compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Jacques Gillot.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Élection des sénateurs
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs (projet n° 377, résultat des travaux de la commission n° 539, rapport n° 538, rapport d’information n° 533).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'heure est matinale mais le sujet, j’imagine, en vaut la peine. (Sourires.)
Voilà maintenant six mois, j’ai présenté pour la première fois devant votre assemblée le projet de loi réformant, notamment, l’élection des conseillers départementaux. J’ai alors pu, comme au long des débats qui ont suivi, vous indiquer quels étaient les principes démocratiques essentiels que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre. La parité et la juste représentation des territoires et des populations s’inscrivent naturellement au premier rang de ces principes d’une démocratie moderne et aboutie.
Ces principes sont au cœur du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. Ce sont eux que nous souhaitons voir davantage respectés dans le mode d’élection des sénateurs.
Hier, pour les élections locales, je vous présentais une loi vraiment novatrice. Aujourd'hui, je vous présente une loi équilibrée, que j’ose qualifier – en pensant aux interventions qui auront sans doute lieu au cours de cette matinée – de modérée…
Alors que nous débutons précisément l’examen de ce texte, je crois utile de clarifier les choses : le Gouvernement est attaché au bicamérisme à la française et aux spécificités du Sénat. Avec ce texte, il s’agit d’approfondir le caractère démocratique de l’élection des sénateurs – et non pas, monsieur Mézard, de révolutionner ce mode de scrutin.
L’essence du bicamérisme réside d’abord – vous le soulignez fort justement dans votre rapport, monsieur Kaltenbach – dans une représentation différenciée de la nation.
Les éléments de cette différentiation, ce sont bien sûr l’élection au scrutin universel indirect et le renouvellement par moitié.
Cette différence entre le Sénat et l’Assemblée nationale tient encore à la lettre de la Constitution de 1958, qui précise que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales » – et je sais que, sur toutes les travées, vous êtes légitimement attachés à ce principe.
Cette différence tient, enfin, au mode de scrutin. Chambre des collectivités, le Sénat est également la chambre de la diversité – diversité des élus, diversité des courants d’opinion. C'est aussi la chambre dans laquelle le fait majoritaire s’applique différemment avec en quelque sorte moins de brutalité – et peut-être, aussi, moins d'efficacité – qu’à l’Assemblée nationale.
Dans les dernières décennies, votre assemblée a su se moderniser, se renouveler, tout en restant fidèle à ses spécificités. C'est d'ailleurs sur votre initiative que la durée du mandat a été réduite de neuf ans à six ans et que le renouvellement s’opère désormais par moitié.
Le projet de loi que je porte aujourd’hui n’entend nullement remettre en cause cette identité du Sénat. D’ailleurs, ce texte ne modifie ou n’ajoute aucune disposition de nature organique.
Non, ce que souhaite le Gouvernement, c’est avant tout conforter la légitimité de la Haute Assemblée à l’égard de nos concitoyens.
Le texte que nous vous présentons, simple et bref, comporte deux séries de dispositions. Il tend d’abord à élargir le collège sénatorial afin d’assurer une meilleure représentation des territoires de notre République et des populations qui la composent. Puis, parce la parité est un impératif démocratique et constitutionnel, ce texte tend à la renforcer au Sénat.
Je vous propose donc aujourd’hui de procéder à ce renforcement. En un peu plus de vingt ans, les progrès de la parité au sein de la Haute Assemblée ont été indéniables. Il faut ici rappeler quelques chiffres : alors que, en 1989, le Sénat ne comptait que 3 % de sénatrices, vous représentez aujourd’hui, mesdames les sénatrices, 22 % de votre assemblée. C’est certes encore insuffisant…
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ça progresse !
M. Manuel Valls, ministre. … mais le progrès est réel.
Bien sûr, l’augmentation du nombre de femmes au Sénat correspond en partie à un mouvement général de la société mais, surtout, à d'indéniables évolutions politiques. Cet impact reste toutefois limité : entre 1989 et 1998, le nombre de sénatrices avait certes doublé, mais pour n’atteindre que 6 % en 1998.
En définitive, le progrès de la parité au Sénat n’a été possible que parce qu’une action volontariste a été menée. Ici comme pour les autres élections, l’action du gouvernement de Lionel Jospin a été, monsieur Mézard, tout à fait déterminante.
Les facteurs de cette progression sont parfaitement identifiés et il faut ici les rappeler. La féminisation du Sénat résulte avant tout de la combinaison des dispositions de deux lois promulguées en 2000.
Il y a d'abord, bien entendu, la loi du 6 juin 2000, qui visait à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Cette loi a traduit, pour le mode de scrutin sénatorial, le principe qui, grâce à l’action conjuguée de Lionel Jospin et de Jacques Chirac, figure depuis 1999 à l’article 1er de notre Constitution : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». L'obligation de présenter des listes paritaires aux élections se déroulant au scrutin proportionnel qui en est résultée a bien sûr permis le progrès de la parité dans notre vie politique.
Au Sénat, cette disposition serait restée insuffisante sans la loi du 10 juillet 2000, qui a abaissé le seuil de l’élection à la représentation proportionnelle. Auparavant, les sénateurs n’étaient élus à la proportionnelle que dans les départements comptant au moins cinq sénateurs. Ce seuil a été abaissé à trois sénateurs.
Cette volonté politique a eu un effet immédiat : en 2001, lors du premier renouvellement suivant l’adoption de ces mesures, la proportion de femmes au Sénat a presque doublé, atteignant 11 % contre 6 % auparavant. L’effet de l’extension de l’élection au scrutin proportionnel est très clair : sur vingt-deux femmes élues cette année-là, vingt l’ont été à la représentation proportionnelle.
Cette dynamique s’est poursuivie pendant dix ans, si bien que la part des sénatrices a quasiment quadruplé entre 2001 et 2011, passant de 6 % à 23,3 %.
Mais aujourd’hui – et vous le soulignez fort justement dans votre rapport d’information, madame Cohen –, cet élan est pour la première fois en voie d’essoufflement. Lors du renouvellement de 2011, pour la première fois, la part des femmes dans la Haute Assemblée a – certes, légèrement – reculé. À la veille du scrutin de 2011, le Sénat comptait quatre-vingts sénatrices. Elles étaient soixante-dix-sept après le renouvellement, alors même que le nombre total de sièges avait, lui, augmenté.
Depuis 2008, la proportion des sénatrices était supérieure à celle des femmes députés, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. Pourtant, l’élection des députés au scrutin majoritaire est moins favorable à la parité que la représentation proportionnelle, même s’il existe des mécanismes d'incitation financière pour les élections législatives.
Le Gouvernement rejoint donc pleinement vos conclusions, madame la rapporteur : il est temps de relancer la dynamique paritaire au Sénat. Comme en 2000, la parité ne sera mieux respectée que si nous faisons preuve de volonté politique.
C’est pourquoi nous vous proposons de ramener, comme cela était prévu par la loi du 10 juillet 2000, le seuil de l’élection à la proportionnelle à trois sénateurs élus dans le département.
Pour les élections sénatoriales, l’élection au scrutin proportionnel reste en effet le meilleur gage d’une parité accrue. Là encore, les chiffres sont sans ambiguïté. Pour le renouvellement de 2011, dans les départements votant à la proportionnelle, presque 35 % des sièges ont été remportés par des femmes. Cette proportion n’est que de 17 % dans les départements votant au scrutin majoritaire.
Très concrètement, le retour au scrutin de liste dans les départements élisant trois sénateurs concernera 75 sièges. Mécaniquement, un plus grand nombre de femmes devrait donc accéder au mandat de sénateur dans ces départements.
Enfin, cette mesure favorisera également la pluralité politique. Je viens de le dire, le Sénat est déjà la chambre où les sensibilités s’expriment le plus. C'est là une richesse parfois difficile, mais toujours stimulante pour un ministre qui se présente à la tribune de la Haute Assemblée avec un texte de loi ; et je ne cache pas mon plaisir, depuis un an, d'être souvent avec vous et d'éprouver cette diversité (Sourires.), laquelle résulte largement de l’élection au scrutin proportionnel de plus de la moitié des sénateurs.
C’est un fait, le scrutin proportionnel favorise cette pluralité des opinions. Dans les départements élisant trois sénateurs, ce mode de scrutin permettra le plus souvent la représentation de deux, voire de trois sensibilités politiques différentes. Demain, cette diversité sera possible dans vingt-cinq départements supplémentaires, si bien qu’elle concernera 255 sénateurs.
Meilleure représentation des femmes, meilleure représentation des courants d’opinion, tout cela serait incomplet si nous ne cherchions pas à mieux représenter les territoires et ceux qui y vivent.
J’ai déjà évoqué l’article 24 de la Constitution. Le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », de toutes les collectivités territoriales. Ces collectivités, ce sont bien sûr des entités juridiques, des élus, ce sont aussi des habitants, dont il faut tenir compte.
Là encore, le constat est, je crois, partagé. La composition du collège électoral qui élit les sénateurs ne tient pas suffisamment compte des grands équilibres démographiques de notre pays.
Les délégués des communes constituent la très grande majorité de ce collège – le Gouvernement n’a pas cru devoir remettre en cause ce principe –, mais les disparités entre les communes elles-mêmes ne permettent plus à ce collège de refléter la réalité du pays.
Pour exemple, plus de deux tiers des délégués municipaux représentent des communes de moins de 10 000 habitants, quand celles-ci ne regroupent que la moitié de la population. Ces disparités sont encore plus sensibles entre les communes les plus peuplées et les communes les moins peuplées. Aujourd’hui, les communes de moins de 500 habitants disposent de deux fois plus de délégués que les communes de plus de 100 000 habitants, alors qu’elles comptent deux fois moins d’habitants.
Un Sénat qui représente les collectivités, c’est un Sénat qui représente la réalité de ces collectivités. Encore une fois, le Gouvernement ne souhaite pas bouleverser le mode de scrutin sénatorial ; il ne souhaite pas bouleverser radicalement les équilibres existants. Non, ce que le Gouvernement souhaite, c’est une meilleure représentation de collectivités, de territoires entiers qui sont aujourd’hui sous-représentés ou mal représentés ; c’est mieux concilier deux principes constitutionnels : la représentation des collectivités et l’égalité du suffrage.
C’est l’objectif de l’article 1er de ce projet de loi qui modifie les règles d’attribution des délégués supplémentaires dans les communes de plus de 30 000 habitants. L’ajustement, très honnêtement, est modeste : il y aura désormais un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants, et non plus par tranche de 1 000 habitants.
Ce rééquilibrage au sein du collège municipal est volontairement limité. Il n’affecte en rien la représentation des territoires les moins peuplés, et je pense ici aux territoires ruraux, auxquels je suis comme vous attaché. Ces communes conserveront le même nombre de délégués, soit environ un pour 227 habitants dans les communes de moins de 500 habitants. En revanche, il est juste, me semble-t-il, d’améliorer la représentativité des communes très peuplées. Dans les communes de plus de 300 000 habitants, cette réforme permettra de passer d’un délégué pour 931 habitants à un délégué pour 760 habitants.
Au total, un peu plus de 3 000 nouveaux délégués supplémentaires seront élus. Ce dispositif constitue, là aussi, une mesure de justice, mais reste raisonnable. La part des délégués supplémentaires dans le total du collège communal n’augmentera que de quelque 2 %, passant de 8,3 % à 10,2 %.
Nous avons souhaité également, dans tous les territoires, garantir la prééminence du nombre de délégués élus communaux sur les délégués supplémentaires. Cette condition a été fixée par le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la loi du 10 juillet 2000 et fait obstacle à une représentation strictement proportionnelle de la population au sein du collège sénatorial.
En l’espèce, la modification que je vous propose aujourd’hui respecte la lettre de la décision du Conseil constitutionnel, et la participation des délégués supplémentaires conserve « un caractère de correction démographique ». L’étude d’impact est d’ailleurs très claire : nous avons procédé à plusieurs simulations, et le Gouvernement a finalement opté pour celle qui préserve le mieux la part des délégués émanant directement des conseils municipaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte constitue, vous le voyez, une évolution de l’élection sénatoriale, dont le principe central est la représentativité : une meilleure représentation des femmes, avec un nouvel élan donné à la parité, une meilleure représentation des territoires et, au final, de nos concitoyens. Une évolution mesurée, dans le respect du Sénat, de ses spécificités, de son identité ; une évolution autour de laquelle, je l’espère, nous parviendrons à nous rejoindre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la représentativité des élus de la République est conditionnée par le mode de scrutin et le collège électoral retenu dans le cadre de leur élection. Il en va de leur légitimité.
Un débat sur un mode de scrutin, s’il intéresse bien sûr les élus et ceux qui aspirent à l’être, doit également être l’occasion de nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie. Il ne s’agit pas d’un débat interne au Sénat ; il s’agit de définir ensemble les conditions dans lesquelles les élus de la Haute Assemblée seront plus représentatifs et plus légitimes pour voter les lois.
Aussi, le législateur, attentif aux évolutions de la société, notamment à ses évolutions démographiques, se doit d’adapter les modes de scrutin et les collèges électoraux afin d’assurer continuellement la meilleure représentativité possible des élus. C’est la fonction attribuée à l’organe représentatif qui guide le choix du mode de scrutin et du collège électoral.
Dès l’origine, la Haute Assemblée a été pensée, par rapport à la chambre basse du Parlement, comme une représentation différenciée de la nation. Attachée au principe du bicamérisme, la commission des lois a d’ailleurs toujours plaidé dans ce sens. Assemblée permanente, le Sénat se compose donc de membres élus au scrutin indirect et ne procède à son renouvellement que partiellement. Un bref aperçu historique nous permet de constater que ce mode de scrutin est relativement stable depuis la IIIe République.
Dès l’instauration, sous la IIIe République, d’un Sénat élu au suffrage universel, les règles électorales relatives à l’élection de ses membres sont, pour l’essentiel, demeurées inchangées. Au début de la IIIe République, le Sénat est composé de 300 membres : 225 sont issus des départements et des colonies et 75 sont sénateurs à vie.
M. Jean-Claude Gaudin. On ne voit plus ça ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Il est vrai que c’est terminé, monsieur Gaudin !
M. Jean-Claude Gaudin. Quel dommage !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Ces derniers sénateurs sont élus d’abord par l’Assemblée nationale, puis directement par le Sénat.
La loi du 9 décembre 1884 met fin à cette pratique et la Haute Assemblée est alors progressivement intégralement élue et non plus cooptée pour partie. Pour la petite histoire, le dernier sénateur inamovible, Émile de Marcère, siégera jusqu’à sa mort, en 1918, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
M. Philippe Dallier. Heureux homme ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Dès l’origine, en 1875, le mode d’élection des sénateurs était double. L’article 4 de la loi du 24 février 1875 prévoyait que « les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie ». Ces principes ont peu évolué, les sénateurs é »tant encore élus, aujourd’hui, au scrutin majoritaire pour certains, au scrutin de liste pour d’autres.
À l’époque, le collègue électoral était composé des députés, des conseillers généraux, des conseillers d’arrondissement et des délégués des conseils municipaux. Les délégués des communes étaient déjà fortement majoritaires au sein du collège électoral, ce qui amènera d’ailleurs Gambetta à déclarer que le Sénat est le « Grand conseil des communes de France ».
Les communes rurales bénéficiaient alors d’une forte représentation par rapport aux communes urbaines, un choix complètement égalitaire – un maire égale une voix – ayant été retenu à l’origine, toutes les communes pesant donc le même poids.
Il a fallu attendre 1884 pour que soit introduite une part de progressivité. La loi du 14 août fera varier le nombre de délégués de deux à trente en fonction du nombre de conseillers municipaux. Ces délégués n’étaient en revanche pas nécessairement des élus municipaux.
Sous la IVe République, un premier projet de constitution, rejeté par référendum, prévoyait la disparition du bicamérisme. Le second projet de constitution conserve une seconde chambre, désormais dénommée « Conseil de la République ».
Jusqu’à la révision constitutionnelle du 7 décembre 1954, même si le Conseil de la République reste marqué par certaines caractéristiques du Sénat de la IIIe République, son rôle est fortement minoré. Son renouvellement s’effectue par moitié, toujours sur la base d’un scrutin indirect. Le mode de scrutin continue à être majoritaire ou proportionnel selon les départements en fonction du nombre de sièges. En outre, le collège électoral varie peu entre la IIIe et la IVe République.
La Ve République va restaurer pleinement la seconde chambre ; celle-ci recouvre ses prérogatives constitutionnelles et législatives. Le bicamérisme « inégalitaire » demeure tout de même, du fait du « dernier mot » octroyé à l’Assemblée nationale et des modalités de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement.
La dualité du mode de scrutin est conservée puisque, dès 1958, l’élection des sénateurs a lieu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans les départements comptant quatre sénateurs ou moins. Dans les autres départements, le scrutin se fait à la représentation proportionnelle.
La loi du 8 juillet 2000, portée par le gouvernement de Lionel Jospin, abaissera l’application du scrutin majoritaire uninominal à deux tours aux départements élisant moins de trois sénateurs. Puis, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons sûrement au cours du débat, la loi du 10 mai 2004 remontera ce seuil à quatre sièges, ce qui est l’état actuel du droit.
Pour ce qui est du collège électoral, la Constitution de la Ve République maintient la présence des députés, ce qui peut d'ailleurs sembler étrange. Comme cela a été relevé en commission, le Sénat représentant les collectivités, pourquoi les députés participent-ils au vote ? En fait, c’est historique. Un amendement adopté en commission prévoit d’ailleurs, au nom de la tradition, de conserver les députés au sein du collège électoral, mais également d’y intégrer les sénateurs. Nous aurons l’occasion d’en débattre en séance publique.
Toutefois, la composition exacte du collège électoral sera modifiée au fil de l’évolution de l’organisation décentralisée de la République. Les conseillers territoriaux seront bien sûr intégrés après leur élection au suffrage universel direct. Les évolutions statutaires de certaines collectivités ont ensuite conduit à des modifications marginales du collège électoral, comme avec l’intégration, en 1999, des conseillers de l’assemblée de Corse pour l’élection au sein des départements corses.
Contrairement au début de la IIIe République, le nombre de délégués des conseils municipaux par commune n’est plus égalitaire. Il tient désormais beaucoup mieux compte de la population des communes. Les délégués sont désignés en fonction de strates démographiques.
Ainsi, lorsque les communes comptent plus de 9 000 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.
Pour les communes qui comptent plus de 30 000 habitants, un correctif démographique est institué par l’article L. 285 du code électoral : des délégués supplémentaires sont élus par le conseil municipal, à raison d’un délégué par tranche de 1 000 habitants.
L’élection des délégués et de leur suppléant connaît également un double mode de scrutin selon la population de la commune : pour les communes élisant le conseil municipal à la proportionnelle, l’élection des délégués se déroule à la proportionnelle ; pour les communes élisant leur conseil municipal au scrutin majoritaire, l’élection des délégués a lieu au scrutin majoritaire. La modification du seuil provoquera bien entendu des modifications du collège des grands électeurs pour les prochaines élections.
J’en viens maintenant à la réforme portée par le Gouvernement, qui a été excellemment présentée par M. le ministre de l’intérieur, Manuel Valls.
Le Gouvernement n’a pas souhaité, par cette réforme, bouleverser les traits fondamentaux et caractéristiques du scrutin sénatorial. J’ai lu dans la presse quelques attaques que je trouve particulièrement caricaturales et qui ne correspondent pas à la réalité de la réforme proposée.
M. Jean-Claude Gaudin. On verra !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. On est très loin du « tripatouillage », du « charcutage », de l’ « équarrissage » ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Ne vous engagez pas trop !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Des termes particulièrement forts ont été employés, et je souhaite ramener les choses à leur juste mesure.
Il s’agit de modifications somme toute modestes (Exclamations sur les travées de l'UMP.) – certains diront même trop modestes (Mêmes mouvements.) –, et vous savez combien le Gouvernement souhaite, sur ces questions, évoluer de manière mesurée en étant à l’écoute des élus, et notamment, bien entendu, des élus de la Haute Assemblée.
D’ailleurs, cela a été dit, le texte ne prévoit aucune modification sur les dispositions organiques relatives au Sénat. Or on aurait pu considérer qu’il y avait là aussi matière à réforme. Je pense notamment au nombre de sénateurs par département.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela viendra !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Nous savons qu’il y a, ici ou là, quelques « bizarreries », pour n’employer que ce mot. Toutefois, dans sa grande sagesse, le Gouvernement n’a pas souhaité ouvrir cette porte et s’en est tenu à des modifications, je l’ai dit, modestes.
Sous la Ve République, lorsque l’on souhaite faire évoluer les modalités d’élection des sénateurs, il est indispensable de concilier deux exigences constitutionnelles. Si la répartition des sièges et la composition du collège électoral des sénateurs sont tenues de respecter le principe d’égalité du suffrage énoncé à l’article 3 de la Constitution, il est impératif de concilier cette exigence avec la fonction que cette même Constitution assigne au Sénat, celle de représentant des collectivités territoriales.
Je sais combien notre collègue Jacques Mézard est attaché à cette exigence, qu’il souhaite voir inscrite dans le texte ; j’espère que son amendement, rectifié et adopté en commission des lois, sera également adopté par la Haute Assemblée, car ce rappel me semble indispensable. (M. Jacques Mézard opine.)
Le Gouvernement a su respecter ces deux exigences, et le projet qui nous est soumis introduit deux mesures. La première concerne la meilleure représentation des populations urbaines.
En effet, dans son article 1er, le texte modifie la composition du collège électoral des sénateurs en augmentant le nombre de délégués supplémentaires pour les communes de plus de 30 000 habitants. La mesure consiste à désigner un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants au lieu de la tranche actuelle de 1 000 habitants. Cette modification demeure, je crois, tout à fait raisonnable : nous allons passer de 151 458 délégués municipaux à 154 633, soit une hausse de 3175 délégués. Cette augmentation extrêmement mesurée n’est pas de nature à bouleverser les grands équilibres d’un collège électoral de plus de 150 000 délégués sauf, peut-être, dans les Bouches-du-Rhône, monsieur Gaudin, où la ville de Marseille aura un avantage certain.
M. Jean-Claude Gaudin. Il y aura plus de délégués du Front national !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Nous sommes globalement parvenus à un équilibre qui, je crois, tient compte du fait urbain et de la nécessité de corriger le déséquilibre existant entre communes rurales et communes urbaines.
L’étude d’impact comporte un excellent tableau qui montre bien l’important avantage octroyé aujourd’hui aux petites communes : en moyenne, dans les communes de moins de 10 000 habitants, un grand électeur va représenter, suivant la strate, 300 ou 400 habitants alors que, dès qu’il s’agit des communes de plus de 20 000 habitants, un grand électeur va représenter plus de 1 000 habitants.
On constate donc que le ratio est très favorable aux petites communes rurales. S’il n’est pas scandaleux d’accorder un tel avantage, encore faut-il que les choses soient un peu mieux équilibrées. Avec la proposition du Gouvernement, ce ratio passerait, dans les communes de plus de 30 000 habitants, à un grand électeur pour 700 habitants. On corrige, on rééquilibre, mais les petites communes restent extrêmement avantagées par le mode de désignation des grands électeurs, car les modifications envisagées ne s’effectuent qu’à la marge.
Actuellement, plus des deux tiers des délégués des conseils municipaux représentent les communes de moins de 10 000 habitants, alors que celles-ci ne regroupent que la moitié de la population.
Tous ceux qui dénoncent une attaque envers le monde rural se trompent. Ce dernier restera de fait mieux représenté, mais un rééquilibrage s’opérera afin de tenir compte de l’augmentation de la population dans les zones urbaines et les villes importantes. En tant qu’élu du bitume et du béton (Sourires.) je ne peux qu’être favorable à une telle mesure qui vise à rééquilibrer le nombre de grands électeurs au profit des communes importantes.
La seconde modification concerne la proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs. Il s’agit des articles 2 et 3 du projet de loi qui modifient la répartition entre le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et le scrutin de liste.
Je crois que la volonté du Gouvernement est claire : en modifiant le seuil de l’application de la proportionnelle, il s’agit de revenir à la loi votée en 2000 sous le gouvernement Jospin. La majorité de gauche fait donc preuve de cohérence en remettant sur la table ce qui avait été détricoté en 2004, de façon que le scrutin proportionnel s’applique dès trois sénateurs.
Comme cela a été dit, un tel système favoriserait la parité. Même s’il y a du mieux, notre marge de progression est en effet encore importante en cette matière, et ce n’est pas Mme Gonthier-Maurin qui me contredira : 22 % de sénatrices, c’est encore largement insuffisant ! Or, nous le savons et le constatons, la proportionnelle favorise la parité.
Un tel système permettrait également une plus grande pluralité au sein de la représentation sénatoriale de certains départements. Aujourd’hui, si 51 % des grands électeurs d’un département élisant trois sénateurs sont d’une même famille politique, ils peuvent emporter les trois sièges. A contrario, la famille politique représentant 49 % des grands électeurs n’aura donc aucun siège. Le dispositif prévu par ce texte permettra de rééquilibrer la représentation sénatoriale des départements dans lesquels les grands électeurs de l’opposition départementale sont en nombre important : ils pourront quand même être représentés par un sénateur, ce qui participera de la pluralité de l’expression politique dans les départements.
Le débat a été bien sûr extrêmement riche en commission des lois. Cette dernière, réunie le 24 avril dernier sous la présidence de Jean-Pierre Sueur, a longtemps débattu du texte mais ne l’a malheureusement pas adopté à l’issue de ses travaux. En application du premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, c’est donc du texte du projet de loi déposé sur le bureau du Sénat par le Gouvernement dont nous débattrons ce jour.
Avant le rejet global du texte le 24 avril, j’avais présenté un amendement intéressant, qui avait été retenu, visant à ce que, dans les départements élisant des sénateurs au scrutin uninominal, on ne puisse plus être candidat directement au second tour sans l’avoir été au premier. D’autres amendements en ce sens ont été redéposés depuis. Je crois en effet indispensable de ne plus autoriser cette bizarrerie, cet anachronisme, qui permet de surgir directement au second tour. D’ailleurs, lors des différentes auditions que j’ai menées en recevant les présidents de tous les groupes de la Haute Assemblée, cette modification a semblé faire l’objet d’un très large consensus.
La commission a réexaminé hier l’ensemble des amendements déposés sur le texte. Là encore, le débat a été riche. Sans entamer la discussion à venir, plusieurs questions ressortent : faut-il extraire les députés du collège électoral des sénateurs ? Les sénateurs doivent-ils être associés à l’élection en tant que membres du collège électoral ? Une autre question délicate tient au vote par procuration, qui a pu conduire parfois à des annulations. Des interrogations ont également vu le jour sur le nombre de suppléants désignés par les conseils municipaux et le nombre de délégués pour la strate des communes comprises entre 3 500 et 10 000 habitants, dans lesquelles certains sénateurs ont relevé des incohérences. Il y a d’autres questions encore s’agissant de la parité sur le ticket, de l’instauration d’un seuil pour le second tour en cas de scrutin uninominal et du laps de temps entre la date limite du dépôt des candidatures et le vote des grands délégués.
Ces différents amendements ne remettent pas en cause la philosophie ni l’architecture générales du texte, mais visent seulement, s’agissant d’aspects techniques, à améliorer le mode d’élection des sénateurs.
Certains, bien sûr, souhaiteraient que cette réforme soit rejetée. Pour ma part, je crois qu’elle va dans le bon sens et qu’elle permettra au Sénat d’être plus représentatif. Et pour être légitime, il faut être plus représentatif, non seulement en tenant compte du fait urbain et de la taille de nos villes, mais aussi en favorisant la parité et le pluralisme politique.
Pour conclure, je tiens à remercier le Gouvernement, le ministre et son cabinet pour la disponibilité dont ils ont su faire preuve tout au long de mon travail.
Je crois, mes chers collègues, que nous avons eu en commission un débat extrêmement riche sur le mode de scrutin de l’élection sénatoriale. Je suis sûr que la discussion en séance publique sera de grande qualité et de haute tenue et que nous saurons améliorer le texte du Gouvernement à la marge,…