M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Drian, ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le sénateur, j’en viens directement à la fin de votre propos. À mon sens, il serait peu efficace d’envisager les mutations indispensables et la relance de l’Europe de la défense par le biais de la question institutionnelle, car une telle approche a déjà échoué.
Si la France abordait le débat qui va s’ouvrir, et c’est tant mieux, au Conseil européen de la fin de l’année par cette question, nous risquerions d’être en difficulté.
À cet égard, souvenons-nous des déboires de l’OHQ, tentative de mise en œuvre d’un quartier général européen qui avait été bloquée, provoquant un certain enlisement.
Nous voulons aborder cette question de manière pragmatique, en déclinant, je crois l’avoir indiqué tout à l’heure, toute une série d’initiatives concrètes et réalisables tant en matière de gestion opérationnelle des crises que de capacités et d’industrie. Sinon, c’est à désespérer du concept d’Europe de la défense !
Tels sont les souhaits du Président de la République, que j’ai repris en différentes occasions. Je sens apparaître quelques frémissements en ce sens du côté de nos partenaires.
Sur les crises et les opérations, il y a déjà eu des progrès. Contrairement à ce que certains ont pu dire, je considère que l’opération au Mali est un progrès pour l’Europe de la défense, car il y a bien une initiative européenne, qui permet d’avoir dès à présent 500 militaires européens sur le sol malien pour former la nouvelle armée malienne. Sans doute cela ne comble-t-il pas toutes nos attentes, mais c’est tout de même inédit.
Il y aura sans doute, demain, des interrogations sur des actions à mener, pas forcément sous la même forme, en Lybie et dans la région des Balkans, afin de reprendre l’initiative dans le nord du Kosovo.
Le même état d’esprit pragmatique concernera les capacités. Il a été dit tout à l’heure que, dans le secteur du ravitaillement en vol, des progrès avaient été enregistrés. D’autres secteurs importants peuvent faire l’objet de coopérations très concrètes, susceptibles d’être mises en œuvre rapidement.
S’agissant de l’industrie, la Commission européenne prépare une communication sur la coopération industrielle en matière de défense pour le mois de mai, qui servira de base à la préparation du Conseil européen. Tout cela est de bon augure.
Enfin, très brièvement, j’ajoute que le concept de coopération structurée permanente, qui avait un peu « disparu des radars », pour employer une expression militaire, est en train de revenir progressivement. Il est inscrit dans le traité de Lisbonne et il pourrait éventuellement réapparaître au cours des mois prochains, peut-être pour faire l’objet d’initiatives au moment du Conseil européen de fin d’année.
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a maintenant un peu plus de deux ans, la France et la Grande-Bretagne ont signé un partenariat de défense historique. Ce 31e sommet franco-britannique a permis de raviver l’esprit du sommet de Saint-Malo de 1998. Les accords de Lancaster House furent une formidable occasion d’impulser une vraie dynamique en matière de coopération militaire, qui rime avec mutualisation.
En période de crise et face au manque d’attraction pour la défense de la part des autres pays membres de l’Union européenne, ce type de coopération bilatérale constitue un exemple et même plus : un moteur pour l’avenir de la défense européenne.
Bien entendu, sur le terrain, en termes d’opérations extérieures, l’Europe de la défense se fait de plus en plus attendre ; les exemples libyens et maliens suffisent à démontrer l’inertie européenne ! Mais verser aujourd’hui dans l’euroscepticisme en matière de défense est d’une telle facilité politique et intellectuelle que nous devons nous y refuser.
La France et la Grande-Bretagne, qui sont, après les États-Unis, de loin les deux contributeurs les plus importants à l’OTAN, assureront, d’ici à moins de dix ans, près de 65 % des dépenses de défense au sein de l’Union européenne. Ces deux nations atomiques, qui partagent la même vision en termes de dissuasion nucléaire, ont encore, au sein de l’Union européenne, les rares défenses nationales à demeurer mondialement crédibles.
Aussi, monsieur le ministre, nous espérons que le conseil de défense de vendredi ne balaiera pas mes modestes propos ni, surtout, le travail réalisé dans nos deux pays depuis la signature des accords de Lancaster House. Ces engagements sont des références en matière de coopération structurelle renforcée.
Les objectifs des deux traités qui en découlent nous permettent déjà, grâce à la mutualisation, de dégager des économies à hauteur de 150 millions d’euros par an. Mieux, cette coopération militaire s’accompagne d’une coopération parlementaire. Grâce à l’engagement du président Josselin de Rohan, une véritable collaboration entre notre commission et nos homologues anglais s’est instaurée. Et je souligne que le président Jean-Louis Carrère se montre très actif pour continuer de faire vivre cette initiative, qui fait l’unanimité au sein de notre commission.
M. le président. Mon cher collègue, il faut poser votre question.
M. René Beaumont. J’y viens tout de suite, monsieur le président.
En ces temps difficiles, ces consensus devraient inciter le Gouvernement à poursuivre le dialogue franco-britannique, seul capable, aujourd’hui, de créer la véritable ébauche d’une Europe de la défense.
Mon souci, vous l’avez compris, monsieur le ministre, est de connaître l’avenir que vous réservez au fameux traité de Lancaster House.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui me permet de dire que je partage le point de vue que vous développez et que la coopération franco-britannique structurée dans le cadre des accords de Lancaster House se poursuit de manière positive.
Votre question me donne aussi l’occasion de répondre indirectement à M. Buffet, que je n’aperçois plus dans l’hémicycle, puisqu’il a fait l’éloge de M. Cameron : peut-être trouvera-t-on l’occasion de lui rappeler que ce dernier avait, l’année dernière, fait baisser le budget de la défense britannique de 8 %. ; M. Buffet pourra ainsi faire de ce chiffre le sujet de sa méditation du week-end ! (Sourires.) Il est évidemment plus facile de préserver le budget de la défense quand on lui a infligé, l’année précédente, une telle mise à la diète…
Le traité de Lancaster House présente une singularité inédite puisqu’il comporte un volet nucléaire. C’est une avancée significative de notre coopération avec le Royaume-Uni.
Au-delà, nous progressons de manière intelligente et loyale sur l’ensemble de l’accord qui a été signé. Par exemple, la CJEF, Combined Joint Expeditionary Force, est en cours de constitution. Cette force de combat franco-britannique sera pleinement opérationnelle en 2016.
Toujours en matière opérationnelle, nous avons pris l’initiative d’exercices communs. C’est ainsi qu’un exercice très important a eu lieu en présence des deux ministres de la défense en octobre dernier. Nous mettons par ailleurs en place des interopérabilités de systèmes d’information et de communication et le partage du renseignement.
Nous avons aussi lancé, sous ma responsabilité, une coopération en matière de drones, à la fois les drones de théâtre Watchkeepers, mais aussi les drones de génération future, en particulier, le véhicule aérien non habité de combat, l’UCAV. Ce sont des signes d’une coopération très active, concernant en l’occurrence, du plus petit au très grand, des outils qui mettent en jeu les technologies du futur.
Nous menons en outre une collaboration très étroite en matière de guerre des mines. Nous avons transféré à l’OCCAR cette responsabilité, sous le patronage d’une équipe franco-britannique.
En résumé, nos relations avec les Britanniques sont bonnes, mais elles ne sont pas exclusives. Nous leur disons clairement que la qualité de notre relation avec eux ne nous empêche pas d’avoir des relations avec le Triangle de Weimar ou avec le groupe de Visegrad. Ainsi, une réunion commune des ministres de la défense de ces ensembles régionaux a eu lieu voilà peu de temps. Il faut procéder dans la transparence, en disant à chacun ce que l’on fait avec l’autre, de manière à éviter les incompréhensions, voire les grincements qui ont pu se produire dans le passé.
Vous avez raison, monsieur le sénateur : c’est grâce à une coopération capacitaire que nous pourrons obtenir une gestion plus économe de l’argent public, rare en cette période, que ce soit en Grande-Bretagne ou en France.
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie.
Nous en avons fini avec les questions cribles thématiques sur l’Europe de la défense.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Patrick Courtois.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 20 mars 2013.
5
Séparation et régulation des activités bancaires
Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de séparation et de régulation des activités bancaires.
Dans la discussion des articles, nous avons entamé l’examen des amendements portant article additionnel après l’article 4 sexies.
Articles additionnels après l'article 4 sexies (suite)
M. le président. L'amendement n° 163 rectifié bis, présenté par Mme Rossignol, M. Dilain, Mme Lienemann, MM. Madec, Madrelle, Fauconnier, Chastan, Antoinette, Leconte et Teston, Mmes Alquier et Claireaux, MM. J.C. Leroy, Eblé, Vincent et Rome, Mme Lepage et MM. Daudigny, Mirassou et Vandierendonck, est ainsi libellé :
Après l'article 4 sexies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 235 ter ZD bis du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au I, les mots : « des titres de capital, au sens de l'article L. 212-1 A du code monétaire et financier » sont remplacés par les mots : « des instruments financiers, au sens de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier » ;
2° Le III est ainsi rédigé :
« III. – La taxe due est égale à 0,01 % du montant des ordres annulés ou modifiés. » ;
3° Le IV est abrogé.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Le présent amendement vise à taxer l’ensemble des opérations de trading à haute fréquence, qui illustrent assez bien la folie spéculative qui s’est emparée des marchés financiers.
Représentant désormais 35% des transactions sur les marchés financiers, le trading à haute fréquence parasite leur bon fonctionnement. Il crée une liquidité artificielle, rompt l’équité concurrentielle entre les intervenants, introduit des asymétries d’information et favorise les variations brutales de cours, ainsi qu’une vision à très court terme. Il crée en outre de nouvelles possibilités de manipulation des cours et d’abus de marché.
Celles et ceux qui siègent à la gauche de cet hémicycle approuveront certainement ces propos puisque je les ai empruntés à Nicole Bricq, qui s’était exprimée en ces termes en 2011, en tant que rapporteur générale de la commission des finances.
Afin de mettre un frein au développement de cette technique, la loi du 14 mars 2012 a institué une taxe. Toutefois, les conditions de mise en œuvre de celle-ci, qui ne concerne du reste que les actions, n’ont pas permis de juguler le trading à haute fréquence.
De très nombreuses opérations sont en fait exonérées : d’abord, parce que la taxe ne concerne pas les activités de tenue de marché, qui représentent la grande majorité des opérations de trading à haute fréquence ; ensuite, parce que, ces opérations n’étant taxables que si leur proportion par rapport au total des ordres introduits sur une journée dépasse 80 %, chaque opération supérieure à une demi-seconde permet de défiscaliser quatre opérations de trading à haute fréquence.
Nous proposons donc par cet amendement, non d’interdire le trading à haute fréquence, mais de taxer l’ensemble des opérations de trading à haute fréquence, y compris celles qui correspondent à des activités de tenue de marché, l’objectif étant aussi de procurer des ressources supplémentaires pour financer nos actions publiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Yung, rapporteur de la commission des finances. J’ai précédemment développé les arguments de la commission en présentant son avis sur l’amendement n° 83 rectifié. La commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Rossignol, l'amendement n° 163 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Laurence Rossignol. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 163 rectifié bis est retiré.
Chapitre IV
Répression des abus de marché
(Division et intitulé nouveaux)
Article 4 septies (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa et à la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 465-1, après la première occurrence du mot : « réaliser », sont insérés les mots : « , de tenter de réaliser » ;
2° Au second alinéa de l’article L. 465-2, après le mot : « répandre », sont insérés les mots : « ou de tenter de répandre » ;
3° Au premier alinéa des c et d du II de l’article L. 621-15, les mots : « ou s’est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou » sont remplacés par les mots : « , à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou s’est livrée ». – (Adopté.)
Article 4 octies (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Aux premier, deuxième et troisième alinéas de l’article L. 465-1 et au second alinéa de l’article L. 465-2, après la première occurrence des mots : « marché réglementé », sont insérés les mots : « ou négociés sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 465-2, après le mot : « réglementé », sont insérés les mots : « ou d’un système multilatéral de négociation » ;
3° Le second alinéa du I de l’article L. 621-9 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sont également soumis au contrôle de l’Autorité des marchés financiers les instruments financiers négociés sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée. » ;
4° Les c et d du II de l’article L. 621-15 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« - un instrument financier négocié sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lequel une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ; ». – (Adopté.)
Article 4 nonies (nouveau)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 465-2, il est inséré un article L. 465-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 465-2-1. - Est puni des peines prévues au premier alinéa de l’article L. 465-1 le fait :
« - pour toute personne de transmettre des données ou des informations fausses ou trompeuses utilisées pour calculer un indice défini au dernier alinéa du présent article ou de nature à fausser le cours d’un instrument ou d’un actif auquel serait lié cet indice, lorsque la personne ayant transmis les données ou les informations savait ou aurait dû savoir qu’elles étaient fausses ou trompeuses ;
« - pour toute personne d’adopter tout autre comportement aboutissant à la manipulation du calcul d’un indice.
« Constitue un indice toute donnée diffusée calculée à partir de la valeur ou du prix, constaté ou estimé, d’un ou plusieurs sous-jacents, d’un ou plusieurs taux d’intérêt constaté ou estimé, ou de toute autre valeur ou mesure, et par référence à laquelle est déterminé le montant payable au titre d’un instrument financier ou la valeur d’un instrument financier. » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 465-3, la référence : « et L. 465-2 » est remplacée par les références : « , L. 465-2 et L. 465-2-1 » ;
3° Les c et d du II de l’article L. 621-15 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« - un indice tel que défini à l’article L. 465-2-1 ; ».
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l'article.
M. Vincent Delahaye. N’ayant pas pu prendre la parole au début de l’examen du titre Ier bis, je souhaite intervenir avant que nous passions au titre II.
Ce projet de loi me laisse perplexe. Les objectifs affichés sont alignés sur les promesses de campagne : « Il faut tordre le cou à la finance, la mettre à genoux », « Notre ennemi invisible, c’est la finance », etc. Or la réalité du projet est très éloignée de ces déclarations.
Le talon d’Achille de ce texte est le titre Ier, censé pourtant en être le cœur. Il a pour objet de séparer les activités bancaires utiles à l’économie des activités spéculatives. Mais la montagne a accouché d’une souris… Le lobby bancaire a joué efficacement son rôle ! Vous avez réfléchi, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, et d’un projet de séparation nous sommes passés à un projet de cantonnement, à travers la création d’une filiale d’un nouveau type puisque les maisons mères sont normalement responsables des filiales et que, en l’occurrence, ce ne sera plus le cas.
Certains regrettent la minceur du résultat au regard des annonces faites, d’autres s’en félicitent. Je fais plutôt partie de la deuxième catégorie, car je n’ai jamais été partisan d’une séparation idéologique des activités bancaires et d’un affaiblissement de notre industrie bancaire. Je me réjouis donc que le Président de la République ne tienne pas son engagement et que la réforme bancaire reste bien en deçà des promesses de campagne.
J’en viens à quelques remarques s’appuyant sur mon engagement européen.
Je soutiens le Gouvernement dans sa participation à la mise en place d’une union bancaire européenne, mais je ne souhaite pas que la France fasse cavalier seul.
Selon moi, sur le sujet qui nous intéresse, à savoir les mesures à prendre pour éviter d’être de nouveau surpris par une crise majeure du système bancaire, il faut « jouer collectif ». Sous l’impulsion du G20, un travail considérable de renforcement de la régulation prudentielle des banques a été entrepris depuis 2008. Il faut le poursuivre dans un cadre européen. Le rapport Liikanen devrait être suivi d’une directive sur la réglementation bancaire, qu’il nous faudra transposer. Il m’aurait semblé logique d’attendre cette transposition pour modifier notre législation.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est-il de nature à empêcher tout nouveau problème ?
Ce texte ne protège en rien la communauté nationale des dérives de la finance de marché. Pire : affirmer qu’il y a séparation dans ce cas est un faux-semblant, qui crée un sentiment illusoire de sécurité. C’est très dangereux !
Le critère choisi par le Gouvernement pour établir la frontière entre les activités pouvant rester du côté des dépôts et celles devant être filialisées peut sembler à première vue de bon sens : activités utiles au financement de l’économie versus activités spéculatives. Les apparences sont ici trompeuses.
L’utilité est définie comme le fait d’avoir un client. Avec ce critère « mou » retenu par le Gouvernement, quand une banque structure un produit complexe de spéculation sur matières premières agricoles et le vend à un client, quel qu’il soit et où qu’il se trouve, cette opération est du côté des dépôts. Elle bénéficie donc de facto de la garantie publique. De la même manière, l’immense masse des opérations sur dérivés reste du côté des dépôts.
Le projet de loi présenté filialise une part infime des activités des banques. Certains parlent même de moins de 1 % du bilan des banques, voire de 0,1 %. Ce n’est pas pour rien qu’aucun chiffre ne figure dans l’étude l’impact !
Pourtant, depuis 2008, qu’est-ce qui a coûté cher aux contribuables français ? C’est la faillite de Dexia, dont les conséquences financières ne sont pas encore connues, mais se chiffrent en milliards d’euros.
L’État actionnaire est loin d’être toujours à la hauteur de ses responsabilités. L’État propriétaire ne fait malheureusement pas mieux. Et l’on peut en dire autant, bien souvent, de l’État employeur !
J’aimerais vous entendre, monsieur le ministre, sur les améliorations que vous envisagez d’apporter sur ces points. À quand les réformes nous mettant à l’abri des gros pépins ?
En attendant, je m’abstiendrai sur ce texte. D’un côté, il apporte sans doute des améliorations, mais, de l’autre, il ne s’inscrit pas dans un travail collectif européen, ce que je regrette. Il donnera le sentiment aux Français que tout est réglé dans le secteur bancaire – ce qui est loin d’être le cas –, et c’est ce que je redoute !
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, sur l'article.
M. Philippe Marini. Notre collègue Vincent Delahaye a évoqué les marchés de dérivés sur matières premières. Je sais que le ministre et ses services sont attentifs à ce secteur d’activité.
Je rappelle que la société MATIF SA, filiale d’Euronext, a toujours une activité importante en ce domaine. Elle a défini, selon le droit français, des contrats qui sont appréciés des acteurs de ces marchés. Il s’agit bien de transactions réglementées, offrant un degré satisfaisant de transparence.
Or nous pouvons être préoccupés, monsieur le ministre, par l’évolution capitalistique de NYSE Euronext. Notre rapporteur, Richard Yung, connaît bien ce sujet. Des opérations sont intervenues qui sont susceptibles de permettre aux investisseurs financiers de la place de Paris représentatifs des banques et des assurances de reprendre pied dans l’actionnariat des bourses fédérées par Euronext : Paris, Bruxelles, Amsterdam, Lisbonne.
Je sais bien que ce sujet qui concerne une entreprise cotée est complexe et qu’il faut veiller à ce que les acteurs privés puissent prendre position selon les règles du marché. Toutefois, je saisis l’occasion qui m’est donnée en cet instant pour rappeler qu’avec Euronext se présente une opportunité de structurer le marché des opérations à terme sur les matières premières, ce qui répond à de réels besoins économiques, la France étant, comme chacun le sait, un État dont les agro-ressources sont un élément d’excellence et de compétitivité internationale.
Ainsi, parmi les sujets de préoccupation que nous pouvons exprimer au Sénat, figure bien la nécessité d’obtenir plus de transparence dans ce type de transactions et de maintenir à Paris un pôle d’excellence, avec des transactions portant sur des contrats régis par le droit français.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 nonies.
(L'article 4 nonies est adopté.)
Articles additionnels après l'article 4 nonies
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Vaugrenard, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
I. Après l'article 4 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant la section 1 du chapitre 1er du titre 1er du livre V du code monétaire et financier, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - L’assemblée générale ordinaire des actionnaires se prononce annuellement sur l’enveloppe des rémunérations de toutes natures des dirigeants responsables au sens des articles L. 511–13 et L. 532–2 et des catégories de personnel, incluant les preneurs de risques, les personnes exerçant une fonction de contrôle, ainsi que tout salarié qui, au vu de ses revenus globaux, se trouve dans la même tranche de rémunération, dont les activités professionnelles ont une incidence significative sur le profil de risque de l’entreprise ou du groupe. »
II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre 1er ter
Encadrement des rémunérations dans le secteur bancaire
La parole est à M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ce projet de loi peut paraître complexe, plusieurs de ses articles étant extrêmement techniques. D’autres articles le sont un peu moins et peuvent être compris par tous. C’est le cas de l’article additionnel que vise à introduire cet amendement, qui traite de la rémunération des hauts dirigeants des banques ainsi que des salariés dont les activités ont une incidence significative sur le profil de risque de la société considérée : en d’autres termes, les mandataires sociaux et les traders.
Dans cet amendement, je suggère que l’assemblée générale des actionnaires puisse annuellement décider de l’enveloppe globale de la rémunération des hauts dirigeants, qui représente environ 1 % de la masse salariale dans chaque établissement bancaire.
La Cour des comptes, dans son rapport paru en 2013, préconise que l’assemblée générale des actionnaires soit consultée sur ce point. Je vais plus loin en souhaitant qu’elle soit décisionnaire. On a dit hier qu’il fallait que la faute soit payée. Il me semble que ceux qui sont les propriétaires doivent aussi pouvoir décider.
C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à donner à l’assemblée générale un pouvoir de contrôle accru sur la rémunération de ces dirigeants et traders. Elle devra se prononcer sur le niveau global des rémunérations de ces personnes.
Je le répète, cet amendement reprend une recommandation de la Cour des comptes, mais il va un peu plus loin, car nous considérons que le fait, pour l’assemblée générale des actionnaires, d’être consultée en la matière n’est pas suffisant et qu’elle doit pouvoir décider.
Cette mesure a vocation à s’intégrer dans un arsenal législatif à venir concernant l’encadrement des rémunérations de toutes natures dans la finance, là où s’applique le principe de ce qu’on appelle le say on pay. Celui-ci a permis de réguler certaines extravagances, l’assemblée générale sanctionnant en effet les dirigeants qui s’octroient des augmentations alors même que le groupe qu’ils dirigent connaît des difficultés. C’est cela qu’il faut modifier, et c’est le bon sens qui, en l’espèce, doit prévaloir.
L’encadrement des rémunérations dans la finance est un élément essentiel de la régulation et de la lutte contre la spéculation. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur l’attente politique forte qui existe à cet égard. Les déclarations faites hier par le Premier ministre vont tout à fait, me semble-t-il, dans ce sens.
Tel est l’objet de l’amendement que je vous demande d’adopter afin de compléter ce projet de loi que, par ailleurs, j’approuve totalement. L’adoption de ma proposition renforcerait la lisibilité du texte et mettrait en lumière la volonté politique qui nous anime.