M. Pierre-Yves Collombat. La gauche était pourtant au pouvoir, non ?
M. Jean-Pierre Sueur. En effet !
… pour un régime de retraite par répartition. Cependant, dans leur sagesse, les élus ont cru utile de créer un régime de retraite par capitalisation ; ce régime existe, et il constitue un progrès. À la même époque, nous avons également réfléchi à la question des indemnités, qui est toujours d’actualité.
Vous le voyez, mes chers collègues, il y a une avancée progressive, selon une philosophie réformiste. Je ne sais pas si cette philosophie vous convient, monsieur Collombat, mais je l’assume, car elle nous permet d’avancer.
M. Pierre-Yves Collombat. De manière infinitésimale !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous nous sommes efforcés – je crois qu’il s’agit d’une procédure légitime et honnête – de rassembler les propositions qui avaient donné lieu à un consensus lors des états généraux de la démocratie territoriale, après avoir vérifié qu’elles correspondaient aussi aux souhaits des différentes associations d’élus, notamment de l’Association des maires de France, l’AMF.
Nous avons donc fait un travail scrupuleux pour prendre en compte ce qui a été dit par nos collègues élus. À mon sens, il s’agit d’une bonne réponse à ceux qui estimaient que les états généraux de la démocratie territoriale seraient une grande manifestation de plus, s’interrogeant tout haut : « Qu’en sortira-t-il ? »
M. Pierre-Yves Collombat. Rien !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Collombat – notez que je vous cite pour la quatrième fois, donc vous voyez que je fais beaucoup d’efforts (Sourires.) –, il est vraiment injuste de dire « rien ! », comme le docteur Faust, à la première réplique du célèbre opéra de Gounod. En effet, il en ressort beaucoup de choses, mais je m’attarderai seulement sur deux points.
Tout d’abord, j’aborderai la question des petites communes.
Mes chers collègues, je ne sais pas si vous connaissez le montant de l’indemnité prévue par la loi pour les maires des communes de moins de 500 habitants : elle est inférieure au tiers du SMIC.
Mme Cécile Cukierman. Et le SMIC n’est pas élevé !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai, mais le SMIC a été récemment relevé, cela ne vous a pas échappé. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Effectivement, cela ne nous a pas échappé…
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, vous le savez, dans nos villages, dans nos petites communes, le maire est constamment sollicité. L’exercice de cette fonction représente un véritable dévouement, car les services de ces collectivités sont très limités – c’est un tiers de secrétaire de mairie dans bien des cas – et l’on vient frapper à la porte du maire à toutes les heures de la journée, pour tous les problèmes pouvant se poser. Par conséquent, l’idée même, contenue à l’article 1er de la proposition de loi, que tous les maires des communes de moins de 3 500 habitants percevront automatiquement l’indemnité prévue par la loi au taux maximal n’est que justice.
Vous connaissez tous, dans vos départements, des maires qui n’osent pas solliciter le conseil municipal pour demander l’indemnité, de peur qu’on ne leur reproche de peser de manière excessive sur les finances communales. Il y a là quelque chose d’anormal et d’injuste. C’est pourquoi nous avons proposé cette mesure de justice, demandée lors des états généraux de la démocratie territoriale et défendue depuis très longtemps par l’Association des maires de France.
Ensuite, par une série d’autres mesures, nous avons souhaité favoriser l’égal accès de tous les citoyens aux fonctions électives. Vous savez bien qu’il est plus difficile pour des salariés du privé, des professionnels libéraux, des commerçants, des artisans ou des agriculteurs d’exercer un mandat électif que pour des citoyens qui travaillent dans d’autres secteurs.
Nous le constatons tous, il y a des conseils municipaux composés de beaucoup de retraités. Or, même si nous avons pour eux un infini respect, il me paraît légitime et nécessaire de faire en sorte que ces assemblées délibérantes soient composées d’hommes et de femmes représentant tous les secteurs d’activité et toutes les générations.
Je pense ici à ce jeune salarié, rencontré dans mon département, qui m’expliquait qu’en tant qu’élu municipal il ne pouvait pas aller aux réunions à la sous-préfecture ou à la préfecture, organisées par exemple à dix heures du matin, ou participer à toutes les commissions auxquelles nous sommes constamment invités. En réalité, si nous n’y prenons garde, nous assisterons à une professionnalisation de l’exercice des mandats locaux.
Lorsque nous proposons de prolonger le délai pendant lequel l’élu qui a suspendu son contrat de travail bénéficiera du droit de réintégration dans un emploi, d’élargir les conditions de versement de l’allocation différentielle à la fin du mandat, de favoriser la formation, indispensable pour faire face à des problèmes d’urbanisme ou de finances locales ou de prendre en compte le travail d’élu pour la validation des acquis de l’expérience pour un certain nombre de diplômes, nous promouvons des mesures de nature à favoriser l’exercice des mandats locaux par toutes et tous, quel que soit le domaine d’activité ou le statut professionnel, salarié, libéral ou indépendant.
Avec Jacqueline Gourault, nous avions proposé six mesures ; la commission des lois, sur l’initiative de M. le rapporteur, Bernard Saugey, à qui je tiens à rendre hommage pour la qualité de son travail, a proposé de retenir autant de mesures supplémentaires, qu’il va vous présenter dans quelques instants.
Nous avons écouté nos collègues élus, et nous proposons des avancées. On pourra toujours nous dire qu’elles sont insuffisantes, mais personne n’est dispensé d’apporter sa pierre à l’édifice. En tout cas, nous considérons qu’un pas en avant a été fait. Après le but marqué hier – nous avons en effet beaucoup parlé de sport –, j’espère que nous pourrons en marquer un second à l’issue de notre débat, en bonne entente avec vous, madame la ministre, afin de faire avancer les conditions d’exercice des mandats locaux. (Applaudissements sur plusieurs travées.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question du statut de l’élu est, depuis longtemps, le serpent de mer de la vie publique. Pourtant, force est de constater que, au fil du temps, et singulièrement ces vingt dernières années, le législateur a progressivement construit un ensemble de garanties constitutives d’un tel régime. Cependant, celui-ci ne répond pas, loin s’en faut, aux attentes des élus locaux. La proposition de loi, adoptée le 30 juin 2011 à l’unanimité par le Sénat – je la connais bien, puisque j’en étais le coauteur avec Marie-Hélène Des Esgaulx –, mais qui n’a jamais été examinée par l’Assemblée nationale, visait à répondre à ces questions.
Postérieurement, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a conduit une réflexion sur le statut de l’élu.
La dernière retouche à ce dispositif vient d’intervenir : c’est l’amélioration, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, du régime de protection des élus locaux.
Pour nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, ainsi qu’ils viennent de le rappeler, il s’agit, dans la mesure du possible, de prolonger raisonnablement le régime en vigueur en ciblant les dispositions les plus nécessaires pour endiguer le déclin des candidatures aux responsabilités locales et maintenir la vitalité et la diversité de la démocratie locale.
Le mandat électif ne constitue pas un métier, non plus que l’exercice de certaines fonctions exécutives une activité salariée. Ils ne relèvent donc pas du même régime de protection. Cependant, il est rapidement apparu nécessaire de tenir compte des conséquences, pour leur activité professionnelle, des contraintes auxquelles sont soumis ceux qui ont choisi de servir l’intérêt général par leur appartenance aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Cela relève d’ailleurs d’un impératif démocratique de permettre à chacun, quels que soient ses revenus, de déclarer sa candidature aux élections locales.
Si le principe de gratuité des fonctions électives demeure affirmé par la loi, il a été aménagé par l’effet de la démocratisation du système électif. Aujourd’hui, la loi reconnaît aux élus le droit d’être remboursés des frais résultant de l’exercice du mandat et leur ouvre la perception d’une indemnité correspondant à l’exercice effectif d’une fonction locale.
Le cadre financier d’exercice des mandats locaux réside tout à la fois dans la mise en place de garanties financières et le bénéfice d’une protection sociale. La dernière loi de financement de la sécurité sociale est intervenue pour prévoir l’affiliation des élus locaux percevant une indemnité de fonction au régime général de la sécurité sociale et l’assujettissement des indemnités de fonction à cotisation sociale, sous condition de seuil.
Parallèlement à ces garanties, le législateur a mis en place des mécanismes destinés à concilier mandat électif et activité professionnelle. Ces aménagements sont de deux ordres : des droits d’absence, tels que le congé électif, l’autorisation d’absence ou le crédit d’heures ; le droit à la suspension de l’activité professionnelle ouvert à certains titulaires de fonctions exécutives, complété, à l’expiration du mandat, par un droit à réintégration professionnelle dans le précédent emploi ou un emploi analogue, ou, après plusieurs mandats, une priorité de réembauche, pendant un an, dans les emplois auxquels sa qualification lui permet de prétendre.
Trois dispositifs visent à sécuriser la sortie du mandat : le droit à un stage de remise à niveau lors du retour dans l’entreprise ; le droit à une formation professionnelle et à un bilan de compétences ; l’allocation différentielle de fin de mandat pour ceux qui ont suspendu leur activité professionnelle pour exercer leurs fonctions. Le montant mensuel de l’allocation, qui est versée pendant six mois maximum et ne peut l’être qu’au titre d’un seul ancien mandat, est au plus égal à 80 % de la différence entre le montant de l’indemnité brute mensuelle versée pour l’exercice effectif des fonctions électives et l’ensemble des ressources perçues à l’issue du mandat.
Les dispositions contenues dans cette proposition de loi sont ciblées et certaines figuraient déjà dans la proposition de loi de 2011, dont je vous ai déjà parlé.
La commission des lois a adopté, en la prolongeant, la démarche proposée par les deux auteurs de la proposition de loi, nos collègues et amis Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur. Celle-ci lui a paru de nature à traiter les causes d’une désaffection, déjà constatée, pour les fonctions électives : complexité croissante de la gestion locale, difficulté à concilier activité professionnelle et mandat électif, incertitude de l’avenir pour ceux qui ont abandonné leur métier pour mieux se consacrer à leur fonction publique.
C’est pourquoi, dans l’esprit qui a conduit à l’adoption de la proposition de loi de 2011 visant à renforcer l’attractivité et à faciliter l’exercice du mandat local, la commission des lois a adhéré aux mesures raisonnables et réalistes préconisées par les coauteurs de la proposition de loi. Ces dispositions pratiques visent essentiellement à tenir compte de la complexité croissante de la gestion locale et à favoriser l’entrée et le maintien au sein des assemblées délibérantes des élus salariés, trop souvent tiraillés entre leurs responsabilités locales et leurs obligations professionnelles.
Les améliorations proposées sont consensuelles. Je le répète, plusieurs d’entre elles ont été unanimement adoptées en 2011 ; d’autres ont été avancées par nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet à l’issue de la réflexion qu’ils ont menée au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
La commission des lois a cependant complété le dispositif proposé, d’une part, pour mieux protéger les élus et, d’autre part, pour élargir les modalités de leur formation.
Elle a tout d’abord complété le régime de formation des élus locaux, dont Antoine Lefèvre s’était occupé en son temps. Dans ce cadre, la commission a institué l’obligation, pour les membres des assemblées délibérantes ayant reçu délégation, de suivre une formation au cours de la première année de leur mandat. Cette mesure est destinée à faciliter l’exercice des responsabilités au sein de leur collectivité, alors que la gestion locale se caractérise par une complexité croissante.
Par ailleurs, les élus locaux auront la faculté de bénéficier d’un droit individuel à la formation, d’une durée annuelle de vingt heures, cumulable sur toute la durée du mandat. Les droits ainsi constitués pourront aussi contribuer à la réinsertion professionnelle de l’élu à la fin de son mandat.
La commission a ensuite abaissé de 3 % à 2 % du montant total des indemnités de fonction le plancher du montant prévisionnel des dépenses de formation des élus, ce qui est vraiment raisonnable. Cette enveloppe lui est en effet apparue plus conforme aux contraintes budgétaires des collectivités locales, sans toutefois préjudicier à la nécessité de former les titulaires d’un mandat local et d’assurer l’effectivité du droit à la formation.
La commission a également accru les facilités offertes pour concilier exercice du mandat et activité professionnelle. À cette fin, elle a adopté plusieurs mesures destinées à renforcer les garanties existantes : elle a ainsi étendu le champ du bénéfice du congé électif aux candidats salariés des communes de 1 000 habitants au moins ; elle a institué un crédit d’heures pour les conseillers municipaux des communes dont la population est comprise entre 1 000 et 3 500 habitants ; elle a étendu le statut de salarié protégé aux maires et adjoints au maire des communes de 10 000 habitants au moins, ainsi qu’aux présidents de conseil général et régional et à leurs vice-présidents ayant reçu délégation ; elle a complété les cas de suspension du décompte de la période de validité de la liste des lauréats à un concours de la fonction publique territoriale pour y intégrer les élus, le temps de leur mandat.
Enfin, la commission a souhaité clarifier le régime indemnitaire. C’est pourquoi elle a institué, au profit du budget de la collectivité à laquelle appartient l’élu concerné, le reversement de la part écrêtée au-delà du plafond fixé par la loi, en cas de cumul de rémunérations et d’indemnités.
Ce texte se résume à une série de petits pas, me direz-vous. Oui, il ne provoquera pas la révolution dans le Landerneau des élus, mais, progressivement, nous avançons, et c’est bien là l’essentiel ! (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir travaillé ensemble hier sur un sujet voisin, nous sommes appelés aujourd’hui à discuter de la deuxième proposition de loi directement issue des travaux des états généraux de la démocratie territoriale, texte qui est relatif aux conditions d’exercice des mandats locaux, manière pudique d’évoquer le « statut de l’élu ».
L’adoption de cette proposition de loi est une des conditions nécessaires de la vitalité démocratique de notre pays et du renforcement de l’engagement de ses citoyens. En prenant la parole sur ce texte au nom du Gouvernement, j’exprime le respect dû par l’État à ceux qui, chaque jour, consacrent leur énergie au service de l’intérêt général. Votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, constitue également un bel hommage.
Qu’il s’agisse de services à la personne, d’équipements, de crèches, d’écoles, de routes, d’eau, d’énergie, de sports, de culture, du moindre feu rouge ou des plus petits travaux urbains, il n’est pas une parcelle de notre territoire qui n’ait en partie été façonnée par l’action patiente et souvent passionnée de nos élus locaux. Cette mission exige un sens de la proximité, au moment où le contact et le lien social font toute la différence entre une société impersonnelle et dématérialisée et celle où nous vivons.
Les fonctions d’élu demandent de la patience, des talents d’écoute et de conviction, ainsi que du courage, souvent, pour affronter les mécontentements – nous en parlons parfois entre nous. Elles demandent également de la ténacité pour supporter les contraintes d’un environnement normatif toujours plus complexe, situation que vous avez tenté d’améliorer, hier, en adoptant la proposition de loi portant création d’un conseil national chargé du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales.
Ces fonctions demandent aussi du temps et de l’énergie. Être élu, c’est en effet consacrer une partie de son temps et de sa volonté au service des autres. C’est un engagement total, parfois dévorant, une responsabilité lourde et que l’on paie souvent au prix fort, non seulement dans sa vie professionnelle, mais aussi personnelle, familiale et affective.
Ce choix, beaucoup de citoyens le font en conscience, par devoir, par conviction, par défi parfois, mais toujours sans savoir quelle récompense la démocratie réserve à leurs efforts. Car vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la République, en la matière, n’est pas équitable et ne reconnaît pas à leur juste valeur la contribution et le mérite de ses serviteurs. Dans nombre de petites communes, les élus sont même bénévoles, au service des habitants jour et nuit, quels que soient les aléas de la vie de la collectivité. On a souvent cité en exemple le courage et le dévouement des élus locaux qui organisèrent les premiers secours au lendemain de la tempête de 1999 et, plus récemment, après le passage de Xynthia ou pendant les inondations dans le Sud-Est l’année dernière ? Or 80 % de ces élus ne perçoivent aujourd’hui aucune indemnité. Je ne parle pas non plus de l’absence, parfois totale, de formation ou de validation des acquis de l’expérience, comme l’a souligné à l’instant M. le rapporteur après les deux coauteurs de la proposition de loi. Et pourtant, ils ont accumulé une riche expérience !
Loin des clichés populistes, nous avons le devoir de dire à l’opinion publique que la précarité existe aussi chez les élus et qu’il n’est pas digne d’une République de faire preuve de si peu d’équité dans le traitement qu’elle accorde à ceux qui la servent. Nous avons le devoir de dire que la vie de l’élu n’est pas facile, qu’elle suppose des sacrifices, qu’elle ignore la sécurité ; aujourd’hui, seuls les plus favorisés de nos concitoyens peuvent se permettre d’affronter une telle situation sereinement.
Or le paradoxe est bien là ! Parmi nos élus, les plus nombreux sont aussi les plus mal protégés, ceux qui perdent des revenus en devenant maire de leur commune, ceux qui – permettez-moi cette expression populaire – « en sont de leur poche » ou ceux qui, n’étant pas fonctionnaires ou travaillant dans un secteur exposé, n’ont pas la garantie de retrouver leur emploi après leur mandat. Ils prennent malgré tout ce risque par engagement au service de la collectivité et parce qu’ils sont souvent motivés par une utopie personnelle, un rêve qu’ils veulent faire partager.
C’est cette forme d’engagement qu’il nous revient aujourd’hui de défendre, non pas pour lui attribuer un prix ou une récompense, mais simplement parce que la justice même nous y oblige, vous avez eu raison de le souligner.
Bien sûr, nous risquons toujours de nous heurter, dans cette entreprise, à une forme de scepticisme de l’opinion. Une enquête récente, qui vous a sans doute tous choqués, montre que les personnes interrogées considèrent, à hauteur de 82 %, que les hommes et les femmes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels et, à hauteur de 62 %, que « la plupart d’entre eux sont corrompus ». À nous de combattre ce genre d’opinion partagée !
Premiers témoins des dérèglements d’une société en proie à la montée des individualismes et des communautarismes, les élus, parce qu’ils incarnent l’autorité publique, sont aussi les premières cibles de la défiance de nos concitoyens. Dans une telle situation, quelle doit être notre ligne de conduite ?
Le Gouvernement a fait un choix clair : c’est à une refondation profonde de notre vie publique que les Français nous appellent. Parité, limitation du cumul des mandats, réforme territoriale, réforme du statut de l’élu : tous les projets du Gouvernement visent précisément à faire en sorte que le fait d’être élu ne soit plus ni un sacerdoce ni un métier – comme l’a dit avec raison Mme Gourault – et que cette mission soit plus facile d’accès pour les Français jeunes et les salariés.
Nous devons aux Français le changement ; vous aviez ouvert ce chantier il y a quelques années, monsieur le président de la commission des lois. M. le rapporteur en avait fait autant en déposant une proposition de loi. À partir de vos travaux et des positions que vous partagez avec vos collègues sénatrices et sénateurs, vous avez élaboré le texte actuel.
Nous devons aux Français l’exemplarité. Pour cela, nous devons nous acquitter d’un devoir d’explication et de pédagogie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat avant que ne soient discutées les autres réformes, portant sur la limitation du cumul des mandats – dont je sais qu’elle fait forcément l’unanimité… – ou encore sur la déontologie. Le Gouvernement respecte ce choix et, pour autant, il souhaite réaffirmer que toute avancée sur les conditions d’exercice des mandats ne peut se concevoir que comme le corollaire d’autres engagements pris devant nos concitoyens.
Tel est le sens du message que le Président de la République a adressé lors des états généraux de la démocratie territoriale : « […], c’est parce que l’exercice d’un mandat est une tâche noble et exigeante que les élus doivent avoir les moyens de remplir sereinement leur mission. C’est le sens du statut de l’élu. » Après avoir évoqué la limitation du cumul des mandats, il ajoutait : « J’estime qu’il s’agit d’une condition indispensable pour faciliter l’accès aux responsabilités locales des salariés du secteur privé et des jeunes. J’assume donc le renforcement des droits sociaux des élus et des moyens qui leur sont dévolus pour leur permettre de concilier vie professionnelle et exercice d’un mandat. Faute de quoi, on court le risque de connaître un affaiblissement de notre démocratie locale et un appauvrissement, s’il en était encore besoin, de la diversité de la représentation du pays. »
Le texte que vous proposez aujourd’hui à la discussion est le fruit des travaux conjoints du président de la commission des lois et de la présidente de la délégation aux collectivités territoriales. Je tiens à saluer la rapidité avec laquelle ils ont donné suite à la demande qui leur avait été adressée, à l’issue des états généraux de la démocratie territoriale, par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel. Je salue également la célérité du rapporteur, et je vous prie de bien vouloir m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir déposé un peu tard les amendements du Gouvernement ; j’en suis la seule responsable.
Nous avons tous noté qu’une version assez proche de cette proposition de loi avait été votée en juin 2011 par votre assemblée, sur votre initiative, monsieur le rapporteur. Merci d’avoir bien voulu reprendre le flambeau que vous aviez été obligé de déposer à l’époque !
Nous avons pris connaissance des propositions de loi de MM. Peyronnet et Povinelli ainsi que celles des parlementaires de l’opposition ; elles contribueront sans nul doute à enrichir la discussion de ce jour.
Nous avons également lu le rapport de Jean-Claude Peyronnet et de Philippe Dallier paru il y a tout juste un an. En dignes héritiers de Marcel Debarge, ils ont aussi jeté les bases de ce travail collectif, ce dont je les remercie bien évidemment. Après un premier rapport en 1982, puis un second en 1988, la loi relative aux conditions d’exercice des mandats locaux du 3 février 1992 avait vu le jour. Aujourd’hui, vous franchissez un pas supplémentaire.
Largement amendé, puis voté à l’unanimité par la commission des lois la semaine dernière, le texte qui vous est soumis apporte des avancées fondamentales et innovantes. Je pense notamment à la suppression de la délibération visant à fixer l’indemnité pour les maires des communes de moins de 3 500 habitants. Il s’agit d’un vrai combat, car c’est de ce type de délibération que certains de nos collègues ont le plus souffert : victimes de campagnes de presse, ils ont parfois fini par renoncer à leur mandat – je parle sous le contrôle d’Odette Herviaux, qui a connu un tel cas. Nous devons à ces élus de rendre automatique la fixation de l’indemnité, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions nous arrêter à 3 500 habitants. Il me semble en effet qu’il vaudrait mieux élargir cette innovation à l’ensemble des maires et faire en sorte que la délibération ne soit nécessaire qu’en cas de diminution de cette indemnité.
Vous avez voté la fin du reversement discrétionnaire de l’écrêtement ; c’est une mesure importante pour l’exigence d’exemplarité et de transparence qui nous anime tous. Voilà encore une scorie dont nous nous débarrasserons avec une satisfaction non dissimulée !
Vous avez aussi amélioré les conditions du droit au retour à l’emploi, le droit individuel à la formation, la formation obligatoire dans la première année de mandat et introduit le statut de salarié protégé. Ces améliorations sont considérables, même si je dois avouer qu’un droit de retour dans l’entreprise après deux mandats, soit douze ans d’absence, peut être difficile à mettre en œuvre dans les faits. Je rappelle cependant à ceux d’entre vous qui s’en inquiéteraient que des dispositions similaires existent en cas de longue maladie et que nous avons toujours trouvé collectivement des réponses à ces situations difficiles.
Le principe de la gratuité des fonctions électives sera maintenu, car l’indemnité compense les contraintes d’un engagement citoyen, il ne s’agit donc pas d’un salaire.
Désormais, les conditions d’accès à une retraite décente sont à portée de main. La retraite par rente a été ouverte à tous les élus lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ; le Gouvernement propose qu’elle devienne obligatoire pour tous. Cette mesure représente certes un coût pour les collectivités territoriales, mais, comme l’a rappelé le Président de la République devant les maires, il faut assumer ces dépenses, car elles sont nécessaires et justes. Il y va de la vitalité de notre démocratie !
Les élus reçoivent en ce moment leurs feuilles d’indemnités. Ils protestent – je le sais, je le lis, je l’entends, car ma messagerie est saturée ! – contre une baisse de revenu, consécutive aux dispositions votées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. C’est pourquoi le Gouvernement propose, dans l’attente d’une refonte complète des plafonds qui interviendra dans le prolongement de la fin du cumul des mandats, d’augmenter de 10 % les indemnités des maires des communes de 10 000 habitants à 100 000 habitants. Cette possibilité est offerte, nous verrons ce qui ressortira de la discussion.
Nous savons que le débat d’aujourd’hui n’est qu’une étape et que la navette parlementaire pourra fournir l’occasion de renforcer encore les dispositions de responsabilisation et de protection. Nous nous en tiendrons donc à un texte à parfaire, mais c’est déjà beaucoup, et c’est un beau signal.
Sécurisés par un accompagnement et un encadrement plus stricts, dégagés des risques juridiques auxquels ils sont trop souvent exposés, les élus pourront, grâce à votre texte, retrouver l’essentiel : la libre faculté de se consacrer à leur mandat et à leur mission.
La France a besoin d’élus libres et compétents, d’hommes et de femmes de tous horizons, animés par la passion du bien public et capables de créativité et d’initiatives. J’y vois l’une des clés de notre redressement. Il exige, au-delà du rassemblement de toutes les bonnes volontés, la mobilisation de toutes les compétences.
Demain plus qu’hier, il faudra attirer des entreprises, susciter leur création, leur faciliter la vie, porter la croissance, créer des emplois nouveaux. Les entreprises devront trouver une oreille attentive auprès de leurs élus locaux. Il faudra donc qu’ils aient du temps.
Demain plus qu’hier, il faudra innover dans l’accompagnement social des individus, à tous les moments de la vie, non seulement parce que c’est un devoir, mais aussi parce que c’est une source de richesse et de développement humain.
Demain plus qu’hier, nous aurons besoin d’élus animateurs, capables de faire vivre le « collectif » dans nos territoires, capables d’organiser des collaborations nouvelles entre tous les acteurs du service public.
Nous aurons besoin de territoires innovants et créatifs pour redonner toute sa place à la France. Cela supposera de reconnaître cette diversité de potentiels, de donner aux élus locaux les moyens de leur innovation. Tel sera l’objet du projet de loi de décentralisation et de rénovation de l’action publique que je prépare avec Anne-Marie Escoffier, mais rien ne se fera sans des élus motivés.
Au-delà des structures, nous aurons encore à parler vie professionnelle, vie familiale, vie, tout simplement. Faisons en sorte que, demain, les élus de notre République puissent accomplir la belle mission d’être élu local. Et vous avez raison, pour accomplir une belle mission, il faut la vivre dans la sérénité !
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite ouvrir cette discussion, en vous remerciant d’affronter les discours parfois trop faciles sur des élus qui ne seraient pas au service de l’intérêt général. Je veux également vous remercier pour les salariés du privé, pour les femmes et les hommes seuls qui élèvent des enfants, qui voudraient bien être élus, mais qui se posent la question de la fragilité à laquelle ils exposeraient leur famille en acceptant un mandat. Je vous remercie de leur dire qu’eux, comme les autres, ont le droit de servir l’intérêt général, d’être au service des autres.
Il y a déjà trente-deux ans, j’ai eu la grande chance, avec Alain Richard et d’autres, de rédiger un rapport pour ouvrir à tous la fonction d’élu local. Je pensais alors que ce ne serait jamais possible si le fait d’être élu signifiait la remise en cause de la sérénité personnelle ou de la vie familiale. Je vous remercie donc pour toutes celles et tous ceux qui pourront enfin se présenter aux élections locales, peut-être dès 2014. (Applaudissements.)