M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été très sensible à la brillante intervention de M. Gaudin (Ah ! sur les travées de l'UMP.), étant moi-même né dans le Midi. Marcel Pagnol, la Canebière, la bouillabaisse – notamment électorale ! –, tout cela est très parlant pour moi.
M. André Reichardt. Et le couteau à scalper ?
M. Jean-Pierre Michel. Cependant, monsieur Gaudin, l'humour dont vous avez fait preuve dans votre intervention montre que ce texte ne mérite pas toute l’indignité dont vous le couvrez, même s'il ne faut non plus lui attribuer trop d'honneur ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
En effet, cela a été dit, ce projet de loi est un petit texte, dont l’objet est très limité. Je me bornerai à faire quelques réflexions pour vous exposer la position du groupe socialiste, qui votera bien entendu ce texte.
Tout d'abord, rappelons, comme l’a fait mon excellent collègue Jacques Mézard, que le Sénat ne représente pas seulement les collectivités territoriales de la République. Il est aussi une assemblée politique à part entière qui représente, aux côtés de l'Assemblée nationale, l'ensemble de la Nation,…
M. Bruno Sido. C’est vrai.
M. Jean-Pierre Michel. … même si les modes de scrutin des deux chambres diffèrent.
À ce propos, je souhaiterais vous faire remarquer, madame Lipietz, que c'est dans le texte même de la Constitution qu’il est écrit que le Sénat ne peut pas être élu au suffrage universel direct. Néanmoins, peut-être voudriez-vous que la Constitution soit modifiée,…
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel. … pour que nous passions à une sixième, septième ou huitième République ?
Cela étant dit, le bicamérisme, auquel je suis très attaché,…
M. Christian Cointat. Nous aussi !
M. Jean-Pierre Michel. … tout comme d'autres au sein du groupe socialiste, est le fondement même de notre régime parlementaire, même si, ou peut-être parce que, ce dernier est fortement amoindri par un système plus ou moins présidentiel. Pour reprendre l’expression de Maurice Duverger, nous vivons sous un régime semi-présidentiel, au sein duquel le pouvoir législatif doit peser fortement. C'est ce que nous essayons de faire ici au Sénat.
Depuis le début de la Ve République, notre assemblée a été très longtemps à droite, avant qu’il y ait une légère majorité de gauche.
M. Bruno Sido. Très légère !
M. Jean-Pierre Michel. Dans tous les cas, elle a toujours essayé de faire entendre sa voix, qui est celle des territoires qui nous élisent, certes, mais aussi de l'ensemble du peuple français, avec une tonalité quelque peu différente de celle de nos collègues de l'assemblée nationale. Nous sommes élus différemment : les élections sénatoriales n’interviennent pas juste après l’élection présidentielle, laquelle affecte forcément les élections législatives. Nous sommes par conséquent peut-être plus libres et plus dégagés des contraintes ou des règles de nos différentes formations politiques.
Je le fais remarquer pour m'en réjouir, ce projet de loi ne prévoit aucune modification des dispositions organiques régissant notre assemblée. Certains, à droite comme à gauche, y avaient pensé. À droite, le fils même d'un ancien président de la Haute Assemblée l'avait suggéré à un Président de la République, et l’on connaît le sort réservé au référendum de 1969, qui prévoyait purement et simplement la dissolution du Sénat dans un ensemble hétéroclite dans lequel les élus n'auraient eu que peu de place et de pouvoir. Quant au Président de la République en question, il a démissionné immédiatement après cet échec.
Le Sénat reste donc ce qu'il est. Le Gouvernement et sa majorité affirment que notre assemblée a toute sa place dans le bicamérisme et qu'il doit continuer à légiférer.
D'ailleurs, lorsqu'on a été dans un premier temps député avant de devenir sénateur, comme c'est le cas d’un certain nombre de mes collègues ici, dont M. Jean-Claude Gaudin, on apprécie d’autant mieux l'apport du Sénat au travail législatif. Par rapport à nos collègues de l'Assemblée nationale, non seulement nous sommes, comme je le disais, un peu plus libres de nos réflexions, mais nous avons également davantage d’expérience et d’expertise – je le dis comme je le pense et comme je l'ai vécu. Cela tient au mode d'élection et, il faut le dire, à la durée et aux modalités de renouvellement de notre mandat.
Si l'on compare la situation des sénateurs à celle des députés, l’on s'aperçoit que le rythme de renouvellement du mandat des députés est beaucoup plus rapide que le nôtre. Ainsi, certains sénateurs, de tous bords politiques, sont des experts reconnus dans un certain nombre de matières, parfois d'ailleurs sur de créneaux très étroits, auxquelles ils apportent tout leur savoir. On pense naturellement aux questions relatives aux collectivités territoriales, mais il y en a bien d'autres, comme on le constate à la commission des lois ou dans d’autres commissions. Fort heureusement, le projet de loi n’apporte aucun changement sur ce point, auquel nous sommes très attachés.
Je ne m’étendrai pas sur ce texte, qui tend à apporter, cela a été dit, deux modifications mineures.
La première consiste à abaisser le seuil de la proportionnelle aux départements qui élisent trois sénateurs. L’objectif n’est pas de renforcer la parité parce que, d’une part, il faudrait pour cela beaucoup plus de temps, et, d’autre part, je ne sais pas si la parité implique forcément une répartition à 50-50.
Mme Isabelle Debré. La parité n’est pas un alibi !
M. Jean-Louis Carrère. À l’UMP, ils présentent deux listes pour éviter les femmes !
M. Jean-Pierre Michel. Il s'agit de renforcer la place des femmes au Sénat. C'est une très bonne chose quand on voit l'apport des femmes à la vie politique, non seulement dans les assemblées parlementaires, mais aussi, et surtout – car c'est là qu’elles sont les plus nombreuses –, au sein des assemblées territoriales, qu’il s’agisse des conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants ou des conseils régionaux. Et il en ira de même, demain, dans les conseils généraux, grâce à une réforme qui fut fortement décriée, mais qui a été totalement validée par le Conseil constitutionnel.
M. Bruno Sido. Pas entièrement !
M. Jean-Pierre Michel. Nous ne pouvons qu’être satisfaits de cette première modification. La seconde porte sur le collège des grands électeurs dans les communes de plus de 30 000 habitants.
Pour ma part, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin, que l’on n’ait pas traité la question de la représentation des communes rurales. Lorsque l’on examine combien un grand électeur représente d’électeurs, on s'aperçoit de la très grande inégalité des situations et de la très grande discrimination dont souffrent un certain nombre de communes rurales. Moi qui suis élu d'un département qui n'a pas de communes de plus de 15 000 habitants, je vois bien qu'un élu d'une commune de 30 000 habitants représente 300 habitants, alors que, par exemple, un élu d’une commune de 500 habitants représente tous ses mandants. On aurait donc dû revoir totalement l'échelle de la représentation, pour la rééquilibrer.
Mon groupe n’a pas exprimé de position sur ce point, mais, à titre personnel, j’estime que le rééquilibrage devrait passer par une meilleure représentation des autres élus territoriaux, qui doivent participer, comme le prévoit la Constitution, au collège électoral sénatorial. Je veux parler des élus du conseil départemental – la nouvelle appellation du conseil général – et du conseil régional, qui sont aujourd'hui vraiment très minoritaires dans le collège électoral.
On nous rétorque qu'il faut prendre en compte la décision du Conseil constitutionnel. Toutefois, celui-ci a simplement demandé que la part des élus locaux dans le collège sénatorial soit prépondérante. Supposons que l’on mette en place une proportionnelle intégrale pour les villes de 100 000 habitants et plus. Cela donnerait à Marseille une centaine de grands électeurs ou plus, si bien que, fatalement, la majorité de ces grands électeurs ne seraient pas membres du conseil municipal, ni même des conseils d’arrondissement. C’est tout ce qu’a dit le Conseil constitutionnel !
En fixant un certain plafond, qui aurait pu être de 10 % du collège électoral dans tel ou tel département, on aurait donc pu – et, à mon avis, on aurait dû, monsieur le ministre – prévoir une meilleure représentation des conseils généraux et des conseils régionaux. Cela n’a pas été fait et, pour ma part, je le regrette.
Au terme de ces quelques observations, je veux souligner que le groupe socialiste votera, bien entendu, ce projet de loi dans son intégralité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Je serai bref, car la discussion des articles et des motions de procédure nous permettra de revenir sur un certain nombre d’arguments.
Je remercie M. le rapporteur des justes rappels historiques et juridiques qu’il a bien voulu présenter sur un ton dépassionné. Je partage, comme je l’avais déjà dit, l’objectif de progression de la parité rappelé par Mme la rapporteuse…
Mme Catherine Procaccia. « Rapporteuse » ! Ce n’est pas beau !
Mme Isabelle Debré. On ne dit pas cela ici !
Mme Éliane Assassi. Si, on peut le dire !
M. Manuel Valls, ministre. Moi, je le dis, madame Debré ! C’est ainsi. Souffrez-le pendant deux secondes.
Je salue la détermination de Mme Assassi, sénatrice et présidente du groupe CRC. Je connais son engagement pour le bicamérisme. Je connais aussi son volontarisme, dont elle nous a fait part avec l’enthousiasme qu’on lui connaît.
À M. Détraigne, je rappelle que le principe de base de la démocratie, c’est que la majorité l’emporte sur la minorité. Je lui rappelle aussi la loi de 2003, qui revenait sur celle de 2000, laquelle avait déjà étendu la proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs. En l’occurrence, je le reconnais, il y a débat au sein du Sénat entre la gauche et la droite sur cette question.
M. Mézard, avec son talent habituel, même s’il n’a pas rappelé cette fois-ci Clemenceau, qui fut membre de cette assemblée, a témoigné à nouveau de son engagement radical pour la tradition républicaine ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur, vous avez souligné, avec raison, que ce projet est modéré – Jean-Pierre Michel vient de le rappeler lui aussi. Vous avez eu raison également de mentionner le rapport, auquel vous vous référez souvent, d’ailleurs, de la commission présidée par Lionel Jospin. Celle-ci proposait des réformes du mode de scrutin du Sénat beaucoup plus ambitieuses, si on veut être tout à fait juste.
Vous avez également rappelé avec justesse le caractère « exotique » des mesures qui ont permis de créer un siège de sénateur à Saint-Martin, élu par 24 électeurs au total,…
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Manuel Valls, ministre. … et un siège à Saint-Barthélemy, pour seulement 20 électeurs. Monsieur Gaudin, cela aussi, vous auriez pu le rappeler !
Je tiens, enfin, à vous rassurer, monsieur Mézard, en vous confirmant que ce texte n’affecte pas les petites communes.
Je remercie le sénateur Masson d’apporter son soutien au dispositif le plus important du texte de loi. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Mme Isabelle Debré. Il n’est plus là !
M. Bruno Sido. Il ne représente que lui-même !
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Gaudin, je viens au Sénat pour y présenter des textes importants, c’est certain. C’est le cas, comme vous l’avez rappelé, du texte concernant le terrorisme. Je me situe là dans la continuité du sénateur Michel Mercier, avec lequel j’ai parlé hier à Lyon, notamment sur la retenue de seize heures. Nous devons, en effet, prendre des dispositions qui n’avaient pas été anticipées par le gouvernement précédent.
Je suis évidemment présent sur le terrain. Vous le rappelez avec malice, je suis souvent à Marseille, mais je ne me rends pas seulement dans cette ville. Je me déplace pour des sujets sérieux, qui nécessitent de s’unir et de se rassembler, puisqu’il s’agit de s’attaquer à la violence et à la délinquance. Les résultats sont présents, ils vont vous surprendre ! Et cela même si notre société reste, malheureusement, fracturée par ces questions.
Il m’arrive, en effet, de présenter ici des textes d’une tonalité différente, qui concernent, par exemple, les modes de scrutin. Je vous retrouverai d'ailleurs avec plaisir dans quelques semaines pour débattre du non-cumul des mandats. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Ce sera dur !
M. Roger Karoutchi. Un grand moment en perspective !
M. Manuel Valls, ministre. Et je ne doute pas que j’aurai un grand succès d’estime. Je me prépare, tout d’abord, à la discussion devant l’Assemblée nationale. Après quoi, je prendrai cet été quelque repos, dont je ne doute pas qu’il me sera nécessaire avant de vous affronter sur cette question. (Sourires.)
Cependant, monsieur Gaudin, n’ayons pas, au-delà de votre talent de conteur, une mémoire politique sélective. Dans l’histoire de la Ve République, je ne crois pas que ce soit Lionel Jospin qui se soit le plus violemment attaqué au Sénat ! À mon sens, c’était le général de Gaulle, en 1969.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne lui a pas réussi !
M. Manuel Valls, ministre. En effet ! Et je sais dans quel camp vous vous situiez alors.
J’en viens au seuil de la proportionnelle. Faut-il le fixer à trois ? Honnêtement, il n’y a pas de vérité arithmétique pour la droite comme pour la gauche.
Vous le savez bien, le Sénat serait peut-être resté à droite en 2011 si vous n’aviez pas remonté le seuil de la proportionnelle à quatre sénateurs. La représentation du Morbihan, de l’Indre et de la Loire aurait été davantage partagée. De ce point de vue, je le rappelle, ce n’est pas un mode de scrutin qui change la volonté des électeurs ou des grands électeurs. Il faut être prudent de ce point de vue.
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes victimes du sectarisme idéologique !
M. Jean-Claude Gaudin. Pas dans les Landes !
M. Manuel Valls, ministre. Quant aux modes de scrutin qui concernent Paris, Lyon ou Marseille, vous auriez pu les modifier quand vous aviez la majorité, et vous l’avez fait d’ailleurs pour d’autres élections. Vous veillez sur Marseille, la ville dont vous êtes le maire, et c’est bien normal.
Je le répète, si vous aviez voulu changer des modes de scrutin, vous auriez pu le faire pendant les dix ans au cours desquels vous avez exercé le pouvoir. Vous l’avez fait pour ce qui concerne le redécoupage des circonscriptions législatives, pas toujours avec le sens de l’équilibre et de la justesse, d'ailleurs. Cela n’a pas changé le choix des électeurs !
En tout cas, je veux vous le dire une nouvelle fois, ce texte est modéré. Outre qu’il ne touche pas la représentation des communes rurales, il peut rééquilibrer à la marge, et c’est l’essentiel, au profit des électeurs des villes pour réduire les inégalités de représentation, tout en gardant ce qui fait la représentation du monde rural ici, au Sénat.
Enfin, je vous réponds de manière très claire sur un point que vous avez abordé. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à nombre d’entre vous, puisque ce texte concerne le Sénat, il doit trouver une majorité à la Haute Assemblée. Si tel n’est pas le cas, cela posera incontestablement un problème. S’il y a une majorité au Sénat, cette réforme sera pleinement légitime, et je ne doute pas que vous l’admettrez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Zocchetto, Maurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, d'une motion n°36.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Hervé Maurey, pour la motion.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, le groupe UDI-UC se situe dans l’opposition, mais dans une opposition constructive.
Nous n’étions pas des godillots dans la précédente majorité, et je crois l’avoir prouvé. Nous ne sommes pas davantage aujourd’hui dans une confrontation de principe avec l’actuelle majorité et le Gouvernement.
Chaque fois que le Gouvernement s’est présenté devant la Haute Assemblée avec des projets répondant à l’intérêt général, nous les avons approuvés, sans dogmatisme, et nous l’assumons. C’est ainsi que nous avons majoritairement voté le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité et, vous devez vous en souvenir, monsieur le ministre, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, quand vos partenaires vous faisaient cruellement défaut.
Si certaines initiatives du Gouvernement peuvent être soutenues, d’autres, en revanche, doivent être combattues.
C’est le sens de la présente motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi modifiant le mode de scrutin des sénateurs. Il constitue, en effet, une initiative que nous jugeons inopportune, inadaptée et dangereuse.
Elle est inopportune, car, depuis désormais plus d’un an que vous êtes aux responsabilités, monsieur le ministre, votre bilan est lourd, très lourd même !
Il y a, tout d’abord, la récession économique, quand vous nous promettiez la croissance, et la hausse du chômage, qui a connu un record historique avec 40 000 nouveaux chômeurs en mai 2013 – c’est du jamais vu, alors que le Président de la République avait promis que, « lui président », l’emploi serait sa priorité !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. C’est sa priorité !
M. Hervé Maurey. Il y a, ensuite, la baisse du pouvoir d’achat. Elle aussi connaît des records, et elle s’explique notamment par une hausse de la fiscalité qui relève tout autant de l’exploit, puisqu’elle dépasse 33 milliards d’euros en plus d’un an !
Il y a, enfin, une insécurité qui progresse nettement depuis mai 2012, monsieur le ministre de l’intérieur.
Le 24 avril dernier, à l’issue du vote du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Président de la République indiquait que « tout maintenant doit être consacré à ce qui est l’essentiel : la réussite économique de notre pays et la cohésion nationale ». Nous nous sommes réjouis de cette déclaration. Pensez donc, le Gouvernement allait enfin s’attaquer aux problèmes des Français !
Hélas, il n’en est rien ! Nous le constatons aujourd’hui, puisque, malgré cette déclaration, vous êtes ici pour un énième texte de tripatouillage électoral.
Quelle différence entre les propos du Président de la République et la réalité qui vous conduit, une fois de plus, dans une démarche de politique politicienne, à vouloir sauver les meubles en changeant le mode de scrutin sénatorial pour tenter d’échapper à la sanction des élus.
Vous qui ne vous cachez pas d’avoir de grandes ambitions, et c’est très bien, soyez heureux, monsieur le ministre, vous êtes déjà entré dans l’histoire comme celui qui aura modifié le plus de modes de scrutin en un temps record !
Vous avez modifié le mode de scrutin pour les élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants et le mode de scrutin désignant les conseillers communautaires.
Vous avez créé un scrutin unique au monde, le scrutin binominal pour l’élection des conseillers départementaux.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. C’est un ministre actif et dynamique !
M. Hervé Maurey. Naturellement, vous avez pris soin de figer une partie du collège électoral en décalant l’élection départementale et l’élection régionale, qui interviendront après les élections sénatoriales.
Vous avez modifié le mode de scrutin des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Mme Nathalie Goulet. Pas assez !
M. Hervé Maurey. Et aujourd’hui, vous vous attaquez au mode de scrutin pour l’élection des sénateurs.
Alors que vous nous aviez fait l’éloge du scrutin majoritaire lors de l’adoption du scrutin binominal, voilà que vous voulez renforcer le poids de la proportionnelle pour l’élection des sénateurs. C’est à n’y rien comprendre !
Il y a pourtant déjà plus de la moitié des sénateurs qui sont élus au scrutin proportionnel. Il y en aurait près des trois quarts – 73,7 % – si ce projet de loi était adopté.
Il est tout de même curieux que, selon l’élection dont il s’agit, vous vous fassiez le défenseur de modes de scrutin tout à fait différents. Quelle est la logique, si ce n’est celle de vos calculs et de vos intérêts partisans ?
Quand donc le Gouvernement consacrera-t-il enfin son temps, son énergie et celle des parlementaires aux réformes dont notre pays a vraiment besoin ? Quand donc s’attaquera-t-il vraiment aux problèmes des Français ?
Cette réforme n’est pas seulement inopportune, elle est également inadaptée. Si j’en crois l’exposé des motifs de votre projet de loi et les propos que vous avez tenus ce matin, monsieur le ministre, ce texte vise deux objectifs.
Le premier serait, d’après l’étude d’impact, de « permettre une meilleure représentation des communes urbaines », ce qui témoigne, une fois de plus, et j’y reviendrai, de votre volonté de réduire le rôle de la ruralité, y compris dans cette assemblée représentative des collectivités locales.
Le second objectif, que nous partageons, serait de « renforcer la parité au sein du Sénat ». La parité me semble vraiment ici une noble cause qui sert de prétexte à de bien tristes manœuvres politiques !
L’étude d’impact que vous nous avez présentée, monsieur le ministre, me semble tirer des conclusions un peu hâtives. Vous nous y expliquez que, grâce à l’abaissement du seuil de la proportionnelle de quatre à trois sénateurs, « mécaniquement, un nombre plus important de femmes devrait accéder au mandat de sénateur ». Or rien ne le prouve !
En effet, plus la proportionnelle est appliquée à un nombre réduit de postes à pourvoir, moins elle est à même de répondre aux objectifs de pluralisme et de parité.
Au vu du seul exemple dont nous disposons, les élections de 2001, où dix départements ont élu leurs trois sénateurs à la proportionnelle, on observe que, dans seulement trois départements sur dix, une liste a remporté deux sièges. Cela signifie que, dans les sept autres, la proportionnelle s’est révélée de fait un scrutin majoritaire à un tour. Dans ces dix départements, six sénatrices ont été élues sur les trente sièges à pourvoir, soit 20 % de femmes.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. De quoi vous plaignez-vous ?
M. Hervé Maurey. En 2011, toutes nos collègues qui avaient été élues en 2001 et dont le département avait changé de mode de scrutin ont été réélues au scrutin majoritaire, ce qui prouve que nos collègues de sexe féminin n’ont pas besoin de scrutin ad hoc pour être élues !
J’ajoute que, en 2011, quelque 20,8 % des sièges à pourvoir ont été attribués à des sénatrices, c’est-à-dire plus qu’en 2001 à la proportionnelle.
Mme Isabelle Pasquet. Ce n’est pas scientifique !
M. Hervé Maurey. Où est donc l’effet mécanique ?
Mme Éliane Assassi. N’importe quoi !
M. Hervé Maurey. À cette échelle, il n’y en a pas : comme je viens de le montrer, les effets à attendre sur la parité sont nuls, et je regrette que l’étude d’impact soit à ce sujet bien silencieuse, pour ne pas dire trompeuse.
Dans son rapport établi au nom de la délégation aux droits des femmes, Laurence Cohen l’avoue à demi-mot : « Même s’il concerne un assez grand nombre de sièges, [l’abaissement du seuil] n’aura pas nécessairement un effet aussi prononcé sur la parité ».
Pour renforcer la parité, il serait certainement plus adapté de rendre obligatoire le choix d’un suppléant de sexe différent, comme de nombreux collègues l’ont suggéré lors des débats en commission et comme le proposent les membres de la délégation aux droits des femmes.
M. Jean-Louis Carrère. La parité pour les suppléants ? C'est n'importe quoi !
M. Hervé Maurey. Je rappelle, car vous le savez déjà, monsieur le ministre, que c’est non pas au Sénat, mais à l'Assemblée nationale, où le scrutin est pourtant uniquement majoritaire, que l’on compte le plus grand nombre de femmes.
Monsieur le ministre, vous avez précisé ce matin que ce projet de loi favoriserait le pluralisme en évitant la représentation politique uniforme d’un département.
M. Jean-Louis Carrère. Absolument !
M. Hervé Maurey. Je vous fais cependant remarquer que, sur vingt-cinq départements élisant aujourd’hui trois sénateurs, seuls sept ont une représentation monocolore.
En outre, dans plus d’un département sur trois, les grands électeurs sont représentés par des sénateurs de la majorité et de l’opposition. C'est le cas dans l’Ain, dans l’Aisne, en Côte-d’Or, dont je salue l'un des représentants ici présent, dans le Doubs, dans le Gard, dans le Loiret, dans la Manche, dans les Pyrénées-Atlantiques et dans le Vaucluse.
M. Jean-Louis Carrère. Grâce à ce texte, ce sera encore mieux !
M. Hervé Maurey. Cela montre bien que le scrutin majoritaire, tel qu’il est appliqué pour les élections sénatoriales et qui est le même que pour les élections municipales dans les petites communes, est un scrutin de liberté : liberté pour les candidats de se présenter seuls ou en liste, que celle-ci soit complète ou incomplète ; liberté pour les grands électeurs qui peuvent ainsi panacher et exprimer dans un même vote leur attachement à une famille politique et la reconnaissance du travail accompli par un élu.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Hervé Maurey. Je souligne d’ailleurs que les élus locaux sont très attachés à ce mode de scrutin et qu’ils n’apprécient pas votre volonté de le changer.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Hervé Maurey. Certains élus de l’Eure qui se trouvent dans les tribunes pourraient vous le confirmer.
Plus grave encore, cette réforme est dangereuse, car elle est de nature à remettre en cause l’identité même de la Haute Assemblée.
Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement, puisque votre réforme s’inspire du rapport de M. Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique » ? Je rappelle que M. Jospin a déjà tenté, lorsqu’il était Premier ministre, de modifier les règles relatives à la désignation des sénateurs dans des conditions telles qu’elles entraînèrent – fort heureusement, d'ailleurs – la censure du Conseil constitutionnel.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez ce matin voulu être rassurants. Vous avez rappelé votre attachement au bicamérisme.