Sommaire
Présidence de M. Charles Guené
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Jacques Gillot.
2. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
3. Demande d’avis sur un projet de nomination
4. Communication du Conseil constitutionnel
5. Retrait d’une question orale
6. Candidatures à une commission d’enquête
7. Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi ; Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
8. Nomination des membres d'une commission d'enquête
9. Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale (suite) : M. Patrice Gélard, Mme Cécile Cukierman, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa, M. Jean-Yves Leconte, Mme Nathalie Goulet.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Cécile Cukierman. – Mme Cécile Cukierman.
Amendements nos 3 et 2 de la commission. – M. le rapporteur.
M. le rapporteur, Mmes Christiane Taubira, garde des sceaux ; Cécile Cukierman. – Rejet de l’amendement n° 1 rectifié ; adoption de l’amendement n° 3.
M. le rapporteur. – Adoption de l’amendement n° 2.
Adoption de l'article modifié.
Article 2 (nouveau). – Adoption
M. Pierre-Yves Collombat, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. le président de la commission.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Charles Guené
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Jacques Gillot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé, le vendredi 22 février 2013, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 385, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales, qu’il a déposée ce même jour.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 20 mars 2013.
3
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 23 février 2013, a demandé à M. le Président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Christian Leyrit aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
4
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 22 février 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant respectivement sur :
- l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (carte de séjour temporaire) (2013-312 QPC) ;
- l’article L. 5312-7 du code des transports (grands ports maritimes) (2013-313 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
5
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 330 de Mme Michelle Demessine est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
6
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.
Je vous rappelle que cette commission d’enquête a été créée sur l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit au bénéfice de chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
En outre, je vous informe que, sous réserve de la ratification de la liste de ses candidats, la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage est convoquée pour se constituer demain, mercredi 27 février, à dix-sept heures, dans la salle de la commission de la culture.
7
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (proposition n° 753 [2011-2012], texte de la commission n° 354, rapport n° 353).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’un sujet majeur pour la France, pour tous les pays du monde et pour l’espèce humaine. En effet, l’histoire ancienne, l’histoire contemporaine et même l’histoire récente nous ont appris que les horreurs font partie, hélas, de l’expérience humaine, que nombreux sont les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre, et que leurs victimes, des êtres humains, se comptent par milliers, par dizaines de milliers, par centaines de milliers et même par millions.
Que peut-on opposer, face à cela ? Eh bien, mes chers collègues, la civilisation – les civilisations -, l’humanisme, mais aussi la détermination de toutes celles et de tous ceux qui, comme vous, j’en suis sûr, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez, œuvrent pour que la formule « Plus jamais ça » ne reste pas un vœu bien vite, trop vite, contredit par les faits.
Mes chers collègues, chacune et chacun d’entre nous a présentement à l’esprit les horreurs dont je parle. Mais la même humanité, notre humanité, qui a connu de telles horreurs, a connu aussi des trésors d’intelligence, de sensibilité, d’amour, d’altruisme, bref, de civilisation. Ainsi, après les procès de Nuremberg et de Tokyo, les consciences se sont progressivement éveillées et, prolongeant cet éveil, les démocrates ont alors permis, par leurs efforts, à la Cour pénale internationale de voir le jour.
Ce matin même, notre collègue Alain Anziani, rapporteur de ce texte, faisait remarquer qu’il avait fallu cinquante ans pour qu’une cour pénale internationale soit créée. On aurait pu penser qu’après les procès de Nuremberg et de Tokyo une telle juridiction se serait très vite imposée : il a fallu du temps.
La signature, le 18 juillet 1998, de la convention de Rome, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale, est un événement important.
C’est que, mes chers collègues, il s’agissait non seulement de créer une institution nouvelle, mais aussi, en instaurant une complémentarité entre les tribunaux des différents pays signataires et entre ceux-ci et la CPI, d’unir les justices du monde entier, pour que le droit règne en tous lieux et qu’un nécessaire châtiment attende les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre.
Notre pays a tiré les conséquences de la convention de Rome et de la création de la Cour pénale internationale, d’abord dans sa Constitution, puis par le vote de la loi du 9 août 2010, qui permet au juge français de connaître de ces crimes.
Cependant, dès le vote de cette loi - et même avant -, il est apparu que celle-ci était infiniment restrictive. Qu’il me soit permis à cette tribune de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui se sont mobilisés et qui se sont battus pour la modifier. C’est ce qui m’a conduit à présenter, le 6 septembre dernier, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, avec nombre de mes collègues socialistes, tout en sachant que des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques partagent notre sentiment.
Si je suis le premier signataire de la présente proposition de loi, j’ai, ou plutôt nous avons une dette immense, mes chers collègues, si vous me permettez d’anticiper votre soutien et de parler en votre nom à tous, à l’égard de Robert Badinter, de Mireille Delmas-Marty et de Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, sans oublier les parlementaires les plus impliqués – je veux à cette tribune citer Patrice Gélard -, qui ont permis de faire avancer les idées et le droit sur cette question tellement importante.
La loi du 9 août 2010 a réformé l’article 689-11 du code de procédure pénale, ce qui s’est traduit par un certain nombre de restrictions, que l’on a d’ailleurs nommées « verrous ».
Première restriction, pour que les juridictions françaises puissent être compétentes, c'est-à-dire puissent poursuivre et condamner, il fallait que l’auteur ou l’auteur présumé des crimes « réside habituellement » sur le territoire français. À cet égard, comment ne pas citer Robert Badinter, qui s’est toujours élevé contre une telle formulation : « Conserver la condition de résidence habituelle […] signifie que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c'est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de manière quasi permanente dans notre pays. »
Ainsi donc ces personnes viendraient chez nous, pour habiter dans un petit pavillon entouré d’une haie de thuyas et aller régulièrement au café du coin faire leur tiercé le dimanche ? (Sourires.) Quelle absurdité !
Non, mes chers collègues, on le sait bien, poser cette condition, c’est choisir l’impuissance.
Vous le savez également, en droit interne français, c’est un principe invariable, il suffit de se trouver sur le territoire national pour pouvoir être poursuivi, jugé et condamné.
Par conséquent, la première restriction, absurde, c'est cette condition de résidence habituelle sur le territoire français, condition que cette proposition de loi vise à supprimer.
La seconde restriction à laquelle il s’agit de mettre fin est ce que l’on appelle la « double incrimination ». De quoi s'agit-il ? Pour poursuivre, juger et condamner un auteur présumé de crimes contre l'humanité, il faudrait, selon la loi française actuellement en vigueur, que les faits soient punis par la législation française, bien sûr, mais également, et dans les mêmes termes, par la législation de l'État où ces faits ont été commis ou par celle de l'État dont l'auteur présumé des faits a la nationalité. De surcroît, il faudrait que cet État soit partie à la convention de Rome.
Très franchement, ces conditions, dont on ne comprend pas pourquoi elles ont été posées, sont difficiles à réunir. Je rappelle, par exemple, que la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 octobre 2002, a considéré, s'agissant de la convention contre la torture, que la juridiction française était fondée à exercer une compétence universelle, quand bien même aurait été votée une loi d'amnistie dans l'État où les faits se sont produits ou dans l'État dont l'auteur présumé a la nationalité. C'est dire si la Cour de cassation a été claire sur le sujet !
J'ajoute qu'il serait choquant de subordonner la possibilité de poursuivre et de juger les auteurs des crimes les plus odieux à l'existence de dispositions pénales dans l'État dont ils ont la nationalité ou bien dans celui où ils ont commis ces crimes.
À cet égard, mes chers collègues, vous me permettrez de souligner la contribution de M. le rapporteur, qui, tout à l'heure, exposera sa position sur ce texte et nous présentera les amendements qu’il a déposés.
Certes, pour les raisons que je viens d’indiquer, il convient de mettre fin à cette double incrimination – c’est l’objet de cette proposition de loi –, mais il serait injuste que seuls les individus ressortissants d’États signataires de la convention de Rome puissent être poursuivis. Il faut donc aller plus loin que la proposition de loi initiale. C’est pourquoi Alain Anziani, ici, au Sénat de la République française, nous propose par la voie d’un amendement adopté à l’article 1er de la proposition de loi que les juridictions françaises aient compétence sur les ressortissants de tous les pays de la Terre, y compris les ressortissants d’États qui ne seraient pas signataires de la convention de Rome. (Mmes Nathalie Goulet et Esther Benbassa approuvent.)
La disposition est importante, parce qu’il existe des tyrans, des criminels qui disposent d'une justice aux ordres, qui peuvent compter sur une législation taillée sur mesure et qui n'ont pas commis l’« imprudence » de signer la convention de Rome.
Il faut donc que la justice passe, y compris pour les ressortissants de ces États qui seraient soupçonnés de crime contre l'humanité, de crime de génocide ou de crime de guerre.
La troisième restriction est relative à ce qui est présenté comme le principe de primauté de la Cour pénale internationale. En effet, pour que la juridiction française puisse exercer des poursuites, « le ministère public s’assure auprès de la Cour pénale internationale qu’elle décline expressément sa compétence et vérifie qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition ».
Encore une fois, cette condition est absurde, et, disons-le clairement, résulte d'une interprétation erronée de la convention de Rome, laquelle – et c'est d'ailleurs pourquoi c’est un texte essentiel – pose le principe de la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales ; elle n'instaure aucunement une primauté de la première sur les secondes.
D’ailleurs, et il faut voir là un indice probant de ce que j’avance, la CPI exerce sa compétence à l’égard d’une « situation », cependant que les juridictions nationales exercent la leur à l’égard d’une « personne ».
Comme l'a montré Robert Badinter, « c’est aux États en effet qu’il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes […]. C’est seulement faute pour ces États d’agir […] que la Cour assurera la répression […] ».
Par conséquent, cette troisième restriction que pose notre droit est contraire à l'esprit même de la convention de Rome.
Mais il reste, mes chers collègues, une quatrième restriction.
Dans la proposition de loi, j’envisage de remettre en cause le monopole du parquet. La commission et son rapporteur, dont je partage les préoccupations, se sont attentivement penchés sur cette question. Vous le savez, mes chers collègues, elle a donné lieu à des débats riches, nourris, aussi bien avec les associations, en particulier avec la Coalition française pour la Cour pénale internationale – même si nous n'avons pas fait nôtres toutes ses positions –, qu’avec les représentants des magistrats et bien sûr, avec vous-même, madame le garde des sceaux, avec vos services, avec ceux du ministère des affaires étrangères et d'autres ministères encore.
Nous avons été amenés à prendre en considération ce qui s'est passé dans un certain nombre de pays, en particulier en Belgique et en Espagne, et à veiller à éviter tout recours dilatoire ou toute instrumentalisation de la justice. Au final, nous avons défini une solution possible dans le détail de laquelle entrera Alain Anziani dans un instant.
Ce faisant, nous avons la volonté d'être fidèles à nos principes, de mettre fin aux restrictions excessives contenues dans notre droit, à commencer par la condition de résidence habituelle, et de trouver une voie moyenne entre l'efficacité de la justice et le nécessaire réalisme auquel nous obligent un certain nombre de situations concrètes.
Nous ne prétendons pas que la solution qui sera retenue ici, que les dispositions que nous voterons cloront le débat. Nous en sommes au stade de la première lecture et, surtout s’agissant d’un sujet aussi important, nous croyons à la force du débat parlementaire. Madame le garde des sceaux, je ne demande qu’une chose : que l’on aille de l'avant. Cela étant, ce n’est pas à vous que j’adresse cette invite, tant vous avez su nous démontrer, ces derniers mois, ces dernières semaines, que vous saviez aller de l'avant, alors qu’il est toujours plus facile de se complaire dans les hésitations. Permettez-moi de vous le dire, madame le garde des sceaux, vous que nous avons l'honneur d’accueillir parmi nous cet après-midi.
Pour aller de l'avant, il faudra d’abord que ce texte soit examiné rapidement par l'Assemblée nationale et qu’il nous revienne dans des délais raisonnables. C'est indispensable.
Madame le garde des sceaux, j’ai entendu dire que plusieurs projets de loi constitutionnelle étaient en cours de préparation, en particulier un texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature, qui consacrerait, par les conditions tant de nomination que de promotion de ses membres, l'indépendance du parquet français. Ce dernier texte serait tout aussi important que celui que nous examinons cet après-midi.
Mes chers collègues, si vous voulez bien la voter, cette proposition de loi marquera un indéniable progrès dans la défense de l’humanité contre ceux qui se sont rendus coupables de ces horreurs que sont les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes de guerre, car ceux-là doivent pouvoir être jugés. C’est sans doute l'un des sujets les plus importants que nous ayons eu à traiter ici et c'est une nécessité pour la conscience humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, faut-il ou non accepter l'impunité ? Faut-il accepter l'impunité au motif que les faits en question – crimes contre l'humanité, crimes de génocide ou crimes et délits de guerre – se seraient produits dans un pays qui, politiquement, matériellement et militairement, n'aurait pas la capacité d’engager des poursuites contre les auteurs ?
À cette question fondamentale qui nous réunit aujourd’hui, une réponse d'ensemble a été donnée voilà quelque temps. Comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la conscience universelle avait progressé qui devait conduire à la création des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo pour juger des crimes ayant eu – caractérisons-les ainsi – un retentissement tout aussi universel.
C'est vrai, il aura fallu cinquante ans pour progresser sur la voie d’une justice pénale internationale, un demi-siècle pour réaliser que, tant d’années après la Seconde Guerre mondiale, on commettait encore des crimes contre l'humanité ou des crimes ayant une dimension universelle.
Il a fallu attendre. Et c’est ainsi que, conformément à son rôle, l'assemblée générale des Nations unies a institué un Tribunal pénal international pour le Rwanda, puis un autre pour l’ex-Yougoslavie. Il fallait répondre à des situations d’urgence.
Dans le même temps, l’institution internationale a estimé qu'il fallait aussi envisager la création d'une cour pénale internationale. Cela a pris un peu plus de temps, quelques années, à tel point que la Cour pénale internationale ne fonctionne que depuis 2002.
Toutefois, la création de la Cour pénale internationale n’a pas tout réglé, notamment parce que la Cour a admis – et c’est une innovation majeure – qu’elle n’avait qu’une compétence complémentaire, et j’oserai dire « subsidiaire ». Avec réalisme, la CPI reconnaît que des juridictions nationales pourront engager des poursuites sur des dossiers qu’elle ne pourra pas couvrir, faute de moyens matériels. Nous connaissons tous en effet la situation matérielle de la Cour pénale internationale, en dépit de la forte contribution de la France.
Je tiens d’ailleurs, après Jean-Pierre Sueur et sans doute avant beaucoup d’autres, à saluer le rôle que joue notre pays au sein de cette juridiction internationale, notamment l’action très énergique de Robert Badinter, qui, en véritable croisé, a conduit avec beaucoup de fermeté son combat contre l’impunité.
Bien entendu, il a fallu que notre droit s’adapte à cette nouvelle donne internationale. Cela nous a pris une dizaine d’années. Qu’il me soit permis en cet instant de saluer Patrice Gélard, rapporteur au Sénat du projet de loi portant adaptation du droit pénal international à l’institution de la Cour pénale internationale, devenue la loi du 9 août 2010, ainsi que François Zocchetto qui, comme l’atteste le compte rendu de nos travaux, a pris une part active à la discussion.
Avec le recul, nous nous sommes rendu compte que la loi du 9 août 2010 n’était pas satisfaisante du fait des quatre conditions de recevabilité qu’elle prévoit, ces quatre « verrous », selon l’expression consacrée, que la présente proposition de loi déposée par M. Jean-Pierre Sueur vise précisément à faire disparaître.
Les auditions que j’ai eu l’honneur de conduire depuis quelques semaines – trop peu nombreuses, mais c’est le propre du travail parlementaire, nous sommes toujours pressés – montrent qu’il existe un consensus pour supprimer les trois premiers verrous. Je n’insisterai pas.
Il reste une question en débat, tant au sein du Parlement qu’à l’extérieur. Cette question, simple à formuler mais difficile à résoudre, comme souvent, est de savoir qui aura le droit d’engager des poursuites. Les réponses à cette question correspondent à deux logiques différentes, mais toutes deux honorables.
La première de ces logiques est portée par des associations, des ONG, des mouvements de défense des droits de l’homme : pourquoi appliquer aux infractions extraterritoriales un droit différent de celui qui s’applique aux infractions commises sur le territoire national ? Nous avons une tradition, il suffit de l’appliquer.
Mes chers collègues, nous ne devons pas minimiser – et je pèse mes mots – le caractère hors du commun des infractions extraterritoriales. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : il ne s’agit pas d’instaurer une législation d’exception. Néanmoins, ces infractions présentent un caractère hors du commun, tout simplement parce que les notions de temps et de lieu de l’infraction sont profondément différentes de ce que nous connaissons habituellement.
Le temps est différent par rapport à la poursuite des infractions de droit commun puisqu’il y a imprescriptibilité. Une personne peut donc être poursuivie pour des faits remontant à une cinquantaine d’années. C’est évidemment un caractère hors du commun.
Il en est de même pour l’espace, puisqu’une personne peut être poursuivie pour des faits commis à des milliers ou des dizaines de milliers de kilomètres de notre territoire, avec tout ce que cela suppose en termes de capacité de surveillance, de recensement, d’enquête. C’est la définition même de la compétence universelle.
Nous ne sommes donc pas dans le droit commun et c’est une raison de ne pas appliquer de manière mécanique nos règles de procédure pénale.
Mais cette explication n’est en elle-même pas suffisante, et j’en préfère une autre, qui consiste à s’écarter de toute question de théorie, de doctrine, pour s’en remettre simplement à l’expérience.
Le premier devoir d’un législateur est d’observer ce qui se passe hors des frontières, d’étudier les expériences qui ont été conduites dans d’autres pays.
La France présente la spécificité, avec la Belgique et l’Espagne, d’accepter que l’action publique soit mise en mouvement par la victime par dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile.
La Belgique a voté une loi qui a enchanté tous ceux qui se préoccupent de la défense des droits de l’homme – et nous le sommes tous –, mais qui n’a vécu que quatre ans.
Car la Belgique est allée très loin en supprimant presque tous les filtres, y compris la protection qui naît de l’immunité reconnue aux chefs d’État en exercice. Ce qui lui a d’ailleurs valu une condamnation de la Cour internationale de justice ! Elle avait supprimé toute condition liée au territoire belge tout en conservant sa tradition judiciaire, qui permet à une victime d’engager des poursuites sans le filtre du ministère public.
Que s’est-il passé ? Des plaintes d’origines différentes, parfois croisées, ont été déposées : l’une contre Ariel Sharon, l’autre contre Yasser Arafat, d’autres encore contre des représentants des États-Unis, contre Bush Senior en particulier.
De nombreux incidents émaillèrent, du fait de cette nouvelle législation, les rapports avec des États étrangers. Ainsi, les États-Unis firent savoir que, si les responsables américains ne pouvaient pas aller à Bruxelles sans risquer des poursuites – poursuites qui peuvent d’ailleurs être engagées même hors leur présence sur le sol de la Belgique –, ils ne s’y rendraient plus, ce qui n’allait pas sans poser des problèmes dans la mesure où le siège de l’OTAN est, comme chacun sait, à Bruxelles…
De même, Israël décida de rapatrier son ambassadeur. D’autres pays protestèrent, tout comme, du reste, certains responsables palestiniens !
Bref, quatre ans après le vote de cette loi, la Belgique renonçait : elle revenait à un système de filtre des plaintes par le procureur fédéral et elle rétablissait la condition du lien avec le territoire belge. Aujourd’hui, la procédure belge est plus fermée que la procédure française.
En Espagne, la situation est différente, mais on a aussi voulu une loi à visée très large. Quelques années plus tard, les Espagnols sont revenus de leur « générosité » et, aujourd’hui, s’il est possible, en Espagne, d’engager des poursuites à la requête de la victime, c’est sous certaines conditions : soit la victime est de nationalité espagnole, soit l’auteur de l’infraction est de nationalité espagnole, soit il existe un lien suffisant et fort – c’est me semble-t-il l’expression exacte – entre l’Espagne et l’infraction. Ce pays a donc imposé d’autres conditions de recevabilité de la plainte.
Nous ne pouvons pas ne pas voir la réalité et prétendre que tout cela est faux. Non, c’est l’expérience et nous, législateur, sommes responsables des lois que nous votons.
Permettez-moi d’ajouter un autre exemple, certes un peu particulier, mais tout aussi édifiant. La Grande-Bretagne ne connaît pas la constitution de partie civile qui met en mouvement l’action publique ; elle ne connaît que le monopole du ministère public. Toutefois, elle a souhaité un temps permettre à la victime de demander directement au juge des mandats d’arrêt, des mandats d’extradition. La victime pouvait donc saisir le juge directement. Eh bien, cela n’a pas duré très longtemps ! Les différents rapports qui ont été rendus ont souligné des abus qui ont conduit à supprimer cette possibilité.
Je souhaite faire partager ma conviction. À cette fin, je veux être complet et répondre à un argument qui nous est souvent opposé : comment accepter qu’une victime puisse saisir directement le juge en cas de torture mais que ce droit soit refusé aux victimes de crimes contre l’humanité ? Je suis tout disposé à ouvrir ce débat, mais il faut mettre tous les éléments sur la table.
L’identification de l’auteur des faits est plus facile dans les cas de torture qu’en matière de crime contre l’humanité. Les circonstances sont également plus faciles à déterminer.
Il y a même une différence de nature entre les deux, et elle est majeure. Elle tient au fait que, grâce à la proposition de loi de M. Sueur – cet aspect n’est pas suffisamment souligné, mais c’est un apport considérable –, pour les crimes contre l’humanité, nous allons aussi pouvoir poursuivre les personnes morales, et plus seulement les personnes physiques.
Plaçons-nous dans la perspective d’une victime ou d’une prétendue victime, si vous me permettez l’expression, disons d’une personne qui dénonce, par exemple, une entreprise ayant livré du matériel électronique à une bande d’assassins, ou à un État dont les responsables se sont rendus coupables de crimes contre l’humanité. On voit bien la distinction : si le matériel électronique a directement servi à la commission d’un crime contre l’humanité ou, le plus souvent, d’un crime de guerre, et si l’entreprise avait une connaissance parfaite de l’usage qui était fait de son matériel, il y a lieu à poursuites, ne disons pas le contraire ; si l’entreprise a livré le matériel dans des conditions qui mériteront d’être élucidées mais d’où il ressort qu’il n’était pas destiné à commettre un crime de guerre, dans ce cas, il n’y aura sans doute pas motif à poursuivre.
Telles sont les difficultés, tels sont les problèmes concrets que nous rencontrons. Si nous supprimons le monopole du ministère public, nous nous exposons bien évidemment à des risques de procédure abusive.
Je n’avance pas ces arguments pour soutenir l’idée qu’il ne faut pas réprimer les infractions. Je veux simplement que notre débat soit tout à fait clair. Nous avons un cap, qui est de lutter contre l’impunité et de poursuivre ces crimes odieux, et odieux à tous. Pour autant, nous devons veiller à ne pas être instrumentalisés. Or nous vivons dans un monde où ce risque est bien réel.
Le ministère des affaires étrangères ajouterait qu’une telle instrumentalisation ne serait sans doute pas sans effet sur l’action diplomatique de la France. Je ne veux pas m’engager sur ce terrain, même si je comprends que l’on puisse développer cette thèse. Je m’en tiens à mes responsabilités, et je considère que les causes humanitaires que nous défendons seraient sans doute les grandes perdantes d’une procédure qui pourrait être détournée de son objet.
Pour aller au bout de mon raisonnement, je me dois de dire que, souvent, on se méfie du ministère public, que l’on suppose aux ordres du pouvoir en place. Et l’on ne veut donc pas que ce dernier puisse étouffer des affaires.
Je pense pour ma part que nous devrions pouvoir dissiper cette inquiétude.
Jean-Pierre Sueur a donné des pistes. Quant à moi, j’en vois trois. Nous fondons évidemment beaucoup d’espoir sur vos initiatives, madame la garde des sceaux.
Tout d’abord, il faut garantir l’indépendance du parquet. Nous savons qu’une réforme constitutionnelle ne pourra aboutir que si elle recueille la majorité des trois cinquièmes ; je n’insisterai pas sur ce point.
Ensuite, cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions, la publication par votre ministère, madame la garde des sceaux, d’une circulaire de politique pénale précisant les conditions dans lesquelles les poursuites peuvent être engagées ou non dissiperait une partie des inquiétudes – je n’ai pas la prétention d’affirmer qu’elle en supprimerait la totalité – concernant le monopole du ministère public.
Enfin, ce matin, nous avons adopté en commission un amendement en ce sens, puisqu’il tend à reprendre simplement l’article 40-3 du code de procédure pénale : « Toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République peut former un recours auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite prise à la suite de cette dénonciation… »
En l’espèce, nous n’inventons rien, madame la garde des sceaux, puisque ces dispositions figurent déjà dans le code de procédure pénale, mais nous ajoutons juste une précision qui me paraît utile en la matière : dans ce cas-là, le procureur général devra entendre la personne qui a dénoncé les faits si celle-ci en a fait la demande.
Il y aura donc une amorce de débat entre le parquet et la personne qui a dénoncé les faits, qu’elle soit victime ou non, par exemple une ONG. Ensuite, la décision du premier devra être motivée et notifiée à la seconde, ce qui, là aussi, obligera le parquet à traiter ces questions délicates avec toute l’attention dont il fait preuve habituellement, peut-être même au-delà.
Comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, ce texte a aussi une vertu qui semble ignorée : il élargit la compétence du juge français, qui pourra connaître des infractions commises non seulement par des personnes soumises au Statut de Rome mais également par des ressortissants d’États non signataires de la convention.
Pour conclure, je souhaiterais, madame la garde des sceaux – c’est une petite marotte –, que l’on supprime le terme « coupable ».
Dans le texte initial de l’article 689-11 du code de procédure pénale, comme souvent dans ce code, figure le terme « coupable » pour désigner des personnes qui n’ont pas encore été jugées. Cela me choque.
Je sais la réalité du code de procédure pénale, je sais la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il n’y a pas matière à aller plus loin, mais je pense que notre travail de législateur consiste aussi, lorsque le terme « coupable » est utilisé alors qu’en toute rigueur il faudrait le remplacer par « personne soupçonnée », à rectifier le texte afin qu’il corresponde vraiment à l’esprit de la loi. Mais je vous sais tout aussi attachée à l’importance de la sémantique en la matière, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat, car il est d’une extrême importance, comme l’ont souligné M. Jean-Pierre Sueur et M. le rapporteur.
La discussion de cette proposition de loi, dont vous êtes l’auteur, monsieur le président – je tiens à vous saluer pour cette initiative et pour la qualité des travaux préparatoires et des débats qui s’en sont suivis –, nous conduit à réexaminer les conditions de mise en œuvre des dispositions de la convention portant statut de la Cour pénale internationale concernant les personnes suspectées d’avoir commis ou d’avoir entraîné la commission de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide, de crimes et délits de guerre.
Ces incriminations sont extrêmement graves et nous devons veiller à ce que notre droit permette de les sanctionner efficacement. En qualité de garde des sceaux, mais aussi à titre personnel, forte des convictions et des idéaux qui sont les miens, j’approuve l’évolution que ce texte introduit dans notre droit interne.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays, profondément marqués par les dévastations qu’a entraînées le conflit, se sont engagés à rétablir la paix en se donnant comme objectif de garantir tout à la fois la justice et la liberté.
Cette double exigence a conduit à l’élaboration de principes fondamentaux qui ont inspiré les quatre conventions de Genève, dont l’un d’entre eux est essentiel et absolument incontestable : la lutte contre l’impunité.
En ce sens, les conventions de Genève stipulent très clairement que tout État partie doit procéder à la recherche, à la poursuite et au jugement de personnes suspectées d’avoir commis ces crimes contre l’humanité, crimes de génocide, crimes et délits de guerre, ou d’avoir ordonné la commission de ces crimes.
Elles précisent également que les États parties doivent traduire ces auteurs présumés devant leurs juridictions ou éventuellement choisir de les transférer à d’autres juridictions s’il s’avère que d’autres parties sont concernées par les faits, mais après avoir vérifié que celles-ci retiennent des incriminations suffisantes.
Parce que ces dispositions figurant dans les quatre conventions de Genève sont très claires, elles nous ont permis pendant un demi-siècle, comme vous le disiez à l’instant, monsieur le rapporteur, de sanctionner ces crimes contre l’humanité, crimes de génocide, crimes et délits de guerre.
Cependant, nous constatons que, en termes d’efficacité et de rigueur, ce sont essentiellement le tribunal militaire international de Nuremberg, installé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, communément appelé « tribunal de Tokyo », qui ont vraiment réussi à juger ces crimes.
La communauté internationale, très préoccupée par les nouvelles situations de guerre et les pratiques criminelles inédites auxquelles elle était confrontée, a décidé de mettre en place des tribunaux pénaux internationaux, en l’occurrence pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
À ce propos, je vous rappelle que nous allons transposer prochainement, à la mi-avril, diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice, notamment celle qui concerne le mécanisme résiduel qui devra parachever les poursuites engagées dans le cadre du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, dont la fermeture est programmée. Ce texte a été examiné en conseil des ministres la semaine dernière, le 20 février.
En résumé, durant ce demi-siècle écoulé, ce sont les deux tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que ces deux tribunaux pénaux internationaux spécifiques, qui ont jugé ces crimes. Mais ils étaient provisoires, concernaient des événements précis et étaient circonscrits à la fois dans le temps et dans l’espace, de sorte que la France et d’autres pays ont souhaité aller plus loin et mettre en place une juridiction pénale internationale à vocation permanente et universelle.
Ont alors été engagés toute la procédure et les travaux préparatoires pour la mise en place, la conception et l’installation de cette cour pénale internationale à l’issue de la signature du traité de Rome le 18 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002.
La France a été l’un des premiers pays à signer ce traité portant création de la Cour pénale internationale et à le ratifier, le 9 juin 2000. Aujourd’hui, les deux tiers des pays du monde ont suivi ses pas, mais notre pays a joué un rôle moteur dans l’élaboration et la ratification de cette convention, ainsi que dans l’entrée en vigueur des dispositions du statut de la Cour pénale internationale.
Il est donc logique que nous nous préoccupions, aujourd’hui, des moyens de parachever la transposition dans notre droit interne des dispositions de cette convention que la France a signée et ratifiée, afin d’en assurer la meilleure application possible.
Le Président de la République a récemment rappelé très clairement, le 18 janvier 2013, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, que l’attachement de la France aux valeurs universelles ainsi qu’à l’idée même de justice internationale l’avait conduite à porter ce projet de cour pénale internationale, à contribuer de façon significative, aujourd’hui encore, à son financement, et surtout à en défendre inlassablement le principe.
Le Président de la République s’est également réjoui de la coopération entre la France et la Cour pénale internationale, dont la procureure était d’ailleurs représentée à l’occasion de cette audience solennelle.
Le statut de la Cour pénale internationale n’impose évidemment pas de transposition en droit interne, ne formule pas non plus de façon très précise et explicite le droit d’introduire en droit interne un certain nombre de dispositions précises.
Des initiatives ont pourtant déjà été prises, dont la loi du 9 août 2010 qui, sur une base sui generis, a introduit des dispositions, mais les a assorties de conditions tellement restrictives qu’à l’usage nous constatons que leur application est extrêmement difficile.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous avez donc décidé de faire évoluer notre droit et le Gouvernement s’en réjouit. Vous avez rappelé tous les obstacles – vous avez beaucoup insisté sur ce point, monsieur le rapporteur –, qui s’opposent à une vocation quasi universelle de notre droit pour sanctionner ces incriminations. Vous avez eu parfaitement raison de le faire.
Vous avez aussi rappelé rapidement que nos juridictions jouissaient déjà d’une compétence extraterritoriale assez importante, puisque cette compétence leur est reconnue si l’un des éléments constitutifs de l’incrimination a été commis sur le territoire national, si l’auteur des faits est français ou si l’une des victimes est française.
Cette compétence extraterritoriale est également reconnue en cas de refus d’extradition. Vous savez les conditions dans lesquelles la France refuse l’extradition, notamment vers des pays où la peine de mort peut être requise, prononcée ou exécutée ; dans ces cas-là, l’extradition n’est accordée que si des garanties sont présentées.
La France peut refuser une extradition, mais alors elle a compétence extraterritoriale pour juger les faits et les auteurs présumés. Elle dispose également de cette compétence extraterritoriale pour des tortures ou des actes cruels, inhumains ou dégradants, en vertu des dispositions de l’article 689-2 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, au-delà de cette compétence extraterritoriale reconnue à nos juridictions, la France, au titre de l’article 14 du statut de la Cour pénale internationale, peut dénoncer des faits auprès de la CPI lorsqu’elle en a connaissance.
Le Parlement a considéré – c’était l’objet de l’initiative de 2010 – que, dans un certain nombre de cas, les compétences extraterritoriales ne suffisaient pas, non plus que cette possibilité de dénonciation au titre de l’article 14, et que, pour les cas résiduels, la France devrait pouvoir intervenir elle-même. Mais ces dispositions ont été assorties de conditions si restrictives que leur application en a été rendue difficile.
Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, vous avez donc décidé de faire évoluer notre droit, d’abord sur la condition de « résidence habituelle », qui peut s’entendre d’une façon générale sur des crimes aussi graves, mais qui méritait effectivement d’être atténuée.
En effet, si, et c’est heureux, la condition de la résidence habituelle avait pour effet d’empêcher l’installation en France de criminels de guerre, d’auteurs de génocide, de criminels contre l’humanité, elle faisait néanmoins obstacle à la possibilité de poursuivre ces criminels lorsqu’ils ne séjournaient en France que provisoirement. Or, sur la base de nos principes et de nos valeurs, nous ne pouvons concevoir que de tels criminels puissent résider ne serait-ce que brièvement sur notre sol en toute impunité.
La disposition législative que le présent texte tend à introduire, et en vertu de laquelle le simple fait que ces personnes se trouvent sur notre territoire autorise la France à engager des poursuites, constitue un progrès incontestable. Le Gouvernement approuve sans réserve cette modification.
Par ailleurs, la présente proposition de loi contient une disposition relative à la double incrimination. M. Sueur a largement évoqué cette question. À mon tour, je rappelle que cette double incrimination suppose la concomitance et la vérification d’une incrimination telle qu’elle a été définie par la CPI et telle qu’elle serait définie par nos juridictions nationales.
Évidemment – c’est là un postulat fondamental du droit français, notamment en matière pénale – toute poursuite pour incrimination doit être postérieure à la définition de l’incrimination. C’est l’application du principe de non-rétroactivité, qui figure lui-même dans le statut de la CPI. En effet, les articles 22, 23 et 24 de ce texte établissent clairement que les incriminations doivent avoir été définies pour être susceptibles de fonder des poursuites.
Ce principe de non-rétroactivité est ici respecté, et nous disposons de précédents concernant la double incrimination. De fait, les tribunaux pénaux internationaux militaires que j’ai mentionnés – à savoir ceux de Nuremberg et de Tokyo – l’avaient déjà respecté. Quelle que fût la gravité des actes commis durant la Seconde Guerre mondiale, les juges de ces tribunaux ont tenu à faire référence à la convention de La Haye d’octobre 1907, qui constituait le fondement juridique sur lequel pouvaient reposer les poursuites engagées devant les deux tribunaux de Nuremberg et de Tokyo.
Ainsi, l’histoire du droit national et du droit international traduit bien le souci de respecter l’exigence de définition des incriminations préalablement à la poursuite.
Reste qu’il n’y a pas lieu de maintenir la double incrimination. En effet, l’ensemble des pays ont reconnu la gravité des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et des crimes et délits de guerre.
Sur la base des travaux et des réflexions de ces trois juristes éminents que sont Robert Badinter, le doyen Patrice Gélard et Pierre Truche – ce dernier, chacun s’en souvient, a été l’admirable procureur du procès Barbie et le remarquable président de la Commission nationale pour la déontologie de la sécurité, – nous savons que ces incriminations sont reconnues depuis le XIXe siècle. D’une manière ou d’une autre, elles ont été introduites dans les différents droits nationaux : les capacités de destruction qui se sont développées dès cette époque ont conduit à définir la gravité de ces incriminations.
Par conséquent, la double incrimination est superfétatoire. Les conditions dans lesquelles elle doit être démontrée compliquent inutilement la procédure. Il y avait donc lieu de s’en défaire, ce que prévoit la présente proposition de loi, et c’est très bien ainsi.
Par ailleurs, vous avez également souhaité, toujours s’agissant de l’évolution de notre droit, travailler sur la question de la complémentarité. Elle comprend deux aspects bien distincts.
La complémentarité peut d’abord s’entendre comme la reconnaissance du principe selon lequel chaque État est le mieux placé pour juger ses propres ressortissants, pour des raisons d’efficacité mais aussi de pédagogie et d’exemplarité.
Il est évident qu’un État qui engage une procédure judiciaire en disposant des faits, des preuves et des témoins peut, pour cette raison de proximité, faire œuvre de justice avec efficacité. Sur le plan pédagogique, cette méthode met en lumière la lutte engagée contre l’impunité des auteurs de ces crimes graves, et la population, dans la mesure où elle constate directement comment sont punis ceux qui se sont livrés à ces crimes, en tire une confiance renforcée dans la justice du pays.
Il est donc normal que, dans la mesure du possible, pour la France comme pour tout pays partie à la convention, les faits soient jugés sur le territoire national.
La complémentarité peut aussi revenir à considérer que, lorsqu’un crime a été commis par un étranger, dans un pays étranger et que les victimes sont étrangères, la compétence de la juridiction nationale doit être subsidiaire.
La CPI est une juridiction internationale qui offre toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité, notamment parce qu’elle rassemble des juges provenant de tous les continents. Elle dispose en outre d’outils juridiques particuliers et l’on ne peut lui opposer ni les immunités diplomatiques ou coutumières, ni la prescription. Elle est partant la mieux placée pour connaître des crimes que je viens de décrire. À charge pour chaque État partie de dénoncer et de signaler ces faits, pour que la Cour puisse s’en saisir !
Dans ces conditions, il est normal que les juridictions françaises soient dotées d’une compétence subsidiaire. Le présent texte va dans ce sens.
Enfin, vous être également revenus, à l’occasion de la présente proposition de loi, sur le monopole du ministère public, sujet délicat s’il en est. De fait, chacun d’entre nous souhaite que l’impunité soit éradiquée, et que l’intolérance à son égard soit maximale, voire totale. En conséquence, toute personne en capacité de signaler et de poursuivre un criminel devrait pouvoir agir.
Toutefois, cela ne va pas sans poser problème, comme M. le rapporteur l’a admirablement rappelé en mentionnant l’expérience de l’Espagne et celle de la Belgique entre 1993 et 1999, qui a dû, au constat des difficultés auxquelles elle se heurtait, adopter de nouvelles dispositions, tout comme l’Allemagne, d’ailleurs.
Je l’avoue, il n’a pas été simple de trancher. Nous l’avons constaté au cours des travaux préparatoires menés par votre commission comme lors des réunions interministérielles.
Certes, nous sommes tous animés par la volonté d’assurer, le mieux possible, la lutte contre l’impunité : il s’agit d’une valeur absolue, qui ne se tranche pas, ne se module pas, ne s’altère pas !
Toutefois, nous avons aussi le souci de l’efficacité. Et si nous ne sommes pas efficaces – à l’instar, malheureusement, des juridictions belges, comme on l’a observé il y a quelques années pour un certain nombre de procédures – nous ferons reculer la confiance dans la justice.
Pour que les procédures engagées aboutissent, nous avons donc à arbitrer entre, d’une part, cette volonté d’éradiquer l’impunité, ce qui nous conduirait, spontanément, à élargir les possibilités de saisine des juridictions nationales et de la CPI et, de l’autre, le souci de l’efficacité. Les citoyens doivent constater que la justice est efficace face aux crimes contre l’humanité, aux crimes de génocide et aux crimes et délits de guerre.
C’est sur le fondement de cet arbitrage que nous avons maintenu le principe du monopole du ministère public. Il faudra évidemment que ce dernier ait les moyens d’assumer sa charge.
Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé, une révision constitutionnelle est en préparation. J’ai entendu les demandes précises de M. Jean-Pierre Sueur, qui souhaite que, sur la méthode, les différentes problématiques fassent l’objet de textes distincts, le CSM donnant lieu à une réforme spécifique.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait, il faut plusieurs textes !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je peux vous indiquer que demain, lors du conseil des ministres, le Premier ministre présentera les réformes d’ordre constitutionnel sur lesquelles nous avons travaillé. Un certain nombre de sujets sont à l’ordre du jour, vous le savez. Je citerai notamment, outre la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la réforme du Conseil constitutionnel et celle du statut du chef de l’État ; la refondation du dialogue social, à la suite des engagements pris par le Président de la République et mis en œuvre par le Gouvernement ; la question des langues régionales, qui répond à une demande et qui fait également l’objet d’un engagement présidentiel.
Bref, sur ces différentes réformes nécessitant une révision constitutionnelle, je peux d’ores et déjà vous indiquer qu’il n’y aura pas qu’un seul texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bonne nouvelle ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous en saurez un peu plus demain, en prenant connaissance du compte rendu du conseil des ministres, sur la manière dont le Gouvernement a décidé d’organiser ces diverses réformes constitutionnelles. Je n’en dirai pas davantage, par respect pour la préséance du Premier ministre.
Monsieur le rapporteur, vous m’avez par ailleurs suggéré de prévoir une circulaire incitant le ministère public à poursuivre, bien sûr, les auteurs des faits visés par la présente proposition de loi, mais aussi, plus précisément, à entendre toute personne, physique ou morale, signalant des faits relevant des incriminations dont nous parlons.
Sur le principe, un tel texte est tout à fait concevable. Je vous propose d’organiser une séance de travail pour explorer conjointement ce que pourrait être le contenu de cette circulaire. Ce document rappellera naturellement l’application de la loi et fournira quelques éléments d’éclairage sur l’intention du législateur.
Enfin, je m’arrêterai quelques secondes sur la vocation réellement universelle du statut, et donc des compétences de la CPI, que M. Sueur a évoquée et qui, dans cette perspective, doit s’étendre aux pays qui ne sont pas signataires de ce texte.
Le ministère de la justice adhère totalement à cette analyse. Du reste, il l’a déjà défendue : nous sommes donc en harmonie sur ce principe. Compte tenu de la participation de la France aux institutions multilatérales, il nous faudra étudier ensemble les moyens de faire évoluer cette question.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en améliorant notre droit interne de manière appréciable, substantielle et forte, conformément à nos valeurs et à nos principes, le présent texte opère un progrès considérable pour l’application des sanctions à l’égard des auteurs des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et des crimes et délits de guerre. Une fois de plus, le Gouvernement salue cette initiative.
M. le rapporteur l’a souligné : pendant un demi-siècle, cahin-caha, se sont mis en place des dispositifs internationaux pour le jugement de ces criminels. Cependant, le constat a pu être dressé d’une certaine impuissance et de nombreuses difficultés d’application, ce qui a parfois donné l’impression d’un Sisyphe roulant encore et toujours son rocher.
Avec les avancées que le présent texte traduit dans notre droit, peut-être pouvons-nous imaginer Sisyphe heureux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
8
Nomination des membres d'une commission d'enquête
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.
La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame M. Dominique Bailly, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Vincent Delahaye, Alain Dufaut, Mme Frédérique Espagnac, MM. Jean-François Humbert, Mme Chantal Jouanno, MM. Ronan Kerdraon, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Stéphane Mazars, Mme Danielle Michel, MM. Alain Néri, François Pillet, Jean-Vincent Placé, Bernard Saugey, Michel Savin et Jean-Marc Todeschini membres de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.
9
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que je m’exprime sur ce sujet, à cette tribune. La présente proposition de loi n’est pas non plus le premier texte soumis à notre examen qui vise la Cour pénale internationale.
Je rappelle que cette juridiction est née du traité signé à Rome le 18 juillet 1998, et qu’il a nécessité une révision constitutionnelle. Depuis lors, un des articles de la Constitution lui est consacré. Il n’en a pas encore été donné lecture. Je me permets de le citer in extenso, car il compte parmi les plus courts de la Constitution. Il s’agit de l’article 53-2, dont la formulation est d’ailleurs un peu étrange.
M. Patrice Gélard. Vous allez en juger : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. »
Oui, mes chers collègues, la rédaction est peu habituelle dans un texte constitutionnel. Mais peut-être faut-il considérer qu’en l’espèce le présent de l’indicatif a valeur d’impératif…
M. Patrice Gélard. Cela dit, nous ratifions ce traité en juin 2000. Le nombre nécessaire d’États signataires est rapidement atteint et le traité devient applicable. Nous sommes donc contraints de compléter notre législation en ce qui concerne l’application des dispositions du traité de Rome. Ainsi, nous adoptons le 26 février 2002 une loi sur la coopération avec la Cour pénale internationale puis, le 9 août 2010, une loi sur l’adaptation du droit pénal aux nécessités de la CPI. Enfin, cette proposition de loi nous est présentée aujourd’hui et va, je l’espère, aboutir prochainement.
Je tiens ici à rappeler le travail exemplaire accompli par Robert Badinter, dans l’esprit de la défense des droits de l'homme qui a toujours été le sien et que nous partageons tous ici. En effet, la lutte contre le génocide, le crime de guerre, les atrocités commises contre l’humanité, relèvent naturellement de la défense des droits de l'homme.
Nous nous trouvons donc à l’issue d’une longue évolution, puisque quinze années se sont écoulées depuis l’adoption de la convention de Rome.
Je pense que le Parlement a fait preuve de sagesse en ne mettant pas trop vite en place la CPI. Cela nous a préservés des erreurs commises par la Belgique ou par l’Espagne.
En effet, pour la mise en œuvre du traité de Rome, nous avons d’abord bénéficié d’une réserve de sept ans. Cette réserve, objet de très vives critiques à l’époque, avait été introduite pour protéger nos corps expéditionnaires alors engagés dans des interventions militaires et, ainsi, éviter que des poursuites ne soient ouvertes contre eux.
Ce délai une fois écoulé, nous avons effectivement mis en place, non pas un, mais quatre filtres, pour empêcher une trop grande abondance de recours. L’expérience de la Belgique nous montrait alors ce qu’il ne fallait pas faire.
Cela dit, je pense que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui vient à temps. Tout d’abord, ces filtres, comme l’ont souligné le président Jean-Pierre Sueur et le rapporteur Alain Anziani, étaient excessifs, inapplicables ou inadéquats. Comme cela a également été très bien expliqué par Mme la garde des sceaux, c’était bien le cas de la condition tenant à la résidence habituelle ― le terme « habituelle » n’est d’ailleurs pas complètement approprié ―, de l’exigence d’une double incrimination et de la nécessité d’un déclinatoire de compétence de la Cour.
Il reste cependant, d’ailleurs plus aux yeux de l’opinion publique que dans l’état actuel du droit, quelques imperfections.
L’existence de deux tribunaux pénaux internationaux spécialisés, respectivement pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, ainsi que d’un tribunal pénal partiellement international au Cambodge compliquent la perception de la CPI par le grand public.
En effet, les procédures en cours devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie n’ont pas toujours été bien comprises et certains jugements ont parfois surpris. Par ailleurs, personne n’a véritablement suivi le déroulement des actions devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, tant il était éloigné. Quant au tribunal sur le Cambodge, la moitié de ses juges étant cambodgiens, sa situation ne correspond pas aux règles qui ont été fixées par le traité de Rome.
Madame le garde des sceaux, je pense qu’il devient nécessaire aujourd’hui, de façon pédagogique, de faire mieux connaître l’action de la Cour pénale internationale et la portée des jugements qu’elle est amenée à prononcer. Il me semble important de mener cet effort en direction des médias, où il est pratiquement impossible pour le grand public de trouver la moindre information sur la juridiction pénale internationale.
Tout a été dit dans les trois exposés qui viennent de nous être présentés, mais je voudrais tout de même faire état d’une petite divergence de vues avec le président de la commission des lois et le rapporteur.
Je ne suis pas en harmonie avec eux en ce qui concerne les procureurs et les perspectives d’évolution qu’ils ont dessinées à cet égard. Il s’agit d’une question complexe, difficile à régler, comme Mme le ministre l’a souligné, et le statut des procureurs mérite une analyse fine. Aussi l’affirmation selon laquelle les procureurs doivent être exactement traités comme les autres magistrats n’emporte pas forcément un soutien unanime sur nos travées.
Il faudra donc étudier cette question en profondeur à l’occasion de la réforme constitutionnelle, mais il n’est pas certain que nous parvenions à trouver un consensus. Je voulais le souligner, même si cela est sans rapport direct avec le texte en discussion.
En conclusion, notre groupe votera naturellement cette proposition de loi, qui vient en son temps et qui fait de la France, une fois de plus, tout à la fois un pilote, un modèle et un exemple pour la défense des droits de l'homme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Charles Revet. Excellent, comme toujours !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tous au sein de cette assemblée nous pouvons souscrire à l’ambition de cette proposition de loi. Je reviendrai cependant sur quelques points, car je crois l’échange nécessaire, comme les différences d’appréciations. Nous verrons quel sera le destin de nos amendements, mais je crois que nous partageons l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de ce texte.
Comme l’a justement souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, « la France doit être exemplaire, en mettant pleinement en œuvre dans son droit interne le principe de complémentarité consacré dans le Statut de Rome ― qui rappelle la responsabilité première des États dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux ―, ainsi qu’en pratiquant une politique active d’engagement, de présence et de soutien à la CPI ».
Outre le besoin de moyens supplémentaires devant être alloués au pôle du tribunal de grande instance spécialisé dans les crimes internationaux, la CNCDH appelle donc à ce que les conditions très restrictives mises à l’exercice de la compétence extraterritoriale des tribunaux français soient revues, afin que la législation française soit conforme au Statut de Rome.
Tel était l’objectif de la proposition de loi de notre collègue, président de la commission des lois, Jean Pierre Sueur. Je me permets cet imparfait car, malheureusement, notre commission est revenue sur la suppression du monopole des poursuites du parquet, privant ainsi les victimes des crimes les plus atroces d’un accès direct aux juges.
Nous regrettons ce retour en arrière, pas seulement parce que ce fut une position portée par la gauche, et toujours chère à beaucoup en son sein, mais surtout parce qu’il s’agit d’une dérogation au droit commun injuste pour les victimes de ces atrocités.
En effet, l’obligation dans laquelle se trouvent les victimes de crimes internationaux et les associations de défense des victimes de composer avec le parquet pour obtenir la mise en mouvement de l’action publique déroge de manière, à notre avis, très critiquable au droit commun. Cela est d’autant plus vrai que, comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, le procureur n’est pas, aujourd’hui, une autorité judiciaire indépendante.
Même si j’entends la perspective d’évolutions futures, que j’appelle bien évidemment de mes vœux, à l’heure où nous votons cette loi, il ne s’agit que d’annonces qui ne sont pas encore transcrites dans la Constitution. Il n’y a cependant rien de péjoratif dans cette remarque, et j’ai foi dans leur concrétisation future !
Pour l’heure, on se trouve donc dans cette situation ubuesque où la victime d’un crime de droit commun, voire d’un simple délit, peut déclencher l’action publique en se constituant partie civile, alors que la victime d’un crime contre l’humanité est privée de ce droit.
Outre cette rupture d’égalité, laisser au seul parquet le pouvoir d’engager des poursuites est une atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif. Là encore, je ne cherche pas à mettre en cause la politique diplomatique actuelle, mais je crois que, lorsque nous votons une loi, nous devons anticiper et envisager tous les cas de figure. Je tiens donc à souligner ici les difficultés que posera à l’avenir cette restriction.
Je note cependant que la proposition de la commission nous permet de revenir sur trois des verrous en place et d’avancer ainsi vers cette exemplarité demandée par la CNCDH, voire d’aller plus loin, comme le rapporteur l’a brillamment envisagé. Nous avons tous pris acte de ces évolutions et je tiens à m’en féliciter ici.
Je voudrais pourtant ajouter quelques mots sur le fonctionnement de la CPI, même si cela dépasse le cadre strict de cette proposition de loi.
Nous rappellerons simplement ici que la promotion d’une cour pénale internationale juste, efficace et indépendante passe par un engagement réaffirmé de notre pays pour la CPI.
La France, signataire du Statut de Rome et membre permanent du Conseil de sécurité, a un rôle moteur à jouer sur la scène internationale pour promouvoir et soutenir la Cour, tant dans sa législation interne que dans ses arbitrages budgétaires et sa politique diplomatique, dans le respect bien évidemment de l’indépendance judiciaire.
Or la CNCDH relève des lacunes dans le fonctionnement interne de la Cour et formule notamment des recommandations sur la procédure de sélection des juges et du procureur. Elle appelle enfin la France à soutenir le budget de la CPI, afin de garantir une application satisfaisante de son mandat.
En rappelant ces appréciations de la CNCDH, je vous demande, madame la garde des sceaux, de les entendre comme des critiques positives nous permettant d’aller plus loin encore dans l’exemplarité nécessaire à la reconnaissance et à la légitimité de la CPI. La Cour, nous le savons, peut faire l’objet de critiques ou de remises en question quant à son indépendance, son impartialité, la garantie qu’elle offre de juger librement les différentes personnes accusées.
Nous pensons que c’est en agissant ainsi que nous permettrons l’émergence d’une juridiction internationale garante des droits humains universels.
Malheureusement, les institutions créées ont souvent été contraintes d’adapter leurs actions aux budgets dont elles étaient dotées, ce qui a parfois renforcé les soupçons sur leur relative indépendance. La responsabilité, pour les magistrats de ces juridictions, est énorme, et leur rôle dans le renforcement de la crédibilité des juridictions qu’ils représentent est primordial.
Madame la garde des sceaux, c’est en ce sens que nous intervenons aujourd’hui, dans l’espoir que la France, avec d’autres, fasse de la CPI une cour de justice au service des femmes et des hommes qui ont vu leurs droits fondamentaux bafoués.
Comme le rappelait le Président de la République, M. François Hollande, en janvier dernier devant les magistrats de la Cour de cassation, la CPI est « l’arme du droit contre les dictatures ». Je pense qu’il est important de le rappeler. Cette intervention et l’amendement que nous avons déposé s’inscrivent dans cette perspective, mais le débat doit se poursuivre au-delà des différences d’appréciation que nous pouvons avoir actuellement.
Parce qu’elle est l’arme du droit, la CPI doit être au service direct du justiciable. En ce sens, le fait que trois verrous aient été supprimés est positif, mais il nous faut viser plus loin et ne pas attendre cinquante ans pour, grâce à de nouvelles évolutions, faire que la justice triomphe à l’échelle internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les consciences modernes, en direct chaque soir devant leur poste de télévision avec les malheurs du monde, acceptent difficilement que les bourreaux des peuples ne soient pas neutralisés, jugés et châtiés. Elles rencontrent en cela la longue tradition juridique du droit des gens et des droits de l’homme qui, après diverses tentatives, les temps forts étant les procès de Nuremberg et Tokyo, ainsi que la création de tribunaux pénaux internationaux spécifiquement créés à l’occasion de conflits particuliers, aboutit à l’institution de la Cour pénale internationale par la convention de Rome, signée en 1998, la juridiction étant installée en 2002.
Si la France a ratifié la convention de Rome en 2002, il a fallu attendre la loi du 9 août 2010 – c'est-à-dire huit ans ! – pour qu’elle adapte son droit au statut de la Cour. C’est un retard fâcheux dans la mesure où la CPI ne saurait faire face à elle seule à la tâche qui lui incombe et parce qu’elle a été conçue pour n’intervenir qu’en l’absence de volonté, de compétence ou de moyens des juridictions des États membres, lesquels conservent l’initiative en matière d’enquête et de jugement des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide.
D’une certaine façon, la loi de 2010 est une adaptation a minima de notre droit, dans la mesure où un juge français ne peut aujourd’hui poursuivre une personne soupçonnée de crime contre l’humanité, de crime de génocide ou de crime de guerre que si elle réside habituellement sur notre territoire, qu’il existe une double incrimination de l’infraction poursuivie, que la CPI a décliné sa propre compétence, la poursuite étant par ailleurs engagée sur la seule initiative du ministère public.
Il s’agit d’une adaptation a minima, certes, mais qu’explique le fait que la convention de Rome n’impose pas l’adoption par tous les États parties du principe de compétence universelle et que l’article 689-1 du code de procédure pénale prévoit déjà la compétence universelle des juridictions françaises pour réprimer les violations d’une dizaine de conventions internationales, dont la convention contre la torture de 1984.
Vous le savez, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi était donc de faire sauter ces quatre verrous, afin d’instaurer une compétence universelle des juridictions françaises à partir du moment où un suspect serait présent sur notre territoire, qu’il soit ressortissant ou non d’un pays signataire de la convention de Rome.
La commission des lois a validé ce choix, sauf pour le dernier verrou - le monopole du parquet en matière d’exercice des poursuites -, qu’elle a maintenu, et avec raison.
Oui, la commission des lois a eu raison, car la compétence universelle sans le monopole des poursuites réservé au parquet, autrement dit la possibilité pour qui voudra de saisir la justice française de l’ensemble des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis en ce bas monde, nous aurait exposés à des difficultés inextricables. Les pays qui s’y sont risqués en ont fait l’expérience.
Ainsi, comme l’a souligné M. le rapporteur, la Belgique avait adopté en 1993 le principe d’une compétence universelle de ses tribunaux, y compris pour juger les chefs d’État étrangers, en violation d’ailleurs de la coutume internationale. Les tribunaux belges se sont ainsi retrouvés à juger un grand nombre de plaintes du chef de crimes commis en divers points du monde, au Rwanda, au Tchad, au Chili ou encore en Irak, avant d’être, à son tour, condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir poursuivi un ministre congolais couvert par son immunité politique ! Le champ de la loi a donc été restreint en 2003, après qu’eurent été déposées des plaintes contre Ariel Sharon ou George Bush. Vous n’aurez pas la faiblesse de penser, mes chers collègues, qu’il s’agissait d’une pure coïncidence…
On touche là à l’une des limites majeures de l’action de la CPI et de sa couronne de tribunaux nationaux : ils ne jugent que les vaincus, seulement ceux qui n’exercent plus le pouvoir. Sauf volonté expresse des pays, ils ne jugent pas les ressortissants des pays qui, comme les États-Unis, la Chine, Israël ou l’Inde, n’ont pas ratifié la convention de Rome et dont on sait par ailleurs le profond attachement aux droits de l’homme, surtout chez les autres !
Est-ce un hasard si, dix ans après sa mise en place, la CPI n’a rendu que deux jugements se rapportant tous deux à l’Afrique ? Est-ce un hasard si toutes les affaires traitées ne concernent que l’Afrique ?
La loi espagnole sur la compétence universelle, dont le champ était le plus étendu - jusqu’à ce que la gauche le modifie, en 2009 - dans la mesure où elle ne subordonnait pas les poursuites à une condition de résidence, a amené les juges à connaître de multiples affaires mettant en cause d’anciens officiers argentins tortionnaires sous la dictature, des généraux guatémaltèques accusés de tortures, des militaires rwandais impliqués dans le génocide, des militants islamistes d’Al-Qaïda et même des responsables chinois accusés de génocide contre le peuple tibétain.
Quant à la loi fédérale canadienne du 23 octobre 2000, elle a permis la condamnation, en 2009 et en 2012, de deux ressortissants rwandais pour crimes de génocide.
Le risque d’instrumentalisation des poursuites à des fins médiatico-politiques est bien réel, qu’il procède d’oppositions ou des États eux-mêmes : la poursuite du crime de génocide, les demandes de réparations et de repentance, l’investissement dans l’humanitaire au travers des organisations dont certaines n’ont de « non gouvernementales » que le nom, sont devenus, comme la guerre, une manière de poursuivre la politique par d’autres moyens. La conscience y tient certes une place, mais variable selon que celui qui doit être jugé est puissant ou misérable.
Comme disait Blaise Pascal, « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste ». Blaise Pascal n’a pas beaucoup vieilli…
La commission des lois a donc adopté une position de sagesse. C’est pourquoi le groupe du RDSE lui apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. René Garrec applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, certains crimes, par leur gravité, constituent une atteinte à l’humanité dans son ensemble, et leurs auteurs doivent évidemment en répondre devant la communauté internationale. Cette dernière a, de fait, depuis plus d’un siècle, manifesté sa volonté de créer une véritable justice pénale internationale.
Ainsi, les rédacteurs du traité de Versailles de 1919 envisagèrent-ils déjà la création d’une cour internationale ad hoc pour poursuivre les criminels de guerre allemands de la Première Guerre mondiale. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale et des crimes innommables commis par le régime nazi, les pays de l’Alliance mirent en place, dans le même esprit, les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo.
On a alors cru, ou espéré, que les atrocités commises pendant ces années noires ne se reproduiraient plus. Le « plus jamais ça » resta finalement théorique.
On le sait, le fait que certains tirent des leçons de l’histoire ou prétendent le faire, n’empêche pas d’autres – parfois les mêmes ! – d’en répéter les horreurs.
Force est de constater que le développement de la « réponse judiciaire » aux crimes les plus graves, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de génocide, a été précisément engagé par la communauté internationale en raison de son incapacité à empêcher leur commission, y compris malgré la présence de forces internationales sur le terrain.
De fait, au début des années quatre-vingt-dix, les conflits qui se sont déroulés en Bosnie-Herzégovine, en Croatie ou au Rwanda témoignent d’une généralisation de l’horreur.
Même si elle est d’abord l’aveu d’un échec, j’y insiste, la nécessité d’une réponse judiciaire s’est finalement imposée, aboutissant à la création, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de juridictions ad hoc chargées de poursuivre les responsables de ces actes.
Le projet de créer une cour pénale internationale a fait son chemin ; celui qui a conduit au Statut de Rome fut long et semé d’embûches. Il aura fallu attendre le 11 avril 2002 pour que la Cour pénale internationale voie enfin le jour.
Le traité de Rome ne faisait pas qu’instituer une juridiction internationale chargée de poursuivre les crimes les plus graves. Il consacrait le principe de la complémentarité entre les juridictions nationales et internationales. Les États signataires s’engageaient non pas seulement à coopérer avec la Cour, mais aussi à poursuivre, dans la mesure de leurs moyens, les auteurs présumés des crimes graves définis dans le traité. Il s’agissait là de rappeler explicitement aux États qu’ils étaient les « primo-responsables » de la répression pénale internationale et que, sans eux, le système mis sur pied risquait de n’être qu’un vœu pieux.
En février 2002, la législation française était modifiée pour permettre une meilleure coopération avec la Cour pénale internationale en répondant à ses demandes d’enquêtes et d’arrestations de suspects, intégrant ainsi la partie procédurale du statut.
En revanche, depuis 2010, la France est indirectement devenue un territoire sur lequel il est quasi impossible de poursuivre les criminels de guerre et les auteurs de génocide. La loi du 9 août 2010 y a contribué, en introduisant, dans le code de procédure pénale, l’article 689-11, qui prévoit les conditions très restrictives déjà citées par mes collègues. Aussi notre pays doit-il aujourd’hui peut-être prendre ses responsabilités.
Qu’on me permette, à cet égard, de rappeler ici l’engagement pris par Eva Joly pendant sa campagne pour l’élection présidentielle, le 17 avril 2012 : « Europe Écologie Les Verts s’engage fermement contre l’impunité des criminels de guerre, des génocidaires et des auteurs de crimes contre l’humanité. Nous considérons que la loi pénale actuelle ne permet pas de poursuivre ou de juger ces personnes en France, ce qui est contraire à nos principes et valeurs. […] EELV s’engage en faveur d’une nécessaire réforme de la compétence extraterritoriale et supprimera sans hésiter ces quatre “verrous”. »
La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur dont nous débattons aujourd’hui – permettez-moi de féliciter tant son auteur que son rapporteur – vise précisément à faire sauter ces fameux verrous, qui empêchaient notre droit d’être opérationnel.
On peut penser que l’adoption de ce texte, en lien avec la création, il y a peu, d’un pôle judiciaire au sein du tribunal de grande instance de Paris spécialisé dans la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de torture, facilitera la procédure, à condition que les magistrats qui en sont chargés aient les moyens nécessaires pour le faire.
J’ajouterai tout de même, quitte à me répéter, que la lutte contre l’impunité et l’élargissement actuel du champ d’expertise professionnel en matière de justice pénale ne devraient pas faire oublier une exigence tout aussi nécessaire, voire peut-être encore plus cruciale : lutter en amont contre la commission des crimes internationaux et souligner les responsabilités internationales qui en découlent.
Le renforcement actuel d’une réponse judiciaire internationale aux crimes internationaux bien que légitime et décente malgré ses faiblesses, ne saurait se faire au détriment de l’engagement des États à lutter contre la commission de ces crimes, dont ils estiment qu’ils violent l’humanité dans son essence. L’implication de ces États dans le processus de judiciarisation a posteriori est parfois hélas ! exactement proportionnelle à l’incapacité, voire au manque de volonté dont ils ont fait preuve a priori pour empêcher la commission de ces crimes de masse. En témoignent les 60 000 morts en Syrie tombés sous le régime de Bachar Al-Assad et notre attitude d’observateur passif.
Malgré ces réserves, liées à des réflexions d’ordre plutôt intellectuel, le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui marque l’aboutissement d’une importante réflexion sur la capacité de nos juridictions à exercer une compétence sur les crimes de guerre, les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité.
Cette réflexion s’inscrit dans la continuité de la convention de Rome signée en juillet 1998, mise en vigueur le 1er juillet 2002 et qui instaure la Cour pénale internationale.
Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo d’abord, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda ensuite, la Cour pénale internationale aujourd’hui, ont répondu et répondent à des attentes bien précises : juger les instigateurs, les « têtes pensantes » de ces crimes imprescriptibles.
Dire la justice au niveau international est une nécessité due aux victimes, une exigence pour la dignité de leurs survivants, un impératif face à l’Histoire.
Malgré les nombreux procès diligentés contre des initiateurs du génocide arménien, l’absence d’une justice internationale à cette époque constitue encore actuellement une atteinte à l’intégrité des victimes ainsi qu’à la construction d’une mémoire partagée. Ce facteur de tensions pèse lourdement sur tous ceux qui furent impliqués dans cette tragédie, et qui s’en sentent solidaires. C’est aujourd'hui un obstacle au dialogue, préalable à toute réconciliation.
Des films comme Shoah et le travail patient des ONG engagées dans la défense de l’ingérence humanitaire et des droits de l’homme ont mis en évidence ce que confirment aussi les témoignages de victimes : les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité reposent sur une chaîne d’intermédiaires, ces « petites mains » qui rendent l’inimaginable possible. Aussi, pour que justice soit véritablement rendue aux victimes, l’instigateur doit être jugé, certes, mais aussi ceux qui commettent le crime et qui, par leurs comportements et leurs réactions, font passer dans l’univers du réel l’horreur de la pensée.
Il était donc essentiel que la saisine des juridictions de droit commun soit effective pour que les auteurs présumés de crimes d’exception soient poursuivis. Dans ce domaine, s’il est important de faire, il est non moins important de le faire savoir car, au-delà de la mise en œuvre de la justice, il faut que l’évolution du droit ait une efficacité préventive, qu’elle exerce un effet dissuasif sur les personnes susceptibles de recevoir des ordres dont l’exécution entraînerait un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un génocide.
Après avoir ratifié le Statut de Rome, la France s’est progressivement dotée des instruments juridiques nécessaires à son application, se mettant ainsi en état de participer au bon fonctionnement de la Cour pénale internationale : d’abord, la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a reconnu la juridiction de la CPI ; ensuite, la loi du 26 février 2002 puis celle du 9 août 2010 ont précisé les modalités de coopération entre la justice française et la CPI.
Cela a nécessité une définition des critères qui permettent à notre justice de poursuivre à la fois les maîtres d’œuvre présumés de ces crimes - compétence naturellement dévolue à la Cour pénale internationale - et leurs exécutants. Cela relève d’une décision souveraine de notre part, de notre Parlement, dans le prolongement des engagements que nous avons pris pour la défense des droits de l’homme et de notre combat sans merci contre leur violation, en donnant à nos tribunaux la compétence de poursuivre les auteurs des crimes dont il est question aujourd’hui.
Seulement les conditions cumulatives prévues par la loi du 9 août 2010 pour permettre au juge français de poursuivre des auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide ou de crimes de guerre ne permettent pas, dans la réalité, la mise en mouvement de l’action publique.
Mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler quelles sont ces quatre conditions.
Premièrement, la personne suspectée doit résider habituellement sur le territoire de la République.
Deuxièmement, les faits doivent être punis par la législation de l’État où ils ont été commis, avoir été perpétrés dans un État partie à la convention de Rome ou par un ressortissant d’un de ces États.
Troisièmement, la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public, ce qui exclut la mise en mouvement de l’action publique par le mécanisme de la plainte avec constitution de partie civile.
Quatrièmement, enfin, la CPI doit avoir expressément décliné sa compétence, aucune autre juridiction internationale compétente ne doit avoir demandé la remise de l’intéressé et aucun autre État ne doit avoir demandé son extradition.
Sous ces conditions, les parquets examinent les plaintes qui leur sont soumises, soit par les victimes, soit par des associations de défense des droits de l’homme. Dans les faits, toutefois, ils sont dans l’impossibilité de lancer des poursuites.
Sur la base du retour d’expérience qui nous a été présenté de l’action des parquets face à ces plaintes déposées pour crime de guerre ou pour crimes contre l’humanité, avons-nous aujourd’hui le sentiment que les quatre conditions posées par le code de procédure pénale freinent l’action de la justice ?
Force est surtout de constater que, pour contourner ces conditions, les victimes préfèrent recourir à des procédures de droit commun, en qualifiant de tortures les crimes dont elles ont été victimes. C’est le moyen utilisé, par exemple, par les personnes qui ont fui la Tunisie de Ben Ali ou la Tchétchénie de Kadyrov, ou par celles qui fuient aujourd’hui de Syrie en France.
En outre, comme la victime porte souvent sur son corps les stigmates de ses souffrances, il est plus facile d’ouvrir une instruction sans chercher à établir la chaîne des responsabilités qui a conduit le tortionnaire à accomplir son acte. Cette procédure conduit bien à la mise en accusation d’une personne, mais il est clair qu’elle laisse impuni le système qui a rendu le crime possible.
Est-il dans ces conditions satisfaisant de devoir qualifier le crime supposé avant même la mise en mouvement de l’action publique ?
Avec les quatre conditions actuellement prévues, les plaignants potentiels sont-ils en mesure de poursuivre leurs bourreaux ? Si elles étaient levées, les parquets seraient-ils submergés par des dépôts de plaintes ?
S’agissant de ce dernier point, la commission des lois a auditionné une vice-procureur, chef de section près le tribunal de grande instance de Paris et chargée du pôle Crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre. Elle nous a expliqué que, si le nombre des enquêtes en cours d’instruction était relativement réduit – de l’ordre de quelques dizaines –, c’était davantage en raison de la difficulté à trouver des preuves, surtout quand les faits remontent à plusieurs années, qu’en raison de pseudo-plaignants cherchant à nuire aux intérêts d’un tiers ou d’une volonté délibérée d’instrumentaliser notre justice.
À cet égard, il convient de rappeler qu’il existe tout un arsenal juridique permettant au parquet de poursuivre l’auteur de procédures abusives ou de dénonciations calomnieuses et de le condamner lourdement au pénal.
Saisi d’une plainte, le parquet peut agir essentiellement de deux façons.
Soit il peut estimer qu’une juridiction étrangère est « mieux placée », selon l’expression consacrée, pour assurer l’instruction, auquel cas le ministère des affaires étrangères est conduit à accepter une procédure d’extradition, comme cela s’est produit, par exemple, pour Milorad Momic, alias Guy Monier, extradé vers la Croatie.
Soit il peut décider de se saisir de l’affaire, notamment parce qu’il considère que les droits du défendeur ne sont pas garantis dans le pays où le crime a été commis ; cette seconde option est retenue, en particulier, pour de nombreux ressortissants rwandais. Seulement, s’étant saisi d’une affaire, le parquet peut très bien ne pas disposer des moyens nécessaires pour conduire une instruction à l’étranger. Et le temps passe… D’où l’intérêt d’un pôle spécialisé doté de moyens lui permettant de reprendre l’instruction – même si ces moyens demeurent restreints, ce qui peut constituer une limite à l’exercice de la justice.
Pour ce qui concerne les deux drames rwandais et yougoslave et les crimes de génocide perpétrés, la justice internationale a été établie avant la constitution de la CPI sur le fondement de résolutions contraignantes du Conseil de sécurité des Nations unies. Le juge français a donc une compétence universelle, sans pour autant avoir à respecter les conditions bloquantes de la loi du 9 août 2010 que je viens d’évoquer et qui s’imposent dans le cas des crimes pour lesquels la CPI est compétente.
Cette remarque me fournit l’occasion de souligner qu’aujourd’hui encore des difficultés subsistent pour mettre en mouvement des poursuites aux fins de juger les auteurs des crimes commis en ex-Yougoslavie ou au Rwanda.
C’est aussi bien dire qu’il ne suffira pas d’aligner les conditions de mise en mouvement de l’action publique pour les crimes relevant de la compétence de la CPI sur celles qui ont été posées dans les cas du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda pour que soient levées toutes les difficultés pesant sur la poursuite de criminels se trouvant sur notre territoire.
Mes chers collègues, permettez-moi de formuler quelques questions.
Pouvons-nous accepter un statu quo dans lequel les tribunaux français ne sont pas en mesure de travailler en bonne complémentarité avec la justice internationale ?
Pouvons-nous accepter que, sans aucun motif de nature diplomatique, des responsables de crimes de guerre séjournent tranquillement sur notre sol pour y faire leurs courses ou y passer des vacances ?
Pouvons-nous rester indifférents à cette situation, alors que notre pays accueille chaque année plus de 10 000 demandeurs d’asile et qu’il leur accorde sa protection, à eux qui ont parfois été victimes de ces crimes ? Pouvons-nous accepter un tel décalage entre notre discours et la réalité de notre dispositif juridique ?
Répondre par la négative à toutes ces questions nous oblige à modifier la loi du 9 août 2010, dont les faits ont malheureusement démontré qu’elle ne répondait pas aux objectifs affirmés ; tel est l’objet de la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur, soumise à l’examen du Sénat sur l’initiative du groupe socialiste.
Notre rapporteur, Alain Anziani, s’est attaché à concilier l’exigence de faire évoluer la loi avec la nécessité de tenir compte de l’expérience de certains de nos partenaires européens. La Belgique et l’Espagne sont allées très loin dans la mise en œuvre de la compétence universelle, au prix de leurs positions diplomatiques. Nous devons donc faire preuve d’une grande prudence dans l’évolution du droit, afin qu’à aucun moment, surtout dans une période aussi troublée et malheureusement riche en crises et en tragédies, la France ne soit empêchée de jouer un rôle pour contribuer à nouer les fils d’une négociation entre les parties à un conflit.
Ce travail de réflexion a débouché sur la présente proposition de loi, qui est un texte d’équilibre. Elle lève trois des quatre conditions posées à la mise en mouvement des tribunaux français et étend clairement le champ de la compétence des tribunaux aux auteurs présumés de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de génocides qui ne sont pas ressortissants d’un pays signataire de la convention de Rome.
En outre, elle encadre le monopole du parquet par une possibilité de recours faisant place à un échange contradictoire entre le plaignant et le procureur général. Cette dernière disposition, introduite par voie d’amendement, évite de lever le monopole du parquet. Elle oblige, pour la bonne clarté des procédures, à souhaiter une circulaire de politique pénale fixant très précisément les cas dans lesquels le ministère public devrait ou ne devrait pas engager des poursuites ; je remercie Mme la garde des sceaux d’avoir évoqué cette circulaire dans son intervention liminaire.
Il faudra veiller à ce que le maintien du monopole du parquet ne fasse pas naître des soupçons sur son indépendance par rapport à une prétendue raison d’État privilégiant telle ou telle option politique ou diplomatique. Ce doute sur l’indépendance du parquet devra être dissipé par une organisation institutionnelle telle qu’il soit impossible de soupçonner que le refus d’engager une instruction pourrait être motivé par des raisons de realpolitik.
Le Sénat, en faisant évoluer une loi qui posait des verrous retirant tout sens aux objectifs humanistes affichés, permet à notre pays de renouer avec son histoire, ses valeurs et l’ambition qui est la sienne de promouvoir la justice internationale.
Toutefois, rien ne serait pire que de voir cette volonté de justice interprétée par un ou plusieurs des cent vingt et un pays signataires du traité de Rome comme la prétention de la France à juger tout selon ses propres lois, peu importe le lieu des faits, au nom de principes universels. Choisir cette voie, ce que nous ne devons pas faire, reviendrait à ignorer les efforts éventuellement déployés pas les pays concernés par ces drames ou par leurs environnements régionaux pour remplir leurs obligations au regard des principes fondateurs de la Cour pénale internationale.
À cet égard, nous devons obéir au principe que l’Union européenne et l’Union africaine ont affirmé dans un rapport commun : faire dire la justice dans le pays le mieux placé, tout en reconnaissant la légitimité d’une compétence universelle.
La première défense de la justice internationale, c’est l’exemple que nous donnons, mais aussi la reconnaissance de toutes les justices du monde et la coopération avec elles. La véritable compétence universelle, ce n’est pas une justice nationale, quelle qu’elle soit, qui dirait sa vérité au monde, mais ce sont tous les pays du monde qui progressent vers une vision commune des droits de l’homme, de leur défense et de l’exigence du refus de l’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide.
C’est pourquoi la défense du principe du pays le mieux placé peut justifier de s’en remettre au parquet, dans le cadre d’une politique pénale clairement définie, pour décider de l’opportunité des poursuites et apprécier les plaintes. J’irai même un peu plus loin : pour faire progresser ces principes dans le monde, il vaut parfois mieux prendre un pays au mot que de le tenir en défiance a priori.
Cette exigence vaut pour l’organisation de notre justice, mais aussi pour notre comportement politique et celui de nos alliés. Ainsi, la transparence de la vérité impose que jamais une exécution ne se substitue à un jugement équitable. L’exécution d’un criminel au bout d’un désert, au fond d’une forêt, ne sert ni nos idéaux ni nos intérêts.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Ne pas dénoncer ces tentations, ces évolutions, est une négation de ce que nous sommes, une manière violente d’aborder les relations internationales qui est porteuse de très nombreux risques.
Donner à notre pays tous les moyens de jouer un rôle diplomatique, de proposer des scénarios de sortie de crise et de renouer les fils du dialogue entre deux ennemis impose d’énoncer un principe de réalité : il vaut mieux une immunité reconnue qu’un crime supplémentaire commis. Reste que ce constat n’oblige ni à se draper dans un certain cynisme ni à méconnaître les évolutions en cours dans les relations internationales : l’émergence de sociétés civiles au niveau mondial, les conséquences de la circulation immédiate des informations et la rapidité des échanges possibles entre les justices de deux pays qui coopèrent – toutes évolutions qui font que nous ne sommes plus tout à fait au temps de Bismarck !
Mes chers collègues, ces constatations en témoignent, les mesures que nous nous apprêtons à adopter vont dans le sens de l’évolution des relations internationales en renforçant le caractère préventif et dissuasif que doit acquérir la justice internationale. La présente proposition de loi honore notre tradition et doit être votée avec d’autant moins d’hésitation que les amendements d’Alain Anziani permettent de prévenir le risque d’une instrumentalisation de la justice.
Les exemples de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda montrent que ces évolutions constituent une nouvelle étape à aborder sans crainte. Demain, les évolutions prévues par la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées suivront le même chemin.
Loin de compromettre notre action diplomatique, ces progrès ouvriront un nouveau front par l’exemple et par l’affirmation de nos principes : la défense des droits de l’homme, la condamnation des crimes les plus graves et la volonté d’agir en coopération avec l’ensemble des pays qui ont déclaré, en ratifiant le traité de Rome, partager nos valeurs.
Ensemble, nous devons faire route pour que cette déclaration se traduise dans les faits sur la partie la plus vaste possible de la planète, dans le respect de la diversité des parcours des peuples et des pays, pour plus d’humanité et pour liquider toute impunité. C’est la raison pour laquelle, madame la garde des sceaux, le groupe socialiste votera avec fierté la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et les amendements présentés par Alain Anziani au nom de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la Cour pénale internationale est un bel outil au service d’un droit bien hésitant, long à se mettre en place et imparfait, mais qui a le mérite d’exister.
De trop nombreux pays, et non des moindres, n’ont pas encore ratifié la convention de Rome : je pense naturellement aux États-Unis, à la Russie et à la Chine, mais aussi à Israël et à l’Arménie, deux peuples dont on comprend moins, compte tenu de leur passé si douloureux, qu’ils aient peur de leur présent et de la guerre ouverte qu’ils vivent encore.
Nous nous souvenons tous de l’affaire des juridictions belges à propos des massacres de Sabra et Chatila. Néanmoins, madame le garde des sceaux, ce n’est pas sur ce sujet que portera mon intervention.
À vrai dire, j’ai beaucoup de chance parce que, pour la deuxième fois consécutive, j’interviens dans la discussion d’une proposition de loi qui ne pose aucun problème : après la proposition de loi relative aux juridictions de proximité, celle dont nous débattons et que notre groupe votera.
Le suspense étant levé, je profiterai de la tribune qui m’est offerte aujourd’hui pour évoquer la mémoire lumineuse de Raphaël Lemkin, juriste polonais né avec le XXe siècle qui faisait partie, dans les années vingt, d’une commission européenne d’harmonisation du droit pénal se réunissant une fois par an, à Madrid. Il a délivré un essai sur le crime de barbarie comme crime à reconnaître par un droit international balbutiant, trouvant sa matière dans l’impunité pour un crime de masse, le crime de masse arménien, qui avait suscité une large émotion, et les massacres interreligieux contemporains de Simelé, en Irak, en 1933.
Progressivement, Raphaël Lemkin a élaboré une théorie remarquable, selon laquelle ces crimes contre l’humain transcendent les frontières nationales et doivent absolument être réparés au-delà du temps. Ainsi, grâce à lui, s’est fait jour peu à peu la notion de « crime contre l’humanité ». En 1944, Raphaël Lemkin créa le terme « génocide » : si j’ai employé à l’instant l’expression « crime de masse » pour évoquer le génocide arménien, c’est parce que, à l’époque où celui-ci a été perpétré, le mot « génocide » n’avait pas encore été inventé.
Les travaux de Raphaël Lemkin s’insèrent dans la construction d’un droit international humanitaire. Son apport aura été de faire prendre conscience que les très grands crimes de masse concernent l’humanité tout entière, indépendamment des lieux où ils ont été commis, ce qui nous ramène au sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Le crime de guerre et le crime contre l’humanité étaient entrés dans le droit positif de nombreux pays dès les années vingt, mais il fallait leur donner une traduction législative internationale. Aujourd’hui, nous apportons une pierre supplémentaire à l’œuvre de Raphaël Lemkin. Toutes ses conceptions et ses idées n’ont pas été reprises dans le droit positif, puisqu’il visait également la destruction culturelle d’un groupe, à savoir les atteintes à la langue, aux coutumes, aux religions spécifiques, aux croyances locales, etc. Le texte de la convention sur la répression du génocide, dont il fut le rédacteur, s’en tient à l’annihilation physique.
La postérité du mot « génocide » et du droit nouveau voulu par Raphaël Lemkin s’inscrit désormais dans la jurisprudence de la Cour pénale internationale, qui, à l’occasion de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de la guerre civile au Rwanda, a fait un usage intensif de l’incrimination de génocide, et pas seulement de celle de crime contre l’humanité. L’action du tribunal international chargé, sous l’égide de l’ONU, de poursuivre des auteurs survivants du génocide commis par les Khmers rouges contre la population des villes du Cambodge connaît, en revanche, bien des lenteurs et des difficultés.
Il est à noter que la qualification du génocide comme « crime des crimes contre l’humanité » et la réprobation qui l’entoure au sein de la société ont entraîné, au-delà des aspects purement pénaux, des conflits de qualification, ainsi que des guerres et des lois « mémorielles » – nous en avons connu dans cet hémicycle.
Je me réjouis d’avoir pu consacrer une partie de mon temps de parole à une évocation de Raphaël Lemkin, qui figurera ainsi dans le Journal officiel de la République française. J’ai d’ailleurs écrit au maire de Paris pour lui suggérer de donner le nom de cet éminent juriste, qui fut plusieurs fois proposé pour le prix Nobel de la paix, à une rue de notre capitale : à deux ans de la célébration du centième anniversaire du génocide arménien, cela aurait du sens.
En guise de conclusion, je vous rappellerai, madame le ministre, que nous avons à transcrire, avant le 23 novembre prochain, une directive européenne portant notamment sur la répression des génocides. Si notre pays veut se doter d’une justice universelle, il importe que sa justice soit elle-même irréprochable. Il y faut des moyens, en particulier pour la formation des magistrats. Surtout, il faut que la France ratifie les nombreuses conventions, notamment du Conseil de l’Europe, oubliées dans les tiroirs de votre ministère ou perdues dans les brumes du Quai d’Orsay. Moi qui ai la faiblesse d’appartenir à la commission des affaires étrangères…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas une faiblesse !
Mme Nathalie Goulet. Non, vous avez raison, c’est une joie, un honneur !
De trop nombreuses conventions internationales attendent d’être ratifiées par la France, notre pays étant très souvent le dernier à se conformer à cette exigence.
Je le redis, le groupe auquel j’appartiens votera ce texte. Nous attendons, madame le ministre, que soient mobilisés tous les moyens nécessaires pour former les magistrats et entourer les victimes. Il conviendra en outre que la procédure de recours en cas de refus d’instruire soit encadrée, sans parler de la question de la prescription. Les modalités pratiques d’application de ce texte seront difficiles à mettre en place, mais nous vous accompagnerons dans cette noble tâche. Si la France peut se placer ainsi à la tête des nations, ce sera une très bonne nouvelle ; si le Sénat l’y aide, elle n’en sera que meilleure ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
L’article 689-11 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 689-11. – En dehors des cas prévus par le sous-titre Ier du titre Ier du livre IV du présent code pour l’application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, ouverte à la signature à Rome le 18 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne soupçonnée de l’une des infractions suivantes :
« 1° Les crimes contre l’humanité et crimes de génocide définis aux articles 211-1, 211-2, 212-1 à 212-3 du code pénal ;
« 2° Les crimes et les délits de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même code.
« La poursuite de cette personne ne peut être exercée, si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande sa remise ou son extradition, qu’à la requête du ministère public, lequel s’assure au préalable de l’absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale ou un État compétent. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« La poursuite de cette personne ne peut être exercée que si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande sa remise ou son extradition. Le ministère public s’assure de l’absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale ou un État compétent. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Comme le rapporteur l’a souligné, il existe sur ce sujet deux points de vue. L’objectif n’est pas forcément de les opposer, mais plutôt de parvenir à les concilier à terme.
J’ai entendu les propos, fondés sur le principe de réalité, qui ont été tenus sur les expériences belge et espagnole. Sans vouloir être jusqu’au-boutistes, nous souhaitons rappeler, à l’heure où des incertitudes pèsent sur l’évolution du statut du parquet et, plus largement, de la magistrature, notre attachement à ce que chacun puisse recourir à la justice. Je comprends les craintes exprimées à cet égard, mais notre système judiciaire permet de sanctionner les recours abusifs. En tout état de cause, je récuse l’idée selon laquelle la question de l’efficacité se résumerait uniquement à celle du monopole du ministère public pour l’exercice des poursuites.
Nous devons poursuivre ce débat, en particulier pour prévenir tout risque de se voir adresser la critique faite aujourd’hui à la Cour pénale internationale de rendre une « justice des vainqueurs », une « justice de blancs ». Il importe de respecter l’ensemble des principes de notre droit.
Je sais parfaitement quel sort sera réservé à cet amendement, mais nous tenions à le présenter car il vise à assurer une meilleure justice, en France et sur le plan international.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Anziani, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer le mot :
nationale
par le mot :
étrangère
L'amendement n° 2, présenté par M. Anziani, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Lorsque, en application de l’article 40-3 du présent code, le procureur général est saisi d’un recours contre une décision de classement sans suite prise par le procureur de la République, il entend la personne qui a dénoncé les faits si celle-ci en fait la demande. S’il estime le recours infondé, il en informe l’intéressé par une décision écrite motivée.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ces deux amendements et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1 rectifié.
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’amendement n° 3 est rédactionnel. Une rapide recherche nous a amenés à constater que l’expression « juridiction étrangère » était aujourd’hui consacrée dans les différents codes.
L’amendement n° 2 rejoint les préoccupations de Mme Cukierman : il ne s’agit nullement de verrouiller la procédure. Nous entendons laisser la porte entrouverte en faisant référence à l’article 40-3 du code de procédure pénale, qui permet à toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République de former un recours auprès du procureur général contre une éventuelle décision de classement sans suite, et en introduisant l’innovation suivante : le procureur général aura l’obligation d’entendre la personne ayant dénoncé les faits ; s’il confirme le classement sans suite, il devra en informer celle-ci par une décision écrite motivée.
Une telle disposition représente à notre sens une avancée nécessaire. Elle permettra de dissiper, au moins en partie, la méfiance de certains envers le parquet.
En ce qui concerne l’amendement n° 1 rectifié, Mme Cukierman nous incite à construire ensemble ; c’est une attitude que je tiens à saluer.
Avec cette proposition de loi, nous allons lever trois verrous. Il ne me paraît pas aujourd’hui souhaitable de lever le quatrième : une forme de période probatoire est nécessaire. Nous verrons à l’expérience ce qu’il conviendra, le cas échéant, de faire ultérieurement, en fonction des situations engendrées par la levée des trois premiers verrous. Il importe d’agir de façon pragmatique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est favorable à l’amendement rédactionnel n° 3, qui apporte une clarification nécessaire : il s’agira soit d’une juridiction internationale, soit d’une juridiction étrangère.
L’amendement n° 2 vise à prévoir que le procureur général, en cas de recours contre une décision de classement sans suite prise par le procureur de la République, ait obligation d’entendre, sur sa demande, l’auteur de la plainte et, s’il confirme la décision de classement, d’en informer celui-ci par une décision écrite motivée.
Je rappelle que, aux termes de l’article 40-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République est tenu, en cas de décision de classement sans suite, d’indiquer aux plaignants et aux victimes les raisons de droit ou d’opportunité qui l’ont conduit à prendre une telle décision.
En outre, une circulaire de 2004 prévoit que le procureur général, en cas de recours contre un classement sans suite, doit motiver sa décision s’il confirme celui-ci.
Nous pouvons envisager de réaffirmer ce principe dans la nouvelle circulaire aux parquets généraux dont vous avez demandé l’élaboration, monsieur le rapporteur, et à laquelle j’ai proposé que nous travaillions ensemble.
Pour ces raisons, je vous suggère de retirer l’amendement n° 2, qui est donc satisfait à la fois par les dispositions du code de procédure pénale et par la circulaire de 2004.
L’amendement n° 1 rectifié tend à revenir sur le sujet complexe et difficile du monopole du ministère public. Il paraît inconcevable de poser pour principe que la victime ne peut engager l’action publique. En même temps, nous ne pouvons pas ignorer les expériences très délicates qu’ont connues un certain nombre d’autres pays en la matière.
La préoccupation du Gouvernement, dans cette affaire, n’est nullement de modifier le droit pour échapper à des difficultés diplomatiques : la vocation des réseaux diplomatiques est précisément de les régler.
J’ai eu des échanges avec le président de la commission des lois et le rapporteur sur ce sujet difficile. Personnellement, je ne considère pas qu’il soit totalement satisfaisant de réserver le monopole de l’exercice des poursuites au ministère public. Cela étant, je ne peux pas ignorer les difficultés que soulèverait une ouverture sans conditions à toute personne physique ou morale de la possibilité d’engager l’action publique.
Je pense qu’il nous faut travailler encore sur ce sujet afin d’envisager la définition de critères permettant d’encadrer les conditions dans lesquelles l’action publique pourrait être engagée. M. Sueur a exprimé tout à l'heure sa confiance dans le travail parlementaire : la navette peut effectivement permettre, je le sais, de faire mûrir la réflexion sur cette question.
Il faut retenir que, en l’état actuel du droit, toute personne, une victime notamment, peut déjà saisir le ministère public. Le monopole de l’exercice des poursuites par le ministère public ne signifie pas que le procureur de la République décide forcément d’engager l’action publique de sa seule initiative.
Mme Cécile Cukierman. Heureusement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si cela est évident pour l’ensemble des membres de votre assemblée, dont je ne manque jamais de souligner l’expertise sur les questions juridiques, il est important de le souligner afin que les choses soient bien claires pour le grand public : le monopole du ministère public n’emporte pas que ce dernier ne peut être saisi.
Je sais, pour avoir échangé avec lui sur ce point, que M. le rapporteur et moi partageons la conviction profonde qu’il faut viser l’efficacité, c'est-à-dire faire en sorte que nos juridictions ne soient pas submergées de plaintes qui ne pourraient aboutir. En effet, il faut bien retenir que nous sommes là dans le champ de l’action internationale. Quand il s’agit de faits commis en France par des Français et dont les victimes sont françaises, il n’y a pas de difficulté : nous avons créé, je le rappelle, un pôle spécialisé en matière de crimes contre l’humanité auprès du tribunal de grande instance de Paris, et je veille à ce qu’il soit doté des effectifs et des moyens nécessaires à son bon fonctionnement. En revanche, en matière d’action internationale, la conduite des enquêtes relève en général de commissions rogatoires internationales et peut de ce fait se heurter à des difficultés considérables. Si nous permettons que nos juridictions soient submergées par des plaintes qui ne pourraient aboutir, du fait notamment de l’impossibilité de faire prospérer des commissions rogatoires internationales, nous donnerons l’impression que la justice n’est pas vraiment rendue.
Eu égard à ces considérations, je souhaite que nous travaillions encore sur le sujet, afin par exemple de réfléchir à des critères permettant d’encadrer l’engagement de l’action publique par des personnes physiques ou morales autres que le parquet.
En tout état de cause, nous devons éviter l’impasse dans laquelle s’est engagée la Belgique ou les reculs auxquels l’Espagne a dû consentir. Il faudra concilier la volonté d’exemplarité de la France en matière de lutte contre les crimes contre l’humanité, manifestée par le rôle particulier que notre pays a joué dans la mise en place de la Cour pénale internationale, et l’efficacité de notre justice.
Au bénéfice de ces éléments, je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, madame Cukierman. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable, même si, vous l’avez bien compris, il n’est pas en désaccord absolu avec vous sur le fond.
M. le président. Madame Cukierman, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Cécile Cukierman. Je le maintiens, dans un esprit constructif, afin que nous puissions revenir sur cette question par la suite.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Dans le même esprit constructif que Mme Cukierman, je maintiens l’amendement n° 2.
Effectivement, aux termes de l’article 40-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République a l’obligation, en cas de classement sans suite, d’aviser les plaignants des motifs de sa décision. Ce point n’est pas contesté. En revanche, je crains que la circulaire aux parquets généraux de 2004 que vous avez évoquée, madame la ministre, n’ait guère rencontré d’écho et ne soit pas vraiment mise en application : l’expérience nous amène à dire que c’est l’exception plutôt que la règle. De manière générale, je préfère une disposition législative à une circulaire.
M. Alain Anziani, rapporteur. Pour cette raison, je maintiens cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce texte est bon, parce que réaliste. Je ne partage pas cette conception selon laquelle il y aurait, d’un côté, l’idéal, et, de l’autre, la dure réalité du temps : il s’agit de faire avec ce que l’on a ! Imaginez que, demain, on veuille mettre en cause les États-Unis d’Amérique : on trouverait certainement des motifs pour cela, mais ce n’est pas possible, sauf à s’engager dans des conflits inextricables ! Pourquoi, dès lors, faire semblant de croire le contraire ? Ne soyons pas hypocrites ! On peut simplement, par une action opiniâtre, essayer de régler un certain nombre de problèmes et de faire régner, lorsque cela est possible, un minimum de justice.
On peut critiquer la solution qui a été retenue, mais elle est la seule qui permette véritablement d’être efficace dans le monde réel, et pas seulement dans l’idéal. L’important, ce n’est pas l’affichage, c’est que les choses progressent sur le terrain.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voudrais saluer la très grande qualité de ce débat et en remercier l’ensemble des intervenants. On peut présumer que ce texte sera adopté à l’unanimité, les membres de votre assemblée, toutes sensibilités politiques confondues, s’accordant sur la nécessité de rendre efficace la justice internationale et de faire régresser l’impunité. Notre pays, dont l’identité est fortement empreinte de cette exigence et des valeurs magnifiques qui l’inspirent, entend prendre toute sa part dans ce processus.
Je félicite le président Sueur de son initiative, qui a pu aboutir grâce à des travaux préparatoires extrêmement rigoureux, ayant permis d’éclairer les positions des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir bien voulu adopter à l’unanimité cette proposition de loi, qui avait été déposée voilà moins de six mois, le 6 septembre dernier, et cosignée par un grand nombre d’entre nous.
Je tiens également à remercier M. le rapporteur et Mme la ministre de leur contribution à ce débat approfondi.
Madame la ministre, j’entends bien vos propos sur la possibilité, pour les victimes, de mettre en œuvre l’action publique. M. Collombat, M. le rapporteur et moi-même l’avons souligné, il est de notre responsabilité d’éviter d’élaborer une législation qui se révélerait par la suite inefficace.
Le débat n’est pas achevé : nous devons trouver le meilleur équilibre possible entre plusieurs considérations qui nous tiennent à cœur, en premier lieu celle de la justice. C’est à cet effet que je renouvelle le souhait que ce texte puisse être discuté rapidement par l'Assemblée nationale. Il nous faut avancer sur cette question, car notre pays se doit d’être efficace dans la lutte contre l’impunité des personnes coupables de crimes de guerre, de crimes de génocide ou de crimes contre l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 27 février 2013, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives (n° 169 rectifié bis, 2012-2013) ;
Rapport de Mme Éliane Assassi, fait au nom de la commission des lois (n° 355, 2012-2013) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 356, 2012-2013).
2. Proposition de loi permettant l’instauration effective d’un pass navigo unique au tarif des zones 1-2 (n° 560, 2011-2012) ;
Rapport de M. Michel Billout, fait au nom de la commission du développement durable (n° 370, 2012-2013) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 371, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART