M. Claude Haut, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République traduit l’engagement du Gouvernement de faire de l’éducation nationale l’une des priorités du nouveau quinquennat, en consacrant les moyens financiers et humains nécessaires au premier des services publics de la République française.
La commission des finances du Sénat a souhaité se saisir du texte pour avis, notamment sur les articles relatifs à la création de postes dans l’éducation nationale, ainsi que sur toutes les dispositions qui concernent les finances des collectivités locales.
Pierre angulaire de la refondation de l’école de la République, le rétablissement dans l’enseignement de 60 000 postes supprimés par l’ancienne majorité était au cœur de la campagne du candidat François Hollande : le présent projet de loi traduit cet engagement, le déclinant pour la première fois par catégorie de postes et ciblant des territoires prioritaires, tout en définissant les objectifs et le cadre d’une ambition nouvelle pour l’école.
Dans un contexte particulièrement contraint pour les finances publiques, les choix opérés au bénéfice de l’éducation nationale résultent d’arbitrages au sein d’une enveloppe budgétaire fermée : la stabilisation, d’une part, des dépenses de l’État sous les doubles normes « zéro volume » et « zéro valeur » et, d’autre part, des effectifs, signifie que l’effort accompli dans le domaine de l’enseignement est compensé par des économies équivalentes au sein du budget de l’État, suivant les principes fixés par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.
Alors que les crédits de l’ensemble des missions du budget général hors charges de la dette et pensions sont stabilisés en valeur et devraient être révisés à la baisse, la loi de programmation des finances publiques a prévu une augmentation des crédits de la mission « Enseignement scolaire » de 1,18 milliard d’euros en 2015 par rapport à la loi de finances initiale pour 2012. La mission enregistre la deuxième plus importante hausse des crédits sur la période du budget triennal 2013-2015, après la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
S’agissant des mesures ayant un impact budgétaire sur les finances de l’État, le rapport annexé au projet de loi détaille la programmation des 60 000 emplois devant être créés dans l’enseignement au cours de la législature.
Sur ce total de 60 000 postes, 54 000 emplois seront créés au ministère de l’éducation nationale, 5 000 au ministère de l’enseignement supérieur et 1 000 au ministère de l’agriculture au titre de l’enseignement technique agricole.
La réforme de la formation initiale représentera la moitié des créations d’emplois dans l’éducation nationale, soit 27 000 postes sur un total de 54 000. À ces créations de 27 000 postes s’ajoutent 27 000 autres postes, répartis entre 21 000 nouveaux postes d’enseignant titulaire, dont 14 000 dans le premier degré et 7 000 dans le second degré, et 6 000 postes supplémentaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, la prévention et la sécurité, le suivi médical et social, l’amélioration du pilotage des établissements et des services académiques.
En particulier, 3 000 nouveaux postes permettront d’améliorer la scolarisation des enfants de moins de trois ans. La répartition des postes devra être déclinée par académie, mais elle devra veiller en priorité à réduire les inégalités territoriales et se concentrer sur les zones les plus fragiles. L’objectif d’amélioration du remplacement figure explicitement parmi les créations de postes du premier degré.
La commission des finances a adopté, sur ma proposition, un amendement, que je présenterai en séance publique, pour compenser également les suppressions de postes de remplaçants dans le deuxième degré. Cette difficulté nous est souvent rappelée dans nos territoires.
C’est donc bien l’ensemble des personnels d’éducation qui bénéficieront d’un renforcement de leurs effectifs, une priorité étant accordée à l’enseignement primaire, car il a été montré que c’est dès le plus jeune âge qu’il faut assurer un même accueil des enfants pour empêcher que ne se développent les inégalités sociales.
La commission des finances a également examiné les dispositions ayant un impact sur les finances des collectivités territoriales, qui sont des partenaires à part entière de la refondation de l’école.
Tout d’abord, les articles 12, 13 et 14 du projet de loi sont relatifs à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités en ce qui concerne l’acquisition et la maintenance des équipements informatiques dans les collèges et les lycées.
D’un point de vue juridique, cette répartition des compétences est aujourd’hui ambiguë. La commission des finances estime que le Gouvernement devra apporter des éclaircissements en séance publique. Lors du débat, je reviendrai, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les différentes interprétations dont nous ont fait part, en particulier, les associations d’élus.
Par ailleurs, l’article 47 crée un fonds d’amorçage, temporaire, destiné à aider les collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires. Au cours des auditions que j’ai menées ou à la lecture des contributions écrites que j’ai reçues, il est apparu clairement que l’ensemble des associations d’élus ont apporté leur soutien au principe même de la réforme, en reconnaissant l’amélioration des conditions d’enseignement qu’elle permettra.
Les auditions ont toutefois fait ressortir des obstacles liés à des difficultés pratiques d’organisation, à des contraintes d’un calendrier qui a semblé trop serré à certains élus ou encore et surtout à des raisons financières. Afin de consolider juridiquement le dispositif, la commission de la culture, sur l’initiative de la commission des finances, a inscrit dans le texte du projet de loi le montant des aides annoncées pour les collectivités territoriales.
Cette disposition offrira aux collectivités concernées une certaine garantie quant aux montants qu’elles percevront, étant entendu que cette aide a pu constituer un facteur important dans leur décision de mettre en œuvre la réforme dès la rentrée 2013.
Pour autant, le décret d’application soulève plusieurs difficultés sur lesquelles j’entends revenir en séance publique. Ces difficultés, auxquelles le Gouvernement a en partie apporté une réponse, portent sur les EPCI dotés de la compétence en matière d’éducation, qui toucheront la majoration du fait d’une ou plusieurs communes éligibles en leur sein, sur la question de l’année d’éligibilité à la DSU-cible ou à la DSR-cible prise en compte. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, en évoquant également la question, cruciale, du financement du fonds.
Enfin, j’ai souhaité saisir l’occasion que présentait ce texte – mais à mon grand regret, je n’ai pas été suivi par la commission de la culture –, pour traiter du sujet des normes applicables aux collectivités territoriales. Il s’agit d’un enjeu financier important. Les normes nouvelles pèseront en effet sur le budget des collectivités, à hauteur de 1,8 milliard d’euros environ en 2014.
Je vous proposerai ainsi trois amendements – mais j’ai cru comprendre que je ne serai pas suivi – qui s’inspirent d’une proposition du rapport de notre collègue Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Que ce soit dans les communes, les départements ou les régions, lorsque des établissements mettent à disposition certains équipements, il me semble plus cohérent de raisonner par année plutôt que de faire examiner chaque demande au cas par cas par le conseil d’administration des établissements.
Telles sont, monsieur le ministre, les principales observations de la commission des finances, sous le bénéfice desquelles elle a proposé au Sénat l’adoption du présent projet de loi.
Si des éclaircissements nous semblent nécessaires, ce texte, perfectible, n’en marque pas moins une étape décisive dans l’ambition de refonder l’école de la République, en restituant au service public de l’éducation les moyens nécessaires à son fonctionnement. C’est un enjeu majeur qu’il nous faut relever : nous ne devons plus accepter que des enfants et des jeunes sortent du système scolaire sans qualification et sans perspectives. C’est à nous, législateur, à nous, parlementaires, de faire de l’éducation et de la formation les pierres angulaires d’une société plus solidaire, qui refuse la fatalité de la reproduction des inégalités scolaires, sociales et territoriales. Tel est le chantier qui s’ouvre à nous : nous vous soutiendrons dans cette tâche, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, dans un contexte difficile, socialement et budgétairement, au cours d’une session chargée, parfois bousculée par l’ordre du jour ou des contretemps inédits, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour la façon dont ce texte arrive en discussion au Parlement.
Le présent projet de loi répond à une nécessité et à une priorité que nous avons tous au cœur : l’éducation. Il prend en compte les mutations à l’œuvre, prévoit l’innovation pédagogique, s’inscrit dans la société numérique. Il répare la disparition coupable de la formation professionnelle des enseignants. Il est amené dans le respect de la démocratie, en navette entière, avec une rédaction fidèle à ce que vous aviez dessiné à grands traits dès le mois de juillet. Enfin, il est accompagné de moyens qui rendent tout à fait crédibles les propositions qu’il comporte.
Voilà pour l’expression de notre satisfaction.
En commission, nous avons, vous le verrez, pris toute notre part du travail, et j’en remercie en votre présence, la rapporteure, Françoise Cartron. Mes remerciements vont aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont enrichi de leurs travaux la réflexion, la vôtre, madame, sur la carte scolaire, celle de Brigitte Gonthier-Maurin sur le métier d’enseignant. Je remercie enfin le groupe de Jacques-Bernard Magner sur le prérecrutement, tous les membres de la commission pour leur intérêt et leur assiduité, leurs déplacements sur le terrain, et bien sûr les administrateurs, dont les week-ends n’ont pas été épargnés par le calendrier…
C’est parce que chacun, au Gouvernement comme au Parlement, s’est engagé pour la réussite de ce texte qu’il est souhaitable que ne soient pas ici détricotées des avancées significatives.
Il est d’usage, et de bonne utilité pour certaines cohérences ou conformités législatives, que, sur l’initiative du Gouvernement, et dans un souci partagé de réalisme, soient réparés des oublis, voire modérés des excès. Toutefois, il serait contre-productif que disparaissent des apports exigeants, nourris d’observations actualisées. De même, une plus grande fidélité à la rédaction d’une plume experte du ministère ne saurait, par la voie d’un amendement, spolier le Parlement de son apport contributif. Le prix symbolique serait trop fort. Monsieur le ministre, vous venez de le déclarer, on est intelligent à plusieurs.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Je reprends donc espoir ! (Sourires.)
Voilà pour notre sensibilité à la démocratie parlementaire.
Enfin, je souhaite me faire l’écho des questions qui accompagnent le changement.
Ce qui fut fait avant la loi, et qui est peu évoqué – le temps scolaire et le temps d’ouverture dans l’école – a suscité beaucoup de résistances, non sur le bien-fondé de l’allégement, mais du fait de craintes de perdre des acquis : des enseignants ne voulant pas perdre l’unique interlocuteur qu’est l’État, des parents voulant des garanties d’horaires et de contenus, des associations s’interrogeant sur la transition de leurs permanents du mercredi aux fins de journées, des collectivités aux moyens plus que jamais tendus... Les objections n’ont pas manqué, au point que même l’excellente idée du projet éducatif territorial ne se dessine qu’en pointillé.
Monsieur le ministre, passer d’une société bloquée, comme vous l’avez trouvée (Protestations sur les travées de l'UMP.), parce qu’elle a été malmenée,…
Mme Sophie Primas. Oh là là !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. … à un climat de confiance pour coproduire des projets, demandera beaucoup de conseils, d’écoute, de souplesse et de prise en compte des difficultés de chacun, sans renoncement.
M. Pierre Bordier. En clair, ce n’est pas pour demain !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Il en est de même des questions qui entourent le parcours culturel et artistique, pour lequel il faut à la fois des certitudes sur l’inclusion dans le programme – c’est écrit dans la loi – et des ouvertures sur les talents et richesses du territoire.
Tout comme notre commission a soutenu la pluridisciplinarité dans les travaux scolaires, je me permets d’insister sur l’indispensable coordination interministérielle entre l’éducation, la culture, l’enseignement supérieur, mais aussi l’éducation populaire, et même le travail, pour l’intermittence et le statut de l’animation.
Voilà pour ce qui entoure le texte, et qui doit aussi contribuer à sa réussite dans la durée ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Demande de réserve
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Monsieur le président, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement, la commission demande la réserve de l’article 1er du projet de loi et du rapport qui lui est annexé, ce jusqu’à la fin de la discussion des articles.
M. le président. Aux termes de l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la réserve, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est donc votre avis sur cette demande de réserve formulée par la commission, monsieur le ministre ?
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. « Être illettré aujourd’hui, c’est être empêché de participer à l’essor économique de ce pays parce que l’on est privé des moyens minimum nécessaires à la promotion sociale et économique. Être illettré aujourd’hui, c’est être enfermé dans un cercle étroit de connivence et de proximité, coupé de la communication sociale et de la culture commune. Être illettré aujourd’hui, c’est être vulnérable face à des discours et à des textes dangereux portés par des individus sans scrupules. Être illettré enfin, c’est être plus immédiatement porté au passage à l’acte violent parce que l’argumentation, l’explication sont difficiles. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, si j’ai choisi de citer en préambule le linguiste Alain Bentolila, c’est parce que les centristes estiment que le véritable enjeu de cette énième réforme de l’école, c’est bien l’illettrisme.
Aujourd’hui, 20 % des jeunes quittent le système scolaire entre seize et dix-sept ans sans diplôme, plus de 50 % sont en situation d’illettrisme, plus de 78 % ne décrocheront pas d’emploi stable. Les chiffres ont été rappelés et, pourtant, le mot « illettrisme » n’apparaît pas dans ce texte de loi. C’est un véritable paradoxe, l’année même où le Premier ministre a déclaré l’illettrisme « grande cause nationale » !
Au cours des trente dernières années, notre pays a relevé le défi de l’accès de tous à l’éducation et au savoir, mais la question de l’école bute toujours aujourd’hui sur le qualitatif. Il ne s’agit pas seulement de réussir l’exploit que chacun des 12 millions d’élèves ait un enseignant face à lui chaque matin, il faut que l’école pour tous soit aussi une école de la réussite de chacun.
À l’heure actuelle, 20 % des élèves qui entrent en sixième ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter. Ce résultat est d’autant plus préoccupant que notre dépense publique en matière d’éducation est l’une des plus élevées au monde. C’est bien la preuve qu’une addition de micro-réformes ne suffit pas. Et pourtant, aujourd’hui, on nous en propose une nouvelle !
Il serait question de refondation : refonder l’école de la République et refonder la République par l’école ! Nous souscrivons tous à ces nobles intentions, mais objectivement, le présent texte n’est pas une véritable refondation de notre système éducatif. En témoigne d’ailleurs son architecture complexe et illisible. Au projet de loi proprement dit, on a ajouté un rapport annexé, rapport bavard et peu hiérarchisé dont on ne perçoit pas la qualité normative.
Avant tout, une réelle refondation aurait impliqué la prise en compte des rythmes scolaires dans le projet de loi, et que ces rythmes ne soient pas chamboulés dans la précipitation, par décret, quelques semaines avant le dépôt du texte.
En même temps, le rapport annexé prévoit que les rythmes scolaires seront ultérieurement amenés à être encore modifiés ! Ces annonces, déconnectées les unes des autres, qui modifient le temps de la journée et de la semaine sans commencer par ce qui était le préalable, allonger l’année, dénotent un manque de cohérence dans l’approche.
Et pourtant, l’aménagement du temps de l’enfant, articulant soigneusement le temps scolaire et le temps périscolaire, et ce en concertation avec les collectivités locales qui en assument les politiques, ou encore les acteurs de la petite enfance, aurait dû être à la base de la réflexion du Gouvernement sur la refondation de l’école.
On mesure aujourd’hui l’efficacité de la méthode : perplexes, une très grande majorité d’élus ont repoussé l’application de cette réforme à 2014. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans mon département, sur 589 communes, seules 77 se sont lancées pour la prochaine rentrée.
Si l’on parle de refondation, il faut aborder tous les sujets. Ainsi, je trouve très regrettable, alors que l’on se penche sur la formation des enseignants, et c’est une bonne chose, que la question du statut des personnels du monde éducatif soit totalement occultée, qu’il s’agisse du statut des enseignants, de celui des directeurs de cycle primaire ou encore, alors que l’intégration des handicapés est un impératif républicain, de celui des auxiliaires de vie scolaire.
Une vraie « refondation » de l’école aurait dû passer par là, par une réflexion sur les missions des maîtres dans un monde qui, on l’avouera, a tout de même bougé depuis 1950, date du dernier décret qui fixe ce statut.
Autre question non posée, celle du statut et de l’autonomie des établissements qui permettraient de donner une vraie réalité et, surtout, une véritable efficacité aux projets d’établissement, le tout dans un cadre national, qu’il s’agisse des programmes ou du statut des enseignants.
C’est la condition pour remettre l’ascenseur scolaire en marche. Nous sommes convaincus qu’il faut passer d’une logique très concentrée, très centralisée, à une logique de projets adaptés en fonction des enfants.
On n’appréhende pas les apprentissages fondamentaux de la même façon selon que les enfants vivent dans le VIIe arrondissement de Paris, à Argenteuil, où certains parents éprouvent parfois eux-mêmes des difficultés avec la langue française, ou dans un village de Seine-Maritime dont le niveau socioculturel sera plus faible.
Il est des besoins d’individualisation des parcours et d’accompagnement auxquels nous n’apportons toujours pas de réponses suffisantes. Il y a ici et là, de la part d’enseignants, des initiatives remarquables qui mériteraient valorisation et reconnaissance...
L’école doit avant tout garantir la réussite de chaque élève, ce qui nécessite une adaptation à chaque élève. Cela démontre l’importance de l’orientation, dont je ne comprends pas bien en quoi elle est réformée par le présent texte.
Sur ce sujet, je trouve complètement dépassé, en tout cas déconnecté du marché de l’emploi, le regard que porte l’actuel gouvernement sur la formation professionnelle et l’apprentissage, et ce alors que le nombre d’élèves sortant sans diplôme du système éducatif ne cesse de croître chaque année.
Je suis pour une orientation choisie, mûrement réfléchie, mais aussi un parcours souple au service de l’élève. Il y a cette obsession du collège unique, mais, je tiens à le souligner, « unique » ne veut pas dire « uniformisation » !
Ma collègue Françoise Férat s’attardera plus longuement tout à l’heure sur cet attachement des centristes à la promotion de la diversité des intelligences.
Cette réussite de chaque élève passe aussi par la formation des enseignants. Je déplore en ce sens l’absence de mesures précises quant à la formation continue, et je m’interroge sur le contenu des enseignements qui leur seront délivrés au sein des ESPE.
Je vous ai bien écouté, monsieur le ministre, et je vous le dis, il ne faudrait pas retomber dans les écueils des IUFM d’antan ! Pendant des années, les instituts universitaires de formation des maîtres ont développé des recherches parallèles à celles des universités, qui auraient pourtant pu enrichir beaucoup plus le contenu et la manière d’enseigner en France.
Pendant des années, aussi, à la différence des écoles normales, les IUFM ont ignoré la réalité du terrain et préféré se constituer en annexe du CNRS. Il nous faut des enseignants ayant eu une formation en pédagogie et un apprentissage des réalités du terrain, ainsi qu’une réelle ouverture au monde professionnel.
Pour en revenir à l’enjeu essentiel qu’est l’illettrisme, je voulais souligner le point positif du texte qui est de décider d’investir sur le primaire, sur les classes où tout s’apprend et où tout se joue ; c’est le seul moyen par lequel nous pourrons lutter efficacement contre les problèmes de lecture et d’écriture.
Cela faisait partie des préconisations centristes pour le projet présidentiel et législatif, nées du constat de la grande distorsion des moyens accordés au lycée et au collège, au détriment du primaire.
Notre proposition était aussi d’aller plus loin dans le rapprochement de l’école primaire et du collège au sein d’un même établissement public. J’approuve donc la mise en avant du cycle primaire par le projet de loi, tout comme la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans toutes les zones urbaines sensibles et les zones rurales isolées.
En revanche, nous déplorons l’écrasement du socle commun de compétences et de connaissances défini par la loi de 2005. Au regard du phénomène croissant et socialement dévastateur que constitue l’illettrisme, le socle commun – lire-écrire-compter – doit être considéré en effet non comme un minimum, mais comme un préalable au succès de toute scolarité.
M. Jacques Legendre. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. D’où le rôle central du législateur. Le cœur même de l’école ne peut être laissé au seul pouvoir réglementaire comme le prévoit le texte.
Bien entendu, l’éducation est l’apprentissage de savoir-faire, mais également de savoir-être. Insérer à terme un enfant dans la vie professionnelle et en faire un adulte responsable et épanoui : voilà deux objectifs à donner à l’école. Les disciplines permettant le développement du sens critique, l’éveil sensoriel et de la sensibilité sont essentielles.
J’avais proposé en 2005 un amendement au socle sur les pratiques sportives et culturelles, finalement repris par décret. Aussi, je soutiens l’ambition de mettre en avant dans ce texte l’éducation artistique et culturelle, mais je souhaiterais que le projet apporte des clarifications et une articulation entre les notions d’éducation artistique et d’enseignement artistique, les deux n’étant pas tout à fait identiques. Généralement, ces derniers enseignements sont dispensés dans des établissements qui permettent de prolonger la formation des jeunes.
En pratique, cette réforme doit assurer un continuum, depuis la sensibilisation jusqu’à la formation des futurs amateurs ou professionnels.
L’autre point non clarifié est la notion d’activité culturelle liée à la réforme des rythmes scolaires, pour laquelle on perçoit que le temps et les activités périscolaires et scolaires n’ont pas été pensés dans leur complémentarité.
Quant au sport, nous regrettons qu’il ait été négligé par ce texte et uniquement traité dans les annexes. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.
Je dirai quelques mots sur le numérique, pour lequel le texte porte une certaine ambition. L’école du XXIe siècle ne peut ignorer la génération digitale, tous ces enfants qui, telle la « Petite Poucette » de Michel Serres, ont un rapport familier et intuitif avec le numérique. Le numérique modifie l’accès aux savoirs, les manières d’apprendre et de travailler.
Notre groupe d’études « Médias et nouvelles technologies », que j’ai le plaisir de présider, a tenu l’année dernière à conduire des travaux sur ce sujet. Nos conclusions sont unanimes : l’école doit penser non seulement les nouveaux outils, mais aussi les nouveaux usages et la pédagogie adaptée.
Cela exige que le maître ait un rôle central dans l’apprentissage de l’analyse et de la sélection des multiples informations que reçoivent les élèves au quotidien ; il s’agit d’en faire des adultes éclairés, et pas seulement des récepteurs d’informations passifs.
Je voudrais conclure sur un sujet fondamental pour les collectivités dont la Haute Assemblée incarne la représentation : je pense au rôle dont ne sauraient être dépourvus les représentants des territoires, premiers partenaires de l’éducation nationale autour de l’enfant. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements tendant à redonner toute son importance à la concertation avec les élus.
Monsieur le ministre, répondant à l’une de mes questions d’actualité, vous m’aviez affirmé que les élus locaux devaient « faire des efforts ».Je ne pense pas qu’ils aient goûté la remarque, au moment où l’État diminue sa dotation – moins 3 milliards d’euros, je le rappelle – et se décharge, d’une certaine façon, de ses responsabilités...
Ce qui inquiète les élus, c’est que ce texte, bien qu’affichant des intentions contraires, porte en lui l’émergence d’une école à deux vitesses en fonction des moyens dont les communes ou groupements de communes disposeront ou pas.
Le fonds d’aide de l’État est non seulement insuffisant, il n’est pas pérennisé. Pis, on envisage de ponctionner des politiques sociales essentielles consacrées à la petite enfance ou à la parentalité, à travers des subventions de la Caisse nationale des allocations familiales.
En réalité, en ces temps de restrictions budgétaires obligées, si la CNAF finance la réforme des rythmes à la place de l’éducation nationale, cela reviendra bien pour elle à déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Pour terminer tout à fait, je dirai que, pour qu’elle puisse se réformer, il faudrait que l’éducation nationale échappe aux aléas de nature purement politique et bénéficie de lignes directrices sur quinze ou vingt ans. À cet égard, il est regrettable que certains dispositifs mis en place ces cinq dernières années aient été balayés avec mépris, en dépit de rapport d’évaluation positifs. (Mme la rapporteure proteste.)
Je pense aux internats d’excellence ou encore à l’aide personnalisée, engloutie dans la réforme des rythmes. C’est malheureux quand on sait que l’éducation aurait besoin de davantage de consensus et d’objectivité pour avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, avant d’entamer l’examen d’un texte de loi relatif à l’école, on devrait toujours relire Alain. Je ne dis pas cela, vous le comprendrez aisément, seulement parce que ce bon philosophe était radical (Sourires.), même si ce fut l’un de ses mérites, mais plutôt parce que, lui qui fut un éminent professeur, nous éclaire de son expérience de transmetteur du savoir et d’éveilleur des esprits.
Dans ses Propos sur l’éducation, en 1932, il écrivait : « Si j’étais directeur de l’enseignement primaire, je me proposerais, comme but unique, d’apprendre à lire à tous les Français. Disons aussi à écrire et à compter. »
Au moment de dresser l’état des lieux de notre système éducatif, l’école semble, hélas ! avoir oublié l’esprit d’Alain.
Toutes les études nationales et internationales tendent vers un même constat : la stagnation, voire la régression de notre système éducatif. Aujourd’hui, à la fin du primaire, près d’un élève sur cinq éprouve des difficultés face à l’écrit, et 140 000 élèves sortent annuellement de l’enseignement scolaire sans diplôme ni qualification.
Mes chers collègues, l’école de la République est donc en panne, d’une part, parce qu’elle remplit mal sa mission de transmission du savoir et qu’elle ne parvient pas à lutter contre l’échec scolaire, d’autre part, parce qu’elle n’est plus cet outil au service de la méritocratie républicaine et qu’elle contribue, au contraire, à la reproduction des inégalités sociales.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’un constat similaire avait déjà été dressé en 2005, lors de l’élaboration de la précédente loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. Or, depuis, nous le savons tous, la situation ne s’est pas améliorée ; pire, elle s’est dégradée, et ce constat peut, je le crois, être partagé sur toutes les travées de notre assemblée.
En effet, ces dix dernières années, la politique éducative de notre pays s’est résumée à des déclarations excessives et à la mise en avant d’expérimentations qui ont trop masqué l’abandon d’une institution. Le non-remplacement systématique d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, appliqué à l’éducation nationale, a constitué une véritable saignée.
Ce phénomène malheureux, couplé à une déconstruction de la formation des enseignants, a aggravé les disparités socioterritoriales et dégradé l’offre d’éducation.
Cette gestion comptable, et coupable, de l’éducation a même abouti à la recherche d’enseignants remplaçants via le site internet de petites annonces de vente d’occasion Leboncoin.fr, le recrutement se retrouvant placé entre une armoire normande et un scooter d’occasion. (Sourires.) Il était plus qu’urgent de changer de cap ! C’est ce que vous nous proposez, monsieur le ministre.
Une telle loi d’orientation et de programmation était nécessaire, indispensable, même, et se devait d’être ambitieuse. Ce projet de loi est la pierre angulaire de l’action du Gouvernement en matière d’éducation. Il s’inscrit dans cette vision volontariste pour l’école : augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, loi de finances pour 2013 où, dans un contexte budgétaire contraint, nous le savons tous, l’effort vers les missions d’éducation nationale a été accru. Il faut le souligner, le répéter et même l’apprécier.
Je pourrais également citer les emplois d’avenir professeur, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, mais également le projet de réforme des rythmes éducatifs, qui sont autant de chantiers en cours.
Mes chers collègues, l’examen, par notre assemblée, de ce texte constitue l’aboutissement d’un long processus entamé dès juillet 2012, et que vous avez exposé aux différents groupes sénatoriaux, monsieur le ministre, y compris au RDSE. Nous y avons été sensibles !
Les radicaux de gauche s’accordent, bien sûr, sur les grandes lignes du projet de loi : l’effort en matière de recrutement de personnels en direction notamment du primaire, l’indispensable réforme de la formation initiale des enseignants, avec la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, la lutte contre l’échec scolaire et la réforme de l’orientation. Quant à la création d’un service public de l’enseignement numérique, que vous avez évoquée, nous serons particulièrement vigilants pour que les transferts de compétences de l’État vers les collectivités en matière d’achat et d’entretien du matériel informatique soient compensés convenablement.
Mme Françoise Laborde. Ce n’est pas gagné !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Non, en effet, ce n’est pas gagné !