compte rendu intégral
Présidence de M. Charles Guené
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Jacques Gillot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé, le vendredi 22 février 2013, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 385, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales, qu’il a déposée ce même jour.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 20 mars 2013.
3
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 23 février 2013, a demandé à M. le Président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Christian Leyrit aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
4
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 22 février 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant respectivement sur :
- l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (carte de séjour temporaire) (2013-312 QPC) ;
- l’article L. 5312-7 du code des transports (grands ports maritimes) (2013-313 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
5
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 330 de Mme Michelle Demessine est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
6
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.
Je vous rappelle que cette commission d’enquête a été créée sur l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit au bénéfice de chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
En outre, je vous informe que, sous réserve de la ratification de la liste de ses candidats, la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage est convoquée pour se constituer demain, mercredi 27 février, à dix-sept heures, dans la salle de la commission de la culture.
7
Compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la cour pénale internationale
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (proposition n° 753 [2011-2012], texte de la commission n° 354, rapport n° 353).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’un sujet majeur pour la France, pour tous les pays du monde et pour l’espèce humaine. En effet, l’histoire ancienne, l’histoire contemporaine et même l’histoire récente nous ont appris que les horreurs font partie, hélas, de l’expérience humaine, que nombreux sont les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre, et que leurs victimes, des êtres humains, se comptent par milliers, par dizaines de milliers, par centaines de milliers et même par millions.
Que peut-on opposer, face à cela ? Eh bien, mes chers collègues, la civilisation – les civilisations -, l’humanisme, mais aussi la détermination de toutes celles et de tous ceux qui, comme vous, j’en suis sûr, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez, œuvrent pour que la formule « Plus jamais ça » ne reste pas un vœu bien vite, trop vite, contredit par les faits.
Mes chers collègues, chacune et chacun d’entre nous a présentement à l’esprit les horreurs dont je parle. Mais la même humanité, notre humanité, qui a connu de telles horreurs, a connu aussi des trésors d’intelligence, de sensibilité, d’amour, d’altruisme, bref, de civilisation. Ainsi, après les procès de Nuremberg et de Tokyo, les consciences se sont progressivement éveillées et, prolongeant cet éveil, les démocrates ont alors permis, par leurs efforts, à la Cour pénale internationale de voir le jour.
Ce matin même, notre collègue Alain Anziani, rapporteur de ce texte, faisait remarquer qu’il avait fallu cinquante ans pour qu’une cour pénale internationale soit créée. On aurait pu penser qu’après les procès de Nuremberg et de Tokyo une telle juridiction se serait très vite imposée : il a fallu du temps.
La signature, le 18 juillet 1998, de la convention de Rome, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale, est un événement important.
C’est que, mes chers collègues, il s’agissait non seulement de créer une institution nouvelle, mais aussi, en instaurant une complémentarité entre les tribunaux des différents pays signataires et entre ceux-ci et la CPI, d’unir les justices du monde entier, pour que le droit règne en tous lieux et qu’un nécessaire châtiment attende les auteurs de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre.
Notre pays a tiré les conséquences de la convention de Rome et de la création de la Cour pénale internationale, d’abord dans sa Constitution, puis par le vote de la loi du 9 août 2010, qui permet au juge français de connaître de ces crimes.
Cependant, dès le vote de cette loi - et même avant -, il est apparu que celle-ci était infiniment restrictive. Qu’il me soit permis à cette tribune de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui se sont mobilisés et qui se sont battus pour la modifier. C’est ce qui m’a conduit à présenter, le 6 septembre dernier, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, avec nombre de mes collègues socialistes, tout en sachant que des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques partagent notre sentiment.
Si je suis le premier signataire de la présente proposition de loi, j’ai, ou plutôt nous avons une dette immense, mes chers collègues, si vous me permettez d’anticiper votre soutien et de parler en votre nom à tous, à l’égard de Robert Badinter, de Mireille Delmas-Marty et de Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, sans oublier les parlementaires les plus impliqués – je veux à cette tribune citer Patrice Gélard -, qui ont permis de faire avancer les idées et le droit sur cette question tellement importante.
La loi du 9 août 2010 a réformé l’article 689-11 du code de procédure pénale, ce qui s’est traduit par un certain nombre de restrictions, que l’on a d’ailleurs nommées « verrous ».
Première restriction, pour que les juridictions françaises puissent être compétentes, c'est-à-dire puissent poursuivre et condamner, il fallait que l’auteur ou l’auteur présumé des crimes « réside habituellement » sur le territoire français. À cet égard, comment ne pas citer Robert Badinter, qui s’est toujours élevé contre une telle formulation : « Conserver la condition de résidence habituelle […] signifie que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c'est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de manière quasi permanente dans notre pays. »
Ainsi donc ces personnes viendraient chez nous, pour habiter dans un petit pavillon entouré d’une haie de thuyas et aller régulièrement au café du coin faire leur tiercé le dimanche ? (Sourires.) Quelle absurdité !
Non, mes chers collègues, on le sait bien, poser cette condition, c’est choisir l’impuissance.
Vous le savez également, en droit interne français, c’est un principe invariable, il suffit de se trouver sur le territoire national pour pouvoir être poursuivi, jugé et condamné.
Par conséquent, la première restriction, absurde, c'est cette condition de résidence habituelle sur le territoire français, condition que cette proposition de loi vise à supprimer.
La seconde restriction à laquelle il s’agit de mettre fin est ce que l’on appelle la « double incrimination ». De quoi s'agit-il ? Pour poursuivre, juger et condamner un auteur présumé de crimes contre l'humanité, il faudrait, selon la loi française actuellement en vigueur, que les faits soient punis par la législation française, bien sûr, mais également, et dans les mêmes termes, par la législation de l'État où ces faits ont été commis ou par celle de l'État dont l'auteur présumé des faits a la nationalité. De surcroît, il faudrait que cet État soit partie à la convention de Rome.
Très franchement, ces conditions, dont on ne comprend pas pourquoi elles ont été posées, sont difficiles à réunir. Je rappelle, par exemple, que la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 octobre 2002, a considéré, s'agissant de la convention contre la torture, que la juridiction française était fondée à exercer une compétence universelle, quand bien même aurait été votée une loi d'amnistie dans l'État où les faits se sont produits ou dans l'État dont l'auteur présumé a la nationalité. C'est dire si la Cour de cassation a été claire sur le sujet !
J'ajoute qu'il serait choquant de subordonner la possibilité de poursuivre et de juger les auteurs des crimes les plus odieux à l'existence de dispositions pénales dans l'État dont ils ont la nationalité ou bien dans celui où ils ont commis ces crimes.
À cet égard, mes chers collègues, vous me permettrez de souligner la contribution de M. le rapporteur, qui, tout à l'heure, exposera sa position sur ce texte et nous présentera les amendements qu’il a déposés.
Certes, pour les raisons que je viens d’indiquer, il convient de mettre fin à cette double incrimination – c’est l’objet de cette proposition de loi –, mais il serait injuste que seuls les individus ressortissants d’États signataires de la convention de Rome puissent être poursuivis. Il faut donc aller plus loin que la proposition de loi initiale. C’est pourquoi Alain Anziani, ici, au Sénat de la République française, nous propose par la voie d’un amendement adopté à l’article 1er de la proposition de loi que les juridictions françaises aient compétence sur les ressortissants de tous les pays de la Terre, y compris les ressortissants d’États qui ne seraient pas signataires de la convention de Rome. (Mmes Nathalie Goulet et Esther Benbassa approuvent.)
La disposition est importante, parce qu’il existe des tyrans, des criminels qui disposent d'une justice aux ordres, qui peuvent compter sur une législation taillée sur mesure et qui n'ont pas commis l’« imprudence » de signer la convention de Rome.
Il faut donc que la justice passe, y compris pour les ressortissants de ces États qui seraient soupçonnés de crime contre l'humanité, de crime de génocide ou de crime de guerre.
La troisième restriction est relative à ce qui est présenté comme le principe de primauté de la Cour pénale internationale. En effet, pour que la juridiction française puisse exercer des poursuites, « le ministère public s’assure auprès de la Cour pénale internationale qu’elle décline expressément sa compétence et vérifie qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition ».
Encore une fois, cette condition est absurde, et, disons-le clairement, résulte d'une interprétation erronée de la convention de Rome, laquelle – et c'est d'ailleurs pourquoi c’est un texte essentiel – pose le principe de la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales ; elle n'instaure aucunement une primauté de la première sur les secondes.
D’ailleurs, et il faut voir là un indice probant de ce que j’avance, la CPI exerce sa compétence à l’égard d’une « situation », cependant que les juridictions nationales exercent la leur à l’égard d’une « personne ».
Comme l'a montré Robert Badinter, « c’est aux États en effet qu’il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes […]. C’est seulement faute pour ces États d’agir […] que la Cour assurera la répression […] ».
Par conséquent, cette troisième restriction que pose notre droit est contraire à l'esprit même de la convention de Rome.
Mais il reste, mes chers collègues, une quatrième restriction.
Dans la proposition de loi, j’envisage de remettre en cause le monopole du parquet. La commission et son rapporteur, dont je partage les préoccupations, se sont attentivement penchés sur cette question. Vous le savez, mes chers collègues, elle a donné lieu à des débats riches, nourris, aussi bien avec les associations, en particulier avec la Coalition française pour la Cour pénale internationale – même si nous n'avons pas fait nôtres toutes ses positions –, qu’avec les représentants des magistrats et bien sûr, avec vous-même, madame le garde des sceaux, avec vos services, avec ceux du ministère des affaires étrangères et d'autres ministères encore.
Nous avons été amenés à prendre en considération ce qui s'est passé dans un certain nombre de pays, en particulier en Belgique et en Espagne, et à veiller à éviter tout recours dilatoire ou toute instrumentalisation de la justice. Au final, nous avons défini une solution possible dans le détail de laquelle entrera Alain Anziani dans un instant.
Ce faisant, nous avons la volonté d'être fidèles à nos principes, de mettre fin aux restrictions excessives contenues dans notre droit, à commencer par la condition de résidence habituelle, et de trouver une voie moyenne entre l'efficacité de la justice et le nécessaire réalisme auquel nous obligent un certain nombre de situations concrètes.
Nous ne prétendons pas que la solution qui sera retenue ici, que les dispositions que nous voterons cloront le débat. Nous en sommes au stade de la première lecture et, surtout s’agissant d’un sujet aussi important, nous croyons à la force du débat parlementaire. Madame le garde des sceaux, je ne demande qu’une chose : que l’on aille de l'avant. Cela étant, ce n’est pas à vous que j’adresse cette invite, tant vous avez su nous démontrer, ces derniers mois, ces dernières semaines, que vous saviez aller de l'avant, alors qu’il est toujours plus facile de se complaire dans les hésitations. Permettez-moi de vous le dire, madame le garde des sceaux, vous que nous avons l'honneur d’accueillir parmi nous cet après-midi.
Pour aller de l'avant, il faudra d’abord que ce texte soit examiné rapidement par l'Assemblée nationale et qu’il nous revienne dans des délais raisonnables. C'est indispensable.
Madame le garde des sceaux, j’ai entendu dire que plusieurs projets de loi constitutionnelle étaient en cours de préparation, en particulier un texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature, qui consacrerait, par les conditions tant de nomination que de promotion de ses membres, l'indépendance du parquet français. Ce dernier texte serait tout aussi important que celui que nous examinons cet après-midi.
Mes chers collègues, si vous voulez bien la voter, cette proposition de loi marquera un indéniable progrès dans la défense de l’humanité contre ceux qui se sont rendus coupables de ces horreurs que sont les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes de guerre, car ceux-là doivent pouvoir être jugés. C’est sans doute l'un des sujets les plus importants que nous ayons eu à traiter ici et c'est une nécessité pour la conscience humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.