M. René-Paul Savary. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la MECSS, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la T2A est une tarification largement appliquée en Europe. En France, nous avons été plus loin que d’autres pays sur le champ concerné par cette tarification à l’activité.
Aujourd'hui, l’hôpital fonctionne pour une part très importante de ses recettes en T2A. En somme, pour une appendicectomie, quel que soit l’établissement, la sécurité sociale verse un certain montant à l’hôpital. Pour affiner tout cela, un grand nombre de critères sont pris en compte, et la façon dont le séjour se passe à l’hôpital est aussi analysée. En bref, c’est un énorme algorithme qui permet de déterminer quel tarif sera perçu par l’hôpital, et ce n’est pas forcément la réalité économique !
Autant le dispositif précédent, le forfait global, gommait les différences liées aux activités, ce qui était source d’immobilisme, autant la T2A peut être une course à l’activité. Son application depuis quelques années méritait véritablement un examen approfondi, ce qui a été fait à travers ce rapport de façon très perspicace. Que les auteurs en soient largement remerciés !
Je voudrais simplement, à travers mon propos, souligner quelques imperfections dont il faudra peut-être envisager la correction, madame la ministre.
Je vous ferai part, tout d’abord, de quelques réflexions, puis je commenterai quelques propositions.
Mes réflexions sont le fruit de remarques remontées du terrain. Elles sont inspirées par ma double expérience de membre du conseil de surveillance d’un petit centre hospitalier rural, celui de Sézanne, dans la Marne, mais aussi d’un centre hospitalier universitaire, celui de Reims.
La permanence des soins, tout d’abord, outre les frais de structure, coûte en frais de personnel non soumis à une activité constante.
Il faut bien sûr prendre en compte le tissu rural, la faible population, les distances par rapport aux grands centres techniques, mais également les spécificités locales.
La commune de Sézanne est située sur la tristement célèbre route nationale 4. Ce tronçon, qu’il a été question de moderniser au début des années soixante-dix, concomitamment à la création de l’autoroute A4, ne compte toujours que deux voies, et non deux fois deux voies. Chaque jour, 12 000 véhicules y transitent, dont 40 % de poids lourds. Vous vous en doutez, en cas d’accident, les antennes de SMUR déployées le long de la route doivent être particulièrement performantes.
A contrario, les services des urgences sont régulièrement sollicités par des gens qui n’ont pas besoin de soins urgents, mais qui sont simplement pressés.
Parallèlement, les gardes de médecins libéraux qui peuvent être organisées ne sont pas forcément sollicitées. À titre personnel, j’en sais quelque chose.
Il faudra bien qu’une véritable prise de conscience ait lieu un jour dans notre pays sur l’utilisation à bon escient des services publics. On voit bien les difficultés qui se posent lorsqu’on veut, par exemple, améliorer le système de relais des urgences et rapprocher les services du 15 et du 18, là où cela n’est pas déjà fait.
Par ailleurs, les patients, même lorsqu’ils font preuve de bonne volonté, ne peuvent pas, dans notre système, payer les actes médicaux ou les soins dans les centres hospitaliers. D’une part, cela ne les responsabilise pas, d’autre part, cela montre bien la limite de la gratuité. Entre la gratuité et, à l’autre extrémité du balancier, les dépassements d’honoraires, il nous faudra bien trouver un juste milieu si nous voulons sauver notre système de santé.
Ma deuxième remarque portera sur l’enseignement. Les coûts de l’enseignement sont différents d’un établissement à l’autre. Les jeunes étudiants ont une tendance naturelle à sur-prescrire, ce qui n’est pas pris en compte dans la T2A. La correction pourrait se faire par le financement des missions, lequel devrait peut-être prendre, dans ce cas, une part plus significative.
Ma troisième remarque concernera la recherche et les fameuses MERRI, les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation. La recherche est un élément essentiel pour la renommée d’un CHU.
Au départ, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, avait estimé à 15 000 euros le coût par an par étudiant faisant de la recherche. Il n’est plus actuellement que de 10 000 euros à 11 000 euros, ce qui pénalise les laboratoires et représente un coût pour les établissements concernés, à savoir notamment les CHU. Cette mission de recherche doit-elle être entièrement financée par la sécurité sociale ? La question est posée, il faut y réfléchir.
Je m’attarderai un peu plus longuement sur le numerus clausus, qui fera l’objet de ma quatrième remarque.
L’augmentation du numerus clausus était indispensable pour les universités sous-dotées, mais elle a automatiquement entraîné un abaissement du niveau requis pour accéder à la formation en médecine. Le tutorat est donc plus lourd, ce qui a différentes conséquences. Les CHU nouvellement sur-dotés sont soumis à une triple peine.
Dans les régions difficiles, avec une démographie défavorable comme c’est le cas en Champagne-Ardenne, les internes quittent la région à l’issue de leur formation. C’est la première peine.
Les gardes d’internes nécessitent un accompagnement, mais ne génèrent pas d’activités tarifées dans le cadre de la T2A. Au contraire, elles créent de la dépense supplémentaire. Ainsi, les interventions chirurgicales, qui sont plus longues lorsqu’elles sont effectuées par de jeunes internes en chirurgie, mobilisent davantage d’heures de personnel médical et paramédical. C’est la deuxième peine.
Le nombre de professeurs n’a pas augmenté. En conséquence, ils doivent consacrer des heures supplémentaires à la formation, au détriment des actes rémunérateurs. C’est la troisième peine.
Ma cinquième remarque a trait aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM. Madame la ministre, ils sont une procédure intéressante, mais parfois hasardeuse. Les nouveaux CPOM pour la période 2012-2017 sont proposés après concertation, mais les moyens réels qui y seront consacrés ne seront connus qu’en fin d’année. Ils dépendront de la répartition définitive des enveloppes par l’ARS, pour les missions d’intérêt général.
Si les objectifs sont fixés, les moyens n’y sont pas !
Une adaptation du dispositif doit être envisagée, car il est difficile de définir clairement des objectifs sans visibilité budgétaire.
Ma sixième remarque portera sur l’ONDAM, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Afin de contrôler les dépenses de sécurité sociale, l’idée est de maîtriser l’augmentation annuelle de l’ONDAM. Les déterminants de l’ONDAM sont, d’une part, l’inflation, qui agit sur les consommables, et, d’autre part, le GVT, le glissement vieillesse technicité, qui est une inflation naturelle de la masse salariale.
Ainsi, la tentation est légitime de combler les déficits en laissant filer les allocations de MIGAC : cela signifie l’explosion de l’ONDAM au détriment du juste soin. Et si les aides à la contractualisation venaient à être considérablement augmentées, cela signifierait revenir d’une certaine façon au système de dotation globale et à ses dérives, les dépenses incontrôlées. La T2A en serait affaiblie d’autant.
Ce qu’il faudrait peut-être faire, au contraire, c’est chercher à maîtriser les aides à la contractualisation tout en revisitant le système d’attribution des missions d’intérêt général et en s’assurant de contrôler les dérives de la T2A.
À cet égard, permettez-moi d’en citer quelques-unes : l’optimisation du codage des séjours dans le but d’assurer une rentabilité extrême – cela s’est vu parfois –, la sélection de patients financièrement rentables – cette tentation existe –, le renforcement des pratiques médicales les plus invasives au détriment de soins plus précis, mais moins bien valorisés.
Rassurons-nous, ces risques sont aujourd’hui en partie contrôlés par la sécurité sociale, mais il existe encore sans doute des marges de progression. Il faut toutefois garder à l’esprit que la T2A est un système mondialement utilisé, et l’un des seuls outils de pilotage de l’efficience d’un hôpital.
J’évoquerai maintenant – ce sera ma septième remarque – la comptabilité analytique hospitalière et la performance. Dans ce domaine également, des améliorations gagneraient à être faites afin que, au sein de chaque service, l’on puisse connaître précisément ce que coûte telle ou telle information. Il serait judicieux de renforcer la vision analytique. Ce serait un gage important pour les médecins, mais également pour les personnels administratifs.
Je m’attarderai maintenant sur quelques-unes des propositions figurant dans le rapport de la MECSS.
J’évoquerai tout d’abord la proposition 9 sur la télémédecine, laquelle est, comme l’a souligné Alain Milon, une avancée tout à fait intéressante. La télémédecine commence à être au point, notamment dans le domaine de l’imagerie et pour les consultations de spécialistes à distance. Il est donc urgent de régler les problèmes de tarification et de responsabilité médicale qu’elle pose.
Dans le domaine de la médecine du travail, cette innovation est pertinente, à condition de la reconnaître rapidement, compte tenu du déficit en médecins du travail. Un décret pourrait être pris rapidement afin d’autoriser une expérimentation dans ce secteur, madame la ministre. Cela permettrait d’avancer et de prouver qu’il existe des choses intéressantes, susceptibles de nous faire réaliser des économies, tant dans le domaine hospitalier que dans celui de la médecine de ville.
La proposition 26 mérite également qu’on s’y arrête. Elle pose la question des moyens des agences régionales de santé, les ARS. Sont-ils adaptés aux ambitions régionales ? En fait, les ARS sont chargées de décliner une politique nationale à l’échelon régional. Toutefois, il existe des disparités difficiles à combler. Sur le terrain, les différences sont considérables. Il faut trouver une articulation, notamment avec le financement du secteur médico-social, secteur dans lequel les collectivités locales assurent des responsabilités. Bien souvent, les doubles tarifications ont une répercussion sur le budget des hôpitaux. Il faudra également se pencher sur cette question.
La proposition 35 vise à replacer le malade au sein du dispositif d’évaluation budgétaire, en travaillant sur un parcours de santé. Je pense que c’est important.
En tant que médecin généraliste, je me rends compte encore trop souvent que le parcours de santé est un véritable parcours du combattant, surtout pour les pathologies lourdes. Des améliorations pourraient être trouvées.
En conclusion, bien des problèmes restent à résoudre.
La question se pose de l’extension de la T2A, notamment aux soins de suite et aux hôpitaux locaux. Personnellement, j’invite à la plus grande prudence. Le dispositif peut être amélioré.
Il s’agit, cela a été rappelé, de répartir une enveloppe définie annuellement dans le cadre de l’ONDAM. Est-il envisageable d’exclure la partie « recherche » ? Faut-il exclure l’investissement ? Ce qui est important, c’est de trouver des solutions, car nous sommes tous attachés à l’efficience de notre système hospitalier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Muguette Dini ainsi que MM. Alain Bertrand et Félix Desplan applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je suis très attachée au service public, notamment à celui de la santé. Notre système, trop souvent décrié, compte des compétences, des savoir-faire et des talents. Nous devons le protéger et l’améliorer encore afin qu’il remplisse pleinement ses missions et qu’il soit adapté aux besoins des populations.
Pour ma part, je mettrai l’accent sur la prise en charge de la périnatalité, secteur qui, comme les autres, a souffert de la logique de l’hôpital-entreprise, bien souvent obsédé par la seule comptabilité financière. La T2A, dans une logique de rationalisation poussée à l’extrême, peut parfois détourner l’hôpital de ses missions de soins pour toutes et tous. La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, si on ne l’encadre pas davantage, peut, à terme, menacer l’hôpital public. Il nous faudra, ici comme ailleurs, reconstruire la logique de bien public que le gouvernement précédent a trop souvent sabotée.
Il nous faut replacer le patient – en l’occurrence la patiente – au centre du système de santé. Je sais à quel point mes collègues Yves Daudigny, Jacky Le Menn et Alain Milon se sont impliqués dans les travaux de la MECSS sur ce sujet.
Dans le secteur de la périnatalité, l’imitation de la politique américaine, sans aucune concertation avec les soignants, tend à réduire l’accouchement au plateau technique médical.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Michelle Meunier. La femme enceinte entre accoucher et sort parfois dans la journée,…
Mme Nathalie Goulet. Effectivement !
Mme Michelle Meunier. … pour laisser place à une autre, qui elle-même laissera place à une autre, et ainsi de suite.
Or le temps de l’accouchement, c’est aussi le temps de la mise en place des premiers liens parents-enfant, le temps des questions et de l’expression de l’angoisse, le temps de la récupération pour la mère. La compétence des personnels est alors essentielle pour accompagner les parents.
La logique exclusivement comptable a des effets pervers. Elle entraîne une fragilité hospitalière qui, dans certains hôpitaux, conduit à refuser l’accès à la maternité de l’hôpital à des parturientes qui ne sont pas inscrites dans cet établissement pour le suivi de leur grossesse. Elles n’étaient pas au programme ! Elles sont alors orientées vers les cliniques privées, qui, elles, les accueillent. Drôle d’image pour notre service public…
La diminution du temps d’hospitalisation après l’accouchement est également préjudiciable aux mères les plus fragiles, qui ne font pas facilement appel aux services de sages-femmes libérales lors de leur retour à domicile. La peur du contrôle, du fait du déplacement de la sage-femme au domicile, l’isolement et les difficultés sociales les conduisent à ne pas se faire aider.
Il faut réfléchir à ces situations afin de mettre en œuvre des solutions en réseau, en amont, au cours et en aval de l’hospitalisation. Tel est l’objectif des « Réseaux sécurité naissance », qui, notamment dans ma région Pays de la Loire, fonctionnent de manière remarquable. Il faut les préserver, les soutenir, voire les développer.
La pédiatrie souffre également d’un manque de capacité d’adaptation, toujours du fait de la rigidité comptable. L’activité de la pédiatrie, comme d’autres spécialités, connaît des variations saisonnières liées aux épidémies. Or le nombre de lits est fixe. En 2010 et en 2011, une vague de bronchiolites a entraîné une saturation totale du système. Des réflexions ont été engagées, notamment au CHU de Nantes, afin de trouver des solutions pour s’adapter aux besoins, et ce à budget constant. Il serait intéressant que Mme la ministre chargée de la santé encourage la diffusion des bonnes pratiques sur ce sujet comme sur d’autres thématiques.
En effet, notre approche de la santé est aussi une question de méthode. En matière de périnatalité, les facteurs de bien-être comme de santé sont multiples, et les intervenants potentiels nombreux. L’environnement de la future mère est déterminant. Vit-elle près ou loin du lieu prévu pour son accouchement ? Connaît-elle des difficultés sociales ou de santé ? Vit-elle dans un désert médical ou non ? Est-elle soutenue ou non par son entourage ?
Autant de données qui influeront sur la qualité du suivi de sa grossesse, de son accouchement et sur les premiers mois du nourrisson. Les liens entre les professionnels de proximité, dont les irremplaçables médecins, sages-femmes et puéricultrices de la protection maternelle et infantile, la PMI, du département, et ceux du monde hospitalier sont essentiels pour assurer les soins et la sécurité de la mère et de l’enfant. La chaîne des réponses doit pouvoir se construire localement. Il faut impérativement compenser l’éloignement des lieux d’hospitalisation par des réponses de proximité et des moyens de transport rapides et adaptés.
L’arrivée d’un enfant peut aussi se faire par adoption. Les consultations d’orientation et de conseils en adoption, ou COCA, sont des réponses empiriques construites au sein des hôpitaux publics, qui ont fait leurs preuves en matière d’accompagnement médical et psychologique, notamment pour des enfants nés à l’étranger ou présentant des problèmes de santé. Il serait bon d’officialiser une COCA par département et de lui attribuer des financements dédiés car, en intervenant en soutien aux familles, ces consultations sont, indéniablement, facteurs d’économies à moyen terme.
Le travail en réseau, la construction de solutions au plus près des territoires et avec tous les acteurs concernés, dont les usagers, voilà le défi auquel notre système de santé est confronté quand il est aux prises avec les populations fragiles, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, de personnes vieillissantes ou porteuses de handicap.
Partout, les volontés existent, partout la conscience de la fragilité mais aussi de la richesse de notre système de santé est présente. Il faut miser sur les compétences et l’engagement des professionnels de santé public pour inventer de nouvelles réponses. J’ai toute confiance dans notre ministre des affaires sociales et de la santé à cet égard, car elle a placé la notion de service public et la concertation au cœur de son pacte de confiance pour l’hôpital.
Mes chers collègues, profitons de ce débat au Sénat pour rappeler de manière claire, forte et assumée notre confiance en l’hôpital public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, durant les trois minutes qui m’ont été laissées par Muguette Dini pour mon intervention, je voudrais attirer votre attention sur le centre hospitalier de L’Aigle, dans l’Orne.
Premier employeur de la ville avec plus de 500 salariés, cet hôpital est indispensable en milieu rural. À cheval entre l’Orne et l’Eure, c’est un acteur indispensable de la médecine, y compris généraliste en raison des problèmes de démographie médicale, que vous connaissez aussi bien que moi.
Le centre hospitalier de L’Aigle a mis en œuvre en 2007 un plan de retour à l’équilibre puis, dès le 1er septembre 2009, un contrat de retour à l’équilibre financier, qui lui ont permis de revenir à l’équilibre dès 2010, tout en supportant dans ses comptes un report à nouveau déficitaire de plus de 8 millions d’euros.
Grâce aux efforts constants du maire, de l’ensemble des équipes et du personnel, qui a toujours été associé aux décisions, cette situation s’est sensiblement améliorée. Les mesures prises ont d’ailleurs précédé les prescriptions établies dans le rapport de l’IGAS, paru en avril 2012. Il faut croire qu’elles étaient de bon sens !
Les régimes de rémunération ont ainsi été remis à plat, de façon à comprimer l’octroi de primes. L’accord sur les 35 heures a également été renégocié de façon importante. J’en profite pour vous indiquer que la mise en place des 35 heures dans les hôpitaux a posé un certain nombre de problèmes, dont nous avons beaucoup de difficultés à nous sortir. Il faut tout de même le reconnaître. La gestion de nos hôpitaux a en outre été pénalisée par une chaîne de facturation défaillante, qui a dû être optimisée et les dépenses ont été mises sous contrôle.
Il convient également de noter une amélioration sur le suivi des tableaux de bord d’activité mensuels et un travail intense de pédagogie, la mise sous surveillance des prescriptions d’examens complémentaires extérieurs et les limitations des transports des patients, et la valorisation des séjours en régime de T2A à l’origine d’une solide amélioration des résultats. Ce point est cependant extrêmement fragile, dans la mesure où de nombreux médecins, aujourd’hui encore, ne prennent pas le temps de rédiger les comptes rendus d’hospitalisation après la sortie des patients. Cela empêche, naturellement, tout codage et donc toute facturation auprès de l’assurance maladie.
Des mesures, madame la ministre, méritent toutefois d’être plus particulièrement surveillées.
La réception de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses, l’EPRD – je confirme à ce titre les propos empiriques tenus à l’instant par Gérard Larcher –, valable pour l’année en cours, intervient au second semestre et appelle des corrections sur un budget déjà en application depuis plusieurs mois ! Cette notification est trop tardive. Elle entraîne une obligation de réduction des dépenses, qui peut parfois conduire à couper sans nuance dans les charges.
La direction des établissements hospitaliers ne bénéficie pas d’assez de stabilité. L’Aigle, par exemple, a connu sept directeurs en dix ans ! Comment voulez-vous assurer un suivi satisfaisant ?
Si l’organisation territoriale de nos établissements doit se faire à l’aide d’une certaine coopération, cette dernière ne correspond pas nécessairement aux limites administratives des départements ou des régions. Nous demandons à faire confiance à l’intelligence territoriale, mais en matière d’hospitalisation, la situation est parfois un peu difficile.
Sur ce point, la direction commune avec l’hôpital d’Alençon, situé à 40 kilomètres, imposée à l’hôpital de L’Aigle, ne semble pas une bonne solution. D’ailleurs, Pierre-Jean Lancry, remarquable directeur de l’ARS de Basse-Normandie, s’accorde à dire qu’une solution différente devrait être trouvée.
Un temps de trajet trop important entre les deux structures, des bassins de vie trop différents, ou encore l’absence de complémentarité des activités sont ainsi à déplorer. Cela est d’autant plus désolant que Verneuil-sur-Avre, en Haute-Normandie, situé à quelques kilomètres, ne dispose pas de centre hospitalier.
Puisque nous parlons de la Haute-Normandie et de l’Eure, j’associe à mon propos mon excellent collègue Hervé Maurey, qui, d’ailleurs, attend confirmation du déblocage de la deuxième tranche du plan Hôpital 2012, pour le centre hospitalier de Bernay. Gérard Larcher l’a également évoqué en termes généraux, je me permets de le faire en termes particuliers.
Le maire de L’Aigle, Thierry Pinot, le sénateur de l’Eure Hervé Maurey et moi-même serions d’ailleurs tout à fait heureux, madame la ministre, de vous recevoir à L’Aigle, afin de pouvoir vous montrer les équipes remarquables de cet hôpital, vous décrire les efforts qui y ont été faits et vous convaincre de la nécessité de mieux l’organiser, car il est absolument indispensable à l’équilibre de la démographie médicale dans les départements de l’Orne et de l’Eure. (Mme Muguette Dini applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, j’ai lu avec attention l’extrait du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, tout comme j’ai pu écouter les rapporteurs qui se sont succédé à la tribune.
Cette lecture est intéressante. On y apprend que, si la T2A dispose d’atouts, la mission « préconise une meilleure prise en compte de certaines activités médicales, des missions d’intérêt général, ainsi que des inégalités territoriales de santé et des coûts fixes qu’engendre la présence hospitalière dans une zone isolée ou peu dense ».
Tous les intervenants ont évoqué ce point.
Pour les Lozériens, la situation est encore plus problématique. Un aller-retour à Paris demande dix-huit heures de train, un aller à Montpellier se fait en six heures. L’hôpital de Mende, le seul du territoire de santé, fonctionne bien. Il faut dire que, pour ce faire, nous avons consenti d’énormes efforts.
Nous avons notamment renégocié l’accord sur les 35 heures. Nous avons également redimensionné les équipes. Des médecins de ville, pourtant payés à mi-temps, n’officiaient à l’hôpital qu’une heure par semaine, et restaient chez eux le reste du temps ! Nous avons donc fait des efforts, beaucoup d’efforts, comme vous tous.
Malgré cela, la T2A ex abrupto, telle qu’elle est appliquée, nous étrangle. Elle sacrifie ce que j’appelle l’« hyper-ruralité ».
Peut-être faut-il la conserver ? Mme Dini a proposé la mise en place d’un financement mixte, sur la base d’une répartition à parts égales entre la T2A et les dotations des MIGAC. C’est peut-être un début de solution.
Il me semble que l’abandon de la convergence tarifaire est une très bonne chose, madame la ministre. Pour les hôpitaux isolés – c’est le cas du nôtre –, les dotations MIGAC devraient être discutées en amont, avec l’ARS. Elles doivent être proportionnelles au budget, et donc reposer sur la capacité à produire des actes médicaux et à répondre aux besoins de santé publique du territoire. Ces dotations ne doivent plus nous placer dans une situation d’insécurité totale.
Il y a deux ans, tous budgets confondus – je ne parle pas seulement de l’hospitalisation –, le centre hospitalier de Mende, dont je préside le conseil de surveillance, remettait 750 bulletins de paie, pour un bénéfice de 200 000 euros. Cette année, dotation MIGAC comprise, l’hôpital accuse un déficit de 60 000 euros. Nous sommes très sérieux et très performants, mais nous ne pouvons pas vivre dans l’insécurité permanente !
Tout à l'heure, un orateur a parlé de la qualité des soins dans tous les territoires. Le Président de la République, François Hollande, veut une France juste. Un ministère de l’égalité des territoires a d’ailleurs été créé, ce qui est bien. Sans même parler des libertés individuelles, ses priorités devraient être la santé, l’école, l’accès aux services publics. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point.
Il ne suffit pas de parler d’égalité territoriale. Il faut également la prendre en compte concrètement, la faire vivre sur le terrain.
Madame la ministre, les normes peuvent être adaptées très facilement. Nous ne sommes pas obligés d’être idiots parce qu’on veut la sécurité des patients et la qualité des soins, parce que les procédures doivent être normées, encadrées scientifiquement.
La maternité de Mende, avec une équipe de sept personnes, assurait un peu moins de 500 naissances. Une année, 503 accouchements ont dû être pratiqués, chiffre qui requiert une équipe de quatorze personnes. L’année suivante, le nombre d’accouchements passait à 518. La maternité connaît un déficit de 400 000 euros.
Dès lors, les normes devraient pouvoir être progressives, responsables, scientifiques, afin, tout en garantissant la sécurité des soins, de permettre une meilleure gestion de l’argent du contribuable.
Voilà ce que je tenais à vous dire, madame la ministre. Il n’est pas normal que, seul centre hospitalier de notre territoire de santé, nous n’ayons pas le droit d’avoir un IRM, alors que nous en sommes dépourvus ! Il n’est pas normal que l’ARS nous impose le seuil de neuf lits pour un service de réanimation dans l’hôpital. Avec seulement six lits dédiés à ce service, nous avons démontré que nous pouvions assurer la performance et la continuité des soins, grâce à notre savoir-faire.
L’ARS a procédé à une visite sur place. Elle a vu que notre organisation fonctionnait à merveille. Elle nous a donné quitus de notre gestion et m’a félicité. Nos équipes font même de la formation !
Adapter les normes pour les établissements dont la situation le requiert n’est tout de même pas difficile. De plus, cela permettrait de faire des économies.
Je terminerai mon intervention en vous disant qu’il me semble, à la lecture du rapport de la mission et après avoir entendu les différents intervenants, voir se dégager un consensus pour préserver notre système de santé. La T2A est performante d’un point de vue financier. Elle doit simplement être amendée dans le sens des recommandations émises par la mission, afin de tenir compte des territoires. Des efforts sont nécessaires, car nous ne sommes pas dans une période de vaches grasses.
J’ajoute que j’appuierai le principe d’une taxation supplémentaire visant à protéger le système de santé, si cette dernière devait voir le jour. (M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.
M. Félix Desplan. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui revêt une actualité forte en Guadeloupe : fermeture des unités de chirurgie et de maternité du centre hospitalier Sainte-Marie de Marie-Galante, qui a suscité une grande émotion ; probable mise sous administration provisoire du centre hospitalier de la Basse-Terre ; renoncement du CHU de Pointe-à-Pitre au versement des charges sociales auprès des organismes de retraite et de sécurité sociale.
De fait, en dépit d’efforts de gestion, nos hôpitaux connaissent des difficultés financières considérables, que la mise en œuvre de la réforme hospitalière n’a pas amoindries, en grande partie parce que les particularités de notre département n’ont pas été suffisamment prises en compte.
Les causes de cette situation sont avant tout liées à l’existence de charges bien supérieures à celles de la moyenne nationale.
Je citerai en exemple les surcoûts d’acheminement du matériel, de son stockage, de son usure en raison de conditions climatiques tropicales, les prix plus élevés des médicaments et des denrées alimentaires, les frais liés aux évacuations sanitaires dans un territoire archipélagique, les frais liés à la difficulté de recrutement de praticiens spécialistes, aux indemnités de vie chère des personnels.
Il faut y ajouter les investissements indispensables pour garantir une offre de soins de qualité et un plateau technique performant, conforme aux normes nationales, malgré un bassin de population à la fois restreint et éloigné de la métropole. À cet égard, je n’ai pas manqué de noter que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale avait mis en exergue l’inadaptation de la tarification à l’acte aux activités « réalisées dans des zones peu denses ou isolées mais indispensables à la couverture des besoins sanitaires ».
Nous sommes touchés, plus qu’ailleurs, par des pathologies lourdes : diabète, maladies vasculaires, drépanocytose, sida… Nos hôpitaux accumulent, en outre, beaucoup de créances irrécouvrables auprès d’une population qui s’appauvrit et qui se fragilise socialement, ainsi qu’auprès de ressortissants de pays voisins.
Certes, le coefficient géographique correcteur majore les tarifs et forfaits et prend en compte les surcoûts - il est de 26 % aux Antilles -, mais les acteurs locaux demandent sa revalorisation, estimant qu’il est aujourd’hui insuffisant par rapport aux surcoûts réels. Quant aux deux enveloppes complémentaires créées par la réforme et destinées à financer les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, ou MIGAC, elles ont diminué drastiquement cette année, alors qu’elles avaient déjà fortement baissé en 2011 !
Les hôpitaux de Guadeloupe doivent donc fournir un double effort avec des moyens moindres. Il n’est pas étonnant qu’ils soient dans une situation de déficit annoncé à 9 millions d’euros pour le centre hospitalier de la Basse-Terre, le CHBT, et à 29 millions d’euros pour le CHU.
Messieurs les rapporteurs, lors d’une audition de la mission, vous avez déclaré être surpris d’apprendre que certains conseils généraux d’outre-mer contribuaient aux investissements, alors même qu’ils assument de lourdes charges dans les secteurs social et médicosocial.
C’est le cas en Guadeloupe, où le conseil général et le conseil régional contribuent aux investissements, mais c’est indispensable, dans un temps où les deux principaux hôpitaux peinent énormément à trouver des prêts bancaires. L’État s’est engagé à financer totalement la construction d’un nouveau CHU ; je m’en félicite. Mais, en attendant, tout ne peut pas être gelé.
Comment résorber durablement un tel déficit financier ? Par un réajustement du coefficient correcteur ? Je l’ai déjà évoqué. Mais aussi, me semble-t-il, par un meilleur financement des missions d’intérêt général, comme le préconise la mission dans son rapport. Sans doute faut-il aussi réfléchir à une dotation spécifique qui permettrait de combattre l’isolement des établissements de santé en outre-mer.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la gravité de la situation appelle en tout cas une approche globale, concertée, regroupant l’ensemble des acteurs. Dans ses trente propositions pour l’outre-mer, le candidat François Hollande s’était engagé à accélérer « la mise en œuvre du plan santé outre-mer » et à procéder à « une mise à plat du financement des établissements de santé » dans ces territoires. Je salue cet engagement. Madame la ministre déléguée, pouvez-nous d’ores et déjà nous donner des informations et un calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.