Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne
Discussion générale (suite)

11

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, j’ai reçu ce jour de M. le Premier ministre une lettre m’informant que le Gouvernement fera à l’Assemblée nationale et au Sénat une déclaration sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le Président du Mali.

Cette déclaration aura lieu demain mercredi 16 janvier à quinze heures, simultanément dans les deux assemblées. Elle sera suivie d’un débat.

Après concertation avec les présidents de groupe, je vous propose, pour l’organisation de ce débat, d’attribuer, après l’intervention du Gouvernement :

- un temps de parole de dix minutes au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ;

- un temps de parole de quinze minutes à l’orateur du groupe UMP et à celui du groupe socialiste, et de dix minutes à l’orateur de chacun des autres groupes politiques ;

- un temps de parole de trois minutes au représentant des non-inscrits.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

12

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne
Discussion générale (suite)

Traité relatif à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne
Article unique (début)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je m’associe à l’hommage qui a été rendu à nos soldats par le président du Sénat et par le ministre.

Le métier des armes n’est pas un métier comme les autres. Il est fait de sens du devoir, d’esprit de sacrifice. Il requiert du courage. Il comporte l’acceptation du risque. La France doit à son armée d’être restée ce qu’elle est, une nation libre. Elle lui doit aussi son indépendance et son rayonnement dans le monde. Tel était l’engagement de ces hommes tombés au Mali et en Somalie ; ils sont morts pour des valeurs justes et hautes.

J’assisterai tout à l’heure avec certains d’entre vous, mes chers collègues, à la cérémonie d’honneurs funèbres en hommage au lieutenant Damien Boiteux. C’est d’ailleurs au sein de l’unité dans laquelle il servait que j’ai fait mon service militaire.

Je pense aussi, à cet instant, aux agents de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE. Je le dis en votre nom à tous, mes chers collègues : nous n’oublierons pas nos soldats morts au combat !

J’en viens maintenant au projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

Je tiens d’abord à saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Ivo Goldstein, nouvel ambassadeur de Croatie en France.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que ce projet de loi soit le premier texte examiné par le Sénat en 2013. C’est une bonne façon de commencer l’année !

En accueillant la Croatie, le 1er juillet 2013, l’Union européenne passera de vingt-sept à vingt-huit États membres. Nous vivons donc aujourd’hui une étape importante de l’histoire de cette communauté de destin et de valeurs qu’est l’Europe.

C’est la dernière fois que le Parlement français pourra autoriser la ratification d’un élargissement de l’Union européenne à la majorité simple ; les prochains élargissements devront être approuvés soit par référendum, soit, depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008, par le Parlement, mais à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Je ne reviendrai pas sur le long chemin qui, conformément au « consensus renouvelé sur l’élargissement de 2006 », a conduit la Croatie au seuil de l’Union européenne. Devant vous, cet après-midi, je me bornerai à aborder brièvement deux questions : la Croatie est-elle prête pour l’adhésion ? Quelle est la situation dans les Balkans occidentaux ?

Tout d’abord, la Croatie est-elle prête pour entrer dans l’Union européenne ?

À la différence du grand élargissement à l’Est, qui a scellé la réconciliation d’une Europe artificiellement divisée par le rideau de fer, l’entrée dans l’Union des pays des Balkans occidentaux se fait de manière différenciée, uniquement en fonction de l’état de préparation de chacun d’entre eux, sans calendrier préétabli, en tenant compte à la fois des critères dits « de Copenhague renforcés » et de la capacité d’absorption de l’Union européenne. C’est donc un véritable marathon que la Croatie a dû parcourir, dans une mobilisation vers son avenir européen qui ne s’est pas démentie.

Les critères ont-ils été plus rigoureux que pour les précédents entrants, la Roumanie et la Bulgarie ? Oui, sans aucun doute. C’était nécessaire, tant pour assurer la transformation en profondeur du pays – il faut « laisser du temps au temps »… – que pour restaurer la crédibilité, auprès de nos opinions publiques, d’un processus d’élargissement suscitant une certaine « fatigue », pour ne pas dire une certaine lassitude.

Le nombre de « chapitres » de l’acquis communautaire est passé de trente à trente-cinq, avec un nouveau chapitre 23 « pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux », dans le domaine de l’État de droit. Le nombre et la rigueur des critères d’ouverture ont été augmentés. Un nouveau type de suivi, entre la signature et l’adhésion, a été mis en place, sur l’initiative de la France et de l’Allemagne, afin de maintenir la pression des réformes et l’élan du changement, non seulement de la législation, mais aussi des pratiques. Dans ce cadre, dix actions clés très concrètes ont été identifiées en octobre, et je ne doute pas que la dernière évaluation, attendue au printemps prochain, ne soit positive, compte tenu de l’important travail mené en ce moment même à Zagreb.

Depuis 2001, la Croatie a bénéficié de 1,5 milliard d’euros d’aides de préadhésion, soit environ 363 euros par habitant. La somme prévue en 2013 au budget européen augmentera à partir de 2014 pour les fonds structurels, les fonds de cohésion et les crédits de la politique agricole commune. La Croatie aura douze députés européens et disposera, au jour de son adhésion, d’un commissaire européen.

Peuplée de 4,5 millions d’habitants d’origine slave, de religion catholique et utilisant un alphabet de caractères latins, située au carrefour des influences de la Méditerranée, de l’Europe centrale et des Balkans, la Croatie est aujourd’hui prête à devenir le vingt-huitième État membre de l’Union européenne. Ancre de stabilité dans la région, elle a su affronter son passé et se tourner vers l’avenir. Elle montre la voie à ses voisins.

Nous sommes lucides, il reste malgré tout des difficultés : les complications territoriales et financières avec la Slovénie, la question du contrôle – et du tracé ! – de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine, les relations avec la Serbie, l’autre « grand » de la région… Mais nous avons confiance, et nous répondons sans hésitation : oui, aujourd’hui la Croatie est prête pour entrer dans l’Union européenne.

Seconde question : où en sont les Balkans occidentaux, dont Bismarck disait que les États « produisent plus d’histoire qu’ils n’en peuvent consommer » ?

Leur « vocation européenne », c’est-à-dire le principe de leur adhésion à l’Union européenne, a été clairement reconnue au Conseil européen de Zagreb, en 2000, sous la présidence française de l’Union européenne, et régulièrement réaffirmée depuis. Dix ans après ces déclarations, le bilan est finalement assez mince. La Croatie sera, après la Slovénie, membre depuis 2004, le deuxième État de cette région à entrer dans l’Union européenne. Le Monténégro et la Serbie ont le statut de candidat, mais les négociations ne sont pas ouvertes, non plus qu’avec la Macédoine, bloquée par le veto grec.

Mme Nathalie Goulet. Tant mieux !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. L’Albanie a déposé sa candidature ; la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo demeurent en quelque sorte « sur le seuil de la porte ».

Cette lenteur est due aux difficultés de la transition démocratique et de la construction des institutions, aux imbroglios historiques, ethniques et frontaliers, ou à la part, dans certains États, de l’économie criminelle et de la corruption.

En Serbie, les élections ont porté au pouvoir des dirigeants aux antécédents nationalistes, tandis que le dialogue avec Pristina vient tout juste de reprendre. En Bosnie-Herzégovine, la solution institutionnelle semble introuvable. En Macédoine, les relations interethniques se tendent. En Albanie, la situation politique était bloquée il y a peu de temps encore, et le bilan des réformes est mince, en termes d’instauration d’un État de droit notamment.

Or, dans cette région, l’adhésion à l’Union européenne agit comme un instrument de stabilité et de réconciliation. On pourrait même dire que, pour certains États, l’intégration européenne est à l’origine du processus de construction nationale.

Certains agitent la menace que les Balkans, dont les pays sont las de soupirer à la porte d’une Europe concentrée sur la gestion de ses propres crises, ne deviennent un lieu de compétition entre puissances émergentes, un peu comme au XIXe siècle entre les anciens empires : tropisme russe de la Serbie, présence traditionnelle de la Turquie dans la région, ou encore montée en puissance économique de la Chine, à la recherche de portes d’entrée vers le grand marché européen à partir des ports grecs.

Je pense quant à moi que l’Union européenne restera, pour ces États, un horizon de stabilité et de prospérité à long terme. Mais soyons attentifs à ce que l’élan européen continue bien à être le moteur de la transformation de ces sociétés.

Au fond, la vraie question est celle-ci : quelle est aujourd’hui la force d’attraction et la capacité propulsive du projet européen ? Sommes-nous capables de faire autre chose que de gérer nos crises, que de donner une image d’impuissance et d’immobilisme ? Comment retrouver l’élan des pères fondateurs ? Par exemple, saurons-nous construire l’Europe de la défense ? Saurons-nous relancer une croissance qui fasse renaître l’espoir ?

Ne nous jugeons toutefois pas trop durement : bien sûr, beaucoup reste à faire, mais déjà nous avons travaillé, ces derniers mois, à réorienter l’Europe et à restaurer son rayonnement.

Pour l’élargissement, nous devons trouver un équilibre, délicat, entre la nécessaire dynamique européenne à enclencher dans une région où la réconciliation demeure fragile et l’indispensable crédibilité d’un élargissement qui doit vraiment renforcer l’Union, et non pas la fragiliser. L’élargissement doit respecter le tempo fixé par les États membres, sans les entraîner dans un engrenage. Les États membres doivent rester maîtres du jeu.

Je suis persuadé que la Croatie sera, au sein de l’Union européenne, une alliée pour trouver ce juste équilibre. Notre commission vous invite donc, mes chers collègues, à approuver la ratification du traité d’adhésion.

« Croatie, la voici ! » nous dit le slogan de la saison culturelle croate à Paris. J’ajouterai, au nom de la commission des affaires étrangères et, je l’espère, au nom du Sénat tout entier : « Croatie, bienvenue ! ». (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, au nom de la commission des affaires européennes.

M. André Gattolin, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai plaisir à saluer le rapport de la commission des affaires étrangères et je remercie M. Carrère de l’enthousiasme qu’il montre à l’occasion du retour de la Croatie dans le concert des nations européennes.

La commission des affaires européennes du Sénat partage évidemment cet enthousiasme. Notre intérêt pour la Croatie est grand et ancien, et nous sommes particulièrement heureux de l’accueillir en tant que vingt-huitième État membre de l’Union européenne, en autorisant la ratification du traité d’adhésion.

Une délégation de notre commission s’est rendue en novembre 2011 à Zagreb à l’invitation du Parlement et du Gouvernement croates. Nous avons pu alors mesurer la très forte implication de l’ensemble des forces politiques croates dans la dernière ligne droite conduisant le pays vers son entrée dans l’Union.

Quelques jours après notre retour, la commission des affaires européennes du Sénat a d’ailleurs adopté à l’unanimité une proposition de résolution européenne présentée par Simon Sutour et Michèle André, présidente du groupe d’amitié France-Croatie, dont je salue ici le très grand engagement en faveur du rapprochement entre nos deux peuples. Ce texte, visant à demander une ratification très rapide par notre pays du traité d’adhésion de la Croatie à l’Union, est devenu une résolution du Sénat le 29 novembre 2011.

Les relations entre la France et la Croatie sont aujourd’hui excellentes et de nombreuses coopérations économiques et institutionnelles ont déjà été mises en place.

Les relations de notre Sénat avec le Sabor, la chambre unique du Parlement de la République de Croatie, ainsi qu’avec le Gouvernement et la présidence croates, sont particulièrement intenses depuis deux ans. Le président Jean-Pierre Bel a, en octobre dernier, accueilli au Sénat Ivo Josipovic, l’actuel président de la République de Croatie, et il recevra demain son homologue Josip Leko, président du Sabor. Je salue, au nom de la commission des affaires européennes, la présence, dans notre tribune officielle, du nouvel ambassadeur de Croatie en France.

Depuis quelques années, la question de l’élargissement fait souvent débat au sein de l’Union européenne. On a pu dire qu’il s’opérait parfois au détriment de l’approfondissement, ou que certaines adhésions avaient été mal préparées. S’agissant de la Croatie, force est de constater que toutes les conditions semblent réunies pour faire de son adhésion une réussite.

Comme l’indiquent les traités européens, confortés par la Charte des droits fondamentaux, tout État européen qui respecte les valeurs de l’Union et qui s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de celle-ci.

L’Union européenne est fondée sur les valeurs du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité de tous les citoyens en droits et en devoirs, du respect de l’État de droit et du respect des droits de l’homme.

Or, incontestablement, la Croatie est aujourd’hui pleinement un État de droit. C’est le premier point que je veux souligner : elle jouit d’une grande stabilité démocratique et institutionnelle.

Les institutions que la Croatie a mises en place en retrouvant sa souveraineté sont stables et, depuis vingt ans, il a été prouvé qu’elles résistaient efficacement aux alternances politiques. Plus exactement, elles permettent l’alternance politique, la dernière datant du mois de décembre 2011.

La Croatie jouit d’une grande stabilité grâce à une constitution remontant déjà à vingt ans, qui a su établir un bon équilibre entre présidentialisme et parlementarisme, équilibre qui d’ailleurs n’a pas été affecté par une période de cohabitation politique intervenue dans un passé assez récent.

Deuxième point important à nos yeux : pour les minorités, les réfugiés et les déplacés, la Croatie a trouvé des solutions à la fois efficaces et respectueuses.

La Croatie a su résoudre le problème de ses minorités. On ne reviendra pas sur la « mosaïque des peuples » propre aux Balkans. En l’occurrence, la population de la Croatie est plus homogène que celle de la plupart des pays voisins, mais elle n’échappe cependant pas totalement à son destin balkanique, et le pays compte sur son territoire des minorités auxquelles elle a accordé, ces dernières années, des droits importants.

Par une loi constitutionnelle de 2002 sur les droits des minorités nationales, la Croatie a su créer un climat de confiance au sein de ses frontières pour ses minorités serbe, bosniaque, italienne, hongroise, albanaise et slovène. Concernant les membres de la minorité serbe qui avaient fui après la guerre, la Croatie a ainsi accepté leur retour et leur réintégration dans la nation.

Troisième point essentiel au regard de la ratification : la Croatie a établi un État de droit digne de ce nom.

La Croatie a satisfait aux exigences requises pour l’ensemble des chapitres ouverts à la négociation, mais il n’est pas indifférent que celle-ci n’ait abouti qu’à la fin du processus pour le chapitre le plus délicat, c’est-à-dire le chapitre 23, relatif à la justice et aux droits fondamentaux.

La Croatie a longtemps souffert d’un système judiciaire vicié, hérité de l’ancien régime yougoslave. C’était, pour l’Union, sans doute le point le plus sensible. Les mauvaises expériences roumaine et bulgare en la matière ont conduit les institutions européennes à relever le niveau de leurs exigences. C’est ainsi qu’il a été instamment demandé aux autorités croates – parfois sans ménagements diplomatiques, il faut bien le reconnaître – des efforts très intenses en matière de réforme de la justice, tant dans le domaine du recrutement et de la formation des magistrats qu’au regard de l’indépendance des juges.

La Croatie a été priée d’intensifier ses efforts et de soutenir activement la réforme judiciaire et la lutte anti-corruption jusqu’à son entrée dans l’Union, tout en fournissant tous les six mois des rapports convaincants sur les progrès accomplis.

Des efforts très importants ont été mis en œuvre, en particulier pour réduire le nombre d’affaires en souffrance et rationaliser le système judiciaire, par l’agrandissement des tribunaux et la spécialisation des juges.

La Croatie a créé une école des professions judiciaires et renforcé l’indépendance en matière de nomination aux fonctions judiciaires.

Au cours des négociations, la corruption est également apparue comme un problème majeur, et la lutte contre celle-ci est devenue une priorité pour le Gouvernement croate. Son action énergique dans ce domaine au cours des dernières années a été saluée par tous les observateurs européens. Une bonne coopération s’est installée entre la justice croate et les agences internationales. Chacun convient qu’il faut poursuivre le renforcement des capacités administratives des services de lutte contre la corruption, en particulier celles de l’Office de prévention de la corruption et de la criminalité organisée, l’USKOK.

Enfin, un effort supplémentaire a été consenti pour corriger les insuffisances en matière de transparence dans le domaine des dépenses publiques et dans celui du financement de la vie politique.

La recherche de relations pacifiées avec les pays voisins a bien évidemment été aussi au cœur des actions de la République de Croatie ces dernières années. C’était tout à la fois une nécessité pour que sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne soit prise au sérieux et une conséquence des négociations entourant cette candidature, puisque l’Union européenne veut être le moteur de semblables entreprises de réconciliation.

En l’occurrence, c’est avec la Serbie et la Slovénie que les différends étaient les plus nombreux.

La Croatie et la Serbie, tout d’abord, se sont durement affrontées voilà une vingtaine d’années. Leurs gouvernements ont réalisé de grands pas l’un vers l’autre en reconnaissant et en regrettant la violence et les brutalités commises de part et d’autre. Les plus hautes autorités serbes ont été reçues à Zagreb et les plus hautes autorités croates l’ont été à Belgrade. Il n’y a pas si longtemps, cela aurait semblé inimaginable !

Avec la Slovénie, la dispute est plus actuelle. Elle concerne le littoral du golfe de Piran, et donc le territoire maritime de la Slovénie, ainsi que, de manière peut-être plus aiguë ces derniers temps, la restitution d’avoirs croates auprès de la Ljubljanska Banka.

Sur la question des eaux territoriales, la Slovénie et la Croatie ont accepté de s’en remettre à un arbitrage international, dont tous les responsables politiques croates que nous avons rencontrés, de la majorité comme de l’opposition, ont déclaré qu’ils respecteraient les conclusions, quelles qu’elles soient. C’est là un signe très positif en vue de la pacification des relations avec la Slovénie.

S’agissant des avoirs croates détenus par la banque précitée, la situation est plus embarrassante, la Slovénie menaçant de ne pas ratifier le traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. La résolution de ce problème pourrait intervenir, me semble-t-il, dans les mois qui viennent. Il faudra toutefois être vigilants sur ce point.

Enfin, des efforts importants ont également été accomplis pour rendre l’économie croate compatible avec le marché unique. Ce point a été peu évoqué, mais la Croatie a réalisé des progrès économiques remarquables au cours des deux décennies écoulées. Avant la crise économique, elle jouissait d’un taux de croissance de 4 % à 5 % par an ; en vingt ans, ses revenus ont doublé, et le revenu par habitant en Croatie atteint à présent 63 % de la moyenne de l’Union européenne.

La Croatie entrera dans l’Union dotée d’une économie dynamique et concurrentielle et elle aura parachevé sa transition vers une économie de marché, même si le taux de croissance prévu pour 2013 stagne autour de 1,5 %.

On rappellera que la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ont investi dans le pays près de 500 millions d’euros par an en 2009 et en 2010 et ont décidé d’appuyer fortement la Croatie dans la phase finale de son accession à l’Union européenne.

Il faut ajouter à cela l’appui du fonds d’adhésion, pour un montant de 3,6 milliards d’euros, utilisables pendant les deux premières années suivant l’adhésion, ainsi que les investissements directs étrangers et les capacités de financement locales.

La Croatie a décidé la mise en œuvre de trente grands projets d’investissement pour une valeur de 13 milliards d’euros, dont une dizaine à lancer tout de suite. Ce programme n’est pas irréaliste et pourrait s’avérer efficace, pour autant qu’il permette de réamorcer l’investissement privé dans le pays.

En dépit d’un tissu industriel encore limité, la capacité de rattrapage de la Croatie demeure intacte : son potentiel touristique et sa situation géographique font d’elle une plate-forme multimodale régionale dotée de ressources humaines qualifiées et de bonnes infrastructures. De plus, l’inflation y a été maîtrisée au cours des dernières années.

Le secteur agricole ne représente plus que 5 % du PIB du pays, contre 22 % pour le secteur secondaire. Le secteur des services représente à lui seul 73 % du PIB.

Je l’ai dit, le tourisme, en particulier, est en plein essor. En effet, la Croatie reçoit près de 10 millions de visiteurs par an et cette croissance devrait se confirmer au cours des prochaines années, avec le développement d’infrastructures modernes pour l’accueil des touristes étrangers.

Cependant, l’ensemble de ces chiffres ne reflète pas réellement les efforts énormes fournis par la population croate et les sacrifices endurés par tous les salariés et les entrepreneurs pour mener à bien ce rattrapage.

Le référendum sur l’adhésion du pays à l’Union européenne s’étant tenu en janvier 2012, en plein cœur de la crise de la zone euro et à un moment où l’activité économique connaissait un ralentissement, on pouvait redouter que les électeurs croates ne se montrent assez eurosceptiques.

Tel n’a pourtant pas été le cas. La participation à ce référendum aurait certes pu être plus élevée, mais l’adhésion à l’Union a été validée par plus de 67 % des votants. J’y vois la preuve d’un enthousiasme lucide, d’une volonté de progresser par l’Europe et de faire progresser l’Europe ; nous ne pouvons que nous en réjouir. Je suis heureux de pouvoir saluer devant vous, mes chers collègues, ce sursaut héroïque et historique de nos amis Croates.

Maintenant que l’État de droit est établi en Croatie, le pays va pouvoir tirer parti de ses atouts, fruits d’une longue et riche histoire européenne.

C’est avec joie et une grande confiance que nous nous apprêtons à accueillir dans l’Union la Croatie, très ancienne nation qui ne fera que revenir à ses origines en nous rejoignant. Le 1er juillet 2013 marquera la dernière étape du long cheminement qui a permis de renouer la chaîne du temps.

Un pays qui bénéficie d’une remarquable situation géographique, d’une population jeune ayant le don des langues, d’une agriculture diversifiée, d’un excellent réseau de petites et moyennes entreprises, d’un bon système éducatif et d’un potentiel touristique très enviable ne peut que réussir son intégration.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai fait partie de la délégation de la commission des affaires européennes conduite par notre collègue Simon Sutour. Je m’étais rendu plusieurs fois par le passé en Croatie ; j’y ai notamment séjourné plusieurs jours au plus fort de la guerre avec la Serbie, à l’automne de 1991, alors que le front n’était qu’à une douzaine de kilomètres de la capitale. Pour la première fois de ma vie, j’ai vécu la guerre et compris ce que pouvait être un bombardement. Pendant mon séjour, j’ai passé davantage de temps dans des abris, durant les multiples alertes, que dans les rues de Zagreb. Cette courte expérience m’a beaucoup marqué, comme elle a, dans des proportions bien évidemment incomparables, affecté la population croate, en laissant des traces très profondes dans la mémoire de toutes celles et de tous ceux qui ont vécu au quotidien ce dramatique conflit.

Le but premier de la construction européenne, dans les années ayant suivi le terrible conflit qui a ravagé notre continent durant la première moitié des années quarante, était précisément la pacification durable de nos territoires et la reconstruction irréversible de l’État de droit.

Le plus fort symbole de la construction européenne de l’après-guerre est sans nul doute la réconciliation entre la France et l’Allemagne, qui a débouché sur l’instauration d’une amitié solide et durable. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de célébrer le cinquantième anniversaire de cette réconciliation la semaine prochaine, avec la commémoration de la signature du traité de l’Élysée.

L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, c’est aussi pour nous tous, d’une certaine façon, la réactualisation du rêve européen tel que les pères fondateurs de l’Europe l’avaient formulé.

Bien sûr, de nombreuses questions restent à régler dans les Balkans. Je l’ai dit, la Croatie a encore des différends à aplanir avec certains de ses voisins, mais son formidable parcours depuis la fin de la guerre est un encouragement à poursuivre l’aventure et un pilier sur lequel s’appuyer dans les années à venir pour approfondir nos relations avec l’ensemble des pays de la région.

Mes chers collègues, lors de mes voyages en Croatie, j’ai eu l’occasion de me lier d’amitié avec le traducteur croate des œuvres d’Albert Camus, qui écrivait que « la paix est le seul combat qui vaille d’être mené ». En cet instant, je pense à ce vieil homme ; j’imagine qu’il doit être particulièrement d’accord, aujourd’hui, avec le philosophe qu’il a tant lu et traduit. Si la paix est effectivement le seul combat qui vaille d’être mené, c’est alors une bataille que viennent de remporter la Croatie, ses partenaires et l’Union toute entière.

Au nom de la commission des affaires européennes, je vous appelle, mes chers collègues, à voter ce projet de loi autorisant la ratification du traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)