de la médecine du travail introduite dans le projet de loi de 2010 au cours de la navette parlementaire.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. À l’argument relatif à l’inconstitutionnalité, j’ajouterai, madame David, que les dispositions que vous souhaitez introduire figurent déjà dans les articles L. 4624-1 et L. 4624-3 du code du travail, qui prévoient l’obligation pour l’employeur de prendre en considération les propositions du médecin du travail et de motiver son refus.

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme Annie David. Je maintiens l’amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Cet amendement est intéressant, parce qu’il nous replonge dans le débat que nous avons eu hier soir sur le rôle du médecin du travail.

Je crois me souvenir – je peux me tromper, car nous avons examiné un grand nombre d’amendements – que le Sénat a adopté, contre l’avis de la commission et du Gouvernement, un amendement permettant de consulter le médecin du travail pour établir les fiches de pénibilité dans l’entreprise.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ce n’est pas le même sujet !

M. Gérard Longuet. À partir du moment où l’on a fait mention du médecin du travail hier, je comprends que Mme David veuille qu’il en soit de même aujourd’hui.

Madame la ministre, le risque qui existe serait dissipé si nous examinions ce texte selon la procédure normale et si la navette parlementaire nous laissait le temps – oh ! ce ne serait pas l’éternité, ce serait l’affaire de deux ou de trois semaines –, de consulter les meilleurs juristes et, par conséquent, d’éviter la perspective – honteuse ! – d’une censure par le Conseil constitutionnel.

Comme nous travaillons à marche forcée – au tambour, dirai-je ! –, nous ne pouvons évidemment entrer dans le détail. Du reste, cela n’a rien d’un détail : c’est au contraire très important puisque le principe de l’intervention du médecin du travail a été décidé hier et que son avis ne serait pas considéré aujourd'hui comme requis.

Madame la ministre, j’ai bien compris que l’avis du médecin du travail peut être recueilli, mais c’est au titre de la santé et non à celui de la pénibilité. Or, hier, nous avons fait en sorte d’impliquer le médecin du travail dans la pénibilité sans pour autant intégrer la problématique de la pénibilité dans la médecine du travail.

Quoi qu'il en soit, nous ne participerons pas au vote sur cet amendement, car il s’agit d’une affaire interne à la majorité gouvernementale. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. J’entends bien qu’il existe un risque d’inconstitutionnalité et que le code du travail prévoit déjà que les prescriptions faites à l’employeur par le médecin du travail lui sont opposables. Cependant, nous savons tous ici que ce n’est pas pour autant que ces prescriptions sont suivies d’effet. Si, dans l’entreprise, ce que demandait le médecin du travail était appliqué, cela se saurait ! Hélas, il ne suffit pas qu’une obligation figure dans le code du travail pour qu’elle soit respectée !

Puisque nous abordons un nouveau chapitre du projet de loi et que la notion de pénibilité est incluse dans le code du travail, il me semble important de prévoir que les prescriptions du médecin du travail à cet égard sont rendues opposables à l’employeur.

Madame la ministre, force est de le reconnaître, aujourd’hui, les dispositions que vous avez citées ne sont pas appliquées ! C’est pourquoi je maintiens cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 161.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 162, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... – Au III de l’article L. 4624-3 du code du travail, les mots : « , à leur demande, » sont supprimés.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Toujours pour mieux prendre en compte la pénibilité au travail et défendre les droits des salariés, nous proposons de modifier l’article L. 4624-3 du code du travail.

En vertu de cet article, lorsque le médecin du travail est saisi par un employeur pour éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment par une surveillance de leurs conditions d’hygiène au travail, des risques de contagion et de leur état de santé, il fait connaître ses propositions par écrit.

Ces propositions ainsi que la réponse de l’employeur sont tenues, à leur demande, à la disposition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ou, à défaut, à celle des délégués du personnel, de l’inspecteur ou du contrôleur du travail, du médecin inspecteur du travail ou des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale.

Nous souhaitons la suppression des termes « à leur demande », afin que ces propositions soient tenues de façon systématique à la disposition des personnes précitées.

Le caractère systématique de cette mise à disposition serait gage de transparence et serait source d’une plus grande réactivité pour prendre les mesures propres à garantir une bonne santé au salarié.

Cette mesure est simple, de bon sens et permet de répondre à l’objectif affirmé dans l’article 1er de ce projet de loi.

Si l’espérance de vie a bel et bien augmenté et que l’on recule de fait l’âge légal de départ à la retraite en augmentant la durée de cotisations, comme le souhaite le Gouvernement, il paraît, a minima, indispensable de s’assurer que les salariés sont en bonne santé au moment de partir à la retraite.

En ce sens, le rôle du médecin du travail, par les recommandations qu’il peut faire, est essentiel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement prévoit l’accès direct du CHSCT aux propositions et préconisations émises par le médecin du travail ainsi qu’à la réponse formulée par l’employeur.

Cet amendement, comme le précédent, est un cavalier législatif et la commission y est, pour cette raison, défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je crains que cet amendement ne desserve la cause que ses auteurs veulent défendre.

Si l’on « arrose » tout le monde, plus personne ne lira ces documents ! C’est le CHSCT, au cœur du dispositif, qui saisira l’employeur ; en cas de contentieux, il mobilisera les partenaires dont il a besoin. En prévoyant la diffusion de tous les documents, vous risquez d’aboutir à un phénomène de saturation.

Il s’agit là d’une observation de bons sens qui nous conduira, cette fois, à suivre l’avis de la commission et du Gouvernement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 162.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 164, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… - L’article L. 4624-3 du code du travail est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« ... – En cas de contentieux lié à l’altération ou à la dégradation de l’état de santé du salarié en lien avec son activité professionnelle, le refus de l’employeur de se conformer aux prescriptions du médecin lui est opposable. »

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Nous avions déjà déposé cet amendement lors de l’examen de la proposition de relative à l’organisation de la médecine du travail, au mois de janvier 2011 ; malheureusement, il n’avait pas été retenu ni par le gouvernement ni par la majorité d’alors.

Mme Catherine Deroche. Ce n’est pas un hasard ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Watrin. Nous continuons de penser, comme en 2011, qu’il est important de compléter le code du travail pour préciser que, en cas de contentieux lié à l’altération ou à la dégradation de l’état de santé du salarié en lien avec son activité professionnelle, le refus de l’employeur de se conformer aux prescriptions du médecin lui est opposable. Si le code le prévoit déjà, qu’on nous dise à quel article !

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». C’est dire que pèsent sur lui non seulement une obligation de moyens, mais aussi une obligation de résultat. Telle est la jurisprudence constante, depuis l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 28 février 2006, dans l’affaire SA Cubit France technologies, qui consacra ce principe en ces termes : « L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité. »

Il résulte de cette situation de droit que l’employeur doit garantir à chaque travailleur le résultat attendu, c’est-à-dire la protection de sa santé au travail. En cas de défaut de résultat, c’est-à-dire de dégradation de la santé causée par le travail, même seulement en partie, l’employeur est présumé responsable d’une défaillance fautive.

Les dispositions de cet amendement s’inscrivent dans cette logique : nous entendons donner force obligatoire aux interventions prescrites par le médecin du travail, afin d’éviter que celles-ci ne restent vaines, ce que l’on constate malheureusement trop souvent dans les entreprises.

Rien ne sert en effet de confier cette faculté au médecin du travail si l’employeur peut systématiquement et sans formalité particulière s’y soustraire. Nous proposons donc que le refus de l’employeur de se conformer aux prescriptions soit motivé par écrit. Chacun l’aura compris, cette précision vise, en cas de contentieux, à faciliter l’administration de la preuve du manquement caractérisé de l’employeur, en l’espèce par son refus de suivre les prescriptions formulées par le médecin du travail.