M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet, C. Bourquin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. La commission se trouve exactement dans la même situation que précédemment et a donc émis un avis favorable par concordance, malgré l’avis défavorable, à titre personnel, du rapporteur que je suis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, si l’amendement tendant à la suppression de l’article 1er était adopté, et en l’absence d’amendement rétablissant l’article 2, les deux articles composant le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier auraient été supprimés et il n’y aurait donc pas lieu de voter sur l’ensemble.
En conséquence, en application de l’article 59 du règlement qui prévoit un scrutin public de droit sur l’ensemble d’un projet de loi organique, cet amendement de suppression va être mis aux voix par scrutin public.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin public dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 14 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 159 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
Article 2
(Suppression maintenue)
M. le président. Je ne suis saisi d’aucun amendement tendant au rétablissement de l’article 2.
L’article 2 demeure donc supprimé.
Je constate qu’il n’y a plus de texte, et qu’il n’y a donc pas lieu de voter sur l’ensemble.
Le projet de loi organique n’est pas adopté.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Candidature à une délégation
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation à la prospective en remplacement de M. René Vestri, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 8 octobre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 (procédure de mise en demeure du CSA) (2013–359 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
8
Traité sur le commerce des armes
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes (projet n° 837 [2012–2013], texte de la commission n° 34, rapport n° 33).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité sur le commerce des armes, ou TCA, dont je vous invite à autoriser la ratification, est le premier grand traité universel du XXIe siècle dans le domaine de la sécurité internationale et de la maîtrise des armements. Je m’étais engagé devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à faire en sorte que la France soit l’un des premiers pays à ratifier ce traité et à œuvrer pour que votre assemblée, que je sais très attentive à ce sujet, soit la première à décider.
Je souhaitais que notre pays témoigne ainsi de son soutien à ce traité. Je vous remercie tous, et en particulier M. le président Carrère, d’avoir permis, en acceptant que ce texte soit examiné lors de la semaine d’initiative parlementaire, que cet engagement soit respecté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la maîtrise des armements, quels qu’ils soient, constitue la première condition de la sécurité du monde. C’est pour la France plus qu’une conviction : c’est un engagement de nature historique. Sans doute parce que notre pays a été le théâtre de nombreuses guerres, nous avons été et nous sommes l’une des principales puissances favorables au désarmement, tant il est évident que l’existence d’armes porte le risque de leur utilisation. C’est pourquoi je veux saisir l’occasion de ce débat, quitte à vous retarder quelques minutes, pour passer en revue nos positions passées et actuelles sur le désarmement.
Cet engagement a porté prioritairement sur les armes les plus dangereuses, celles que l’on appelle généralement « non conventionnelles ». Il faut se souvenir, car cela ne manque pas de rappeler l’actualité, que la première tentative d’éliminer l’emploi des armes chimiques remonte au XVIIe siècle, avec la signature, le 27 août 1675, entre la France et le Saint Empire romain germanique, de l’accord dit de Strasbourg qui visait à interdire l’utilisation de balles empoisonnées lors des conflits. La France, depuis cette date, a continué de montrer la voie avec son engagement pour le désormais fameux protocole de Genève de 1925 – que nous avions quelque peu oublié, mais que M. Bachar Al-Assad a tristement rappelé à nos mémoires – et pour la convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993.
En matière de désarmement nucléaire, cet engagement, pour être évidemment plus récent, n’en est pas moins constant. Après avoir réduit de moitié notre arsenal depuis vingt ans, supprimé la composante terrestre, réduit d’un tiers la composante océanique, nous avons atteint l’an passé le seuil de réduction d’un tiers de la composante aérienne. Nous avons démantelé de manière complète et irréversible nos sites d’essais nucléaires. Nous avons fait preuve de transparence en étant le premier État doté à communiquer des données précises sur le nombre total de nos têtes nucléaires, inférieur à trois cents.
Ce bilan nous permet aujourd’hui d’être exigeants. Évidemment, le traité de non-prolifération nucléaire, ou TNP, est le socle du désarmement et de la non-prolifération nucléaires. Nous avons été l’un des premiers États doté de l’arme nucléaire à signer, ratifier et mettre pleinement en œuvre le traité d’interdiction complet des essais nucléaires. Nous sommes engagés en faveur de son entrée en vigueur qui sera une étape importante pour marquer un coup d’arrêt au renforcement de ces armes. Reste devant nous le chantier de la négociation, trop longtemps retardée, du traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.
Au-delà, les crises actuelles montrent de manière souvent dramatique la nécessité du désarmement. En utilisant massivement, en août dernier, des armes chimiques contre son propre peuple, tout en refusant de reconnaître qu’il en disposait, le régime de Damas a violé les lois et transgressé tous les interdits. L’horreur chimique en Syrie constitue un nouvel appel à la mise en œuvre universelle de l’interdiction des armes chimiques. C’est pourquoi le Président de la République a demandé récemment à l’Assemblée générale des Nations unies que les pouvoirs d’enquête en la matière du secrétaire général de l’ONU soient renforcés. Nous pouvons nous réjouir que la résolution adoptée à New York à la fin du mois de septembre, sur l’initiative de la France notamment, affirme que l’emploi d’armes chimiques constitue une « menace à la paix et à la sécurité internationale ». De la sorte, le Conseil de sécurité pourra se saisir à l’avenir de toute situation où l’emploi de ces armes est en cause. Le désarmement chimique de la Syrie est engagé, il devra aller à son terme.
Notre position sur la prolifération nucléaire dans le cas de l’Iran s’inscrit dans la même logique : nous disons oui à la technologie nucléaire civile et non à la prolifération nucléaire militaire. Depuis de trop nombreuses années, Téhéran poursuit un programme nucléaire militaire en violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA. Comme l’attestent les rapports récents de l’AIEA, le programme iranien continue : accélération des activités d’enrichissement, notamment à 20 %, sur le site de Fordow longtemps dissimulé à la communauté internationale, installation de centrifugeuses de nouvelle génération à Natanz, poursuite des activités liées à l’eau lourde avec le développement du réacteur plutonigène d’Arak, refus de coopérer pour clarifier les questions non résolues liées à la possible dimension militaire du programme.
En rencontrant récemment à New York le président iranien, M. Rohani, le Président français a donné une chance aux volontés d’ouverture du nouveau régime. Des paroles ouvertes sont utiles, mais elles ne suffisent pas. Nous attendons des gestes concrets, vérifiables et vérifiés par l’AIEA. Le groupe « E3+3 » a fait cette année des propositions de mesures de confiance à l’Iran : celles-ci restent sur la table. Il n’y a de notre part aucune naïveté sur les intentions du régime iranien : nous savons que, pendant que nous discutons, les centrifugeuses continuent de tourner. Cependant, après des années de blocage, nous devons saisir toute occasion de relancer ces négociations. Les discussions vont reprendre le 15 octobre à Genève : nous verrons alors si l’Iran cherche seulement à gagner du temps ou s’il fait, comme nous le souhaitons, le choix d’une négociation réelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le désarmement et la non-prolifération des armes de destruction massive sont une nécessité. Mais il faut aller au-delà. Le désarmement général et complet dans ce domaine doit être accompagné d’avancées s’agissant des armes dites « classiques ».
Au Sahel, la dissémination des armes classiques a été un important facteur de déstabilisation de la région. Les matériels en provenance des entrepôts abandonnés par le précédent régime libyen ont contribué à alimenter les groupes armés radicaux contre lesquels la France a été amenée à intervenir au Mali. L’action de notre pays pour juguler cette crise a été déterminante. Il faut maintenant, au-delà de l’urgence, traiter les causes profondes à l’origine de la déstabilisation de toute la région du Sahel. La question des armes reste décisive. C’est pourquoi le Président de la République et moi-même avons souhaité convier à Paris l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique, du 5 au 7 décembre prochain, pour un sommet consacré précisément à la sécurité du continent africain. Les Africains veulent et doivent pouvoir répondre eux-mêmes, rapidement et efficacement, aux tumultes qui menacent les équilibres régionaux et la sécurité de pays appelés à devenir des moteurs de la mondialisation dans les prochaines décennies. Il est de la responsabilité de la France de les accompagner.
Nous devons rappeler, à cette occasion, notre position sur les armes dites classiques. La France a agi pour que, dans toutes les enceintes, la communauté internationale prenne ses responsabilités. Elle a soutenu de multiples initiatives, s’engageant à respecter les normes les plus exigeantes. Elle l’a fait, même lorsque ces normes n’étaient pas observées par d’autres. La France a ainsi procédé à la signature de la convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, dite convention d’Ottawa, dès le premier jour, en 1997. Elle a souscrit à la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions en décembre 2008, figurant parmi les premiers États à le faire.
En ce qui concerne les armes légères et de petits calibres, nous appelons au renforcement du programme d’action des Nations unies sur la lutte contre le trafic illicite de ces armes, encore juridiquement non contraignant. Nous avons également été à l’origine d’un processus ayant abouti à l’adoption par les Nations unies, en 2006, d’un instrument international sur le traçage et le marquage et nous avons pris des mesures pour sécuriser les transports de ces armes par voie aérienne et maritime sur notre territoire.
Au-delà de ces régimes de limitation ou d’interdiction de certaines armes, la maîtrise des armements passe par la lutte contre la dissémination des armes classiques, plus difficile à appréhender. Cette nouvelle dimension de la maîtrise des armements constitue une question de sécurité et même de droits de l’homme.
La dissémination incontrôlée d’armes classiques menace, en effet, gravement de nombreuses populations. Les habitants des pays en voie de développement, des civils, essentiellement des femmes et des enfants, en subissent les conséquences.
Chaque année, on estime que ces armes provoquent la mort de 500 000 personnes, soit 1 500 à 2 000 personnes par jour, pour la plupart dans des pays très pauvres. En République démocratique du Congo, par exemple, plus de 5 millions de personnes ont été tuées par les armes à feu depuis 1998.
Les armes ne sont pas utilisées que pour tuer. Elles menacent, elles contraignent, elles permettent que soient commis des actes de torture, des viols, des enlèvements, des déplacements forcés et de nombreuses autres formes de violence. Les armes disséminées en dehors de tout contrôle détruisent la société et toute forme organisée d’État. En l’absence de sécurité et donc de stabilité, rien ne peut se construire durablement. Les échanges d’armes non réglementés constituent une grave entrave à la construction d’un monde plus humain et plus sûr.
Le commerce non régulé des armes nourrit aussi, en l’absence de toute norme commune, des trafics. La corruption liée à ces échanges est évaluée à plusieurs milliards d’euros chaque année. Cela fournit des moyens dévastateurs à toutes les formes de criminalité. Depuis les années quatre-vingt-dix, ce phénomène s’accroît de manière inquiétante. Il concerne des armes de plus en plus meurtrières et performantes. Il frappe tous les pays, même ceux qui se croyaient épargnés. L’absence de contrôle engendre des tueries imprévisibles, des guerres civiles sanglantes, des actes de terrorisme politique.
Pour toutes ces raisons, nous avions besoin de nouveaux instruments afin de compléter l’architecture traditionnelle fondée sur le désarmement. La menace de la dissémination des armes classiques met en jeu un grand nombre d’acteurs et défie l’autorité des États. Elle ne peut se régler que par une action durable et mondiale. Le traité sur le commerce des armes est précisément à la mesure d’un problème devenu aujourd’hui transnational.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai voulu, ne serait-ce que pour laisser une trace qui sera – je l’espère – écoutée au-delà de cette enceinte, retracer l’action de la France en matière de désarmement. On entend, en effet, sur ce sujet, beaucoup d’inexactitudes. Je voulais, devant votre Haute Assemblée, rétablir la réalité.
Le traité sur le commerce des armes, dont je soumets la ratification à votre décision, apporte une réponse à la menace croissante de la dissémination des armes classiques. Il est novateur pour au moins trois raisons.
D’abord, par la place qu’il accorde aux droits de l’homme et au droit international humanitaire. Ce traité prévoit, en effet, l’interdiction absolue de toute exportation d’armement s’il existe un risque que les matériels exportés soient utilisés pour commettre des actes de génocide, des crimes contre l’humanité ou de graves violations des conventions de Genève de 1949. Cela lui confère une valeur renforcée par rapport à tous les instruments existants.
Il est novateur, ensuite, parce qu’il engage pour la première fois la responsabilité de l’État vendeur d’armements. Le traité insiste sur la transparence nécessaire dans les transferts d’armes. Les États parties s’engagent à contrôler leurs exportations. Ils devront prendre en compte tous les usages possibles des armes vendues. Ils seront tenus de produire régulièrement des rapports sur la mise en œuvre du traité et sur les mesures intervenues pour prévenir le détournement des armes.
Il est novateur, enfin, parce qu’il pose une nouvelle norme mondiale. Ce traité est le premier instrument de droit international qui met en place un régime universel régulant le commerce mondial des armes. Il a été négocié entre tous les États membres des Nations unies. Il porte sur tous les types d’armes classiques, ainsi que sur leurs munitions, les pièces et les composants. Les tentatives précédentes d’une ampleur comparable dans ce domaine avaient échoué.
La France, avec ses partenaires européens, a beaucoup œuvré pour que ce traité soit adopté avec des exigences élevées. Notre objectif premier, à nous Européens, a été de responsabiliser les exportations d’armement. C’est le sens d’un texte que j’avais publié en juillet 2012, avec mes homologues allemand, britannique et suédois, dans lequel nous affirmions ensemble notre détermination à faire adopter à l’ONU un traité fort et efficace.
Nous avons dû mener un travail de conviction en tenant compte de l’enjeu, mais aussi des réticences exprimées par certains de nos partenaires. Tout le monde le reconnaît, la France a joué un rôle important, voire central. Elle a agi conformément à ses principes, en lien avec l’ensemble des organisations internationales concernées. Je tiens, ici, à rendre hommage à celles-ci, car on peut estimer que, sans elles, et sans toute une série d’organisations non gouvernementales, ce traité n’existerait pas. Ce travail collectif a permis l’introduction dans le texte du traité de critères exigeants de respect des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du développement durable.
Grâce à cette mobilisation collective, nous sommes parvenus, en mars 2013, à faire accepter un texte juridiquement contraignant pour tous les États. Le résultat, ce traité sur le commerce des armes a été adopté le 2 avril 2013 à une majorité écrasante par l’Assemblée générale des Nations unies. Le texte est, en réalité, bien plus exigeant que celui qui était initialement prévu en juillet 2012 : les munitions y sont incluses, le champ des armes y est plus large. C’est donc un succès pour tous les défenseurs du désarmement conventionnel. Je pense que c’est le cas de tous les groupes de la Haute Assemblée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun le sait, la France est un des principaux pays exportateurs d’armes. Il faut, dès lors, poser la question : n’y a-t-il pas contradiction, voire hypocrisie, à ratifier un tel traité ?
M. Jean Desessard. Ah !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce traité ne va-t-il pas handicaper nos industriels ? La réponse est un double non.
M. Jean Desessard. Ah !
M. Laurent Fabius, ministre. D’une part, le traité ne vise pas à supprimer le commerce des armes. Il l’encadre en soumettant les États exportateurs à des règles communes. D’autre part, La France est un exportateur d’armement, mais un exportateur responsable. Elle est déjà tenue par un engagement plus strict encore : la position commune de l’Union européenne. On ne vend pas n’importe quoi à n’importe qui. Pour chaque opération, les services français prennent en compte l’usage qui peut être fait de l’armement exporté. Nos procédures d’encadrement des exportations de matériels de guerre sont déjà parmi les plus robustes. Nos industriels le savent et le comprennent. Il n’est évidemment de l’intérêt de personne que des armes françaises puissent servir à l’action de dictateurs ou de terroristes. La France est effectivement un important exportateur d’armement mais pas d’armes légères. Ce sont celles-ci qui sont utilisées dans la majorité des conflits régionaux depuis 1990, elles qui sont responsables de la mort de 500 000 personnes par an.
Sans doute dans un monde idéal pourrait-on concevoir les choses autrement. Cependant, comme le disait Jean Jaurès, le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel.
Nous devons maintenant agir pour que ce traité produise sans délai son effet.
Il a déjà été signé par plus d’une centaine d’États membres des Nations unies, y compris le premier exportateur mondial d’armement, les États-Unis. Nous souhaitons que ce texte puisse rapidement entrer en vigueur et devienne universel. Il entrera en vigueur dès lors que cinquante États membres des Nations unies l’auront ratifié. Si un très grand nombre de pays sont déterminés à accompagner le mouvement, seule une poignée d’entre eux sont déjà parvenus au terme de leurs procédures. Désormais, une fois l’Assemblée nationale intervenue, ce sera le cas de la France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en place de cette nouvelle norme internationale constitue un facteur de renforcement de la paix et de la sécurité internationale. Je souhaite que notre pays puisse montrer l’exemple en étant l’un des premiers grands États à s’engager. C’est la raison pour laquelle, sur ce chemin, je remercie les groupes du Sénat qui montreront que la France parle et agit d’une même voix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Reiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un texte (M. le rapporteur brandit un exemplaire du projet de loi.) qui, malheureusement, n’intéressera que peu les médias. C’est bien dommage, car ce traité est une pièce qui ajoute à la sagesse du monde. C’est suffisamment rare pour que l’on s’en félicite !
Le 2 avril 2013, l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité, a adopté le traité sur le commerce des armes : 155 voix pour, 3 voix contre – il n’est pas indifférent de les citer, la Syrie, la Corée du Nord et l’Iran –, 22 abstentions ; 13 pays n’avaient pas pris part au vote. La France l’a signé le 3 juin dernier et il est aujourd’hui soumis à l’approbation sénatoriale. C’est en effet à la Haute Assemblée qu’il est soumis en premier lieu.
Nous nous réjouissons que ce texte de ratification ait été si rapidement déposé sur le bureau de notre assemblée, monsieur le ministre.
Pour commencer, je voudrais faire un rapide rappel de la genèse du traité sur le commerce des armes. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, des ONG se positionnent en demandant un instrument universel de régulation du commerce des armes. Parallèlement, en 1997, l’ancien président du Costa-Rica et prix Nobel de la paix, Oscar Arias, accompagné de sept autres prix Nobel, lance un appel pour un code international de conduite juridiquement contraignant sur les transferts d’armes. Au début des années 2000, un collectif d’ONG, « Contrôlez les armes », est créé afin de promouvoir la création de cet instrument.
Le Royaume-Uni a été le premier des États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à soutenir ce projet. Il a été rapidement suivi de l’ensemble des États membres de l’Union européenne, au premier rang desquels se trouvait la France.
L’année 2009 marque un tournant, puisque les États-Unis se joignent au soutien à ce traité. La même année, 153 États membres des Nations unies votent pour la mise en place d’un processus officiel qui inclut cinq réunions d’un Comité préparatoire en vue de la conférence de négociations sur ce traité.
Celle-ci se déroule en juillet 2012 mais n’aboutit finalement pas à l’adoption du traité. En effet, certains pays, au premier rang desquels les États-Unis, souhaitent un délai supplémentaire afin de parfaire la rédaction du traité.
Une nouvelle conférence diplomatique a été convoquée en mars 2013, qui s’est conclue sur la signature du traité le 2 avril. Parmi les pays abstentionnistes, on trouve la Chine, qui s’est abstenue pour une question de procédure, paraît-il : le contournement de la règle du consensus. La Russie, l’Inde et certains pays arabes ont, quant à eux, également opté pour l’abstention, mais en raison du contenu même du traité : ils estimaient, en effet, que ce traité, tel qu’il était soumis au vote, comportait trop de lacunes et ne prenait pas assez en compte certaines préoccupations, en particulier des importateurs.
Ce texte est un événement majeur : les États signataires s’accordent sur la création d’une norme internationale visant à encadrer le commerce légal des armes et à prévenir le commerce illicite.
Le champ d’application du traité est visé à l’article 2. Ainsi, les armes classiques entrant dans le champ d’application sont les chars de combat, les véhicules blindés de combat, les systèmes d’artillerie de gros calibre, les avions de combat, les hélicoptères de combat, les navires de guerre, les missiles et lanceurs de missiles, les armes légères et armes de petit calibre. Les dispositions des articles 6 et 7 s’appliquent également, vous l’avez précisé, monsieur le ministre, aux munitions et pièces et composants. Elles ne s’appliquent pas, en revanche, aux armes dédiées au maintien de l’ordre.
Les activités, quant à elles, regroupent l’exportation, l’importation, le transit, le transbordement, et le courtage. Elles n’englobent pas le transport international par un État partie ou pour son compte d’armes destinées à son propre usage.
Les activités non explicitement commerciales, comme les dons, cessions et prêts d’armes, ne sont pas couvertes par le champ d’application du traité sur le commerce des armes. Il s’agit là d’une lacune que soulèvent certaines ONG, arguant qu’ainsi une grande partie des opérations échappent à cette vigilance. Ce n’est pas faux. Nous avons, d’ailleurs, auditionné des représentants d’ONG qui s’intéressent de très près à ces questions.
Le point central du traité est la consécration du droit international humanitaire, qui devient le critère à respecter dans l’évaluation d’une demande d’exportation.
Ainsi, l’article 6 prohibe toute exportation d’armement, armes classiques, munitions, pièces et composants, lorsque l’exportation violerait les obligations de l’État exportateur au regard des mesures prises par le Conseil de sécurité des Nations unies – c’est le cas, notamment, des mesures d’embargos sur les armes.
L’article 6 prohibe également toute exportation d’armement, armes classiques, munitions, pièces et composants lorsque celle-ci violerait les obligations internationales résultant des accords auxquels l’État exportateur est partie, notamment concernant le transfert et le trafic illicite d’armes classiques.
Cette prohibition s’applique, enfin, lorsque l’exportation permettrait la commission de génocides, crimes contre l’humanité, attaques contre des civils, crimes de guerre, et violations graves des conventions de Genève.
Néanmoins, l’application reste difficile, comme l’indiquait la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans son avis sur l’avant-projet de traité en date du 21 février 2013 : comment prouver l’intention d’un État de commettre un génocide, par exemple ?
L’article 7 considère que, pour toute demande d’exportation n’entrant pas dans le champ des exclusions de fait, l’État exportateur doit procéder à une évaluation objective, non discriminatoire, mais la plus complète possible, de l’utilisation de ces armes.
L’État receveur de la demande doit, en particulier, estimer si une exportation d’armes porterait atteinte à la paix et à la sécurité, et pourrait servir à : commettre une violation grave au droit international humanitaire ou au droit international des droits de l’homme, ou en faciliter la commission ; commettre une infraction, ou en faciliter la commission, au regard des conventions ou protocoles internationaux relatifs au terrorisme ou à la criminalité transnationale auxquels l’État exportateur est partie ; commettre ou faciliter la commission d’actes graves de violence fondés sur le sexe, ou contre les femmes et les enfants.
S’il apparaît que tel est le cas, alors l’État doit chercher à atténuer les risques possibles. In fine, s’il considère qu’il existe un risque prépondérant de commission des actes précités, il ne doit pas autoriser l’exportation.
Cet article, en posant explicitement le principe du droit international humanitaire et celui du droit international des droits de l’homme, place ceux-ci au cœur du dispositif d’évaluation. Si nous ne pouvons que nous en réjouir, les termes employés laissent parfois perplexes.
Il en est ainsi de l’adjectif « prépondérant », qui suscite des controverses. La procédure même d’évaluation des risques, par étape, se conclut sur l’expression de « risque prépondérant », qui doit empêcher l’exportation. Or, la notion de risque prépondérant, en droit international, n’existe pas. Certains États, pour clarifier cette terminologie, ont d'ailleurs déclaré qu’ils l’interpréteraient comme étant un risque substantiel.
Également, quid des mesures d’atténuation des risques possibles ? Elles ne sont pas explicitement énoncées, si ce n’est des « mesures de confiance ou des programmes élaborés et arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs ».
Monsieur le ministre, nous souhaiterions plus de précisions sur l’interprétation que fera la France des termes de cet article.
Autre règle essentielle : la transparence. Les États parties doivent fournir, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du traité, un rapport initial détaillé précisant les mesures qu’ils ont prises pour sa mise en œuvre. De même, les États rendent compte des mesures jugées efficaces pour lutter contre le détournement des armes classiques. Ils ont également l’obligation de fournir un rapport annuel concernant les importations et les exportations d’armes classiques.
Enfin, sont aussi prévues par le traité des mesures d’assistance et coopération entre États parties dans la mise en œuvre du traité, la possibilité de l’amender lorsqu’il sera entré en vigueur, ou encore la création de structures chargées de sa mise en œuvre.
L’intégration en droit interne ne posera aucun problème. Le droit européen et le droit français étant déjà très avancés en matière de législation sur le commerce des armes, le présent traité s’intégrera de façon fluide, d’autant plus que le champ d’application de la position commune, qui couvre l’ensemble des équipements militaires de la liste commune de l’Union européenne, est plus vaste que les catégories couvertes par les articles du traité.
En matière de transparence, le traité prévoit la rédaction de rapports ; or, la France, par son rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armements, met déjà en œuvre cette transparence.
De même, concernant nos accords, le droit français intégrant par définition, et de façon plus étroite, les avancées du traité, les autorisations en cours ont d’ores et déjà été accordées à l’aune des critères du traité.
La ratification revêt une importance majeure : la France avait fait de l’adoption de ce traité l’une de ses priorités ; l’enjeu est désormais son universalisation. À ce jour, 113 pays l’ont signé et sept l’ont déjà ratifié – nous devrions être le huitième. Notons que les États-Unis l’ont signé le 25 septembre dernier.
Mes chers collègues, soyons honnêtes, ce traité n’est pas parfait ; il contient quelques lacunes ou failles dans sa rédaction. J’ai évoqué la question du risque prépondérant ; on peut également citer l’article 26, qui est une des failles du texte : en vertu de celui-ci, l’application du traité ne porte pas atteinte aux obligations souscrites par les États parties en vertu d’accords internationaux, actuels ou futurs, pour autant que ces obligations soient compatibles avec le traité.
Soyons clairs, c’est du charabia qui permet de dire à la fois une chose et son contraire ! Les ONG nous ont fait part de leurs craintes que cette disposition ne provoque une lecture dérogatoire du traité. Pour ce qui nous concerne, nous rendrons cette lecture la plus vertueuse possible, afin que le traité ne soit pas vidé de son sens.
Malgré ces imperfections, un texte améliorable est préférable à l’absence de texte ! C’est une bonne base de départ, les ONG l’ont parfaitement compris. Rappelons que selon les données recueillies auprès d’Amnesty International, chaque minute, une personne est tuée par arme dans le monde, quinze sont blessées, et 80 % des victimes de conflits armés sont des civils.
Ce sera tout à l’honneur de la France que d’être parmi les premiers pays à ratifier le traité sur le commerce des armes. C’est pourquoi votre commission des affaires étrangères, qui a adopté le projet de loi à l’unanimité, vous recommande d’autoriser la ratification de ce traité. (Applaudissements.)