Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
M. Marc Daunis.
1. Ouverture de la session ordinaire de 2012-2013
4. Candidatures à un organisme extraparlementaire
5. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
6. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de trois projets de loi
7. Démission de membres de commissions et candidatures
8. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
10. Débat sur le financement de l'hôpital
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
MM. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale ; Jacky Le Menn, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale ; Alain Milon, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
Mmes Laurence Cohen, Muguette Dini, MM. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud, MM. Gérard Larcher, Serge Larcher, René-Paul Savary, Mmes Michelle Meunier, Nathalie Goulet, MM. Alain Bertrand, Félix Desplan, Maurice Antiste, Georges Patient.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.
11. Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
12. Nomination de membres de commissions
13. Débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique
Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique ; M. Bernard Cazeau, rapporteur de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
Mmes Laurence Cohen, Nathalie Goulet, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud, M. René-Paul Savary.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.
Suspension et reprise de la séance
14. Débat sur la réforme de la carte judiciaire
MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Yves Détraigne, rapporteur du groupe de travail sur la réforme de la carte judiciaire.
Mme Éliane Assassi, M. Jacques Mézard, Mme Hélène Lipietz, MM. Jean-Jacques Hyest, Henri Tandonnet, Mme Virginie Klès, MM. Stéphane Mazars, Thani Mohamed Soilihi, Pierre Camani.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Marc Daunis.
1
Ouverture de la session ordinaire de 2012-2013
M. le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2012-2013 est ouverte.
2
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
3
Démission d’un sénateur
M. le président. M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Didier Boulaud par laquelle il se démet de son mandat de sénateur de la Nièvre, à compter du dimanche 30 septembre 2012, à minuit.
Acte est donné de cette démission.
Conformément à l’article L.O. 322 du code électoral, le siège précédemment détenu par M. Didier Boulaud est donc vacant à compter du lundi 1er octobre 2012 et sera pourvu par une élection partielle organisée à cet effet dans les délais légaux.
4
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose les candidatures de MM. Gilbert Barbier, Bernard Cazeau et Alain Milon pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production du logement social.
Je rappelle au Sénat que la liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Daniel Raoul, Claude Bérit-Débat, Claude Dilain, Mmes Mireille Schurch, Élisabeth Lamure, MM. François Calvet et Daniel Dubois ;
Suppléants : M. Philippe Esnol, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Joël Labbé, Robert Tropeano, Gérard César, Pierre Hérisson et Michel Houel.
6
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de trois projets de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu (n° 788, 2011-2012) ;
- du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (n° 789, 2011-2012) ;
- et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 sur le bureau de l’Assemblée nationale.
7
Démission de membres de commissions et candidatures
M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Alain Néri comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de Mme Odette Duriez comme membre de la commission des affaires sociales.
J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :
- à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en remplacement de M. Alain Néri, démissionnaire ;
- à la commission des affaires sociales à la place Mme Odette Duriez, démissionnaire.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.
8
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 28 septembre 2012, les décisions du Conseil sur trois questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- l’article 73 de la loi du 1er juin 1924 (n° 2012-274 QPC) ;
- l’article L. 13-8 du code de l’expropriation (n° 2012-275 QPC) ;
- l’article L. 123-7 du code la propriété intellectuelle (n° 2012-276 QPC).
Acte est donné de ces communications.
9
Renvois pour avis
M. le président. J’informe le Sénat que la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales (n° 779, 2010-2011), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.
J’informe le Sénat que la proposition de loi relative à la création de la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement (n° 747, 2011-2012), dont la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des affaires sociales.
10
Débat sur le financement de l'hôpital
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le financement de l’hôpital, à la demande de la commission des affaires sociales.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de participer aujourd’hui à ce débat majeur. Je remercie, d’ailleurs, M. le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, ainsi que MM. les rapporteurs d’être venus évoquer ce sujet avec moi.
Malheureusement, un séminaire gouvernemental sur la réforme de l’État organisé cet après-midi à la demande du Premier ministre m’obligera à vous quitter vers seize heures quinze, sans doute avant d’avoir pu répondre aux différents orateurs. Je m’en excuse par avance auprès de vous.
Évidemment, je suivrai ce débat de très près. Le Gouvernement sera, bien entendu, présent en la personne de Dominique Bertinotti, qui se trouve à mes côtés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi en premier lieu de remercier la conférence des présidents et le Gouvernement d’avoir inscrit à l’ordre du jour, au tout début de la nouvelle session ordinaire, ce débat si important relatif au financement des établissements de santé.
La mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale a travaillé sur ce thème, six mois durant, organisant vingt-deux auditions et tables rondes avec l’ensemble des professionnels concernés, se déplaçant à Lyon, à Lille, à Rennes, à Laval, à Avignon, à Château-Thierry et en Seine-Saint-Denis, ce qui nous a permis de visiter des établissements de santé dont les conditions d’organisation et de fonctionnement sont très diverses.
Présenté en juillet dernier, notre rapport a été adopté, je le souligne, à l’unanimité par la commission des affaires sociales.
Madame la ministre, vous avez ouvert plusieurs chantiers d’envergure au sujet de l’hôpital. Vous évoquerez sûrement tout à l’heure le « Pacte de confiance » que vous avez lancé et les différentes missions que vous avez diligentées.
Je me réjouis vivement que vous vous soyez approprié ce sujet dès votre nomination, car nous avons constaté, lors de nos auditions et sur le terrain, les attentes des personnels et des patients, qui ont été quelque peu « déboussolés », si vous me permettez ce terme, par les réformes qui se sont succédé ces dernières années à l’hôpital.
D’ailleurs, même si chacun avait naturellement son idée sur les réformes passées et sur les améliorations à y apporter, du temps nous a souvent été réclamé afin de pouvoir les « digérer » et les mettre en œuvre sereinement.
Pour autant, le champ d’étude de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, se limitait – c’était déjà ambitieux – aux modes de financement des établissements de santé, plus précisément à la répartition des ressources que l’assurance maladie leur consacre : je rappelle que ces dotations s’élèvent à 75 milliards d’euros en 2012, dont 55 milliards d’euros pour les établissements tarifés à l’activité. C’est dire la place des hôpitaux dans l’accès aux soins et dans l’architecture de notre système de santé.
La tarification à l’activité a été introduite à partir de 2004 pour la médecine, la chirurgie et l’obstétrique avec des mécanismes transitoires et des coefficients géographiques correcteurs. Elle consiste à fixer des tarifs correspondant chacun à un paiement forfaitaire par type de séjour. Un tel système, avec des modèles variables, est appliqué dans une grande majorité de pays occidentaux.
Je limiterai mon intervention à quelques remarques générales sur la situation financière du secteur hospitalier pour laisser le temps aux rapporteurs de présenter les conclusions de la mission.
Nous avons d’abord été surpris par la faiblesse des indicateurs statistiques et l’hétérogénéité des données publiées. Or poser un diagnostic et envisager des solutions suppose un constat partagé. L’autonomie des établissements ne saurait justifier cette carence, car des statistiques bien plus fiables existent pour les collectivités locales dont la libre administration est reconnue constitutionnellement.
Sous cette réserve, on constate que le déficit des établissements publics de santé s’est établi à 488 millions d’euros en 2010. Ce déficit diminue légèrement et il ne représente globalement qu’une part faible des produits d’exploitation : 0,8 % en 2010. De leur côté, les résultats du secteur privé commercial se dégradent.
Pour autant, ces résultats d’ensemble ne doivent pas masquer d’importantes disparités entre les établissements.
Ainsi, dans le secteur public, 80 % du déficit reste concentré sur moins de cinquante hôpitaux, pour l’essentiel des centres hospitaliers universitaires, des CHU, dont plus de la moitié est dans cette situation. Le déficit de la seule Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP, s’élevait à 115 millions d’euros en 2010.
Deux éléments sont à prendre en compte pour l’avenir : les dépenses d’investissement des établissements publics ont doublé en dix ans pour atteindre 6,4 milliards d’euros en 2010 ; leur dette a également doublé, mais dans les cinq dernières années seulement, pour s’élever à 24 milliards d’euros à la fin de l’année 2010.
Le plan « Hôpital 2007 » a, de ce point de vue, enclenché une mécanique très critiquée, à juste titre, par la Cour des comptes. Il en résulte un alourdissement durable des charges d’amortissement et d’intérêts d’emprunts qui pèsent sur le budget des établissements et rend difficile, pour certains d’entre eux, le retour à l’équilibre.
La sensibilité des hôpitaux à l’évolution des frais financiers est devenue un élément à prendre en considération pour l’avenir, d’autant que, face à cette évolution structurelle, la crise financière rend délicat, de manière conjoncturelle, l’accès au crédit pour l’ensemble des établissements, que ce soit en ligne de trésorerie de court terme ou en emprunt de long terme.
Je précise, madame la ministre, que nous aurons l’occasion d’évoquer différents sujets ayant trait aux finances hospitalières dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment le tarif journalier de prestations.
Quoi qu’il en soit, pouvez-vous d’ores et déjà nous dire quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement pour soutenir les établissements en ce qui concerne l’accès au crédit et les relations avec les banques ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, rapporteur.
M. Jacky Le Menn, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le rapport que j’ai eu le plaisir de préparer dans le cadre de la MECSS avec Alain Milon contient de nombreux éléments de diagnostic et de présentation mais, dans le temps qui nous est imparti, je vous propose plutôt de concentrer mon propos sur nos conclusions et nos propositions.
Comme l’indiquait à l’instant Yves Daudigny, président de la MECSS, la tarification à l’activité, la T2A, est largement répandue dans les pays occidentaux, sous une forme ou sous une autre. Et la MECSS ne remet pas en cause le principe d’une tarification à l’activité – c’est un point fort – dont les atouts par rapport aux systèmes antérieurs du prix de journée et de la dotation globale sont indéniables.
Nous en sommes convaincus : le financement des établissements doit rester lié à leur activité pour améliorer la transparence, l’organisation et les modalités de prise en charge.
La T2A a fait l’objet de jugements très divers, parfois très tranchés, très sévères, car elle est apparue comme un moyen de régulation, voire de contrainte. Elle a indéniablement souffert d’une extrême complexité et d’une mise en œuvre technocratique insuffisamment transparente. En outre, ses modalités ont trop fluctué d’une année sur l’autre.
Elle ne devrait pourtant constituer qu’un outil de répartition des ressources, et une de nos premières recommandations pourrait être de ne pas tenter de faire jouer à l’instrument plus qu’il n’est capable de réaliser. On a parfois l’impression qu’à défaut de pouvoir prendre des décisions en termes de restructuration ou d’organisation on a utilisé le levier de la T2A. Celle-ci a révélé des difficultés que l’on n’a pas voulu ou su traiter par ailleurs.
En outre, son application doit être plus prévisible pour les établissements car on ne peut mener à bien un projet si les tarifs sont perpétuellement remis en cause.
Sur le fond, nous avons constaté que la T2A était peu adaptée à certaines activités médicales et à des territoires isolés.
Nous proposons, d’une part, de travailler sur une nouvelle classification commune des actes médicaux, la CCAM, et d’adopter une classification « clinique » permettant de financer plus justement le temps médical passé auprès des patients et, d’autre part, de réunir des conférences de consensus pluridisciplinaires pour définir, sur des critères médicaux, les activités pouvant relever d’un financement au séjour. Cette méthodologie, partant du terrain et concertée, peut permettre de sortir de certains affrontements stériles.
Les activités qui ne relèvent pas d’une telle logique pourraient être financées soit par un système plus forfaitaire, tout en gardant un lien avec l’activité, j’y insiste, soit par une dotation minimale de fonctionnement constitutive d’une fraction des coûts fixes.
Dans le même esprit, les missions de service public doivent être mieux couvertes et les inégalités territoriales de santé mieux prises en compte : la présence hospitalière dans une zone isolée ou peu dense signifie des coûts fixes plus élevés qu’ailleurs, alors que la logique de la T2A est celle d’un calcul moyen national.
Je me permets, à cet instant, une parenthèse : notre mission n’a pas analysé spécifiquement les difficultés rencontrées par les outre-mer, car la commission des affaires sociales a publié, voilà un an, un rapport d’information dédié aux questions de santé et de logement en Martinique et en Guyane, à la suite d’une mission sur place conduite par notre collègue Mme Muguette Dini, alors présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Nathalie Goulet. Excellent rapport !
M. Jacky Le Menn, rapporteur. Pour en revenir à la T2A, nous avons pointé du doigt les imperfections de la construction tarifaire : l’étude nationale des coûts repose sur un échantillon trop faible et insuffisamment représentatif de la diversité des établissements et les retraitements statistiques permanents nuisent à la lisibilité de l’ensemble.
Au total, le calcul des coûts, déjà imparfait, est en fait largement déconnecté de l’élaboration de la grille tarifaire.
En outre, à défaut de la mise en place de réels outils pour piloter l’activité, la France a choisi de facto une régulation des dépenses par les tarifs plutôt que par les volumes, et ce à un niveau macro-économique, sans prise en compte de l’activité de chacun des établissements pris individuellement. Cela explique que les tarifs s’éloignent des coûts réels constatés dans les établissements, ce qui n’est pas satisfaisant pour les gestionnaires et les équipes.
Au confluent des limites médicales et territoriales de la T2A se trouvent les 350 hôpitaux locaux – ex-hôpitaux ruraux – dont la loi prévoit qu’ils doivent appliquer la tarification à l’activité au 1er mars 2013. Cette évolution nous semble inappropriée, car ces hôpitaux, qui rendent un grand service public de proximité, seront particulièrement frappés par deux défauts actuels de la T2A : ils pratiquent principalement la médecine gériatrique avec peu d’actes techniques ; ils se trouvent dans des zones isolées ou peu denses en professionnels de santé.
Madame la ministre, quelles sont, sur ce point, les intentions du Gouvernement en ce qui concerne le passage à la T2A des hôpitaux locaux ? Plus globalement, ne serait-il pas opportun de commander une étude sur la place de ces établissements, qui pourraient être utilement valorisés pour répondre à certains défis actuels de notre système de santé ?
Je voudrais évoquer maintenant un sujet qui a été particulièrement décrié : la convergence.
La mise en place d’une tarification liée à l’acte thérapeutique conduit, presque instinctivement, à l’idée que le financement doit être égal, quels que soient le lieu, les modalités d’exercice ou le patient concerné.
Or, comme l’a montré la Cour des comptes, le processus de convergence intrasectorielle a déjà révélé les limites de cette intuition.
Ces limites ne peuvent être que plus fortes pour la convergence intersectorielle, entre les grilles tarifaires, le champ même des tarifs étant différent entre les secteurs privé et public. Ce processus présente des biais méthodologiques rédhibitoires, que nous avons signalés dans notre rapport.
Alors que des comparaisons ne pourraient légitimement s’effectuer que « toutes choses égales par ailleurs », des différences fondamentales existent entre les établissements de santé en ce qui concerne les modes de prise en charge, les contraintes d’organisation, le coût des personnels, ou encore la capacité à programmer son activité, qui ne dépend pas uniquement de la gestion administrative ou médicale.
En outre, les tarifs reposent aujourd’hui sur des coûts moyens, calculés à l’échelle nationale, dont la construction présente, je l’ai dit, certains défauts.
Pour l’ensemble de ces raisons, dans notre rapport, qui, je le rappelle, a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, comme l’a précisé le président de la MECSS, nous demandons la suspension du processus de convergence tarifaire.
Madame la ministre, vous avez annoncé que vous proposeriez cette mesure dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Je m’en félicite.
Un autre sujet a souvent été évoqué durant nos auditions et déplacements : l’investissement hospitalier.
Aujourd’hui, il est presque exclusivement financé par l’assurance maladie via le fonds de modernisation des établissements de santé et les tarifs.
Nous nous sommes interrogés : est-il légitime que le remboursement des soins finance l’investissement immobilier, les constructions nouvelles d’établissements notamment ? Nous ne le pensons pas.
Dans le contexte dégradé de nos finances publiques, il s’agit d’une réflexion à moyen terme mais il nous semble nécessaire, d’une part, de remettre à plat les logiques de financement et, d’autre part, de trouver, pour ce type de dépenses, une meilleure gouvernance afin d’optimiser le choix des projets.
Dans le champ de la T2A, c’est-à-dire la médecine, la chirurgie et l’obstétrique, les tarifs représentent 75 % du financement, ce qui est une part certainement excessive comme nous l’avons vu précédemment.
Une part de 10 % obéit à des logiques diverses, principalement le paiement direct de certains médicaments onéreux et de dispositifs médicaux ou des forfaits pour des activités comme les urgences.
Les 15 % restants font, comme la convergence, l’objet de dissensions constantes entre les représentants des hôpitaux et des cliniques. Cet ensemble hétéroclite et mouvant est regroupé dans la dotation des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC.
Madame la ministre, vous avez annoncé la constitution de divers groupes de travail ; je crois qu’il serait utile d’en consacrer un à la remise à plat de ces MIGAC, qui doivent être simplifiées et clarifiées pour conforter les missions de service public de l’hôpital.
Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la place des activités de recherche et d’enseignement dans les MIGAC, qui correspondent aux missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation, les MERRI.
La dotation destinée aux MERRI, d’un montant de 2,7 milliards d’euros, représente environ le tiers du financement des MIGAC, alors que plusieurs de ses lignes relèvent clairement de la responsabilité de l’État. Cette dotation a beaucoup augmenté ces dernières années et a donc pesé sur l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, en tant qu’enveloppe fermée. Comme pour les investissements immobiliers, nous croyons qu’il faut mener une réflexion sur la répartition des responsabilités et des financeurs sur cette question des MERRI.
Nous nous sommes également intéressés aux modalités de régulation macro-économique des dépenses, qui nous semblent, comme à beaucoup d’acteurs, insatisfaisantes. Je l’ai dit, elles passent par l’ajustement à la baisse des tarifs, qui ont en pratique baissé continûment ces dernières années, et par la mise en réserve annuelle d’une part des MIGAC.
La construction et la baisse des tarifs sont les symboles, à nos yeux, des défauts de la mise en œuvre de la T2A : un établissement dont l’activité croît, mais moins vite que la prévision nationale, voit ses recettes baisser d’une année sur l’autre. C’est incompréhensible et démotivant pour les équipes médicales et soignantes ainsi que pour les cadres de direction des établissements.
Nous demandons en conséquence une réforme globale de la régulation des dépenses pour la rapprocher de l’activité propre de chaque établissement et éviter la mise en réserve infra-annuelle de crédits budgétaires.
Un autre élément est apparu durant nos travaux : la T2A peut faire obstacle aux coopérations hospitalières, car les établissements n’ont intérêt ni à partager leur activité ni même à échanger du temps médical. De ce fait, la T2A peut se révéler contraire à un objectif politique pourtant important.
Nous pensons qu’il est possible de donner aux agences régionales de santé, les ARS, les moyens d’attribuer, de manière contractuelle, des financements temporaires pour accompagner les coopérations hospitalières. À ce niveau, je me permets, madame la ministre, de vous interroger : comment entendez-vous conjuguer la mécanique individualiste de la T2A avec l’objectif de développement de la coopération entre établissements ?
De manière générale, nous estimons nécessaires d’attribuer plus de marges de manœuvre aux ARS pour accompagner les établissements dans leurs projets.
Dans un autre volet, notre rapport souligne que chacun de nos déplacements a été ponctué par un sujet qui est manifestement très mal vécu par la communauté hospitalière : les contrôles de l’assurance maladie.
Réalisés sous l’égide de l’ARS, leur principe n’est aucunement remis en cause, ils sont essentiels dans un système de tarification à l’activité, mais la pratique est, là aussi, insatisfaisante : les personnels les ressentent souvent comme effectués systématiquement à charge et à la limite de la remise en cause, a posteriori bien sûr, de décisions thérapeutiques.
Restaurer la confiance et la sérénité est nécessaire, ce qui passe par une meilleure association des acteurs, un renforcement du pilotage national et l’élargissement de la composition des équipes de contrôles sur le terrain à des praticiens vacataires exerçant en établissement.
Madame la ministre, pouvez-nous indiquer quelles sont, là aussi, les intentions du Gouvernement ?
Je terminerai par un point, qui ne doit pas demeurer dans le champ technique : le développement et l’interconnexion des systèmes d’information. Les capacités technologiques existent dorénavant ; il s’agit de les mettre en place de manière coordonnée pour améliorer notre organisation sanitaire.
C’est une étape indispensable au développement concret de la notion de parcours de santé, mais, sur ce sujet, je laisse la parole à mon collègue Alain Milon, corapporteur et vice-président de la MECSS. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, Jacky Le Menn a présenté les principales propositions que nous avons formulées visant à revoir le périmètre et le fonctionnement de la T2A. Je vais de mon côté évoquer la question de la qualité de la prise en charge des patients.
Le premier aspect de la qualité des soins, c’est d’abord leur pertinence. Il est certain que la mise en place de la T2A a entraîné un effet de rattrapage dans le codage des actes, puisque l’amélioration de leur recensement a un impact immédiat pour les ressources de l’établissement. Cela explique d’ailleurs en partie la progression des dépenses hospitalières, et cet effet devrait s’estomper.
Il est extrêmement difficile d’isoler les effets propres de la T2A, dans la mesure où elle interagit avec d’autres facteurs mais une fraction significative de l’augmentation de l’activité tient à des facteurs indépendants de la tarification : les besoins de santé de la population, le vieillissement de celle-ci, le développement des maladies chroniques, etc.
D’autres phénomènes plus critiquables contribuent cependant au développement de l’activité.
Par exemple, le risque de séquençage des séjours. Lorsqu’un patient nécessite un nombre d’actes plus élevé que celui sur lequel est fondé le coût moyen de son séjour ou lorsqu’il est souhaitable de pratiquer un examen ou un acte qui ne relève pas de sa pathologie principale et qui n’est donc pas intégré au tarif, l’établissement peut avoir intérêt à laisser sortir le malade pour le faire revenir quelques jours après.
Par ailleurs, nous avons en particulier été frappés, durant nos entretiens, par l’importance des actes pratiqués pour des raisons de couverture médico-légale du praticien, au nom du principe de précaution et dans la perspective d’éventuels contentieux.
Il est naturellement difficile d’avancer quelle part des actes pratiqués ressort de cette logique et, plus globalement, quels sont ceux qui sont inutiles ou superflus. Mais tant la Fédération hospitalière de France que plusieurs sociétés savantes ont montré l’importance de ce type d’actes.
Or, s’ils ont un coût pour la société, ils n’améliorent pas la qualité de la prise en charge et peuvent, le cas échéant, avoir un impact négatif sur le patient.
À cet égard, il est absolument nécessaire de s’emparer de la question des hospitalisations évitables des personnes âgées ; plusieurs études ont démontré que ces hospitalisations étaient catastrophiques pour leur santé.
Pour cela, mesdames les ministres, il serait intéressant de préconiser la création d’un véritable « service public de santé » qui constitue la pierre angulaire de la stratégie de groupe du service public hospitalier et médico-social dans les territoires de santé. Cette politique ne traduirait pas une volonté d’aboutir à un système autocentré sur les hôpitaux publics ; elle permettrait au contraire d’offrir, sur un territoire de santé, un socle au service des autres acteurs, y compris quant au rôle du CHU en matière d’enseignement et de recherche. Cela concernerait aussi bien les acteurs de soins libéraux, les maisons de santé, les services d’HAD – hospitalisation à domicile – ou de soins à domicile que les acteurs médico-sociaux, voire sociaux.
Pour arriver à cet objectif, permettant à terme la création de véritables filières de soins par type de pathologies, il est nécessaire de lever certains obstacles.
Dans cet esprit, la loi HPST, avec ses qualités et ses défauts, a permis d’offrir de nouveaux outils. La CHT, la communauté hospitalière de territoire, a été l’un d’entre eux. Il est nécessaire d’aller plus loin et d’être plus volontariste en réintroduisant la possibilité de créer des CHT « intégrées ».
Pour lutter contre ces hospitalisations évitables, nous demandons à la Haute Autorité de santé de mettre en place plus rapidement ses référentiels et guides de bonne pratique.
En outre, nous devons revoir la question de la couverture assurantielle des praticiens et des établissements afin d’éviter la multiplication des actes destinés à une couverture légale.
L’amélioration des pratiques passera nécessairement par une meilleure formation à ces questions et il est essentiel d’intégrer la dimension médico-économique et la pertinence des actes dans l’ensemble des études de santé initiales et continues.
Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement pour mieux évaluer et pour lutter contre ce phénomène préoccupant d’actes inutiles ou superflus, qui concerne autant la médecine de ville que l’hôpital ?
Avant d’en venir plus directement à la question de la qualité, je souhaiterais dire quelques mots de la télémédecine.
La France reste clairement en retard alors que ces nouvelles procédures sont très prometteuses pour réduire l’isolement de certains patients et pour répondre à l’évolution de la démographie médicale. C’est pourquoi nous proposons que les actes de télémédecine soient explicitement inclus dans la grille tarifaire afin d’en assurer la visibilité et la pérennité.
Après de longues discussions, nous avons estimé que la démarche de qualité, qui est indispensable, est difficilement modélisable sous la forme de bonus dans un système de financement.
Une telle action est nécessairement protéiforme et complexe ; il ne faudrait pas à nouveau tenter de faire jouer à la T2A un rôle dépassant largement celui d’un outil de répartition des ressources.
Pourtant, on peut regretter que la France soit plutôt timide sur ces questions : les indicateurs sont encore embryonnaires et insuffisamment partagés, alors même que ce processus permettrait d’éviter les palmarès qui fleurissent ici ou là dans la presse et qui sont malheureusement peu fondés scientifiquement.
Nous proposons en conséquence le déploiement d’une véritable stratégie de la qualité, en confiant une responsabilité explicite de supervision et de mise en œuvre à une institution indépendante, dotée pour cela de l’autorité suffisante. Cette stratégie doit, je l’ai dit, permettre de développer des indicateurs de qualité et de sécurité, comprenant des sondages auprès des patients, de leurs familles et des personnels soignants ; ces indicateurs doivent recevoir une large publicité.
Nous proposons tout de même d’envisager une expérimentation qui consisterait, comme cela se pratique dans certains pays, à ne pas rembourser certains séjours lorsque surviendraient des événements indésirables, par exemple les maladies nosocomiales.
Enfin, je souhaiterais aborder, comme m’y a invité Jacky Le Menn, un sujet central pour l’évolution structurelle de notre système de santé : le parcours de santé. Évoquée depuis quelques années dans de multiples rapports, cette notion doit maintenant trouver une traduction concrète et forte dans notre organisation.
Tout milite en ce sens : le développement des pathologies chroniques, le vieillissement de la population, l’évolution des demandes des patients et de leurs familles, la transformation des conditions de travail des professionnels de santé.
Qui plus est, les techniques informatiques autorisent aujourd’hui la mise en œuvre aisée de procédures coordonnées entre l’ensemble des professionnels.
Or, la T2A peut se révéler, par certains aspects, en contradiction avec la volonté de développement du parcours de santé. En effet, elle est organisée non pas autour du malade, mais autour de sa maladie.
Des expériences étrangères existent et nous devons avoir une approche pragmatique, voire expérimentale, pour identifier les pathologies qui pourraient être financées par une enveloppe globale, allant du diagnostic au traitement curatif et aux soins postérieurs.
Nous estimons d’ailleurs que la réforme à venir du financement des soins de suite et de réadaptation, les SSR, doit être pensée et conçue dans ce sens : les établissements de SSR s’insèrent par nature dans une logique de parcours puisqu’ils prennent en charge des patients après leur hospitalisation.
Dans ce contexte, madame la ministre, j’aimerais connaître les intentions du Gouvernement en ce qui concerne la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation, initialement prévue pour 2013.
Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le rapport que Yves Daudigny, Jacky Le Menn et moi-même vous avons brièvement présenté s’inscrit dans la volonté d’améliorer les conditions de prise en charge des patients, dans le cadre d’une enveloppe financière contrainte, absolument nécessaire pour préserver notre système de santé.
La T2A a beaucoup apporté en termes de transparence et d’organisation, mais elle reste un outil d’allocation de ressources. Huit années après son entrée en vigueur, elle peut et doit être améliorée, à la fois pour prendre en compte des activités ou des situations qui se prêtent mal au financement par tarifs, et pour veiller à ce que la pertinence et la qualité des prises en charge restent en tout état de cause le fondement du fonctionnement de nos établissements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dire que notre système de santé est aujourd’hui confronté à des enjeux de taille est un doux euphémisme. La crise financière, économique et sociale que notre pays traverse depuis maintenant plusieurs années n’est pas sans conséquence sur nos concitoyens et sur les structures solidaires qui participent à notre système sanitaire.
D’un côté, la dégradation massive de l’emploi, marquée par le dépassement dramatique du seuil de 3 millions de chômeurs, affaiblit considérablement le financement de notre protection sociale. Les déremboursements successifs, les franchises médicales, la hausse de la fiscalité sur les mutuelles complémentaires et les sanctions financières en cas de non-respect du parcours de soins aggravent les inégalités d’accès aux soins et les renoncements pour motifs économiques.
De l’autre, les politiques comptables d’austérité appliquées sans discontinuité à l’hôpital public – je pense particulièrement à la tarification à l’activité et à la convergence tarifaire – ont eu pour effet de fragiliser les établissements publics de santé, à un point tel que leur déficit constaté en 2010 est de 460 millions d’euros, dont 334 millions pèsent sur 32 centres hospitalo-universitaires.
Et je ne mentionne pas ici l’obstination coupable de certains à vouloir appliquer aux hôpitaux les mêmes règles de fonctionnement que les cliniques commerciales, ce qui s’est concrétisé par la convergence tarifaire puis par la loi HPST, les hôpitaux étant progressivement transformés en de simples entreprises de soins.
Ce sont finalement les deux volets indispensables à la qualité des soins de nos concitoyens qui sont remis en cause. Les reculs en matière de soins préventifs et de premiers recours se reportent naturellement sur les dépenses hospitalières, aggravant encore la situation précaire des hôpitaux. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC considère qu’il est impossible de revoir le financement de l’hôpital sans mener de front une politique plus globale, intégrant, par exemple, la lutte concrète contre les déserts médicaux et les dépassements d’honoraires, la lutte contre les entraves financières aux soins de premiers recours et, naturellement, le financement durable et solidaire de notre système de protection sociale.
En même temps qu’il nous faut donc ouvrir ces chantiers, nous devons répondre au besoin de financement de l’hôpital public, car il y a urgence. C’est notamment ce qu’a déclaré, lors de la conférence de presse organisée jeudi dernier avec Annie David, Isabelle Pasquet et moi-même, le collectif « Notre santé en danger » en appelant à manifester le 6 octobre prochain.
Le Sénat contribue à cette recherche de nouveaux financements et nous appuyons la démarche qui est la sienne et qui est défendue dans le rapport de la MECSS, lequel préconise de mettre un terme à la convergence tarifaire – ce que vous soutenez, madame la ministre.
Or, si le gel est nécessaire, de nombreux tarifs ont déjà été arrêtés sur la base de ce processus d’assimilation du public et du privé. Aussi, il nous faut tirer toutes les conséquences de la proposition formulée dans ce rapport et mettre fin à des situations insoutenables pour les établissements publics de santé.
Mais il faudra également – c’est en tout cas notre conviction – sortir de la logique d’un financement prioritairement assuré en fonction de l’activité. À défaut, les fermetures massives de services ou d’établissement de proximité, notamment les maternités et les centres d’interruption de grossesse, décidées par les agences régionales de santé, sans concertation avec les populations, les personnels et les élus, au seul motif de leur non-rentabilité, se poursuivront.
Outre le caractère antidémocratique de ces mesures, nous ne pouvons accepter ces fermetures, alors même que c’est précisément le mode actuel de financement des hôpitaux qui crée cette non-rentabilité. Le rapport de la MECSS sur le sujet est clair, lorsqu’il souligne que la T2A « est peu adaptée à certaines activités ». Face à ce constat que nous partageons, nous considérons qu’une mesure d’urgence s’impose : l’instauration d’un moratoire sur la fermeture de ces structures de santé.
En même temps, une grande concertation, réunissant l’ensemble des acteurs de la santé, des économistes, les partenaires sociaux et les élus, doit être menée pour réfléchir à l’instauration d’un mode alternatif de financement prenant certes en compte l’activité, mais faisant une place plus importante qu’aujourd'hui aux missions de service public et aux besoins des publics.
Je suis naturellement consciente que ce mode de financement, qui correspond au plus près aux besoins des patients et des établissements, exige de renforcer la part de financement dédiée aux hôpitaux. Et je dois dire que nous sommes inquiets au regard des informations parues dans la presse, faisant état d’une évolution de l’ONDAM probablement égale, voire inférieure, à celle de l’année dernière.
Une telle évolution, compte tenu du niveau d’inflation prévisible, conduira à accroître lourdement la pression sur les établissements de santé, singulièrement sur les CHU. Or certains d’entre eux sont dans des situations intenables ; je pense notamment à celui de Caen.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Vous le savez, nombreux sont les établissements de santé qui équilibrent leurs comptes en réduisant leur principale dépense, celle en personnels. Cela nuit à la qualité d’accueil et de soins des malades et, en même temps, dégrade les conditions de travail des personnels. La Fédération hospitalière de France considère pour sa part que l’évolution de l’ONDAM devrait être d’au moins 3,5 %. Il semblerait que nous en soyons loin.
Dans ce contexte, tout doit être mis en œuvre pour desserrer l’étau financier qui pèse sur les établissements publics de santé. Le poids des emprunts, dont certains sont toxiques, n’est plus supportable et prive bon nombre d’établissements des ressources dont ils ont pourtant cruellement besoin pour investir. La MECSS propose que ces financements ne reposent plus sur les tarifs ; elle préférerait, par exemple, un financement par le biais du grand emprunt.
Pour sa part, le groupe CRC considère qu’il serait utile, pour les investissements relevant de la dotation d’amortissement – équipements, matériels lourds… – de revenir à des emprunts à taux zéro auprès de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, en organisant la planification et la transparence avant de valider ces emprunts « préférentiels ». Mais le recours à la CDC ne peut être qu’une solution d’urgence et ne doit pas devenir le mode régulier de financement des investissements hospitaliers.
À défaut, on prendrait le risque d’accroître la fracture que l’on constate aujourd’hui, entre des établissements rentables qui pourraient seuls supporter l’emprunt et les établissements les plus en difficulté qui seraient contraints à renoncer aux investissements.
On risquerait ainsi de priver ces derniers des capacités financières nécessaires pour rendre possibles les mises aux normes et, in fine, d’entraîner leur fermeture pour motif administratif. Il est donc impératif que les frais d’investissement et de mise aux normes, dont on sait qu’ils vont croissant, soient financés par l’État.
Régler les problèmes financiers de l’hôpital public nécessite de faire preuve d’innovation et d’audace. C’est pourquoi nous ouvrons le débat sur deux mesures : la suppression progressive de la taxe sur les salaires, qui est profondément injuste et improductive ; la suppression de la TVA – autrement dit, la possibilité de récupérer la TVA sur les investissements, comme cela existe déjà pour les établissements et les cliniques privés.
Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, nous sommes très attentifs à vos annonces, concernant notamment la révision de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST. Comme le Mouvement de défense de l’hôpital public, je pense que cette révision suppose une concertation non seulement avec les professionnels et leurs représentants institutionnels et syndicaux – telle que vous l’avez annoncée –, mais aussi avec les associations de patients, les élus locaux et, plus généralement, la population, afin de pouvoir déboucher sur des états généraux.
Madame la ministre, à l’occasion de la présentation, le 7 septembre dernier, de votre « pacte de confiance », vous avez déclaré avoir une certitude : « celle que l’hôpital public a un avenir parce qu’il est le socle de notre système de santé ».
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Vous avez parfaitement raison, et ce discours change de celui que l’on entendait par le passé, lorsque l’hôpital était dépeint en des termes uniquement négatifs et accusé de tous les maux.
Vous pouvez compter sur la pleine mobilisation du groupe CRC à vos côtés, dès lors qu’il s’agira de permettre à l’hôpital de jouer pleinement son rôle, notamment en réaffirmant la mission particulière qui est la sienne au sein du service public de santé, qu’il est grand temps de restaurer.
Nos concitoyens ne sont pas seulement attachés à leurs hôpitaux : ils les perçoivent pour ce qu’ils sont, des biens communs qu’il faut pérenniser et développer, pour l’avenir et pour l’intérêt de toutes et de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en 2012, les dépenses de santé représentent 12 % du PIB de la France, et elles ne cessent de croître.
Du côté des recettes, l’évolution est symétrique et les assiettes s’érodent. Associée à des dégradations conjoncturelles, cette érosion produit des déficits abyssaux, tels ceux que nous avons connus ces dernières années.
Dans ces conditions, l’urgence d’une réflexion sur le financement de la santé, en général, et de l’hôpital, en particulier, s’impose.
En effet, le secteur hospitalier participe, avec le secteur ambulatoire, à près de la moitié des dépenses de santé : il représente 45 % de l’ONDAM et 74,6 milliards d’euros, soit presque 4 % du PIB.
Si beaucoup reste à faire pour optimiser le financement de l’hôpital, il faut reconnaître que nous avons progressé en la matière.
Le financement par prix de journée, en vigueur jusqu’en 1984 pour les établissements publics et privés à but non lucratif, était inadapté.
Par rapport à ce modèle inflationniste et ne correspondant à aucune pertinence dans la prise en charge des patients, la dotation globale a constitué un progrès. La tarification à l’activité, la T2A, a constitué un nouveau pas en avant.
La dotation globale présentait un avantage de taille : la maîtrise de la dépense. Mais l’immobilisme et l’inadaptation des activités hospitalières aux besoins territoriaux de santé présentaient des inconvénients majeurs, auxquels devait remédier la T2A.
Huit ans après l’introduction de cette dernière, nous ne pouvons que souscrire au remarquable bilan qu’en a dressé la MECSS dans le rapport d’information que nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon ont déposé le 25 juillet dernier et défendu à l’instant avec beaucoup de force.
Nous partageons le constat des rapporteurs : oui, la T2A a représenté un progrès et ne doit pas être remise en cause, mais, non, elle ne peut être l’alpha et l’oméga du financement des établissements. Du reste, il ne s’agit pas pour nous d’une découverte : depuis son institution, nous n’avons cessé de stigmatiser certaines des limites les plus flagrantes de la T2A.
Toutefois, les derniers travaux de la MECSS ont le mérite de les avoir listées de manière systématique et de proposer des solutions pour contrer chacune d’entre elles.
Nous relèverons trois de ces limites, les plus importantes à nos yeux.
Premièrement, la T2A est davantage adaptée à la chirurgie et à l’obstétrique qu’à la médecine.
Deuxièmement, la convergence tarifaire nous a toujours semblé utopique, compte tenu de la très grande diversité des établissements de santé et des difficultés inhérentes à certains territoires.
Troisièmement, l’enveloppe des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC, qui devaient former la variable d’ajustement entre secteur non lucratif et cliniques, est mal calibrée.
Ces trois critiques vont loin. En effet, les prendre en compte suppose de redessiner le périmètre de la T2A.
Nous devons aller vers une nouvelle étape de l’évolution du financement de l’hôpital, en instituant un financement mixte, constitué, à 50 %, de T2A et, à 50 %, d’une dotation comparable à ce qu’était la dotation globale. En réalité, ce financement mixte est déjà en place puisque la T2A ne couvre aujourd’hui que 75 % de la dépense hospitalière. Mais cette mixité ne pourra qu’être accentuée, pour plus d’efficience et pour un meilleur service rendu au patient.
Notre collègue Gérard Roche, qui est lui-même médecin, adresse à la TVA une critique de fond : celle d’avoir « bien pris en compte le volet technique [de la prise en charge du malade], au détriment du volet humain ». Remettre l’humain au cœur du système de santé suppose, aujourd’hui, d’ajuster le système de la T2A.
Il est difficile de parler du financement de l’hôpital sans dire un mot de ses dépenses.
En septembre dernier, les professeurs Even et Debré ont sorti un ouvrage qui a fait grand bruit : le « Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux ».
À performances identiques en matière de santé, la France consacre aujourd'hui deux fois plus de dépenses de médicaments par habitant que la Grande-Bretagne, et un tiers de plus que l’Allemagne. Cette « surdépense » représente 15 milliards d’euros, soit 5 milliards d’euros de plus que le déficit prévisionnel de la sécurité sociale. La cause principale en est la surconsommation. Ainsi, près de 30 % des prescriptions hospitalières de médicaments et d’examens biologiques et radiologiques seraient injustifiées.
Ce constat est-il exagéré ? Pas tant que cela ! En juin 2006, un rapport d’information du Sénat, intitulé « Médicament : restaurer la confiance », dressait déjà le même bilan. Après l’affaire du Mediator, ce constat fut réitéré avec force dans un nouveau rapport déposé en juin 2011 : « La réforme du système du médicament, enfin ».
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes dégage également des marges importantes d’économies hospitalières.
Aujourd’hui, le groupe de l’Union centriste et républicaine formule deux propositions concrètes.
Premièrement, l’Inspection générale des affaires sociales et la Cour des comptes doivent être saisies conjointement d’une mission sur le fonctionnement de l’hôpital.
Deuxièmement, notre assemblée doit travailler dès aujourd’hui à une nouvelle proposition de loi, qui, sur le modèle de la « loi Fauchon », renforcerait la protection des praticiens hospitaliers et libéraux contre l’engagement de leur responsabilité. Si de telles dispositions existent dès aujourd'hui, elles devraient être renforcées, étant donné que les praticiens « surprescrivent » pour se couvrir.
En conclusion, si le financement de l’hôpital est une question clef, elle s’insère dans le débat plus large du financement de la protection sociale, que nous devrons repenser. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l’UMP. – MM. Alain Bertrand et Bernard Piras applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail approfondi que Jacky Le Menn et Alain Milon ont réalisé sur la T2A, sujet complexe et souvent traité de façon trop idéologique, par ses partisans comme par ses détracteurs.
Le rapport de nos deux collègues est avant tout pragmatique et je partage globalement leur analyse des atouts et des défauts de la T2A.
Loin de remettre en cause le principe de cette dernière, les auteurs proposent des solutions pour en améliorer la pratique.
Beaucoup d’entre elles me paraissent souhaitables : tel est le cas du financement hors activité des investissements immobiliers, de l’adoption d’une nouvelle classification commune des actes médicaux permettant de financer plus justement le temps médical – je plaide en ce sens à chaque examen de projet de loi de financement de la sécurité sociale – ou encore de la stabilisation des tarifs sur une base pluriannuelle afin de donner plus de visibilité aux établissements.
En revanche, messieurs les rapporteurs, je ne souscris pas à votre proposition de suspendre la convergence tarifaire.
Certes, celle-ci ne saurait être érigée en dogme mais on ne peut ignorer le fait qu’une appendicectomie coûte jusqu’à quatre fois plus cher dans un centre hospitalier universitaire que dans une clinique. Je vous l’accorde, la comparaison est complexe puisque les groupes homogènes de séjour – les GHS – en clinique ne couvrent pas les honoraires et, je l’admets, il existe des variantes dans les modes de prise en charge.
Aussi, quel contenu donne-t-on au mot « suspension » ? S’agit-il d’abandonner purement et simplement le principe de la convergence tarifaire et, dès lors, que souhaite-t-on faire ?
Quoi qu’il en soit, ce renoncement me paraît essentiellement politique.
Je m’interroge également sur l’opportunité de suspendre le passage à la T2A pour les hôpitaux locaux et les soins de suite et de réadaptation – les SSR –, aujourd’hui très coûteux dans le cadre d’un ONDAM fermé.
Les auteurs ont aussi mené une réflexion très intéressante sur la qualité et la pertinence des actes et des séjours. De fait, on constate de surprenantes variations régionales sur des interventions courantes comme la césarienne, l’appendicectomie, les angioplasties ou encore la libération du canal carpien.
Alain Milon a également évoqué le fait que 28 % des actes ne sont pas pleinement justifiés. Que ce chiffre soit dû au caractère inflationniste de la T2A ou à la volonté des médecins de se prémunir d’éventuels contentieux, il y a probablement là, madame le ministre, des sources d’économies potentielles, qui méritent d’être exploitées.
En effet, soyons lucides : la T2A est l’arbre qui cache la forêt ! On ne peut tout demander à un système de financement ; c’est de la refondation de l’hôpital qu’il faut parler.
Certes, il existe des établissements en situation de grande difficulté, qui vivent d’expédients, d’aides ponctuelles du ministère, de lignes de trésorerie de plus en plus difficiles à renouveler. C’est le cas de plusieurs CHU, comme cela a été souligné par Jacky Le Menn. Le sujet est préoccupant. Le poids de l’histoire, des investissements mal calibrés, un recours massif à l’endettement ont déséquilibré la situation financière.
Mais, dans le même temps, on enregistre de très beaux résultats. Les déficits ne sont pas inéluctables : certains établissements sont à l’équilibre, alors qu’ils pratiquent les mêmes tarifs que les autres, et d’autres y sont revenus en se réorganisant de fond en comble afin d’allouer au mieux la ressource sans perdre en qualité de prestations.
Aujourd’hui, cela a été dit, 80 % du déficit se concentrent sur moins de 50 établissements, pour l’essentiel des CHU. Ces derniers ont eu tendance à négocier des moyens supplémentaires, plutôt que de chercher une meilleure efficience par des réformes structurelles.
D’ailleurs, la Cour des comptes soulignait que ces CHU bénéficiaient de modalités de financement plus favorables que les autres hôpitaux publics, alors que leur spécificité est, finalement, toute relative. Selon l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, l’ATIH, l’activité spécifique des CHU représenterait 2,14 % du total, le reste relevant du commun. Par ailleurs, certains ne font que peu ou pas de recherche et perçoivent pourtant la dotation correspondante.
Le déficit hospitalier doit nous interroger sur le nombre des établissements de santé. Si le rapport de nos collègues mérite bien des éloges, il évite ce sujet qui fâche !
N’y a-t-il pas trop d’hôpitaux ? Faut-il en fermer ? Ne doit-on pas, dans certains d’entre eux, arrêter des activités ? Selon moi, la réponse est clairement oui, même si elle n’est pas politiquement correcte.
D'ailleurs, cette position n’a rien de comptable. Elle repose sur une exigence légitime : la sécurité et la qualité des soins. Qui d’entre nous préférerait un chirurgien qui pratique un type d’intervention trois fois par an à un autre qui la pratique trois fois par jour ? (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
D’ailleurs, les patients ne s’y trompent pas, en dépit de ce qui peut leur en coûter : ainsi, 80 % des actes programmés sont effectués dans des cliniques privées.
Par exemple, dans le département de la Marne, où il n’y a que très peu d’offre à tarifs opposables, 40 % des patients viennent des départements voisins, alors même qu’ils ne seront pas forcément bien remboursés.
La loi HPST avait des défauts, certes, mais elle encourageait la restructuration des hôpitaux, notamment avec les coopérations. Cela permet une meilleure spécialisation, gage d’une sécurité accrue des soins. Où en est-on ?
La T2A peut être un obstacle, bien sûr, mais les élus locaux le sont tout autant. Alors que de nombreuses cliniques ont fermé dans l’indifférence totale, dès que l’on touche à l’hôpital, tout est bloqué ! J’ai fait partie d’une commission chargée par Mme Bachelot-Narquin de donner un avis sur la fermeture de 127 plateaux de chirurgie considérés comme insuffisants. Ce programme a été enterré par M. Xavier Bertrand, mais certains sont toujours peu fiables en termes de sécurité : les fermer permettrait de réallouer des financements aux plateaux qui fonctionnent correctement.
La mission de l’hôpital est de soigner, et non de maintenir des emplois. J’ajouterai qu’il n’a pas vocation à être un lieu où convergeraient, par défaut, tous les problèmes qui ne peuvent pas trouver de solution ou de réponse organisée. L’hôpital est là pour fournir, au bon moment, un apport puissant de compétences cliniques et techniques.
La tarification au parcours que proposent nos collègues Le Menn et Milon dans leur rapport est une notion très intéressante. Avec le développement des pathologies chroniques, qui représentent plus de 60 % des dépenses de santé, nous aurions sûrement intérêt à trouver un mode de tarification incitant à un travail soignant plus transversal entre l’hôpital, les soins de ville et le secteur médico-social, appuyé sur des formes d’exercice pluri-appartenantes et pluri-professionnelles.
Pour conclure, il convient d’anticiper les mutations de l’hôpital, ce qui ne passera pas nécessairement par la T2A. Aujourd’hui, les questions essentielles sont celles de la gestion des maladies chroniques, de l’organisation des soins en amont et en aval de l’hôpital, de l’hospitalisation en ambulatoire et de la concentration des plateaux techniques de qualité. Il est surtout urgent d’effectuer des travaux sur la pertinence des soins et sur les actes inutiles. (Mme Muguette Dini ainsi que MM. Gérard Larcher, Alain Bertrand et Félix Desplan applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, mesdames les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, spontanément, les écologistes sont associés, et on peut le comprendre, à la défense de la nature. Ce n’est toutefois pas la nature en tant que telle qui nous importe : nous sommes si attachés à la protéger parce qu’elle constitue notre environnement, notre milieu, et que de sa qualité dépend celle de notre vie.
Si on peut comprendre que, dans la situation actuelle, le Président de la République ait consacré comme prioritaires l’éducation, la justice et la sécurité, il ne nous semble pas inutile, par ailleurs, de réaffirmer que la préservation de la santé de nos concitoyens reste, bien sûr, une des missions les plus fondamentales qui incombent aux pouvoirs publics.
Pour être menée à bien, notre politique de santé publique doit évidemment s’appuyer sur un système de financement solide. Pour autant, il convient aussi de s’interroger sur la pertinence de la notion de rentabilité, toujours sous-jacente à ce débat. L’objectif que nous devons assigner à notre système hospitalier est de nature sanitaire, pas financière. À trop parler de rentabilité de l’hôpital, on arrive vite à parler de rentabilité du patient, et à considérer les décisions médicales au travers du seul prisme économique. C’est ainsi que l’on se retrouve à engager des soins pas forcément indispensables parce qu’ils rapportent plus qu’ils ne coûtent à la structure hospitalière ou, au contraire, à en négliger d’autres par crainte qu’ils ne grèvent davantage le déficit.
C’est également de cette manière que l’hôpital est amené à se rapprocher du fonctionnement de l’entreprise, avec des prestations qui commencent à revêtir un caractère commercial : des niveaux de confort différents appellent d’ores et déjà des tarifs différents. Pour décider d’attribuer une chambre individuelle à un patient plutôt qu’à un autre, il existe pourtant de nombreux critères – par exemple, médicaux, sociaux ou psychologiques – plus pertinents que la comparaison de leurs pouvoirs d’achat respectifs ! À trop se déporter vers des indicateurs économiques sophistiqués, on a parfois tendance à perdre de vue l’objectif auquel concourent les dépenses que l’on engage.
Cette approche fondée sur la rentabilité n’est pas compatible avec un service public aussi essentiel que celui de la santé. D’ailleurs, personne ne s’interroge – du moins, pas encore ! – sur la rentabilité de l’armée, de l’éducation nationale ou de la police, pourtant elles aussi contraintes par des budgets serrés.
Toutefois, bannir la notion de rentabilité ne signifie pas pour autant dépenser aveuglément, bien au contraire ! Il convient d’évaluer les besoins sanitaires des territoires, avec leurs spécificités locales, puis l’efficacité, au regard de ces besoins, des moyens mis en œuvre. Le rapport de la mission propose à cet égard d’intéressantes évolutions.
Premièrement, il suggère d’accorder un rôle accru aux agences régionales de santé,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Aline Archimbaud. … les ARS, et de mieux prendre en compte les spécificités des hôpitaux locaux et les inégalités territoriales.
Deuxièmement, en ce qui concerne la tarification à l’acte, instrument central du système actuel de financement, la mission a mené un travail d’analyse poussé, mettant en évidence les limites du dispositif. Il est ainsi proposé de mieux prendre en compte les coûts fixes des hôpitaux publics, liés à leurs missions d’intérêt général, de circonscrire l’usage de la tarification à l’acte aux seuls secteurs d’activité qui s’y prêtent et, enfin, de trouver des marges de financement pour l’innovation et l’investissement. Ces propositions vont dans le bon sens et il appartiendra à la mission d’en évaluer les conséquences.
Le rapport contient une autre proposition forte : la suppression de la convergence entre le public et le privé – plusieurs de nos collègues ont abordé cette question –, reconnaissant que les grilles tarifaires des secteurs public et privé ne recouvrent pas les mêmes charges. Les écologistes souscrivent pleinement à cette proposition, si importante pour la sauvegarde de l’hôpital public.
Toutefois, la question de la convergence n’est pas le seul problème lié à l’immixtion du secteur privé au sein même de l’hôpital public. Par exemple, aujourd’hui, un nombre croissant de patients se trouvent « piégés » par les dépassements d’honoraires lorsqu’ils tentent de prendre rendez-vous pour une consultation avec un praticien hospitalier. Le choix devant lequel ils se retrouvent placés tient, de fait, d’un mélange des genres, entre vente forcée et refus de soins : on leur propose d’opter soit pour un rendez-vous « en libéral » dans des délais très courts, soit pour une consultation « dans le public », avec le même praticien, qui serait moins onéreuse, mais ne pourrait avoir lieu que dans des délais très longs.
Une telle situation est-elle normale ? Nous ne le pensons pas. D’autant plus que la réputation qui permet à ces praticiens de donner ces consultations privées tient essentiellement au prestige qu’ils tirent de leurs titres et de leurs fonctions publiques ! Mesdames les ministres, nous comptons sur votre diligence pour que cette situation soit analysée et prise en compte au plus vite. Il y va de l’égalité en matière d’accès aux soins qui ne doit pas être uniquement territoriale, mais également sociale.
Enfin, nous nous réjouissons que la qualité des soins pour les patients, question centrale s’il en est, ait constitué une réelle préoccupation de la mission. Là encore, ses préconisations, visant à développer une véritable démarche de la qualité tant au niveau national qu’au niveau régional, préfigurent une stratégie que nous soutenons fortement et dont il conviendra d’assurer un suivi dans la durée.
Pour conclure, je voudrais rappeler que la meilleure politique de santé reste, pour nous, fondée sur la prévention. Non seulement celle-ci garantit une meilleure qualité de vie aux individus auxquels elle permet d’éviter de tomber malades, mais, même d’un strict point de vue financier, elle permet aussi de réaliser de substantielles économies. Cette réflexion sort toutefois légèrement du cadre de ce débat, mais nous en reparlerons lors de la discussion imminente du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais consacrer mon intervention à l’investissement.
Je partirai d’un constat : les investissements hospitaliers sont créateurs de richesse et sources d’amélioration de la qualité des prises en charge, ils doivent donc être encouragés. Sous l’effet des plans Hôpital 2007 et 2012, les investissements hospitaliers ont été fortement soutenus, pour atteindre un montant de 6,4 milliards d’euros en 2010 et en 2011.
Au total, les dépenses d’investissement ont doublé entre 2002 et 2010. Cette stimulation a permis d’engager une importante modernisation des équipements hospitaliers répondant aux attentes de la communauté hospitalière. Cet effort a été réalisé, en grande partie, par une politique nationale de soutien à l’endettement des établissements, qui a eu pour conséquence naturelle la croissance de la dette des hôpitaux, de 18 milliards d’euros en 2007 à 30 milliards d’euros en 2011, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2012. Bien que l’accroissement de la dette des hôpitaux ne soit pas un signe de mauvaise gestion, elle peut être préoccupante pour certains établissements soucieux de leur indépendance financière, plus encore dans le contexte actuel de raréfaction du crédit et d’augmentation des marges bancaires.
La modernisation du parc hospitalier me paraît devoir être poursuivie et le maintien à niveau des équipements hospitaliers rend indispensable la poursuite d’une politique dynamique d’investissement comme priorité stratégique. Ainsi, malgré le contexte particulièrement contraint pour les finances de notre pays, les pouvoirs publics ne doivent pas céder à la tentation de réduire trop drastiquement les investissements hospitaliers. Ceux-ci doivent être soutenus, en raison du potentiel de modernisation, de croissance, de réponse aux besoins de santé, mais aussi parce qu’ils conduisent à la maîtrise des dépenses.
L’évolution du paysage sanitaire, en particulier les nouvelles modalités de prise en charge ambulatoires, le poids des maladies chroniques, le vieillissement de la population vont inévitablement entraîner une modification profonde du rôle et de la place des établissements de santé. Les parcours de soins, les filières, l’essor de la télémédecine, le poids des contraintes énergétiques – on en parle très peu, mais c’est un élément important ! – et le décloisonnement sont autant de réalités qui vont s’imposer et transformer le positionnement, la physionomie et la nature d’activité d’un certain nombre d’établissements. La concentration relative des plateaux techniques est en cours : elle est liée y compris à la démographie des compétences et au choix d’implantation territoriale, souvent motivé, d’un côté, par Hélios et, de l’autre, par la proximité d’un CHU – à l’inverse d’un séisme, plus on s’éloigne de l’épicentre que représente le CHU, plus la démographie médicale et la démographie des compétences posent de problèmes : l’égalité territoriale, c’est d’abord et aussi cela !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Gérard Larcher. Selon les évaluations réalisées, je pense notamment à celles de la Fédération hospitalière de France, les besoins courants en investissements s’élèvent à 4,5 milliards d’euros par an.
Ces investissements seront assez différents de ceux qui ont été réalisés ces dernières années, dans le cadre des plans Hôpital 2007 et 2012 : aux constructions massives succéderont des opérations de densification du patrimoine hospitalier existant, des investissements destinés à accompagner la stratégie de groupe public, mais également des programmes de renouvellement des équipements biomédicaux et de développement des systèmes d’information. Mesdames les ministres, dans ce domaine, nous avons accumulé un retard considérable, souligné dans un certain rapport en 2007 ; malheureusement, la situation n’a que peu évolué depuis. La faiblesse, voire l’absence de fiabilité de nos systèmes d’information font que la performance n’est parfois pas au rendez-vous, simplement parce que nous n’avons pas suffisamment investi dans les systèmes d’information, non seulement en moyens matériels mais aussi en moyens humains.
Le système actuel de financement des investissements a montré ses limites : il importe aujourd’hui de poser les bases d’une nouvelle stratégie de financement – qui pourrait aussi faire l’objet d’un débat que nous devrions engager dans un proche avenir.
Le modèle de tarification à l’activité est censé permettre le financement des investissements sur le cycle courant de l’exploitation.
Or, le mécanisme même de construction tarifaire a, depuis son origine, entretenu un flou quant à la part destinée dans les tarifs au financement des investissements. On le voit bien, d’ailleurs, dans les rapports annuels qui sont renvoyés devant les conseils de surveillance. Quand les agences régionales de santé font des observations, nous allons toujours au fonctionnement et rarement à l’investissement dans l’urgence annuelle d’un EPRD – État des prévisions de recettes et de dépenses – que nous recevons en général définitivement arrêté en juillet, bien que l’année continue à débuter le 1er janvier,…
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Gérard Larcher. … ce qui nous met parfois dans une situation singulière…
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Gérard Larcher. Surtout, le caractère forfaitaire et égalitaire des tarifs place en réalité les établissements dans des situations disparates par rapport à l’investissement qu’ils doivent consentir.
C’est précisément en raison de cette limite que les pouvoirs publics avaient mis en place des systèmes d’accompagnement financier contractuels : les crédits d’aides à la contractualisation, que connaissent bien nos deux rapporteurs. Or, non seulement ceux-ci sont insuffisants, mais ils incitent les établissements à s’endetter, une stimulation à un moment difficilement tenable, notamment sur une longue période.
Dans le rapport de la MECSS du mois de juillet dernier, consacré notamment à la tarification à l’activité, vous avez clairement mis en évidence les limites du système tarifaire actuel, notamment pour financer les investissements. Je partage nombre de points qui ont été soulignés dans le rapport.
Selon vous, trois priorités sont à l’ordre du jour : clarifier les règles de financement des investissements, revoir la procédure de choix des projets et mettre en accord le choix du financement avec la nature de l’investissement. Ce dernier point me semble extrêmement important.
À court terme, il faut donc construire un mode de financement des investissements pérenne, qui préserve l’autonomie des établissements de santé et renforce l’efficience des projets conduits.
La définition d’un nouveau mode de financement des investissements hospitaliers doit s’inscrire dans la réflexion plus globale sur l’évolution du modèle tarifaire. Plusieurs propositions tendent à dessiner ce nouveau mode de financement des investissements.
Tout d’abord, l’ensemble des acteurs me paraissent aujourd’hui s’accorder sur la nécessité pour ce nouveau modèle de ne plus être uniquement lié à l’activité des établissements. L’hétérogénéité des hôpitaux, de leur activité, de la population accueillie ne doit pas se traduire par une impossibilité de conduire des investissements dans un certain nombre de cas.
Ensuite, le nouveau modèle de financement des investissements devra privilégier les dotations ou subventions en capital plutôt que l’endettement. Ce dernier ne doit plus être le résultat de stimulations de court terme des pouvoirs publics ; il doit redevenir une décision autonome des établissements, prise en responsabilité et en conscience.
Enfin, la diversification des sources de financement, tant des fonds propres que des emprunts, est une autre piste qui doit être privilégiée. L’appel plus large à des fonds régionalisés – je pense au Fonds européen de développement régional, le FEDER, et à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME – devrait être envisagé, de même que la possibilité pour les établissements de faire appel aux dons au travers de fondations. Cette diversification est encore balbutiante dans notre pays.
Pour ce qui concerne les emprunts, la crise des liquidités bancaires rend incontournable une évolution du modèle actuel. Le futur ensemble La Banque Postale-Caisse des Dépôts devra jouer un rôle majeur dans la politique de prêts hospitaliers. Pour cela, il est souhaitable que les hospitaliers soient associés à la gouvernance du groupe bancaire public, car je puis vous garantir que plusieurs années se seront écoulées avant qu’il ait compris la réalité d’un hôpital. (M. Alain Bertrand sourit.) Il y a déjà des difficultés avec les collectivités territoriales : qu’en sera-t-il avec l’hôpital ? Nous devons trouver des réponses rapides, notamment pour l’hôpital public.
Le renforcement de l’évaluation de la performance des investissements est une dimension incontournable pour accompagner l’évolution du modèle de leur financement : l’élévation de l’efficience, la surveillance plus étroite des résultats obtenus et la responsabilisation des décideurs hospitaliers me semblent des priorités à concrétiser.
Voilà pourquoi l’Agence nationale d’appui à la performance, l’ANAP, peut utilement – vous l’aviez proposé – mettre à profit son savoir-faire pour aider les hospitaliers dans cette voie, pour autant que cette aide ne soit pas conçue comme une tutelle supplémentaire exercée au nom des pouvoirs publics.
À plus long terme, la problématique du financement des investissements renvoie au modèle même d’organisation hospitalière. Il appartient aux hospitaliers d’être à la hauteur de leurs responsabilités et de dessiner les contours d’une organisation hospitalière renouvelée, reposant sur la stratégie de groupe public avec pour principe cardinal la mutualisation et la complémentarité. Comme Alain Milon, je crois qu’il faudra aller plus loin.
Pour conclure, madame la ministre, je souhaiterais vous poser quatre questions, même si, je le sais, les contraintes gouvernementales vous empêcheront d’y répondre immédiatement, mais peut-être y répondrez-vous ultérieurement.
Premièrement, les trésoreries de nombreux établissements sont tendues et nécessitent une intervention rapide des pouvoirs publics. Quelles sont les réponses du Gouvernement aux propositions qui ont été formulées par la fédération représentant les hôpitaux publics ?
Deuxièmement, le plan Hôpital 2012 a été gelé. De nombreux établissements de santé ont engagé des chantiers. Ils sont dans l’attente du déblocage promis d’une deuxième tranche. Qu’en est-il du déblocage du plan pour éviter des arrêts de chantier, toujours coûteux et complexes ? Je me souviens du plan Delors 2, qui avait bloqué un établissement que je connais bien et qui nous avait mis en grande difficulté. Il faut donc apporter des réponses claires pour les établissements.
Troisièmement, les pouvoirs publics ont toujours affirmé la nécessité de développer les systèmes d’information en santé, que je considère, avec beaucoup d’autres, comme une priorité nationale. Que compte faire le Gouvernement pour relancer ces investissements prioritaires ? Je dois dire que je n’ai pas toujours été très amène avec le précédent gouvernement sur ce sujet, qui me semble primordial.
Quatrièmement, enfin, les hospitaliers sont très inquiets sur l’accès à l’emprunt, qui me paraît tout à fait important. L’investissement, c’est l’avenir, et il doit sans doute s’opérer dans une conception nouvelle de l’hôpital. M. Gilbert Barbier a abordé d’une manière très directe un certain nombre de sujets qui fâchent. Au fond, la question n’est pas de savoir le nombre d’établissements qu’il faudrait fermer. Je pense qu’ils ont tous une utilité, mais qu’ils doivent être complémentaires, pour que la réponse en termes de qualité de soins soit identique sur tout le territoire. Or la réponse en qualité n’est pas égale. Il s’agit non pas de nombre d’établissements, mais de compétences sur le territoire, de réponses techniques. Cette réalité, nous avons le devoir, au-delà de nos sensibilités politiques, d’y apporter une réponse, parce que l’hôpital public est une spécificité française et doit garantir la qualité des soins et la dignité des personnes qui y sont accueillies. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Nathalie Goulet ainsi que MM. Alain Bertrand et M. Félix Desplan applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, dans le présent débat sur le financement de l’hôpital public, il me revient, en ma qualité de président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de traiter de la question particulièrement délicate des hôpitaux sur ces territoires.
Comme dans bien des matières, là où la situation est grave en France dite « hexagonale », elle est dramatique dans nos régions éloignées. Je vais principalement illustrer mon propos par l’exemple des hôpitaux de la Martinique, mais ce que je vais évoquer pour le CHU de Fort-de-France est largement transposable à celui de Pointe-à-Pitre et à la majeure partie des hôpitaux outre-mer.
Le dossier de ces hôpitaux est compliqué, voire effrayant par l’ampleur des chantiers. Ainsi, à la fin de 2011, les trois principaux hôpitaux de la Martinique accusent un déficit cumulé de 147 millions d’euros.
Les causes d’une telle situation sont multiples. Certaines relèvent de problèmes d’organisation et de gestion qu’il convient de traiter. Il s’agit en particulier des doublons d’activités, des problèmes de sureffectifs, pas tant dans les soins que dans les secteurs administratifs et techniques, des incertitudes quant à la qualité de gestion, s’agissant notamment du circuit de facturation et de la multiplication des créances irrécouvrables.
Cependant, il serait trop facile de se contenter de cette part de l’explication. Il convient également d’examiner les causes structurelles des grandes difficultés que rencontrent les hôpitaux outre-mer. Et, une fois de plus, on en revient nécessairement à la question de l’éloignement, de l’insularité et de la faible taille des populations de chacun des territoires concernés.
En effet, certaines activités régionales, ou parfois même interrégionales, engendrent presque nécessairement un surcoût.
On peut prendre l’exemple des grands brulés, de la neurochirurgie ou encore de la chirurgie cardiaque. Ces activités ne peuvent pas être rentables au regard d’un bassin de population dont la dimension est trop faible. Pour autant, doit-on renoncer à prodiguer ces soins à nos populations ?
Autre exemple, nous supportons une majoration anormale du tarif des produits sanguins labiles. Ce « sur-tarif » représente un coût de plusieurs millions d’euros chaque année pour nos hôpitaux. Par ailleurs, même entre les outre-mer, on constate sur ce point des écarts inexplicables d’un territoire à l’autre.
C’est alors que se pose la question de la solidarité nationale. De toute évidence, en l’état actuel des choses, certains coûts ne sont pas assez compensés par l’État au titre des crédits d’assurance maladie.
Ainsi, le coefficient géographique qui nous est actuellement appliqué est de 26 %, alors même que l’État sait, pour les avoir parfaitement étudiés, que ces surcoûts, non réductibles, sont supérieurs à 30 %.
Mesdames les ministres, mes chers collègues, il ne s’agit pas pour moi de prétendre que l’organisation est parfaite et que tout n’est que faute de moyens financiers. Il s’agit cependant d’attirer votre attention sur le fait que la réorganisation hospitalière – et plus largement celle de l’offre de soins – est vouée à l’échec si on ne traite pas le problème de fond des surcoûts. Il faut donc un engagement fort de l’État pour accompagner les hôpitaux outre-mer.
En conclusion, je constate la nécessité d’une réorganisation de l’hôpital public afin qu’il soit plus performant, mais la notion de performance ne procède pas exclusivement d’une logique économique. La performance, c’est celle d’un système de soins capable à la fois de bien traiter tous les patients, où qu’ils se trouvent, de mieux prendre en charge les plus vulnérables et de faire progresser la recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la MECSS, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la T2A est une tarification largement appliquée en Europe. En France, nous avons été plus loin que d’autres pays sur le champ concerné par cette tarification à l’activité.
Aujourd'hui, l’hôpital fonctionne pour une part très importante de ses recettes en T2A. En somme, pour une appendicectomie, quel que soit l’établissement, la sécurité sociale verse un certain montant à l’hôpital. Pour affiner tout cela, un grand nombre de critères sont pris en compte, et la façon dont le séjour se passe à l’hôpital est aussi analysée. En bref, c’est un énorme algorithme qui permet de déterminer quel tarif sera perçu par l’hôpital, et ce n’est pas forcément la réalité économique !
Autant le dispositif précédent, le forfait global, gommait les différences liées aux activités, ce qui était source d’immobilisme, autant la T2A peut être une course à l’activité. Son application depuis quelques années méritait véritablement un examen approfondi, ce qui a été fait à travers ce rapport de façon très perspicace. Que les auteurs en soient largement remerciés !
Je voudrais simplement, à travers mon propos, souligner quelques imperfections dont il faudra peut-être envisager la correction, madame la ministre.
Je vous ferai part, tout d’abord, de quelques réflexions, puis je commenterai quelques propositions.
Mes réflexions sont le fruit de remarques remontées du terrain. Elles sont inspirées par ma double expérience de membre du conseil de surveillance d’un petit centre hospitalier rural, celui de Sézanne, dans la Marne, mais aussi d’un centre hospitalier universitaire, celui de Reims.
La permanence des soins, tout d’abord, outre les frais de structure, coûte en frais de personnel non soumis à une activité constante.
Il faut bien sûr prendre en compte le tissu rural, la faible population, les distances par rapport aux grands centres techniques, mais également les spécificités locales.
La commune de Sézanne est située sur la tristement célèbre route nationale 4. Ce tronçon, qu’il a été question de moderniser au début des années soixante-dix, concomitamment à la création de l’autoroute A4, ne compte toujours que deux voies, et non deux fois deux voies. Chaque jour, 12 000 véhicules y transitent, dont 40 % de poids lourds. Vous vous en doutez, en cas d’accident, les antennes de SMUR déployées le long de la route doivent être particulièrement performantes.
A contrario, les services des urgences sont régulièrement sollicités par des gens qui n’ont pas besoin de soins urgents, mais qui sont simplement pressés.
Parallèlement, les gardes de médecins libéraux qui peuvent être organisées ne sont pas forcément sollicitées. À titre personnel, j’en sais quelque chose.
Il faudra bien qu’une véritable prise de conscience ait lieu un jour dans notre pays sur l’utilisation à bon escient des services publics. On voit bien les difficultés qui se posent lorsqu’on veut, par exemple, améliorer le système de relais des urgences et rapprocher les services du 15 et du 18, là où cela n’est pas déjà fait.
Par ailleurs, les patients, même lorsqu’ils font preuve de bonne volonté, ne peuvent pas, dans notre système, payer les actes médicaux ou les soins dans les centres hospitaliers. D’une part, cela ne les responsabilise pas, d’autre part, cela montre bien la limite de la gratuité. Entre la gratuité et, à l’autre extrémité du balancier, les dépassements d’honoraires, il nous faudra bien trouver un juste milieu si nous voulons sauver notre système de santé.
Ma deuxième remarque portera sur l’enseignement. Les coûts de l’enseignement sont différents d’un établissement à l’autre. Les jeunes étudiants ont une tendance naturelle à sur-prescrire, ce qui n’est pas pris en compte dans la T2A. La correction pourrait se faire par le financement des missions, lequel devrait peut-être prendre, dans ce cas, une part plus significative.
Ma troisième remarque concernera la recherche et les fameuses MERRI, les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation. La recherche est un élément essentiel pour la renommée d’un CHU.
Au départ, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, avait estimé à 15 000 euros le coût par an par étudiant faisant de la recherche. Il n’est plus actuellement que de 10 000 euros à 11 000 euros, ce qui pénalise les laboratoires et représente un coût pour les établissements concernés, à savoir notamment les CHU. Cette mission de recherche doit-elle être entièrement financée par la sécurité sociale ? La question est posée, il faut y réfléchir.
Je m’attarderai un peu plus longuement sur le numerus clausus, qui fera l’objet de ma quatrième remarque.
L’augmentation du numerus clausus était indispensable pour les universités sous-dotées, mais elle a automatiquement entraîné un abaissement du niveau requis pour accéder à la formation en médecine. Le tutorat est donc plus lourd, ce qui a différentes conséquences. Les CHU nouvellement sur-dotés sont soumis à une triple peine.
Dans les régions difficiles, avec une démographie défavorable comme c’est le cas en Champagne-Ardenne, les internes quittent la région à l’issue de leur formation. C’est la première peine.
Les gardes d’internes nécessitent un accompagnement, mais ne génèrent pas d’activités tarifées dans le cadre de la T2A. Au contraire, elles créent de la dépense supplémentaire. Ainsi, les interventions chirurgicales, qui sont plus longues lorsqu’elles sont effectuées par de jeunes internes en chirurgie, mobilisent davantage d’heures de personnel médical et paramédical. C’est la deuxième peine.
Le nombre de professeurs n’a pas augmenté. En conséquence, ils doivent consacrer des heures supplémentaires à la formation, au détriment des actes rémunérateurs. C’est la troisième peine.
Ma cinquième remarque a trait aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM. Madame la ministre, ils sont une procédure intéressante, mais parfois hasardeuse. Les nouveaux CPOM pour la période 2012-2017 sont proposés après concertation, mais les moyens réels qui y seront consacrés ne seront connus qu’en fin d’année. Ils dépendront de la répartition définitive des enveloppes par l’ARS, pour les missions d’intérêt général.
Si les objectifs sont fixés, les moyens n’y sont pas !
Une adaptation du dispositif doit être envisagée, car il est difficile de définir clairement des objectifs sans visibilité budgétaire.
Ma sixième remarque portera sur l’ONDAM, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Afin de contrôler les dépenses de sécurité sociale, l’idée est de maîtriser l’augmentation annuelle de l’ONDAM. Les déterminants de l’ONDAM sont, d’une part, l’inflation, qui agit sur les consommables, et, d’autre part, le GVT, le glissement vieillesse technicité, qui est une inflation naturelle de la masse salariale.
Ainsi, la tentation est légitime de combler les déficits en laissant filer les allocations de MIGAC : cela signifie l’explosion de l’ONDAM au détriment du juste soin. Et si les aides à la contractualisation venaient à être considérablement augmentées, cela signifierait revenir d’une certaine façon au système de dotation globale et à ses dérives, les dépenses incontrôlées. La T2A en serait affaiblie d’autant.
Ce qu’il faudrait peut-être faire, au contraire, c’est chercher à maîtriser les aides à la contractualisation tout en revisitant le système d’attribution des missions d’intérêt général et en s’assurant de contrôler les dérives de la T2A.
À cet égard, permettez-moi d’en citer quelques-unes : l’optimisation du codage des séjours dans le but d’assurer une rentabilité extrême – cela s’est vu parfois –, la sélection de patients financièrement rentables – cette tentation existe –, le renforcement des pratiques médicales les plus invasives au détriment de soins plus précis, mais moins bien valorisés.
Rassurons-nous, ces risques sont aujourd’hui en partie contrôlés par la sécurité sociale, mais il existe encore sans doute des marges de progression. Il faut toutefois garder à l’esprit que la T2A est un système mondialement utilisé, et l’un des seuls outils de pilotage de l’efficience d’un hôpital.
J’évoquerai maintenant – ce sera ma septième remarque – la comptabilité analytique hospitalière et la performance. Dans ce domaine également, des améliorations gagneraient à être faites afin que, au sein de chaque service, l’on puisse connaître précisément ce que coûte telle ou telle information. Il serait judicieux de renforcer la vision analytique. Ce serait un gage important pour les médecins, mais également pour les personnels administratifs.
Je m’attarderai maintenant sur quelques-unes des propositions figurant dans le rapport de la MECSS.
J’évoquerai tout d’abord la proposition 9 sur la télémédecine, laquelle est, comme l’a souligné Alain Milon, une avancée tout à fait intéressante. La télémédecine commence à être au point, notamment dans le domaine de l’imagerie et pour les consultations de spécialistes à distance. Il est donc urgent de régler les problèmes de tarification et de responsabilité médicale qu’elle pose.
Dans le domaine de la médecine du travail, cette innovation est pertinente, à condition de la reconnaître rapidement, compte tenu du déficit en médecins du travail. Un décret pourrait être pris rapidement afin d’autoriser une expérimentation dans ce secteur, madame la ministre. Cela permettrait d’avancer et de prouver qu’il existe des choses intéressantes, susceptibles de nous faire réaliser des économies, tant dans le domaine hospitalier que dans celui de la médecine de ville.
La proposition 26 mérite également qu’on s’y arrête. Elle pose la question des moyens des agences régionales de santé, les ARS. Sont-ils adaptés aux ambitions régionales ? En fait, les ARS sont chargées de décliner une politique nationale à l’échelon régional. Toutefois, il existe des disparités difficiles à combler. Sur le terrain, les différences sont considérables. Il faut trouver une articulation, notamment avec le financement du secteur médico-social, secteur dans lequel les collectivités locales assurent des responsabilités. Bien souvent, les doubles tarifications ont une répercussion sur le budget des hôpitaux. Il faudra également se pencher sur cette question.
La proposition 35 vise à replacer le malade au sein du dispositif d’évaluation budgétaire, en travaillant sur un parcours de santé. Je pense que c’est important.
En tant que médecin généraliste, je me rends compte encore trop souvent que le parcours de santé est un véritable parcours du combattant, surtout pour les pathologies lourdes. Des améliorations pourraient être trouvées.
En conclusion, bien des problèmes restent à résoudre.
La question se pose de l’extension de la T2A, notamment aux soins de suite et aux hôpitaux locaux. Personnellement, j’invite à la plus grande prudence. Le dispositif peut être amélioré.
Il s’agit, cela a été rappelé, de répartir une enveloppe définie annuellement dans le cadre de l’ONDAM. Est-il envisageable d’exclure la partie « recherche » ? Faut-il exclure l’investissement ? Ce qui est important, c’est de trouver des solutions, car nous sommes tous attachés à l’efficience de notre système hospitalier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Muguette Dini ainsi que MM. Alain Bertrand et Félix Desplan applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je suis très attachée au service public, notamment à celui de la santé. Notre système, trop souvent décrié, compte des compétences, des savoir-faire et des talents. Nous devons le protéger et l’améliorer encore afin qu’il remplisse pleinement ses missions et qu’il soit adapté aux besoins des populations.
Pour ma part, je mettrai l’accent sur la prise en charge de la périnatalité, secteur qui, comme les autres, a souffert de la logique de l’hôpital-entreprise, bien souvent obsédé par la seule comptabilité financière. La T2A, dans une logique de rationalisation poussée à l’extrême, peut parfois détourner l’hôpital de ses missions de soins pour toutes et tous. La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, si on ne l’encadre pas davantage, peut, à terme, menacer l’hôpital public. Il nous faudra, ici comme ailleurs, reconstruire la logique de bien public que le gouvernement précédent a trop souvent sabotée.
Il nous faut replacer le patient – en l’occurrence la patiente – au centre du système de santé. Je sais à quel point mes collègues Yves Daudigny, Jacky Le Menn et Alain Milon se sont impliqués dans les travaux de la MECSS sur ce sujet.
Dans le secteur de la périnatalité, l’imitation de la politique américaine, sans aucune concertation avec les soignants, tend à réduire l’accouchement au plateau technique médical.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Michelle Meunier. La femme enceinte entre accoucher et sort parfois dans la journée,…
Mme Nathalie Goulet. Effectivement !
Mme Michelle Meunier. … pour laisser place à une autre, qui elle-même laissera place à une autre, et ainsi de suite.
Or le temps de l’accouchement, c’est aussi le temps de la mise en place des premiers liens parents-enfant, le temps des questions et de l’expression de l’angoisse, le temps de la récupération pour la mère. La compétence des personnels est alors essentielle pour accompagner les parents.
La logique exclusivement comptable a des effets pervers. Elle entraîne une fragilité hospitalière qui, dans certains hôpitaux, conduit à refuser l’accès à la maternité de l’hôpital à des parturientes qui ne sont pas inscrites dans cet établissement pour le suivi de leur grossesse. Elles n’étaient pas au programme ! Elles sont alors orientées vers les cliniques privées, qui, elles, les accueillent. Drôle d’image pour notre service public…
La diminution du temps d’hospitalisation après l’accouchement est également préjudiciable aux mères les plus fragiles, qui ne font pas facilement appel aux services de sages-femmes libérales lors de leur retour à domicile. La peur du contrôle, du fait du déplacement de la sage-femme au domicile, l’isolement et les difficultés sociales les conduisent à ne pas se faire aider.
Il faut réfléchir à ces situations afin de mettre en œuvre des solutions en réseau, en amont, au cours et en aval de l’hospitalisation. Tel est l’objectif des « Réseaux sécurité naissance », qui, notamment dans ma région Pays de la Loire, fonctionnent de manière remarquable. Il faut les préserver, les soutenir, voire les développer.
La pédiatrie souffre également d’un manque de capacité d’adaptation, toujours du fait de la rigidité comptable. L’activité de la pédiatrie, comme d’autres spécialités, connaît des variations saisonnières liées aux épidémies. Or le nombre de lits est fixe. En 2010 et en 2011, une vague de bronchiolites a entraîné une saturation totale du système. Des réflexions ont été engagées, notamment au CHU de Nantes, afin de trouver des solutions pour s’adapter aux besoins, et ce à budget constant. Il serait intéressant que Mme la ministre chargée de la santé encourage la diffusion des bonnes pratiques sur ce sujet comme sur d’autres thématiques.
En effet, notre approche de la santé est aussi une question de méthode. En matière de périnatalité, les facteurs de bien-être comme de santé sont multiples, et les intervenants potentiels nombreux. L’environnement de la future mère est déterminant. Vit-elle près ou loin du lieu prévu pour son accouchement ? Connaît-elle des difficultés sociales ou de santé ? Vit-elle dans un désert médical ou non ? Est-elle soutenue ou non par son entourage ?
Autant de données qui influeront sur la qualité du suivi de sa grossesse, de son accouchement et sur les premiers mois du nourrisson. Les liens entre les professionnels de proximité, dont les irremplaçables médecins, sages-femmes et puéricultrices de la protection maternelle et infantile, la PMI, du département, et ceux du monde hospitalier sont essentiels pour assurer les soins et la sécurité de la mère et de l’enfant. La chaîne des réponses doit pouvoir se construire localement. Il faut impérativement compenser l’éloignement des lieux d’hospitalisation par des réponses de proximité et des moyens de transport rapides et adaptés.
L’arrivée d’un enfant peut aussi se faire par adoption. Les consultations d’orientation et de conseils en adoption, ou COCA, sont des réponses empiriques construites au sein des hôpitaux publics, qui ont fait leurs preuves en matière d’accompagnement médical et psychologique, notamment pour des enfants nés à l’étranger ou présentant des problèmes de santé. Il serait bon d’officialiser une COCA par département et de lui attribuer des financements dédiés car, en intervenant en soutien aux familles, ces consultations sont, indéniablement, facteurs d’économies à moyen terme.
Le travail en réseau, la construction de solutions au plus près des territoires et avec tous les acteurs concernés, dont les usagers, voilà le défi auquel notre système de santé est confronté quand il est aux prises avec les populations fragiles, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, de personnes vieillissantes ou porteuses de handicap.
Partout, les volontés existent, partout la conscience de la fragilité mais aussi de la richesse de notre système de santé est présente. Il faut miser sur les compétences et l’engagement des professionnels de santé public pour inventer de nouvelles réponses. J’ai toute confiance dans notre ministre des affaires sociales et de la santé à cet égard, car elle a placé la notion de service public et la concertation au cœur de son pacte de confiance pour l’hôpital.
Mes chers collègues, profitons de ce débat au Sénat pour rappeler de manière claire, forte et assumée notre confiance en l’hôpital public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, durant les trois minutes qui m’ont été laissées par Muguette Dini pour mon intervention, je voudrais attirer votre attention sur le centre hospitalier de L’Aigle, dans l’Orne.
Premier employeur de la ville avec plus de 500 salariés, cet hôpital est indispensable en milieu rural. À cheval entre l’Orne et l’Eure, c’est un acteur indispensable de la médecine, y compris généraliste en raison des problèmes de démographie médicale, que vous connaissez aussi bien que moi.
Le centre hospitalier de L’Aigle a mis en œuvre en 2007 un plan de retour à l’équilibre puis, dès le 1er septembre 2009, un contrat de retour à l’équilibre financier, qui lui ont permis de revenir à l’équilibre dès 2010, tout en supportant dans ses comptes un report à nouveau déficitaire de plus de 8 millions d’euros.
Grâce aux efforts constants du maire, de l’ensemble des équipes et du personnel, qui a toujours été associé aux décisions, cette situation s’est sensiblement améliorée. Les mesures prises ont d’ailleurs précédé les prescriptions établies dans le rapport de l’IGAS, paru en avril 2012. Il faut croire qu’elles étaient de bon sens !
Les régimes de rémunération ont ainsi été remis à plat, de façon à comprimer l’octroi de primes. L’accord sur les 35 heures a également été renégocié de façon importante. J’en profite pour vous indiquer que la mise en place des 35 heures dans les hôpitaux a posé un certain nombre de problèmes, dont nous avons beaucoup de difficultés à nous sortir. Il faut tout de même le reconnaître. La gestion de nos hôpitaux a en outre été pénalisée par une chaîne de facturation défaillante, qui a dû être optimisée et les dépenses ont été mises sous contrôle.
Il convient également de noter une amélioration sur le suivi des tableaux de bord d’activité mensuels et un travail intense de pédagogie, la mise sous surveillance des prescriptions d’examens complémentaires extérieurs et les limitations des transports des patients, et la valorisation des séjours en régime de T2A à l’origine d’une solide amélioration des résultats. Ce point est cependant extrêmement fragile, dans la mesure où de nombreux médecins, aujourd’hui encore, ne prennent pas le temps de rédiger les comptes rendus d’hospitalisation après la sortie des patients. Cela empêche, naturellement, tout codage et donc toute facturation auprès de l’assurance maladie.
Des mesures, madame la ministre, méritent toutefois d’être plus particulièrement surveillées.
La réception de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses, l’EPRD – je confirme à ce titre les propos empiriques tenus à l’instant par Gérard Larcher –, valable pour l’année en cours, intervient au second semestre et appelle des corrections sur un budget déjà en application depuis plusieurs mois ! Cette notification est trop tardive. Elle entraîne une obligation de réduction des dépenses, qui peut parfois conduire à couper sans nuance dans les charges.
La direction des établissements hospitaliers ne bénéficie pas d’assez de stabilité. L’Aigle, par exemple, a connu sept directeurs en dix ans ! Comment voulez-vous assurer un suivi satisfaisant ?
Si l’organisation territoriale de nos établissements doit se faire à l’aide d’une certaine coopération, cette dernière ne correspond pas nécessairement aux limites administratives des départements ou des régions. Nous demandons à faire confiance à l’intelligence territoriale, mais en matière d’hospitalisation, la situation est parfois un peu difficile.
Sur ce point, la direction commune avec l’hôpital d’Alençon, situé à 40 kilomètres, imposée à l’hôpital de L’Aigle, ne semble pas une bonne solution. D’ailleurs, Pierre-Jean Lancry, remarquable directeur de l’ARS de Basse-Normandie, s’accorde à dire qu’une solution différente devrait être trouvée.
Un temps de trajet trop important entre les deux structures, des bassins de vie trop différents, ou encore l’absence de complémentarité des activités sont ainsi à déplorer. Cela est d’autant plus désolant que Verneuil-sur-Avre, en Haute-Normandie, situé à quelques kilomètres, ne dispose pas de centre hospitalier.
Puisque nous parlons de la Haute-Normandie et de l’Eure, j’associe à mon propos mon excellent collègue Hervé Maurey, qui, d’ailleurs, attend confirmation du déblocage de la deuxième tranche du plan Hôpital 2012, pour le centre hospitalier de Bernay. Gérard Larcher l’a également évoqué en termes généraux, je me permets de le faire en termes particuliers.
Le maire de L’Aigle, Thierry Pinot, le sénateur de l’Eure Hervé Maurey et moi-même serions d’ailleurs tout à fait heureux, madame la ministre, de vous recevoir à L’Aigle, afin de pouvoir vous montrer les équipes remarquables de cet hôpital, vous décrire les efforts qui y ont été faits et vous convaincre de la nécessité de mieux l’organiser, car il est absolument indispensable à l’équilibre de la démographie médicale dans les départements de l’Orne et de l’Eure. (Mme Muguette Dini applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, j’ai lu avec attention l’extrait du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, tout comme j’ai pu écouter les rapporteurs qui se sont succédé à la tribune.
Cette lecture est intéressante. On y apprend que, si la T2A dispose d’atouts, la mission « préconise une meilleure prise en compte de certaines activités médicales, des missions d’intérêt général, ainsi que des inégalités territoriales de santé et des coûts fixes qu’engendre la présence hospitalière dans une zone isolée ou peu dense ».
Tous les intervenants ont évoqué ce point.
Pour les Lozériens, la situation est encore plus problématique. Un aller-retour à Paris demande dix-huit heures de train, un aller à Montpellier se fait en six heures. L’hôpital de Mende, le seul du territoire de santé, fonctionne bien. Il faut dire que, pour ce faire, nous avons consenti d’énormes efforts.
Nous avons notamment renégocié l’accord sur les 35 heures. Nous avons également redimensionné les équipes. Des médecins de ville, pourtant payés à mi-temps, n’officiaient à l’hôpital qu’une heure par semaine, et restaient chez eux le reste du temps ! Nous avons donc fait des efforts, beaucoup d’efforts, comme vous tous.
Malgré cela, la T2A ex abrupto, telle qu’elle est appliquée, nous étrangle. Elle sacrifie ce que j’appelle l’« hyper-ruralité ».
Peut-être faut-il la conserver ? Mme Dini a proposé la mise en place d’un financement mixte, sur la base d’une répartition à parts égales entre la T2A et les dotations des MIGAC. C’est peut-être un début de solution.
Il me semble que l’abandon de la convergence tarifaire est une très bonne chose, madame la ministre. Pour les hôpitaux isolés – c’est le cas du nôtre –, les dotations MIGAC devraient être discutées en amont, avec l’ARS. Elles doivent être proportionnelles au budget, et donc reposer sur la capacité à produire des actes médicaux et à répondre aux besoins de santé publique du territoire. Ces dotations ne doivent plus nous placer dans une situation d’insécurité totale.
Il y a deux ans, tous budgets confondus – je ne parle pas seulement de l’hospitalisation –, le centre hospitalier de Mende, dont je préside le conseil de surveillance, remettait 750 bulletins de paie, pour un bénéfice de 200 000 euros. Cette année, dotation MIGAC comprise, l’hôpital accuse un déficit de 60 000 euros. Nous sommes très sérieux et très performants, mais nous ne pouvons pas vivre dans l’insécurité permanente !
Tout à l'heure, un orateur a parlé de la qualité des soins dans tous les territoires. Le Président de la République, François Hollande, veut une France juste. Un ministère de l’égalité des territoires a d’ailleurs été créé, ce qui est bien. Sans même parler des libertés individuelles, ses priorités devraient être la santé, l’école, l’accès aux services publics. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point.
Il ne suffit pas de parler d’égalité territoriale. Il faut également la prendre en compte concrètement, la faire vivre sur le terrain.
Madame la ministre, les normes peuvent être adaptées très facilement. Nous ne sommes pas obligés d’être idiots parce qu’on veut la sécurité des patients et la qualité des soins, parce que les procédures doivent être normées, encadrées scientifiquement.
La maternité de Mende, avec une équipe de sept personnes, assurait un peu moins de 500 naissances. Une année, 503 accouchements ont dû être pratiqués, chiffre qui requiert une équipe de quatorze personnes. L’année suivante, le nombre d’accouchements passait à 518. La maternité connaît un déficit de 400 000 euros.
Dès lors, les normes devraient pouvoir être progressives, responsables, scientifiques, afin, tout en garantissant la sécurité des soins, de permettre une meilleure gestion de l’argent du contribuable.
Voilà ce que je tenais à vous dire, madame la ministre. Il n’est pas normal que, seul centre hospitalier de notre territoire de santé, nous n’ayons pas le droit d’avoir un IRM, alors que nous en sommes dépourvus ! Il n’est pas normal que l’ARS nous impose le seuil de neuf lits pour un service de réanimation dans l’hôpital. Avec seulement six lits dédiés à ce service, nous avons démontré que nous pouvions assurer la performance et la continuité des soins, grâce à notre savoir-faire.
L’ARS a procédé à une visite sur place. Elle a vu que notre organisation fonctionnait à merveille. Elle nous a donné quitus de notre gestion et m’a félicité. Nos équipes font même de la formation !
Adapter les normes pour les établissements dont la situation le requiert n’est tout de même pas difficile. De plus, cela permettrait de faire des économies.
Je terminerai mon intervention en vous disant qu’il me semble, à la lecture du rapport de la mission et après avoir entendu les différents intervenants, voir se dégager un consensus pour préserver notre système de santé. La T2A est performante d’un point de vue financier. Elle doit simplement être amendée dans le sens des recommandations émises par la mission, afin de tenir compte des territoires. Des efforts sont nécessaires, car nous ne sommes pas dans une période de vaches grasses.
J’ajoute que j’appuierai le principe d’une taxation supplémentaire visant à protéger le système de santé, si cette dernière devait voir le jour. (M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.
M. Félix Desplan. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui revêt une actualité forte en Guadeloupe : fermeture des unités de chirurgie et de maternité du centre hospitalier Sainte-Marie de Marie-Galante, qui a suscité une grande émotion ; probable mise sous administration provisoire du centre hospitalier de la Basse-Terre ; renoncement du CHU de Pointe-à-Pitre au versement des charges sociales auprès des organismes de retraite et de sécurité sociale.
De fait, en dépit d’efforts de gestion, nos hôpitaux connaissent des difficultés financières considérables, que la mise en œuvre de la réforme hospitalière n’a pas amoindries, en grande partie parce que les particularités de notre département n’ont pas été suffisamment prises en compte.
Les causes de cette situation sont avant tout liées à l’existence de charges bien supérieures à celles de la moyenne nationale.
Je citerai en exemple les surcoûts d’acheminement du matériel, de son stockage, de son usure en raison de conditions climatiques tropicales, les prix plus élevés des médicaments et des denrées alimentaires, les frais liés aux évacuations sanitaires dans un territoire archipélagique, les frais liés à la difficulté de recrutement de praticiens spécialistes, aux indemnités de vie chère des personnels.
Il faut y ajouter les investissements indispensables pour garantir une offre de soins de qualité et un plateau technique performant, conforme aux normes nationales, malgré un bassin de population à la fois restreint et éloigné de la métropole. À cet égard, je n’ai pas manqué de noter que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale avait mis en exergue l’inadaptation de la tarification à l’acte aux activités « réalisées dans des zones peu denses ou isolées mais indispensables à la couverture des besoins sanitaires ».
Nous sommes touchés, plus qu’ailleurs, par des pathologies lourdes : diabète, maladies vasculaires, drépanocytose, sida… Nos hôpitaux accumulent, en outre, beaucoup de créances irrécouvrables auprès d’une population qui s’appauvrit et qui se fragilise socialement, ainsi qu’auprès de ressortissants de pays voisins.
Certes, le coefficient géographique correcteur majore les tarifs et forfaits et prend en compte les surcoûts - il est de 26 % aux Antilles -, mais les acteurs locaux demandent sa revalorisation, estimant qu’il est aujourd’hui insuffisant par rapport aux surcoûts réels. Quant aux deux enveloppes complémentaires créées par la réforme et destinées à financer les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, ou MIGAC, elles ont diminué drastiquement cette année, alors qu’elles avaient déjà fortement baissé en 2011 !
Les hôpitaux de Guadeloupe doivent donc fournir un double effort avec des moyens moindres. Il n’est pas étonnant qu’ils soient dans une situation de déficit annoncé à 9 millions d’euros pour le centre hospitalier de la Basse-Terre, le CHBT, et à 29 millions d’euros pour le CHU.
Messieurs les rapporteurs, lors d’une audition de la mission, vous avez déclaré être surpris d’apprendre que certains conseils généraux d’outre-mer contribuaient aux investissements, alors même qu’ils assument de lourdes charges dans les secteurs social et médicosocial.
C’est le cas en Guadeloupe, où le conseil général et le conseil régional contribuent aux investissements, mais c’est indispensable, dans un temps où les deux principaux hôpitaux peinent énormément à trouver des prêts bancaires. L’État s’est engagé à financer totalement la construction d’un nouveau CHU ; je m’en félicite. Mais, en attendant, tout ne peut pas être gelé.
Comment résorber durablement un tel déficit financier ? Par un réajustement du coefficient correcteur ? Je l’ai déjà évoqué. Mais aussi, me semble-t-il, par un meilleur financement des missions d’intérêt général, comme le préconise la mission dans son rapport. Sans doute faut-il aussi réfléchir à une dotation spécifique qui permettrait de combattre l’isolement des établissements de santé en outre-mer.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la gravité de la situation appelle en tout cas une approche globale, concertée, regroupant l’ensemble des acteurs. Dans ses trente propositions pour l’outre-mer, le candidat François Hollande s’était engagé à accélérer « la mise en œuvre du plan santé outre-mer » et à procéder à « une mise à plat du financement des établissements de santé » dans ces territoires. Je salue cet engagement. Madame la ministre déléguée, pouvez-nous d’ores et déjà nous donner des informations et un calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’hôpital n’est pas loin de l’agonie : la faute à une situation budgétaire très critique en France !
Les chiffres sont éloquents et parlent d’eux-mêmes : 23,6 milliards d’euros de dette pour les 1 266 établissements de soins de court séjour, et 43 % des 603 hôpitaux publics en déficit pour un total de 637 millions d’euros ! En Martinique, plus particulièrement, les trois principaux hôpitaux accusaient un déficit de 147 millions d’euros à la fin de l’année 2011. Je ne peux manquer de rappeler également que l’agence de notation Moody’s a abaissé la note des hôpitaux français le 21 juillet dernier, en pointant particulièrement du doigt la « détérioration rapide de la situation financière » du CHU de Fort-de-France.
Le constat est là, sans appel. Une telle situation nécessite une réponse profonde et sans délai, avec un engagement ferme du Gouvernement, qui travaille d’arrache-pied – je le sais – sur ce dossier.
Le présent débat sur le financement de l’hôpital est donc l’occasion pour moi de vous alerter une fois de plus sur la situation particulièrement grave, pour ne pas dire dramatique, des structures de la Martinique, confrontées à une crise financière et budgétaire sans précédent. Les conséquences de cette conjoncture se font sentir depuis plusieurs années en Martinique, que ce soit sur les conditions de travail des agents hospitaliers, avec, par exemple, le non-remplacement des départs en retraite et la non-titularisation des contractuels, ou sur les actes de soins. En effet, faute de financements suffisants, la qualité et la sécurité des soins administrés aux patients sont remises en cause, notamment en raison du manque de médicaments et de produits de désinfection, les fournisseurs ayant cessé toute livraison, puisqu’ils ne sont plus payés.
D’ailleurs, il a fallu une intervention exceptionnelle de la région Martinique, d’un montant de 2,5 millions d’euros, pour assurer la continuité de l’approvisionnement des hôpitaux. Je ne parle même pas de son engagement sur d’autres chantiers de mise aux normes et de rénovation de l’hôpital, d’un montant de 17 millions d’euros.
L’état catastrophique dans lequel ils se trouvent empêche les hôpitaux de la Martinique d’assurer et de garantir au quotidien leur mission de service public dans le respect de la qualité des soins due à la population. Il a poussé les directions et leurs tutelles dans une démarche de fusion des trois établissements de santé médecine-chirurgie-obstétrique, ou MCO, pour rationaliser, a-t-on pensé, l’offre de soins sur l’ensemble du territoire et permettre un retour à l’équilibre des comptes. J’insiste toutefois sur un point : si tout doit être tenté pour rendre la gestion des CHU plus rigoureuse, cela ne saurait se faire au détriment des personnels, ni de la qualité des soins.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, vous l’aurez compris à mes propos, le pronostic vital de l’hôpital en Martinique est très sérieusement engagé. « À maladie spécifique, médication spécifique » pour nos régions insulaires implantées dans des zones géographiques présentant des spécificités qui pèsent sur leurs coûts !
Ainsi, la première intervention consisterait sans aucun doute à revaloriser le coefficient géographique, en le portant au moins à 28 %. En effet, une étude conduite en Martinique a montré que les surcoûts liés à l’insularité étaient de l’ordre de 30,4 %. Au mois de mars 2012, le gouvernement de l’époque avait accepté très parcimonieusement de relever ce taux de 25 % à 26 %. C’était bien, mais trop peu.
Vous avez ici l’occasion de démontrer une fois de plus, comme vous le faites depuis quatre mois, votre capacité d’écoute et de réaction face aux urgences du pays, en l’occurrence celles de nos régions. Les conséquences financières d’une augmentation du coefficient géographique sur le volet « hospitalisation » sont estimées à 2,1 millions d’euros par point supplémentaire.
La deuxième opération consisterait à étendre le coefficient géographique aux consultations externes. À titre d’exemple, les tarifs des IVG, des consultations et actes externes, et les forfaits techniques d’imagerie médicale ne sont actuellement pas affectés d’un coefficient de majoration. Ainsi, un surplus de recettes de 3,6 millions d’euros peut être obtenu grâce à l’application d’une telle mesure.
Le troisième acte consisterait au maintien d’un certain nombre d’activités au titre de la dotation des missions d’intérêt général et aides à la contractualisation, telles que la neurochirurgie, la chirurgie cardiaque, la neuroradiologie interventionnelle, la réanimation polyvalente et néonatale, le service des grands brûlés... Ces activités, eu égard à la faiblesse du bassin de population, ne pourront jamais être « rentables » dans le cadre du financement de la tarification à l’activité, la T2A.
La quatrième et dernière prescription concernerait le tarif de cession des produits sanguins labiles, qui fait l’objet d’une majoration dans les DOM. En effet, le coefficient multiplicateur géographique, qui est de 25 % en Guadeloupe, est de 45 % en Martinique ! Or cette majoration différenciée entre territoires ne repose sur aucune justification technique avérée. Dans ces conditions, un alignement du coefficient multiplicateur géographique sur celui de la Guadeloupe représenterait une économie de 600 000 euros par an pour le CHU de Fort-de-France.
N’oublions pas également que ce même CHU est un établissement de référence dans la région et qu’il participe, à ce titre, à la formation des professionnels de santé de certains États de la Caraïbe. Ces missions relèvent, bien sûr, de l’action sanitaire et sociale, mais elles doivent aussi être considérées comme relevant de l’action de coopération internationale de l’État français.
Enfin, pour améliorer le financement actuel des hôpitaux dans les DOM, il faut tenir compte de la spécificité de nos territoires : si le financement à l’activité est juste en ce sens qu’il instaure un lien étroit entre les ressources des établissements de santé et leurs activités, la dotation globale, elle, se traduit pour certains établissements par de véritables rentes sans rapport avec leur activité réelle. Cependant, la particularité de nos territoires vient percuter cette équation du financement à l’activité, tel que le modèle pensé « idéalement », qui ne prend pas en compte un certain nombre d’éléments très prégnants en Martinique. C’est pourquoi il est important que des aménagements locaux soient réalisés.
Pour conclure, notre combat de parlementaires de l’outre-mer consiste, certes, à défendre les intérêts généraux de la Nation, et ce en participant à l’élaboration de lois justes, mais à défendre aussi nos spécificités. Dans nos démarches, il s’agit de réclamer non pas toujours plus de financement, mais bien de permanentes adaptations.
Aussi, madame la ministre déléguée, j’aimerais avoir votre avis sur les possibles préconisations que je viens de formuler, sachant que le Gouvernement a promis de nous recevoir bientôt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, fort opportunément au regard de ce débat, les fédérations hospitalières des Antilles et de la Guyane se sont réunies ce week-end en Guadeloupe. Elles ont rédigé une motion, qui a été adressée au Président de la République et à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Non seulement cette motion fait état de nos inquiétudes, voire de nos angoisses devant la dégradation de la situation de l’hôpital public aux Antilles et en Guyane, mais elle montre aussi notre volonté que soient réorganisés nos établissements pour faire face aux exigences de santé des Antillais et des Guyanais.
Pour y parvenir, les fédérations hospitalières préconisent un accompagnement et un appui des pouvoirs publics se traduisant notamment par l’actualisation du coefficient géographique à 30 %, par des MIGAC spécifiques de continuité territoriale, par la prise en compte des surcoûts résultant de la grande précarité des populations, par le renforcement du dispositif de formation aux métiers de la santé, par la création significative de postes hospitalo-universitaires, pour rendre possible l’ouverture, en 2014, d’une faculté de médecine de plein exercice, conformément aux engagements ministériels, et par le soutien direct à l’investissement par le biais de subventions en capital.
Dans cette motion, madame la ministre déléguée, il y a beaucoup d’exaspération, ce qui est légitime en raison des promesses vaines de l’ancien gouvernement, mais il y a aussi une volonté de s’inscrire dans votre pacte de confiance pour hôpital. Cette confiance perdue, nous voulons la retrouver. Les outre-mer n’auraient-ils pas droit, eux aussi, à un système de santé public opérant et efficient ? N’est-il pas gênant de voir les hôpitaux publics d’outre-mer toujours placés en dernière position dans tous les classements ? L’égalité des soins paraît être un vœu pieux pour les outre-mer, tant l’indifférence est grande...
J’ai eu moi-même, et à plusieurs reprises, à alerter le gouvernement précédent sur la situation de mon département, la Guyane. La commission des affaires sociales du Sénat en a fait de même, après une mission en Martinique et en Guyane en avril 2011, à laquelle participaient Mme Muguette Dini, Mme Annie David et M. Jacky Le Menn, vice-président et rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. En effet, dans un propos sévère, elle exhortait le Gouvernement à apporter des précisions sur les modalités de rattrapage des offres de santé et médico-sociales publiques en outre-mer.
Aucune réponse précise ne nous fut adressée, sinon une simple lettre d’intention que l’ancien ministre chargé de la santé, M. Xavier Bertrand, nous a communiquée, comme par hasard, le 14 février 2012,…
Mme Nathalie Goulet. Ça alors !
M. Georges Patient. … en pleine campagne présidentielle, alors que, lors de son passage en Guyane, des promesses avaient été faites.
Madame la ministre déléguée, nous voulons que cesse cette attitude faite de mépris et d’ostracisme à notre égard. Les centres hospitaliers de Guyane sont vétustes et exigus. Ils ne répondent plus aux besoins de santé d’une population dont la croissance est exponentielle. Tout le monde sait que la situation de l’offre de soins n’y est plus acceptable.
Aussi, pour l’instauration de ce pacte de confiance, nous voulons des réponses claires et nettes aux demandes formulées.
Tout d’abord, nous souhaiterions savoir où en est le projet de construction d’un nouvel hôpital à Saint-Laurent-du-Maroni.
Ensuite, nous voudrions des précisions sur le projet médical du centre hospitalier de Cayenne, s’agissant tant de l’extension des futurs services femmes-enfants que des locaux qui seront réhabilités après le départ de ces services de l’hôpital actuel. À ce sujet, une demande précise d’engagement avait été faite après du ministère pour financer les surcoûts nécessaires à la mobilisation d’un emprunt. Nous n’avons toujours pas reçu la réponse, alors qu’elle était sollicitée pour le début du mois de février 2012, de sorte que les travaux soient réalisés de façon impérieuse en 2013.
Enfin, nous aimerions obtenir des informations sur l’institut médico-éducatif départemental, avec la reconstruction du site de Cayenne et la construction du site de Saint-Laurent-du-Maroni.
Madame la ministre déléguée, ces investissements sont plus que nécessaires pour mettre à niveau l’offre de soins en Guyane et rattraper le retard pris par rapport aux autres départements de France. Je sais que la situation économique et financière de notre pays est très tendue et que des économies importantes sont préconisées pour son redressement, mais ne dit-on pas que la santé n’a pas de prix ?
Aussi, j’ai trouvé de grandes raisons d’espérer dans les propos tenus par Mme la ministre des affaires sociales et de la santé dans un récent entretien qu’elle a accordé à un quotidien parisien : « Le Premier ministre a d’ailleurs insisté à plusieurs reprises sur le caractère prioritaire de la santé. Concrètement, cela se traduira par une augmentation l’année prochaine de 2,7 % du budget consacré à la politique de la santé. Une politique qui a pour fil rouge l’égalité de tous devant la santé. Je présenterai d’ailleurs une loi d’accès aux soins pour garantir ce droit à chaque Français. »
Souhaitons, madame la ministre déléguée, que les habitants de Guyane, qui vivent sur un territoire français, je le rappelle, ne soient pas, une fois de plus, au nombre des laissés-pour-compte de cette louable intention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’être ici le porte-parole de la ministre des affaires sociales et de la santé.
En préambule, Mme Marisol Touraine souhaite vous remercier de ce rapport extrêmement riche et fouillé. Le temps et l’attention que votre mission a accordés à ce sujet ont été très utiles à sa propre réflexion.
Vous abordez l’hôpital non pas uniquement comme un « producteur de soins », mais comme un acteur essentiel de notre système de santé. Cette approche est également la sienne. D’ailleurs, la diversité des interventions montre que c’est bien le rôle de l’hôpital qui vous préoccupe, au-delà du sujet de votre rapport.
Celui-ci présente le double intérêt de porter un regard objectif et exigeant sur la réalité des faits et de contenir des recommandations concrètes.
Depuis sa prise de fonction, Mme Touraine réaffirme sans discontinuer une conviction forte, dont elle sait que vous la partagez : l’hôpital public exerce des missions de service public essentielles, lesquelles sont aujourd’hui insuffisamment valorisées. Mme Aline Archimbaud l’a, à juste titre, rappelé.
Les méthodes qui lui ont été appliquées ces dernières années ont été injustes financièrement et déstabilisantes pour les personnels, Mme la ministre en a parfaitement conscience.
Pour autant, l’avenir de l’hôpital public dans notre pays ne peut pas passer uniquement par des plans de soutien nationaux. Souvent, d’ailleurs, l’activité ne permet qu’un autofinancement partiel et progressif.
Un mouvement incitant à la restructuration progressive et accompagnée des établissements les plus en difficulté est donc nécessaire. L’hôpital doit se recentrer sur la prise en charge des soins aigus et adapter son organisation aux attentes des patients. Il nous faut favoriser des durées de séjour moins longues, le développement de la prise en charge ambulatoire, l’hospitalisation à domicile et, surtout, la prescription d’actes précis et de qualité.
À cet effet, il est nécessaire que soit repensée la relation entre l’hôpital, la médecine libérale et le secteur médicosocial.
Face à la crise économique sans précédent que nous subissons, nous ne devons pas faire moins, mais nous devons faire plus et mieux.
Il nous faut soutenir l’hôpital public pour qu’il puisse relever un important défi : faire davantage de qualité à des coûts compatibles avec l’état de nos finances publiques.
L’hôpital public du XXIe siècle doit avoir pour horizon la qualité : qualité des soins, qualité des organisations et du management, qualité de la gestion financière. Pour reprendre la formule de M. Alain Milon, il s’agit bien de mettre en place une véritable « stratégie de la qualité », qui doit financièrement être valorisée. À l’inverse, je veux dire à M. Gilbert Barbier que la sécurité est évidemment une exigence incontournable.
Pour cela, la réforme globale de l’hôpital public reposera sur deux piliers : d’une part, la réforme de ses modalités de financement, afin de permettre une plus juste allocation des crédits et une optimisation de la qualité des soins ; d’autre part, l’allocation contractualisée de moyens d’investissement, en échange d’un cheminement vertueux sur la voie du développement de la qualité et de l’efficience.
Tout d’abord, les modalités de financement des établissements de santé seront réformées, afin de valoriser leur mission de service public et de réhabiliter pleinement le service public hospitalier.
Comme vous l’indiquez dans votre rapport, la tarification à l’activité peut être améliorée. Le Gouvernement ne souhaite ni l’abroger ni revenir au mécanisme ancien de dotation globale, néfaste. Néanmoins, la T2A doit faire l’objet de modifications et d’adaptations permettant à l’hôpital public d’être pleinement reconnu dans la spécificité de ses missions.
Derrière le sigle de T2A se cache une machinerie complexe et technique qui a fait oublier à nos prédécesseurs une idée élémentaire : l’État définit les grands principes directeurs en matière de santé publique. Il fixe le cap et décide ce qui doit être prioritairement pris en charge au regard des impératifs sanitaires. La tarification à l’activité est non pas une grille statistique, mais un outil au service d’une politique, ainsi que l’a relevé M. Jacky Le Menn.
Dès la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, la convergence tarifaire sera supprimée, ses principes n’étant pas équitables. Comme il est indiqué dans votre rapport, le rapprochement des tarifs, en raison même de la construction des coûts moyens sur lesquels ils reposent, est partiellement arbitraire.
Par ailleurs, des différences fondamentales existent entre les établissements de santé, qu’il s’agisse des modes de prise en charge, des contraintes d’organisation, du coût des personnels, des populations accueillies ou de la capacité de programmation des activités. M. Alain Bertrand a d’ailleurs très justement soulevé ces questions.
Les auteurs du rapport ont eu raison de rappeler que l’application concrète de la convergence a inutilement focalisé l’attention et suscité des crispations au sein du monde hospitalier.
Cet article du PLFSS sur la convergence tarifaire permettra également de réintroduire dans la loi le principe de « service public hospitalier », qui avait disparu dans la loi HPST.
Il sera instauré de la transparence dans l’élaboration des mécanismes financiers et la répartition des ressources entre établissements. Une opération « transparence et qualité » sera lancée, dont l’objectif est d’associer l’ensemble des acteurs du monde hospitalier aux grands axes de la campagne hospitalière 2013, de l’élaboration des tarifs à la répartition des crédits. Il n’est pas légitime, dans une démocratie, que les décisions affectant le financement des activités de soins ne soient pas transparentes. À cet égard, je voudrais rassurer les sénateurs ultramarins : la ministre des affaires sociales et de la santé sera disponible pour étudier plus avant les conditions particulières dans leurs territoires. Elle vous recevra très prochainement, messieurs, pour évoquer les investissements idoines en termes de sécurité ou de qualité des soins.
En outre, un chantier partenarial de réformes de la tarification à l’activité sera lancé dans les prochains jours. Il se traduira par un ensemble de propositions qui permettront de modifier le système de financement actuel. Ces propositions iront dans le sens d’une plus juste répartition des crédits en faveur des établissements assumant les prises en charge les plus lourdes et développant des soins de qualité.
Il faudra également que ces travaux prennent tout particulièrement en compte certaines propositions que vous formulez. Je songe notamment à l’amélioration des procédures d’élaboration des tarifs, et donc à l’approfondissement des procédures liées au recueil et à l’analyse des coûts ; à la définition de mécanismes permettant une plus grande visibilité sur les tarifs, ainsi qu’une plus grande stabilité pluriannuelle ; à l’objectivation des mécanismes d’attribution des dotations hors tarifs – missions d’intérêt général et aides à la contractualisation ; au renforcement des mécanismes incitant à la qualité, à l’efficience, à la pertinence et à l’adéquation.
Il a été demandé aux services du ministère de préparer des mesures afin de renforcer les dispositifs favorisant la qualité des prises en charge. Mme Michelle Meunier y a montré son attachement, en évoquant tout particulièrement les enjeux de la périnatalité.
Je pense également à la mise en œuvre de mécanismes permettant de moduler les tarifs et d’éviter que les gels ne pèsent plus simplement sur les dotations hors tarifs, qui handicapent uniquement le secteur public.
Par ailleurs, votre recommandation visant à la mise en place d’un financement expérimental du parcours de santé a retenu toute l’attention de Mme la ministre. Elle fera l’objet d’une étude plus approfondie, car il y va de l’égalité d’accès aux soins sur le territoire, comme l’a souligné M. Larcher.
Enfin, Mme Marisol Touraine n’est pas plus favorable que vous à ce que les soins de suite et de réadaptation, ainsi que la psychiatrie, basculent trop rapidement dans le champ de la T2A.
Afin de coordonner les missions liées à l’élaboration en toute transparence de la campagne hospitalière 2013 et à la réforme de la tarification, Mme la ministre souhaite confier au Conseil de l’hospitalisation la tâche d’organiser cette double démarche collégiale. Il sera notamment responsable d’organiser et de synthétiser les propositions qui alimenteront sa réflexion et sur lesquels elle s’appuiera.
Le Gouvernement donnera à l’hôpital public les moyens nécessaires à ses investissements et à la mise en œuvre des réorganisations essentielles à son développement sur le long terme. À ce sujet, Mme la ministre tient à rassurer Mme Laurence Cohen : cette nouvelle politique suppose une concertation avec tous, notamment les patients.
Reprenant le rapport, M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales nous a directement interpellées sur les enjeux liés à l’investissement immobilier. Vos préconisations sont en parfaite adéquation avec les actions menées à ce sujet. La mobilisation de fonds en faveur non seulement de l’investissement hospitalier, mais également des établissements connaissant de graves difficultés de trésorerie, a été une préoccupation de chaque instant. Mme la ministre connaît bien la situation difficile des hôpitaux d’outre-mer en la matière : leur équilibre doit tenir compte de leurs spécificités géographiques.
Concernant la trésorerie, qu’il s’agisse de défauts passagers rendant difficile le paiement des charges ou de problèmes d’accès au marché bancaire, l’arrêté du 18 août 2012 permet dorénavant d’éviter certaines ruptures de trésorerie. En outre, une circulaire récemment publiée a créé des comités régionaux de veille active sur la situation de trésorerie des établissements publics de santé. Ils permettront de détecter, en amont, les situations à risque.
Enfin, le Gouvernement vous proposera de voter une mesure permettant à certains centres hospitaliers régionaux d’émettre des billets de trésorerie. En parallèle, soyez assurés que nous menons d’actives négociations avec les banques afin que soient débloqués les fonds nécessaires.
Concernant l’investissement hospitalier, Mme la ministre a pris l’initiative, dès son arrivée, de faire procéder à un réexamen minutieux de l’ensemble des projets pré-retenus ou ayant fait l’objet de promesses, parfois signées de ses prédécesseurs. Le constat est sans appel : beaucoup de promesses, alors que nous manquons cruellement de moyens financiers.
Des instructions ont donc été immédiatement données visant à redéfinir une nouvelle stratégie dans ce domaine.
À ce jour, environ trente projets sont identifiés, dont les deux tiers sont liés à des problèmes de sécurité. Pour ces seuls projets, le montant d’aide dépasse 2,7 milliards d'euros sur la période 2012-2020. On aurait apprécié que le précédent gouvernement s’engage non pas seulement sur les projets, mais aussi sur les financements !
Il a été demandé que soit identifiée, au sein de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie relatif aux établissements de santé, une somme de 150 millions d'euros à titre de réserve pour les futurs projets d’investissement courant.
Désormais, les investissements engageant des aides nationales feront l’objet d’un contrat d’amélioration de la qualité, de la performance et de retour à l’équilibre, signé par l’établissement et l’agence régionale de santé. Ces contrats comporteront l’engagement d’un retour à l’équilibre financier à l’horizon 2016.
C’est en ce sens qu’ont été pris des contacts, notamment avec le Commissariat général à l’investissement, afin de permettre le financement de projets innovants, liés, par exemple, au développement des systèmes d’information, dans le cadre, notamment, de la télémédecine, ainsi que l’a souhaité M. Savary.
Ces démarches seront suivies par le Comité de la performance, de la qualité et de l’innovation, qui rassemblera des représentants des ministères de l’économie et de la santé.
Certains établissements font face à des difficultés d’une particulière gravité. Au mois de juillet, près de 40 millions d'euros ont été débloqués en direction de cinq établissements qui ne pouvaient assurer les salaires de leurs agents. Nous avons trouvé des solutions ponctuelles, donc non pérennes : ce n’est pas satisfaisant. C’est pourquoi un suivi de ces établissements sera piloté par le Comité de la performance, de la qualité et de l’innovation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est aujourd’hui que se joue l’avenir de l’hôpital public. Il nous revient de prendre des décisions courageuses, pour que ce service public, d’une qualité exceptionnelle, sorte consolidé et modernisé de la crise que nous traversons.
Tel est le sens de la démarche engagée au travers du « pacte de confiance pour l’hôpital ». Soyez certains que les pistes tracées dans le rapport d’information sénatorial accompagneront utilement les réflexions de Mme Touraine et les actions qu’elle entend porter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. René-Paul Savary applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le financement de l’hôpital.
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Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Gilbert Barbier, Bernard Cazeau et Alain Milon membres du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
12
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Odette Duriez membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Alain Néri, démissionnaire, et M. Alain Néri membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de Mme Odette Duriez, démissionnaire.
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Débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, à la demande de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
La parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes très heureux de pouvoir débattre, dans cet hémicycle, des conclusions du rapport de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
Je veux le souligner, le rapport a été adopté à l’unanimité des membres de la mission et totalement soutenu par la commission des affaires sociales. Cette unanimité est d’ailleurs à l’image des travaux extrêmement constructifs et fort éclairants qui ont été conduits sur ce que je considère, j’y reviendrai, comme un véritable enjeu de société.
Nous ne voulions pas de polémiques inutiles, car cette mission d’information, souvenons-nous-en, est née d’un drame humain, celui de l’affaire des prothèses mammaires PIP, un drame dont nous découvrons d’ailleurs, chaque jour, l’ampleur croissante, puisque, vous le savez, les taux de rupture de ces prothèses sont très supérieures aux estimations initiales.
Malgré les Cassandre dénonçant le principe de précaution, nous ne pouvons que saluer la décision du précédent gouvernement de proposer l’explantation préventive à toutes les femmes porteuses de ces prothèses.
Pour autant, à l’occasion des différentes auditions, nous avons bien noté les difficultés auxquelles sont confrontées les victimes, qui dénoncent les pratiques parfois abusives de certains chirurgiens. Aussi avons-nous demandé à l’exécutif qu’il missionne l’Inspection générale des affaires sociales pour dresser le bilan de cette crise sanitaire et faire toute la lumière sur les conditions d’explantation. Madame la ministre déléguée, je souhaiterais avoir des éclairages sur la prise en compte de cette demande par l’actuel gouvernement.
Vous le savez, la mission commune d’information n’était pas une contre-enquête sur l’affaire PIP. Nous avons donc voulu que son champ d’investigation soit extrêmement élargi. Nous nous sommes concentrés sur les dispositifs médicaux dits « implantables », parce que jugés les plus à risque, ce qui recouvre une gamme de produits très large, allant des prothèses mammaires aux prothèses de hanche, en passant par les stents et les pacemakers.
Nous avons tenu à ouvrir encore plus notre réflexion pour y inclure l'ensemble des interventions à visée esthétique, qui, elles, vont du travail des esthéticiennes jusqu’à la chirurgie esthétique.
L’affaire PIP renvoyait en effet aux délicates questions, d'une part, du risque acceptable pour des interventions à visée purement esthétique et, d'autre part, de la place des pouvoirs publics pour déterminer un tel niveau de risque.
Je veux d’abord insister sur l’enjeu. En effet, à l’évocation du titre de cette mission commune d’information, d’aucuns nous ont parfois regardés avec un petit sourire. Pourtant, l’enjeu de santé publique est réel.
Pour les seuls dispositifs médicaux, le nombre de références aujourd'hui recensées oscille entre 160 000 et 800 000, soit un gap important tout autant qu’une incertitude extrêmement préoccupante ; le marché serait, selon l’IGAS, de 21 milliards d'euros.
De plus, chaque année, 300 000 actes de chirurgie et médecine esthétique sont pratiqués, marché en très forte progression. Autre chiffre intéressant, dans la perspective du débat qui va s’ouvrir, je précise que 16 % de la population française fréquente des cabines de bronzage à ultraviolets, dites cabines UV.
Si je mentionne ces quelques données, c’est pour bien montrer que nous sommes face à un problème de société, dépassant le simple choix individuel d’une prise de risque.
Nous avons donc travaillé sur un sujet élargi avec une approche elle-même élargie. Avec l’aide d’une équipe remarquable de fonctionnaires du Sénat, conduite, je tiens à le dire, par un remarquable administrateur, nous avons mené plus d’une cinquantaine d’auditions. Nous sommes intervenus auprès des instances européennes et nous sommes rendus aux États-Unis, au Danemark et en Suède. Nous aurions bien voulu aller en Australie, mais nous nous sommes contentés d’interroger les autorités locales par courrier, ce qui était plus respectueux des finances du Sénat !
Nous avons rencontré les spécialistes de la santé, les professionnels et les autorités sanitaires. Afin d’avoir véritablement une vision globale d’un tel enjeu de société, nous avons également pris contact avec des psychologues, des sociologues et des historiens. Nous tenions à dépasser les aspects purement techniques et sanitaires de ce type de débat pour privilégier une approche extrêmement large, afin d’en éclairer les enjeux sociétaux, qui ont toute leur place dans notre hémicycle.
Force est de constater que l’apparence physique, aujourd’hui, n’est pas seulement une question de bien-être mais qu’elle constitue une véritable norme de société, aux impacts concrets et mesurables, par exemple, sur les taux d’embauche.
En outre, la mission commune d’information s’est inscrite dans un calendrier opportun. Son rapporteur, M. Bernard Cazeau, ira plus loin tout à l’heure dans l’analyse des dispositifs de sécurité sanitaire existants et nos recommandations. Vous verrez alors combien nous sommes dépendants des règles européennes, qui ont, jusqu’à présent, plutôt privilégié la libre circulation des biens et l’harmonisation par rapport à la sécurité sanitaire.
Nous avons la chance de nous inscrire dans un calendrier opportun, disais-je, puisque lesdites règles européennes sont aujourd'hui en cours de révision et donc de rediscussion.
À nous d’être force de proposition dans ce cadre. Nous pouvons proposer une voie médiane entre le système européen actuel et le système américain : le premier est parfois trop libre-échangiste mais se révèle un facteur d’innovations ; le second, que certains voient comme la solution idyllique, s’il laisse tout de même lui aussi passer de nombreux scandales, est plus sécurisant mais peut-être moins favorable à l’innovation. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’exigence d’innovation et l’impératif de sécurité.
Sécurité et innovation sont les termes clés de notre débat, deux principes qui doivent guider notre réflexion cette après-midi. La question est de savoir comment faire en sorte que des interventions non vitales soient encadrées de la plus haute exigence de sécurité, tandis que les interventions absolument vitales, elles, pourraient intégrer une prise de risque quelque peu supérieure.
Allant sur le terrain des propositions qui, normalement, sont du ressort de M. le rapporteur, je voudrais mentionner un sujet qui me tient à cœur : les perturbateurs endocriniens.
Voilà un peu plus d’un an, notre collègue Gilbert Barbier a consacré un rapport à ce sujet au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’en citerai simplement le titre : Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution.
On a coutume de dire que les dispositifs médicaux ne sont pas mieux encadrés que les jouets. C’est vrai pour le marquage « CE ». En matière de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ou CMR, la situation est même pire : celles-ci sont interdites dans les jouets, y compris dans certains produits ludiques pour adultes, mais entrent toujours dans la fabrication des dispositifs médicaux.
Nous disposons aujourd’hui d’études précises, présentées par le docteur Cicolella dans le cadre des auditions que nous menons actuellement au Sénat sur la proposition de loi relative au bisphénol A, études soulignant l’impact sanitaire catastrophique de ces produits, tout particulièrement sur les fœtus et les nourrissons, donc sur les prématurés.
Aussi, lors de l’examen de ce texte, je vous proposerai qu’un tel produit soit exclu des dispositifs médicaux, notamment ceux qui touchent les prématurés et les nourrissons.
Je dirai un dernier mot sur l’esthétique.
Ce que nous avons découvert tout au long de nos travaux est assez inquiétant, pour ne pas dire parfois effrayant, en termes de pression sociale, de normalisation, de stratégies marketing. Cela ne fait que confirmer, malheureusement, ce que j’avais déjà souligné dans le cadre d’un précédent rapport consacré à l’hypersexualisation des enfants.
On pourrait s’interroger longtemps sur les motivations des personnes qui ont recours à la chirurgie ou à la médecine esthétiques. Nos auditions l’ont montré très clairement, toute moralisation est inutile et même totalement injuste. Je tiens vraiment à rappeler ce point au moment où s’ouvre le débat : la volonté de modifier les corps a existé de tout temps ; loin d’être un phénomène des temps modernes, un problème de sociétés « riches », il se développera inévitablement avec le vieillissement de la population et il faut même souhaiter que les techniques puissent être améliorées.
Il nous revient cependant, dans cet hémicycle, d’éclairer l’opinion, de clarifier les frontières entre l’esthétique et la médecine. Nous ne devons pas hésiter à interdire quand le risque sanitaire est avéré.
Mes chers collègues, je vous invite à un débat ouvert et pragmatique autour des propositions de M. le rapporteur, que je qualifie de très audacieuses : elles améliorent la sécurité sanitaire sans entraver les innovations « vitales », et la réglementation sans verser dans la moralisation. Une fois de plus, je n’en doute pas, le Sénat va montrer qu’il a un temps d’avance ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Cazeau, rapporteur de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, ce débat vient, en quelque sorte, couronner le travail de la mission commune d’information sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, mission créée sur l’initiative de notre collègue Chantal Jouanno.
Vous ne l’ignorez pas, à l’origine de cette mission se trouve l’émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP. Notre rapport a d’ailleurs montré combien cette triste affaire dépassait le simple cadre d’une fraude au gel de silicone pour atteindre l’ampleur d’un véritable scandale sanitaire. Les dernières données de matériovigilance publiées en juillet par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, nous apprennent que, au fur et à mesure des explantations, apparaissent des cas d’anomalies et de réaction inflammatoire plus importants que ceux qui étaient estimés. À la fin du mois de juillet, 12 345 Françaises – sur les 30 000 potentiellement concernées – avaient fait retirer leurs prothèses, dont 8 460 à titre préventif. Des anomalies ont été constatées dans 22 % des cas, soit près du quart des opérations. C’est beaucoup plus que ce qui avait été annoncé lorsque le scandale a éclaté.
Voilà qui n’est pas de nature à rassurer toutes les femmes qui souffrent, d’autant que la question de leur indemnisation n’est toujours pas réglée !
De nombreuses autres raisons justifiaient que le Sénat s’intéresse aux dispositifs médicaux. Lors de la discussion de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, plusieurs de nos collègues avaient prédit qu’ils seraient au cœur du prochain scandale sanitaire. Les faits nous ont malheureusement rapidement donné raison.
C’est donc avec la volonté de prévenir un nouveau scandale sanitaire que notre mission s’est attelée à un travail de fond. En l’espace de quatre mois, nous avons auditionné plus de cinquante institutions, associations ou entreprises, qui nous ont fait part de leurs préoccupations ou suggestions.
Vous le savez, l’autre versant du champ de compétence de notre mission concernait les interventions à visée esthétique. À ce titre, l’ampleur inédite de l’affaire PIP, qui s’est traduite par une couverture médiatique internationale sans précédent, a montré combien l’apparence et la beauté – fussent-elles artificielles – étaient devenues les préoccupations majeures, sinon essentielles, d’un grand nombre de nos contemporains.
Au-delà des interrogations relatives aux méthodes et aux enjeux du contrôle des dispositifs médicaux, cette affaire des prothèses PIP nous a donc conduits à nous interroger sur la réglementation des interventions à visée esthétique.
Au fil de nos travaux, et à force de constatations mettant en évidence, selon les cas, un caractère absurde, dramatique ou désolant, notre mission s’est attachée à formuler des propositions concrètes, avec un mot d’ordre : faire prévaloir la sécurité dès lors qu’il est question de santé publique.
On a déjà beaucoup parlé de notre recommandation visant à interdire les cabines de bronzage. Je n’en dirai donc qu’un mot : ces cabines sont aujourd’hui reconnues comme un facteur d’augmentation des pathologies cutanées, notamment de la plus grave d’entre elles, le mélanome. D’aucuns expliqueront que cette pratique provoque moins de morts que d’autres activités, comme la chasse ou la baignade. Les cabines, poursuivront-ils, sont moins nocives que le tabac, que personne n’a proposé d’interdire jusqu’à présent. C’est exactement le genre d’arguments entendus au Brésil lorsque ce pays a pris la décision d’interdire les cabines, à la fin de 2009 ! Les intérêts en jeu sont, il est vrai, loin d’être négligeables mais, comme l’a considéré la justice brésilienne, le droit à la santé doit prévaloir sur le droit au libre exercice de l’activité économique. Et l’interdiction est toujours en vigueur, en dépit de ce que certains voudraient nous faire croire…
Il faut donc placer la sécurité en tête de nos préoccupations. Mais comment faire ?
S’agissant des dispositifs médicaux implantables, la réponse n’est pas toujours évidente, car les nouvelles technologies contribuent à sauver des vies et à améliorer la qualité des soins. Je pense, par exemple, à l’essor de la cardiologie interventionnelle, qui permet de traiter des pathologies graves dans des conditions beaucoup moins lourdes que les techniques chirurgicales traditionnelles. Lorsqu’il y va de la vie du patient, sans doute faut-il privilégier la rapidité de mise sur le marché des dispositifs innovants, quitte à procéder à leur évaluation approfondie après implantation.
Cependant, hormis ces cas d’urgence, la sécurité doit prévaloir. L’exemple des prothèses PIP ou des prothèses de hanche DePuy a montré les graves défaillances des mécanismes de contrôle.
La Commission européenne a engagé une vaste réforme des directives relatives aux dispositifs. D’abord annoncée pour le printemps, cette révision de la réglementation européenne a abouti la semaine dernière, ce qui est important.
Je passe sur la proposition de règlement relative aux dispositifs de diagnostic in vitro, lesquels n’entraient pas dans le champ de la mission.
Pour ce qui est des dispositifs médicaux en général, sous réserve d’une analyse plus précise de la proposition de règlement, je note avec satisfaction que la Commission européenne partage les préoccupations exprimées par notre mission. Au début du mois de juin, Mme Jouanno et moi-même nous étions d’ailleurs rendus à Bruxelles pour nous entretenir avec le cabinet du Commissaire à la santé et avec les fonctionnaires de la direction générale intéressée. À cette occasion, nous leur avions fait part de notre volonté de voir la rigueur s’imposer à tous les niveaux afin de garantir la sécurité des malades.
D’une manière générale, la Commission reprend ce qui fut le leitmotiv de la mission tout au long de nos travaux : « renforcer sensiblement les contrôles pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont placés sur le marché de l’Union européenne et, dans le même temps, favoriser l’innovation et préserver la compétitivité du secteur des dispositifs médicaux ».
Les recommandations que nous avions faites sont reprises pour l’essentiel sous une forme ou sous une autre par la Commission.
Je citerai, notamment, la surveillance renforcée des organismes d’évaluation – jusqu’alors, ils faisaient un peu ce qu’ils voulaient ! - la multiplication des visites inopinées chez les fabricants – auparavant, ils étaient prévenus huit jours à l’avance, ce qui a permis l’affaire des prothèses PIP - l’accroissement des pouvoirs des organismes notifiés - ils exerceront des responsabilités et seront, semble-t-il, plus particulièrement surveillés - l’ouverture aux professionnels de santé et, élément très important, au public de la base de données européenne Eudamed à des fins d’information et de transparence sur les produits disponibles.
Je citerai également le renforcement de la traçabilité par l’introduction d’un système d’identification unique des dispositifs médicaux – pratique aujourd’hui très répandue, y compris aux États-Unis - l’intensification des exigences relatives aux preuves cliniques – en effet, faire des dispositifs médicaux sans jamais avoir de preuves cliniques va légèrement à l’encontre du dispositif sanitaire habituel !- l’amélioration de la coordination entre autorités nationales de surveillance, l’institution de règles de nature à prévenir le forum shopping, c’est-à-dire la possibilité offerte à un fabricant de changer d’organisme notifié comme bon lui semble - dans l’affaire des prothèses PIP, il y a eu changement d’organisme en cours de notification…
Dans le projet de la Commission, le changement nécessiterait un accord signé par les trois parties : le fabricant, l’ancien organisme notifié et le nouveau. L’accord emporterait l’abrogation du marquage de conformité délivré par l’ancien organisme notifié. Ce changement serait notifié à la Commission.
Encore une fois, attendons d’avoir le texte précis entre nos mains, mais le rapporteur que je suis ne peut s’empêcher de penser que nous avons fait œuvre utile.
Reste que l’objectif de la Commission européenne est d’aboutir à l’adoption du règlement d’ici à deux ans, pour une entrée en vigueur progressive entre 2015 et 2019, preuve que, à l’échelon européen, le rythme est encore plus lent que chez nous !
Ce qui ne nous empêche pas, madame la ministre déléguée, d’agir dès à présent, car tout ne se joue pas à Bruxelles, ce serait trop facile !
En matière de suivi des dispositifs après leur implantation, nous ne pouvons incriminer la réglementation communautaire. Si les défauts de conception des prothèses de hanche DePuy ont été détectés en Australie et en Suède, et non en France, c’est parce que nous ne tenons pas de registres exhaustifs des dispositifs.
Il est donc indispensable et urgent de repenser le système en rendant le recueil de données plus simple et en rappelant les professionnels de santé à leurs responsabilités en la matière. Car ils traînent des pieds ! On nous a opposé que la création de registres exhaustifs se heurtait aussi à des difficultés d’ordre juridique mais, nous l’avons vérifié, elles peuvent être surmontées.
Madame la ministre déléguée, quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre en ce domaine, qui me paraît fondamental ?
Dans le même ordre d’idées, il faut simplifier la déclaration d’incidents graves et accroître la transparence des liens d’intérêt, même si, en matière de dispositifs médicaux, les choses ne sont pas aussi simples que dans le domaine du médicament. En effet, les nouveaux matériels sont souvent développés en concertation avec une équipe médicale, voire sur son initiative. La loi « médicament » précitée contient des dispositions intéressantes ; on l’a vu cet été avec l’avertissement lancé par l’ANSM sur les sondes de stimulation cardiaque Somedics, apparemment commercialisées en dépit du retrait ou du non-renouvellement des certificats de marquage « CE » par son organisme notifié. Je souhaite bonne chance à ceux qui en sont porteurs !
D’ailleurs, preuve que les mécanismes existants peuvent fonctionner, l’ANSM a demandé, le mois dernier, la mise en quarantaine de l’ensemble des sondes de ce fabricant que les établissements de santé pourraient avoir en stock.
En outre, madame la ministre déléguée, je vous pose de nouveau la question : dans quel délai pourrons-nous disposer du rapport sur la sécurité des dispositifs médicaux prévu à l’article 41 de cette loi ?
J’en viens maintenant à l’esthétique.
Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, la France fait figure d’exemple. Le délai de réflexion de quinze jours, l’interdiction de la publicité, l’encadrement des interventions sont des éléments essentiels dont plusieurs pays cherchent à s’inspirer.
En revanche, en matière de médecine esthétique, c’est la jungle ! Le marché est en forte croissance et de nouvelles techniques apparaissent sans cesse. Il y a quelques jours encore, un nouvel appareil est arrivé sur le marché, la « brosse vibrante antirides »…
Mme Nathalie Goulet. Génial !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. … qui facilite, pour tout vous dire, madame, « la pénétration de la crème de jour ».
Mme Nathalie Goulet. Sans blague !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Bel exemple de marketing qui surfe sur la volonté universelle de retarder les effets de l’âge !
La frontière s’estompe entre les actes accomplis par les professionnels de santé – les médecins voire, dans certains cas, les dentistes, qui commencent à sortir du strict champ de leur compétence, car c’est « juteux » ! – et ceux qui sont réalisés par les esthéticiennes.
Il est difficile d’y voir clair, d’autant que, si certains dangers sont avérés, d’autres risques ne sont que potentiels, ce qui fait peser une incertitude juridique sur les mesures susceptibles d’être décidées. C’est ce qui s’est produit l’année dernière avec les techniques de lyse adipocytaire, dont la suspicion de nocivité n’était que potentielle. Le décret pris par le Gouvernement en avril 2011 a été en partie invalidé. Peut-être nous préciserez-vous, madame la ministre déléguée, comment le Gouvernement entend reprendre ce dossier, tout en garantissant la solidité juridique des dispositions prises ?
En tout état de cause, il faut clarifier les choses et faire prévaloir la sécurité en agissant dans plusieurs directions.
La première exigence consiste à réserver les actes potentiellement dangereux aux seuls médecins. Ce devrait être le cas des procédés de dépilation, lasers ou lampes à lumière pulsée au-delà d’une certaine puissance.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. De toute manière, en deçà, elles sont inefficaces, et tout le monde peut donc s’amuser avec !
Il nous faut aussi préciser les conditions de formation des médecins esthétiques. La médecine esthétique ne doit pas constituer une spécialité à part entière, mais les praticiens doivent disposer d’une véritable capacité. Il faut donc créer en la matière, comme nous le proposons, un diplôme d’études spécialisées complémentaires, ou DESC. Sur ce sujet, nous vous laissons la possibilité de vous rapprocher de votre collègue chargée de l’enseignement supérieur puisque, dans ce domaine, les deux ministères sont concernés.
Instituer un marquage « CE » propre à l’esthétique permettrait de « faire le ménage » parmi tous ces produits. Il n’y a aucune raison de disposer, en France, d’une centaine de produits à base d’acide hyaluronique, alors qu’une dizaine seulement de tels produits sont sur le marché aux États-Unis.
M. Gilbert Barbier. Six, très exactement !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Chacun propose « sa petite recette » sans justification précise, bien au contraire.
Il faut également constituer une base de données de tous les dangers de ces produits ou des actes proposés, de sorte que les consommateurs les choisissent en pleine connaissance de cause.
Cette véritable « esthéticovigilance » passe enfin par la création d’un carnet de soins esthétiques destiné à éviter que les personnes qui recourent à ces techniques ne multiplient pas les actes de manière imprudente, voire dangereuse.
Telles sont, madame la ministre déléguée, quelques-unes des pistes de réflexion que nous avons dégagées dans un esprit de responsabilité assez unanime.
Pour conclure, je tiens à souligner que nous n’avons perdu de vue ni l’incidence économique des secteurs concernés ni la nécessité de ne pas entraver l’innovation. Il est toutefois nécessaire de replacer la sécurité au premier rang des priorités. Comme le dit le vieil adage : primum non nocere. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la mission commune d’information applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Primum non nocere, deinde curare !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à dire combien je suis satisfaite que nous puissions aborder ce sujet à la suite du débat sur le financement des hôpitaux, en lui accordant une place importante dans nos échanges. Il relève, en effet, lui aussi, d’un enjeu fondamental de notre système de santé.
L’émotion suscitée depuis près d’un an par le scandale des prothèses mammaires PIP justifiait pleinement la création de cette mission commune d’information, élargie à l’ensemble des dispositifs médicaux implantables et aux interventions à visée esthétique.
Les nombreuses auditions organisées par cette mission ont été de qualité et permettent aujourd’hui d’avancer un certain nombre de propositions de bon sens qui faisaient pourtant cruellement défaut jusqu’à présent.
Je tiens donc à remercier Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune, pour le travail réalisé et M. Bernard Cazeau pour son rapport.
Ce nouveau scandale sanitaire, après celui du Mediator, a mis une nouvelle fois en lumière l’existence de dysfonctionnements en matière de réglementation et le fait que les intérêts financiers peuvent parfois primer la santé des patients. Il n’est pas acceptable que les lacunes du système puissent permettre à quelqu’un, par appétit financier et souci de rentabilité, de déjouer pendant vingt ans tous les contrôles.
Selon le bilan réalisé en juillet dernier par l’ANSM, plus de 3 000 cas de rupture ont été détectés chez des porteuses françaises et plus de 12 000 femmes, sur 30 000 concernées, ont « bénéficié » d’un retrait préventif. Cela nous montre l’ampleur des dégâts. Nous savons la souffrance tant physique que psychologique vécue par ces femmes, et cela doit effectivement nous interroger sur les mesures à prendre pour éviter que de tels événements ne se reproduisent.
Le rapport montre très bien comment, malgré des moratoires successifs de commercialisation de cette technologie depuis longtemps controversée, malgré des signaux d’alerte, les années ont pu s’écouler sans qu’il y ait retrait ou suspension de la mise sur le marché et de l’utilisation de ces implants mammaires fabriqués par la société PIP.
Je suis donc favorable à l’une des préconisations de la mission qui, pour le Gouvernement, consiste à demander à l’Inspection générale des affaires sociales de dresser un bilan détaillé de la gestion de cette crise sanitaire. Je crois que cette transparence, même a posteriori, est essentielle pour les victimes, et demain pour de futures patientes.
Il me paraît tout aussi important de renforcer strictement les contrôles effectués sur les dispositifs médicaux implantables dès leur mise sur le marché et durant toute leur durée d’utilisation. En effet, chacun le sait, contrairement aux médicaments, dont la mise en vente est conditionnée et subordonnée à l’autorisation de mise sur le marché, les dispositifs médicaux peuvent être vendus même en l’absence de tests.
Nous avons voulu renforcer cette pharmacovigilance via la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Les dispositifs médicaux font également partie de cette loi ; or, six mois après la promulgation de la loi, les décrets d’application des articles concernés ne sont toujours pas parus. Peut-être Mme la ministre pourra-t-elle nous éclairer sur ce point ?
Notons toutefois avec intérêt que la Commission européenne vient de réviser la réglementation sur les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Les propositions de la Commission visent, selon le commissaire européen chargé de la santé et de la politique des consommateurs, John Dalli, « à renforcer sensiblement les contrôles pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont placés sur le marché de l’Union européenne et, dans le même temps, à favoriser l’innovation et à préserver la compétitivité de ce secteur ». Figurent en outre parmi ces dispositions une traçabilité totale des dispositifs les plus sensibles et une surveillance accrue du marché.
C’est une décision importante, même si l’on peut regretter qu’il n’y ait toujours pas de véritable autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs à haut risque.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Les investigations de la mission nous ont également permis de nous interroger sur ce que l’on appelle les « interventions à visée esthétique ». Ces nouvelles pratiques, de plus en plus nombreuses, recèlent ou peuvent recéler de nouveaux dangers. Il est de notre responsabilité de les anticiper pour les éviter.
Il s’agit d’un véritable enjeu de société à part entière et d’un secteur économique florissant, puisque plus de 11 millions de soins de beauté et de bien-être auraient été réalisés en France en 2011. Les femmes en sont le public majoritaire.
Notre rapport au corps, au vieillissement, à la beauté, entraîne un recours de plus en plus fréquent et banalisé à ces nouvelles techniques séduisantes, sans que l’on pense à leurs conséquences à plus long terme, ou tout simplement parce que l’on croit ces pratiques sont très encadrées, et donc sans danger.
Il est certes difficile de démontrer le caractère dangereux d’une pratique esthétique en l’absence de données scientifiques ou de statistiques fiables et objectives. À l’inverse, on sait pertinemment que certaines pratiques sont dangereuses. Ainsi ne pouvons-nous ignorer les dangers, aujourd’hui scientifiquement avérés, des cabines de bronzage.
J’approuve donc la proposition de la mission visant à interdire ces cabines de bronzage, hors usage médical. Certes la mesure est radicale et sans doute impopulaire, mais elle est nécessaire si l’on veut éviter un futur scandale sanitaire.
Sans revenir sur chacune des trente-huit propositions formulées par la mission, nous devons, d’une manière générale et pour l’avenir, répondre à trois priorités.
Nous devons, tout d’abord, bien définir les responsabilités en matière d’évaluation, de contrôle et de surveillance des dispositifs médicaux. À ce titre, l’ANSM doit pouvoir pleinement jouer son rôle de gendarme sanitaire en centralisant tous les signalements.
Il faut, ensuite, créer les conditions d’une formation qualifiante des professionnels. Cette demande est revenue très souvent au cours de nos auditions.
Il convient, enfin, de disposer d’un statut bien défini qui s’inscrive dans les frontières, pourtant assez floues, délimitant le médical de l’esthétique.
Selon nous, et nous ne le répéterons jamais assez, il est impératif de mettre fin aux conflits d’intérêt qui peuvent exister et de renforcer les contrôles et les inspections réalisés par les organismes notifiés.
Ces organismes doivent avoir les moyens de remplir leurs missions, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle, les fabricants pouvant décider eux-mêmes des modalités de certification et d’évaluation. Une harmonisation par le haut est donc nécessaire au niveau européen, tout comme une indépendance renforcée de ces structures de contrôle.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour redire combien il est primordial de protéger les lanceurs d’alerte – c’est prévu, là encore, dans la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ! – pour éviter les attaques virulentes dont les professionnels de santé peuvent être victimes dans de telles situations.
En conclusion, nous partageons pleinement la philosophie de ce rapport, bien résumée dans son titre : Santé, beauté, une priorité : la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la mission commune d’information applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je regrette que ce débat n’ait pas attiré plus de monde. Cela étant, ma confession n’en sera que plus discrète... (Sourires.)
L’idée de vieillir m’insupporte complètement. Comblement de rides, liposuccions, botox, acide hyaluronique, lifting, système filaire : tous ces procédés me sont familiers ! Oui, je l’avoue, madame la ministre déléguée, j’en suis assez consommatrice depuis un certain temps. J’ajoute que, végétarienne, je fais quotidiennement du sport et pratique le jeûne thérapeutique depuis une trentaine d’années. Dire que mon image m’importe est un euphémisme ! (Nouveaux sourires.) Vous comprendrez donc l’appétence que j’ai éprouvée pour cette mission d’information et mon souci de concentrer ce propos sur la médecine esthétique.
La philosophie, pour ne pas dire la psychologie, du consommateur est identique, même si la chirurgie esthétique peut revêtir un caractère réparateur beaucoup plus sérieux et intervenir dans des situations beaucoup plus graves.
Je parle de « consommateur » parce que, à mon avis, sous le diktat de l’apparence et de la mode de l’éternelle jeunesse, le « patient » s’efface devant le « consommateur ». Nous sommes passés de Faust à « L’incroyable famille Kardashian » (Sourires.). La chirurgie et la médecine esthétique sont un marché dans la société de consommation qui est la nôtre !
Comme le mentionne le rapport, le marché mondial de la beauté et du bien-être était évalué en 2008 à 500 milliards de dollars, dont 100 milliards pour les seuls soins de lutte contre le vieillissement. Ce n’est pas rien ! La France occupe « seulement » le quatorzième rang du classement des vingt pays les plus consommateurs d’interventions esthétiques médicales.
Aux États-Unis, 9,2 millions d’interventions ont été pratiquées en 2011, pour une dépense totale de 10 milliards de dollars, dont 1,7 milliard pour les injections. Le rapporteur a d’ailleurs indiqué que, en France, certaines d’entre elles n’étaient pas contrôlées : voilà qui est sécurisant !
En France, près de 300 000 actes de chirurgie et de médecine esthétiques ont été réalisés au cours de l’année 2009 par 465 chirurgiens.
Quant aux actes de médecine esthétique, ils connaissent une croissance continue et constante. Les entreprises de l’esthétique parfumerie réaliseraient un chiffre d’affaires annuel de près de 3 milliards d’euros.
Loin de moi l’idée de stigmatiser la profession d’esthéticienne, dont le rapport fait longuement état, mais il faut admettre que les actes pratiqués dans ce secteur sont parfois à la frontière de la médecine esthétique. Peut-être y a-t-il matière à intervenir dans ce domaine ? Sans parler des cabines de bronzage installées dans les clubs de sport et autres établissements de même nature, alors qu’elles n’ont rien à y faire !
Comme tous les membres de la mission commune d’information, je me suis d’ailleurs rangée à l’avis du rapporteur, qui s’est déclaré favorable à leur interdiction. Je précise que, pour ma part, je n’utilisais tout de même pas ces équipements ! (Sourires.)
Tous les montants que je viens de citer démontrent que le secteur de l’esthétique médicale est bien engagé sur la voie de la banalisation.
Il s’agit bien d’un marché, avec ses règles de l’offre et de la demande, ses bons et ses mauvais acteurs, ses consommateurs avec ou sans modération, mais aussi ses addictions. La médecine esthétique connaît tout cela !
Les journaux et les publicités sur internet sont des vecteurs inépuisables de cette nouvelle valeur du paraître. Madame la ministre déléguée, les pouvoirs publics auraient beaucoup à faire dans ce secteur ! On pourrait aussi évoquer les « bars à sourire » où l’on peut se faire blanchir les dents. Toutes ces pratiques nous réservent à coup sûr de bien mauvaises surprises...
J’indique que les hommes, eux aussi, sont de plus en plus consommateurs de médecine esthétique, notamment pour résoudre leurs problèmes de calvitie.
Je souhaite proposer quelques pistes de réflexion.
Comme nous sommes entre nous, mes chers collègues, et puisque l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de budget ne nous donnera guère l’occasion de sourire, je vous propose de traiter le présent sujet avec la philosophie et la distance qui s’imposent.
Avec mes collègues membres de la mission commune d’information sur le Mediator, dont j’étais vice-présidente, nous n’avions pu que regretter l’absence totale d’attention portée aux propositions formulées dans un rapport vieux de dix ans et consacré au Vioxx.
Or, dans l’affaire du Mediator comme dans celle du Vioxx, si les problèmes avaient été pris à temps, bien des difficultés auraient pu être évitées. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous avons pu déplorer, dans les deux cas, le même type de carences, d’erreurs et, malheureusement, le même nombre de victimes, car c’est tout de même d’elles dont nous parlons aujourd’hui.
Je souhaiterais tout d’abord, madame la ministre déléguée, que nous puissions mettre en place une sorte de cellule permanente de suivi du travail du Sénat et des propositions qui vous sont faites dans ce rapport pour créer ainsi un lien constant, mais pas forcément institutionnel. Il ne s’agit pas de créer un dispositif lourd ou une commission de plus ! Comme vous le savez, les obligations des parlementaires sont déjà suffisamment nombreuses...
Ma deuxième proposition vise à instaurer une information complète ainsi qu’une communication institutionnelle cohérente et continue.
La volonté politique d’alerter le public sur les dangers de ces pratiques pourrait commencer par une vaste communication des médecins et de l’ensemble des pouvoirs publics.
La campagne « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique » a connu un grand succès. Il faudrait marteler, de la même façon, que la chirurgie ou la médecine esthétiques sont des actes médicaux graves pouvant avoir des conséquences sur la santé, qui ne relèvent pas – en tout cas, dans une grande partie des cas ! – de la solidarité nationale. Je reviendrai sur ce sujet.
Je préconise également que la réglementation en ce qui concerne les remboursements soit appliquée et renforcée.
Comme l’a dit le rapporteur, il est très important de réserver les actes présentant des risques sérieux aux médecins qualifiés. C’est une évidence. Le législateur a, en ce sens, confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les règles de formation et de qualification applicables aux personnes habilitées à exécuter des interventions à visée esthétique.
Le Gouvernement a dans ses tiroirs, madame la ministre déléguée, un décret en gestation. Introduit par l’article 61 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, l’article L. 1151-2 du code de la santé publique dispose : « La pratique des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique autres que ceux relevant de l’article L. 6322-1 peut, si elle présente des risques sérieux pour la santé des personnes, être soumise à des règles définies par décret [...]».
Je vous propose donc, madame la ministre déléguée, de retirer la conjonction « si » du décret. Ce serait une façon peu coûteuse et assez rapide de poser que les actes de chirurgie ou de médecine esthétiques sont, par définition, des actes présentant des risques sérieux pour la santé et cela marquerait la volonté politique de ne pas les banaliser.
Parmi ces actes dont il est normal qu’ils soient réservés aux médecins, il faut tout de même rappeler qu’il y a le comblement de tout ou partie du corps par injection de produits ou utilisation de dispositifs, de techniques, de rayonnements électromagnétiques ou d’ultrasons, la liposuccion et autres techniques d’amincissement, le traitement des lésions cutanées par ces mêmes rayonnements électromagnétiques, bref, autant d’actes assez lourds et de procédés qui n’ont rien de banal à propos desquels il conviendrait d’alerter le public.
Naturellement, mais le rapporteur en a déjà parlé, il est important que des mesures relatives à la formation soient prises.
Je veux par ailleurs souligner que l’appétence pour cette médecine entraîne une autre difficulté, que nous avons déjà rencontrée dans le débat sur le financement de l’hôpital et que nous retrouverons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, dans un contexte d’aggravation des déséquilibres de la démographie médicale, l’augmentation de la demande de soins esthétiques, du fait qu’elle est susceptible d’intéresser un grand nombre de médecins généralistes, est perçue – nous l’avons constaté au fil des auditions – comme une cause potentielle d’aggravation du risque de désertification médicale. À cet égard aussi, nous devons être très vigilants.
Je reviens maintenant pour conclure sur le problème du remboursement.
L’acceptation du risque pour un client, patient, consommateur, n’est pas la même selon qu’il s’agit d’un acte à visée esthétique ou de chirurgie réparatrice. En conséquence, il faudrait interdire, en tout cas contrôler, le remboursement des actes à visée esthétique et du traitement de leurs conséquences.
Je pense aux opérations de confort du nez, qui passent, ici ou là, pour la correction de déplacements de la cloison nasale, entre autres petites tricheries qui, finalement, pèsent indûment sur le budget de la sécurité sociale et sur la collectivité tout entière, alors que nous avons déjà bien assez de soucis avec l’équilibre de nos comptes sociaux !
Encore plus grave, et dans ce domaine le Gouvernement devrait rapidement prendre des mesures, une grande proportion, soit 20 % environ, des soins consécutifs à une opération esthétique dispensés en France font suite à une opération réalisée à l’étranger, dans le cadre du « tourisme esthétique » : quand les gens rentrent de Thaïlande, du Liban, du Brésil ou d’ailleurs et que l’opération ne s’est pas bien passée, c’est à la charge de la collectivité nationale qu’ils se font soigner ici !
Je trouve cette situation tout à fait anormale, car je ne vois pas pourquoi notre système de santé devrait supporter le poids des soins postopératoires dans de tels cas. Je déposerai plusieurs amendements en ce sens dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Pour ma part, je crois qu’il faudrait communiquer avec le public plutôt que réglementer.
J’ajoute, madame la ministre déléguée, que, pour de tels sujets, l’intégration dans notre dispositif juridique de la class action, c'est-à-dire des actions de groupe, devient de plus en plus nécessaire.
Le cas des prothèses PIP, qui a donné lieu à la mission, nous donne l’occasion d’y réfléchir, mais je ne parle pas là seulement de chirurgie. Au-delà, je pense à des drames aux conséquences encore plus graves, comme l’amiante, dont je ne saurais dire combien de personnes elle touche dans mon département : on ne peut pas laisser les victimes de fraudes, patients ou clients, isolées, seules face au système judiciaire et à des entreprises ou à des individus ayant beaucoup plus de moyens qu’elles pour se défendre.
Je terminerai tout à fait en disant que cette mission a été passionnante et menée de mains de maître par sa présidente, Chantal Jouanno, et par son rapporteur, Bernard Cazeau. Ceux qui me connaissent dans cette maison savent que je n’ai pas pour habitude de dire ce que je ne pense pas. Je vous remercie donc, madame la présidente, d’avoir obtenu et mené à bon port, sans doute pour une escale temporaire, cette mission. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je tiens à le préciser d’emblée, je ne suis pas, pour ma part, utilisateur de produits à visée esthétique… (Sourires.)
Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d’information. Cela viendra ! (Nouveaux sourires.)
M. Gilbert Barbier. Je tiens tout d’abord à féliciter Chantal Jouanno et Bernard Cazeau de l’excellent travail qu’ils ont accompli. Les très nombreuses auditions auxquelles ils ont procédé nous ont permis de faire un tour assez complet de ce délicat sujet.
Le scandale des prothèses PIP, à l’origine de la création de la mission, a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique, en France et dans le monde entier, et il a suscité de nombreuses interrogations.
Comment un fabricant peut-il pendant des années abuser l’organisme qui lui délivre le label « CE » ?
Pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils pris aucune mesure lorsque, en 2000, l’autorité sanitaire fédérale aux États-Unis, la Food and Drug Administration, ayant constaté que la société ne respectait pas les normes sanitaires en vigueur, avait interdit l’utilisation de ces implants sur son territoire ?
Pourquoi l’AFSSAPS n’a-t-elle demandé le retrait des implants que trois ans après avoir été alertée par plusieurs chirurgiens ?
Quelque temps après le drame du Mediator, le scandale des prothèses mammaires a ébranlé la confiance que médecins et patients avaient dans la surveillance des dispositifs médicaux et a ainsi relancé la polémique sur la sécurité sanitaire dans notre pays.
Certes, il s’agissait en l’occurrence d’une fraude délibérée, organisée par un fabricant sans scrupule qui, je veux l’espérer, reste un cas isolé et ne jette pas l’opprobre sur l’ensemble des fabricants de dispositifs de santé.
Pour autant, les travaux menés par la mission ont mis en évidence la faiblesse de notre système de surveillance et de contrôle des dispositifs médicaux, système qui, en l’état, ne permet d’éviter ni les malversations, ni les défectuosités – je pense aux sondes endocavitaires mais aussi aux prothèses de hanche DePuy –, ni les pratiques à visée esthétique finalement dangereuses.
Il y a à peine un an, lors de l’examen du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, nous étions quelques-uns à demander un meilleur encadrement des dispositifs médicaux, car convaincus de l’insuffisance dans ce secteur.
Nos craintes se sont malheureusement révélées fondées et nous imposent de renforcer notre réglementation afin de garantir pleinement la sécurité des patients.
La mission formule trente-huit recommandations, dont certaines me semblent particulièrement importantes.
Il convient tout d’abord de reconsidérer les conditions de mise sur le marché des dispositifs médicaux. Contrairement aux médicaments, les dispositifs médicaux, même ceux de la classe III, qui ont un très sérieux potentiel de risques, requièrent non pas d’autorisation de mise sur le marché, mais une simple certification « CE », délivrée par l’un des soixante-dix-sept organismes de contrôle accrédités par les autorités compétentes de chaque État de l’Union européenne.
Il apparaît que certains organismes, plus conciliants que d’autres, ont la réputation de ne refuser aucun dossier. Il est donc aisé pour une entreprise peu scrupuleuse de faire appel à l’un de ces laboratoires pour obtenir son accréditation. Dans ces conditions, il est évident que les critères d’agrément des organismes notifiés doivent être revus.
C’est d’autant plus nécessaire que le marquage « CE » ne signifie pas que le produit a été fabriqué en Europe et ne présume en rien de la qualité du dispositif.
Les dispositifs médicaux de classes I et II ne sont pas soumis à la réalisation d’essais cliniques prouvant leur innocuité. Certes, ils sont très nombreux et fabriqués pour la plupart par de petites entreprises qui n’ont pas les moyens de procéder à ces essais. Subordonner la certification des nouveaux dispositifs médicaux risqués à la réalisation d’essais cliniques préalables permettrait pourtant la création d’une liste positive, véritable gage de transparence et de sécurité.
Dans le même esprit, il me paraît indispensable, comme à M. le rapporteur, de multiplier les contrôles, et surtout les contrôles inopinés.
La sécurité des dispositifs médicaux implantables impose également une plus grande exigence au niveau de la matériovigilance.
La question de l’indépendance de l’ANSM et de ses experts doit être clairement posée. Cette agence est cependant en cours de restructuration : laissons-lui un peu de temps pour se lancer dans un contrôle efficace.
Il serait également hautement souhaitable de favoriser la mise en place de registres de traçabilité, comme il en existe notamment en Australie ou dans certains pays nordiques. Le registre est en effet un instrument important pour détecter les éventuelles défaillances et donner l’alerte. Cela impose toutefois la participation des praticiens utilisateurs. Dans ce domaine, il faut bien reconnaître que la France accuse un retard considérable.
Dans un premier temps, il serait toutefois nécessaire, madame la ministre déléguée – et cela se ferait à faible coût – d’adopter un codage plus précis du PMSI, le programme de médicalisation des systèmes d’information, afin de mettre en place un véritable suivi de l’utilisation des dispositifs médicaux implantables à l’hôpital, suivi qui fait défaut aujourd'hui.
Voilà quelques jours à peine, la Commission européenne a adopté une réglementation stricte pour les dispositifs médicaux implantables, laquelle devrait permettre une traçabilité totale pour les dispositifs les plus sensibles et une surveillance accrue du marché par le renforcement de la matériovigilance. Je ne peux que me féliciter de cette première étape et j’espère vivement que ces propositions seront rapidement validées par le Parlement européen.
S’agissant des dispositifs médicaux à visée esthétique, il est indispensable de clarifier les compétences, de renforcer la réglementation, de responsabiliser et de former les praticiens dans un domaine qui évolue sans cesse et où la demande est de plus en plus pressante, comme on a pu l’entendre il y a quelques instants.
En France, il existe plus d’une centaine de produits injectables de comblement des rides, soumis à la certification « CE », alors que, aux États-Unis, la FDA n’a délivré que six autorisations, considérant à juste titre que de tels produits doivent répondre aux mêmes exigences que des médicaments.
On peut s’étonner que les cabines de bronzage, alors que le danger est avéré, puissent encore relever de la compétence des professionnels de l’esthétique. Il est urgent de mettre en place un encadrement rigoureux des pratiques.
Madame la ministre déléguée, les travaux de la mission commune d’information, qui ont été menés avec beaucoup de sérieux et de précision, ont démontré l’impérieuse nécessité de renforcer les contrôles sur les dispositifs médicaux. Les récentes décisions prises par l’Europe doivent nous guider dans cette voie : agissons sans tarder ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, l’automne dernier, le Sénat menait une belle bataille sur le projet de loi relatif à la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Le texte issu en première lecture des travaux notre assemblée comportait des avancées audacieuses, mais néanmoins indispensables à la sécurité de notre système de santé, avancées portées par le rapporteur Bernard Cazeau, mais également par les sénateurs socialistes, écologistes et communistes.
Malheureusement, ces dispositions ne figurent pratiquement pas dans le texte finalement promulgué, notre travail de renforcement du dispositif de sécurité sanitaire ayant été littéralement taillé en pièces à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Aline Archimbaud. Les problèmes ne sont donc toujours pas réglés, d’autant que la plupart des décrets d’application de cette loi n’ont pas encore été publiés. C’est inquiétant.
Voilà pourquoi notre groupe souscrit pleinement aux analyses et aux trente-huit propositions contenues dans le rapport qui nous est aujourd’hui présenté.
Madame la ministre déléguée, nous souhaitons notamment attirer votre attention sur le fait que l’AFSSAPS a clairement dysfonctionné dans l’affaire des prothèses PIP, comme auparavant dans d’autres affaires, sans que les leçons en aient toujours été tirées.
Monsieur Cazeau, vous le précisez sans ambiguïté en page 2 de votre rapport d’information : « Dès 2001, neuf déclarations de chirurgiens transmises à l’AFSSAPS relèvent, notamment, des cas de rupture. [...] Des événements indésirables de même ampleur sont signalés à l’agence au cours des années suivantes. »
Pourtant, il a fallu attendre 2010 pour que l’AFSSAPS décide le retrait et la suspension de la mise sur le marché des implants fabriqués par la société PIP !
L’enchaînement des événements montre de graves déficiences dans la circulation de l’information. Le système de sécurité sanitaire français n’est pas assez fiable et les lanceurs d’alerte vivent un véritable parcours du combattant : leurs cris d’alarme restent vains. Bien pis, ils sont victimes de tentatives multiples de déstabilisation et d’intimidation, en plus de souvent voir leurs compétences remises en cause.
Forte de ce constat, ma collègue Marie-Christine Blandin présentera, le 15 octobre prochain, au Sénat, une proposition de loi visant à renforcer la qualité de l’expertise scientifique et la protection des lanceurs d’alerte. Le Sénat aurait alors l’occasion d’agir réellement pour la sécurité sanitaire des Français.
Je profite également de l’organisation de ce débat pour insister sur les inégalités de santé et les injustices que révèle le dossier des prothèses PIP. D’autres sénateurs se sont exprimés avant moi sur ce point : de nombreuses victimes de la firme frauduleuse PIP sont aujourd’hui confrontées à des difficultés financières graves. Le rapport l’évoque explicitement, certaines d’entre elles se trouvent « dans l’impossibilité de faire face aux coûts des opérations chirurgicales, voire même d’avancer les sommes par la suite prises en charge par la collectivité au titre des seules explantations ». Elles vivent donc dans l’angoisse, ne connaissant pas l’état des prothèses qu’elles portent. Or, selon le rapport, « la découverte d’un taux de rupture plus élevé que celui qui était anticipé valide pourtant le choix d’une explantation généralisée, ne serait-ce qu’en raison de considérations financières : privilégier le suivi régulier des femmes porteuses de prothèses PIP par rapport à leur explantation immédiate pourrait s’avérer à long terme plus coûteux pour la collectivité ».
Notre groupe estime donc que le scandale continue et qu’une barrière sociale s’oppose à la sécurité de certaines victimes. C’est une forme d’obstacle à l’accès aux soins. Nous espérons, madame la ministre déléguée, que tout sera mis en œuvre pour y remédier.
Enfin, parmi l’ensemble des propositions contenues dans le rapport, l’une attire principalement mon attention : il s’agit de la proposition 10, relative à l’interdiction des CMR – produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction – de catégorie 2 dans les dispositifs médicaux destinés aux nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes. Cette proposition est importante et je pense même que nous pourrions et devrions aller plus loin.
Prenons l’exemple du DEHP, une forme de phtalate justement classé CMR de niveau 2 par l’Union européenne. Dans nombre de ses applications, le PVC est plastifié à l’aide de cette substance, pourtant interdite depuis 2005 dans tous les jouets destinés aux enfants de moins de trois ans. Toutefois, il entre actuellement pour plus de 50 % dans la composition des plastiques à usage médical : poches de sang, masques à oxygène, sondes gastriques, etc. Or il est prouvé que le DEHP n’est pas chimiquement lié au PVC et s’en échappe donc en continu. D’une grande liposolubilité, il est particulièrement bien absorbé et, dans l’organisme, sa distribution est rapide vers les poumons, la rate et les tissus adipeux.
En 2008, le rapport du comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux a d’ailleurs proposé une liste de procédures médicales à haut potentiel d’exposition au DEHP et a fait état de risques particuliers d’intoxication aiguë en soins intensifs de néonatalogie, où les nouveau-nés reçoivent des doses de DEHP pouvant atteindre jusqu’à vingt fois la dose journalière tolérable.
Très attachés au principe établi depuis Hippocrate qu’a rappelé Bernard Cazeau, « d’abord ne pas nuire, ensuite seulement soigner », les membres du groupe écologiste du Sénat demandent que la recherche de solutions alternatives par rapport à l’utilisation de phtalates et accessibles financièrement soient encouragée, afin que cette substance soit retirée au plus vite des hôpitaux et, plus largement, soit exclue de tout usage médical ou soignant. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cela a déjà été souligné mais cela mérite d’être rappelé, ce rapport d’information est de grande qualité. Il éclaire certaines pratiques qui doivent être adaptées afin de garantir la confiance des utilisateurs ou des patients. Vous avez raison, madame Jouanno, il s’agit bien d’un enjeu sociétal.
Si le travail accompli était indispensable, il est également édifiant.
C’est un travail indispensable, parce que notre système français d’autorisation et de surveillance ne correspond plus aux enjeux d’aujourd’hui. Sans être un adepte du principe de précaution à tout prix, je ne suis pas non plus un contemplatif, inerte face aux mauvaises pratiques.
Je m’explique. Certaines règles existent bien : organisme notifié pour accréditer des dispositifs, matériovigilance, registres, études scientifiques randomisées ou comparatives, codage des actes à travers le PMSI, investigations cliniques, rapports bénéfice-risques, formation des praticiens, enseignement diplômant, bref, toutes ces règles, ces mesures, ces contraintes parfois, inspirent a priori confiance. Pourtant, elles ne sont pas adaptées à la situation actuelle et deviennent même sources de défiance.
Il nous faudra prendre en compte les préconisations formulées, sans pénaliser la recherche et le développement, mais en redonnant confiance aux usagers.
Mais ce travail est également édifiant en ce qu’il révèle les failles de notre organisation sanitaire ou paramédicale. Là encore, une explication s’impose : les auditions auxquelles j’ai participé m’ont surpris. Des enjeux différents ont animé ces débats, chacun étant persuadé d’apporter justement sa pierre à un édifice qui, en fait, est globalement défaillant, comme cela a pu être constaté.
Je citerai quelques exemples pour éclairer ceux qui ne seraient pas encore convaincus.
Les registres existent bien, mais dans d’autres pays. Ils permettraient pourtant d’assurer une surveillance, car l’un des grands défauts du système tient à l’absence de réactivité dans le suivi des implantations et la détection d’éventuels dysfonctionnements.
Les organismes notifiés n’ont pas l’indépendance suffisante pour garantir la neutralité de leur expertise. Le demandeur a le libre choix de l’organisme, ce qui va à l’encontre du principe de neutralité.
Les cahiers des charges sont réduits en cas de composants similaires, mais pas forcément identiques. D’un organisme à l’autre, des différences moléculaires même minimes peuvent provoquer des réactions différentes ou des effets indésirables.
Les flux financiers ne semblent pas suffisamment transparents entre fabricants de dispositifs médicaux et laboratoires. Une clarification sera donc nécessaire.
Certes, des contrôles sont prévus, mais les organismes sont prévenus avant tout passage. Aucun marquage européen garanti n’existe encore. La mise en ligne des informations, essentielles pour la sécurité, n’est pas suffisamment développée.
Je ne poursuis pas cette énumération, de nombreux cas ont déjà été signalés.
Personnellement, j’ai beaucoup appris au cours de ces auditions et je tiens à témoigner du travail accompli. Nul ne détient la vérité dans ce domaine, mais chacun en possède une part.
Madame la ministre déléguée, ce rapport d’information a pour but de replacer l’usager dans un cadre réglementaire mieux adapté, mais sans bloquer l’innovation, qui est toujours essentielle. Celle-ci suppose de comparer nos procédures avec les pratiques en vigueur ailleurs et de formuler des propositions objectives tout en conciliant des intérêts divergents.
Voilà bien toute la difficulté d’un exercice qui me paraît promis au succès, pourvu que l’on tienne compte de tous ces aspects. Il y va de la crédibilité de nos institutions dans le cadre des pouvoirs régaliens de sécurité et de contrôle. Madame la ministre déléguée, je vous remercie de nous livrer, au nom du Gouvernement, votre appréciation sur les propositions formulées dans ce rapport d’information. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord d’excuser à nouveau l’absence de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, qui participe en ce moment à Matignon au séminaire intergouvernemental sur la modernisation de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de ce rapport d’information extrêmement documenté et riche en enseignements. Le temps et l’attention que votre mission a accordés aux dispositifs médicaux implantables et aux interventions à visée esthétique sont d’une aide précieuse pour l’approfondissement de notre réflexion sur ces sujets et, plus largement encore, sur la manière dont nous pouvons assurer la protection de la santé de nos concitoyens.
Il n’est pas inutile de rappeler dans quel contexte cette mission commune d’information a été créée. Vous avez été nombreux à le rappeler, la découverte de prothèses mammaires, les prothèses PIP, produites de manière totalement contraires aux procédures d’agrément du produit en a été le point de départ. Cette affaire est aujourd'hui dans les mains de la justice et il ne nous appartient pas de la commenter.
Toutefois, à cette occasion, les lacunes de la réglementation des dispositifs médicaux, à l’échelon tant national qu’européen, ont été pointées.
La mission commune d’information a fort justement élargi le champ de ses travaux des dispositifs implantables aux interventions esthétiques, dont l’encadrement est actuellement extrêmement léger.
Le dispositif médical doit être considéré différemment du médicament. Néanmoins, que ces produits s’adressent à des malades ou à des non-malades, nous estimons que, comme pour le médicament, la sécurité des personnes doit être au centre du processus. C’est elle seule qui doit justifier la mise et le maintien de ces substances sur le marché, vous l’avez souligné, monsieur Barbier.
Il est vrai que ces dispositifs recouvrent des situations très diverses. Nous ne pouvons traiter de la même manière des produits externes et très courants, comme les pansements ou les bandages, et des appareils implantés dans le corps, tels que les sondes ou les implants du type des prothèses PIP.
Il nous faudra également tenir compte de la spécificité du tissu industriel des fabricants de dispositifs médicaux, fait essentiellement de petites et moyennes entreprises. Ce secteur est porteur d’innovations favorables à des progrès dans la prise en charge des patients qu’il ne faut donc pas contraindre sans un examen minutieux. Je pense que cela répond à l’un de vos souhaits, monsieur Savary.
La demande de soins esthétiques est en forte croissance au sein de la population, du fait notamment des progrès des techniques utilisées et de la pression sociétale. Vous en êtes un exemple quasi parfait, madame Goulet ! (Sourires.) Ce besoin s’exprime dans une population plus jeune qu’auparavant, essentiellement féminine, mais également masculine, soucieuse de son apparence physique, encouragée en cela par la diffusion dans les médias d’images de perfection, ainsi que vous l’avez rappelé, madame Jouanno.
C’est ainsi que le monde de l’esthétique s’est métamorphosé au cours des dix dernières années. L’offre commerciale et le nombre d’utilisateurs n’ont cessé d’augmenter : en 2010, 13,4 % des Français entre quinze ans et soixante-quinze ans déclaraient avoir fait l’usage au moins une fois dans leur vie d’ultraviolets artificiels. On recense 18 000 cabines de bronzage, mais une étude de marché en dénombre 40 000 sur le territoire national.
La simplicité apparente des procédures et les gains que ces structures rapportent attirent des médecins et d’autres personnes d’horizons multiples vers le métier de l’esthétique.
Cependant, les produits et les actes à visée esthétique ne sont pas exempts de risque sanitaire. On peut citer les prothèses mammaires PIP, les infections localisées voire généralisées après des gestes invasifs mal maîtrisés, la multiplication de cancers de la peau causés par des expositions non contrôlées aux rayonnements des installations de bronzage artificiel. Votre mission constitue en cela un apport essentiel, car elle attire l’attention sur les risques associés à des pratiques que nos concitoyens ont tendance à considérer comme un facteur de bien-être, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles si peu de sénateurs assistent à notre séance aujourd’hui…
Vous avez conduit un travail approfondi. Il serait vain de vouloir résumer en quelques minutes votre analyse et les recommandations qui en découlent. Quelques constats méritent cependant d’être soulignés, car ils déterminent le sens de l’action que nous devons mener.
Premièrement, nous faisons face à une réglementation européenne qui repose plus sur le principe de libre circulation des produits que sur le principe de sécurité des personnes. C’est pourtant ce dernier qui devrait être privilégié s'agissant de produits de santé.
Deuxièmement, le système de mise sur le marché des dispositifs médicaux repose sur la confiance à l’égard du fabricant et sur des organismes de certification peu encadrés et généralement à but lucratif, que le fabricant choisit lui-même selon ses critères. Ce système peut conduire à un nivellement par le bas : c’est ce que vous nommez le « forum shopping ».
Troisièmement, les autorités compétentes ne portent à aucun moment un regard indépendant, transparent et scientifiquement approprié sur les bénéfices et les risques du produit. Ces autorités n’interviennent qu’au moment du remboursement éventuel, mais elles ont alors les yeux du payeur. Ce n’est qu’une fois le produit sur le marché que l’autorité exerce son rôle sur la sécurité sanitaire, et elle n’intervient le plus souvent que lorsque l’alerte est déjà lancée.
Enfin, les actes et dispositifs à visée esthétique échappent la plupart du temps aux procédures permettant de s’assurer qu’ils répondent à des exigences de sécurité sanitaire.
Bien entendu, ces constats sévères n’épuisent pas la richesse de votre analyse. Votre travail vous a conduits à formuler trente-huit recommandations, qui sont toutes le fruit d’un imposant argumentaire. Il est important de noter que la mise en œuvre de ces recommandations impliquerait des actions à plusieurs niveaux : elles concernent à la fois les dispositifs médicaux et les actes à visée esthétique ; elles interpellent aussi bien le niveau national que le niveau européen ; elles prévoient d’intervenir en amont de la distribution des produits ou des actes, mais également de renforcer le contrôle a posteriori.
C’est donc une palette complète de mesures que vous proposez.
Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis que la ministre des affaires sociales et de la santé a pris ses fonctions, la question de la protection des patients et de la sécurité des procédures est sa préoccupation constante. Soyez assurés de sa détermination sans faille à œuvrer pour plus de qualité, et donc plus de sécurité.
Au niveau national – cela répondra sans doute au constat liminaire de Mme Archimbaud –, tous les textes d’application de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé sont maintenant signés, et ceux qui n’ont pas encore été publiés le seront très prochainement.
Je pense en particulier au texte sur l’encadrement de la publicité des dispositifs médicaux, qui était très attendu. Il s’agit d’instaurer un processus d’autorisation préalable de la publicité pour certains dispositifs, notamment les plus à risque. En outre, la saisie de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sera facilitée, et ses moyens de contrôle de certains dispositifs remboursables seront renforcés – elle pourra par exemple effectuer des contrôles inopinés.
Par ailleurs, la loi prévoit l’établissement d’une déclaration d’intérêts par les experts appelés à siéger dans une commission ou un conseil auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, et impose la transparence des liens entre entreprises et partenaires de la santé. Son article 6 met à la charge des entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé, dont les dispositifs médicaux, l’obligation de rendre publique l’existence des conventions qu’elles concluent avec tous les professionnels, y compris les étudiants, exerçant dans le domaine de la santé. Ces entreprises sont également tenues de rendre publics les avantages qu’elles procurent aux acteurs du champ des produits de santé précités.
Marisol Touraine a mis en place un groupe de travail pour finaliser le décret sur la publication des liens et des conventions ; ce décret devrait être rapidement soumis au Conseil d’État.
En ce qui concerne les actes à visée esthétique, Marisol Touraine s’est prononcée fermement, le 23 mai dernier, en faveur d’un durcissement de la réglementation sur les cabines de bronzage ; un décret en ce sens est en cours de finalisation. En effet, la réglementation actuellement applicable à ces appareils ne permet pas d’assurer à tous une protection optimale contre le risque de cancer de la peau. Par exemple, il n’existe aucun dispositif réglementaire permettant aux exploitants de cabines de bronzage d’exiger du client qu’il établisse la preuve de sa majorité, alors même que 3,5 % des quinze - dix-huit ans déclarent avoir eu recours à des séances de bronzage. Avant d’aller plus loin, si cela se révèle nécessaire, nous attendons les conclusions d’un avis de la Haute autorité de santé qui sera rendu courant 2013.
Au niveau européen, cette fois, Marisol Touraine souhaite que la France pèse de tout son poids pour renforcer la sécurité des usagers et assurer la qualité tant des dispositifs que des actes. Elle a déjà rencontré le commissaire Dalli, responsable de la direction générale Santé et protection des consommateurs. Elle s’est récemment entretenue avec ses homologues de Belgique, d’Allemagne, d’Irlande, du Luxembourg et de Pologne, afin d’influer sur les discussions en cours. En effet, le débat est ouvert, puisqu’un projet de règlement européen sur les dispositifs médicaux a été rendu public la semaine dernière.
Ce projet corrige certaines des déficiences que j’ai signalées précédemment. Il conserve le dispositif de la certification mais instaure un renforcement et une harmonisation des organismes notifiés et crée un groupe de coordination formé d’experts des autorités compétentes nationales. Il nous paraît toutefois nécessaire d’aller plus loin s'agissant du mécanisme de contrôle préalable des dispositifs les plus à risque par les autorités compétentes nationales.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les procédures de déclaration des données de sécurité méritent d’être encore précisées. En outre, les procédures de collaboration en matière d’inspections doivent être renforcées.
Au regard de vos recommandations et de notre propre analyse, les propositions de la Commission européenne demeurent insuffisantes, notamment pour garantir la sécurité des dispositifs médicaux les plus à risque. Nous pensons également qu’il faut accélérer le partage d’information entre les autorités compétentes pour qu’elles puissent accomplir leurs missions de police sanitaire de manière efficace.
Il faut que nos concitoyens puissent avoir confiance dans la qualité et la sécurité de notre système de santé. De trop nombreux scandales ayant entamé cette confiance, nous devons la reconstituer Soyez assurés que vos propositions seront étudiées avec une grande attention. Certaines sont déjà sur le point d’être mises en œuvre ; d’autres nécessitent un engagement européen fort ; nous les défendrons auprès des différents États membres, en espérant emporter leur adhésion.
Nous ne devons pas élaborer un arsenal juridique dans la précipitation, après chaque scandale. Nous souhaitons concevoir un dispositif solide, un dispositif qui prenne en compte les risques réels auxquels les Français peuvent être exposés, un dispositif qui responsabilise chaque acteur : les autorités publiques, bien sûr, mais également les professionnels de santé et les entreprises produisant les dispositifs, qu’ils soient médicaux ou à visée esthétique.
Nous voulons mettre en place un système de vigilance performant, pour que les dysfonctionnements éventuels puissent être rapidement détectés et traités avec célérité et efficacité.
Mme la ministre des affaires sociales et de la santé est consciente du travail à accomplir. Votre rapport constitue pour nous une aide précieuse, car il nous indique le chemin qu’il nous faut encore parcourir. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est par un travail conjoint que nous aboutirons. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
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Débat sur la réforme de la carte judiciaire
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la réforme de la carte judiciaire, organisé à la demande de la commission des lois.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité que le Sénat fût saisi en séance plénière de l’important rapport d’information sur la réforme de la carte judiciaire rédigé par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne.
À cette occasion, qu’il me soit permis de souligner, en présence de la nouvelle présidente du groupe CRC, Mme Éliane Assassi, combien Mme Borvo Cohen-Seat aura marqué la Haute Assemblée par la force de ses convictions, son enthousiasme, sa combativité. Il convient de saluer le travail qu’elle a accompli, dont le présent rapport d’information est une nouvelle illustration. Je tenais à lui adresser ces quelques mots du haut de cette tribune, avec beaucoup d’amitié.
Ce rapport d’information s’intitule : « La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée ». Il s’agit en effet d’une occasion manquée, car nul n’a jamais contesté qu’il fallait revoir la carte judiciaire. Cependant, la méthode employée a suscité nombre d’interrogations et de protestations. Ainsi, une organisation syndicale de magistrats a observé que, le jour même où un grand journal du matin publiait la carte complète des juridictions qui allaient bientôt être supprimées, un certain nombre de chefs de cour recevaient du ministère une lettre leur demandant de consulter les magistrats et l’ensemble des personnels sur les évolutions à venir…
À la fin du mois de juin s’est ouverte une large consultation des personnels du ministère de la justice, qui devait être achevée à la rentrée d’octobre. Il n’est pas tout à fait sûr que la période estivale soit la plus favorable pour une telle démarche…
Il y a eu de nombreux ratés. En particulier, le Conseil d’État a considéré que la suppression du tribunal de grande instance de Moulins relevait d’une « erreur manifeste d’appréciation ».
Comme l’ont très justement noté les deux rapporteurs, le Parlement, à notre grand déplaisir, a été laissé de côté. Certes, demander à des parlementaires d’approuver la suppression de juridictions sises dans leur département ou leur circonscription n’est pas chose facile, mais nous pensons que le Parlement doit être associé à une telle réforme et qu’il peut faire preuve de responsabilité en cette matière comme dans les autres.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Au total, 178 tribunaux d’instance ont été supprimés, soit un peu plus du tiers, ainsi que 21 tribunaux de grande instance sur 181, 20 % des conseils de prud’hommes et 30 % des tribunaux de commerce, tandis que 14 juridictions ont été créées.
Il est frappant que, parallèlement, les effectifs du ministère de la justice aient été réduits. On a expliqué que la réforme de la carte judiciaire présenterait des avantages et que les tribunaux seraient mieux répartis sur l’ensemble du territoire. Mais cela était-il possible dès lors que l’on supprimait des postes ? Je lis, à la page 80 de l’excellent rapport de M. Détraigne et de Mme Borvo Cohen-Seat, que « les chiffres agrégés transmis par la chancellerie à vos co-rapporteurs confirment le constat ainsi dressé : la réforme de la carte judiciaire a abouti, pour les tribunaux qu’elle a touchés, à une réduction des effectifs en juridictions, à hauteur de, entre 2008 et 2012, 80 postes de magistrats et 428 postes de fonctionnaires en métropole ».
Je tiens à saluer le fait que le projet de loi de finances adopté en conseil des ministres vendredi dernier prévoie la création de 500 postes au ministère de la justice. En effet, il n’était vraiment pas judicieux de supprimer des postes dans un ministère dont la situation de sous-effectif était connue de tous dans cet hémicycle. Cette décision de recréer des postes est donc tout à fait bienvenue, alors même que, courageusement, le Gouvernement présente un projet de budget élaboré dans un souci de justice,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … réduire de 10 milliards d'euros les dépenses et augmenter de 20 milliards d'euros les impôts ne relevant pas de la facilité. Cela est difficile, courageux et nécessaire.
Il n’est que justice, madame la garde des sceaux, que vous obteniez la création de 500 postes pour votre ministère. Cela étant, il en faudra davantage, mais nous connaissons votre détermination.
Me tournant maintenant vers l’avenir, je voudrais souligner que la mise en œuvre de certaines des mesures accompagnant la réforme de la carte judiciaire n’ont pas donné les résultats espérés.
Je pense en particulier aux audiences foraines, dont on a pu constater, sur le terrain, qu’elles n’étaient pas une panacée. Dans bien des cas, on y a d’ailleurs renoncé.
De même, s’il est bien sûr positif de créer des maisons de justice et du droit – en dépit du fait que, bien souvent, ce sont les collectivités territoriales qui fournissent les locaux –, elles ne peuvent cependant pas suppléer l’absence de magistrats ou de juridictions.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons être vigilants à cet égard. Je connais une maison de justice et du droit qui fonctionne très bien, au point qu’on lui a demandé d’assurer des consultations par internet et par vidéo dans tout le département. Seulement, la demande étant très forte, il est nécessaire de créer des postes…
Par ailleurs, nous pensons qu’il serait utile de réfléchir à la réforme des cours d’appel.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne sais pas quelles sont vos intentions sur ce sujet, madame la ministre.
Il n’existe aucune cohérence entre le ressort des cours d’appel et la carte des régions. Ainsi, monsieur Détraigne, j’ai lu dans votre rapport que le ressort de la cour d’appel de Paris s’étendait jusqu’à Auxerre ! Des pôles interrégionaux ont été créés : certains magistrats se sont demandé s’il ne s’agissait pas là d’une réforme rampante des cours d’appel. Nous pensons donc que cette question doit être abordée de front.
Il nous paraît également nécessaire de nous saisir de la question de la justice de proximité. La commission des lois devra y travailler. Le rapport préconise la création de tribunaux de première instance, qui se substitueraient à la fois aux tribunaux de grande instance et aux tribunaux d’instance. Il faut étudier comment assurer une meilleure justice de proximité dès lors que les juges de proximité auront été supprimés. Nous avions émis de fortes réserves sur la création de ces derniers, estimant préférable de créer, tout simplement, des juges d’instance. Cependant, force est de reconnaître que les juges de proximité ont beaucoup travaillé au cours des dernières années et traité nombre d’affaires. Dans ces conditions, on s’interroge, dans certains tribunaux d’instance et de grande instance, sur les conséquences de leur suppression.
Il serait intéressant de connaître vos intentions concernant la justice de proximité, madame la garde des sceaux. La commission des lois pourrait sans aucun doute contribuer à une réflexion sur ce sujet. Selon nous, la justice de proximité doit certainement être généralisée. Quant à l’idée d’un guichet unique de greffe, également préconisée par les rapporteurs, elle pourrait être examinée.
Pour conclure, je veux souligner que la commission des lois a présenté, au cours de cette dernière année, neuf rapports d’information. Je tiens à saluer mon prédécesseur, Jean-Jacques Hyest, qui a été à l’origine de la définition de leurs thèmes. Nous avons beaucoup travaillé. De façon significative, la commission des lois a décidé que chaque groupe de travail aurait pour rapporteurs un sénateur de la majorité et un de l’opposition. Cette méthode n’était pas habituelle au sein de notre assemblée. Bien sûr, il y a débat, mais la discussion débouche presque toujours sur des positions convergentes, au moins pour ce qui concerne le constat. Cela est important, car un constat partagé a une plus grande crédibilité. Nous l’avons encore vu, monsieur Thani Mohamed Soilihi, avec les rapports sur Mayotte et sur la Réunion : chacun assume les constats qui ont été établis, ce qui permet d’avancer, me semble-t-il.
En tout cas, je suis persuadé que le travail tout à fait remarquable accompli par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne contribuera, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à nourrir la réflexion du Gouvernement et du Sénat, en vue d’instaurer une meilleure justice dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l’UCR.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur du groupe de travail sur la réforme de la carte judiciaire. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avant de vous présenter les principales observations contenues dans le rapport sur la réforme de la carte judiciaire qui a été publié le 12 juillet dernier, je tiens à souligner à mon tour que ce document est le fruit d’un travail mené conjointement avec Nicole Borvo Cohen-Seat, qui entre-temps a quitté notre assemblée. Notre collaboration s’est établie aisément, et les propos que je vais tenir sont partagés par les deux rapporteurs.
Si je me réjouis évidemment qu’un débat public ait pu être organisé sur un sujet aussi important, qui a fait réagir de nombreux élus et acteurs du monde judiciaire, je regrette toutefois qu’il ait lieu un jour et à une heure où, malheureusement, peu de nos collègues sont présents au Sénat. Je remercie donc d’autant plus vivement ceux qui participent à cette discussion.
Le rapport que nous avons rédigé s’intitule « Réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée ». Je voudrais partager avec vous les constats et les réflexions qui nous ont amenés à porter cette appréciation mitigée.
Oui, une réforme de la carte judiciaire était nécessaire ! Rappelons que cette carte datait, pour l’essentiel, de 1958 et que, depuis cette date, la répartition démographique et sociologique de la population de notre pays a beaucoup évolué, sans parler des comportements individuels et collectifs et des contentieux en découlant, ni de notre corpus législatif et réglementaire, qui, dans le domaine de la justice notamment, a été fortement remanié depuis une dizaine d’années.
La réforme a réduit de près du tiers le nombre des implantations judiciaires dans notre pays ; on en compte aujourd’hui 819, contre 1 206 auparavant. Les suppressions ont touché principalement les tribunaux d’instance, dont plus du tiers a disparu – on en compte aujourd’hui 298, contre 476 il y a quatre ans –, beaucoup moins les tribunaux de grande instance, qui sont encore au nombre de 160, contre 181 en 2008. Quelque 20 % des conseils de prud’hommes et 30 % des tribunaux de commerce ont également été supprimés, ainsi que la quasi-totalité des greffes détachés.
Même si quelques juridictions ont aussi été créées et si l’on n’a pas touché à l’implantation des cours d’appel – le président de la commission des lois a fait part des interrogations, largement partagées, que suscite ce statu quo –, il est incontestable qu’une révision de la carte judiciaire était nécessaire et que la réforme menée a été de grande ampleur.
Sans m’attarder sur le passé, je voudrais revenir rapidement sur la méthode qui a été utilisée et, plus largement, sur le bilan contrasté que l’on peut dresser.
En ce qui concerne la méthode employée, force est de le constater, la concertation avec le monde judiciaire et les élus des territoires a été menée au pas de charge…
M. Roland Courteau. En effet !
M. Yves Détraigne, rapporteur. … et le Gouvernement a mis en œuvre la réforme qu’il avait prévue sans tenir compte de la plupart des observations qui ont pu lui être adressées, d’où qu’elles viennent.
La concertation nationale a été inexistante. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que le comité consultatif de la carte judiciaire a été réuni une seule fois par la garde des sceaux de l’époque, le 27 juin 2007, le jour même de l’annonce de la réforme qui devait entrer en vigueur sept mois plus tard… De plus, je le redis après le président de la commission des lois, la concertation était censée se dérouler du 27 juin au 1er octobre, soit principalement pendant la période estivale. Quant aux concertations à l'échelon local, qui ont été conduites par les chefs de cour et les préfets et furent dans l’ensemble assez riches, force est de constater que leur résultat a rarement été pris en compte, hélas.
Dans ces conditions, les mesures de suppression annoncées ne pouvaient qu’être vécues difficilement, voire douloureusement dans certains secteurs.
M. Roland Courteau. Ce fut le cas !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Il n’est donc pas étonnant que 200 recours aient été déposés devant le Conseil d’État.
Certains penseront sans doute – je me suis d'ailleurs moi-même interrogé sur ce point à l’époque – que c’était là le plus sûr moyen de faire aboutir un dossier aussi complexe, chaque élu ou presque défendant « son » tribunal. Toutefois, il faut le reconnaître, en voulant éviter le débat, le Gouvernement a mis en œuvre une réforme qui suscite un certain nombre de critiques.
Premièrement, si le choix de réaliser la réforme par décret a permis d’aller vite, il a forcément limité celle-ci à la définition du nombre et du lieu des implantations judiciaires, sans permettre de poser la question de l’organisation de notre système judiciaire et de la répartition des contentieux. Or, dans le même temps, se discutaient ou se mettaient en place des réformes très importantes, telles que la création des pôles de l’instruction, qui imposait de regrouper les juges d’instruction, ou la réforme de la protection juridique des majeurs, qui, avec la révision des tutelles, augmentait la charge des tribunaux d’instance, sans parler de la réforme de la répartition des contentieux, qui était en gestation.
Deuxièmement, la réforme de la carte judiciaire a été conçue sans coordination avec celle des implantations administratives liées à la révision générale des politiques publiques, qui avait déjà été engagée.
Il en est résulté que, dans bien des villes moyennes, la disparition du tribunal d’instance a renforcé le sentiment d’abandon du territoire qu’avait déjà suscité, au cours des années précédentes, la disparition du comptoir de la Banque de France, du centre des finances publiques, de l’hôpital ou du régiment. Le ressentiment a été d’autant plus fort que la ville hébergeait souvent gracieusement le tribunal dans des locaux qui lui appartenaient.
Troisièmement – et c’est sûrement la critique majeure que l’on peut faire à cette réforme –, l’objectif de la rationalisation de la carte judiciaire, certes nécessaire, a primé sur celui de la proximité avec le justiciable.
L’idée centrale – pertinente, je dois le reconnaître – était de faire prévaloir l’exigence de qualité de la justice sur celle de proximité. Il s’agissait de lutter contre l’isolement de certains juges et d’améliorer la qualité de la justice en créant sur l’ensemble du territoire des juridictions de taille suffisante, afin d’atteindre un seuil minimal d’activité, de faciliter les échanges entre magistrats ainsi qu’une plus grande spécialisation, de mutualiser les moyens, bref de rationaliser.
La proximité au sens géographique du terme a donc laissé place à une proximité nouvelle, illustrée, comme l’a souligné le président de la commission des lois, par les maisons de justice et du droit ou les points d’accès au droit, une borne de visioconférence permettant au justiciable, là où le tribunal a disparu, d’accéder à l’information et d’être orienté.
Néanmoins, comme nous avons pu le constater à Hazebrouck et à Saint-Gaudens, en particulier, ces bornes ne remplacent pas le dialogue direct pour des publics fragiles qui n’ont aucune connaissance du droit et sont un peu perdus devant ces outils numériques. Ce dispositif sera parfait dans vingt ans, j’en suis certain, mais, pour l’instant, on essuie les plâtres.
Certes, il nous a été objecté que l’on a très rarement affaire à la justice dans son existence et que, le jour où l’on doit aller au tribunal, on s’organise, quelle que soit la distance à parcourir. Toutefois, un tel déplacement demeure un problème pour les personnes en situation de précarité, qui ne disposent pas forcément de moyen de locomotion ni de transport en commun : pour elles, se rendre à un tribunal désormais éloigné de 60 à 80 kilomètres constitue une véritable difficulté. De plus, il faut avoir à l’esprit que certains « contentieux du quotidien », tels que les affaires familiales, d’endettement ou de tutelle, peuvent imposer de se rendre plusieurs fois au tribunal. Cette situation a aussi des conséquences, évidemment différentes, pour les avocats des barreaux disparus, qui perdent du temps.
Bon nombre de décisions ou d’arbitrages rendus à propos de la carte judiciaire ont donc été contestés sur la base de ces impératifs de proximité et d’accessibilité, comme nous avons pu le constater au cours de notre enquête, par exemple en zone de montagne – ainsi les populations des Pyrénées centrales, depuis la disparition du TGI de Saint-Gaudens, doivent aller jusqu’à Toulouse (M. Bertrand Auban applaudit.) – ou dans le Bassin parisien – les populations du sud-ouest marnais sont affectées par la suppression du tribunal d’instance d’Epernay –, sans parler de la suppression du TGI de Moulins, décidée contre toute logique et sans véritable lien avec les critères annoncés. Ce dernier cas est d’ailleurs le seul, sur 200 recours, pour lequel le Conseil d’État ait annulé la décision prise.
Je ne m’attarderai pas sur le volet immobilier de la réforme, qui a constitué une occasion de moderniser les locaux existants ou de construire de nouveaux bâtiments.
Le coût apparent de la réforme dans le domaine immobilier est de 340 millions d’euros, sur les 900 millions d'euros initialement prévus, et les projets ont été menés aussi rapidement qu’il était possible. Reste à savoir ce qu’il en sera des surcoûts potentiels liés à l’abandon de bâtiments mis gracieusement à la disposition de la justice par les collectivités locales, au profit de la location de bâtiments nouveaux, dont le coût est jusqu’à présent financé sur des crédits spécifiques ouverts dans le cadre de la réforme, qui ne devraient normalement pas être reconduits. Madame la garde des sceaux, peut-être pourrez-vous nous donner quelques précisions sur ces aspects financiers de la réforme.
S’agissant de l’accompagnement des 1 800 agents –400 magistrats et 1 400 fonctionnaires – qui ont été concernés par la réforme en raison de la disparition de leur juridiction, un plan important a été mis en place, mais il n’a pas réglé, loin de là, toutes les situations individuelles de fonctionnaires contraints, par exemple, de faire près de deux heures de trajet chaque jour pour rejoindre leur nouvelle juridiction, ce qui représente pour eux un surcoût et une fatigue supplémentaire non négligeables.
Je voudrais d’ailleurs rendre hommage aux personnels magistrats, mais surtout non magistrats, la mobilité ne faisant pas nécessairement partie du cursus professionnel de ces derniers, pour l’implication personnelle et le sens de l’intérêt général dont ils ont su faire preuve afin d’assurer la continuité de la justice dans un contexte souvent difficile.
Au final, on peut regretter que cette réforme, pour importante qu’elle fût, n’ait pas pris en compte certains enjeux qui auraient mérité de l’être.
Certes, l’objectif de rationalisation des implantations judiciaires a été atteint. Tous les TGI enregistrent désormais plus de 2 500 affaires nouvelles par an et il ne restait plus, en 2011, que deux tribunaux d’instance ayant enregistré moins de 500 nouvelles affaires civiles, alors qu’une centaine de tribunaux étaient dans ce cas auparavant.
Toutefois, à l’inverse, des juridictions comme les TGI de Guingamp et de Rochefort, qui présentaient des chiffres d’activité nettement supérieurs aux minima requis, ont malgré tout été supprimées, afin de favoriser la concentration des moyens ou d’approcher l’objectif d’un tribunal de grande instance par département.
Dans certains cas, le fait d’atteindre une taille critique a pu permettre une nouvelle organisation et la réduction des délais d’audiencement, comme à Dunkerque, où le regroupement avec le TGI d’Hazebrouck a rendu possible la création d’une troisième chambre civile dédiée à la famille.
Cependant, en donnant la primauté aux suppressions et aux concentrations sur les réajustements de ressort, la réforme a écarté toute réflexion sur la taille optimale des juridictions et le désengorgement de certains tribunaux surchargés. Le plus bel exemple, à cet égard, est celui du tribunal d’instance de Bordeaux, qui a absorbé trois des quatre tribunaux d’instance supprimés en Gironde, alors même qu’il était déjà le tribunal d’instance présentant le plus fort taux d’activité de France. Son stock de dossiers en attente n’a donc pu que s’accroître…
De même, loin de se résumer à des redéploiements d’effectifs, la réforme de la carte judiciaire a abouti, comme l’a signalé M. le président de la commission des lois, à la suppression, entre 2008 et 2012, de 80 postes de magistrats et de 428 postes de fonctionnaires. Cela donne à penser qu’un objectif comptable a parfois prévalu, au détriment du bon fonctionnement de la justice et de l’intérêt du justiciable.
Certes, toutes les suppressions de tribunaux opérées n’étaient pas injustifiées, tant s’en faut. Néanmoins, ce qui fait débat aujourd’hui, c’est clairement le défaut de prise en compte des spécificités territoriales, notamment des difficultés de déplacement. Cela conduit à parler, pour certains secteurs, de « déserts judiciaires ». Je pense, par exemple, à la Bretagne intérieure, où il n’y a plus de présence judiciaire depuis la suppression des tribunaux d’instance de Loudéac, de Pontivy et de Ploërmel, ou à l’Auvergne, où toute une zone allant de Clermont-Ferrand au Puy-en-Velay se trouve dans la même situation à la suite de la suppression des tribunaux d’instance d’Issoire, d’Ambert et de Brioude…
Ce bilan mitigé étant dressé, que devons-nous envisager pour remédier aux problèmes que j’ai évoqués ? Quelles pistes faut-il suivre pour l’avenir ?
Premièrement, je veux souligner, avec Nicole Borvo Cohen-Seat, que l’institution judiciaire a maintenant besoin d’une pause pour « digérer » les réformes de ces dernières années. Toute réforme future de la carte judiciaire devra être débattue préalablement au Parlement, pour assurer l’élaboration d’une vision d’ensemble, et pas seulement géographique, de notre organisation judiciaire.
Deuxièmement, on peut remédier aux dysfonctionnements constatés dans certains secteurs à la suite de la mise en place de la nouvelle carte en se donnant les moyens, là où c’est nécessaire, de pouvoir organiser des audiences foraines, voire, dans quelques cas, en envisageant la création d’une chambre détachée. Beaucoup d’acteurs du monde judiciaire conviennent que l’audience foraine est une formule qui peut être intéressante dans certains secteurs où il n’y a plus de présence judiciaire, mais son organisation est lourde, car elle nécessite en quelque sorte de déplacer le tribunal. Il faut réfléchir aux moyens de faciliter la tenue de ces audiences foraines.
Surtout, nous préconisons, au nom de la proximité, de la simplification et de la clarification de l’organisation des juridictions de première instance dont a à l’évidence besoin le justiciable, que l’on explore la piste de la création du « tribunal de première instance », qui semble recueillir l’assentiment de la plupart des organisations représentatives du monde judiciaire.
En permettant, notamment, de saisir une juridiction, quelle qu’elle soit, directement auprès du greffe le plus proche du justiciable et en mutualisant l’ensemble des moyens au sein d’une même juridiction, cette formule rapprocherait le justiciable de la justice et permettrait aux chefs de juridiction d’adapter les moyens aux besoins constatés.
C’est donc aussi sur cette proposition que je souhaite, madame la ministre, connaître l’état de vos réflexions. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat, organisé sur l’initiative de la commission des lois du Sénat pour faire suite à l’important rapport, qu’elle a approuvé, cosigné par mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne. Ils ont accompli un travail complet et remarquable.
Durant ses dix-sept années de mandat sénatorial, Nicole Borvo Cohen-Seat s’est attachée, avec toute la force de ses convictions, au travers de ses écrits, de ses interventions, de ses amendements et parfois de ses interpellations, à combattre toute forme d’entrave à l’accès à la justice pour tous, sans lequel il n’y a plus de droits fondamentaux. Ceux-ci ne sont en effet pas effectifs si leur non-respect ne peut être sanctionné par un juge.
Le titre choisi par nos deux rapporteurs – « La réforme de la carte judicaire : une occasion manquée » – est révélateur, me semble-t-il, du peu de cas dont la majorité d’hier, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, a fait de ce principe.
D’ailleurs, la réforme de la carte judiciaire n’est qu’un exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice. Menée dans la précipitation, sans concertation réelle avec les organisations syndicales, elle a visé un objectif exclusivement comptable, qu’elle n’a même pas atteint, du fait de son coût. Elle a bel et bien entraîné, en revanche, une dégradation des délais de traitement des affaires et de l’accessibilité de la justice. Le rapport d’information cosigné par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne le montre parfaitement. Il démontre en outre comment cette réforme a abouti à une suppression nette de postes de magistrat ou de greffier. Au nom de la sacro-sainte RGPP, 80 postes de magistrat et 428 postes de fonctionnaire ont été supprimés entre 2008 et 2012, sous couvert d’économies. C’est un choix politique qui vise selon nous à casser le service public.
Ce rapport montre également que la concentration des tribunaux s’est faite de manière aveugle. En général, le niveau d’activité a été le seul critère retenu pour décider du maintien ou de la fermeture des juridictions. Il n’a été tenu aucun compte, ou presque, du critère d’éloignement géographique ou de l’existence de difficultés de communication, qui auraient pourtant dû être déterminants.
Cette concentration a été aveugle et aussi parfois incohérente, puisque certaines juridictions qui présentaient des chiffres d’activité nettement supérieurs aux minima requis par la garde des sceaux de l’époque ont tout de même été supprimées.
C’est ainsi que s’est opérée la suppression de près du tiers des implantations judiciaires, alors que, en parallèle, l’activité judiciaire s’est accrue, notamment en raison de la multiplication des réformes pénales.
Cette situation est d’autant plus préjudiciable que les structures concernées sont principalement des juridictions de proximité. L’éloignement des juridictions compétentes pour les petits litiges décourage le justiciable de saisir le juge. Le principal effet négatif est donc d’entraver l’accès à la justice.
Le rapport envisage des pistes de réflexion en vue de pallier ces nombreux dysfonctionnements. Chacune d’entre elles comporte des inconvénients.
Ainsi, l’organisation d’audiences foraines pose des problèmes d’ordre matériel et nécessite le déplacement de nombreux auxiliaires de justice. Or ces derniers ne sont pas en nombre suffisant et leur charge de travail est déjà très lourde.
De même, la création ou le maintien, à la place du tribunal supprimé, d’une structure plus légère – une maison de justice et du droit, une antenne juridique ou une borne de visioconférence permettant d’échanger ponctuellement avec un représentant du greffe – ne règle que partiellement le problème.
Ces pistes peuvent donc être envisagées, mais seulement le temps d’aboutir à des solutions pérennes, qui devront être élaborées en totale concertation avec les professions judicaires, quelque peu malmenées sous l’« ère Sarkozy ». Les professionnels de la justice auditionnés par nos rapporteurs ont d’ailleurs souligné à quel point ils se sont sentis négligés, voire méprisés.
Le rapport rend hommage à ces personnes qui ont rempli leur mission tant bien que mal, en dépit des atteintes portées à leurs conditions de travail, parfois même à leurs conditions de vie, et ainsi montré leur dévouement. Je voudrais m’associer à cet hommage.
Il est aujourd’hui de la responsabilité du Gouvernement de s’approprier les conclusions de ce rapport, qui a été adopté à l’unanimité par la commission des lois. Nous veillerons, dans un premier temps, à ce qu’elles trouvent un prolongement dans la loi de finances pour 2013. Si la création de 500 postes est confirmée, nous nous en réjouirons, même si cela ne saurait suffire au regard de l’ampleur des besoins. Ensuite, une réflexion globale devra être menée sur les thèmes de la proximité judiciaire, de l’organisation judiciaire ou de la spécialisation des magistrats.
Tous les moyens devront être mis en œuvre, car, en matière de justice, on ne saurait faire d’économies ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’il fallait certes réformer la carte judiciaire, nous ne pouvons aujourd’hui que constater que cette réforme a été conduite dans de mauvaises conditions, à la hussarde, avec un simulacre de concertation dans les ressorts de cour d’appel. Je le dis d’autant plus simplement que je l’ai vécu. En réalité, nous avons assisté à une déclinaison de la RGPP dans le domaine de la justice.
La justice, nous le savons tous, s’adresse aux citoyens. Elle est faite pour eux, c’est un des socles de notre société républicaine. La justice est rendue au nom du peuple français, par des magistrats, avec le concours des greffiers.
Le peuple français a-t-il trouvé son compte dans la nouvelle carte judiciaire ? Non ! Les magistrats pas davantage, non plus que les greffiers. Quant aux avocats, on peut dire qu’ils ont été aux « abonnés absents » après la création des pôles d’instruction, qui a eu des conséquences graves dans un certain nombre de territoires ruraux en termes de proximité. En outre, certains barreaux ont purement et simplement disparu. L’accès à la justice pénale devient donc de plus en plus difficile pour nos concitoyens.
Les Français ont besoin d’une justice de proximité, de magistrats, d’auxiliaires de justice, de professionnels au fait de leurs problèmes et accessibles. La proximité permet, de manière privilégiée, de régler rapidement les conflits, souvent de les éteindre ou en tout cas d’en atténuer le feu.
Il est possible de fusionner des cours d’appel, comme l’a fait M. Migaud, premier président de la Cour des comptes, pour les chambres régionales des comptes. En effet, on plaide une ou deux fois dans sa vie devant une cour d’appel : il n’est pas insupportable de devoir faire 100 kilomètres de plus pour s’y rendre.
En revanche, supprimer des tribunaux d’instance –hormis le cas de ceux qui n’avaient presque plus d’activité – revient à priver le citoyen de l’accès naturel à la justice. Souvenons-nous que la procédure civile devant le tribunal d’instance constitue une tentative de conciliation : le premier des médiateurs, c’est le juge d’instance.
Par ailleurs, on a oublié que les dossiers de tutelle se multiplient, du fait que nos concitoyens vivent de plus en plus vieux. À cet égard, il est catastrophique d’éloigner le citoyen de la juridiction de base.
Ce fut une politique de Gribouille. Après la création des juridictions de proximité sous la présidence de M. Chirac, l’ère du Président Sarkozy a vu la suppression de 178 tribunaux d’instance, soit presque 40 % d’entre eux, donc de la proximité. Voilà quelques mois, nous avons assisté à la suppression de la juridiction de proximité, les juges de proximité étant transformés en supplétifs de la juridiction correctionnelle, dans laquelle on a ensuite tenté d’introduire des citoyens assesseurs. Tout cela n’est pas raisonnable, et je l’avais dit à l’époque. Ce n’est pas là une politique judiciaire, et les effets sont négatifs, notamment au travers de l’expansion de ce que l’on a appelé les déserts judiciaires.
En ce qui concerne les magistrats, 80 postes ont été supprimés, dont 76 dans la loi de finances pour 2011, alors qu’on en manque cruellement, nous le savons tous. Quant aux greffiers, 447 postes ont été supprimés en trois ans ; on sait la dégradation du fonctionnement de nombre de nos greffes.
Je conclurai ma courte intervention en soulignant que le vrai problème, aujourd’hui, c’est celui de l’accès à la justice, particulièrement prégnant dans nombre de départements ruraux. Madame la garde des sceaux, épargnez-nous les audiences foraines : nous ne sommes plus au Moyen Âge !
Quant au projet de tribunal de première instance, la mise en place d’une telle juridiction peut faciliter l’organisation, le travail des magistrats et des greffiers, mais il convient de veiller à ce qu’elle n’aggrave pas le problème d’éloignement de nos concitoyens de la justice que j’évoquais à l’instant.
Madame la garde des sceaux, la justice a besoin de davantage de moyens, et non pas d’une accumulation de nouveaux textes ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’UCR, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais saluer à mon tour la qualité du travail accompli par les rapporteurs. Je formulerai un seul petit regret : il n’y a pas, dans leur rapport, de comparaison du coût de fonctionnement de la justice entre les pays ; j’y reviendrai.
La réforme de la carte judiciaire a été purement matérielle, sans doute parce que raisonner en termes de bâtiments est plus facile, plus rapide que prendre de la hauteur pour repenser le rôle des tribunaux, l’organisation judiciaire et la répartition des contentieux.
Certes, une réforme partielle de la répartition des compétences a été engagée, mais postérieurement à la réforme de la carte : on a ainsi mis sur l’ossature de la répartition des tribunaux dans l’espace des habits qui n’étaient pas à sa taille, soit trop grands soit trop courts.
De même, l’adéquation entre la carte judiciaire civile et la carte judiciaire administrative n’a pas été repensée : ainsi, en matière de justice civile, l’Yonne relève de la cour d’appel de Paris, alors qu’elle dépend de celle de Dijon en matière de justice administrative !
La méthode choisie, quant à elle, ressortit davantage à une course de vitesse qu’à une réflexion posée et partagée.
Certes, le mot « concertation » a été prononcé par la ministre de l’époque, mais plus comme une incantation contre un éventuel reproche de jacobinisme que comme l’expression d’une volonté sincère, tant a été chichement mesuré le temps qui lui était imparti.
Les chefs de juridiction, auxquels il convient de rendre hommage, procédèrent malgré tout à une concertation, mais la réforme n’a pas tenu compte de toutes leurs propositions.
Cette réforme aurait dû avoir pour unique objectif de réorganiser les moyens et les services afin de permettre une meilleure prise en compte géographique et territoriale des besoins de justice. Or votre rapport, monsieur Détraigne, montre clairement que les considérations quantitatives, voire financières, ont primé sur les impératifs qualitatifs. La justice n’est pas fille de peu de vertu ; on ne peut s’accommoder de réorganiser ses palais en ne prenant en considération que les coûts de ceux-ci.
La réforme de la carte judiciaire, dans sa conception même, est donc passée à côté des objectifs qui doivent guider une politique ambitieuse du service public de la justice : assurer une justice de proximité, simple, rapide, efficace, compréhensible par tous et indépendante. Ces objectifs ont été mis à mal au nom d’« impératifs » de coûts ou de sécurité.
Cette réforme a eu pour conséquence de créer des déserts judiciaires : ainsi, il faut plus d’une heure pour se rendre en voiture au TGI de Melun depuis Provins, alors que le tribunal de commerce et celui d’instance de cette ville ont été supprimés, et il faut plus de deux heures et demie pour faire ce trajet en train, en passant par Paris… Le train est pourtant encore, me semble-t-il, un mode de déplacement quelque peu « couru ».
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a le réseau Seine-et-Marne Express !
Mme Hélène Lipietz. Certes, mais ce n’est pas le train !
Ainsi, faire valoir ses droits en Seine-et-Marne alourdit le bilan carbone de la France et le budget de transport des plus pauvres.
Le maillage des moyens de transport ou les spécificités géographiques et naturelles des territoires n’ont pas été pris en compte pour la détermination des tribunaux supprimés. Les justiciables peuvent donc parfois en venir, comme le montre excellemment le rapport, à renoncer à faire valoir leurs droits. Ce résultat est certes intéressant pour faire baisser le nombre de contentieux, mais était-ce bien là le but de la réforme ?
Le justiciable peut, s’il le souhaite, prendre un avocat : en quatre ans, le nombre d’avocats à Avallon, dans l’Yonne, est passé de deux à six. Pourtant, les avocats n’étaient pas nécessairement demandeurs de tels déplacements, notamment parce qu’eux-mêmes rencontrent le problème de transport que j’évoquais : faut-il rappeler que la rémunération de la garde à vue et l’aide juridictionnelle ne prennent pas en compte des frais de transport pour aller d’un bout à l’autre du département ? Un recours a d’ailleurs été déposé devant le Conseil d’État contre le décret sur l’indemnisation de la garde à vue précisément pour cette raison.
Ces « trous » dans le maillage judiciaire de notre territoire créent de fait une rupture d’égalité entre les citoyens. Cette situation, qui renvoie à la période prérévolutionnaire, ne doit pas être tolérée dans notre pays.
Des « palliatifs » ont été imaginés pour donner à croire qu’il n’existerait pas de déserts judiciaires, notamment les points d’accès au droit et les maisons de justice et du droit, dont le fonctionnement dépend, sur le plan financier, de la bonne volonté des territoires.
L’État se décharge ainsi de sa mission régalienne de justice sur les échelons locaux, et souvent sans leur déléguer les moyens financiers et humains afférents : en Seine-et-Marne, un projet de maison de justice et du droit est resté plus de deux ans dans les cartons, car les maires concernés ne savaient pas se mettre d’accord. Là encore, il y a un risque manifeste de rupture d’égalité entre les citoyens sur le territoire !
La situation actuelle mérite donc bien de faire l’objet d’une évaluation comme celle que présente le rapport, et il faudra que le ministère de la justice et notre assemblée, plus particulièrement sa commission des lois, se saisissent pleinement de ces sujets, afin de rétablir une véritable justice de proximité dans notre pays.
Il faudrait aussi que l’organisation des juridictions administratives soit revue ; elles souffrent des mêmes maux que les institutions judiciaires.
Enfin, il est heureux que le ministère de la justice ait des fonctionnaires à la hauteur : à une époque où leur nécessité est souvent remise en cause, il convient de saluer leur dévouement. Je tiens pour ma part à les remercier, puisque le rapport souligne que la réforme n’aurait pu être mise en place aussi vite s’ils étaient moins efficaces.
Le rapport cosigné par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Détraigne vient conforter celui de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, organisme indépendant du Conseil de l’Europe : ce rapport sur l’état des systèmes judiciaires européens, paru le 20 septembre dernier, fait apparaître que la France ne consacre à la justice, hors budget pénitentiaire, que 60,50 euros par an et par justiciable, soit moitié moins que les Pays-Bas. En matière de charge de travail, il suffit de rappeler que les procureurs et les substituts français doivent en moyenne traiter 2 533 affaires par personne et par an, la moyenne européenne étant de 615 ! Les procureurs français classent donc 87 % des procédures, alors que ce taux n’est que de 44 % aux Pays-Bas, par exemple.
En conclusion, la commission des lois est loin d’avoir épuisé les voies de réflexion que nous ouvre ce rapport. Je serai toujours ravie de vous retrouver, madame la ministre, pour disséquer vos textes, mais cela sera-t-il nécessaire ? En effet, je suis sûre que, pour votre part, vous ne manquerez pas l’occasion de réformer la justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner que, si le rapport a été adopté à l’unanimité de la commission des lois, cela signifie simplement que celle-ci a autorisé sa publication ; nous n’avons pas discuté de certains aspects de ce document, sur lesquels nous pourrions débattre à perte de vue.
Tout le monde est d’accord : il faut réformer la carte judiciaire. Or cela fait longtemps qu’il en est question. Au Sénat, des rapports remarquables ont été établis, notamment par MM. Haenel et Arthuis, puis par MM. Fauchon et Jolibois, préconisant de réformer la carte judiciaire. Mais cela n’est pas facile !
Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de vous rappeler que, en son temps, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a voulu revoir la répartition des forces de police et de gendarmerie sur le territoire. Il a demandé aux préfets de consulter les élus, et il en est résulté que, alors qu’il était déterminé à mener cette réforme, il a dû y renoncer parce que chaque élu voulait garder sa brigade de gendarmerie, ce qui était absolument irrationnel ! Cette question a donné lieu à une succession de projets depuis des années.
Pour la justice, c’est encore pis. Quelques correctifs sont intervenus. Il y a ainsi eu la réforme Poincaré, qui a supprimé nombre de sous-préfectures – peut-être allons-nous encore entendre parler des sous-préfectures, il en est parfois question dans certains milieux –, et la réforme de 1958. À cet égard, un tribunal que je connais bien a failli être supprimé deux fois ; il a résisté, parce qu’il a été prouvé qu’il avait une activité considérable…
Des postes ont effectivement été supprimés : c’est l’effet de la révision générale des politiques publiques, et non pas de la réforme de la carte judiciaire. On peut dire ce qu’on veut, mais il faut être honnête : le nombre des magistrats et des greffiers a augmenté pendant un certain nombre d’années, le budget de la justice connaissant une croissance supérieure à celle du budget de l’État. Lorsque j’ai été élu député, en 1986, le budget de la justice ne représentait que 1,26 % de celui-ci. Les choses se sont un peu améliorées, mais ce n’est jamais assez.
Par conséquent, tout le monde était d’accord pour dire qu’une réforme de la carte judiciaire était nécessaire. Je cite souvent l’exemple du tribunal d’instance de Bazas, qui était l’un des très nombreux tribunaux d’instance de la juridiction de Gironde, dont la richesse en la matière est sans doute due au fait que ce territoire a vu naître Montesquieu et accueille l’École nationale de la magistrature ! Pour une raison que j’ignore, il en est exactement de même en matière de police.
Je reconnais que la concertation n’a certainement pas abouti. Les chefs de cour ont tout de même globalement été suivis. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme.) Mais ce qui m’a surpris dans la réforme, c’est que l’on supprime des tribunaux d’instance, même s’il en est dont je ne pleure pas la disparition parce qu’en fait ils n’avaient pratiquement plus d’activité. Ils existaient surtout sur le papier ; il y avait une audience de temps en temps, ce n’était pas des audiences foraines parce qu’elles se déroulaient à l’intérieur du tribunal, mais c’était un peu cela. Dans ces tribunaux d’instance, que certains ont évoqués, le juge d’instance ne venait pas souvent. Voilà un point qu’il me paraît nécessaire d’avoir à l’esprit.
Ce qui m’a également beaucoup surpris, dans la réforme, c’est le faible nombre de tribunaux de grande instance ayant été supprimés. Mais ce qui m’a vraiment épaté, c’est que l’on ne s’attaque pas aux cours d’appel.
M. Jacques Mézard. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi ? En matière de juridictions administratives, on s’est par exemple aperçu que les délais de jugement du tribunal administratif de Versailles étaient considérables. On a donc créé un tribunal administratif à l’est de la région d’Île-de-France. De même, le ressort de la cour d’appel de Paris couvre un territoire énorme : il comprend tout l’est parisien, où l’on trouve d’ailleurs les plus grands tribunaux de France – Bobigny, Créteil, Nanterre –, et va jusqu’à l’Yonne, comme l’a tout à l'heure fait remarquer l’une de nos collègues.
Un autre cas que vous connaissez bien, madame le garde des sceaux, c’est celui de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dont les délais sont incroyablement longs. Il me semble qu’il en va de même pour celle de Douai.
Je le répète, on aurait peut-être pu s’attaquer aussi aux cours d’appel, certaines d’entre elles disposant – je ne le dis pas cela pour être méchant – de marges de productivité.
La réforme n’est pas parfaite, c’est vrai, mais elle était nécessaire et utile. Des moyens y ont été affectés, et ils ont permis d’améliorer la condition de certains tribunaux. Je voudrais rappeler les propos du premier président de la cour d’appel de Douai, qui soulignait un point important : « Une juridiction trop petite rencontre des difficultés dans la gestion quotidienne des ressources humaines. Mobilité des magistrats, remplacement des agents, temps partiel, congés de maladie sont causes de difficultés de fonctionnement nuisant à leur efficacité. »
Nous le savons tous, certains tribunaux de grande instance fonctionnaient vaillent que vaille. Ils étaient dépourvus de toute attractivité et les jeunes magistrats qui y étaient nommés essayaient d’en partir le plus vite possible…
Rappelons-nous l’affaire d’Outreau, qui a suscité de nombreux commentaires : un trop petit tribunal ne rend pas forcément très bien la justice. Nous devions en tenir compte, et c’était aussi l’un des objectifs de la réforme.
En revanche, et vous l’avez souligné, madame le garde des sceaux, tout le monde est satisfait de la réforme des tribunaux de commerce. La concertation a été de bonne qualité, les magistrats consulaires y ayant parfaitement participé. Nous voulions depuis très longtemps faire en sorte que la justice consulaire ne soit pas trop une justice de proximité pour une raison évidente : éviter le risque de conflits d’intérêts, qui existait à l’époque et qui, apparemment, a récemment ressurgi dans une affaire.
Dans mon département, qui compte 1,3 million d’habitants, deux tribunaux de commerce ont été supprimés, et il me semble que c’est une heureuse décision. Il en reste deux, ce qui est largement suffisant, d’autant qu’ils se sont mieux structurés.
La réforme s’est donc traduite aussi par des réussites. Ainsi, les choses se sont bien passées pour les conseils de prud’hommes, puisqu’aucune d’observation n’a été faite, alors même qu’un certain nombre d’entre eux ont été supprimés.
Dans la réforme de la carte judiciaire, tout n’est donc pas à jeter !
Madame le garde des sceaux, au vu des propositions du rapport, je tiens à dire que j’ai connu un certain nombre de tentatives de rationalisation. Tout le monde se souvient du parquet départemental, une idée qui avait tant fait hurler.
Quant aux pôles de l’instruction, ils n’ont pas vraiment été mis en œuvre.
M. Jacques Mézard. À moitié !
M. Jean-Jacques Hyest. Les juges d’instruction ont été supprimés dans certaines juridictions ou leur nombre a été réduit, mais les pôles de l’instruction n’ont pas véritablement été mis en œuvre. Il est vrai que des juridictions spécialisées ont été développées, de façon plutôt satisfaisante, pour certains contentieux, comme celui de la santé ou du terrorisme. De même, en matière de droit de la mer, un certain nombre de choses ont été faites.
Nous avons également évoqué les juges de proximité. Personnellement, j’y étais favorable, tout en étant opposé aux juridictions de proximité. Selon moi, leur création était une erreur, et nous l’avions d’ailleurs dit à l’époque. Mais un Président de la République, pas le dernier, voulait, paraît-il, ces juridictions. Personne n’a osé lui dire que l’idée n’était pas bonne, ce qu’il aurait très bien compris.
On aurait dû confier aux juges d’instance la responsabilité de choisir des juges qui auraient dépendu de lui et qui, en fonction de leurs compétences, auraient été chargés d’un certain nombre de petits contentieux. Il faut garder cette idée. Certains citoyens qui ont une expérience professionnelle et qui d’ailleurs sont souvent délégués du procureur auraient très bien pu rendre service à la justice.
Je me souviens très bien que l’association des juges d’instance n’était pas d’accord avec les juridictions de proximité, mais n’était absolument pas hostile aux juges suppléants à qui auraient pu être confiés un certain nombre de contentieux. L’idée, je le répète, n’est pas complètement aberrante.
Je remarque que l’institution judiciaire a une certaine capacité à rejeter les greffons ! Souvenez-vous des magistrats à titre temporaire, qui n’ont jamais réussi à passer la barre, alors que le concept aurait pu être intéressant. D’ailleurs, dans les plus hautes juridictions, tout le monde se satisfait d’avoir des conseillers référendaires…
Madame le garde des sceaux, je m’écarte du sujet de la carte judiciaire, mais je tiens à dire qu’il est dommage que l’on n’ait pas, comme dans les juridictions allemandes notamment, des assistants. Enfin, il y en a, mais pour tellement peu d’heures que le système ne marche pas aussi bien qu’il le pourrait. Ces assistants pourraient être extrêmement utiles aux magistrats pour préparer un certain nombre de jugements ou d’arrêts. Ou alors il faut accepter que les greffiers, quand ils ne sont pas chargés de tâches administratives, deviennent ces assistants.
Monsieur Détraigne, votre rapport est intéressant, mais le tribunal de première instance n’est pas facile à mettre en œuvre. Malgré plusieurs essais, l’idée n’a pas été suivie. Vous avez avancé que cela était peut-être dû à l’inamovibilité des juges, mais, pour moi, ce n’est pas la cause principale. D’ailleurs, de fait, ce tribunal ne favorisera pas la proximité ; il permettra simplement de faire tourner les magistrats d’instance. Mais cela se fait déjà lorsque les magistrats ne sont pas occupés à temps plein dans un tribunal. Aussi, cela ne me paraît pas être une voie très efficace pour améliorer le fonctionnement de la justice.
Madame le garde des sceaux, je vous remercie d’avoir écouté une voix un peu moins critique que les autres. Puisqu’il n’y avait que des procureurs, il fallait bien un avocat ! J’ai joué ce rôle, en montrant que tout n’était pas si mauvais dans cette réforme, qui comportait aussi des points positifs.
Je voudrais conclure en vous faisant part de mon inquiétude quant à la judiciarisation de notre société.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous concourons vraiment à alimenter ce phénomène. En matière de surendettement, quand on en connaît toute l’histoire depuis la loi Neiertz, on constate que, après avoir judiciarisé ce contentieux, on a été dans le sens inverse, sinon cela se serait terminé par une embolie des tribunaux d’instance !
Avec les procédures prévues pour le contentieux du surendettement, vous allez avoir de nouveau des problèmes un jour ou l’autre. En cette matière, il faut agir dans l’urgence et faire preuve de rapidité. Si les pauvres magistrats sont surchargés avec cette mission, ils ne pourront plus suivre. Il faudrait réfléchir avec d’autres ministres, car il s’agit d’une politique globale, à ce phénomène inquiétant. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, engagée dès le mois de juin 2007, la réforme de la carte judiciaire s’est achevée le 1er janvier 2011. Elle a réduit de près d’un tiers le nombre d’implantations judiciaires en France.
Je tiens avant tout à féliciter les corapporteurs du rapport sur la réforme de la carte judiciaire du bilan qu’ils ont su dresser de manière globale et pertinente. Comme l’ont écrit Mme Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, « une réforme plus ambitieuse de l’organisation judiciaire aurait sans doute permis de parer aux défauts majeurs de conception du projet initial ».
Alors que la justice doit être accessible à tous, qu’elle est un acteur de la paix sociale dans notre société, le justiciable, qui est pourtant le principal concerné, n’a été que trop peu pris en compte, tant dans l’élaboration que dans la mise en œuvre de cette réforme.
Ce fut une réforme purement comptable qui n’a pas su coupler les changements d’implantations judiciaires avec ceux de l’organisation et de la répartition des contentieux.
En limitant la réforme à la seule modification des implantations par le biais du pouvoir réglementaire, le Gouvernement n’a pas saisi le Parlement. Cela a certainement privé cette réforme d’objectifs qui auraient pu prendre en compte un champ de réflexion élargi.
Si l’organisation de la justice dans son ensemble était à revoir, il aurait fallu rechercher parmi les contentieux ceux qui relevaient de la technicité, avec des compétences spécialisées, et ceux qui relevaient de contentieux de masse – je pense au traitement des litiges de la location, du surendettement ou des affaires familiales.
De plus, les mesures d’accompagnement pour équilibrer les suppressions difficiles de tribunaux, telles que les audiences foraines et la création de chambres détachées, n’ont pas su s’inscrire dans la réalité.
On peut regretter que l’organisation des tribunaux ne donne jamais la parole aux justiciables. Il serait pourtant facile d’introduire, dans les assemblées générales des tribunaux, la participation des usagers, de manière directe ou par le biais des avocats, pour que la proximité puisse se traduire dans la réalité. Si les justiciables étaient entendus dans les tribunaux, l’organisation des chambres détachées se serait faite plus facilement ou aurait pu durer. Il est en effet plus facile de déplacer un greffier et un juge que de faire venir vingt familles convoquées par le juge aux affaires familiales.
Je souhaite maintenant insister sur quelques intéressantes propositions du rapport, notamment en termes d’organisation de la justice et de prise en compte du justiciable.
Je pense d’abord à la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance en un tribunal de première instance.
Ce tribunal apporterait davantage de lisibilité pour le justiciable et de simplicité, en évitant la problématique des exceptions d’incompétence liées à la répartition des contentieux. Il permettrait également une meilleure répartition des moyens et de l’organisation des audiences et surtout de retrouver, par le biais des chambres délocalisées, un contentieux de proximité et une adaptabilité dans les réponses judiciaires aux besoins de la population.
Il ne faut pas se le cacher, cette réforme aurait des conséquences importantes sur lesquelles il faut encore travailler. Une réflexion complémentaire est donc indispensable à ce stade.
La deuxième proposition intéressante est celle du guichet unique de greffe. Celui-ci pourrait jouer un rôle de correspondant unique, ce qui simplifierait les démarches du justiciable.
Je ne reviens pas sur les difficultés signalées par le rapport. En revanche, j’évoquerai le problème de la représentation des justiciables, qui n’est pas la même devant le tribunal d’instance et devant le tribunal de grande instance. L’instauration du tribunal de première instance posera tout de suite des problèmes : faudra-t-il une représentation obligatoire pour tous ? Devra-t-elle être accompagnée d’une postulation ? Avec les outils informatiques, pourrait-on imaginer une procédure simplifiée faisant abstraction de cette postulation ?
La solution d’une seule juridiction de première instance ne fera pas l’économie de cette réflexion.
J’en viens maintenant au cas plus particulier de mon département du Lot-et-Garonne. Les changements entraînés par la réforme ont suscité de vives controverses et ont significativement modifié l’organisation judiciaire sur le plan local avec la suppression du tribunal de grande instance de Marmande, la suppression des tribunaux de commerce de Marmande et de Villeneuve-sur-Lot, ainsi que du tribunal d’instance de Nérac.
Madame la garde des sceaux, je voulais vous alerter sur l’une des propositions contenue dans le rapport, qualifiée de « réforme jusqu’à présent écartée », celle des cours d’appel, évoquée par plusieurs de mes collègues.
Le principal argument retenu pour justifier une éventuelle réforme des cours d’appel est que ce sont « les seules juridictions que la réforme n’a pas touchées. »
Je suis préoccupé par cette idée puisque la cour d’appel d’Agen est actuellement parmi les plus petites de France avec trois tribunaux de grande instance – Cahors, Auch et Agen – et pourrait dès lors être visée par une suppression.
Il m’a semblé important d’aborder ce point, même si, à ce jour, aucune annonce gouvernementale n’a été faite. En effet, dans la mesure où un simple décret peut permettre une telle réforme, les parlementaires ne seraient pas nécessairement associés à la démarche, qui relève de votre pouvoir.
Aux termes du rapport, la carte des cours d’appel « ne coïncide pas avec celle des régions, ce qui pose des difficultés de coordination des politiques partenariales de la justice ». Elle serait également « incompréhensible pour le citoyen ».
Permettez-moi de reprendre le cas de la cour d’appel d’Agen, dont le ressort s’étend sur deux régions administratives distinctes puisqu’il couvre une partie de l’Aquitaine et une partie de Midi-Pyrénées.
Je pense qu’il faut rappeler aux partisans de ces changements que la cour d’appel d’Agen couvre, avant tout, un bassin de vie : celui de la moyenne Garonne, unité sociale et économique. Cet argument me semble bien plus opposable que le désir de supprimer une cour d’appel, sous prétexte que son ressort concerne un territoire assis sur deux régions administratives. Ni le procureur général ni le premier président ne vont chercher leurs instructions auprès du préfet de région !
Pourquoi devrions-nous tout rattacher aux grandes métropoles ? Dans le cas de mon département, pourquoi devrait-on centraliser l’implantation judiciaire à Bordeaux ? Cette mesure n’est souhaitable ni pour le justiciable ni pour le personnel, qui serait contraint d’abandonner son emploi ou son territoire. Je pense tout particulièrement aux agents de catégorie C. Ces personnes, qui vivent bien à Agen, verraient leur niveau de vie baisser considérablement s’ils devaient se déplacer vers de grosses villes telles que Bordeaux ou Toulouse. Ils subiraient, de fait, des surcoûts en matière de logement et de déplacements.
La France est encore le seul pays centralisateur qui continue à ramener des emplois contraints dans les grandes métropoles. Il faudrait au contraire privilégier les implantations dans des villes moyennes, qui peuvent facilement accueillir ce genre de service public. L’exemple réussi de l’implantation de l’École nationale d’administration pénitentiaire à Agen est significatif !
Sur le plan de l’accès à la justice, il s’agirait également d’un recul, entraînant de multiples conséquences : difficultés pour les justiciables à rejoindre la capitale régionale ; difficultés pour les services de la justice, notamment pénale, de transferts pour les auditions en chambre d’accusation ou en chambre correctionnelle ; surcharge des cours d’appel régionales, déjà débordées. Et la liste est encore longue !
On a bien vu que la réforme des cours administratives d’appel, dont le nombre a été considérablement réduit, n’a jamais été très productive. La Cour des comptes avait d’ailleurs, dans des observations, montré l’inefficacité de ces regroupements.
Il n’y a que trente cours d’appel en France. Or la population a augmenté de façon considérable, puisqu’elle compte aujourd’hui 65 millions d’habitants, tandis que les sources de contentieux se sont multipliées et diversifiées avec l’évolution de la législation. C’est pourquoi une éventuelle réforme des cours d’appel devrait viser à un redéploiement ou à des spécialisations plutôt qu’à des suppressions de cours.
Pour conclure, il me semble important de rappeler que la justice doit rester au service des justiciables et proche d’eux, principes qui se conjuguent facilement avec la volonté d’aménager durablement le territoire. (Applaudissements sur plusieurs travées.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour débattre de la réforme de la carte judiciaire, ou plutôt de sa « réduction » – terme que j’ai parfois entendu sur le terrain et qui est sans doute plus approprié, si j’en crois en tout cas l’ensemble des interventions précédentes, que je partage pour une large part.
Pour ce qui me concerne, je prononcerai plutôt une plaidoirie à charge puisque notre collègue Hyest, avec son talent et son brio habituels, s’est chargé de la défense.
M. Jean-Jacques Hyest. Une plaidoirie à charge, cela s’appelle un réquisitoire !
Mme Virginie Klès. Monsieur Hyest, encore une fois, vous démontrez que vous avez mille fois plus de compétences que moi sur le sujet. (Sourires.)
Personne ne contestait la nécessité de cette réforme. Or, au final, que de commentaires négatifs !
La réforme de la carte judiciaire s’est inscrite dans un contexte où la justice était beaucoup montrée du doigt et bousculée par des réformes, pour certaines inutiles, non urgentes, coûteuses. Pour mémoire, même si elle n’a pas un lien direct avec le débat d’aujourd’hui, je citerai la réforme de la profession d’avoué. On peut se demander quelle était l’urgence de cette réforme, qui a engendré une complexité accrue dans l’identification des interlocuteurs de la justice, qui a éloigné un peu plus le justiciable des cours d’appel, qui a laissé pour compte nombre de salariés dans les études des avoués et dont le coût a été gigantesque. En outre, comme l’ont déjà souligné tant Jean-Jacques Hyest que Jacques Mézard, cette réforme n’a concerné en rien les cours d’appel.
D’autres réformes se sont succédé. Je pense à celle concernant les citoyens assesseurs, qui s’est contentée d’augmenter les coûts de la justice et les délais de traitement des dossiers, ainsi qu’aux différentes réformes relatives à l’application des peines, à la garde à vue, à l’hospitalisation d’office, à la protection juridique des majeurs, aux tribunaux de proximité, alors que ceux-ci rendaient un réel service.
Chacune de ces réformes a contribué à augmenter l’éloignement du citoyen de la justice, à alourdir les charges, à allonger les délais de traitement des dossiers et à compliquer le légitime accès de tous à la justice.
Certes, toutes ces réformes ont eu lieu dans un contexte de judiciarisation croissante et de recours de plus en plus fréquent à la justice, pour de plus en plus de dossiers – phénomène regrettable sur lequel nous devons nous interroger. Mais elles ont également eu lieu dans un contexte où les annonces et les promesses de moyens faites par le gouvernement précédent n’ont jamais été suivies d’effet.
Ainsi, nous sommes nombreux à affirmer que la promesse de la concertation n’a guère été tenue. Il ne s’est agi que de mots ! De même, les moyens concernant les audiences foraines n’ont jamais été engagés, et on a laissé aux collectivités le soin de financer les maisons de la justice et du droit qui ont pu être créées.
On a également fait application d’une arithmétique quelque peu surprenante en ce qui concerne les personnels et les postes d’équivalents temps plein qui allaient être affectés à l’issue de cette réforme de la carte judiciaire. Notre grand humoriste Raymond Devos, que vous me permettrez de citer à cette heure avancée de la soirée, n’aurait certainement pas renié une telle arithmétique, lui pour qui une fois rien… c’est rien et deux fois rien… c’est pas beaucoup ! (Sourires.)
Je pense qu’il aurait apprécié que 0,5 équivalent temps plein plus 0,5 équivalent temps plein ne fasse pas toujours un équivalent temps plein ! C’est pourtant ce qui s’est passé dans un certain nombre de cas, la fusion de postes partagés entre deux tribunaux n’ayant pas pour autant abouti à la création de postes à temps plein. Raymond Devos, reviens-nous, s’il te plaît !
M. Alain Néri. Ah, les mathématiques modernes !
Mme Virginie Klès. Elles n’auront pas fait l’affaire des tribunaux.
Quoi qu’il en soit, l’exemple que je viens de citer n’est qu’une surprise parmi d’autres concernant les chiffres liés à l’application de la réforme de la carte judiciaire.
En ce qui concerne la méthode retenue et les objectifs visés, je souscris au reproche que nombre d’orateurs ont formulé ; je ne m’y étendrai donc pas outre mesure. Cette méthode est uniquement cartographique et n’utilise que des données quantitatives – le nombre d’affaires traitées, le nombre de kilomètres,… –, sans s’intéresser à la qualité ou à la nature des dossiers traités, aux citoyens qu’il y a derrière, à la nature et à la fragilité des publics visés, aux spécificités territoriales, au manque de transports en commun, à l’éventuel caractère montagneux de la zone. Bref, elle ne s’intéresse qu’aux effets budgétaires de court terme, procède elle aussi d’une arithmétique à la Raymond Devos et, surtout, ne tient pas compte des propositions ou des réticences, pourtant argumentées, qu’ont pu émettre certains professionnels.
Une telle méthode a abouti à des incohérences. Par exemple, le rapprochement du tribunal de grande instance de Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine, de celui de Dinan, dans les Côtes-d’Armor, a conduit à ce que des mesures prononcées par des juges d’Ille-et-Vilaine ou par la protection judiciaire de la jeunesse de ce département soient appliquées par l’Aide sociale à l’enfance – et donc financées par l’argent du conseil général – des Côtes-d’Armor ! Autant vous dire que ce méli-mélo est assez difficile à gérer pour nos collègues des deux départements.
En outre, certaines enquêtes vont et viennent entre Saint-Malo, Rennes, en passant par Saint-Brieuc, avec des services de l’ordre et des services enquêteurs sollicités tantôt par l’Ille-et-Vilaine, tantôt par les Côtes-d’Armor. Une fois de plus, cela conduit à des imbroglios et à des complications, loin des objectifs annoncés de simplification.
La méthode a également abouti à des déserts judiciaires, notamment dans les territoires ruraux – celui du centre de la Bretagne a déjà été cité, mais il y en a d’autres.
Elle a débouché sur une diminution certaine des moyens de la justice, au demeurant – et comme toujours – beaucoup plus forte dans les secteurs ruraux que dans les zones urbaines.
Elle a conduit à ce que les situations immobilières réelles aient rarement été prises en compte. On a souvent oublié de demander qui était propriétaire des locaux utilisés et quel était le mode de convention qui le reliait à la justice. On a oublié qu’il y avait beaucoup de mises à disposition gracieuses par les collectivités pour la justice. Du coup, on a dû payer des loyers que l’on n’avait initialement pas prévus dans les budgets.
Au reste, une telle situation n’est pas spécifique à la justice puisque c’était, de façon générale, la manière qu’avait l’État de gérer son patrimoine immobilier. Parfois, j’ai même vu l’État remettre en vente des propriétés qui ne lui appartenaient pas et qui, du coup, étaient récupérées par les collectivités – lesquelles en ont d’ailleurs profité pour casser des conventions ou des baux emphytéotiques avec l’État.
Il n’empêche, ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une bonne gestion des deniers publics, et l’on ne saurait s’en féliciter.
Au bilan général – une fois de plus, je ne défrayerai pas la chronique par mon originalité –, s’ajoute le fait que l’on a augmenté le délai de traitement des dossiers. Cet allongement sera-t-il pérenne ? La justice va-t-elle au contraire se réorganiser pour combler les délais supplémentaires que l’on constate aujourd’hui ? La question est posée.
Si l’on a parfois éloigné les personnels de leur lieu de travail, on a aussi beaucoup éloigné les justiciables de la justice, non seulement géographiquement, mais aussi financièrement. Ce n’est pas anodin, y compris pour les affaires civiles, qui nécessitent parfois plusieurs présentations au tribunal. Or, quand il s’agit de droits parentaux, quand il s’agit d’enfants, quand il s’agit des personnes les plus fragiles et les plus précaires, il est indispensable – notre collègue Jacques Mézard l’a dit – que la justice soit à proximité immédiate du citoyen. En tout cas, ce n’est pas ce que la réforme de la carte judiciaire a réussi à faire ! Il existe des décalages immenses entre les postes théoriques et les effectifs réellement présents dans nos tribunaux.
Autre conséquence possible de la carte judiciaire : on a constaté des augmentations du nombre de personnels à temps partiel, notamment en Bretagne, mais pas seulement. En effet, l’éloignement de leur lieu de travail et l’augmentation du temps de trajet qui en résulte ont conduit des personnels à préférer réduire le nombre de jours où ils se déplaçaient pour travailler. Cette situation est difficile à gérer.
Dans le même temps, le coût réel de la réforme s’est élevé à 340 millions d’euros, sans compter tous les frais annexes, tout ce que l’on n’avait pas prévu, tout ce qu’il a fallu indemniser. Au final, son coût a été gigantesque ! On peut donc s’interroger sur la réussite réelle de cette réforme de la carte judiciaire.
Personnellement, j’en prononce la condamnation.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est Robespierre !
Mme Virginie Klès. Mais, pour que la sentence soit efficace, il faut aller au-delà. C’est pourquoi, madame la garde des sceaux, à l’instar des membres de mon groupe, je souscris à l’ensemble des propositions de nos rapporteurs, que je félicite pour leur travail.
Je partage leur prudence, notamment en ce qui concerne d’éventuelles réouvertures de juridictions. Certes, il faut, par moments, par endroits, des ajustements, bien réfléchis. Attention toutefois aux réouvertures qui désorganisent à nouveau la justice ! Il y en a eu une pas très loin de chez moi et je sais, pour en avoir parlé avec les magistrats, que la remise en question d’un système à peine stabilisé posera, à nouveau, énormément de problèmes.
Oui à la réforme des cours d’appel ! Je pense, du reste, que c’est un oui général. Mais il doit s’agir d’une réforme non pas rampante, mais transparente et issue d’une réelle concertation.
Oui à la réflexion sur un guichet unique de greffe ! Pourquoi pas au tribunal de première instance ? Il faut explorer cette piste.
Oui surtout à la méthode qui consistera à faire une pause, à écouter, à réfléchir, à engager une réelle concertation, à prendre en compte les idées, les expérimentations locales et, surtout, les contraintes de nos professionnels de la justice ! Je suis certaine, madame la garde des sceaux, qu’une telle méthode sera la vôtre et, pour eux, d’avance, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me réjouis que, parmi les services publics qui bénéficieront d’un effort budgétaire, figure celui de la justice. Je me réjouis aussi que la justice illustre, depuis le mois de mai dernier, un véritable changement dans notre pays.
La réforme de la carte judiciaire était sans aucun doute nécessaire, mais, comme l’ont parfaitement exprimé Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne dans le titre de leur excellent rapport, ce fut « une occasion manquée » ; manquée, car cette réforme a été menée, certains l’ont déjà dit, « à la hussarde », c’est-à-dire très rapidement et sans véritable concertation, notamment avec les acteurs locaux ; manquée, car les auteurs de cette réforme ont considéré que la taille dite « suffisante » d’un tribunal était le critère essentiel pour garantir une justice de qualité.
Je représente un département, l’Aveyron, où ce rendez-vous a été particulièrement manqué, car ce département est le plus touché par la réforme. En effet, pas moins de cinq juridictions y ont été supprimées : le tribunal de grande instance de Millau, les tribunaux d’instance de Villefranche-de-Rouergue, d’Espalion et de Saint-Affrique, le conseil de prud’hommes de Decazeville. Je pourrais ajouter à cette liste de suppressions la juridiction d’instruction, en matière criminelle pour l’instant, et dans toutes les affaires à partir du 1er janvier 2014.
Dans mon département, comme dans beaucoup d’autres, la réforme a été conduite sans prendre en compte le critère de proximité. C’est ainsi que les caractéristiques géographiques des territoires, l’état des transports publics ou encore la fragilité, voire la précarité de la population n’ont pas été mesurés par l’ancien gouvernement. Or nous savons tous que la distance ainsi créée entre le justiciable et son juge, même pour un seul rendez-vous, est préjudiciable à l’œuvre de justice.
Le nombre de saisine des tribunaux de grande instance, notamment en matière civile, c’est-à-dire avec constitution d’avocat obligatoire, est d’ailleurs en diminution dans les départements touchés par la réforme, comme le souligne le rapport sénatorial.
J’insisterai, madame la garde des sceaux, sur le fait que la qualité de l’accès au juge et même les droits de la défense sont également mis à mal, notamment pour les plus faibles, car l’assistance à un procès dans le secteur aidé – c’est-à-dire celui couvert par l’aide juridictionnelle ou par les assureurs, dans le cadre des contrats de protection juridique – n’est plus économiquement possible pour certains auxiliaires de justice, pourtant choisis par leur client, en raison même de cet éloignement entre leur cabinet et le lieu de traitement judiciaire des dossiers.
Il est par ailleurs évident que les mesures palliatives, telles que les maisons de la justice et du droit, ou encore les audiences foraines, sont, pour les premières, soit inexistantes, soit inadaptées aux besoins et aux capacités des usagers – elles sont de plus souvent à la charge des collectivités locales – et, pour les secondes, précaires, puisqu’elles dépendent de la volonté des présidents de cour d’appel et des moyens qu’ils accordent.
En outre, comme l’indique le rapport, la situation a été aggravée par d’autres réformes judiciaires concomitantes, telles que la création des pôles de l’instruction, qui, dans mon département par exemple, peut conduire la victime de faits considérés comme les plus graves, à savoir, un crime, à effectuer plus de 350 kilomètres aller-retour, soit quatre heures trente de trajet, pour rencontrer son juge. Pour celle qui ne dispose pas de véhicule – parce qu’il y en a ! –, il lui est alors infligé un périple aller-retour en train de huit à douze heures, entre l’Aveyron et le pôle de l’instruction de Montpellier.
Madame la garde des sceaux, des adaptations à nos territoires sont aujourd’hui indispensables. La création de la juridiction départementale de première instance, avec des chambres délocalisées ou la création de nouveaux pôles, notamment dans les juridictions isolées du groupe 4 qui en sont aujourd’hui dépourvues, peuvent-elles répondre à l’exigence de conciliation entre, d’une part, la rationalisation des moyens de l’État et, d’autre part, un maillage cohérent de notre institution judiciaire pour régler et pacifier les rapports sociaux ?
Voilà autant de pistes à explorer, et la représentation nationale est disposée à s’associer à ce travail. À l’heure où l’image de notre justice est en pleine restauration, grâce notamment à votre action, encore faut-il que cette image soit visible par tous et en tous lieux ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme cela vient d’être maintes fois rappelé par les précédents orateurs, personne ne conteste la nécessité de cette réforme, qui tendait à revenir sur l’inadaptation d’une carte judiciaire dont les bases dataient de la Révolution. Il s’agissait de créer des juridictions disposant d’une activité et d’une taille suffisantes pour renforcer la qualité et l’efficacité de la justice sur l’ensemble du territoire et réaliser des économies d’échelle.
Engagée en juin 2007 par le garde des sceaux de l’époque et pour répondre à une commande présidentielle, la refonte de la carte judiciaire a pris fin le 1er janvier 2011, aboutissant à la suppression de près d’un tiers des juridictions. Faut-il considérer, à ce seul titre, que le pari est réussi ? Bien évidemment, non ! Car cette ambition exclusivement comptable a porté un très mauvais coup au service public de la justice, comme le montre l’excellent rapport de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et de M. Yves Détraigne, qui dresse un bilan contrasté des modalités et des effets de cette réorganisation massive de la justice et pointe du doigt les nombreux problèmes qui ont découlé des défauts de conception initiaux de la réforme.
En effet, la préparation de la réforme, intégralement mise en œuvre par décret, et son passage en force ne laissaient rien présager de bon. Le processus de concertation qui avait été engagé a été brutalement interrompu, après une seule réunion de l’instance de consultation nationale sur le sujet, donnant lieu à de nombreux mouvements de protestation des professionnels. L’importance d’une telle refonte justifiait pourtant de les y associer pleinement.
Les acteurs de la justice ont également critiqué le manque de cohérence entre les objectifs affichés de la réforme et les critères effectivement retenus. En effet, il est apparu, dans certains cas, que des pressions politiques locales avaient pesé davantage que les considérations démographiques ou géographiques dans les choix relatifs à la suppression d’une juridiction.
Cette réforme n’a pas non plus pris en compte la spécificité des territoires, et le regroupement de certains tribunaux a rendu l’accès à la justice difficile pour nombre de justiciables, principalement les plus vulnérables, les décourageant souvent d’entreprendre ou de poursuivre leurs actions. Force est de constater qu’elle a surtout pénalisé les zones rurales, car, à Paris, les tribunaux d’instance ont été maintenus dans chaque mairie d’arrondissement. Pourtant, ceux-ci sont peu éloignés les uns des autres et n’assurent pas non plus toujours une ouverture quotidienne au public.
Autre conséquence directe de cet éloignement : les délais de jugement des affaires ont augmenté, faute de transferts suffisants de personnel. Certes, l’implication des personnels, notamment via la mise en place d’audiences foraines, a pu permettre de faire face à l’accroissement de l’activité, mais au prix d’une dégradation considérable de leurs conditions de travail et de vie !
Enfin, le rapport a montré que le coût de gestion du patrimoine immobilier de la justice devrait sans doute baisser à terme. Mais, pour le moment, le regroupement de juridictions s’est parfois traduit par l’abandon de bâtiments prêtés gracieusement à l’administration judiciaire et par la nécessité de louer à prix fort de nouveaux locaux dans les juridictions d’accueil ou d’entamer des travaux d’extension.
Pour conclure, je regrette sincèrement que la réforme n’ait que très peu concerné les outre-mer, même si, au vu de tous ces éléments négatifs, je devrais plutôt me réjouir qu’elle ne les ait pas affectés. (Sourires.) Voilà qui marque une autre occasion manquée !
Dans nos territoires, où il existe de véritables déserts judiciaires, des milliers de kilomètres séparent parfois les justiciables des tribunaux ; l’unique moyen de transport, dans ce cas, est l’avion. Madame la ministre, je vous sais particulièrement sensible à la situation des outre-mer et espère que ce nouveau gouvernement procédera à des ajustements permettant enfin l’accès à la justice pour tous.
Je suis, pour ma part, favorable à la proposition des rapporteurs de procéder à la réforme des cours d’appel. Si, depuis le 1er janvier 2012, la Guyane dispose d’une cour d’appel pleine et entière – il était temps ! – en remplacement de la chambre détachée de la cour d’appel de Fort-de-France, à Mayotte, en revanche, nous ne disposons toujours que d’une chambre détachée de la cour d’appel de Saint-Denis. La distance qui sépare Mayotte de La Réunion est de près de 1 500 kilomètres. Dans ces conditions, comment les juridictions d’appel mahoraises peuvent-elles efficacement fonctionner avec un centre de décision si éloigné ? Même avec les moyens de communication actuels, cela reste très compliqué.
Nous attendons du Gouvernement qu’il repense, en association avec le Parlement et les professionnels de la justice, l’architecture judiciaire de notre pays dans l’intérêt du justiciable, en revoyant certaines incohérences, en rouvrant ou créant des juridictions dans les zones les plus éloignées ou difficiles d’accès.
Nous souhaitons également, malgré le contexte économique actuel, que le budget consacré à la justice pour cette année permette à l’institution judiciaire de faire face aux missions qui sont les siennes ; cela passe par des créations de postes et par la réhabilitation de nombreux bâtiments judiciaires plus que délabrés ou inadaptés à la multiplication des contentieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Pierre Camani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, engagée dès le mois de juin 2007, la réforme de la carte judiciaire a bouleversé l’implantation territoriale de notre justice.
L’ensemble des acteurs et des observateurs s’accordaient sur la nécessité d’une réforme de notre carte judiciaire. Mais, vous l’avez dit vous-même, celle-ci aurait nécessité, pour être efficace, de s’inscrire dans une refonte globale de l’organisation judiciaire. Or nous avons tous en mémoire la façon dont a été conduite la réforme de la carte judiciaire par Mme Rachida Dati : sans concertation, de manière brutale et dans une perspective strictement comptable.
Madame la ministre, aujourd’hui, nous devons faire preuve de pragmatisme. La réforme est achevée et personne ne souhaite rouvrir le chantier, du moins dans l’immédiat. Nous devons, à cet égard, saluer l’effort et l’implication de l’ensemble des personnels de justice qui ont permis au service public de la justice, dans des conditions parfois extrêmement difficiles, de fonctionner de la meilleure manière possible.
En revanche, il nous appartient de nous interroger sur les mesures de correction que nous pourrions apporter pour atténuer les effets pervers de cette réforme, afin de renforcer la proximité et l’efficacité qui font aujourd’hui défaut dans certaines juridictions.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, dans leur excellent rapport d’information, ont largement mis en lumière les conditions dans lesquelles le précédent gouvernement a pu mettre à mal tout un maillage de juridictions indispensable au règlement des contentieux de proximité, très utile pour la paix civile dans nos territoires.
Sur la forme, tout d’abord, la réforme a été menée tambour battant, sans réelle concertation. Ce fut une réforme par décret, sans prise en compte des éclairages qu’aurait pu apporter le législateur, une réforme rapide, sollicitant l’avis des chefs de cour en un été – avis qui, dans nombre de départements, et surtout pour les tribunaux d’instance, n’a pas été suivi, provoquant une véritable incompréhension de ceux qui font vivre au quotidien cette justice de proximité. Enfin, la réforme n’était pas évaluée financièrement, aucune étude d’impact a priori n’ayant été réalisée.
Sur le fond, ensuite, la nouvelle carte nous oblige aujourd’hui à nous interroger sur la viabilité des critères retenus afin de redessiner l’implantation de l’institution judiciaire sur nos territoires.
Le critère de « taille suffisante » a conduit à la fermeture de 178 tribunaux d’instance, de 55 tribunaux de commerce, de 23 tribunaux de grande instance et de 63 conseils de prud’hommes. Des postes de magistrats ont aussi été supprimés.
L’application du critère de « taille suffisante » a provoqué la surcharge de certains greffes, aujourd’hui dans l’impossibilité de délivrer à temps les « grosses » des jugements, au grand préjudice des justiciables les plus fragilisés, comme des parties civiles qui n’arrivent plus à percevoir les dommages et intérêts qu’un jugement a pu leur attribuer.
En correctionnelle, on constate l’existence d’un stock d’affaires renvoyées de mois en mois, rendant inutile et sans effet l’exemplarité des condamnations prononcées, le code pénal reste sous-utilisé grâce à l’opportunité des poursuites du parquet, les délais d’attente, de délibéré, de convocation s’allongent parfois à plusieurs mois.
Voilà, madame la garde des sceaux, la situation dans laquelle se débat la justice de proximité, la justice au quotidien que vivent les Français, qui finissent par ne plus croire en la justice de leur pays.
Cette justice au quotidien souffre, depuis longtemps, d’un budget notoirement insuffisant d’un montant de l’ordre de 7 milliards d’euros. Il représente moins de 2,5 % du budget général et la France était classée, en 2010, au dix-septième rang sur les vingt-sept pays de l’Union européenne.
La France consacre moins de 60 euros par an et par habitant à sa justice tandis que l’Allemagne en consacre le double. La France a moins de 7 500 juges tandis que l’Allemagne en a plus de 26 000 et, à population égale, la France compte 2,5 fois moins de juges que l’Allemagne.
Certes, madame la ministre, comme se plaisait à le dire votre prédécesseur qui a mené la réforme, « la justice de proximité, ce n’est pas avoir un tribunal à côté de chez soi ». Soit ! Mais se retourner vers la justice est, pour certaines familles, un acte très lourd de conséquences, une démarche difficile à entreprendre. Pour certains publics fragilisés, la distance physique à la justice constitue un obstacle insurmontable. Pour nos concitoyens les plus vulnérables, l’accessibilité est primordiale.
Mme Dati pensait que l’introduction des nouvelles technologies permettrait de remédier à cet éloignement physique. Si nous devons bien sûr prendre en considération les effets positifs que peuvent avoir les évolutions technologiques sur notre justice, l’humain doit primer. Les audiences par visioconférence conduiraient à une véritable déshumanisation de la justice.
Pour y remédier, nous devons essayer de réintroduire de la proximité, afin d’éviter une désertification judiciaire sur certaines parties de nos territoires qui serait tout à fait dramatique. Mais comment ?
Afin d’éclairer mon questionnement, permettez-moi de prendre l’exemple du Lot-et-Garonne – Henri Tandonnet l’a également évoqué –, dont j’ai l’honneur de présider le conseil général, qui, à l’instar de nombreux autres départements, a subi les effets négatifs de cette réforme.
Au cours des quatre dernières années, les tribunaux de commerce de Villeneuve-sur-Lot et de Marmande ont été rayés de la carte. Ils traitaient plus de 15 000 entreprises, qui doivent désormais se rendre à Agen pour leurs démarches administratives et juridiques, pour certaines à une centaine de kilomètres de leur siège social.
Le tribunal d’instance de Nérac a fermé ses portes au 1er janvier 2010, l’activité étant transférée à Agen.
Le greffe de la ville de Tonneins a été transféré vers le tribunal d’instance de Marmande.
Le tribunal de grande instance de Marmande, qui rendait plus de 1 500 jugements à l’année, a été supprimé. Il recouvrait une zone de près de 100 000 habitants. Il était logé avec toutes les autres juridictions – commerce, prud’hommes, tribunal d’instance, pénal, instruction – dans 1 762 mètres carrés de bureaux et de salles d’audience tout neufs et bien équipés, mis à disposition gratuitement par la commune depuis 2010.
Le juge aux affaires familiales se caractérisait par la rapidité et la proximité du traitement des conflits familiaux et par des liens étroits avec les institutions sociales et familiales locales. La délinquance était traitée rapidement, l’accueil et l’aide aux victimes étaient appréciés, et l’exécution des peines bénéficiait d’un service efficace. Toutes affaires confondues, le délai de traitement des instances était de sept mois au maximum et le taux de réponse pénale de 98 %.
Aujourd’hui, notre département a subi une perte d’emplois directs, l’obligation de déplacement des justiciables, des professionnels de justice, des gendarmes, des familles,… Le bilan carbone de la réforme de la carte judiciaire est certainement édifiant !
Madame la ministre, j’ai cru comprendre que vous vous interrogiez sur des ajustements possibles pour les situations les plus sensibles. La création des chambres détachées, prévue par l’article R. 212-8 du code de l’organisation judiciaire, pourrait améliorer certaines situations. En effet, même si la chambre détachée est une institution permanente, les magistrats et les greffiers qui y sont affectés peuvent n’y être présents qu’à temps partiel.
À Marmande, en particulier, le maire et son conseil municipal vous ont demandé de récréer une chambre détachée du tribunal de grande instance pour juger dans ce ressort des affaires civiles et pénales. Envisagez-vous d’y répondre favorablement ? Cette solution, peu onéreuse, serait de nature à résoudre une grande partie des problèmes que j’évoquais précédemment.
Le rapport de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et de M. Yves Détraigne ouvre une autre interrogation, celle des cours d’appel, qui a également été évoquée par M. Tandonnet. Là encore, l’exemple de mon département est, me semble-t-il, éclairant.
Aujourd’hui, la cour d’appel d’Agen rend avec célérité et efficacité tous les appels des TGI d’Agen, d’Auch et de Cahors. Une fermeture de cette juridiction conduirait à charger encore un peu plus les cours d’appel de Bordeaux et de Toulouse, qui sont aujourd’hui surchargées et dont les délais d’instruction sont de dix à douze mois, contre six à huit mois seulement devant la cour d’appel d’Agen.
Avec les doutes qui planent sur la cour d’appel d’Agen, c’est l’ensemble de l’organisation de la justice dans mon département qui est menacée. Comment pourrions-nous alors conserver l’École nationale d’administration pénitentiaire d’Agen et justifier sa pérennité ? Il en est de même du centre pénitentiaire d’Agen, dont le sort est en suspens.
Madame la ministre, nous sommes attachés à notre département rural et nous voulons garder nos services publics. Nous comprenons la nécessité de gérer au mieux les moyens, mais nous pensons également que l’État ne peut pas, sous prétexte de rigueur et d’économie, faire disparaître de nos territoires ses compétences régaliennes. Il nous appartient aujourd’hui de rétablir ensemble, avec lucidité, pragmatisme et sens des responsabilités, une justice au quotidien, une justice de proximité. C’est une grande attente de nos concitoyens. À nous d’y répondre maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois dire que j’ai grand plaisir à participer au débat de ce soir, une pratique parlementaire originale à laquelle vous êtes accoutumés, centrée sur une thématique mais sans la contrainte du vote habituellement attachée à l’examen parlementaire.
J’ai été sensible à l’ambiance dans laquelle vos réflexions ont été menées, après avoir fortement apprécié la qualité du rapport. J’ai d’ailleurs reçu avec beaucoup d’intérêt Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, qui ont eu l’amabilité de se rendre à la Chancellerie pour une séance de travail au cours de laquelle ils m’ont présenté leur rapport et ses préconisations.
J’ai beaucoup apprécié la qualité de leurs travaux, la rigueur avec laquelle ils les ont conduits, les déplacements qu’ils ont effectués sur le terrain, bref, la méthode avec laquelle ils ont empoigné la question de la carte judiciaire, de son impact et de la façon dont les professionnels, les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires, les usagers, les citoyens, les justiciables et les élus la vivent sur le terrain.
Je regrette évidemment l’absence de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui a décidé de mettre un terme à l’exercice de son mandat de sénatrice, geste que je salue. J’ai cependant grand plaisir à vous retrouver, madame Assassi. Nous nous sommes rencontrées récemment à l’occasion des débats sur le harcèlement sexuel. Je me permets donc de vous adresser mes félicitations pour votre nouvelle qualité de présidente du groupe communiste républicain et citoyen.
La qualité des interventions a été, sans surprise, de haute tenue dans cette enceinte d’une grande rigueur juridique, qui polémique finalement assez peu, même si M. Hyest a éprouvé le besoin de défendre la carte judiciaire, avec une modération qui suggérait cependant sa lucidité sur la réalité des effets de celle-ci. (Sourires.) Le Sénat n’est pas un lieu de polémique, c’est une maison de grande franchise, de pugnacité aussi, comme j’ai pu l’entendre dans vos propos.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à certaines questions que vous m’avez posées de façon transversale et à d’autres de façon plus précise.
J’indique d’ores et déjà à celles et à ceux d’entre vous qui ont soulevé des problèmes locaux que le cabinet de la Chancellerie est à leur disposition. Mes conseillers ont pris le temps d’identifier la situation sur le territoire de chacun des orateurs inscrits, se doutant bien que des questions extrêmement précises me seraient soumises.
M. Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je n’ai rien demandé !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il me paraît de bonne méthode de vous proposer des séances de travail à la Chancellerie selon les besoins, afin d’approfondir chaque sujet évoqué. Nous pourrons ainsi aller sérieusement au fond des choses et parvenir ensemble à la meilleure solution.
La réforme de grande ampleur dont nous discutons cette nuit a concerné, de 2007 à 2011, un tiers des implantations judiciaires, qui sont passées de 1 206 à 819. Les tribunaux d’instance ont été particulièrement frappés, sans doute par nécessité pour certains d’entre eux, mais sans se préoccuper de leur situation de tribunaux de proximité géographique et juridique profondément installés dans nos territoires, inspirant aux justiciables et aux élus un attachement et une confiance qui méritaient que l’on prenne quelques précautions.
Comme l’a souligné en particulier M. le rapporteur Yves Détraigne, la concertation a été pauvre. Le comité consultatif de la carte judiciaire n’a été réuni qu’une seule fois. Des travaux ont été conduits sur le territoire sous l’autorité des chefs de cour et des préfets, mais ils n’ont pas été pris en considération de façon satisfaisante au-delà de la période pendant laquelle les magistrats et les représentants d’usagers ont été invités à se prononcer. Or il faut savoir que 33 % des tribunaux d’instance, 30 % des tribunaux de commerce, 20 % des conseils de prud’hommes et 10 % – ce n’est tout de même pas rien ! – des TGI étaient concernés. Nous avons ainsi vu s’installer des déserts judiciaires, vous avez été plusieurs à le souligner, puisque des distances parfois supérieures à 100 kilomètres doivent être parcourues.
Le Parlement n’a pas non plus été consulté. Le Gouvernement avait incontestablement le droit de tout décider par décret.
M. Jean-Jacques Hyest. Article 34 !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pourtant, vous pouvez le constater, l’intérêt est grand pour l’exécutif de participer à une séance de débat comme celle de ce soir. Ce n’est pas être complaisant à votre égard que de dire que vous cumulez l’expérience d’élus locaux et de parlementaires avertis. Par conséquent, sur des sujets qui peuvent avoir une grande incidence sur la vie quotidienne de nos concitoyens, il est préférable de procéder à une concertation – en plus des consultations qui peuvent être conduites à l’extérieur – pour prendre les meilleures décisions.
Cela étant, les consultations effectuées dans les juridictions n’ont pas été appréciées à leur juste valeur. Les personnels ont pourtant tenté d’amortir le choc de cette réforme et de faire en sorte que les juridictions fonctionnent, parce qu’ils étaient persuadés, comme vous, comme nous, qu’elle était nécessaire.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur Hyest, la dernière réforme d’envergure datait de 1958 et concernait le remplacement des juges de paix et des tribunaux de première instance par des tribunaux d’instance et de grande instance. Par la suite, quelques dispositions législatives ou réglementaires d’aménagement ont tout de même été prises. Ainsi, les années soixante-dix ont-elles vu la création des grands TGI de banlieue, notamment à Nanterre, à Versailles, à Bobigny, à Évry.
M. Jean-Jacques Hyest. Et à Créteil !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au cours de la même période, trois cours d’appel ont également été créées : à Metz en 1973, à Bastia en 1974 et à Versailles en 1975. Les années quatre-vingt-dix ont vu le regroupement de plus d’une trentaine de tribunaux de commerce. Enfin, dans les années deux mille, vous l’avez également rappelé, monsieur le sénateur, des juridictions de proximité ont été créées.
À ces aménagements, il faut en ajouter un autre, dont nous n’avons pas parlé. En fait, il s’agit plutôt d’une réforme assez substantielle, même si elle fut de moindre ampleur que celle de la carte judiciaire. Je veux parler de la réforme des tribunaux de commerce menée en 1999 par Mme Guigou.
Cette réforme a conduit à la suppression de plus d’une trentaine de tribunaux de commerce sans donner lieu au moindre recours devant le Conseil d’État. La raison en est simple : la méthode utilisée a été différente. La concertation a été réelle et respectueuse. En outre, des spécialistes – des géographes et des économistes – ont été consultés pour étudier les bassins, les modes de circulation économique, les flux, les circuits et les réseaux de transport. Ces éléments ont ensuite été pris en compte afin de ne pas perturber le droit des usagers à accéder aux juridictions commerciales.
Comme je viens de le montrer, une autre méthode était possible, et pour une réforme d’une telle envergure, mieux aurait valu être plus prudent.
Rendons hommage, vous l’avez d’ailleurs fait, mesdames, messieurs les sénateurs, à tous les personnels de la justice – les magistrats, les greffiers et tous les autres fonctionnaires –, qui ont permis de faire fonctionner les juridictions, d’absorber les contentieux, de limiter l’allongement des délais et de contenir la baisse de demande de justice.
Cette réforme d’ampleur, je le répète, aurait mérité une autre approche. Nous devons aujourd’hui réfléchir au correctif qu’il convient d’apporter à cette carte judiciaire, à laquelle il faut tout de même reconnaître certaines vertus, encore qu’elles soient relatives…
M. Jean-Jacques Hyest. La vertu est toujours relative…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oh, j’avais naïvement d’autres illusions, monsieur le sénateur.
M. Jean-Jacques Hyest. … en politique !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense que vous feignez le désenchantement. (Sourires.)
Il n’est pas question de réformer à nouveau la carte judiciaire. Ce ne serait pas raisonnable. Ce serait en outre vraisemblablement vécu comme une agression par les personnels des juridictions. Cette réforme a en effet laissé de mauvais souvenirs aux magistrats, aux greffiers, aux fonctionnaires, aux élus et aux justiciables. Ils ont été tellement bousculés qu’ils demandent eux-mêmes une pause.
Reste qu’il faut étudier les ajustements nécessaires dans chaque ressort. Ainsi, dans certains endroits, il faudra réimplanter une juridiction ou créer une chambre détachée. Je rappelle, comme l’a déjà fait M. le rapporteur, que la nouvelle carte judiciaire a tout de même donné lieu à 200 recours devant le Conseil d’État !
Si le Conseil d’État n’a conseillé qu’une seule réimplantation, il a cependant formulé des observations sur un certain nombre de choix, sur lesquels nous sommes aujourd’hui conduits à nous pencher. Il nous faut donc revoir cette carte, ressort par ressort, faire remonter les besoins, les difficultés et apporter des réponses.
Nous devons assurer la présence judiciaire sous la forme la plus adaptée aux territoires, de façon à répondre aux besoins d’accès à la justice de tous les citoyens. Or le principal défaut de la réforme est qu’elle procède non pas d’une réflexion sur l’organisation judiciaire, mais d’un diktat comptable.
Nous l’avons tous dit, une nouvelle carte judiciaire était nécessaire. En effet, compte tenu du délai qui s’est écoulé depuis la dernière réforme, et ce malgré les aménagements intervenus entre-temps, l’évolution démographique de notre pays et les modifications de l’organisation administrative liées à plusieurs réformes territoriales justifiaient une réflexion sur les implantations judiciaires. En outre, ne le cachons pas, il y avait également lieu de s’interroger sur l’efficacité budgétaire et juridictionnelle.
Je le répète, le principal défaut de cette réforme est qu’elle répond à une obligation comptable, celle de la révision générale des politiques publiques. Il nous faut donc raisonner différemment et réfléchir à ce qu’est la proximité.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, en particulier M. Mézard : en cas de recours exceptionnel à une institution judiciaire, la proximité – on peut le concevoir – n’est pas une obligation absolue. Reste que celle-ci est indispensable pour juger les contentieux du quotidien : les affaires familiales et sociales, le divorce, le surendettement, la consommation, le logement. Or, je l’ai dit, les tribunaux d’instance, qui traitent de ces affaires, ont payé le prix fort.
N’oublions pas que ces contentieux concernent les justiciables les plus fragiles, les plus vulnérables, ceux qui sont dans des situations précaires. Ce sont eux qui ont été le plus pénalisés par la réorganisation judiciaire. Il nous faut donc prendre en compte la proximité et réfléchir à la forme qu’elle peut prendre là où les tribunaux d’instance ont été supprimés.
Je vous ai entendu, monsieur Mézard, vous éprouvez une véritable aversion pour les audiences foraines. (M. Jacques Mézard s’en défend.) Disons alors avec élégance que vous avez une réticence assez fortement marquée… (Sourires.)
Le retour des audiences foraines est l’une des propositions figurant dans le rapport. Dans plusieurs juridictions, des audiences foraines ont été mises ou remises en place et donnent assez fortement satisfaction, m’a-t-on dit. Pour autant, je ne pense pas que cette solution soit utile et valable partout. Il faut dire que, dans certaines juridictions, les réticences à l’égard des audiences foraines sont assez fortes, un peu moins fortes toutefois que celles de M. Mézard…
La présence judiciaire peut évidemment prendre d’autres formes. Je pense aux conseils départementaux d’accès au droit ou encore aux maisons de justice et du droit, ancienne ou nouvelle génération. Pour ces dernières, il faudra toutefois penser à définir de nouveaux critères, car ceux qui existent actuellement ne sont pas satisfaisants dans la mesure où ils visent à substituer les MJD aux tribunaux d’instance qui ont été supprimés. Or telle ne doit pas être leur fonction. (M. Jean-Jacques Hyest opine.)
Je vois que vous m’approuvez, monsieur Hyest, et je vous en remercie. Je peux donc supputer mes chances de recueillir une unanimité sur le sujet.
Je le répète, il nous faut réfléchir aux formes de la présence judiciaire afin de répondre aux besoins et de permettre à nos concitoyens, notamment les plus vulnérables d’entre eux, d’accéder à la justice.
Un autre défaut de la nouvelle carte judiciaire est d’avoir allongé les délais de plus de 20 % dans les cours d’appel et de plus de 5 % dans les tribunaux de grande instance. On a surtout constaté une baisse significative, laquelle atteint parfois plus de 20 %, de la demande de justice. Cela signifie que, dans notre société, des citoyens finissent par renoncer à avoir recours à la justice. Nous ne pouvons pas nous accommoder de cette situation.
Je suis persuadée que la justice, et je suis sûre que nous partageons tous cette conviction, est profondément structurante pour la démocratie. Elle est le service public qui organise les lieux où le citoyen le plus en difficulté, celui qui a été confronté à un accident de la vie, se dit : « je peux appeler l’État au secours ». Par conséquent, il est extrêmement préjudiciable pour les plus vulnérables de nos concitoyens d’être confrontés à des déserts judiciaires, car cela fragilise le lien social.
Nous devons donc être vigilants et préserver la présence judiciaire, notamment par la proximité lorsque cela s’avère nécessaire. Sous quelle forme ? Par une réflexion sur les contentieux !
Si je parle de réflexion, c’est parce qu’il faut changer de méthode. En effet, cela n’aurait aucun sens de critiquer une méthode – tout en mesurant mes propos, vous l’aurez remarqué, car cette maison n’est pas un lieu de polémique – et d’utiliser la même. C’est pourquoi nous procéderons à des concertations. Nous associerons également le Parlement sous différentes formes. Je pense à des séances de travail sur ces sujets avec les parlementaires ou encore à des auditions de votre commission des lois, si elle le juge utile, auxquelles je me prêterai autant de fois qu’elle le souhaitera.
En matière de justice civile, il y a lieu de réfléchir aux contentieux des tribunaux d’instance et de grande instance. En l’occurrence, sans passéisme aucun, nous envisageons de recréer un tribunal de première instance. Cette juridiction devra-t-elle simplement regrouper un tribunal d’instance et un tribunal de grande instance ? Devra-t-on y inclure un conseil des prud’hommes, par exemple, ainsi que les juridictions sociales ? Pourra-t-on aller jusqu’à l’inclusion du tribunal de commerce ? Toutes les options sont sur la table, et c’est avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous parviendrons à trancher ces questions, sachant que les réponses apportées pourront être différentes selon les territoires.
Il nous faut également nous interroger sur l’architecture de nos juridictions. Faudra-t-il, dans un même ressort, plutôt prévoir des tribunaux de conciliation à certains endroits et des tribunaux de territoire à d’autres ? Nous savons que le contentieux est limité devant le tribunal d’instance, notamment s’agissant du niveau d’indemnisation, et que la procédure est simple. En revanche, devant le TGI, la procédure est plus complexe : les parties doivent être représentées par un avocat et le tribunal siège en formation collégiale.
Nous sollicitons vos réflexions, mesdames, messieurs les sénateurs, en complément du rapport de la commission des lois, lequel est de grande qualité. Ces réflexions, auxquelles nous associerons les élus des ressorts concernés, nous conduiront ensuite à prendre des décisions.
Je vous ai bien écouté, monsieur Mazars, concernant l’Aveyron. Il est vrai que ce département a été très fortement frappé par la réforme puisque sept tribunaux y ont été supprimés. Nous allons travailler ensemble, monsieur le sénateur, sur sa situation.
Il nous faudra également réfléchir à l’extension des guichets uniques de greffe, là où c’est souhaitable. Nous disposons déjà d’une soixantaine de guichets uniques. Il faudra évidemment estimer le coût de l’extension du réseau informatique. Nous travaillons sur toutes ces questions, et nous continuerons de le faire.
Outre les questions transversales auxquelles je viens de répondre, un certain nombre de questions très précises m’ont été posées. Je commencerai par répondre aux vôtres, monsieur Hyest, afin de vous rendre attentif à mes propos.
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous écoute toujours !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne doute pas que vous soyez totalement en mesure de m’écouter, mais je crains que vous ne preniez plus de plaisir à lire.
M. Jean-Jacques Hyest. Je cherchais dans le rapport un élément pour répondre à l’une de vos observations !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sachez que je ne manquerai pas de vous écouter avec une grande attention lorsque vous me répondrez.
Vous avez dit que le budget de la justice n’a cessé de croître. Je vous rappelle que vous aurez prochainement à examiner le projet de budget. À cette occasion, je vous indiquerai précisément le nombre de créations de postes, les redéploiements, les aménagements, etc. En attendant, je me contenterai de répondre à cette remarque, qui est tout à fait exacte. Sachez cependant que cette augmentation a profité non pas aux juridictions, mais essentiellement à l’administration pénitentiaire, dont le poids dans le budget de la justice est passé de 30 % à 40 % au cours de ces cinq dernières années.
Je ne dis pas que ce fut inutile. Mais ce fut, plus probablement, mal calibré, sans compter que la politique pénitentiaire menée était détachée de la politique pénale, cette dernière ne servant qu’à consolider la première. Or nous pensons qu’il faut faire l’inverse : définir une politique pénale, d’abord, qui entraîne des conséquences sur la politique pénitentiaire, ensuite.
Si, effectivement, le budget de la justice a crû et les effectifs ont augmenté au cours de la dernière législature, ce ne fut le cas que dans l’administration pénitentiaire. En revanche, ils ont baissé de façon considérable dans la protection judiciaire de la jeunesse, par exemple, qui a perdu 600 emplois au cours des cinq dernières années.
J’en viens à votre propos portant sur les assistants et les assistants spécialisés, monsieur Hyest. Vous avez parfaitement raison ! C’est un sujet d’une importance telle que j’ai confié à l’Institut des hautes études sur la justice, l’IHEJ, une mission sur la fonction du juge, sur ces assistants et assistants spécialisés.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce point n’est pas sans rapport avec le rôle des greffiers, qui exercent des missions d’authentification d’acte, de recherche de jurisprudence, de gestion d’une partie des activités de la juridiction. Ces greffiers peuvent-ils devenir des assistants, des assistants spécialisés ? Une réflexion de fond doit être menée sur ce qui, finalement, revient au fonctionnement de l’équipe autour du magistrat. L’IHEJ est chargé par mes soins de l’engager.
Vous avez également déploré l’augmentation de la judiciarisation, ce en quoi vous avez parfaitement raison. Nous travaillons depuis plusieurs mois à l’amélioration de la médiation et de la conciliation, ainsi qu’à la déjudiciarisation dans les cas où les libertés ne sont pas en cause. Quand elles le sont, le juge devra se prononcer. Pour prendre un exemple assez banal, il n’y a pas de raison que les divorces par consentement mutuel, sans enfant ni patrimoine, engorgent les juridictions. (M. Jean-Jacques Hyest manifeste son scepticisme.)
Vous êtes réservé sur ce point, monsieur le sénateur ? Cela nous promet de très beaux débats, car nous avons étudié ce point en profondeur. Merci, en tout cas, de contribuer à enrichir la réflexion ! Quoi qu’il en soit, il faut parvenir à mettre en valeur la médiation et la conciliation.
J’en viens aux juges de proximité. Leur utilité est grande, c’est indiscutable. Je réfléchis d’ailleurs à la façon de les maintenir.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est une information importante que vous nous donnez, madame la garde des sceaux. Beaucoup pensaient que les juges de proximité étaient condamnés à disparaître !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il faut savoir apprécier le travail qu’ils ont effectué et leur utilité dans nos juridictions.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Tandonnet, comme le rappelait M. Hyest, nombre de décisions peuvent effectivement être prises par décret. Toutefois, cela ne nous dispense pas de la concertation, qui est utile, voire indispensable et, surtout, fructueuse.
Par ailleurs, sachez que 91 pôles de l’instruction ont été créés. La collégialité, que j’estime nécessaire, doit entrer en vigueur en janvier 2014. J’ai bien entendu vos observations portant sur les difficultés que pose le possible éloignement de ces pôles. Je vais étudier toute l’information dont nous disposons sur ce point et, éventuellement, tenter d’affiner l’appréciation que nous avons de leur fonctionnement. En tout cas, je suis très attachée à la collégialité, et nous allons avancer en ce sens.
Madame Klès, vous avez abordé le sujet des avoués. Je vais vous livrer quelques indications et chiffres, puisque vous vous en inquiétiez.
Il faut savoir que la fusion, qui a eu lieu en janvier 2012, a un coût estimé à environ 300 millions d’euros. Un quart des avoués sont devenus avocats, 97 d’entre eux ont sollicité leur intégration dans la magistrature et 44 ont été admis à une formation probatoire. Il y avait 430 avoués, qui exerçaient au sein de 231 offices. Cette réforme a été coûteuse ; il a d’ailleurs fallu prévoir des crédits supplémentaires.
J’en viens à Mayotte.
Une concertation s’est tenue. Dans l’immédiat, il n’est pas prévu de créer une cour d’appel à Mamoudzou, même si je suis particulièrement sensible à l’argument de la distance, vous vous en doutez. En Guyane, nous nous sommes battus pendant pratiquement vingt ans pour obtenir la création d’une cour d’appel. Avant elle, la Guyane ne disposait que d’une chambre détachée, alors que deux mille kilomètres séparent Fort-de-France de Cayenne.
On invoque devant moi le faible nombre de recours à ce deuxième niveau de juridiction pour justifier qu’il ne soit pas nécessaire d’y implanter une cour d’appel. Personnellement, j’exprime quelques réserves à l’écoute de ces arguments, car il me semble que c’est bien l’éloignement des juridictions qui fait baisser la demande de justice.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. On ne peut donc pas opposer un faible volume de procédures en appel pour justifier la non-création d’une cour d’appel.
Je vous propose donc que nous travaillions ensemble, monsieur Mohamed Soilihi, afin de voir dans quel délai une cour d’appel pourrait être implantée à Mamoudzou, ce qui serait plus juste pour les justiciables mahorais. En attendant, nous n’allons pas ne rien faire, puisque nous nous efforçons d’améliorer les conditions d’accès à la justice, par la visioconférence notamment, pour les audiences de procédure, mais également par tous les moyens qui vont faciliter l’accès à ce deuxième niveau de juridiction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l’essentiel de vos questions. Pardonnez-moi les oublis, s’il y en a. Nous sommes toutefois appelés à nous revoir.
Je vous renouvelle l’invitation formelle à prendre contact avec le cabinet de la Chancellerie, afin d’évoquer ensemble la situation de vos territoires ou si vous désirez me faire part d’un certain nombre d’idées. Je me tiendrai à votre disposition autant que possible.
J’ai entendu des interrogations portant sur ce que l’on peut appeler la démocratie interne au sein des tribunaux. Il faut vraiment avancer sur ce sujet. Nous pourrions imaginer une sorte de conseil de tribunal, qui associerait non seulement les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires, mais également la police, la gendarmerie, des associations représentant des justiciables, des syndicats, de façon à créer une vraie démocratie au sein de nos juridictions. Le service public de la justice est au service des usagers. Il faudrait peut-être que ces derniers puissent, de temps en temps, se prononcer sur les procédures, les délais et le fonctionnement de nos juridictions.
Sachez que nous faisons face à quelques défis. Ils concernent notamment la dématérialisation des procédures et ses conséquences sur nos juridictions, sur les méthodes de travail comme sur l’immobilier judiciaire. La signature électronique s’impose également de plus en plus. Ce sont, en somme, les défis de la justice du XXIe siècle ! Je ne doute pas que nous serons en mesure de les relever, parce que j’ai toute confiance en la qualité de la concertation que nous pourrons conduire avec vous.
Je vous remercie pour cet exercice original et fécond, auquel nous nous sommes livrés ensemble aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme de la carte judiciaire.
15
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 2 octobre 2012 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
De quatorze heures trente à dix-sept heures :
2. Débat sur l’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
De dix-sept heures à dix-neuf heures trente :
3. Débat sur l’économie sociale et solidaire.
De vingt et une heures trente à minuit :
4. Débat sur l’application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART