M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. En préalable, je voudrais remercier très sincèrement l’opposition sénatoriale, et le groupe UMP en particulier.
Sénateur encore assez novice, j’avoue que je ne connaissais pas l’ensemble des procédures préalables visant à rejeter un texte sans l’avoir étudié au fond. Aujourd'hui, cette lacune est comblée et je ne pense pas que ce soit simplement une volonté pédagogique à mon endroit ou à l’endroit des sénateurs récemment élus ! Je pense qu’il y a vraiment une procédure visant à bloquer, à retarder ce texte.
Je m’interroge simplement sur la cohérence. Comment peut-on demander de voter une motion référendaire, laquelle appelle à recourir au suffrage universel direct et, en même temps, expliquer que cette loi ne peut pas être discutée parce qu’elle est inconstitutionnelle ? Je suis vraiment très novice, donc, j’aimerais qu’on m’explique !
Mais je comprends qu’il y a des jeux, des procédures parlementaires qui consistent à s’exprimer le plus longtemps possible sur tout un tas de choses.
Je voudrais simplement revenir sur le fond du débat. Depuis l’adoption de la loi sur le PACS en 1999, les parlementaires écologistes ont toujours plaidé en faveur d’interventions du législateur pour remettre une réelle égalité des droits devant le mariage. Les partenaires du PACS, il faut bien le dire, n’ont pas accès aux mêmes droits que les couples mariés. Bénéfice de la pension de réversion, adoption des enfants du conjoint, protection juridique des enfants au sein d’une famille homoparentale, autant de sujets qui révèlent des inégalités de droit et qui justifient pleinement une évolution de notre législation.
Il est donc, à notre sens, temps de légiférer pour réparer ces inégalités et permettre de trouver des solutions à des situations humaines déjà existantes. Nul ne peut fermer les yeux face aux difficultés du quotidien qui sont celles des couples homosexuels et face au besoin de légiférer en faveur de l’amélioration des droits.
L’union civile sans filiation que vous proposez est une sorte de mariage au rabais. Outre qu’elle est discriminatoire, on va superposer un nombre de types d’unions absolument incroyable ! On aura le PACS, l’union civile, le mariage civil et il y aura encore, et merci, heureusement le mariage religieux !
Je pense donc qu’il vient un moment où la logique législative doit être rationnelle et rationalisée. Et surtout, on a le droit de débattre de cela au Parlement parce que l’objet même de ce texte, celui de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, relève strictement et précisément de la compétence du Parlement ! Et il est de notre responsabilité de parlementaires d’honorer la confiance que les citoyens nous ont accordée et de respecter les engagements pris devant les électeurs. C’est notre devoir d’élus de la nation de faire voter des lois qui assurent l’égalité entre tous les citoyens et qui protègent les plus faibles contre toutes les discriminations.
C'est pourquoi le groupe écologiste ne votera pas cette motion tendant à opposer la question préalable, qui cache difficilement, sous des arguties juridiques très variées, la volonté de faire obstruction au travail parlementaire et à un débat de fond, urgent et nécessaire.
Pour revenir sur la fort sympathique question référendaire qui a été posée, j’aimerais qu’on se penche sur l’utilisation du référendum, notamment du référendum d’initiative populaire dans d’autres pays, en Europe, par exemple.
En Italie, on peut demander un référendum d’initiative populaire. Il est, d’abord, abrogatif d’une loi existante, ce qui n’est pas le cas ici. Et il existe un dispositif qui permet de hiérarchiser, au moins dans le temps, les différentes légitimités issues du suffrage universel, c’est la limitation ratione temporis. Avec cette disposition, il est permis de procéder à des référendums ou, au contraire, interdit d’y procéder pendant de nombreux mois précédant une élection générale et lui succédant. En Italie, on considère, en effet, que les élus au suffrage universel direct – pour nous, le Président de la République ou les parlementaires –, mais aussi les élus au suffrage universel indirect, disposent, pendant une période donnée, qui représente la moitié de la législature, la pleine légitimité pour légiférer sur des sujets très variés. On ne peut alors recourir au référendum.
Je vous invite donc à vous intéresser aux différents droits constitutionnels et aux règles relatives au référendum en vigueur dans les autres pays. Ce serait fort utile avant de proposer une procédure aussi originale que la question référendaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il y a là en vérité deux problèmes, l’un et l’autre assez délicats : un problème constitutionnel et un problème conventionnel.
Le problème constitutionnel tient au préambule de notre Constitution, qui, comme chacun le sait, renvoie au préambule de la Constitution de 1946, lequel prévoit que la Nation assure à la mère et à l’enfant la protection de la loi.
Cette question se pose à nous au moment d’inventer une nouvelle forme de parenté, qui ne serait plus celle qui est exercée conjointement par le père et la mère,...
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Elle existera toujours !
M. Philippe Bas. ... mais une coparenté d’intention dont l’exercice serait confié à deux personnes de même sexe dont seule l’une peut être la mère ou le père. Le deuxième membre de ce couple ne se trouve pas, vis-à-vis de l’enfant, dans la même situation que l’époux ou l’épouse dans le cadre actuel du mariage.
Cette situation s’en distingue par deux points : premièrement, le lien biologique ne peut exister entre le deuxième membre de ce couple et l’enfant ; deuxièmement, le fondement de cette famille ne peut se trouver dans l’altérité sexuelle qui est à l’origine de toute vie.
Bien sûr, il est certain que ces couples pourront élever leurs enfants dans l’amour, celui que se portent les conjoints et que les parents portent à leurs enfants. Ils pourront même, aussi, faire preuve de qualités éducatives, qui ne sont nullement en cause.
Restera simplement un manque. Chacun de ces enfants dotés de deux parents femmes ou de deux parents hommes vivra, en effet, dans le manque du parent de l’autre sexe qu’il n’a pas. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Il sera, on peut le dire tout à fait concrètement, orphelin de père ou de mère.
M. Jean-Vincent Placé. Qu’en savez-vous ?
M. Philippe Bas. Les parents ne doivent jamais être dans le déni de cette réalité !
Les parents homosexuels que nous écoutons, tout comme vous, affirment qu’ils ne disent jamais à leur enfant qu’il a deux pères, ou deux mères (Mme Esther Benbassa s’exclame de nouveau.), et qu’ils ne le feront jamais. Si eux ne le font pas, pourquoi la loi dirait-elle qu’ils sont parents à égalité de devoirs à l’égard de l’enfant, comme s’ils étaient père et mère ? Cette difficulté constitutionnelle (Mme Dominique Gillot s’exclame.), il faudra bien qu’elle soit tranchée, et elle le sera.
Le Conseil constitutionnel n’a pas tranché cette question. Il s’est en effet contenté de dire, dans sa décision rendue voilà deux ans, que le fait de réserver le mariage à deux personnes de sexe opposé n’était pas contraire au principe d’égalité et que l’on ne pouvait pas, par conséquent, déclarer inconstitutionnelles les règles du mariage qui figurent actuellement dans le code civil.
Au-delà de ce problème constitutionnel, il y a un problème conventionnel.
Que vous le vouliez ou non, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si vous entrez dans un régime au nom de l’égalité, alors il faut appliquer cette égalité complètement.
Que faites-vous, dans ce cas, de l’équivalent que pourrait trouver le législateur du principe de présomption de paternité pour les enfants qui naîtront dans des couples de même sexe ?
Une femme n’a pas besoin d’avoir accès à l’assistance médicale à la procréation en France pour pouvoir y accéder en Belgique. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Si, en vertu de votre texte, elle se marie, ou est mariée, à une autre femme, l’enfant qui naîtra dans leur foyer pourra être adopté par l’épouse de la mère. Vous ne pouvez nier que telle est la logique de votre texte !
Mme Esther Benbassa. Et alors ?
M. Philippe Bas. Or l’épouse de la mère ne bénéficiera pas des mêmes droits que le père de l’enfant dans un couple hétérosexuel. Cette femme se trouvera donc dans la situation de devoir demander un jugement d’adoption. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Retailleau. Rupture d’égalité !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Où est-on ? Nous discutons de la motion tendant à opposer la question préalable !
M. Philippe Bas. Il y a là une rupture d’égalité caractérisée. Je ne suis pas certain que la Cour européenne des droits de l’homme laissera sans réponse cette question, qui ne manquera pas d’être soulevée par de nombreux couples de même sexe dont vous aurez permis le mariage ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis hier, nos collègues de l’opposition ont déjà largement pu exprimer devant la Haute Assemblée leurs arguments, conformément d’ailleurs à la liberté de parole qui sied à chacun d’entre nous dans les limites du respect des droits des personnes. La discussion de la motion référendaire a été l’occasion de synthétiser l’ensemble de ces arguments, du point de vue de l’opportunité de ce texte, de sa constitutionnalité et des conséquences qu’il engendre.
Le Sénat s’est déjà prononcé sur l’opportunité de renvoyer au référendum l’adoption de ce projet de loi, en estimant qu’il lui revenait de poursuivre son examen.
À ce stade de la discussion, nous considérons, pour notre part, que la discussion doit désormais se poursuivre dans le détail des articles du projet de loi, pour permettre de débattre au fond des questions techniques. Nos collègues qui s’opposent au texte ne seront d’ailleurs pas en reste, puisqu’ils ont déposé de nombreux amendements soulevant des problématiques qui méritent d’être débattues dans toutes leurs dimensions. Or le vote de la présente motion annihilerait ex ante cette volonté de discussion et de délibération communes que notre groupe souhaite.
Mes chers collègues, je ne pense pas utile de revenir une nouvelle fois sur l’ensemble des éléments présentés par les uns et les autres. L’essentiel a sans doute déjà été dit, et les positions de chacun sont connues de la Haute Assemblée et de nos concitoyens.
Les radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE demeurent convaincus que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe ne provoquera pas le changement de civilisation que certains d’entre nous redoutent ici. Bien au contraire !
L’histoire de la République que nous avons en partage est celle d’une inclusion toujours plus grande des citoyens dans une égale dignité. « L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté », écrivait d’ailleurs Hegel. Je crois que cette citation résume parfaitement l’esprit dans lequel nous souhaitons, pour notre part, que soit appréhendé ce projet de loi.
Non, lorsque demain des couples homosexuels se marieront ou adopteront, le paradigme anthropologique de notre société ne sera pas bouleversé. Non, les enfants qui vivront dans une famille composée d’un couple homosexuel ne seront pas plus exposés à des risques névrotiques que n’importe quel autre enfant.
M. Jean-Vincent Placé. Absolument !
Mme Françoise Laborde. Ce que réclament les homosexuels n’est ni plus ni moins que l’indifférence de la puissance publique à leur égard, le droit de vivre comme bon leur semble dans le respect des règles communes de la cité.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Françoise Laborde. « L’État fondé sur le principe civique, respectant l’homme et son monde naturel dans toutes ses dimensions ou composantes est un État pacifique et humain », écrivait avec une grande justesse Václav Havel.
Mes chers collègues de l’opposition, je souhaite une nouvelle fois vous convaincre de la pertinence de ce projet de loi, qui n’est finalement fondé que sur l’idée de donner toutes leurs chances à ces familles de s’épanouir sereinement. Notre constitution sociale, à laquelle se référait hier le doyen Gélard en citant Léon Duguit, sera non pas bouleversée ou anéantie, mais, au contraire, enrichie et élargie, car elle ne saurait rester figée dans des concepts qui ne correspondent plus aux réalités de la société.
Faut-il rappeler comment Maurice Hauriou, qui fut durant vingt ans le doyen de la faculté de droit de Toulouse, démontre que l’État et la liberté sont par essence des réalités sociales vivantes que le droit ne fait qu’encadrer, sans les créer ?
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe RDSE s’opposera à cette motion, comme elle s’est déjà opposée aux précédentes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2 rectifiée bis, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 128 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l’adoption | 158 |
Contre | 177 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux dix minutes pour une réunion de la conférence des présidents.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, la conférence des présidents vient d’établir la suite de nos travaux.
Il a été décidé, après avis de l’ensemble des groupes, au regard du nombre de sénateurs qui avaient prévu d’être présents ce soir, que nous examinerons dans un instant la motion tendant au renvoi à la commission puis que nous interromprons nos travaux pour les reprendre après le dîner jusqu’à minuit, comme c’était initialement prévu.
M. Charles Revet. C’est incohérent !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, je demande une suspension de séance afin de réunir mon groupe. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. Charles Revet. Elle est de droit !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. On a compris ! Prenez vos trains !
M. le président. Ma chère collègue, si je vous accorde une suspension de séance de dix minutes, il sera dix-neuf heures trente, heure du dîner.
Par conséquent, nous allons dès à présent interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-deux, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Rappels au règlement
M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite faire, au nom du groupe UMP, un rappel au règlement…
Mme Nathalie Goulet. Sur quel article est-il fondé ?
M. Jean-Claude Lenoir. … sur l’organisation de nos travaux.
Des personnes dignes de foi nous disent que, en conférence des présidents, il avait été convenu que cette semaine serait entièrement consacrée à la discussion générale et à l’examen des motions.
À cette occasion, il avait semble-t-il été décidé – un certain nombre de personnes pourront corroborer mes propos – que, une fois l’examen des motions achevé, la discussion des articles serait renvoyée à la semaine prochaine, c’est-à-dire à lundi après-midi.
Tout le monde aura constaté que le débat s’est pour l’instant déroulé dans des conditions qui ont permis à chacun de s’exprimer, dans le respect des opinions de chacun et sans excès, d’un côté comme de l’autre. (M. Ronan Kerdraon s’exclame.)
Or nous avons appris tout à l’heure qu’il existait une volonté de marche forcée pour que, une fois la dernière motion discutée, nous commencions à examiner dès ce soir les premiers amendements déposés sur le texte.
Nous voulons protester contre cette façon de faire, qui ne correspond absolument pas à ce qui avait été convenu en conférence des présidents.
Je ne vous demande pas de vous prononcer, madame la présidente. En revanche, nous vous informons dès à présent que nous allons tirer toutes les conséquences de cette volonté manifeste,…
M. Gérard Longuet. Passage en force !
M. Jean-Claude Lenoir. … qui altère quelque peu la sérénité de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est ça, faites traîner, faites les flibustiers !
Mme la présidente. Monsieur Lenoir, lorsque la conférence des présidents s’est réunie avant le dîner, il y régnait visiblement une atmosphère assez sereine.
Mme Troendle a expliqué ce qu’elle avait compris à l’occasion de la précédente conférence des présidents. Il s’avère que tout le monde n’a pas compris la même chose.
M. Gérard Longuet. C’est le problème de la communication !
Mme la présidente. Nous étions convenus ensemble de continuer nos travaux, et je ne vois pas ce qui nous empêcherait de les poursuivre,…
M. Charles Revet. Jusqu’à minuit ! Pas après !
Mme la présidente. … animés du même esprit de sérénité qui a présidé à nos débats depuis le début de l’examen de ce texte.
Je constate que tous les groupes avaient prévu de siéger ce soir, et que des sénateurs sont venus relayer certains de leurs collègues.
Je vous propose donc d’examiner la dernière motion, puis d’aviser au fur et à mesure du déroulement de la soirée. (M. Gérard Longuet proteste.)
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement.
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, comme certains ici, j’ai une petite expérience des conférences des présidents et des engagements qui y sont pris.
Nous savons que nombre d’entre nous sont tout à fait prêts à discuter sereinement du projet de loi, en prenant tout le temps qu’il faudra.
Toutefois, lorsque des engagements sont pris, il faut qu’ils soient respectés si l’on veut que la sérénité perdure.
En l’occurrence, après la motion de renvoi à la commission, le groupe UMP a déposé, avant l’article 1er, des amendements relatifs à l’union civile.
Nous allons les défendre, et la majorité va très probablement s’y opposer, ce qui est normal dans un débat démocratique.
Il n’est en revanche pas convenable – pardonnez-moi de le dire – de demander à l’opposition de ne pas déraper et de lui proposer dans le même temps d’examiner ces amendements sur l’union civile, essentiels à ses yeux, entre vingt-deux heures trente – vingt-trois heures et minuit le vendredi soir,…
M. Gérard Longuet. Vite fait !
M. Roger Karoutchi. … alors que l’examen de l’article 1er sera nécessairement renvoyé à lundi.
Chacun doit y mettre un peu du sien. Il est certes normal que la majorité sénatoriale appelle l’opposition à faire preuve de sérénité. Mais reconnaissons que, sur ce plan, au regard des quelque 5 000 amendements déposés à l’Assemblée nationale, le Sénat et ses 250 amendements environ apparaît bien plus raisonnable.
M. Jean Desessard. Fainéants ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Chacune des interventions est ici restée dans le strict cadre du respect des opinions des uns et des autres.
Je considère que les engagements pris devant la Haute Assemblée doivent valoir pour tout le monde, sur la durée. Ils ne peuvent donc pas être remis en cause conférence des présidents après conférence des présidents pour arranger les affaires de la majorité.
Il est logique et normal que les amendements importants que nous avons déposés avant l’article 1er soient défendus concomitamment à l’examen de l’article 1er. À notre place, vous n’accepteriez pas de disjoindre ainsi du débat général certains de ses éléments essentiels.
M. Christian Cambon. Si on vous avait fait ça…
M. Roger Karoutchi. Nous demandons que ce soit le cas pour ces amendements.
Je souhaite donc sincèrement que nous arrêtions ce soir le débat après l’examen de la motion et que nous le reprenions en début de semaine prochaine, avec l’union civile, l’article 1er et la suite du texte.
Nous avons pris l’engagement que tout se ferait sereinement, sans blocages.
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi. À ce titre, nous méritons donc bien que la majorité sénatoriale respecte les décisions de la première conférence des présidents. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. J’hésitais à intervenir…
M. Jean-Claude Lenoir. On comprend pourquoi !
M. François Rebsamen. Monsieur Karoutchi, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas vous laisser dire des choses qui ne sont pas vraies.
Lors de la conférence des présidents, la décision a été prise d’ouvrir le vendredi soir.
M. Gérard Longuet. Si l’examen des motions n’était pas achevé !
M. François Rebsamen. La séance est donc ouverte ce soir,…
Mme Catherine Troendle. Pour l’examen des motions !
M. François Rebsamen. … et je constate d’ailleurs que nombre de nos collègues sont venus participer au débat, sur toutes les travées. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Jamais un engagement n’a été pris en conférence des présidents – j’invite M. Karoutchi à réécouter l’enregistrement si nécessaire – d’arrêter le débat à tel ou tel instant.
Mme Catherine Troendle. Si, après les motions !
M. François Rebsamen. Ce n’est pas vrai, madame Troendle !
Mme Catherine Troendle. Si !
M. François Rebsamen. Le débat est ouvert et rien ne nous empêche de le poursuivre sereinement. Vous aurez tout le loisir, ce soir ou lundi, puisque c’est le déroulement normal de nos travaux, de défendre votre position sur l’union civile. Personne ne s’y opposera.
Je demande simplement que l’on respecte la conférence des présidents…
Mme Catherine Troendle. Chiche !
M. François Rebsamen. … et les décisions qui y ont été prises.
Je vous rappelle que deux conférences des présidents ont eu lieu pour organiser nos débats : l’une le 20 février, l’autre le 20 mars. À cette occasion, le président de la commission des lois avait même demandé qu’une séance soit ouverte le samedi,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Rebsamen. … si nécessaire, et peut-être même, avait-il ajouté – mais c’est parce qu’il travaille beaucoup –, le dimanche.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le débat sur le fond me passionne ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Nous lui avions répondu ensemble que le dimanche était sans doute excessif, mais que le samedi pouvait s’envisager si nécessaire. Finalement, nous étions tous tombés d’accord pour ouvrir seulement le vendredi soir.
Je propose donc que les débats se poursuivent, et, comme vous l’avez dit, dans la sérénité. Quoi qu’il en soit, un groupe ne peut pas dicter sa loi aux autres groupes de l’assemblée.
Mme la présidente. Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
En tant que gardienne des décisions de la conférence des présidents, vous comprendrez que je poursuive le débat comme si c’était ouvert normalement.
M. Gérard Longuet. Par conséquent, vous reconnaissez qu’il n’est pas normal !
Mme la présidente. Nous passons donc à la discussion de la motion.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Bas et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire et MM. Darniche et Husson, d'une motion n° 3 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012–2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion. (L'orateur se dirige vers la tribune, encouragé à la lenteur par ses collègues de l’UMP. – Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. C’est comme dans le football pour un changement de joueur lorsqu’on mène au score !
M. Philippe Bas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en adoptant cette motion, le Sénat adresserait au Président de la République un message fort.
Dans le climat de tension que nous connaissons,…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est calme ici !
M. Philippe Bas. … alors que les Français s’inquiètent pour la croissance, pour l’emploi et pour les valeurs de notre démocratie,…
M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
M. Philippe Bas. … le moment est venu de rassembler et non de diviser, d’unir et non de cliver, d’écouter, de dialoguer et de rechercher, madame la ministre, des solutions équitables, des solutions justes apportant des réponses aux uns et aux autres sans heurter les convictions profondes de millions de Français.
La question posée à travers cette réforme n’est pas celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société, mais celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, qui serait exercée conjointement par deux personnes de même sexe.
Ce n’est pas non plus, contrairement à ce que nous avons souvent entendu depuis l’ouverture de ce débat, la question de l’égalité qui est posée. Si nous voulons préserver la valeur et la force de ce grand principe républicain, il ne faut pas le dénaturer.
Le principe d’égalité est pleinement respecté quand des personnes qui se trouvent dans des situations différentes se voient appliquer des règles différentes. C’est cela, madame la ministre, – et je fais référence à ce que nous disait hier Mme la garde des sceaux – ne pas « ruser avec nos principes » pour ne pas les compromettre. Je ne pense pas que le grand républicain que fut Aimé Césaire aurait pu me contredire sur ce point. (M. David Assouline s’exclame.)