Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Cette proposition n'a rien à voir avec le texte dont nous discutons. Personnellement, je suis favorable à ce que l'adresse IP reste une donnée à caractère personnel : même si nous l’avons beaucoup critiqué aujourd'hui, Internet demeure un espace de liberté.
La question pourra probablement être discutée dans le cadre d'une véritable concertation sur les limites de l’expression sur Internet, car je suis convaincue qu’il faut instituer de telles limites.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement est du même avis que la commission. Le sujet mérite un débat approfondi, mais il sort quelque peu du champ de la proposition de loi qui nous occupe aujourd'hui.
Internet est certes un espace de liberté, mais nous devons tout de même réfléchir aux moyens de ne pas en faire une zone de non-droit. À cet égard, la discussion que nous aurons demain avec les responsables de l’entreprise Twitter devrait être très instructive. Il me semble possible de trouver des réponses, techniques et juridiques, pour lutter contre la diffusion de propos diffamatoires ou incitant à la haine.
Sur le fond, je suis plutôt d’accord avec vous, madame Goulet. Cela étant, il faut faire attention à ne pas remettre en cause de façon quelque peu précipitée les équilibres qui ont été établis par la loi informatique et libertés. Votre amendement mérite, je le répète, de faire l’objet d’un examen approfondi, peut-être dans le cadre du groupe de travail dont la création a été évoquée.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je voterai bien sûr comme la commission : comment pourrait-il en aller autrement ? Cependant, je tiens à dire que je considère pour ma part que, dès lors que des propos sont publiés sur un site Internet, il doit exister l'équivalent du directeur de la publication d’un journal. Rien ne doit pouvoir être publié sans qu'un responsable de cette publication ait été nommément désigné.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Sur cet amendement, il est évident que je vais être battue, puisque la majorité votera comme la commission. Je voudrais toutefois, avant de le retirer, développer mon argumentation.
Comment voulez-vous identifier l'auteur de l'infraction dans le délai de prescription sans recourir à l'adresse IP ?
Aujourd'hui, en cas d’injure ou de diffamation, vous ne pouvez poursuivre au civil si vous ne connaissez pas l’auteur de l’infraction. Même si vous avez pu identifier le serveur et l’hébergeur, cela ne suffit pas !
Si vous voulez poursuivre au pénal, il faut déposer une plainte contre X, attendre ensuite l'ouverture de l'information, puis la consignation chez le juge d'instruction, avant que des mesures de commission rogatoire soient décidées pour rechercher l'adresse IP de l'auteur de l'infraction. On n'y arrivera pas, que le délai soit de trois mois ou d’un an !
La présente proposition de loi, qui sera certainement adoptée à l'unanimité, vise à la fois les supports électroniques et les supports papier classiques. Je le redis, je ne vois pas comment le dispositif pourra avoir une portée effective ! Cela ne fonctionnera que pour les journaux, et encore faudra-t-il qu’ils ne soient pas en grève, comme cela arrive souvent malgré les 175 millions d'euros d’argent public qui leur sont versés chaque année – sans qu’aucune obligation soit prévue en contrepartie en matière de déontologie –, prétendument pour financer leur modernisation, mais en réalité pour soutenir leur activité…
Dans ces conditions, ce texte représente un coup d'épée dans l'eau ! Je veux bien retirer mon amendement, qui, de toute façon, n’a aucune chance d’être adopté, mais je considère que le travail n’est qu’à moitié fait, dans la mesure où il ne sera pas possible d’identifier l'auteur de l'infraction ! Nous sommes dans l’utopie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je comprends votre préoccupation, madame Goulet, mais prenons garde à ne pas systématiquement faire courir la loi derrière la technique. La loi doit avoir une portée générale et impersonnelle.
Il est vrai que l’exclusion de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel rendrait l’identification de l’auteur présumé d’une infraction beaucoup plus facile dans nombre de cas, mais vous savez bien que des alias ou d’autres éléments peuvent s’opposer à une identification exacte. Par conséquent, n’essayons pas de réinventer la loi sur la presse, cent trente ans après sa publication, en pensant que la presse d’aujourd'hui serait celle de 1881 transférée sur un iPad ! Il ne s’agit pas que de technique. Au reste, l’adresse IP peut être truquée. Les choses ne sont donc pas aussi simples que cela.
Reste que je suis d’accord avec vous sur le fait que l’allongement des délais de prescription permettrait de faire un certain nombre de recherches, mais ce que vous proposez n’est pas la solution miracle.
Mme Nathalie Goulet. Je n’ai jamais prétendu cela !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Je suis d’accord avec Mme Goulet. Toutefois, le parquet peut ordonner une requête pour obtenir l’adresse IP.
Mme Nathalie Goulet. Mais dans quels délais ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 est retiré.
Article 3 (nouveau)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après le mot :
orientation
supprimer les mots :
ou de l'identité
et après le mot :
sexuelle
insérer les mots :
, de l’identité de genre
Cet amendement n'a plus d’objet.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous voterons bien évidemment ce texte. Mais sachez que je suivrai avec beaucoup d’attention la suite qui sera donnée aux engagements de Mme la ministre ainsi qu’aux promesses de M. le président de la commission des lois – nous savons tous qu’il les tient (M. le président de la commission des lois le confirme.) – et de Mme la rapporteur, à qui je rappelle l’antériorité de mes demandes sur cette question.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je tiens à remercier la Haute Assemblée pour ce débat de haute tenue et pour le consensus qui s’est dégagé. C’est un grand pas que nous venons de franchir, même si, on le voit, un certain nombre d’interrogations restent ouvertes, qui méritent d’être creusées et approfondies.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Je voudrais également remercier nos collègues qui ont participé à nos travaux ainsi que M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Nous avons pu examiner ce texte dans le calme, ce qui nous change !
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Conventions fiscales avec les Pays-Bas et le Sultanat d'Oman
Adoption définitive de deux projets de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 136, texte de la commission n° 316, rapport n° 315) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions (projet n° 135, texte de la commission n° 314, rapport n° 313).
Il a été décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est une priorité du Gouvernement, comme l’ont par exemple montré les mesures qui ont été prises dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013.
Je sais que, à l’instar des députés, les sénateurs sont très impliqués sur ces questions. D'ailleurs, je me réjouis que, hier soir, à l’Assemblée nationale, un amendement à la loi bancaire, imposant aux banques une transparence de leurs activités, pays par pays, ait été adopté en commission, avec le soutien du Gouvernement. La France pourrait ainsi être le premier pays au monde à imposer une telle transparence, laquelle, comme chacun le sait, est un outil puissant de lutte contre les paradis fiscaux.
Comme vous le savez, lors du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009, l’OCDE a établi et fait publier les listes grises et noires de « paradis fiscaux », listes désormais bien connues. La France a alors engagé des négociations avec les pays figurant sur ces listes : ont été conclus des avenants, lorsqu’il existait déjà une convention fiscale entre la France et les États concernés, et des accords d’échange de renseignements fiscaux, dans les autres cas.
Depuis mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, onze avenants et vingt-huit accords d’échange de renseignements. Au total, cent quarante-deux accords ont été conclus, faisant de notre pays l’un des plus entreprenants dans l’action internationale en faveur de la transparence fiscale.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent l’accord relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba, lequel, comme chacun le sait, est un territoire au large du Venezuela, et l’avenant à la convention entre la France et le Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions, qui font l’objet des projets de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.
Ces accords ont pour objet principal la mise en place d’un cadre juridique permettant un échange de renseignements effectif et sans restriction. Ces accords prévoient notamment la levée du secret bancaire, ce qui, évidemment, est un élément essentiel. En outre, ils sont conformes aux standards internationaux les plus récents en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, et particulièrement aux modèles de convention élaborés par l’OCDE. Certes, ces standards pourraient encore être améliorés, mais c’est un premier pas important en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables.
Je souligne qu’Aruba a déjà été évalué par la revue par les pairs au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, enceinte internationale chargée d’apprécier le degré de transparence fiscale des États. Ce rapport d’évaluation, adopté en avril 2011, lui a permis de passer en « phase 2 », programmée en 2014. Le cadre juridique d’Aruba lui permet de se conformer à l’accord d’échange de renseignements signé avec la France. Rappelons également que l’île s’est conformée aux standards internationaux en matière de transparence fiscale, ce qui a permis son inscription sur la liste « blanche » de l’OCDE.
Quant au Sultanat d’Oman, s’il n’a pas été évalué par le Forum fiscal mondial, il n’a pas non plus été identifié par celui-ci comme une juridiction présentant un risque particulier en matière de transparence fiscale.
Cela étant dit, je tiens à préciser que l’essentiel n’est pas de signer ou de ratifier de tels accords : l’essentiel est bien évidemment de les faire appliquer. À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous assurer que toutes les précautions nécessaires sont prises par la France afin que ces accords soient effectivement suivis d’effets et mis en œuvre. Le Gouvernement est extrêmement attentif sur ce point.
Je souhaiterais également insister sur le fait que la signature et l’approbation de ces accords ne sont évidemment pas une fin en soi mais s’inscrivent dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif global de lutte contre les pratiques fiscales dommageables et risquées. En effet, c’est au moyen de ces accords que la France consolidera les règles d’échange de renseignements avec ses partenaires et confortera chacun d’entre eux dans leurs engagements en faveur de la transparence fiscale.
La liste française des États et territoires non coopératifs constitue, quant à elle, un levier d'action complémentaire. En effet, si le Forum fiscal mondial devait rendre une évaluation défavorable ou si l'assistance administrative prévue par ces accords ne se déroulait pas de manière satisfaisante, l'inscription ou la réinscription de ces États sur la liste française reviendrait à l'ordre du jour.
La France est en mesure de prononcer de lourdes sanctions fiscales à l’encontre des États figurant sur cette liste. Ces sanctions se traduisent notamment, comme vous le savez, par moins d'investissements sur place et, pour nos entreprises, par le refus du bénéfice du régime mère-fille au profit de leurs filiales situées sur ces territoires.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que l’application de ces accords, qui appuient la politique fiscale menée par la France, sera suivie avec la plus grande attention par le Gouvernement et par les services de l’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d'Aruba, signé le 14 novembre 2011, et l'avenant à la convention entre la France et Oman, signé le 8 avril 2012, ont tous deux pour objet de renforcer la transparence fiscale au niveau international en instituant un dispositif d'échange de renseignements conforme aux standards développés par l'OCDE.
S'agissant d'Aruba, cette île est l'une des quatre composantes du Royaume des Pays-Bas. Située, comme chacun le sait, dans la mer des Caraïbes en face des côtes vénézuéliennes, elle est peuplée d'environ 100 000 habitants. Son économie, relativement prospère – le produit intérieur brut par habitant est de 24 000 dollars –, repose principalement sur le tourisme et le raffinage pétrolier. Le poids du secteur financier y est, quant à lui, assez limité. Les échanges commerciaux entre la France et Aruba s'élèvent à 20 millions d'euros et sont légèrement déficitaires pour notre pays.
Mes chers collègues, vous aurez tout compris quand vous saurez que, au total, vingt et un Français sont inscrits auprès du consul honoraire de cet espace des Pays-Bas et qu’aucune entreprise française n’est implantée sur ce territoire…
Si les relations commerciales entre la France et Aruba sont modestes, cet accord d'échange de renseignements ne s’en inscrit pas moins dans la stratégie française de promotion de la transparence et de la coopération en matière fiscale. L'accord-cadre élaboré par l'OCDE en 2002, dont s'inspire le présent accord, constitue un support habituel pour favoriser l'échange de renseignements en matière fiscale.
À l'occasion du G20 de Londres d’avril 2009, l'OCDE, cherchant à promouvoir la coopération fiscale, a établi une « liste grise ». Cette liste, sur laquelle figurait Aruba, recense les pays qui, bien que s'étant engagés à respecter la norme fiscale internationale, ne l'avaient pas encore réellement mise en œuvre à cette date. Aussi la France a-t-elle proposé aux pays ainsi identifiés de signer un accord d'échange de renseignements du type de celui qu’avait élaboré l'OCDE.
Dès 2001, Aruba s'est engagé sur la voie de la coopération en matière fiscale. Ainsi, dans son droit interne, des garanties supplémentaires ont été apportées en termes de transparence et, à partir de 2009, Aruba a développé son réseau conventionnel. Pour avoir signé plus de douze accords d'échange de renseignements, l'île d'Aruba a été retirée de la « liste grise » de l'OCDE dès le 10 septembre 2009.
À la fin de 2010, le Forum mondial sur la transparence fiscale a jugé le système juridique d'Aruba globalement satisfaisant. Je vous rappelle que les trois critères retenus en la matière sont la disponibilité des informations, l'accès aux renseignements et l'effectivité des échanges. Dans les trois cas, le Forum mondial a certes identifié des faiblesses, mais pas de nature à remettre en cause la capacité normative d'Aruba.
La seconde phase d'évaluation par le Forum mondial, prévue au premier semestre de 2014, permettra d'apprécier concrètement l'état d'avancement de la coopération, sans se cantonner au cadre juridique en vigueur.
La rédaction de l'accord qui nous est soumis est donc adaptée à la capacité normative d'Aruba et conforme à l'accord-cadre de l'OCDE relatif à l'échange de renseignements en matière fiscal défini en 2002. En effet, l'accord reprend les dispositions du modèle de l'OCDE et y intègre même certains des commentaires qui y figurent. De plus, certaines dispositions de l'accord vont au-delà des dispositions du modèle. Ainsi, il est prévu que les deux pays peuvent échanger spontanément des renseignements. Bien que cette possibilité soit évoquée dans le commentaire du modèle, il s'agit là d'un élargissement important de la coopération par rapport au modèle de l'OCDE.
Concernant le Sultanat d'Oman, une convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avait déjà été conclue en 1989. Le présent avenant a pour objet d'insérer une clause d'échange de renseignements en matière fiscale. Il modifie également les stipulations concernant le régime de taxation des redevances.
Le Sultanat d'Oman est situé au sud de la péninsule arabique, entre le Yémen, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ; il compte près de 3 millions d'habitants. L'économie du pays repose principalement sur l'exploitation des hydrocarbures.
La présence française en Oman est modeste : environ quarante entreprises françaises y ont développé leurs activités et sept cent soixante-deux de nos compatriotes étaient officiellement inscrits sur les listes consulaires en 2012.
Il convient de préciser que, contrairement au Royaume des Pays-Bas et à l'île d'Aruba, le Sultanat d'Oman n'est pas membre du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales de l'OCDE. Cela signifie que son cadre normatif n'a pas fait l'objet d'un examen par les pairs au regard des critères d'effectivité de l'échange de renseignements développés par l'OCDE. Cette absence d'évaluation spécifique à l'aune de ces critères devra nous conduire, comme avec les autres conventions fiscales, à être particulièrement attentifs quant à sa mise en œuvre.
À ce titre, soulignons que, dans l’hypothèse où l'accord ne permettrait pas aux autorités françaises d'obtenir les informations demandées, l'article 238-0 A du code général des impôts prévoit la possibilité de réintégrer Oman sur la liste des États et territoires non coopératifs. La modification de la convention constitue néanmoins un préalable nécessaire pour renforcer la transparence fiscale entre nos deux pays.
Je tiens à mentionner deux arguments qui plaident tout particulièrement en faveur de la ratification de cet accord.
Tout d'abord, les stipulations relatives au mécanisme d'échange de renseignements sont, comme dans le cas d'Aruba, conformes à celles du dernier modèle de convention fiscale de l'OCDE. La rédaction de la clause d'échange de renseignements est même plus stricte que le modèle de l'OCDE, car elle précise explicitement que chaque État devra « prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue ». L'ajout de ce paragraphe, à la demande de la France, doit garantir la mise en œuvre effective de la coopération fiscale.
Ensuite, la modification du régime de taxation des redevances introduite par l'avenant ne réduit en rien le degré de transparence fiscale entre les deux pays. L'instauration d'une retenue à la source de 7 % sur les redevances – c'est-à-dire des rémunérations payées pour l'usage ou la concession d'un droit d'auteur, d'un brevet, d'une marque ou d'un savoir-faire – correspond au souhait du gouvernement d'Oman de taxer les versements des entreprises omanaises à des entreprises étrangères. À défaut, ce type de flux échapperait largement aux autorités fiscales omanaises en raison du faible nombre d'entreprises étrangères sur place. Actuellement, cette possibilité de retenue à la source sur les redevances demeure fictive puisqu'aucun flux correspondant à la définition de redevances inscrites dans l'avenant n'a été recensé à ce jour.
Par ailleurs, Oman ne dispose pas d'un centre financier d'envergure. Le secteur bancaire, de dimension modeste, est soumis à une régulation continuellement renforcée par la Banque centrale depuis ces dix dernières années. Même si le pays dispose d'un système fiscal attractif avec la non-imposition des particuliers sur leur revenu et un taux d'imposition sur les sociétés fixé à 12 %, il n'a pas été identifié comme une juridiction à risque par le Forum mondial sur la transparence. De plus, le gouvernement d'Oman lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme au niveau international dans le cadre du groupe d'action financière.
Ces deux accords étant conformes aux standards internationaux en matière d'échange de renseignements, leur ratification apparaît nécessaire pour renforcer le réseau conventionnel français et garantir une plus grande transparence fiscale. Mais, naturellement, il faudra rester attentif à la mise en œuvre effective des mécanismes de coopération.
En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter les deux projets de loi qui sont soumis à notre examen.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est évidemment pas la première fois que notre assemblée accorde quelque intérêt à la discussion de conventions fiscales internationales – qu'il s'agisse d'ailleurs de textes initiaux fixant les relations entre les administrations françaises et étrangères ou d'avenants apportés aux conventions existantes –, mais le débat d’aujourd’hui va nous permettre de procéder à des rappels utiles.
Le Sénat, depuis que notre groupe a été à l'initiative d'une commission d'enquête sur l'évasion et la fraude fiscales, se montre particulièrement attentif et vigilant pour tout ce qui concerne les relations internationales en matière de fiscalité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cela d'autant plus que, parmi les outils dont nous disposons pour réduire autant que possible les déficits publics, la lutte contre la fraude fiscale – source de difficultés financières majeures pour les États et de souffrances redoublées pour les populations – figure évidemment en bonne place.
Avant même d'évoquer le cas des deux entités concernées par les conventions bilatérales, le fait est que, selon des sources et des documents concordants, la fraude fiscale et sociale priverait la France de ressources importantes : plus de 40 milliards d'euros d’après le Conseil des prélèvements obligatoires, voire plus de 50 milliards d'euros selon les organisations syndicales du ministère des finances.
On notera que les évaluations de la fraude fiscale, qu'il s'agisse de celle du Conseil des prélèvements obligatoire ou de celle des syndicalistes de la direction générale des finances publiques, sont telles que le manque à gagner suffit à empêcher la France de se retrouver, pour son déficit budgétaire, sous la fameuse limite des 3 % du PIB. Pour sa part, la fraude aux cotisations sociales constitue l'équivalent du déficit prévisionnel de la sécurité sociale en 2013.
Après ce rappel destiné à garder en « toile de fond » de notre débat les objectifs que la France peut décemment poursuivre dans ses relations fiscales internationales, je vous livre quelques éléments sur les deux entités territoriales que sont l'île d'Aruba et le Sultanat d'Oman, avec lesquelles sont passées les conventions fiscales conformes au modèle de l’OCDE.
Observons tout d’abord les différences qui existent entre ces deux entités.
Peuplée, comme le rappelait Mme la rapporteur, d'un peu plus de 100 000 habitants, l’île d’Aruba est une possession de la couronne des Pays-Bas et fait partie intégrante des Antilles néerlandaises, qui regroupent également les îles de Curaçao, Bonaire et la partie néerlandaise de Saint-Martin, un bel endroit. (Sourires.)
Nos relations commerciales – du moins pour ce qui en est déclaré – avec les Antilles néerlandaises sont limitées ; elles portent notamment sur la fourniture de produits alimentaires et de quelques produits finis et, en sens inverse, parmi d’autres importations, sur le pétrole que Shell raffine dans ces terres éloignées de la métropole.
Aruba est une entité démocratique, avec des partis politiques constitués, une législation civile plutôt évoluée et largement inspirée, bien entendu, du modèle hollandais. Cependant, sur le plan fiscal, comme nul ne l'ignore, l'île voit s'appliquer le droit néerlandais dont on sait qu'il est plutôt allégé pour les entreprises, singulièrement pour les cessions de titres et les plus-values, dès lors que l'on a pris soin de structurer une entreprise ou un groupe avec une holding de tête et des filiales...
Dans le cas du Sultanat d'Oman, nous sommes en présence d'une monarchie absolue – comme dans beaucoup d'États de la région du golfe Persique. Peuplé d'environ 3 millions d'habitants, Oman vit depuis une cinquantaine d'années de l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole présents dans le sous-sol, qui alimente 80 % de ses ressources budgétaires.
Situé dans une région stratégiquement importante – il donne sur le détroit d'Ormuz et se trouve sur la côte sud de la péninsule Arabique –, le Sultanat est dirigé depuis plus de quarante ans par le sultan Qabous, héritier d'une lignée fondée sous le règne de Louis XV, qui, comme nombre de ses voisins, confond volontiers les affaires de l'État avec celles de sa famille. C'est ainsi que la famille régnante dispose de la majorité des parts de Petroleum development Oman, société qui exploite les gisements de pétrole et de gaz du pays et en tire une part importante de ses revenus.
Quant à l’État omanais, il dispose de deux assemblées dont les membres sont, pour la première, désignés par le sultan et, pour la seconde, élus sans l’intermédiaire de partis politiques et après accord du sultan. Même si les formes d’exercice du pouvoir politique dans le Sultanat sont moins rigoristes qu'elles peuvent l'être dans le Royaume d'Arabie Saoudite, Oman n'est pas un État démocratique au sens où nous pourrions l'entendre.
Dans ce débat, un point nous intéresse particulièrement : Oman a été retiré de la liste des États dits non coopératifs en 2012 par l'OCDE et, en conséquence, par la France.
On supposera donc que la présente convention fiscale pourra trouver sa pleine application même si l’on rappelle que le Sultanat ignore l'impôt sur le revenu et ne taxe pas les mutations de propriété, que le taux de l'impôt sur les sociétés comme sur les résultats d'une entreprise individuelle y est faible – 12 % – et que le taux frappant les résultats localisés des entreprises non résidentes y est plus faible encore : 10 %.
Les échanges extérieurs entre la France et Oman sont encore limités, une bonne part du commerce du Sultanat s'effectuant sur place ou avec le Royaume-Uni. Pour ce qui concerne les exportations françaises – qui comprennent tout particulièrement des avions, notamment des Airbus, ainsi que des produits pétroliers raffinés –, elles se limitent à environ 400 millions d'euros, tandis que nos importations représentent un peu plus de 70 millions d'euros et concernent notamment des hydrocarbures sous forme de pétrole brut.
La convention fiscale peut conduire, sous certains auspices, au développement des relations commerciales entre les deux pays, mais elle permettra plus sûrement – c'est en tout cas notre point de vue – de faciliter la présence de nos entreprises dans la région.
Cependant, Oman prépare l’« après-pétrole », notamment au travers de ses fonds souverains, dont le principal dispose de 24 milliards d'euros d'actifs, ce qui représente une force de frappe proche de celle de notre Fonds stratégique d'investissement. Est-ce à dire que les années à venir seront marquées par des investissements omanais en France ? C’est l’exécution de cette convention qui nous le dira.
Pour en revenir au fond du débat, ces deux exemples montrent assez nettement, au-delà des paramètres de chaque situation et de l’exotisme apparent des deux entités concernées, que notre politique de coopération fiscale doit faire l’objet d’une évaluation.
Comme nul ne l’ignore, la crise financière de 2008 a provoqué une vague de conventions fiscales sans précédent dans le monde entier. Si l’OCDE, à l’origine d’un modèle de convention, a favorablement accueilli ce mouvement de coopération fiscale en procédant à la réduction progressive de sa liste de « paradis fiscaux », nombre d’observateurs et d’organisations non gouvernementales discutent de la réalité des efforts accomplis et de la soudaine qualité des conventions fiscales passées.
C’est pourquoi, sans nous opposer formellement à l’adoption des deux conventions examinées ce jour, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, dans le cadre de nos activités de contrôle, un débat sur le bilan des conventions fiscales passées ces dernières années et sur les résultats qu’elles ont permis de dégager, singulièrement du point de vue de la transparence économique et fiscale des opérations visées. Il nous semble d’ailleurs qu’il serait intéressant que ce débat soit préparé avec quelques documents et éléments transmis par l’administration de Bercy en la matière.