compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Catherine Procaccia.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Publication du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. J’informe le Sénat que ce matin a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques, créée le 8 février 2012, sur l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été mis en ligne sous le n° 667, imprimé et distribué ce matin.
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Dépôt du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Éric Bocquet un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée le 17 janvier 2012 sur l’initiative du groupe communiste, républicain et citoyen, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat.
L’annonce de ce dépôt au Journal officiel de ce jour constitue, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera mis en ligne, imprimé et distribué, sauf si le Sénat constitué en comité secret décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport.
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour un rappel au règlement.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 16 de notre règlement, qui traite notamment de la publicité des débats de commission.
Comme il est d’usage, un compte rendu de la réunion de la commission des affaires étrangères durant laquelle a été examiné l’accord franco-allemand dont le projet de loi autorisant la ratification nous sera présenté cet après-midi a été porté en annexe de mon rapport. Cependant, l’une des interventions retranscrites contient une affirmation qui pourrait prêter à confusion et que je n’ai malheureusement pas pu rectifier sur-le-champ, étant en déplacement pour une journée à l’étranger. C’est le président de notre commission qui avait accepté de présenter mon rapport à nos collègues, ce dont je le remercie.
Il me semble donc important d’apporter une clarification en séance publique, afin qu’elle apparaisse dans le compte rendu de nos débats.
Contrairement à ce que laisserait supposer le bon sens commun, lorsque l’on se marie dans un pays et que l’on réside dans un autre au moment où l’on décide de divorcer, ce n’est pas automatiquement la loi de l’État de résidence qui s’applique. Ce point est d’ailleurs tout à fait problématique, puisqu’il donne souvent lieu à une « ruée au tribunal », chaque conjoint tentant d’obtenir que le divorce soit jugé par la juridiction du pays dont la législation lui sera le plus favorable.
L’accord Rome III, qui vient d’entrer en vigueur le 21 juin dernier, traite justement de cette question. Il permet aux conjoints de déterminer en amont la législation applicable en cas de divorce et indique que, à défaut d’un tel accord, la compétence reviendra à l’État de résidence habituelle du couple. Mais cet accord ne lie que les quatorze pays de l’Union européenne qui en sont signataires. Pour les autres, la détermination de la loi applicable demeure sujette à ambiguïté, et le seul moyen de réduire cette vulnérabilité juridique est bien de signer un contrat de mariage.
Je précise également que, en matière de litiges conjugaux transfrontaliers, si plusieurs initiatives européennes, comme le règlement Bruxelles II bis, l’accord Rome III ou le présent accord franco-allemand, tendent à rendre compétentes les instances et la législation de l’État de résidence des couples et à faciliter l’exécution des décisions judiciaires d’un État dans un autre, il semble essentiel que ce mouvement d’intégration s’accompagne d’une harmonisation du droit matériel de la famille des États concernés. Sans cela, nous courrons le risque d’accepter des jugements contraires à notre propre droit ou aux principes fondamentaux européens.
Je pense en particulier au fait que, en droit allemand, le droit de garde peut être retiré à un parent à l’occasion d’une audience provoquée sur simple lettre de l’autre parent, lors de laquelle le parent incriminé n’a aucune possibilité de se défendre puisqu’il n’y est pas convié, les décisions n’étant pas susceptibles de faire l’objet d’un recours, ou encore au fait qu’une pension alimentaire peut être fixée, sans décision judiciaire, par l’Office allemand de protection de la jeunesse, qui en avance le décaissement au parent allemand et se retourne ensuite contre le parent français pour la recouvrir.
Européenne convaincue, et heureuse de défendre la ratification d’un accord franco-allemand qui constituera un progrès significatif pour de nombreux couples, je me devais toutefois d’exprimer ces quelques mises en garde.
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.
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Traité d'amitié et de coopération avec la République islamique d'Afghanistan
Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan (projet n° 663, texte de la commission n° 671, rapport n° 670).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous m’ayant interrogé sur ce point, je voudrais, avant d’aborder le sujet qui nous occupe cet après-midi, vous faire part de la réaction du Gouvernement français à l’annonce de l’attentat ayant notamment coûté la vie au ministre de la défense syrien.
Nous ne connaissons pas encore les circonstances exactes dans lesquelles cet attentat s’est produit. En tout état de cause, il s’agit évidemment d’un acte d’une extrême importance, qui montre à quel degré de violence on en est parvenu à Damas même. Je tiens à souligner que le Gouvernement français a toujours condamné le terrorisme.
Cela étant dit, de tels actes de violence rendent d’autant plus nécessaire et urgente une transition politique qui permette au peuple syrien d’avoir un gouvernement reflétant ses aspirations profondes. C’est la position constante de la France, que nous défendons en ce moment même au Conseil de sécurité des Nations unies.
Lorsque nous aurons obtenu davantage de précisions sur les conditions dans lesquelles l’attentat a eu lieu, je me tiendrai bien entendu à la disposition du Sénat pour un plus ample commentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération signé entre la France et l’Afghanistan le 27 janvier 2012, en application de l’article 53 de la Constitution.
Ce traité, signé pour vingt ans, inscrit la relation franco-afghane dans la durée et affirme l’engagement de long terme de la France auprès du peuple afghan. Alors que nous retirons nos troupes d’Afghanistan, il est important que nous adressions un signal clair de notre volonté d’accompagner ce dernier.
Signé sous la précédente majorité, ce traité s’inscrit dans une trajectoire, concertée avec nos alliés, de soutien à la transition, conformément aux engagements pris par le Président de la République, M. François Hollande.
J’ajoute qu’il s’agit du premier traité de l’histoire des relations franco-afghanes, ainsi que du premier traité signé par l’Afghanistan avec un État extérieur à la région. Il sert et servira d’exemple pour d’autres partenariats, signés récemment ou en préparation, entre l’Afghanistan et des États tiers ou des organisations internationales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Afghanistan revêt une importance toute particulière. Nous le savons depuis longtemps, elle affecte la paix et la stabilité de l’ensemble de la région et a des répercussions bien au-delà.
C’est l’intérêt de la France que l’Afghanistan s’engage sur la voie de la paix et de la stabilité, et c’est notre volonté d’y contribuer.
En 2001, à la suite des attentats du 11 septembre, nous nous sommes engagés dans la lutte contre le terrorisme, afin de priver Al-Qaïda des bases afghanes à partir desquelles cette organisation opérait. Cela impliquait également une aide à la construction d’institutions afghanes aussi solides et légitimes que possible.
Un peu plus de dix ans après, la situation a changé. Avec des succès et des échecs, l’intervention internationale a contribué à transformer l’Afghanistan. Une constitution a été adoptée en 2004 et de nouvelles institutions ont été mises en place. Ben Laden a été trouvé et tué. Al-Qaïda ne bénéficie plus de refuges sur le territoire afghan.
Dans ce contexte, le Président de la République a pris l’engagement de retirer nos troupes combattantes d’Afghanistan d’ici au 31 décembre 2012. Je veux saluer une fois de plus l’engagement et le courage de notre armée. Elle a rempli sa mission dans des conditions périlleuses ; quatre-vingt-sept soldats sont morts au service de la France. Je leur rends aujourd’hui hommage.
Notre décision de retrait a été confirmée aux autorités afghanes, qui l’ont approuvée, et à nos alliés et partenaires, qui – la dernière réunion de Chicago en témoigne – en ont bien compris le sens.
Cette démarche est cohérente avec le cadre de la « transition » fixé conjointement par la communauté internationale et par les Afghans sous l’égide des Nations unies. Le processus prévoit le transfert progressif des responsabilités de sécurité aux forces de sécurité afghanes. Les zones transférées incluent le district de Surobi et la province de Kapisa, où plusieurs d’entre vous se sont rendus et où ont été déployées les forces françaises.
Mais, et là est l’essentiel au regard du texte qui nous occupe cet après-midi, notre retrait militaire ne signifie nullement un abandon de l’Afghanistan ; au contraire, s’ouvre une période nouvelle pour notre coopération civile.
Quels sont les principes qui guideront notre action dans cette nouvelle phase qui débute pour l’Afghanistan et pour les relations franco-afghanes ?
Le premier enjeu est de favoriser le passage d’une économie et une société de guerre à une économie et une société de paix. Un tel objectif est très ambitieux, dira-t-on ; de fait, il l’est, mais la reconstruction et le retour vers la paix d’un pays qui est plongé depuis des décennies dans la guerre représentent un changement absolument massif.
Le développement économique et social de l’Afghanistan est la première condition d’un retour durable à la paix et à la stabilité. C’est pourquoi le cœur de notre engagement sera la coopération civile.
C’est aussi dans cet esprit que la France appuie un processus de paix conduit par les Afghans eux-mêmes et associant toutes les composantes de la société afghane : le Gouvernement, l’opposition légale, la société civile. La réconciliation nationale devra s’adresser à ceux des insurgés qui sont prêts à rompre tout lien avec Al-Qaïda, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution. Le processus devra bénéficier du soutien des pays de la région – ce n’est pas le plus facile –, notamment, mais pas seulement, du Pakistan.
En deuxième lieu, la France s’engagera en Afghanistan de manière forte. Il est ainsi prévu que notre aide à ce pays augmente de 50 %, pour atteindre 308 millions d’euros sur la période 2012-2016.
Ce qui importe surtout, c’est que l’aide soit conduite de manière à profiter directement à la population afghane. Nous consacrerons notre aide à des programmes concrets, à l’image de l’extension prochaine de l’Institut médical français, qui disposera ainsi d’un service de santé maternelle et néonatale. Il s’agira d’une première en Afghanistan, qui contribuera à améliorer les conditions de vie des femmes afghanes. Je veux saluer, à cet instant, l’engagement de l’association La Chaîne de l’espoir, qui effectue un travail absolument remarquable, et de la fondation Aga Khan dans ce projet tout à fait exemplaire.
En troisième lieu, cette aide ne sera pas un chèque en blanc. Elle sera conditionnée à la réalisation de progrès significatifs sur la voie de la transition, au respect par les Afghans des engagements qu’ils ont pris devant la communauté internationale lors de la Conférence de Tokyo, le 8 juillet dernier, notamment dans les trois domaines clés suivants.
Il s’agit tout d’abord de la bonne gouvernance. La lutte contre la corruption, en particulier, constitue une priorité ; nous attendons dans ce domaine des mesures fortes de la part du gouvernement afghan. C’est une contrepartie indispensable à l’effort demandé à la France. Nous devons être très fermes sur ce point.
Ensuite, les engagements pris en matière de démocratie devront être tenus. À plusieurs reprises, les citoyens afghans ont bravé les menaces et la violence pour élire leurs représentants. Ils sont en droit d’attendre que les élections présidentielle et parlementaire de 2014 et de 2015 se déroulent dans des conditions équitables et transparentes. Nous y veillerons avec nos partenaires internationaux.
Enfin, nous accorderons une attention particulière à l’évolution de la situation des droits de la personne humaine, s’agissant notamment des femmes et des minorités. Certains progrès ont été accomplis, en matière de liberté d’expression en particulier, avec le développement spectaculaire des médias, dont j’ai été le témoin, mais aussi de droits sociaux, tels que l’accès à la santé ou à l’éducation.
Néanmoins, à l’évidence, des motifs d’inquiétude demeurent. Les meurtres, la semaine dernière, d’une femme afghane, commis en public par les talibans, et de la responsable des droits de la femme pour le gouvernement afghan, à la suite d’un attentat ciblé dans la province du Laghman, ont suscité une émotion considérable à travers le monde et rappelé à quel point la situation des femmes reste souvent dramatique.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Laurent Fabius, ministre. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, combien vous êtes sensibles à cette question. Je partage totalement votre préoccupation. La France fera preuve d’une vigilance particulière s’agissant des droits des femmes, en particulier pour l’accès à la justice, à la santé, à l’éducation, ainsi que pour la prévention des violences qui leur sont faites.
Il ne s’agit pas de s’en tenir à des pétitions de principe : pour évaluer les avancées, nous mènerons en parallèle un dialogue avec la société civile afghane, les femmes afghanes, la commission afghane indépendante des droits de l’homme. À cet égard, il m’a été donné, il y a quelques semaines, de rencontrer un certain nombre de personnalités tout à fait extraordinaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le sens du traité qui vous est soumis pour ratification aujourd’hui est de redonner aux Afghans, aux autorités gouvernementales et surtout à la population, à la société civile, les clés de leur destin, tout en leur accordant un appui sur le long terme, qui leur permettra de disposer des moyens d’exercer leur souveraineté.
Concrètement, le traité couvre l’ensemble de nos actions de coopération avec l’Afghanistan.
Du côté français, la coopération portera sur la santé, avec l’extension de l’Institut médical français pour l’enfant afin d’en faire un centre hospitalo-universitaire généraliste, et la mise en œuvre de projets expérimentaux de télémédecine. Les spécialistes français présents en Afghanistan ont une réputation exceptionnelle.
Notre effort de coopération concernera également l’éducation, avec les lycées Malalaï et Esteqlal, et l’enseignement supérieur, avec la création, à l’université polytechnique de Kaboul, d’une école des mines et de géologie. Comme vous le savez, l’Afghanistan est un pays très riche en minerais et il existe une tradition française de recherche géologique.
La coopération s’exercera aussi dans le domaine agricole, notamment en matière d’irrigation et d’enseignement agricole. Nous soutiendrons la mise en place d’un réseau de lycées techniques agricoles afghans et la création d’un laboratoire de contrôle de la qualité.
Dans le domaine de la culture, la coopération s’appuiera sur nos établissements culturels : l’Institut français d’Afghanistan et la Délégation archéologique française. Nous formons des archéologues afghans et assurons les fouilles, en particulier à Bamyan et à Mes Aynak. De plus, nous soutenons la création de musées afghans d’histoire naturelle.
La coopération visera à favoriser le développement des infrastructures – adduction d’eau à Kaboul –, celui du secteur minier – renforcement du service géologique afghan en partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM – et l’accroissement des échanges économiques entre les deux pays, le passage d’une économie de guerre à une économie de paix devant s’accompagner d’un renforcement de la présence de nos entreprises.
S’agissant de la Kapisa et de la Surobi, où ont été déployées la task force La Fayette ainsi qu’une équipe d’experts civils, une action spécifique pour le développement de ces régions est prévue au-delà de 2014, si les populations locales le souhaitent et si la sécurité des personnels est assurée, afin de prolonger les projets déjà conduits.
Enfin, une coopération est prévue dans les domaines de la défense et de la sécurité. Des coopérants français seront présents à l’état-major et dans des écoles militaires afghanes, afin de conseiller les cadres et les instructeurs afghans. Il n’y aura pas de troupes combattantes, mais nous apporterons un appui à la création d’une école de guerre afghane et d’une force de gendarmerie.
Réciproquement, le traité comprend des engagements pris par l’Afghanistan envers la France.
L’Afghanistan s’engage ainsi à lutter par tous les moyens dont il dispose contre les menaces émanant de son territoire à l’encontre de la France ou des intérêts français et à développer la coopération entre services antiterroristes et antidrogue. Sur ce dernier point, un énorme travail reste à réaliser étant donné l’importance des trafics de drogue en Afghanistan. J’ai toujours considéré que l’une des failles des mécanismes qui avaient été mis en place tenait à ce qu’ils faisaient l’impasse sur cette réalité. Tout au plus se bornait-on à affirmer que les paysans doivent cesser de cultiver le pavot, mais en l’absence de moyens de développer d’autres productions à même de leur rapporter de quoi vivre, ce ne peut être qu’un vœu pieux !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Bien sûr !
M. Laurent Fabius, ministre. Quelques efforts ont été entrepris, mais il faudra aller beaucoup plus loin.
L’Afghanistan s’engage également à soutenir les institutions qui concourent à la relation bilatérale. Cela passe notamment par des exemptions fiscales et douanières au bénéfice de l’’Agence française de développement, l’AFD, et des ONG françaises impliquées dans la mise en œuvre du traité.
L’Afghanistan s’engage enfin à promouvoir l’enseignement du français dans le secondaire et le supérieur. Nous avons le plaisir de constater qu’un assez grand nombre de personnalités afghanes parlent le français, souvent pour avoir fait leurs études en France. Il faudrait cependant que la connaissance de notre langue se diffuse plus largement dans la population.
En pratique, la mise en œuvre du programme de coopération devra tenir compte de la capacité d’absorption de la partie afghane, des décisions des organes de gouvernance des établissements concernés, notamment l’AFD, ainsi que des conditions de sécurité en Afghanistan.
Nous avons voulu éviter, au travers de ce traité, la mise en place d’un cadre institutionnel trop pesant. En plus des consultations politiques, le traité prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes, qui se réuniront une fois par an, alternativement à Paris et à Kaboul : une commission mixte de coopération pour le suivi des programmes de coopération, une commission mixte politico-stratégique et une commission pour la sécurité intérieure.
Le traité est complété par un programme de coopération quinquennal présentant de manière plus détaillée les projets qui seront menés au cours d’une première période allant de 2012 à 2016. Il a été paraphé par les ambassadeurs français et afghan en marge de la dernière visite du président Karzaï à Paris.
Ce traité doit nous permettre de bâtir une relation de long terme avec l’Afghanistan sur la base des secteurs d’intervention traditionnels de la France dans ce pays. Il tient compte de notre contribution aux actions des organisations multilatérales qui resteront sur place après 2014 : l’ONU, naturellement, mais aussi l’Union européenne et l’OTAN.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans les années à venir, alors que l’Afghanistan devra se reconstruire et se développer, ce traité d’amitié devrait nous permettre de conserver une place importante et d’illustrer ce que peut être une puissance d’influence comme la France.
Les prochaines années seront une période cruciale pour l’avenir de l’Afghanistan. L’histoire le montre, les Afghans n’ont jamais accepté la présence durable d’une force étrangère sur leur sol. C’est ce qui, depuis Alexandre le Grand jusqu’à l’Union soviétique, a donné à ce pays sa réputation de « cimetière des empires ».
Le retrait des troupes étrangères est une nécessité, mais la transition n’est pas sans risques : risque du chaos comme au début des années quatre-vingt-dix, risque du retour des talibans les plus extrémistes, lesquels avaient pris le pouvoir à Kaboul à la faveur de l’anarchie. Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé en laissant ce pays livré totalement à lui-même, comme cela avait été le cas après le départ des soviétiques. Beaucoup de choses, il faut avoir l’humilité de le reconnaître, dépendront des pays voisins : le Pakistan, mais aussi l’Inde, l’Iran, la Chine, etc. C’est ce que l’on appelle traditionnellement, dans la diplomatie mondiale, le « grand jeu ». La communauté internationale doit donc rester engagée, mais sous des formes nouvelles, efficaces et préservant la souveraineté de l’Afghanistan. C’est l’objet de ce traité. Ce sera aussi l’objet, sur la base de ce dernier et des engagements internationaux de la France, de notre action politique aux côtés des représentants de toutes les composantes de la société afghane en vue d’ouvrir la voie à un avenir aussi stable et apaisé que possible pour tous les habitants de l’Afghanistan.
La ratification de ce traité est un acte important par lequel vous, représentants du peuple français, adresserez un message d’amitié à la population afghane. Le Parlement afghan devrait ratifier ce traité dans les prochaines semaines. L’ambition qui le sous-tend est à la fois simple et très élevée : ensemble, nous devons signifier que nous continuerons d’agir côte à côte, mais désormais essentiellement par une action civile de développement et d’appui à la mise en place d’institutions efficaces et démocratiques. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. En notre nom à tous, je souhaite rendre hommage à Jean François-Poncet, qui vient de nous quitter.
Il était membre de notre commission voilà un an encore. Fils de l’ambassadeur de France en Allemagne, il avait vu, à l’âge de huit ans, brûler le Reichstag.
Ministre des affaires étrangères, président de la commission des affaires économiques du Sénat, président du conseil général du Lot-et-Garonne, premier vice-président du conseil régional d’Aquitaine : Jean François-Poncet a exercé de nombreuses fonctions et accompli une grande carrière politique, tant sur le plan local que sur le plan national. Il a marqué le Sénat par sa vision du monde. En particulier, il fut, en 2009, l’auteur d’un rapport très remarqué de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur le Moyen-Orient à l’heure nucléaire.
Nous gardons de lui l’image d’un homme d’État d’une grande finesse et d’une rare élégance. Il était avant tout un européen convaincu.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la présence dans nos tribunes de M. Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France. Qu’il ne soit pas choqué par les propos sans complaisance que je vais tenir, car ce sont ceux d’un ami de son pays.
« Royaume de l’insolence », l’Afghanistan n’a jamais été soumis. Son histoire est avant tout celle d’une résistance énigmatique et tenace contre tous les empires : moghol, perse, britannique, puis soviétique. Ce magnifique pays, l’un des plus pauvres du monde, livré aux fléaux de la corruption, du terrorisme et du trafic de drogue, martyrisé par trois décennies de guerre, dispose pourtant d’atouts incomparables pour son avenir.
Après la Surobi en avril, c’est la province de Kapisa –dans laquelle cinquante-trois des quatre-vingt-sept soldats français tombés en Afghanistan, dont je salue la mémoire, ont trouvé la mort – qui a, il y a tout juste deux semaines, été transférée aux autorités afghanes. Ainsi se tourne une nouvelle page de son histoire.
Avec le traité qui nous est soumis cet après-midi, la France fait le choix de concentrer désormais ses efforts sur la construction de la paix et la prise en main de leur destin par les Afghans eux-mêmes. Ce projet de loi, soumis au conseil des ministres mercredi dernier, déposé en premier lieu au Sénat et débattu aujourd'hui, sera examiné mercredi prochain par l’Assemblée nationale, pour être adopté définitivement le 25 juillet. Évidemment, ces délais sont très courts !
Si nous avons accepté d’être ainsi « bousculés » – et vous savez, monsieur le ministre, que les sénateurs n’aiment pas trop l’être, encore moins quand ils représentent le département des Landes (Sourires.) –, c’est qu’il y a urgence : urgence à nous doter d’un instrument qui grave dans le marbre du droit international notre engagement dans la durée, pour vingt ans, aux côtés du peuple afghan, que nous ne souhaitons pas abandonner ; urgence aussi à garantir la sécurité et la stabilité de nos actions de coopération pour l’avenir ; urgence enfin à mettre en cohérence tous nos dispositifs d’aide et surtout à leur donner une nouvelle dynamique, qui soit à la hauteur des besoins, immenses, de ce pays exsangue après trente ans de guerre et de malheur.
L’enjeu est simple : il s’agit, ni plus ni moins, de réussir la paix ! L’opinion publique nous regarde : elle ne comprendrait pas qu’on abandonne les Afghans et que nos soldats soient « morts pour rien ».
Le traité d’amitié et de coopération est le principal outil devant nous permettre de travailler efficacement à construire une paix durable. C’est pourquoi nous l’examinons dans le même esprit de continuité républicaine que celui qui a poussé le nouveau gouvernement à inscrire ce texte, signé par le précédent Président de la République, à l’ordre du jour de sa première session législative. On nous objectera que nous avons beaucoup critiqué ce traité, mais il mérite d’être examiné parmi les premiers : tout n’est pas noir ou blanc.