MM. Christophe-André Frassa et Jean Bizet. Ce n’est pas bien !
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mieux faire connaître à nos concitoyens la vie quotidienne, politique, économique, sociale, sportive, festive, culturelle de chacun de nos vingt-six partenaires de l’Union européenne, faire vivre davantage cette « idée européenne », développer la conscience européenne des plus de cinq cents millions d’Européens et donc leur adhésion à ce beau projet est un souci que nous ne pouvons que saluer, et plus encore à la veille d’une campagne électorale qui risque, de nouveau, d’être bien discrète dans de nombreux pays de l’Union.
Pour autant, tout est-il évident ? Malheureusement non ! Et je me demande si la création d’une nouvelle radio, dans un paysage radiophonique déjà saturé, est bien la solution.
La question du financement d’une telle radio se pose d’emblée. La proposition de résolution est muette sur les sources complètes de financement de RFE. En effet, n’est évoqué que le souhait d’une subvention de l’Union européenne prenant en charge 50 % du coût de sa création.
Nous connaissons tous le contexte budgétaire extrêmement contraint auquel la France est obligée de faire face. Dès lors, est-il sincèrement raisonnable d’envisager de donner la priorité à la création d’une nouvelle radio amputant les ressources de l’audiovisuel public ?
Sans faire de mauvais esprit, il ne me semble pas qu’une telle initiative aille dans le bon sens ; j’en suis d’autant moins convaincue au regard des quinze mesures présentées par les membres UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale la semaine dernière afin de réaliser 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2014.
Au-delà de la question cruciale du financement, la mise en œuvre opérationnelle d’une telle radio pose aussi des difficultés.
En effet, la première hypothèse est de concevoir RFE comme un service additionnel au sein du groupe Radio France. Une modification du cahier des charges de ce dernier nécessiterait alors des ajustements éditoriaux des antennes, France Inter, France Info et France Culture accordant déjà une place importante aux questions européennes. Or il est fort à craindre que ces ajustements ne soient difficilement acceptables.
La seconde hypothèse est la création d’une station autonome par rapport à Radio France. Mais dans ce cas, elle ne jouirait assurément pas d’une notoriété suffisante pour lui permettre de toucher un public important. C’est pourtant à la condition de bénéficier d’un nombre d’auditeurs suffisant qu’elle pourrait mener à bien son objectif de sensibilisation de l’opinion à l’idée européenne.
Par ailleurs, l’autre difficulté technique réside dans la rareté des fréquences FM, en particulier dans les grandes agglomérations. Dans ces conditions, comment envisager la création d’un réseau de stations de radio FM couvrant une partie substantielle de la population ? L’alternative serait alors qu’un tel projet prenne la forme d’une web radio. Je suis certaine, en effet, que M. Bernard-Reymond et les signataires de la présente proposition de résolution n’envisagent pas un instant de remplacer un service existant de Radio France !
Au-delà même de ces considérations financières et techniques, la pertinence de ce projet se pose essentiellement en termes d’opportunité pratique. Il suffit, en effet, de consulter les programmes déjà proposés par le service public audiovisuel pour s’apercevoir qu’une meilleure connaissance mutuelle des nations européennes fait déjà partie des objectifs qu’il poursuit.
ARTE d’abord, dont l’acronyme, rappelons-le, signifie « Association relative à la télévision européenne », a pour mission principale, telle que prévue dans son contrat de formation du 30 avril 1991, « de concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser […] des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international […] propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples ».
D’ailleurs, plus de 85 % des programmes diffusés sur cette chaîne sont d’origine européenne et ses émissions d’information consacrent en moyenne sept à huit heures de programmes par semaine à l’Europe. À cet égard, Yourope, magazine diffusé chaque samedi, permet de découvrir la diversité des cultures européennes mais aussi l’unité qui transcende ces différences.
De surcroît, la chaîne franco-allemande s’est, par exemple, très fortement mobilisée à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, en diffusant trois jours de programmation spéciale à l’antenne les 20, 21 et 22 janvier dernier, et en organisant un forum sur la relation franco-allemande à Strasbourg les 5 et 6 avril 2013.
L’année 2014 sera marquée, sur l’ensemble des antennes du service public, par la commémoration du centième anniversaire de la Grande Guerre – il faut connaître son histoire pour construire l’avenir –, tandis que les élections européennes seront l’occasion pour ARTE, notamment, de renforcer dans sa grille les programmes présentant la réalité de la vie quotidienne dans les autres pays de l’Union européenne.
Enfin, pour en terminer avec ce premier exemple, rappelons-nous que la chaîne franco-allemande avait initialement vocation à s’étendre à d’autres pays. Mais ce projet n’a pas abouti...
Outre ARTE, il nous faut évoquer France Télévisions, dont le cahier des charges prévoit que cette société « s’attache à intégrer la dimension européenne dans l’ensemble de ses programmes […] ; dans des émissions spécifiquement consacrées à l’Europe […] ; dans les journaux et magazines d’information ». Ce même document dispose surtout : « Afin de renforcer les liens entre les citoyens européens, elle diffuse des reportages ou des témoignages sur les modes de vie, les pratiques culturelles et les modèles socio-économiques de nos voisins ». Je ne donnerai qu’un seul exemple : le magazine européen de France 3 intitulé Avenue de l’Europe.
La radio publique n’est pas en reste : Radio France, qui est, de surcroît, le premier groupe radiophonique français, envisage comme prioritaire sa contribution aux problématiques européennes. Cette préoccupation est d’ailleurs inscrite dans le contrat d’objectifs et de moyens 2010-2014, qui précise que « Radio France souhaite renforcer son rôle de vecteur de l’identité européenne » et met en place un indicateur de suivi sur cette même période. Je ne citerai là encore que quelques émissions du groupe : C’est en France, c’est en Europe ; l’Europe au quotidien ; Micro européen, sur France Info ; Allô, l’Europe ?, I like Europe, sur France Inter ; Tous Européens ou L’Europe vue d’ici, sur France Bleu.
J’en viens, pour terminer, à Radio France Internationale. Certes, elle s’appelle non pas « RFE », mais « RFI ». Pourtant, dans le « i » de l’adjectif « internationale » il y a bien, si je puis dire, le « e » du mot « Europe » ! C’est une évidence ! RFI, ce n’est pas seulement l’Afrique ; cette radio remplit déjà de façon remarquable la mission de promotion de connaissance mutuelle des citoyens de l’Union européenne, au travers d’abord de ses nombreux correspondants dans toute l’Union européenne, ensuite de ses partenariats avec des médias européens, enfin de ses très nombreuses émissions.
Que dire du magazine Accents d’Europe, qui a pour vocation d’évoquer tous les aspects de la vie des Européens avec les correspondants de RFI, de la RTBF et de la RTS ? Il traite de la vie quotidienne, de l’environnement, de la politique et de l’immigration en Europe.
Chaque semaine, l’émission Carrefour de l’Europe vise à mieux appréhender l’Europe en crise, mais aussi en construction. Pour ce faire, elle propose des rubriques, des commentaires, reçoit des invités et offre des regards croisés suivis d’un débat sur l’actualité européenne.
Dans l’émission Bonjour l’Europe, c’est un correspondant de RFI en Europe, qui, chaque jour, raconte la société de son pays. On y parle tout autant de l’abolition de la chasse à courre par les Britanniques que de la légalisation de l’euthanasie active par les Belges, ou encore de ce très mauvais projet, vous en conviendrez, mes chers collègues, de suppression du Sénat par les Irlandais. (Sourires.)
Je citerai encore une autre émission, Allô Bruxelles, durant laquelle un invité répond aux questions de RFI sur la vie quotidienne de près de cinq cents millions d’Européens, sur les événements majeurs politiques, économiques et sociétaux de leur destin partagé.
J’évoquerai encore la toute nouvelle coproduction entre RFI et France 24, l’émission Ici l’Europe, au cours de laquelle se déroule un entretien avec une personnalité européenne pendant lequel sont évoqués la construction de l’Europe, sa proximité avec les citoyens et les enjeux internationaux qui l’attendent.
Voilà un rapide florilège des émissions destinées à renforcer le sentiment européen que diffuse déjà RFI.
La semaine dernière, vous nous avez assuré, madame la ministre, que l’ouverture de la diffusion de RFI dans plusieurs villes françaises allait se poursuivre. Nous devons, me semble-t-il, nous orienter vers cette option pour faire vivre véritablement « l’idée d’Europe ».
En effet, le service public audiovisuel est assurément bien moins coûteux et bien plus efficace que le projet Radio France Europe pour favoriser une meilleure connaissance mutuelle des peuples européens. Au-delà de la bénéfique complémentarité de la radio et de la télévision dont dispose le service audiovisuel public, sa notoriété, son niveau d’audience, mais aussi sa capacité à toucher tous les publics sont autant d’atouts que n’aura pas, avant bien longtemps, une nouvelle radio, qui ne pourra pas, qui plus est, disposer d’un budget non négligeable.
L’idée de créer une radio européenne semble séduisante, je le conçois bien volontiers, mais, après étude, elle s’avère être une fausse bonne idée.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les membres du groupe socialiste ne voteront pas la présente proposition de résolution.
MM. Jean Bizet et Christophe-André Frassa. Quel dommage !
M. Pierre Bernard-Reymond. Vous le regretterez certainement !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’initiative de notre collègue Pierre Bernard-Reymond tendant à la création d’une radio dédiée à l’information sur la réalité quotidienne des peuples qui composent, avec les Français, l’Union européenne est intéressante. À quelques mois des élections européennes, elle pose une véritable question : l’adhésion des citoyens à la construction communautaire qui débuta le 9 mai 1950 lorsque Robert Schuman proposa la mise en commun des industries du charbon et de l’acier de la France et de l’Allemagne, ainsi que des pays qui voudraient s’associer à eux.
« Il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif. La France a agi et les conséquences de son action peuvent être immenses. Nous espérons qu’elles le seront. » C’est en ces termes que s’exprima, à l’époque, Robert Schuman.
Ce n’est pas faire injure à sa mémoire que de dire que, tout en les pressentant, il n’imaginait sans doute pas les développements que son initiative allait engendrer.
À ce jour, l’Union européenne compte vingt-huit membres ; elle a des institutions, une monnaie unique. Ce qui avait débuté comme une union purement économique s’est transformé en un partenariat portant sur de nombreux domaines, allant de l’aide au développement jusqu’à l’environnement.
Pendant longtemps, cette communauté s’est construite avec l’accord tacite des citoyens, bercés par un récit ayant mis en avant la réconciliation, la paix et la prospérité. Mais ce récit a vécu. Et, aujourd’hui, nombre de ces citoyens la jugent tatillonne, inefficace et insuffisamment protectrice. Certains y voient même une entreprise menaçante, « prédatrice », qui broie les nations dans une structure sans âme, lointaine, voire antidémocratique. Comment en est-on arrivé là ?
En cette période de crise économique et sociale, les peuples européens sont légitimement inquiets ; ils craignent sans doute de perdre leur destin et leurs priorités. Mais force est de l’admettre, le projet politique européen est loin de répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations quotidiennes.
Au cours de ces dernières années, l’Europe s’est enlisée dans une gestion d’urgence de la crise, ne paraissant plus s’occuper que du redressement des banques, des indicateurs financiers et monétaires. Pendant ce temps, les délocalisations se sont multipliées, les inégalités se sont creusées et la concurrence entre les travailleurs européens s’est installée.
Nous avons tous, gouvernants comme élus, une responsabilité. Depuis trop longtemps, nous sommes dans l’incapacité de faire partager les finalités de l’Europe, de donner du sens à cette union difficile, compliquée. Au lieu de dire aux Français : « Voilà ce que nous pouvons faire ensemble de grand », on leur a répété inlassablement : « Nous n’y pouvons rien. » En plus, on a imputé à Bruxelles, avec ses oukases, la plupart des maux nationaux. Si un tel discours peut s’avérer électoralement payant, il est cependant injuste, dangereux et contraire à l’intérêt de nos concitoyens et de la Nation. Il a d’ailleurs fait le lit de tous les populismes ; l’extrême droite en a fait le terreau de ses pousses mortifères, en cristallisant les problèmes sans proposer de solutions.
Dans ces conditions, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que l’Europe soit aujourd’hui perçue comme une simple maison de redressement budgétaire, une maison où vivent des colocataires qui se tolèrent, et non pas des amis qui se soutiennent et partagent un idéal commun ?
M. Pierre Bernard-Reymond. Très bien !
M. Yvon Collin. Les réticences de certains pays à aider la Grèce ou la récente bataille sur les perspectives financières et le projet de budget pour 2014 témoignent de ce constat, d’un certain retour aux égoïsmes nationaux.
J’en ai bien conscience, ce n’est pas en rêvant d’un grand soir fédéral, comme nous le faisons parfois, que nous réussirons à faire renaître une conscience européenne chez nos concitoyens. Nous y parviendrons en menant des politiques concrètes, qui répondent à leurs besoins réels.
L’année 2013 a été décrétée « Année européenne des citoyens » par l’Union européenne. Cela signifie que nous devons mettre le citoyen au cœur des actions, qu’elles soient menées à l’échelon local, national ou européen.
J’admets que le Gouvernement a œuvré en ce sens. Sous l’impulsion de notre pays, l’aide alimentaire aux plus démunis a été rétablie, un fonds pour l’emploi des jeunes a été créé, une politique d’investissement au service de l’emploi a été décidée. Il faut poursuivre dans cette voie !
M. Jean-Claude Requier. Oui !
M. Yvon Collin. L’Europe, c’est la chance de la France. Essayons de la vivre avec optimisme et de peser pour qu’elle soit plus juste et plus sociale, faute de quoi les élections européennes de 2014 risquent d’être un fiasco !
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Yvon Collin. Enfin, il n’y aura pas d’Europe unie sans une meilleure connaissance et une compréhension mutuelles des peuples qui la composent. Décréter la citoyenneté européenne et la solidarité entre les citoyens ne suffit pas. Il faut miser sur l’éducation, les échanges culturels et les initiatives politiques.
La radio qu’appelle de ses vœux notre collègue Pierre Bernard-Reymond est en quelque sorte une fenêtre sur l’Europe qui peut favoriser un esprit de cohabitation, d’échange et de partage. Il nous semble difficile de ne pas lui apporter notre soutien même si, bien évidemment, ce n’est pas une proposition de résolution qui permettra de voir apparaître soudainement une nouvelle radio dans notre paysage radiophonique.
Qui plus est, dans le contexte budgétaire actuel, la création de cette radio ne peut évidemment être une priorité, d’autant que d’autres stations de radio ou chaînes de télévision ont des programmes destinés à promouvoir et à diffuser la diversité des cultures européennes, ainsi que vient de le souligner notre collègue Claudine Lepage.
Quoi qu’il en soit, le groupe du RDSE, qui compta parmi ses membres une figure de la construction européenne, Maurice Faure, signataire du traité de Rome, n’est bien évidemment pas opposé au principe d’une telle radio, même s’il est bien conscient de la quasi-impossibilité de la voir émerger dans le contexte actuel et, qui plus est, eu égard à la rareté des fréquences FM. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me semblait impossible que le groupe UDI-UC ne participe pas à un débat dont l’Europe est la finalité.
J’ai bien écouté les propos des uns et des autres, et je reconnais que la création d’une radio soulève des difficultés. Toutefois, je ne pense pas que ce soit cette question qui nous soit posée ici ce soir. Une proposition de résolution n’est pas une proposition de loi. D’ailleurs, si une proposition de loi relative à la création d’une radio avait été déposée, l’article 40 de la Constitution aurait été invoqué !
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Michel Mercier. Une proposition de résolution, c’est l’affirmation d’une direction politique,…
M. Michel Mercier. … et c’est ce qui me semble important ce soir.
Alors même que l’on nous explique, à grand renfort d’informations – il est bien normal que les médias nous communiquent toutes les informations ! –, que l’Europe est la source de tous nos maux, qu’il nous faut enlever le plus vite possible les emblèmes européens, que la France doit se replier sur elle-même, seule capable d’apporter des solutions, il est nécessaire que celles et ceux qui, depuis 1956, voire avant encore, plaident coûte que coûte, vaille que vaille, en faveur de la construction de l’Europe redisent ce soir que c’est dans l’Europe que nous trouverons des solutions à nos problèmes, et non pas en nous dressant contre elle.
La proposition de notre collègue Pierre Bernard-Reymond pose, je le sais parfaitement, des problèmes. Mais elle présente un immense avantage. Nous pouvons dire ce soir, en évoquant différentes images, divers symboles : oui, nous sommes européens ; oui, nous croyons que l’Europe doit se populariser, sauf à en avoir l’image la plus négative qui soit. Quand les politiques ne placent plus d’investissement en elle, les techniciens – et ils ont bien raison ! –, nous proposent des solutions quelque peu absconses, que l’on ne comprend pas et qui conduisent au rejet de l’Europe. Nous sommes comptables et responsables de cette situation devant nos concitoyens.
Je sais parfaitement que la proposition de résolution ne résoudra pas tout, mais son adoption serait un symbole de notre volonté : oui, nous voulons que le peuple se réapproprie l’idée européenne, qui fut, pendant très longtemps, synonyme de paix et de prospérité, et qui est aujourd’hui, je le crois profondément, l’avenir pour tous nos enfants.
Mes chers collègues, refuser de combattre sur le terrain des symboles serait un manquement grave. Les sénateurs du groupe UDI-UC ne mésestiment aucune des difficultés soulevées par cette proposition de résolution, mais ils sont convaincus que le temps des symboles est revenu. Aussi voteront-ils sans hésitation ce texte ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
MM. Jean Bizet et Christophe-André Frassa. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de pouvoir vous parler d’Europe !
Comme tous les orateurs l’ont souligné, c’est par une meilleure connaissance mutuelle des peuples européens que nous pourrons relancer le désir d’Europe et faire progresser l’idéal européen. Le Gouvernement souscrit entièrement à cette ambition et à cet idéal.
Monsieur Bernard-Reymond, je pourrais vous objecter des considérations techniques et financières, en invoquant notamment les contraintes qui pèsent sur Radio France ; du reste, je le ferai dans quelques instants. Pour commencer, toutefois, je tiens à me placer d’un point de vue politique, à la suite de M. Mercier.
En effet, parmi les raisons qui expliquent le désamour actuel pour l’Europe, signalé notamment par M. Le Scouarnec, je crois qu’il y a la tendance à parler de l’Europe comme d’une finalité en soi, alors qu’il faut parler de ce qui fait vivre l’Europe : de la culture, à travers les artistes européens, de la science, à travers les grands scientifiques européens et les projets d’étude et de recherche, et de toutes les avancées, par exemple dans le domaine des transports.
Or je crains que la création d’une radio consacrée uniquement à l’Europe – elle aurait donc un caractère non pas généraliste, mais thématique –, n’enferme l’idée européenne, que nous voulons tous défendre, et ne conduise à la création d’une sorte de radio ghetto. Celle-ci verrait se détourner nos concitoyens les plus sceptiques ou les plus réticents à l’égard de l’Europe, ou tout simplement les plus indifférents, parce qu’ils ne voient pas dans leur vie quotidienne l’apport de l’Europe, sans que les radios généralistes soient incitées à élargir et à renforcer leurs programmes consacrés à l’Europe et à ce qui s’y passe.
Telle est, monsieur Bernard-Reymond, ma principale objection à votre proposition. Moi qui suis élue de la circonscription où vivait Robert Schuman, je puis vous assurer que l’on sait, en Moselle, ce que l’on doit à l’Europe ! Ce n’est donc pas par méfiance vis-à-vis de l’Europe que je prends cette position, mais parce que je crois que nous devons, tous ensemble, nous interroger sur la manière de recréer un idéal européen.
De fait, le temps est peut-être venu d’examiner les intentions, les déclarations et les moyens d’action auxquels nous sommes restés attachés pendant des années, et dont il apparaît aujourd’hui qu’ils ne conduisent pas nos concitoyens à avoir une vision juste et profonde de l’Europe et de ce qu’elle peut leur apporter. Nous aurons prochainement l’occasion d’en débattre, pendant la campagne pour les élections européennes.
Pour ce qui concerne les aspects techniques, je ne répéterai pas les observations présentées par Claudine Lepage s’agissant de l’action déjà menée par les entreprises de l’audiovisuel public, sur les différentes antennes de la radio et de la télévision, pour promouvoir une meilleure connaissance des peuples européens.
Mme Lepage a eu raison de signaler l’émission I like Europe, sur France Inter, qui a proposé neuf documentaires mettant en lumière les vies et les désirs de jeunes de l’Union européenne, ainsi que les projets qui les animent à brève échéance.
De son côté, France Info propose l’émission C’est en France, c’est en Europe, qui examine de grands sujets de société du point de vue de différents pays européens.
Bien entendu, je pense aussi à RFI, dont je souhaite qu’elle puisse se développer dans plusieurs villes de notre territoire ; nous allons y travailler.
Il faut encore mentionner les quarante-quatre stations du réseau France Bleu, qui diffusent Tous Européens, un grand rendez-vous quotidien consacré à l’actualité européenne.
S’agissant de la télévision, n’oublions pas la mission toute particulière d’ARTE, qui est sans doute l’un des outils les plus efficaces pour consolider l’amitié franco-allemande, mais aussi pour favoriser l’unification d’autres pays européens, qui considèrent cette chaîne avec une certaine envie.
Ce n’est pas tant qu’ARTE e originale en soi ; c’est surtout qu’elle parle de culture, en s’adressant à la fois aux Français et aux Allemands, et qu’ainsi elle offre une illustration concrète de la construction européenne et de ses apports. Je pense notamment à Yourope, le magazine hebdomadaire de société qui traite de la diversité des cultures et des modèles économiques en Europe.
Quant à France Télévisions, je vous rappelle que les gouvernements ont scrupuleusement veillé à ce qu’elle intègre la dimension européenne dans ses différents programmes ; cette clause est prévue à l’article 16 de son cahier des charges. Les éditions d’information, mais aussi des reportages et des témoignages, abordent les modes de vie, les pratiques culturelles et les modèles économiques et sociaux en Europe, ainsi que le fonctionnement démocratique des institutions européennes – ce qui n’est pas toujours simple. Pour ne donner que cet exemple, je citerai Avenue de l’Europe, le magazine européen de France 3.
Reste qu’il est important de ne pas se satisfaire de toutes les émissions qui existent. De fait, monsieur Bernard-Reymond, vous avez raison : on pourrait faire davantage, et il faut aller plus loin. Or le service public a une mission toute particulière, qui consiste à approfondir les sujets européens, ou plutôt la dimension européenne dans le traitement de l’information et des différents programmes, et à ouvrir davantage encore ses antennes vers l’Europe.
À mon sens, c’est par le renforcement et la diversification des programmes qui sont d’ores et déjà diffusés par les chaînes du service public audiovisuel que nous parviendrons à nos fins. Mesdames, messieurs les sénateurs, redoutons qu’une radio spécifique n’enregistre des taux d’audience très faibles : ce ne serait pas bon pour l’Europe !
Cela étant, une station de la radio nationale publique ne saurait être spécifiquement consacrée à l’Europe, au risque de n’atteindre qu’un public d’initiés. Les radios de cette stature, comme France Info, France Inter, France Culture et bien sûr RFI, dans la mesure où elles sont généralistes, sont plus aptes à amener de larges publics vers les émissions qu’elles consacrent à l’Europe.
Enfin, la création de toute nouvelle radio de service public engendrerait un coût important dans l’actuel contexte tendu des finances publiques.
Quoi qu’il en soit, eu égard au paysage radiophonique saturé, caractérisé par la rareté des fréquences FM disponibles, en particulier dans les grandes agglomérations, il ne serait pas réaliste d’imaginer que Radio France Europe puisse bénéficier à court voire à moyen terme d’une couverture sur l’ensemble du territoire national. Par conséquent, la seule possibilité qui s’offrirait à nous, et que le Gouvernement écarte totalement, serait de supprimer une radio du groupe Radio France pour lui substituer RFE.
Je conclurai en évoquant la question d’Euranet Plus. Le groupe Radio France, alors qu’il était membre de ce réseau, a choisi de ne pas renouveler son adhésion pour des raisons qui tiennent à la complexité administrative du décompte des minutes d’antenne consacrées aux programmes européens. En effet, le service public remplit la condition fixée en la matière par Euranet Plus, à savoir soixante-quinze minutes d’antenne par semaine dédiées à ces sujets, mais les modalités de décompte ne sont pas celles que pratique habituellement le groupe Radio France. De ce fait, il faudrait pratiquement un salarié à temps plein pour mener à bien la mission de comptabilisation.
Cela étant, je demanderai un réexamen approfondi des conditions qui permettraient d’envisager un retour au sein d’Euranet Plus, car il me paraît tout à fait important de vouloir s’inscrire dans un réseau européen et de chercher à utiliser les médias, en particulier le service public, pour faire connaître les apports de l’Europe à nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble donc que le renforcement des thématiques européennes dans les grilles des programmes des différentes antennes du service public audiovisuel est la réponse la plus efficace, la plus rapide aussi, à la préoccupation que vous avez exprimée ce soir. En conséquence, je suis au regret de vous informer que le Gouvernement est défavorable à cette proposition de résolution.