M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, les différents présidentes et présidents de commission s’étant longuement exprimés et ayant cité de nombreux exemples et statistiques, je concentrerai mon propos sur une partie des questions que nous entendons soulever à l’occasion de ce débat.
Le contrôle de l’application des lois nous amène à nous poser des questions importantes, qui doivent nous aider à réfléchir plus précisément aux textes que nous votons. Il ne fait pas de doute qu’une telle réflexion aura des conséquences positives sur la suite de nos travaux.
Pour cela, il ne faut pas simplement se préoccuper de savoir si les mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre des lois votées ont été prises par le Gouvernement. Cette approche est sans nul doute indispensable, mais elle n’est évidemment pas suffisante. L’application des lois pose des questions de fond et nous ne devons pas en rester à une conception purement quantitative.
Je commencerai donc, si vous me le permettez, par un petit aparté sur les conditions nécessaires à l’élaboration des lois, car il me semble que la question de l’effectivité réelle des lois a beaucoup à voir avec les conditions dans lesquelles celles-ci sont présentées et adoptées, Jean-Pierre Sueur y a fait allusion dans son intervention.
Les éléments chiffrés du rapport, notamment pour ce qui concerne la commission des lois, mettent en exergue le rythme législatif particulièrement soutenu que nous subissons. Je vous rappellerai, par ailleurs, notre opposition à la multiplication des procédures accélérées, qui, de fait, dessaisissent le Parlement et nuisent à la qualité des textes législatifs. Le rapport souligne des données statistiques inquiétantes sur ce point.
J’en viens à présent au sujet principal du rapport, à savoir la mise en application des lois. Sur ce point, les problèmes sont loin d’être réglés dans leur ensemble, les différents orateurs en ont témoigné, malgré les efforts du Gouvernement pour adopter les mesures réglementaires plus rapidement et plus efficacement.
La situation encore trop peu satisfaisante de l’application des lois est le reflet de la frénésie législative du gouvernement précédent que nous avons suffisamment dénoncée auparavant : trop de textes, souvent en matière pénale, ont été détournés de leur objet, trop de lois de circonstance ou d’affichage ont été adoptées. Que dire aussi des lois fourre-tout dites « de simplification du droit » ou « d’allégement des procédures », entre autres appellations, qui ont largement contribué à l’inflation normative et à la complexification du droit, quitte à le rendre parfois inapplicable, se détournant d’ailleurs de leur objectif premier ?
De plus, mes chers collègues, si l’application effective d’une loi dépend pour une grande partie de la volonté politique d’appliquer concrètement un texte, elle dépend aussi des moyens financiers qui lui sont alloués. Nous avons tous en tête la loi instituant le droit au logement opposable, dite « loi DALO », ou encore la loi sur l’accessibilité des personnes en situation de handicap. Pour diversifier les champs, je pense aussi, plus récemment, à la loi pénitentiaire. Autant de lois dont l’application est encore trop peu effective mais, pourtant, tellement urgente ! Autant de lois qui demandent, en effet, plus de moyens pour être pleinement appliquées.
La disposition adoptée dans la proposition de loi de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault, qui reprend en substance, et pour partie seulement, le principe de proportionnalité des normes prôné par notre collègue Éric Doligé, à l’initiative d’une proposition de loi sur le sujet, est, du point de vue de l’application des lois, inquiétante, notamment pour ce qui concerne l’application de la loi sur l’accessibilité des personnes en situation de handicap, à laquelle j’ai fait référence.
Je ne reviendrai pas ici, mes chers collègues, sur le débat de la semaine passée et, donc, sur l’accessibilité aux aides sociales dans les petites communes de notre pays. Je ne mets pas en doute la volonté de nos collègues de continuer à appliquer la loi sur le handicap que j’évoquais précédemment. Avouez toutefois que cette disposition accroît, en tout cas, le sentiment d’insécurité et d’abandon de populations déjà fragilisées dès lors que l’on admet des dérogations qui, le temps avançant, peuvent être de plus en plus importantes et concerner de plus en plus de personnes.
Je finirai cette intervention par une note positive, en soulignant le fait que la création par le bureau du Sénat de la commission pour le contrôle de l’application des lois me paraît être source de progrès. Ces progrès, nous les devons, cela a été dit, aux différents rapports. Peut-être nous faut-il prendre encore plus le temps, dans le cadre de nos semaines de débat, d’approfondir les choses en séance publique et de travailler aussi en lien avec le Gouvernement pour rendre effective cette volonté d’application.
Mme Blandin nous invitait tout à l’heure à réfléchir à un nouveau mode de présentation l’an prochain. Sans que nous soyons assurés qu’elle rassemblera plus de collègues, cette présentation pourrait, en tout cas, être plus vivante et mieux donner à voir le travail fait par la commission tout au long de l’année. Je pense aussi au travail, que vous avez mentionné, monsieur le ministre, dans vos propos introductifs, fait par le Gouvernement pour essayer de toujours mieux répondre à cette exigence que nous partageons et qui est, bien évidemment, gage de démocratie.
Je ne développerai pas plus longuement, car les autres thèmes ont déjà été évoqués. Sachez, en tout cas, et je m’adresse plus particulièrement à M. le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, que nous resterons à vos côtés pour défendre l’objectif assigné à cette commission, qui consiste à rendre les lois plus effectives pour les femmes et les hommes de notre pays. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Mme la présidente de la commission de la culture, Mme Corinne Bouchoux ainsi que M. le président de la commission des lois applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, au nom des membres du RDSE, je me réjouis bien sûr de la tenue de ce débat sur le bilan de l’application des lois.
Je rappellerai que, sur mon initiative et celle de mon groupe, le Sénat avait débattu, début 2011, de l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois.
À cette occasion, nous avions déjà constaté – hélas ! – un vrai décalage entre l’objectif de rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement et la mise en application par le Gouvernement de la volonté exprimée par les deux assemblées parlementaires au travers du vote de la loi.
Nous avions également relevé qu’il n’existait pas de véritable contrainte pour obliger le pouvoir réglementaire à s’acquitter de sa mission dans des délais raisonnables.
Il existe bien la circulaire du 29 février 2008 sur « le délai des six mois », qui précise en préambule que « Veiller à la rapide et complète application des lois répond à une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique ».
Il y a aussi le fameux article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, qui fait obligation au Gouvernement de publier des rapports sur la mise en application de chaque loi six mois après l’entrée en vigueur de celle-ci.
Toutefois, ces deux instruments ne peuvent en aucun cas conduire le Parlement à enjoindre le Gouvernement de respecter un délai.
Si l’on souscrit naturellement au principe intangible de séparation des pouvoirs et de l’architecture institutionnelle qui en découle, on peut, en revanche, regretter que le Parlement, qui vote souverainement la loi et exprime ainsi la volonté générale, voie ses actes législatifs contrariés par les retards du pouvoir réglementaire.
C’est ce constat qui avait conduit le RDSE à déposer une proposition de loi tendant à reconnaître la présomption d’intérêt à agir des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat en matière d’excès de pouvoir.
Ce texte, débattu en séance publique, le 17 février 2011, a pu apparaître comme trop avant-gardiste au gouvernement de l’époque qui en avait tout simplement demandé et obtenu le rejet. Toutefois, son examen a eu le mérite de rappeler, dans un relatif consensus, la nécessité d’améliorer encore les moyens de contrôle du Parlement sur l’exécutif. C’est donc sous les fleurs que ce texte avait été enterré !
Depuis, – je le concède – on observe une nette amélioration du rythme d’application des lois. Du côté gouvernemental, les ministères s’évertuent, depuis quelques années, à redresser le taux d’applicabilité des lois. La notion d’obligation de résultat a, enfin, pris sens. Notre collègue rapporteur David Assouline l’a bien exposé. Je dois dire, d’ailleurs, que l’excellent travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois contribue à la prise de conscience générale, et je félicite la commission, ainsi que son président.
Elle a émis de nombreux rapports, générant une forme de pression – si j’ose dire. Les résultats de tous ces efforts, vous les connaissez, mes chers collègues. D’une seule phrase, je rappellerai que le pourcentage global de mise en application des mesures législatives adoptées durant la session 2011-2012 a atteint 66 %, un chiffre à mettre en rapport avec la moyenne des années précédentes qui oscillait entre 30 % et 40 %.
C’est un progrès incontestable, monsieur le ministre. Au regard des données concernant l’actuelle législature, il semblerait que l’on s’oriente vers encore plus de célérité pour l’application des lois. C’est une bonne chose, et je vous en félicite.
Je m’en félicite aussi, même si, à titre personnel, je déplore que quelques-unes de mes attentes ne soient toujours pas satisfaites. Je pense, en particulier, à deux textes que j’ai fait adopter, avec le soutien de mon groupe, et dont tous les décrets d’application ne sont pas encore parus. Il s’agit de la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs ainsi que celle, plus ancienne, du 10 mars 2010 relative au service civique.
Comme l’a rappelé notre collègue rapporteur, la mise en application des mesures issues d’initiatives parlementaires ne souffre plus d’un traitement discriminatoire. On peut, là aussi, s’en féliciter.
C’est pourquoi je compte sur vous, monsieur le ministre, pour faire le nécessaire, car je suis très attaché à ces deux textes importants, qui touchent la jeunesse, grande priorité de M. le Président de la République et du Gouvernement.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, un autre volet du contrôle, celui de l’évaluation. Le processus normatif doit être en effet apprécié jusqu’à son aval. Au bout de la chaîne, c’est, bien entendu, la qualité ou la pertinence de la loi qui sont visées. Là aussi, il faut bien le reconnaître, des démarches ont été conduites pour obliger à la production d’une loi à la fois utile et intelligible.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le Gouvernement a mis en place plusieurs instruments destinés à rationaliser la production normative. Dans cette perspective, le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, a lancé quarante évaluations de politiques publiques. J’appartiens moi-même au comité de pilotage pour l’évaluation de la politique de développement agricole. Des premières réunions auxquelles j’ai pu assister, il ressort que les acteurs visés par cette politique, en l’occurrence, les agriculteurs, se plaignent surtout de la multiplication des normes ; ce n’est pas le seul domaine – nous le savons –, et cela a été dit. Je pense que cette remarque vaut, d’ailleurs, pour tous les secteurs de l’action publique. Je citerai ainsi les collectivités locales, soumises à 400 000 normes de toutes natures, excusez du peu !
Nous le savons, cet emballement normatif est, avant tout, le fruit de l’inflation législative. Si celle-ci connaît un certain tassement depuis deux ans, les lois contiennent de plus en plus d’articles – 20 articles en moyenne dans les années 1990, contre près de 40 articles depuis une décennie –, donc autant de textes réglementaires en plus. Sur ce point, l’exécutif tout autant que le pouvoir législatif doivent faire preuve de responsabilité. En effet, comme le relevait déjà le Conseil d’État en 1991 : « Quand le droit est bavard, le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite ». (M. Yves Rome opine.)
Mes chers collègues, il est certain que nous avons bien progressé s’agissant du contrôle et de l’évaluation des lois. Parallèlement, un équilibre doit être recherché entre la volonté réformatrice du Gouvernement, les prérogatives du Parlement et l’attente légitime de nos concitoyens en faveur d’un droit quantitativement raisonnable (Applaudissements au banc des commissions. – Mme la présidente de la commission de la culture et M. Yves Rome applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, à cette heure tardive, on va essayer de faire ni de l’autosatisfaction ni de l’autoflagellation !
Le travail de cette commission est nécessaire, car il permet un certain recul sur la façon dont les lois s’appliquent. Il permet, plus largement, de vérifier si les objectifs que nous poursuivons sont bien atteints ou si d’autres voies plus efficientes pourraient être recherchées.
Un mérite, qui n’est pas des moindres de cette commission, est qu’il nous oblige à porter nous-mêmes un regard critique et autocritique sur notre travail un temps bref après le vote d’une loi. Un zoom, une focale sur le sens de notre travail.
Même si ce n’est pas toujours agréable, on découvre, lors de ce travail de déconstruction d’un texte et de son application, les lacunes initiales, les « pas entendus » ou les « mal entendus » qui, mis bout à bout, peuvent parfois rendre notre travail imparfait malgré les regards bienveillants et experts de nos collaborateurs et la haute qualité des équipes administratives de la Haute Assemblée, que je souhaite saluer ici. Enfin, nos textes sont quelquefois de subtils équilibres qui, à force d’acrobaties, à force de vouloir concilier des injonctions très contradictoires, peuvent parfois confiner à des choses difficilement applicables.
L’autre éclairage précieux de ce travail collectif, associant, comme cela a été dit, des duos hautement improbables aux sensibilités différentes, et l’acquis des tables rondes fort intéressantes, dont on pourra lire le compte rendu dans la publication, est que l’on y découvre, par exemple, les treize étapes qui vont de la loi à son application via un décret en Conseil d’État. Et on peut ainsi identifier les divers blocages potentiels dont l’un des moindres n’est pas, à nos yeux, l’interministériel qui doit faire travailler en commun des cultures administratives très variées et, parfois, contraires. C’est souvent, selon nous, le nœud du problème.
Indépendamment de la grande qualité des personnes, indépendamment de la qualité des formations, la conjonction du nœud interministériel et de certains lobbies, je citerai, à tout hasard, l’Association des énarques ou certains grands corps de l’État, rend parfois extrêmement difficile l’application de certains textes qu’ils sont censés faciliter. Cela reste selon nous un tabou que notre commission gagnerait à explorer utilement.
Tel des Sherlock Holmes, nous, les membres de la commission, traquons les « pertes en ligne ». Nous recherchons, en quelque sorte, les symptômes et causes des limites de notre action, un exercice salutaire mais peut-être périlleux.
Nous votons trop de lois bavardes qui restent parfois caduques, que nous ne savons pas abroger.
Je reprendrai ici, même si elle n’est plus là, l’exemple cité par notre collègue la sénatrice Isabelle Debré lors de notre dernière réunion en commission. Elle évoquait l’exemple d’un texte archaïque, le serpent de mer qui interdit le port du pantalon aux femmes. Le texte en question est une ordonnance, contrairement à ce qui a pu être dit et répété, celle du 16 brumaire an IX, 7 novembre 1800, qui dispose que « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé ».
Le 31 janvier 2013 le ministère des droits des femmes a fait savoir, par un communiqué, que l’ordonnance est « implicitement abrogée ».
Il s’agit, selon nous, d’un commentaire, d’un avis, mais le ministère n’a pas le pouvoir d’abroger ce texte. L’avis rendu s’est borné à constater que l’ordonnance était incompatible avec le préambule de la Constitution de 1946 et qu’elle ne pouvait plus recevoir application. L’abrogation a été implicite, mais elle n’est pas de fait. Car, en droit administratif, l’abrogation explicite devrait être décidée par l’auteur de l’acte, à savoir le préfet de police. Or ce dernier n’a pas encore jugé bon, en 2010, de le faire, arguant, ce qui peut s’entendre, qu’il n’était pas là pour faire de l’archéologie législative.
Dans un registre moins symbolique mais tout aussi important, nous attirons votre attention sur les demandes sans cesse croissantes de nos concitoyens en direction de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, sur les causes de la non-application de lois à travers la demande de documents ponctuels. À cette occasion, j’aimerais nous interroger collectivement sur l’application de la loi de 1978, qui mériterait sans doute d’être revisitée.
Grâce aux nouvelles technologies et à une meilleure information, nos concitoyens connaissent de mieux en mieux les textes, les lois, et leur intolérance est grande face aux lois inappliquées ou inapplicables.
Un autre point à améliorer, qui apparaît en filigrane dans les rapports, est, selon nous, la consultation en amont du travail législatif. Il y a une profusion de consultations ça et là, dans tous les sens, mais il y manque une mise en perspective et, surtout, une lisibilité et une visibilité de toutes ces consultations.
Enfin, – il faudrait vérifier ce chiffre – il se dit que les préfets devraient prendre en compte 80 000 pages de circulaires par an. Comme on a pu l’entendre lors d’une table ronde, on comprendrait presque qu’ils n’en lisent aucune !
Nous ne pouvons, au bout du compte, que saluer le travail de cette commission qui oblige au retour d’expérience, ou « retex », pour reprendre le terme employé dans un ministère, et à plus de transversalité, notamment à travers un travail en commun, « intercommissions ».
La tentation est grande pour le législateur de faire des lois pour montrer qu’il existe. Toute la question, et elle est complexe, est de ne voter que des lois utiles et strictement nécessaires.
Enfin, et en conclusion, il nous semble que l’inégale application des lois sur notre territoire, et donc l’inégalité géographique, est un sujet que nous pourrions creuser. La cartographie permettrait sans doute de dire autrement ce que la mise en mots exprime difficilement. L’étude de cette inégalité territoriale est, selon nous, un enjeu majeur, car il s’agit d’un mal peut-être plus dommageable que la non-application des lois. (Mme la présidente de la commission de la culture, Mme Cécile Cukierman ainsi que M. Luc Carvounas applaudissent.)
(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, messieurs les présidents de commission que je vois nombreux dans cet hémicycle, mes chers collègues, la fonction de contrôle confiée au Parlement s’est affirmée dans le temps. Depuis plusieurs dizaines d’années en effet, nous, parlementaires, sommes conduits à mieux contrôler l’action de l’exécutif et, aujourd’hui, nous nous appliquons à contrôler l’application des lois que nous votons.
Je porterai ici la voix du groupe UMP – c’est la première partie de mon exposé. Je tiens à vous rassurer, monsieur le président : avec votre autorisation, je n’utiliserai pas complètement le temps de parole qui m’est imparti, puisqu’un de mes collègues m’a chargé d’exprimer son point de vue. Je ferai part, dans la seconde partie, d’un certain nombre d’observations personnelles sur le sujet qui nous réunit.
D’abord, je rappelle que, s’il existe une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, c’est parce qu’il y a eu une réforme constitutionnelle en 2008 et que le gouvernement de François Fillon a fait qu’une exigence est apparue, celle de rendre les lois applicables dans un délai de six mois.
J’entends bien – cela a d’ailleurs été exprimé à cette tribune – que ce délai paraît un peu court, et sans doute aussi trop formel. Mais puisqu’il n’est pas forcément respecté, nous pouvons toujours nous en tenir au principe ; l’application suivra...
On peut aborder la question sous l’angle quantitatif. Les statistiques démontrent qu’un effort a été fait depuis plusieurs années par les gouvernements précédents, et par le gouvernement actuel ; encore faudra-il juger l’action de ce dernier dans la durée...
Vous l’avez dit, monsieur le président Assouline, il s’est produit au cours des derniers mois du gouvernement Fillon ce que vous avez appelé un « gonflement » du nombre de décrets d’application, comme si le gouvernement était attaché – selon moi, il l’était fondamentalement – à ce que les lois qui avaient été votées fussent applicables dans des délais compatibles avec l’exercice du mandat dont il disposait.
Vous avez également dit qu’il y avait des lois qui étaient applicables totalement ou partiellement. Je dirai que toutes les lois sont dans ce cas de figure : il suffit de quelques décrets d’application pour qu’elles soient rangées dans la catégorie des lois partiellement applicables.
Sortons à présent de l’analyse quantitative.
Lors d’une réunion que vous avez présidée voilà quelques mois, le Secrétaire général du Gouvernement s’était attaché, afin de répondre à une critique formulée lors d’une précédente séance, un an auparavant, à donner une analyse qualitative des textes réglementaires pris ainsi que des lois votées.
Aujourd’hui, nous devons répondre à un certain nombre de questions touchant, finalement, à l’applicabilité des lois.
Pour qu’une loi soit applicable, il faut d’abord qu’elle soit bonne.
Je siège depuis trop peu de temps dans cette assemblée pour me permettre de porter le moindre jugement sur la qualité des lois que nous votons. On peut toujours s’améliorer et, à cet égard, je formulerai quelques propositions.
Pour rendre les lois plus applicables, nous pouvons tout d’abord faire en sorte qu’elles soient simples. Sur ce point, nos marges de progrès sont considérables.
Bien qu’elle ne concerne pas directement le sujet, vous avez évoqué la question, reprise par plusieurs orateurs, de la simplification des lois existantes et des « coups de balai » qui peuvent être donnés dans le code.
Vous avez jugé avec un peu de sévérité, les uns et les autres, les initiatives prises par Jean-Luc Warsmann, le précédent président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui appartenait à l’ancienne majorité.
Je crois pourtant que son initiative était intéressante. Il proposait un certain nombre de suppressions et de modifications, auxquelles d’autres se sont ajoutées, ce qui est le jeu normal de la discussion parlementaire.
Cet exercice était malgré tout utile. Au final, les quatre lois de simplification votées lors de la précédente législature ont permis de supprimer plusieurs centaines de dispositions complètement obsolètes.
Je me souviens de la première de ces dispositions, qui obligeait les couples désireux de se marier devant M. le maire à présenter un certificat prénuptial. Elle a été ôtée de notre législation, comme tant d’autres devenues parfaitement inutiles.
Certains ont considéré que cette initiative était superflue, qu’elle avait été dévoyée, comme l’avait relevé M. Vidalies lors d’une réunion de la commission. Force est de reconnaître que tout n’était pas forcément rédigé dans les meilleures conditions. Néanmoins c’était utile. D’ailleurs, aucun gouvernement ne s’est privé de présenter des textes portant « diverses dispositions » d’ordre économique, financier, social, ou que sais-je encore, qui sont des fourre-tout nécessaires puisqu’ils permettent de régler un certain nombre de situations.
S’il convient de rendre les lois plus simples, il faut également faire en sorte que le Parlement soit éclairé dans les meilleures conditions.
À cet égard, il existe deux types de rapports : ceux, dont je parlerai dans un instant, qui sont inscrits dans la loi que nous votons, et ceux qui nous sont utiles pour édifier nos convictions et pour, éventuellement, constituer le point de départ d’un projet ou d’une proposition de loi.
Maints exemples montrent qu’un travail mûri par des parlementaires appartenant, l’un, à la majorité et, l’autre, à l’opposition sur des sujets dont nous avons à débattre est une excellente initiative, car cela consolide du point de vue politique une conviction qui peut être partagée, et permet d’avancer sur un terrain qui a été parfaitement balisé.
J’en viens aux rapports qui viennent encombrer les textes. Nous en sommes les responsables ! Nous ne nous privons pas en effet, car tel est notre bon plaisir – et le président Marini a fustigé ces comportements ! –, d’inscrire dans la loi qu’un rapport devra être présenté, qui plus est dans un délai extrêmement court.
Or il s’agit, permettez-moi de vous le dire, d’un travail supplémentaire qui devrait tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution.
Lorsque j’appartenais à l’administration centrale, dans une vie déjà ancienne, je voyais arriver, avec mes collègues, des textes de loi sur lesquels nous devions rédiger des rapports. Pour le fonctionnaire chargé de cette tâche, c’était un travail supplémentaire. Cela entraînait par ailleurs des frais, notamment de publication.
Nous devrions nous raisonner collectivement afin de ne pas tomber dans le piège consistant à se faire plaisir en demandant des rapports à l’administration.
Voilà pour les améliorations à apporter.
J’en arrive à la partie de mon exposé plus personnelle, qui concerne le contrôle de l’application des lois.
On a évoqué les décrets et les arrêtés. Je voudrais, quant à moi, parler des circulaires.
La circulaire, nous le savons, n’a aucune portée juridique. Pour autant, dans les territoires, les régions et les départements, l’administration éclaire ses fonctionnaires et les organismes publics chargés de mettre en œuvre la loi en leur envoyant non pas le texte de la loi, mais une circulaire. Les exemples en sont très nombreux. Vous me permettrez d’en donner quelques-uns, sans retarder l’issue de cette séance et vous ennuyer.
Par souci d’équité, je citerai certains exemples, plus nombreux, qui relèvent de votre responsabilité et d’autres, moins nombreux – en fait, un seul –, qui relèvent de la nôtre.
Lorsque la loi relative à la solidarité et de renouvellement urbain, dite « loi SRU », a été votée, sous le gouvernement Jospin, je siégeais à l’Assemblée nationale. Nous avions alors été nombreux, et le Sénat nous avait soutenu sur ce point, à réclamer davantage de souplesse pour la délivrance des certificats d’urbanisme et des permis de construire en milieu rural. Cette disposition ne correspondait absolument pas au projet de loi. Or nous avons observé, à l’époque, que les services de l’urbanisme avaient commenté non pas la loi qui avait été votée, mais le projet de loi qui avait été présenté, et finalement avaient « pondu » une circulaire disant exactement le contraire de la loi.
Pour corriger cette situation, il a fallu voter une nouvelle loi pour rédiger un texte qui valait suppression de la circulaire, ce qui fut fait après les élections, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il s’agissait de la loi « urbanisme et habitat », dont l’article 33 corrigeait la fameuse circulaire. C’est un premier exemple.
Je prendrai un deuxième exemple, parfaitement scandaleux, cette fois dans notre camp, allais-je dire.
La loi de modernisation de l’économie, dite « loi LME », contenait des dispositions concernant l’urbanisme commercial. Les parlementaires avaient ainsi souhaité, de façon constante, limiter le développement des grandes surfaces à la périphérie des villes.
Au mois d’août suivant, en 2009, le directeur d’une administration centrale a cru pouvoir rédiger une circulaire précisant que, si l’on interprète l’esprit dans lequel la loi a été votée, on peut considérer que les grandes surfaces peuvent augmenter de 1 000 mètres carrés en une seule fois les surfaces dont elles disposent. En l’espace de quelques semaines, 500 000 mètres carrés ont ainsi été construits, sur la base d’un texte qui disait exactement le contraire de la loi !
J’ajoute, pour votre information, que ce directeur a été convoqué devant la commission compétente de l’Assemblée nationale et sans doute aussi devant celle du Sénat, et libéré de ses obligations professionnelles à la fin de cette année-là. Il aurait d’ailleurs pu être traduit devant la Cour de discipline budgétaire et financière, voire devant les tribunaux dans le cadre d’une procédure pénale.
Après qu’un décret eut bloqué le développement sauvage des mètres carrés de grandes surfaces, il a fallu une proposition de loi de Patrick Ollier pour arrêter définitivement le flux créé par cette interprétation non seulement erronée, mais particulièrement déplacée, de la part de l’administration.