Sommaire
Présidence de M. Didier Guillaume
2. Saisines du Conseil constitutionnel
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Retrait d'une question orale
6. Gouvernance de la sécurité sociale et mutualité. – Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Patricia Schillinger, rapporteur de la commission des affaires sociales.
MM. Dominique Watrin, Gilbert Barbier, Alain Milon, Mme Aline Archimbaud.
7. Témoignage d'amitié à M. Guy Fischer, sénateur du Rhône
8. Gouvernance de la sécurité sociale et mutualité. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) : Mme Gisèle Printz, M. Ronan Kerdraon.
Clôture de la discussion générale.
MM. Roland Ries, André Reichardt.
Adoption de l'article.
Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
9. Majoration des droits à construire. – Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Benoist Apparu, ministre chargé du logement ; Thierry Repentin, rapporteur de la commission de l’économie.
MM. Vincent Capo-Canellas, Michel Billout, Jacques Mézard, Mme Élisabeth Lamure, MM. Joël Labbé, Jean-Jacques Filleul.
Clôture de la discussion générale.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 3 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, le président de la commission, Philippe Bas, Vincent Capo-Canellas, Joël Labbé. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 2 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
M. René-Paul Savary.
Adoption du projet de loi.
M. le président de la commission.
Suspension et reprise de la séance
10. Traitement des données à caractère personnel. – Discussion d'une proposition de résolution européenne
Discussion générale : MM. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, rapporteur de la commission des lois et rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Anne-Marie Escoffier, MM. Jean Bizet, André Gattolin, Yves Détraigne.
11. Nouveau témoignage d'amitié à M. Guy Fischer
MM. le garde des sceaux, le président, Guy Fischer.
12. Traitement des données à caractère personnel. – Suite de la discussion d'une proposition de résolution européenne
Discussion générale (suite) : Mme Virginie Klès, MM. Gaëtan Gorce, Claude Jeannerot.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Suspension et reprise de la séance
MM. Gaëtan Gorce, le président.
14. Traitement des données à caractère personnel. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution européenne
Texte de la proposition de résolution européenne
Amendement n° 1 de M. Pierre-Yves Collombat. – Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. – Retrait.
M. Yves Pozzo di Borgo
Adoption de la proposition de résolution européenne.
15. Saisines du Conseil constitutionnel
16. Communication du Conseil constitutionnel
17. Suspension des travaux en séance publique
compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Guillaume
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 1er mars 2012 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, le 5 mars 2012, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution, d’une part, par plus de soixante sénateurs et, d’autre part, par plus de soixante députés, de la loi relative à la simplification du droit et l’allégement des démarches administratives.
Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Dépôt de rapports
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 22 de la loi n° 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique, le rapport évaluant l’application de cette loi et la contribution du service civique à la cohésion nationale.
Ce rapport a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
M. le Premier ministre a également transmis au Sénat, en application de l’article 44 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le bilan de l’expérimentation relative au transfert de l’autorité de gestion des programmes européens aux régions.
Ce rapport a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Dominique Latournerie, président de la Commission nationale des accidents médicaux, a transmis au Sénat, en application de l’article L. 1142-10 du code de la santé publique, le rapport pour 2010-2011 de cette commission.
Ce rapport a été transmis à la commission des affaires sociales.
Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, a transmis au Sénat, en application de l’article L. 227-7 du code de l’aviation civile, le rapport d’activité pour 2011 de cette autorité.
Ce rapport a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ces documents sont disponibles au bureau de la distribution.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Retrait d'une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1509 de M. Jean-Patrick Courtois est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
6
Gouvernance de la sécurité sociale et mutualité
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité (proposition n° 432, texte de la commission n° 445, rapport n° 444).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer le travail de la commission, qui s’est affranchie du contexte politique actuel pour examiner cette proposition de loi, sur laquelle nous serons tous d’accord, me semble-t-il.
Le texte proposé s’inscrit, en effet, dans une évolution raisonnée et volontaire de la sécurité sociale vers une gestion plus efficiente de son réseau.
Ainsi, l’article 1er reprend la proposition des conseils d’administration de la caisse régionale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés de Strasbourg, d’une part, et de la caisse régionale d’assurance maladie d’Alsace-Moselle, d’autre part, qui visent à fusionner ces deux caisses. Cette initiative de bonne gestion est d’autant plus à saluer qu’elle est un acte volontaire de ces caisses. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle aura donc les mêmes compétences que les CARSAT du régime général. Elle atteindra en outre une taille critique que les deux caisses citées ne pouvaient atteindre séparément.
C’est donc l’organisation de la sécurité sociale dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle qui s’en trouve simplifiée, et nous pouvons nous en féliciter.
L’article 2 a pour objectif de proroger le mandat des membres des conseils d’administration des caisses de base du régime social des indépendants, le RSI. En l’absence de modification législative, le mandat des administrateurs des caisses de base arriverait à échéance le 7 avril prochain. Or il est de tradition républicaine qu’aucune élection n’ait lieu en même temps que de scrutins nationaux. De plus, il est désormais matériellement impossible d’organiser ces élections d’ici à avril prochain.
Le report des élections se révèle donc indispensable. Pour cette raison, l’article 2 prévoit de proroger le mandat des administrateurs actuels jusqu’au 30 novembre 2012, ce qui permettra d’organiser les élections au sein du RSI en fin d’année 2012 et de garantir le bon fonctionnement de la gouvernance du RSI d’ici là.
Enfin, l’article 3 a pour but de moderniser la gouvernance du Conseil supérieur de la mutualité. L’absence, depuis 2010, de service déconcentré pour assurer le suivi du secteur de la mutualité ne permet plus de réunir les comités régionaux de coordination. Il convient donc effectivement d’envisager leur suppression, tout en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la mutualité.
La désignation des membres, après enquête de représentativité, va donc dans le sens d’une simplification et d’une diminution des coûts de gestion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour que ces propositions sages et utiles entrent en vigueur dès que possible, nous avons besoin d’un vote conforme de votre Haute Assemblée. Nul doute que nous serons tous unanimement d’accord sur ces évolutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Patricia Schillinger, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite de quatre sujets distincts, relativement techniques.
Il s’agit premièrement, et principalement, de la création d’une CARSAT en Alsace-Moselle.
Depuis 1960, et jusqu’en 2009, les caisses régionales d’assurance maladie, les CRAM, comportaient, en France métropolitaine, une branche vieillesse qui prenait en charge ce risque pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV.
Pour des raisons historiques, l’Alsace-Moselle est le seul territoire à disposer d’une caisse régionale d’assurance vieillesse, ou CRAV, en parallèle avec une CRAM spécifiquement dédiée à l’assurance maladie.
En décembre 2008, les conseils d’administration de la CRAM et de la CRAV d’Alsace-Moselle ont engagé un processus de rapprochement de leurs deux organismes et adopté le principe d’une direction commune. En mars 2010, ils ont voté le principe d’une fusion complète.
Entre-temps, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », a transféré certaines compétences des CRAM vers les nouvelles agences régionales de santé et les a remplacées par des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, ou CARSAT.
L’article 1er de la proposition de loi entérine le processus ancien lancé par les instances locales d’Alsace-Moselle et organise la fusion entre la CRAM et la CRAV, ainsi que la création d’une CARSAT.
Cette mesure de simplification permettra de renforcer l’identité du territoire et du droit local, d’améliorer le fonctionnement des structures et d’éviter une éventuelle concurrence, au détriment des assurés, sur des compétences qu’elles partagent aujourd’hui, notamment en ce qui concerne l’action sociale et la santé au travail.
Comme pour les autres CARSAT, le conseil d’administration sera composé de vingt et un membres, soit huit représentants des salariés, huit représentants des employeurs, un représentant de la mutualité française et quatre personnalités qualifiées. La seule différence réside dans le fait que l’une de ces personnalités qualifiées devra représenter l’instance de gestion du régime local d’assurance maladie.
Il s’agit deuxièmement du champ territorial du régime local.
Le régime local d’assurance maladie complémentaire d’Alsace-Moselle est un exemple intéressant de couverture complémentaire obligatoire, héritière de l’histoire et de la culture de ce territoire.
La commission des affaires sociales vient justement de publier un rapport d’information présentant les caractéristiques du régime, à partir d’une enquête qu’elle avait commandée, voilà un an, à la Cour des comptes. Or, tout récemment, le régime local s’est trouvé au cœur du débat public national à l’occasion de l’élection présidentielle, ce dont je ne peux que me féliciter.
L’article 1er de la proposition de loi permet de mettre en cohérence la théorie avec la pratique en ce qui concerne le champ des bénéficiaires du régime local. Le code de la sécurité sociale prévoit en effet actuellement l’affiliation des salariés travaillant hors d’Alsace-Moselle pour une entreprise qui y a son siège. Or cette mesure est d’application complexe et n’a jamais pu être mise en œuvre. Sur l’initiative des instances du régime local, il est donc proposé de la supprimer pour des raisons là aussi de simplification, sauf pour le secteur des salariés agricoles et forestiers.
Il s’agit troisièmement du conseil d’administration du régime social des indépendants, le RSI.
Créé en 2006, le RSI regroupe les artisans, les commerçants et les professions libérales. Les membres des conseils d’administration des trente caisses de base élisent les cinquante membres du conseil d’administration de la caisse nationale, qui fédère le réseau.
Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait que le conseil d’administration de la caisse centrale serait dorénavant composé par les présidents des caisses de base et par des personnalités qualifiées désignées par l’État.
Il s’agissait certainement d’une mesure d’amélioration de l’efficacité de la caisse centrale, mais elle avait pour corollaire une diminution de la représentation des professions libérales. En outre, la rédaction renvoyait au pouvoir réglementaire le soin de fixer le nombre et le type de personnalités qualifiées, ce qui pouvait susciter quelques difficultés.
Finalement, sur l’initiative de son rapporteur, Yves Bur, qui est pourtant aussi l’auteur de la proposition de loi, l’Assemblée nationale a supprimé cette modification, tout en conservant la prorogation du mandat des administrateurs des caisses de base jusqu’au 30 novembre 2012, au motif que les élections théoriquement prévues au début du mois d’avril risquaient de se « télescoper » avec les élections présidentielle et législatives.
À cet égard, je signale que cette même mesure, heureusement rédigée de manière identique, figure aussi dans la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives que l’Assemblée nationale a adoptée définitivement le 29 février dernier. Cet exemple conforte notre assemblée dans le choix qu’elle fait de s’opposer aux textes « fourre-tout » qui, sous couvert de simplification, ne font souvent qu’apporter confusion et complexité !
Quatrièmement, enfin, il s’agit des comités régionaux de coordination de la mutualité, les CRCM, et du Conseil supérieur de la mutualité.
Ces comités sont des instances consultatives au niveau régional du secteur de la mutualité, élues pour six ans par les mutuelles. La partie réglementaire du code de la mutualité leur fixe une liste très longue de compétences, mais, étrangement, j’ai appris que ces comités ne se sont pas réunis depuis plusieurs années et que leur activité est très faible.
Dans les faits, la restructuration du secteur mutualiste conjuguée à l’ordonnance de janvier 2010, qui a créé l’Autorité de contrôle prudentiel, réduit l’intérêt de ces instances.
En conséquence, l’article 3 de la proposition de loi supprime les comités régionaux de coordination de la mutualité. Or ceux-ci avaient notamment pour rôle d’élire les membres du Conseil supérieur de la mutualité. Instance consultative, au niveau national cette fois, ce conseil semble avoir un fonctionnement qui n’est guère plus optimal que celui des CRCM. En effet, selon les informations qui m’ont été fournies, ce conseil supérieur ne s’est plus réuni en formation plénière depuis 2006 !
Toutefois, il se trouve que le secteur de la mutualité est très organisé au niveau professionnel, et la Fédération nationale de la mutualité française, la FNMF, y est largement majoritaire : elle regroupe 600 mutuelles de santé, qui couvrent 38 millions de personnes, et représente ainsi 95 % des mutuelles.
Dans les faits, il y a donc bel et bien un dialogue permanent avec les autorités publiques, mais c’est, au fond, le rôle de ces instances de consultation.
Pour ces raisons, l’article 3 substitue à l’élection des membres du Conseil supérieur de la mutualité, processus très coûteux et quelque peu artificiel du fait de la représentativité de la FNMF, une désignation par les organisations professionnelles. En outre, les critères de représentativité seront fixés par décret en Conseil d’État.
Il s’agit d’une mesure de simplification et d’allègement des coûts administratifs. Cependant, je ne mésestime pas la nécessité de faire vivre la démocratie du secteur mutualiste, car il importe de préserver cette forme d’organisation économique et sociale qui repose sur une finalité non lucrative.
Pour conclure, je veux rappeler que ces trois articles ont déjà été adoptés par le Parlement dans le cadre de la discussion de ce qu’il est convenu d’appeler la loi Fourcade, avant d’être censurés par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de forme.
Sur l’initiative de plusieurs sénateurs socialistes, l’article 1er a été, une seconde fois, approuvé dans le cadre, cette fois, de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, mais a été, de nouveau, invalidé par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que cette disposition n’entrait pas dans le champ d’une loi de financement.
Or la réforme de la gouvernance des organismes de sécurité sociale en Alsace-Moselle est une mesure de simplification attendue par les acteurs locaux, qui l’ont préparée depuis plusieurs années.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales a adopté sans modification la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale. Je souhaite que le Sénat fasse de même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est un fait, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, contre laquelle le groupe CRC s’est fortement mobilisé, a eu pour effet de contribuer à l’étatisation de notre système de santé, au détriment d’une réelle démocratie sanitaire de proximité.
En l’espèce, je pense, par exemple, au sort réservé aux caisses régionales d’assurance maladie : elles ne sont pas seulement devenues des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, en gagnant il est vrai quelques compétences ; elles ont surtout perdu, au profit des directeurs des agences régionales de santé, une compétence majeure, à savoir la gestion du risque.
En effet, la gestion du risque relève aujourd’hui de la compétence exclusive des directeurs d’ARS, qui sont de véritables « superpréfets » sanitaires ayant la haute main tout à la fois sur la gestion du risque et sur l’organisation de l’offre de soins dans les régions. Il s’agit d’une concentration inédite des pouvoirs là où le partage des responsabilités était la règle, mais surtout là où l’intervention des usagers et des salariés était plus forte.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité en ce qu’elle vise à acter dans la loi la fusion de la CRAM d’Alsace-Moselle avec la CRAV de ce même territoire en une CARSAT comme il en existe, depuis l’adoption de la loi HPST, dans toutes les régions de France, exception faite de l’Île-de-France.
Nous ne l’ignorons pas, cette décision traduit une certaine volonté locale, exprimée par le conseil d’administration de chacune des deux caisses, consultées en mars 2010. Cependant, nous sommes sceptiques quant aux avantages qui en découleraient.
En effet, les autres exemples de fusion sur le territoire ont été plus souvent synonymes de réduction d’effectifs, d’accumulation de retards et de désorientation des usagers que de plus-values mesurables pour les salariés et les retraités. Les fusions semblent correspondre davantage à une volonté de réduire les coûts qu’à celle de renforcer les droits et la protection des usagers. Et la fusion dont il est ici question ne fait pas exception à la règle.
Si nous pouvons entendre les arguments développés en faveur de la fusion, à savoir le renforcement de l’identité territoriale, la réduction du risque de concurrence entre les deux caisses et l’amélioration du fonctionnement des structures, nous imaginons mal les avantages concrets qui pourraient en résulter au bénéfice des salariés et des retraités.
Cette fusion entraînera – ou a déjà entraîné – la suppression de plus de 200 postes, par le biais du non-remplacement d’un départ à la retraite sur trois. Cette réduction d’effectifs, conforme à l’esprit de la révision générale des politiques publiques, couplée à l’augmentation progressive du nombre de retraités, nous fait craindre une détérioration du service rendu aux usagers.
Aussi, malgré le consensus apparent des parlementaires de ces territoires, le groupe CRC s’abstiendra sur cette disposition.
En effet, cette volonté locale ne saurait s’abstraire d’une analyse nationale fondée sur le modèle social que nous souhaitons et sur la politique d’emploi public que nous voulons pour l’ensemble de notre pays.
De la même manière, nous considérons que la disposition relative aux mécanismes d’adhésion au régime local d’assurance complémentaire prévue également à l’article 1er est ambiguë.
En l’état actuel du droit, peuvent être affiliées à ce régime local non seulement les personnes qui travaillent dans l’un de ces trois départements, mais également celles qui résident et travaillent dans un autre département, dès lors que le siège social de l’entreprise qui les emploie se trouve également dans l’un de ces trois départements.
Or la proposition de loi prévoit de supprimer cette possibilité, alors que, au moment même où nous examinions cette proposition de loi en commission, celle-ci se prononçait pour l'extension de ce régime à toute la France ! Avouez que c’est tout de même paradoxal, d’autant que la possibilité demeure pour le régime agricole.
Là encore, l’argument de la complexité n’est pas satisfaisant : pourquoi ce qui est possible pour le régime agricole ne le serait-il pas pour le régime salarié ?
Sans doute aurait-il été opportun de consulter localement les usagers sur ces deux dispositions pour savoir ce qu’ils en pensent. En effet, ils sont nombreux à craindre, notamment parmi les administrateurs des caisses, que la fusion, couplée à cette mesure, ne soit le prélude à un alignement sur le droit commun et donc à la disparition du régime local.
Pour conclure, je voudrais dire quelques mots sur le troisième et dernier article de cette proposition de loi, relatif au Conseil supérieur de la mutualité.
Comme le rappelle, à raison, l’auteur de la proposition de loi, le Conseil supérieur de la mutualité est l’instance officielle et nationale de représentation de la mutualité en même temps qu’il permet un dialogue institutionnalisé avec les pouvoirs publics.
Pour autant, bien que le code de la mutualité lui confie un rôle charnière dans le mouvement mutualiste, force est de constater que le Conseil supérieur de la mutualité demeure une « coquille vide » : comme l’a rappelé Mme la rapporteure, il ne se réunit que de manière très aléatoire.
Ainsi, en juillet 2007, le site internet www.lavieeco.com titrait que le Conseil supérieur de la mutualité reprenait du service après quarante ans d’hibernation, précisant : « Le Conseil supérieur de la mutualité a tenu, en mai dernier, sa deuxième réunion depuis sa création... en 1966, la première réunion ayant eu lieu en 1967. » Voilà qui ne peut que nous interpeller !
À cet égard, je veux profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour demander au Gouvernement les raisons pour lesquelles il s’est abstenu de consulter le Conseil supérieur de la mutualité lorsqu’il a opté pour la mesure scandaleuse qu’a constitué le doublement de la taxe sur les mutuelles responsables.
Cela dit, nous n’ignorons naturellement pas la réalité, et nous savons pertinemment que, dans les faits, la Fédération nationale des mutuelles de France est surreprésentée dans ces instances, du fait même de sa force, puisque 95 % des mutuelles environ y adhèrent. Mais nous ne pouvons nous satisfaire d’arguments relatifs à la lourdeur technique et économique liés à l’organisation d’élections pour justifier qu’on les supprime.
Le processus démocratique est une construction permanente qui mobilise, par définition, des moyens techniques, humains et financiers. En faisant primer ces considérations sur l’exigence de démocratie, nous craignons d’ouvrir une brèche que l’on pourrait, demain, nous opposer dans d’autres secteurs.
Là encore, le groupe CRC s’abstiendra sur cette disposition, et sera extrêmement vigilant sur la rédaction du décret qui sera pris en Conseil d’État, afin que soit pleinement respecté ce principe fondateur et fondamental pour le mouvement mutualiste : chaque adhérent compte pour une voix.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte intéresse sans doute plus particulièrement nos collègues alsaciens et mosellans, mais concerne aussi tous ceux qui, comme moi, s’interrogent sur l’avenir du financement de notre sécurité sociale et appellent à une gestion plus efficiente de son réseau.
L’article 1er de cette proposition de loi organise la fusion de la caisse régionale d’assurance vieillesse et de la caisse régionale d’assurance maladie d’Alsace-Moselle, comme cela s’est fait dans les autres territoires de santé à la suite de la loi HPST, qui a transféré certaines compétences des CRAM aux nouvelles agences régionales de santé.
On ne peut que saluer cette initiative de simplification et de bonne gestion, d’autant plus qu’elle est un acte volontaire de ces caisses, le texte ne faisant qu’entériner un processus qu’elles ont elles-mêmes lancé. Dans bien d’autres domaines, nous devrions peut-être suivre cet exemple, en laissant les partenaires sociaux dialoguer et faire des propositions, à charge pour le législateur de les concrétiser ensuite.
L’article 1er modifie, par ailleurs, le champ des bénéficiaires du régime local d’assurance maladie en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Notre excellente rapporteur, Patricia Schillinger, nous a présenté ce modèle en commission.
Il s’agit d’une assurance complémentaire obligatoire qui permet aux Alsaciens et aux Mosellans d’être indemnisés à hauteur de 90 % pour les soins courants et de 100 % pour les frais hospitaliers.
Ce régime local a la particularité d’être très solidaire, car il est financé uniquement par les cotisations salariales, identiques pour tous les revenus et déplafonnées. Cependant, il convient de rappeler qu’il ne concerne que les salariés du secteur privé et les chômeurs, et non pas l’ensemble des Alsaciens et des Mosellans.
Ce régime présente aussi une autre particularité, celle d’être équilibré, tout d’abord parce que la loi ne permet pas qu’il en soit autrement ; ensuite, parce qu’il est géré par les seuls syndicats de salariés qui adaptent le montant des cotisations en fonction des besoins.
Il se trouve qu’actuellement la situation est plutôt bonne, ce qui a permis de faire passer le taux de cotisation de 1,6 % à 1,5 %. C’est, là encore, une illustration de l’effet bénéfique de l’implication des partenaires sociaux, notamment des syndicats de salariés.
Cela fait évidemment réfléchir ! Certains se demandent pourquoi, après tout, on ne pourrait pas généraliser ce régime qui donne de bons résultats. Il faut sans doute modérer notre enthousiasme, car le régime général n’est pas moins déficitaire sur le territoire d’Alsace-Moselle qu’ailleurs en France.
Néanmoins, le régime local peut contribuer à éclairer le débat national sur le financement de notre protection sociale. Ce débat a été une nouvelle fois au cœur de nos discussions à propos de la TVA sociale et de la baisse des cotisations patronales.
Les réformes engagées depuis quatre ans, à commencer par la réforme des retraites, qui se traduit dès 2012 par 5,6 milliards d’économies, ont certes permis de rompre avec la hausse incontrôlée des dépenses. Des recettes supplémentaires ont été aussi mobilisées – 6 milliards d’euros pour 2012 –, mais au prix de contributions importantes ; je pense notamment à la taxe sur les conventions d’assurance.
Est-il judicieux d’entretenir un système auquel il faudra, tôt ou tard, affecter un complément de CSG, et de maintenir un système d’assurance complémentaire qui devient de plus en plus onéreux ? Chacun le sait bien, il faudra innover si l’on veut conserver un haut niveau de solidarité sans pour autant générer des déficits.
Un État qui protège, c’est d’abord un État solide, un État dont les bases financières sont saines. L’assurance maladie doit impérativement et durablement tendre vers l’équilibre, même si cela implique de revisiter la solidarité nationale face à la maladie. Il y a sans doute des enseignements à tirer du régime d’Alsace-Moselle.
L’article 2 de la proposition de loi ne me pose pas de problème, d’autant qu’a été supprimée la partie, contestable, prévoyant que le conseil d’administration de la Caisse nationale du régime social des indépendants serait composé des présidents de caisses de base. Cette mesure pouvait, en effet, nuire à l’équilibre interprofessionnel.
Quant à l’article 3, qui vise à moderniser le Conseil supérieur de la mutualité, il va dans le sens d’une simplification et d’une diminution des coûts de gestion. Avec un caractère aussi pléthorique, il est clair que cette instance ne pouvait être réactive...
Dans son ensemble, le groupe RDSE votera évidemment cette proposition de loi, qui est d’ailleurs largement consensuelle et dont les dispositions ont déjà été adoptées à l’occasion de l’examen d’autres textes. (Mme la rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, avant de m’exprimer sur cette proposition de loi, je me dois de rappeler qu’en octobre 2011 le même texte avait été déposé au Sénat en termes identiques par mes collègues sénateurs UMP mosellans et alsaciens : Philippe Leroy, Francis Grignon, Fabienne Keller, André Reichardt, Esther Sittler, Jean-Louis Lorrain et Catherine Troendle. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
À leur suite, le parlementaire provençal que je suis veut apporter son soutien à ce texte.
Quant à son contenu, je tiens à faire remarquer, comme d’autres l’ont fait avant moi, qu’il est prévu dans cette proposition de loi de faire abandonner une spécificité à l’Alsace-Moselle pour qu’elle se rapproche du régime en vigueur sur le reste du territoire. Cette particularité méritait d’être soulignée.
En effet, la présente proposition de loi a pour premier objet l’amélioration de la gouvernance du système de sécurité sociale en Alsace-Moselle par la création de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle.
Il y est prévu, par ailleurs, deux évolutions à l’échelle nationale : d’une part, la révision de la composition du conseil d’administration de la Caisse nationale du régime social des indépendants ainsi que des dates de renouvellement de ce conseil, et, d’autre part, la modernisation du Conseil supérieur de la mutualité.
En ce qui concerne le premier objet, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, texte que nous connaissons bien, a créé les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail en remplacement des caisses régionales d’assurance maladie, cela sur l’ensemble du territoire national à compter du 1er juillet 2010.
Ce changement, dont nous avons longuement discuté lors de l’examen de la loi HPST, est intervenu à la suite de la création des agences régionales de santé, auxquelles ont été transférées les missions auparavant exercées par les caisses régionales d’assurance maladie en matière de politique sanitaire et médico-sociale.
Je rappelle, à cette occasion, le rôle essentiel des CARSAT, qui exercent une mission de service public dans les domaines de la retraite, de la prévention/tarification des risques professionnels et, enfin, de l’action sociale. Toutefois, du fait de leurs spécificités respectives, l’Île-de-France et l’Alsace-Moselle ont chacune maintenu une caisse régionale d’assurance vieillesse.
Comme cela a déjà été rappelé, en mars 2010, les conseils d’administration des caisses régionales d’assurance maladie et d’assurance vieillesse d’Alsace-Moselle ont voté le principe de la fusion des deux caisses. La présente proposition de loi met donc en œuvre les adaptations législatives nécessaires à cette fusion.
Plus fondamentalement, ce premier point est l’occasion d’une réflexion à partir du régime particulier d’assurance complémentaire obligatoire qui est appliqué en Alsace-Moselle. Permettez-moi, à la suite de M. Gilbert Barbier et de Mme la rapporteur, d’en rappeler rapidement le fonctionnement.
Les salariés acquittent une cotisation obligatoire qui leur assure une meilleure prise en charge et de meilleurs remboursements, jusqu’à 90 % pour les soins courants et 100 % pour les frais hospitaliers, sans avoir à acquitter le ticket modérateur ou le forfait hospitalier.
Ce régime complémentaire est géré par les représentants des seuls salariés et présente la spécificité d’être en excédent. Une gestion particulièrement saine a même permis, en 2012, une baisse du taux de cotisation, qui est passé de 1,6 % à 1,5 %.
Ainsi, ce régime local est largement redistributif et son coût de fonctionnement est minime, ce qui devrait servir d’exemple à d’autres complémentaires ! En tant que parlementaires, nous sommes soucieux de la santé financière de notre protection sociale. De ce point de vue, il me semble opportun de mener les réflexions qui seraient de nature à permettre l’extension de systèmes semblables à l’ensemble du territoire national, comme le suggèrent Mme Patricia Schillinger dans son rapport et M. Gilbert Barbier à l’instant.
L’article 2 a pour objet de proroger le mandat des membres des conseils d’administration des caisses de base du régime social des indépendants jusqu’au 30 novembre 2012. En l’absence de modification législative, ce mandat arriverait à échéance le 7 avril prochain. Or il est de tradition républicaine qu’aucune élection n’ait lieu à l’approche d’échéances nationales aussi importantes que celles qui nous attendent.
Enfin, l’article 3 vise à moderniser la gouvernance du Conseil supérieur de la mutualité. Cette réforme apparaît nécessaire pour simplifier le fonctionnement des instances supérieures de la mutualité.
L’absence, depuis 2010, de service déconcentré pour assurer le suivi du secteur de la mutualité ne permet plus de réunir les comités régionaux de coordination. Il convient donc de les supprimer, tout en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la mutualité.
Par ailleurs, ce conseil n’a pas été réuni en formation plénière depuis six ans en raison de son caractère pléthorique. En outre, l’élection des membres de ce conseil repose sur l’élection préalable des comités régionaux de coordination de la mutualité, précédemment rattachés aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales, les fameuses DRASS. Or ces directions ont disparu avec la création des agences régionales de santé en 2010. Il apparaît difficile d’organiser l’élection des comités régionaux de coordination de la mutualité sans pouvoir s’appuyer sur les structures déconcentrées de l’État.
Le passage à un système de désignation des membres du conseil s’inscrit donc dans un mouvement général de simplification et de rationalisation des instances de représentation de la mutualité. Avant l’entrée en vigueur du changement de système, la prorogation du mandat des membres du Conseil supérieur de la mutualité permettra de garantir la continuité de fonctionnement de cette instance jusqu’à la mise en œuvre de la réforme.
Ce texte très technique, déjà examiné à plusieurs reprises par notre assemblée, en particulier dans le cadre de la discussion de la proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Pierre Fourcade, permet des ajustements attendus et importants, ainsi qu’une organisation homogène sur l’ensemble du territoire national.
Le groupe UMP se félicite donc que la commission des affaires sociales propose un vote conforme et votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme la rapporteur et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur trois articles proposant quatre mesures relatives à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité.
Premièrement, il s’agit de fusionner la caisse régionale d’assurance maladie et la caisse régionale d’assurance vieillesse d’Alsace-Moselle.
Le risque vieillesse est aujourd’hui géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse, qui s’appuie sur le réseau des caisses régionales d’assurance maladie devenues, en 2010, caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, partout en métropole, sauf en Île-de-France, région où la Caisse nationale d’assurance vieillesse assure une gestion directe du risque vieillesse, et en Alsace-Moselle, seule région de France où il existe encore une caisse régionale d’assurance vieillesse.
En 1960, lors de la réforme de l’organisation et du fonctionnement de la sécurité sociale, les caisses régionales de sécurité sociale et les caisses régionales d’assurance vieillesse ont, en effet, fusionné partout en France pour devenir des caisses régionales d’assurance maladie comportant une branche vieillesse.
Cependant, du fait des particularités historiques de la sécurité sociale en Alsace-Moselle, la caisse régionale d’assurance vieillesse a donc été jusqu’ici préservée, et deux structures, une caisse régionale d’assurance maladie et une caisse régionale d’assurance vieillesse, coexistent par conséquent dans les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, alors qu’ailleurs en France une seule prend en charge les deux risques maladie et vieillesse.
C’est la création d’une caisse d’assurance retraite et de la santé au travail qui nous est aujourd’hui proposée pour l’Alsace-Moselle, comme c’est déjà le cas dans les autres régions. Cette mesure semble faire l’objet d’un large consensus politique local, et les conseils d’administration de la caisse régionale d’assurance maladie et de la caisse régionale d’assurance vieillesse ont d’ailleurs engagé, dès décembre 2008, un processus de rapprochement en votant le principe d’une direction commune aux deux organismes, décision effective depuis juillet 2009.
Puisqu’elle est souhaitée localement et qu’elle ne pose aucun problème sur le plan national, le groupe écologiste ne voit pas d’opposition à l’entérinement de cette réforme.
Toutefois, permettez-moi un tout petit bémol. Dans son rapport, notre collègue Patricia Schillinger nous précise que la « fusion de la CRAM et de la CRAV en une CARSAT ne peut que renforcer l’efficacité de ces structures », mais aucun élément factuel d’évaluation n’est apporté pour corroborer cette affirmation. Peut-être des études ont-elles été menées dans les autres régions à l’occasion de la création des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, mais, dans tous les cas, il serait intéressant que la mise en place d’une CARSAT en Alsace-Moselle fasse l’objet d’un suivi et d’une évaluation.
Deuxièmement, il nous est également proposé, à l’article 1er, d’adapter le champ géographique de l’affiliation au régime local d’assurance maladie complémentaire.
Le texte prévoit, en effet, que sont affiliés au régime local « général » les salariés exerçant une activité dans l’un des trois départements, quel que soit le lieu d’implantation du siège de l’entreprise, ainsi que les salariés d’un établissement implanté dans ces départements qui exercent une activité itinérante ailleurs.
Cette définition est un peu plus restrictive que celle qui est actuellement en vigueur, aux termes de laquelle les salariés d’une entreprise ayant son siège dans l’un des trois départements, quel que soit leur lieu de travail en France, sont inclus dans le régime local. Mais cette disposition n’a jamais été appliquée.
De surcroît, le quatrième paragraphe de l’article 1er de la proposition de loi prévoit une « clause de sauvegarde » permettant aux salariés aujourd’hui affiliés au régime local en travaillant hors des trois départements pour une entreprise y ayant son siège social de conserver leurs droits. Cette mesure ne nous paraît donc pas défavorable aux salariés. Aussi n’y sommes-nous pas opposés.
Troisièmement, le deuxième article de la proposition de loi modifie la composition du conseil d’administration de la Caisse nationale du régime social des indépendants, créé en 2006.
Pour l’instant, ce conseil compte cinquante administrateurs, dont quarante-deux représentent les caisses des artisans et commerçants, et huit les deux caisses de base des professions indépendantes.
Toutefois, selon les observateurs, le nombre élevé d’administrateurs freine le fonctionnement du régime. En pratique, quatre délégués nationaux sur cinq ne sont pas présidents de caisse de base, ce qui crée un filtre supplémentaire entre ces caisses et la caisse nationale, contribuant à ralentir la diffusion de l’information et la prise de décision.
Espérons que la nouvelle composition ici proposée – présidents des conseils d’administration des caisses de base et personnes qualifiées désignées par l’autorité compétente de l’État – sera plus efficace !
Enfin, le troisième article de cette proposition de loi concerne le Conseil supérieur de la mutualité. Pour l’instant, ses membres sont élus par les comités régionaux de coordination de la mutualité, les CRCM, créées en 2001, lors de la réforme du code de la mutualité.
Dans la pratique, ces comités n’ont jamais vraiment exercé leurs missions propres ou l’ont fait de manière très hétérogène. Mme la rapporteure rappelle d’ailleurs à juste titre dans son rapport que la plupart ne se sont jamais réunis, seuls trois d’entre eux, ceux de Provence-Alpes-Côte d’Azur, de Rhône-Alpes et d’Île-de-France, ayant quelque peu fonctionné.
L’article 3 vise donc à supprimer les CRCM et à remplacer l’élection des membres du Conseil supérieur de la mutualité par une désignation par les fédérations les plus représentatives du secteur.
Le groupe écologiste, qui ne voit rien de particulier à opposer à cette mesure, tient cependant à formuler une réserve. Il est en effet précisé dans le rapport que la suppression des comités régionaux de coordination de la mutualité évitera « des dépenses élevées liées à l’organisation des élections, tout en préservant la consultation des organisations représentatives du secteur ».
Dans ce cas précis, le raisonnement est légitime. Toutefois, la formulation de la recommandation nous interpelle. Certes, l’organisation d’élections est coûteuse, en énergie et en temps, mais tel est le prix d’un fonctionnement démocratique et, de manière générale, le principe de l’élection nous paraît trop important pour être remis en cause pour des raisons matérielles.
Globalement, vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré les quelques réserves que je viens de formuler, le groupe écologiste ne s’oppose à aucune des mesures contenues dans cette proposition de loi. Mme la rapporteure nous demande de l’adopter « conforme », préconisation que nous suivrons en votant et en appelant à voter pour ce texte, dans la rédaction retenue par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
7
Témoignage d'amitié à M. Guy Fischer, sénateur du Rhône
M. le président. Mes chers collègues, je souhaite, au nom du président du Sénat et en votre nom à tous, ainsi qu’en mon nom personnel, accueillir avec amitié, émotion et respect notre collègue Guy Fischer, qui nous revient cet après-midi après de trop longs mois d’absence. (Vifs applaudissements.)
Je veux lui dire combien nous sommes heureux de le compter de nouveau parmi nous et l’assurer de notre solidarité, comme il convient à l’un des nôtres qui, après s’être signalé par son travail dans notre assemblée, a, dans l’épreuve, marqué toutes et tous par son courage.
Mon cher collègue, au nom du Sénat tout entier, je vous souhaite force et vaillance pour participer demain aux travaux de longue haleine qui seront ceux du Sénat. (Nouveaux applaudissements. –M. Guy Fischer se lève et salue l’hémicycle.)
8
Gouvernance de la sécurité sociale et mutualité
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a essentiellement pour objet de fusionner la CRAM et la CRAV d’Alsace-Moselle au sein d’une caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, ou CARSAT, par alignement sur l’organisation qui prévaut pour le reste du territoire. Une telle démarche permettra de renforcer la cohérence territoriale de l’Alsace-Moselle, en maintenant un organisme unique et important, fort de 1 100 salariés au service de 650 000 retraités, 80 000 entreprises et 2 800 000 assurés sociaux.
La fusion de la CRAM et de la CRAV en Alsace-Moselle aurait dû être réalisée plus rapidement. Le retard est principalement dû au fait que les deux caisses fonctionnaient selon un régime local spécifique, dont les particularités – j’en dirai quelques mots tout à l’heure – ont nécessité un travail de rapprochement plus profond et plus concerté qu’ailleurs. En effet, les CRAV avaient été maintenues en Alsace-Moselle, tandis qu’ailleurs les CRAM assuraient leurs missions jusqu’à la création des CARSAT. La fusion était donc plus aisée à réaliser dans les autres régions françaises.
Nous sommes favorables à ce texte, d’autant qu’il reprend un amendement que j’avais déposé avec mes collègues Jean-Marc Todeschini, Patricia Schillinger, Roland Ries et Ronan Kerdraon lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, mais qui avait été rejeté par le Conseil constitutionnel en tant que « cavalier social ». En ce début d’année, nous avions également été à l’origine d’une proposition de loi relative à la gouvernance de la sécurité sociale en Alsace-Moselle.
Nous regrettons le retard supplémentaire qui a été pris du fait des mécanismes institutionnels. En effet, avant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, le Parlement avait déjà adopté, en juillet 2011, la disposition législative nécessaire, lors de l’examen du projet de loi modifiant certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Le Conseil constitutionnel avait alors annulé l’article concerné, au motif qu’il n’avait pas de lien avec le texte en discussion.
C’est la raison pour laquelle le délai prévu pour la mise en œuvre de la fusion, qui devait intervenir le 1er janvier 2012, n’a pu être respecté. Avec ce texte, la création de la CARSAT sera effective le 1er avril 2012, conformément à la volonté des conseils d’administration de la CRAM et de la CRAV, lesquels se sont prononcés en faveur de cette création en mars 2010.
Rapprocher les deux organismes, c’est aussi préserver une cohésion sociologique, culturelle et historique en fédérant deux organismes héritiers et opérateurs du droit local d’Alsace et de Moselle. La nouvelle entité aura donc un fonctionnement similaire à celui des CARSAT, tout en intégrant les spécificités issues du droit local.
En effet, il existe dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui ont connu l’annexion, un ensemble de règles – des lois et des décrets – héritées du droit allemand établi sous Bismarck. Lors du retour de l’Alsace-Lorraine à la France en 1918, le législateur préféra, à une brutale et massive insertion de l’ensemble de la législation française, une introduction par matières, ainsi que le maintien de dispositions de droit local inconnues du droit français et reconnues techniquement supérieures à la législation française équivalente.
Ces règles concernent différents domaines : les associations, la chasse, le droit du travail, le droit communal, la justice, les jours fériés supplémentaires et la législation sociale, sujet qui nous intéresse aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle il existe un régime d’assurance maladie complémentaire obligatoire géré par un organisme autonome.
J’en rappellerai le principe, sans entrer dans les détails. Il s’agit d’un complément au régime général, financé par les cotisations des salariés et des retraités, qui lui reversent 1,5 % de leurs revenus. Cette surcotisation offre en retour un taux de remboursement des actes médicaux et des médicaments de 90 %, alors que, dans le reste de l’Hexagone, ce taux n’est que de 70 %. Le forfait hospitalier, pour sa part, est couvert à 100 %.
Ce régime local retient toutes les attentions, en raison notamment de sa bonne santé financière. Ainsi, en décembre dernier, on annonçait que son exercice 2011 avait été excédentaire et qu’en conséquence une baisse de 0,1 % des cotisations des affiliés serait décidée pour 2012.
Une question légitime se pose alors régulièrement aux pouvoirs publics : pourquoi ne pas étendre ce système au niveau national, alors que la sécurité sociale n’est bien souvent évoquée dans le pays qu’en raison de ses déficits abyssaux ? Notre commission des affaires sociales a ainsi demandé, en novembre dernier, une enquête à la Cour des comptes, afin d’ouvrir le débat.
Pour en revenir plus spécifiquement au régime local d’assurance maladie, la cotisation est due par tous les salariés du secteur privé et les contractuels de droit public qui exercent leur activité dans l’un des trois départements. Les textes prévoient également qu’elle est acquittée par ceux qui travaillent en dehors de l’Alsace-Moselle si le siège social de leur entreprise est situé dans ces départements.
Cependant, comme l’a souligné la Cour des comptes, cette dernière disposition est difficilement applicable en pratique. C’est pourquoi la présente proposition de loi permet aussi de simplifier les critères d’affiliation, afin de mettre en conformité la pratique et les textes. Nous sommes également favorables à cette mesure, d’autant que la suppression du principe d’affiliation des salariés travaillant en dehors de l’Alsace-Moselle est heureusement assortie d’une clause de sauvegarde, ceux qui étaient affiliés au 31 décembre 2011 conservant le bénéfice de ce régime.
S’agissant de la gouvernance, seuls des représentants de l’instance de gestion du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle, d’une part, et de la Fédération nationale de la mutualité française, d’autre part, viendront compléter le conseil d’administration de la CARSAT, composé donc de vingt et un membres. On peut d’ailleurs regretter que les représentants des familles et du personnel ne disposent, comme c’est souvent le cas, que d’une voix consultative. Plus que jamais, la démocratie sociale doit prendre en compte la voix des affiliés cotisants et des institutions représentatives du personnel, qui ne peuvent se faire entendre suffisamment.
Pour ce qui concerne les articles 2 et 3, relatifs, respectivement, au RSI et au Conseil supérieur de la mutualité, j’aurai moins de remarques à formuler.
Pour le RSI, il ne s’agit finalement que de prolonger le mandat des administrateurs en place jusqu’au 30 novembre 2012, soit après l’élection présidentielle, de manière à repenser la gouvernance de ce régime, qui visiblement pose un vrai problème, et à tenir compte de la contestation des représentants des professions libérales à cet égard. C’est donc une formule de sagesse.
En ce qui concerne le Conseil supérieur de la mutualité, une volonté de simplification, tout à fait compréhensible, explique la mise en place d’un système de désignation, plutôt qu’une élection, par les fédérations et unions de la mutualité, désignation dont les modalités sont renvoyées à un décret en Conseil d’État.
Cependant, on peut s’interroger sur la portée symbolique de ce choix. En effet, il n’est jamais bon de transformer un vote, expression de la démocratie, en une désignation, quand bien même, comme dans le cas précis du Conseil supérieur de la mutualité, toutes les fédérations garderaient un siège et que les membres désignés devraient répondre à un certain nombre de critères.
Cela étant, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, mon groupe, vous l’aurez bien compris, mes chers collègues, votera ce texte, dont une bonne partie reprend l’amendement que nous avions déposé sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, ainsi que notre propre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à améliorer la gouvernance de notre système de sécurité sociale, d’une part au niveau local, en Alsace-Moselle, avec la création d’une caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle ; d’autre part au niveau national, avec la révision de la composition du conseil d’administration de la Caisse nationale du régime social des indépendants et des dates de renouvellement de ce conseil, ainsi que la modernisation du Conseil supérieur de la mutualité.
Je tiens à saluer tout particulièrement le travail effectué par notre collègue Patricia Schillinger, dont le rapport, à la fois instructif et pédagogique, nous éclaire sur ces sujets.
Je veux également féliciter nos collègues Gisèle Printz et Jean-Marc Todeschini, lesquels ont beaucoup œuvré en la matière, notamment dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
Mon intervention portera uniquement sur le régime local existant en Alsace-Moselle. En effet, la discussion de ce texte a été pour moi l’occasion de découvrir ce régime complémentaire d’assurance maladie qui assure – je l’ai bien noté ! – des remboursements allant jusqu’à 90 % des frais engagés par l’assuré, le forfait hospitalier étant, si je ne m’abuse, couvert à 100 %.
Peu connu hors des frontières des départements d’Alsace-Moselle, ce régime, comme d’autres particularités de ces régions, est hérité de leur rattachement à l’empire allemand entre 1871 et 1918.
Depuis lors, un tel régime n’a jamais été remis en cause, même s’il a pu connaître quelques difficultés passagères, notamment dans les années quatre-vingt-dix.
Sur quelles bases repose-t-il ? Les salariés, et eux seuls, paient une cotisation obligatoire, représentant 1,5 % de leurs revenus, ce qui leur garantit une meilleure prise en charge et de meilleurs remboursements.
Le régime est géré uniquement par les représentants des salariés et présente la particularité, quelque peu exceptionnelle par les temps qui courent, d’être excédentaire.
Comme l’a rappelé Gisèle Printz, une gestion particulièrement saine a même conduit, en 2012, à une baisse du taux de cotisation, qui est passé de 1,6 % à 1,5 %.
La population ainsi couverte, assurés et ayants droit, représente environ 2,3 millions de personnes et se répartit en trois grandes catégories : les salariés travaillant en Alsace ou en Moselle, les chômeurs et les retraités ou préretraités, soit 80 % de la population des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin – ils existent toujours un petit peu ! – ainsi que de la Moselle.
Cela en fait un système de couverture du risque santé tout à fait unique en France. Il s’agit d’un régime complémentaire obligatoire, qui intervient au-delà de la prise en charge du régime général de base et avant intervention éventuelle des organismes complémentaires facultatifs.
Comme parlementaire, Breton qui plus est, et, surtout, en tant qu’usager, je suis particulièrement intéressé et curieux d’approfondir la réflexion sur ce particularisme alsacien-mosellan.
Cette curiosité et cet intérêt s’expliquent, je dois le reconnaître, mes chers collègues, par l’annonce, en décembre dernier, par le régime local lui-même, que l’exercice 2011 avait été excédentaire et que, en conséquence, une baisse de 0,1 % des cotisations pour les affiliés était décidée pour 2012.
Comment expliquer la bonne santé de ce régime ? Sans doute par une modération des dépenses de santé – 1,6 % de croissance par an – et par une situation de l’emploi peut-être plus avantageuse qu’ailleurs, source de rentrées de cotisations supplémentaires.
Un autre facteur d’explication réside dans des frais de gestion particulièrement bas, inférieurs à 1 %.
De fait, il est bien naturel de s’interroger sur une éventuelle extension de ce système à l’échelle nationale, surtout au moment où l’on parle des « déficits abyssaux » de la sécurité sociale, pour reprendre les termes employés par Gisèle Printz.
Cette interrogation est d’autant plus légitime qu’en cette période de campagne électorale tous les candidats réfléchissent à l’avenir du financement de notre protection sociale et de notre système d’assurance maladie.
En théorie, rien, à mon sens, ne s’oppose à son extension à l’ensemble du territoire national, mais, en pratique, la question de « l’exportabilité » ou de la transposition de ce régime local à d’autres régions françaises est, j’en suis pleinement conscient, délicate, car elle s’apparenterait à une extension du régime général. Par ailleurs, elle impacterait sans doute fortement les mutuelles et assurances privées du secteur.
Pour autant, je me permets de livrer à votre réflexion cette analyse de Daniel Lorthiois, président du conseil d’administration de l’instance de gestion du régime local d’Alsace-Moselle depuis 1995 : « La seule réponse que nous puissions formuler réside en quelques éléments qui sont tout à la fois culturels, sociologiques et économiques : culturels, car le régime local est doté d’une forte notoriété auprès de la population des trois départements – une enquête d’opinion menée en novembre 2005 le créditait de 99 % de taux de notoriété et de 98 % de taux de satisfaction ; c’est dire le fort attachement de la population à son régime particulier – ; sociologiques et historiques, car mis à part au xixe siècle, le régime local n’a pris la place d’aucun autre organisme complémentaire, ces derniers venant s’ajouter, dans des proportions moindres que dans les autres départements, et s’y étant adaptés ; économiques, enfin, car même si le chômage l’a lourdement frappé ces cinq dernières années, le territoire du régime local conserve un PIB par habitant parmi les plus élevés des régions françaises. »
Pour ce fin connaisseur du dossier, une hausse de 1,3 point de CSG permettrait de financer la fin du ticket modérateur de la sécurité sociale au profit d’un tel système.
Chacun, dans cet hémicycle, en est bien conscient : si l’on veut conserver un haut niveau de solidarité tout en maîtrisant les finances, il nous faudra faire preuve d’imagination, de créativité et ne nous interdire aucune piste de réflexion.
S’inspirer de ce qui se fait en Alsace-Moselle est donc une piste envisageable. Pour autant, il convient, en matière de protection sociale comme sur d’autres problématiques, d’être prudent et d’éviter toute généralisation qui n’aurait pas été précédée d’une large concertation, d’une réflexion approfondie avec l’ensemble des parties prenantes, à commencer par les partenaires sociaux, et, pourquoi pas, d’une expérimentation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Non modifié)
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’intitulé de la section 2 du chapitre V du titre Ier du livre II est ainsi rédigé : « Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle » ;
2° L’article L. 215-3 est ainsi modifié :
a) Le début du premier alinéa est ainsi rédigé : « Pour la région d’Île-de-France, la caisse compétente mentionnée à l’article L. 215-1 n’exerce pas... (le reste sans changement). » ;
b) À la première phrase du second alinéa, les mots : « des caisses mentionnées à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « de la caisse mentionnée au premier alinéa du présent article » ;
3° L’article L. 215-5 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « caisse régionale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés de Strasbourg » sont remplacés par les mots : « caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle » ;
b) Au second alinéa, les mots : « régionale de Strasbourg » sont remplacés par les mots : « mentionnée au premier alinéa » ;
4° À l’article L. 215-6, les mots : « régionale de Strasbourg » sont remplacés par les mots : « d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle » ;
5° L’article L. 215-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 215-7. – I. – La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle est administrée par un conseil d’administration de vingt et un membres comprenant :
« 1° Huit représentants des assurés sociaux désignés par les organisations syndicales interprofessionnelles de salariés représentatives au plan national ;
« 2° Huit représentants des employeurs désignés par les organisations professionnelles nationales d’employeurs représentatives ;
« 3° Un représentant désigné par la Fédération nationale de la mutualité française ;
« 4° Quatre personnes qualifiées dans les domaines d’activité des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail et désignées par l’autorité compétente de l’État, dont au moins un représentant des retraités et un représentant de l’instance de gestion du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle.
« II. – Siègent également avec voix consultative :
« 1° Un représentant des associations familiales désigné par les unions départementales des associations familiales territorialement compétentes dans la circonscription de la caisse ; la désignation est effectuée par l’Union nationale des associations familiales si, dans la circonscription de la caisse régionale, il n’existe pas d’union départementale ou si, en cas de pluralité d’unions départementales dans cette circonscription, elles ne sont pas parvenues à un accord ;
« 2° Trois représentants du personnel élus dans des conditions fixées par décret.
« III. – Lorsque le conseil d’administration se prononce au titre du 2° de l’article L. 215-1, seuls prennent part au vote les membres mentionnés aux 1° et 2° du I du présent article. » ;
6° Au premier alinéa des articles L. 216-1 et L. 281-4, les mots : « régionale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés de Strasbourg » sont remplacés par les mots : « d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle » ;
7° L’article L. 222-1 est ainsi modifié :
a) À la fin du 3°, les mots : « , ainsi que sur la caisse régionale d’assurance vieillesse de Strasbourg » sont supprimés ;
b) À la fin du 6°, les mots : « et de la caisse régionale d’assurance vieillesse de Strasbourg » sont supprimés ;
8° L’article L. 251-7 est abrogé ;
9° Le 1° du II de l’article L. 325-1 est ainsi rédigé :
« 1° Salariés exerçant une activité dans le département du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, quel que soit le lieu d’implantation du siège de l’entreprise, et salariés d’un établissement implanté dans ces départements qui exercent une activité itinérante dans d’autres départements ; »
10° À la fin de la première phrase de l’article L. 357-14, les mots : « régionale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés de Strasbourg » sont remplacés par les mots : « d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle ».
II. – Le I entre en vigueur au 1er avril 2012.
III. – (Suppression maintenue)
IV. – Par dérogation à l’article L. 325-1 du même code, les assurés salariés et leurs ayants droit bénéficiaires du régime local d’Alsace-Moselle au 31 mars 2012 conservent le bénéfice de ce régime pour la durée pendant laquelle ils remplissent les conditions d’ouverture des droits prévues par la législation en vigueur à cette même date.
V. – Le premier alinéa de l’article L. 761-3 du code rural et de la pêche maritime est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le régime local d’assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle s’applique aux membres des professions agricoles et forestières relevant des assurances sociales agricoles mentionnés aux 1° et 2° :
« 1° Salariés d’une entreprise ayant son siège social dans le département du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, quel que soit leur lieu de travail en France métropolitaine, et salariés travaillant dans l’un de ces trois départements pour une entreprise ayant son siège hors de ces départements ;
« 2° Personnes mentionnées aux 4° à 11° du II de l’article L. 325-1 du code de la sécurité sociale. »
M. le président. La parole est à M. Roland Ries, sur l'article.
M. Roland Ries. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le présent article 1er vise à créer une caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle et, surtout, à clarifier le champ géographique de l’affiliation au régime local d’assurance maladie complémentaire.
Permettez-moi de m’attarder tout d’abord sur la création de la CARSAT d’Alsace-Moselle, qui sera issue de la fusion de la Caisse régionale d’assurance maladie, la CRAM, et de la Caisse régionale d’assurance vieillesse, la CRAV.
Cette mesure, d’initiative locale et d’ordre technique, fait l’objet d’un large consensus politique, local et national. Les députés et sénateurs alsaciens et mosellans, droite et gauche confondues, ont œuvré ensemble pour que cette fusion puisse se faire rapidement.
Ainsi, cette disposition a d’abord été introduite par voie d’amendement dans la proposition de loi dite « Fourcade » modifiant certaines dispositions de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, puis dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Mais, bien qu’adoptée chaque fois, cette mesure s’est heurtée à la censure automatique du Conseil constitutionnel, qui l’a qualifiée de « cavalier législatif ».
Nous avons dès lors déposé, dans nos chambres respectives, plusieurs propositions de loi, à gauche comme à droite, sur le même sujet. Aujourd’hui, nous examinons le texte rédigé par les députés UMP et adopté la semaine dernière, lundi 27 février, au Palais-Bourbon.
Et c’est grâce à l’intervention de Mme la rapporteure auprès du président du Sénat que nous pouvons discuter de ce texte aujourd’hui. Que notre collègue Patricia Schillinger en soit remerciée. Elle a en effet obtenu l’engagement de la procédure accélérée afin que le présent texte puisse être adopté avant la fin de la session et que nous soyons en mesure de répondre aux demandes des principaux acteurs concernés, qui œuvrent en ce sens depuis maintenant près de trois ans.
Nous pouvons, à mon sens, nous féliciter de nos contributions respectives, qui ont permis l’examen de ce texte dans l’intérêt de l’Alsace-Moselle.
Vous le savez, par son histoire, l’Alsace-Moselle bénéficie d’un régime local d’assurance maladie particulier. Ainsi, en 1960, lorsque les caisses régionales de sécurité sociale et les CRAV ont fusionné, pour devenir des CRAM comportant une branche vieillesse, l’existence de la CRAV a été, à l’époque, maintenue en Alsace-Moselle.
En décembre 2008, profitant des départs en retraite concomitants des directeurs respectifs de la CRAV et de la CRAM d’Alsace-Moselle, les deux conseils d’administration ont recruté un directeur commun et ont engagé cette démarche de fusion.
Entre-temps, la loi HPST a remplacé, en 2009, les CRAM existantes par des CARSAT, sauf en Alsace-Moselle.
L’objectif final est donc de créer une CARSAT d’Alsace-Moselle intégrant les spécificités du droit local et permettant, premièrement, de renforcer la cohérence territoriale de l’Alsace-Moselle en maintenant un organisme unique, et d’importance, dont le siège est à Strasbourg ; deuxièmement, de préserver la cohésion sociologique, culturelle et historique de nos régions en fédérant des organismes héritiers et opérateurs du droit local ; troisièmement, de créer une synergie entre les missions conjointes « santé au travail et emploi des seniors » et les missions convergentes « service social et action sociale retraite ».
Cette réorganisation est pensée par tous les acteurs comme une mutualisation au service des usagers qui leur apportera une vraie plus-value, et non uniquement comme une simplification administrative. Il faut donc, à mon sens, d’autant plus l’appuyer.
Par ailleurs, mes chers collègues, le présent article 1er permet de clarifier le champ géographique pour l’affiliation au régime local d’assurance maladie complémentaire. Il précise en effet que les personnes pouvant en bénéficier exercent soit une activité dans l’un des trois départements, et ce quel que soit le lieu d’implantation de l’entreprise, soit une activité itinérante, mais pour un établissement implanté en Alsace-Moselle. Cette clarification est bien entendu opportune.
Le groupe socialiste votera évidemment conforme cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, permettez au sénateur alsacien que je suis de se féliciter à son tour du large consensus dont fait aujourd’hui l’objet cette proposition de loi.
La disposition relative à la gouvernance de la sécurité sociale d’Alsace-Moselle a déjà été adoptée deux fois par le Parlement, et censurée chaque fois par le Conseil constitutionnel. Il était important, comme l’a dit Roland Ries, qu’une solution, que j’espère définitive, soit trouvée pour répondre à l’attente des conseils d’administration de la CRAM et de la CRAV d’Alsace-Moselle.
Ce sera, nous l’espérons, chose faite dans quelques instants. Mes chers collègues, soyez-en par avance sincèrement remerciés.
Ensuite, si cette discussion a permis de mettre au grand jour les qualités du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle et du droit local dans sa globalité, permettez-moi, en qualité de président de la commission d’harmonisation du droit local alsacien-mosellan, de m’en féliciter particulièrement et de m’en réjouir.
Enfin, vous me permettrez de former le vœu que personne, à l’avenir, n’ait plus l’idée de modifier ce droit local sans qu’une étude complète préalable soit réalisée en relation avec ceux que pourraient éventuellement concerner les modifications envisagées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – (Suppression maintenue)
II. – Par dérogation à l’article L. 611-12 du code de la sécurité sociale, le mandat des administrateurs des caisses de base est prorogé jusqu’au 30 novembre 2012.
III. – (Suppression maintenue)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code de la mutualité est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l’article L. 411-2 est ainsi rédigé :
« Le Conseil supérieur de la mutualité est composé en majorité de représentants des mutuelles, unions et fédérations désignés par les fédérations les plus représentatives du secteur. » ;
2° L’article L. 411-3 est ainsi modifié :
a) Au a, les mots : « d’élection » sont remplacés par les mots : « de désignation » ;
b) Le b est complété par les mots : « ainsi que les critères d’attribution du statut d’organisme professionnel représentatif à une fédération ».
II. – Le chapitre II du même titre Ier est abrogé.
III. – Le mandat en cours des membres du Conseil supérieur de la mutualité est prorogé jusqu’à la date de désignation de ses nouveaux membres en application de l’article L. 411-3 du code de la mutualité et au plus tard jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. – (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures cinquante.)
9
Majoration des droits à construire
Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire (projet n° 462, texte de la commission n° 464, rapport n° 463).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre auprès du ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes donc à nouveau réunis pour examiner le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, qui a été modifié par la commission de l’économie tout à l’heure, la majorité sénatoriale souhaitant y inscrire l’une des mesures du candidat François Hollande,…
M. Thierry Repentin, rapporteur. Taquin, va ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Benoist Apparu, ministre. … à savoir la cession gratuite de terrains de l’État.
Je tiens à rappeler que la cession de terrains appartenant à l’État, à un coût inférieur à leur valeur vénale, est aujourd’hui possible. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas attendu les préconisations du candidat socialiste pour mettre en œuvre cette politique.
Entre 2008 et 2012, en effet, 55 000 logements ont été construits sur des terrains de l’État, dont 43 % de logements sociaux, ce qui, je n’en doute pas, fait particulièrement plaisir à M. le rapporteur. (M. le rapporteur sourit.)
Par ailleurs, nous avons programmé, pour la période 2012-2016, la construction de 100 000 logements sur terrains d’État, dont 50 000 en Île-de-France.
Pour autant, nous ne souhaitons pas brader le patrimoine de l’État. Cette cession rapporte 1,15 milliard d’euros au budget. À l’heure où nous souhaitons, les uns et les autres, si j’ai bien compris, lutter contre les déficits, il ne me semble pas judicieux d’aggraver notre déséquilibre budgétaire.
Certes, la France doit continuer à produire des logements. C’est pourquoi nous entendons faire évoluer notre modèle économique qui, aujourd’hui, est essentiellement fondé sur l’argent public.
La France est aujourd’hui, je le rappelle, le premier pays producteur de logements en Europe, mais nous avons le sentiment que, pour construire les logements dont nous avons encore besoin, nous devons nous appuyer sur un nouveau modèle économique. Ce modèle devra être fondé sur une réforme de l’urbanisme, que nous avons déjà largement engagée, probablement aussi sur des aides aux maires bâtisseurs, la lutte contre les contentieux, la modification des normes de production de logements et d’urbanisme et, bien sûr, les droits à construire.
C’est bien pourquoi le Président de la République, soucieux tout à la fois de répondre à l’attente de nos concitoyens et de soutenir un secteur économique pourvoyeur d’emplois non délocalisables, a voulu relever de 30 % les droits à construire résultant des règles des plans d’occupation des sols, les POS, et des plans locaux d’urbanisme, les PLU.
Je n’entrerai pas dans le détail de la majoration des droits à construire, nous en avons largement débattu dans cet hémicycle. Je sais que nous ne partageons pas tous l’analyse, mais je reste convaincu que le modèle économique de demain doit être fondé sur les droits à construire, car nous devons mieux utiliser la « matière première » que constitue le foncier. En construisant plus de logements sur un même terrain, nous pourrons lutter de manière plus efficace contre l’étalement urbain et, à terme, faire baisser le coût de construction des logements.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais dire en introduction. Lors de la discussion des articles, je vous présenterai des amendements visant à rétablir le texte initial du Gouvernement.
Monsieur le président, puisque le Sénat tient sa dernière séance publique de la législature, je souhaite remercier l’ensemble des services qui nous ont aidés dans notre travail et, bien sûr, tous les sénateurs, de la majorité comme de l’opposition, avec qui, je le crois, nous aurons eu des débats fructueux, sur le logement comme sur l’ensemble des réformes que le Gouvernement a souhaité engager. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez-en remerciés les uns et les autres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. Monsieur le ministre, soyez assuré que vos remerciements seront transmis.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thierry Repentin, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déposé par le Gouvernement le 8 février 2012 et soumis à la procédure accélérée, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire a été adopté par les députés en première lecture, avec des modifications marginales, le 22 février 2012.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, compétente au fond, a examiné, le 28 février 2012, le texte transmis par l’Assemblée nationale. Elle en a, je dois le dire, profondément remanié le contenu.
D’un côté, elle a supprimé le dispositif de majoration des droits à construire prévu à l’article L.123-1-11-1 du code de l’urbanisme ; de l’autre, elle a adopté un dispositif autorisant la cession, avec une décote pouvant atteindre 100 %, des immeubles de l’État afin d’y construire des logements sociaux.
La version du texte adopté par la commission de l’économie a été confirmée en séance publique par le Sénat, le 29 février 2012.
Réunie hier en fin d’après-midi, la commission mixte paritaire n’a pu parvenir à un texte commun – on se doute bien pour quelles raisons – et l’Assemblée nationale, invitée à se prononcer en nouvelle lecture hier soir, a choisi de revenir au texte qu’elle avait adopté en première lecture, après avoir voté un amendement qui précise les modalités de publicité entourant la décision de majorer les droits à construire. À mon sens, cet amendement ne sécurise aucunement la procédure, mais il confirme, s’il en était besoin, que les députés eux-mêmes ne sont pas entièrement convaincus par la solidité juridique du dispositif qu’ils ont voté hier…
Il appartient désormais au Sénat de se prononcer à son tour. Aucun fait ou argument nouveau n’est intervenu qui pourrait conduire la Haute assemblée à revenir sur la position qu’elle a défendue jusqu’à présent.
M. Thierry Repentin, rapporteur. La commission de l’économie souhaite donc que le Sénat confirme le choix qu’il a fait en première lecture.
Permettez-moi de rappeler brièvement les arguments qui plaident pour la suppression du dispositif de majoration des droits à construire, votée ce matin par la commission de l’économie.
Tout d’abord, je le répète, il s’agit d’une mesure précipitée, qui n’a été précédée d’aucune consultation des communes et des professionnels du bâtiment, de surcroît redondante par rapport au droit existant : il existe déjà trois dispositifs de majoration des droits à construire dans le code de l’urbanisme, et ce projet de loi en crée un quatrième.
Ensuite, cette mesure est porteuse de risques de contentieux importants pour les particuliers et les collectivités territoriales, notamment du fait des incertitudes qui entourent les modalités de consultation du public.
Cette mesure sera inefficace à moyen terme, car elle n’aura qu’un impact limité sur la construction de logements, et même contre-productive à court terme, car elle va se traduire dans l’immédiat par un gel des projets et une augmentation des prix.
Par ailleurs, ce dispositif est contraire à une démarche urbanistique de qualité. Il existe en effet une antinomie entre la démarche de projet de territoire que conduisent les communes à travers leur plan local d’urbanisme, et un dispositif bureaucratique de majoration généralisée des droits à construire.
Enfin, un tel dispositif traduit une sorte de mise en accusation des communes, auxquelles il est reproché d’édicter des règles de constructibilité malthusiennes et d’être ainsi responsables de la crise du logement.
La commission de l’économie souhaite également que le Sénat confirme aujourd’hui le rétablissement du dispositif de cession des immeubles de l’État, avec une décote pouvant aller jusqu’à 100 % lorsque ces immeubles sont destinés à la construction de logements sociaux.
Cette disposition simple et efficace ne présente en effet aucun risque juridique et peut permettre de libérer rapidement du foncier pour relancer la construction de logements, à l’instar de ce que font nombre de communes. Si c’est possible pour les communes, pourquoi ne le serait-ce pas pour l’État ?
Cette disposition restaurerait l’exemplarité de l’État, qui, face à la crise du logement, ne peut se contenter de mettre en demeure les communes d’agir. Il doit prendre ses responsabilités, par exemple en cédant les immeubles qu’il n’utilise pas, là où c’est nécessaire et en dialoguant avec les collectivités locales.
Enfin, cette mesure est bien cadrée, car la décote, qui peut aller jusqu’à 100 %, s’applique exclusivement à la construction de logements sociaux. Il n’est pas question pour l’État de céder ses terrains à prix réduit pour laisser profiter les tiers de plus-values injustifiées.
À l’issue de cette nouvelle lecture, si le Sénat suit la position de la commission de l’économie, le Gouvernement pourra, s’il le souhaite, conformément au dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution, et au terme de la législature, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur le présent texte relatif au logement, un sujet plébiscité par nos concitoyens et, si l’on en juge par un sondage paru aujourd’hui, insuffisamment pris en compte durant cette campagne électorale en vue de l’élection présidentielle. Nous contribuons à ce qu’il en aille autrement par notre débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le dispositif proposé dans ce projet de loi est considéré comme l’un des outils permettant de répondre à la crise du logement, crise dont nous connaissons tous la réalité en tant qu’élus locaux. Il s’inscrit naturellement dans le cadre de la politique globale du logement menée par le Gouvernement. M. le ministre a expliqué à l’instant la philosophie qui inspire cette politique : encourager l’offre de logements pour satisfaire les besoins de la population.
Construire des logements est évidemment une nécessité dans le contexte de pénurie actuelle. C’est un objectif partagé sur toutes les travées de cette assemblée. Si beaucoup a été fait ces dernières années pour répondre à ce défi, avec des résultats tangibles en termes de constructions de logements sociaux, notamment, il faut poursuivre l’effort.
Beaucoup reste en effet à réaliser pour répondre aux besoins de nos compatriotes.
Monsieur le ministre, votre réflexion repose sur une conviction : une politique de l’offre comblera le déficit de logements et permettra de limiter la hausse des prix. C’est sans doute le bon axe ; reste qu’il ne peut à lui seul constituer la solution à tous les problèmes. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
Le projet de loi vient cristalliser, en pleine campagne électorale, des oppositions naturelles. Promesse présidentielle, disent certains ; réponse de candidat, pourrions-nous dire, en voyant la modification proposée par nos collègues socialistes. Je m’attacherai moins au dispositif, amplement commenté en première lecture, et à la proposition qui y répond, qu’au fond du sujet.
Au-delà de nos différences d’appréciation, un diagnostic partagé se dégage sur la politique du logement. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la forte demande existant dans notre pays est insatisfaite, et qu’à cette demande s’attachent des préoccupations majeures pour la vie quotidienne : la cherté des loyers, l’insalubrité, la sur-occupation. Le logement est l’un des principaux sujets d’inquiétude aujourd’hui. La demande ne pourra être satisfaite que si nous construisons beaucoup plus de logements, de tous types, qu’il s’agisse de logements sociaux ou de logements en accession, en veillant à la mixité sociale et à l’équilibre des territoires.
Dans le même temps, nous voulons lutter contre l’étalement urbain. La réponse à cette demande de logements, c’est en effet la densification dans les centres urbains et là où il existe une forte tension entre demande et offre de logements. Mais cette densification doit être, à mon sens, raisonnée.
Avant d’exposer les modalités de sa mise en œuvre, je souhaite bien sûr revenir sur ce projet de loi. Le reproche qui lui est fait à gauche est d’être partiel ; c’est de bonne guerre, il y a sans doute là une part de vérité…
Le rapporteur l’a dit, nous réglerons la crise du logement non pas avec une seule mesure, si utile soit-elle, mais en activant plusieurs leviers : la fiscalité foncière, notamment la fiscalité sur les plus-values immobilières, l’utilisation des terrains constructibles non bâtis, la cession des terrains publics, la simplification des règles d’urbanisme, la réduction des recours abusifs...
À mettre au nombre de ces leviers, le Gouvernement propose, avec ce texte, une mesure simple et pragmatique : une majoration des droits à construire de 30 %. L’article unique du projet de loi tend à renforcer de façon pratique et opérationnelle les possibilités de densification, afin de pouvoir faire face à une demande toujours plus pressante. L’objectif est clair : libérer l’offre de logement, alors même que nous vivons un déséquilibre entre offre et demande.
Le projet de loi tend à l’efficacité. Alors que la complexité du droit de l’urbanisme et l’accumulation de règles sur chaque territoire entraînent des longueurs et des blocages qui ralentissent la réalisation des programmes immobiliers, nous disposons pour une fois, avec ce texte, d’une réglementation simple.
Autre aspect positif, ce projet de loi permet d’accroître l’offre de logements sans augmenter la dépense publique, ce qui est rare, convenons-en.
Ce texte a donc le mérite de répondre simplement à une vraie préoccupation et à un réel besoin : on peut le porter à son crédit, alors que, bien souvent, nous pestons contre la complexité des dispositifs proposés. Cet outil, les élus locaux l’utiliseront s’ils en ressentent le besoin, pour mener leur politique du logement sur leur territoire, mais ce ne sera qu’un moyen parmi d’autres, dans la boîte à outils dont ils disposent actuellement.
Ainsi, pour prendre l’exemple de ma ville, Le Bourget, j’estime que, si l’on peut envisager la densification de certains quartiers, elle ne saurait être généralisée sur l’ensemble de la commune, l’enjeu étant de parvenir à une densité raisonnée.
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est vrai !
M. Vincent Capo-Canellas. Il faut ici revenir, au-delà du texte, sur l’accompagnement nécessaire d’une densification raisonnée. Tout maire élu de la première ou de la deuxième couronne de l’agglomération parisienne, rencontre actuellement des difficultés s’il veut répondre aux objectifs fixés par l’État, qui nous demande de construire des logements, et ce en raison d’obstacles que l’État lui-même dresse involontairement. C’est un paradoxe, mais c’est la réalité.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Bravo !
M. Vincent Capo-Canellas. Je ferai plusieurs observations.
Première observation, la libération du foncier par l’État est affichée par le Gouvernement comme l’une de ses priorités – juste priorité – en faveur de laquelle il a déjà mis en place des dispositifs. Mais des progrès restent à faire. Si je prends encore une fois l’exemple de ma commune, cela fait plusieurs années que nous sommes en négociation avec l’État pour 4,2 hectares de terrains qui se trouvent en milieu urbain,…
M. Thierry Repentin, rapporteur. Ah !
M. Vincent Capo-Canellas. … terrains sur lesquels la commune pourrait construire des logements. Pourtant, ce foncier appartient – je vous le donne en mille ! – à la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île de France !
M. Thierry Repentin, rapporteur. On peut vous aider !
M. Vincent Capo-Canellas. L’État doit donc montrer l’exemple en facilitant la cession de ses terrains aux collectivités qui souhaitent disposer de foncier pour construire plus de logements.
Deuxième observation : l’excès de réglementations en matière d’urbanisme restreint également les possibilités de construction. Dans la communauté d’agglomération que je préside, l’application parfois un peu stricte des normes Natura 2000 et de la directive Oiseaux pourrait empêcher l’aménagement de terrains et la construction de logements sur la commune de Dugny. Vous connaissez cette commune, monsieur le ministre, pour vous y être rendu par deux fois au cours des derniers mois. (M. le ministre acquiesce.)
Troisième observation : la territorialisation de l’offre de logements en Île-de-France, la fameuse TOL, conduit bien souvent l’État à demander plus d’efforts aux mêmes territoires, c’est-à-dire à ceux qui bâtissent et à ceux qui concentrent de véritables opérations d’aménagement et de construction de logements. En Île-de-France, 80 % des constructions sont réalisées dans 20 % des communes, ce qui montre le besoin de rééquilibrage de l’offre de logement.
Il faut traiter ce problème de la répartition des constructions en partageant l’effort de logement équitablement dans l’ensemble du territoire francilien, et il convient d’éviter de construire toujours plus de logements sociaux là où ils sont déjà nombreux. Cette pente est la plus naturelle, mais elle conduit à une forme de ségrégation larvée.
Il convient donc d’améliorer la pluralité de l’offre de logements sur un territoire donné. Un devoir de solidarité doit s’exercer dans l’ensemble de l’Île-de-France, au risque de favoriser la construction de ghettos. Je parle d’un risque, mais, pour nombre de nos concitoyens, c’est déjà une réalité.
J’en viens à ma quatrième et dernière observation, qui porte sur l’effort de construction demandé par l’État.
Comme d’autres, je suis au nombre de ces maires qui essaient de bâtir. Je le dis avec modestie, la population de ma commune a augmenté de 5 % en un an, ce qui est, vous en conviendrez, une évolution importante. Il faut que l’État sache aider plus ceux qui construisent. Notre population augmente ; nous devons ensuite satisfaire les besoins de ces nouveaux habitants en termes d’équipements publics : crèches, écoles, équipements sportifs et culturels. Or les dotations de l’État n’augmentent pas en conséquence, et, en tant que maires, nous ne gagnons rien à construire davantage de logements par rapport à ceux de nos collègues qui s’y refusent.
Si l’État veut inciter les élus à construire, il doit trouver les moyens financiers de favoriser ceux qui répondent aux objectifs qu’il fixe. On pense à une sorte de bonus qui serait alloué aux bons élèves, aux villes qui bâtissent.
Cette idée, de plus en plus reprise, n’arrive pas pour le moment à se traduire sur le plan législatif. Je sais que vous y êtes favorable, monsieur le ministre. Quand pouvons-nous espérer voir la mise en place d’un tel dispositif ?
Pour conclure, le texte du Gouvernement participe, selon nous, à la concrétisation de l’objectif d’accroissement de l’offre de logement et certaines dispositions ont déjà démontré leur pertinence. Si nous ne sommes pas opposés à la densification, nous plaidons pour qu’elle soit raisonnée. Je souhaite que ce dispositif, simple et pragmatique, puisse aider certains maires. Si tel est le cas, et à cette réserve près, nous aurons fait œuvre utile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au terme de la discussion de ce projet de loi, dont les conditions d’examen auront été pour le moins expéditives.
Ainsi, nous avons débattu de ce texte en première lecture mercredi dernier ; la commission mixte paritaire a échoué hier ; l’Assemblée nationale a donc réexaminé ce texte hier dans la nuit…
M. Michel Billout. … pour nous permettre d’en discuter cet après-midi.
Il me semble que ces conditions sont particulièrement mauvaises pour mener à bien le travail législatif, et qu’elles témoignent très clairement de la volonté du Gouvernement et du Président-candidat de faire adopter le plus grand nombre de mesures libérales avant les échéances électorales, tant leur résultat est redouté par l’actuelle majorité gouvernementale.
Loin des effets d’annonce, la mesure, telle qu’elle est proposée initialement dans ce projet de loi, est contestable à plusieurs titres.
Premièrement, et symboliquement, elle a pour unique dessein de tenter de faire la démonstration qu’il est possible de mener une politique du logement sans argent public. Rien n’est plus faux, puisqu’il est aisé de mettre en relation la crise du logement actuelle et le désengagement de l’État en la matière.
Deuxièmement, une telle mesure laisse entendre que le déficit de logements serait dû à la faiblesse des politiques menées en la matière par les collectivités territoriales, auxquelles il faudrait donc imposer une majoration des droits à construire. Un tel argument apparaît fallacieux dans la mesure où l’effort de construction est aujourd’hui principalement soutenu par ces mêmes collectivités.
Le dispositif, outre qu’il apparaît redondant par rapport à d’autres dispositions notamment insérées dans les lois Grenelle 1 et Grenelle 2, ainsi que dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE », et qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, risque à terme d’être contre-productif et d’entraîner un renchérissement du prix des terrains, rendant par là même plus difficile l’intervention des offices d’HLM, dont les difficultés sont déjà très grandes.
Pour cette raison, nous sommes satisfaits de la transformation de ce texte par la commission au Sénat en première et en deuxième lecture, par les possibilités ainsi dégagées pour favoriser la construction, alors même que le texte initial enferrait plus encore la France dans la crise du logement : les seuls bénéficiaires de cette mesure auraient été les banques, les promoteurs et les investisseurs, puisque, dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, rien ne contraint les prix de sortie.
Je ne m’étendrai pas ici sur les difficultés d’application d’un tel dispositif, qui sont nombreuses, notamment pour les logements collectifs déjà bâtis.
Je développerai davantage les raisons de notre contestation de la version initiale de ce texte, qui constitue un véritable affront fait aux collectivités locales en ce qu’il leur impose une majoration de la constructibilité.
Une telle disposition aurait en effet toutes les chances de se révéler inconstitutionnelle tant elle empiéterait sur les compétences des collectivités telles qu’elles sont définies par la loi. Je vous rappelle que la gestion du droit des sols est de la responsabilité exclusive des maires.
Nous ne pouvons donc ainsi confondre urbanisme et aménagement.
D’ailleurs, monsieur le ministre, la notion d’urbanisme de projet que vous avez développée ne vise en réalité qu’à libéraliser ce droit, pourtant garant de l’utilisation des sols à des fins d’intérêt général. (M. le ministre manifeste son exaspération.)
De plus, en obligeant les collectivités à délibérer pour déroger aux dispositions de ce texte, et en les contraignant à organiser une consultation de la population sur la question unique de la majoration des droits à construire, vous semblez ignorer que ce sujet s’inscrit clairement dans des questionnements plus larges liés à la politique d’aménagement que traduit le projet d’aménagement et de développement durable inclus dans le PLU.
La majoration proposée, parce qu’elle est uniforme, méconnaît le travail très précis que nécessite tout projet d’aménagement. En outre, d’autres leviers existent pour lutter contre l’étalement urbain et favoriser la densification.
Au reste, nous aurions souhaité que le Gouvernement agisse avec la même audace pour garantir le respect de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU. En effet, il est particulièrement étonnant de vous entendre affirmer ici qu’il faut encourager les maires bâtisseurs, alors même que vous n’avez eu de cesse de vouloir vider cette loi de sa substance, en allant jusqu’à refuser de renforcer les astreintes pesant sur les maires qui ne la respectent pas.
M. Michel Billout. Plus largement, et à l’inverse de la démarche engagée par le Gouvernement, nous considérons que, pour résoudre la crise actuelle du logement, il faut agir sur la nature même des constructions via un investissement public incitatif et des outils fiscaux adaptés permettant de répondre aux besoins socialement divers.
Dans ce cadre, comment croire que le Gouvernement, qui prône une France de propriétaires et qui mène la charge contre le logement social, pourra réellement répondre aux difficultés de nos concitoyens ?
Ce n’est donc pas de « mesurettes » que nous avons besoin, mais bien d’un changement de cap : il est nécessaire que l’État s’engage de nouveau dans une politique publique du logement et qu’il facilite par ailleurs l’intervention des acteurs publics au plus près des réalités locales.
Pour ce faire, la mise à disposition de terrains constitue une perspective intéressante.
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est vrai !
M. Michel Billout. Ainsi, en favorisant cette mise à disposition gratuite pour la construction de logements sociaux, les collectivités et les offices pourraient réduire le coût des opérations de construction de manière significative.
Toutefois, d’autres voies doivent également être ouvertes, à l’image du pacte proposé par la fondation Abbé Pierre. Il s’agit ainsi, et avant tout, de réaffirmer la volonté d’extraire le logement de la sphère marchande et de la bulle spéculative.
Cette entreprise passe par l’utilisation des possibilités offertes en matière de réquisition de logement, par l’encadrement des loyers, par l’abrogation de lois scélérates, comme la loi Boutin, et par la suppression des niches fiscales créées sur l’initiative de quelques ministres du logement : Périssol, Borloo, Scellier, de Robien...
Mais ce chantier implique également une remise à niveau des subventions de l’État, notamment pour les aides à la pierre, car, je vous le rappelle, c’est bien un million de logements qu’il nous faudra construire au cours des prochaines années.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen soulignent que le droit au logement, qui a valeur constitutionnelle, est reconnu par nos engagements internationaux, notamment par le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, directement applicable dans notre droit. Ces textes créent une responsabilité toute particulière à la charge des pouvoirs publics, et spécifiquement de l’État.
Nous ne tolérons pas que, aujourd’hui encore, des personnes dorment dans la rue, alors même que nous vivons dans un pays riche. Pour cette raison, nous vous avons régulièrement appelés à adopter nos amendements visant à interdire les expulsions de personnes en difficulté et, a minima, des publics déclarés prioritaires au titre du droit au logement opposable, le DALO.
Dans cette perspective, et alors que nous fêtions hier les cinq ans du DALO, je remarque que le bilan d’application de la loi est loin d’être satisfaisant. Mais c’est bien ce qui caractérise la politique du Gouvernement : de simples effets d’annonce !
Il est grand temps de passer des paroles aux actes et de s’atteler à l’élaboration d’une politique publique du logement à la hauteur des besoins. Tel est l’objectif du présent projet de loi, tel que modifié et adopté par notre commission de l’économie : c’est bien ce texte-là que le groupe CRC soutiendra ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà eu l’occasion de le souligner en première lecture, ce projet de loi signe un constat de carence et d’échec d’une certaine politique du logement.
Il n’est pas acceptable que, aujourd’hui, dans un pays comme le nôtre, la situation au regard du logement présente, à certains égards, et je reste mesuré dans mes propos, quelques similitudes avec celle que la France a connue voici soixante ans.
Ces dernières semaines et ces derniers mois, certaines fondations, en multipliant les déclarations sur la situation de millions de nos concitoyens en matière de logement, en ont apporté l’illustration.
La mesure que vous nous proposez, monsieur le ministre, c’est un effet d’annonce médiatique ! D’un coup, soudainement, vous avez découvert une prétendue solution miracle, permettant de faire oublier ce que l’on n’avait pas fait pendant cinq ans : il suffirait de mettre à disposition de ceux qui construisent – les communes, notamment – la possibilité d’augmenter les droits à construire de 30 %.
Les précédents orateurs l’ont déjà souligné, il s’agit là d’une mauvaise réponse apportée à une bonne question !
Vous allez inéluctablement renchérir le prix du foncier car, très naturellement, lorsque l’on majore de 30 % la possibilité de construire sur un terrain nu, la valeur de ce terrain croît immédiatement.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Mézard. À ce titre, nous avons eu droit à toute une démonstration visant à nous assurer que, en définitive, le phénomène resterait sans gravité, dans la mesure où il serait compensé par l’augmentation du nombre de mètres carrés constructibles. À mes yeux, et chacun s’accorde à le penser, ce raisonnement n’est pas bon.
Monsieur le ministre, vous compliquez la tâche des communes avec un dispositif qui, par certains aspects, est particulièrement ardu.
De surcroît, comme nous l’avons déjà souligné, cette méthode trahit un manque de considération, voire, dans certains cas, un véritable mépris à l’égard de nos collectivités. Compétentes en matière de droit des sols, ces collectivités, dans leur grande majorité, font de la politique du logement un volet majeur de leur action, et vous venez leur expliquer que la solution consiste tout simplement à augmenter de 30 % les droits à construire !
Outre que c’est faire peu de cas de la politique menée par nos collectivités locales, c’est également, sur certains aspects, ouvrir la voie à de potentiels conflits entre les intercommunalités et les communes ; nous avons eu l’occasion de vous le rappeler en première lecture.
De fait, il n’est pas bon de forger des instruments pouvant cristalliser des conflits à l’intérieur des intercommunalités. (M. le rapporteur acquiesce.) En effet, au sein d’une intercommunalité – vous le savez aussi bien que nous, monsieur le ministre – on compte des communes de tailles diverses, présentant des différences en termes de construction de logement social ou de prix du foncier. Ainsi, en plaçant les intercommunalités et les communes dans des situations conflictuelles, on aboutit à la situation inverse de celle que nous appelons tous de nos vœux.
De surcroît, vous donnez à des communes les moyens de ne pas appliquer cette mesure. Nous en avons déjà eu la démonstration avec la loi SRU, cela posera assurément un certain nombre de problèmes.
Par manque de préparation, ce texte entraînera des difficultés d’application certaines, et, à mon sens, vous n’avez pas répondu à cette question.
La semaine dernière, j’ai évoqué les problèmes découlant de l’application des servitudes de droit privé, en parallèle avec le code civil. Que faites-vous du code civil ? Que faites-vous des servitudes de droit privé ? Il est évident que, en majorant brutalement les droits à construire de 30 %, ce texte suscitera des conflits, nécessitant nombre de procédures. Au surplus, vous oubliez l’existence des règlements de copropriété, que ces copropriétés soient horizontales ou verticales, et celle des règlements de lotissement.
Ainsi, faute de préparation, vous avez, avec ce texte, le moyen de susciter bien plus de difficultés que vous ne pourrez résoudre de problèmes !
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est bon pour les avocats ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. J’ai rappelé également que la Cour des comptes avait mis en lumière les errements de votre politique de zonage, et que vous aviez malheureusement restreint les possibilités d’autofinancement et donc de construction du logement social par les organismes d’HLM, du fait des prélèvements financiers que vous venez d’opérer sur ces derniers.
De même, mais vous le savez aussi bien que nous, ce texte ne résout pas les difficultés découlant de la multiplication des recours abusifs. À ce titre, nous avons cité le cas d’un certain nombre de grandes villes où ces problèmes se posent.
En résumé, à nos yeux, le projet de loi est tout entier dans la consonance médiatique, mais il ne pourra en rien résoudre les vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés.
En revanche, le texte du rapporteur et de la commission constitue une proposition utile et efficace à court terme, afin que nos collectivités, en particulier nos communes, ainsi que les promoteurs, puissent construire des logements, notamment des logements sociaux.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous continuerons à rejeter votre texte et voilà pourquoi le groupe du RDSE, dans sa très grande majorité, apportera son soutien à celui de la commission ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, rétabli, en nouvelle lecture, dans sa version initiale par l’Assemblée nationale.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, le rapporteur nous propose de rétablir le texte issu des travaux de la commission de l’économie.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Vous avez bien compris !
Mme Élisabeth Lamure. Le groupe UMP votera une nouvelle fois contre le texte de la commission, convaincu du bien-fondé du projet de loi présenté par le Gouvernement, particulièrement dans le contexte actuel, après trois années de crise qui ont affaibli notre économie.
Du fait de ses liens avec le BTP, le secteur du logement est particulièrement à même de relancer la croissance, l’activité économique et l’emploi. En effet, ces deux secteurs représentent respectivement 2,4 millions et 1,5 million d’emplois, et la construction de chaque nouveau logement se traduit par la création de 1,5 emploi. Il y a donc lieu d’adopter cette mesure d’incitation pour accroître la productivité dans le domaine du logement.
Par ailleurs, cette mesure n’implique pas d’engagement financier de la part de l’État. Il s’agit de relancer le secteur par des mesures normatives aussi simples et effectives que possible.
Trois dispositifs de majoration des droits à construire existent depuis la loi Boutin de mars 2009 : majoration de 50 % autorisée pour le logement social ; majoration de 30 % pour le logement « basse consommation » et majoration de 20 % en application de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Cependant, en trois ans, les collectivités locales ont eu manifestement peu recours à ces dispositifs. En effet, seule une trentaine de communes auraient délibéré en ce sens.
En octobre 2008, lors des débats de commission, nous n’avions pas cru nécessaire d’en prévoir l’application généralisée.
Il est également très important de rappeler que, en octobre 2008, lors de l’examen de la loi MOLLE par le Sénat, nous étions au tout début de la crise. Le contexte était donc bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.
À l’époque, nous partagions totalement l’objectif, comme, d’ailleurs, la commission de l’économie, ainsi que son rapporteur, notre ancien collègue Dominique Braye.
Nous nous étions simplement interrogés, à l’instar de M. le rapporteur, sur l’opportunité d’une majoration automatique des règles de construction dans toutes les communes dotées d’un PLU, craignant que les quelque 17 000 maires concernés ne puissent être suffisamment informés de l’existence de la mesure dans les six mois suivant la promulgation de la loi.
À l’époque, nous n’avions donc pas souhaité instaurer l’automaticité de cette mesure,…
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est pour cela que vous le faites maintenant !
Mme Élisabeth Lamure. … mesure qui, du reste, était également limitée dans le temps, puisqu’elle avait été prévue pour une durée de trois ans.
Le Président de la République souhaite qu’elle soit reconduite pour trois années supplémentaires, mais, cette fois, dans le cadre d’un dispositif incitatif, car les temps ont changé, en trois ans de crise. (M. le président de la commission s’exclame.)
Depuis 2007, 2 millions de logements ont été construits, dont 600 000 logements sociaux, soit le double des logements sociaux financés entre 1997 et 2002. En définitive, on n’aura jamais tant construit de logements que sous ce gouvernement !
M. André Dulait. Exact !
M. Daniel Laurent. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure. On observe néanmoins des déséquilibres entre les territoires, avec un déficit de logements dans certaines zones parmi les plus peuplées. Il faut donc construire davantage là où la demande est la plus forte. Mais comment construire davantage sans que l’État injecte toujours plus d’argent sur le marché immobilier, sinon en optimisant les ressources ?
Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de loi de mars 2009, a été votée la loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, qui a mis en application les engagements du Grenelle de l’environnement contenus dans la loi Grenelle 1.
La vocation politique du volet « urbanisme » du Grenelle de l’environnement est claire : il s’agit de consommer moins d’espaces agricoles et naturels dans notre pays.
C’est le Grenelle de l’environnement qui, cette fois, est à l’origine de la limitation de la mesure dans le temps, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2015. En effet, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, l’organisation même des PLU à vocation de densification a été modifiée. Or ces nouveaux PLU doivent être opérationnels au 1er janvier 2016. Il est donc cohérent que cette mesure de densification soit instaurée à titre transitoire, le temps que toutes les collectivités locales reprennent leur document d’urbanisme principal, à savoir le PLU, en vue de cette échéance.
L’augmentation de la constructibilité est une réponse aux problématiques actuelles, à la crise du logement et à celle des finances publiques. Il est donc devenu nécessaire d’appliquer cette mesure de façon générale. Consommer moins de terres agricoles et produire plus de logements implique de renforcer la densité des zones urbaines. Ensuite, pour lutter contre la hausse des prix, il faut construire davantage de logements sur le même espace.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité, dans ce nouveau dispositif de majoration des droits à construire, inverser la charge de la preuve, tout en préservant le principe constitutionnel de libre administration des communes.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. On va le vérifier !
Mme Élisabeth Lamure. Le projet de loi prévoit de passer d’un système où les communes peuvent décider d’appliquer la majoration à un système où elles auront seulement le droit de refuser de l’appliquer, afin de les inciter à s’engager dans cette voie pour dynamiser la construction de logements. Il s’agit, en quelque sorte, de rappeler aux communes les possibilités qui leur sont offertes.
Une commune pourra de toute façon décider de ne pas appliquer cette mesure ou de ne l’appliquer qu’en partie. La marge de manœuvre des collectivités territoriales sera donc importante.
Lors des travaux en commission, M. le rapporteur a rejeté, avec la majorité de gauche, ce dispositif d’incitation à construire plus et mieux, pour le remplacer par un système visant à permettre à l’État de céder ses terrains et ses immeubles avec une décote de 100 % par rapport à leur valeur vénale en vue de la construction de logements sociaux.
Le projet de loi prévoit pourtant cette possibilité de mise à disposition de terrains de l’État pour favoriser la construction de logements. Des cessions avantageuses se pratiquent déjà depuis quatre ans. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, dans le cadre du programme 2008-2012, près de 55 000 logements auront été mis en chantier sur des terrains publics en cinq ans, malgré la crise majeure qui a frappé le secteur de l’immobilier.
L’État a donc déjà la possibilité de céder ses terrains à une valeur inférieure à leur valeur vénale. La décote peut aujourd’hui aller jusqu’à 25 % pour du logement social, et même atteindre 35 % en zone tendue. Ce dispositif fonctionne et permet un financement équilibré des opérations de réalisation de logements sociaux.
La période de récession économique que nous connaissons nous oblige à la raison. La situation actuelle des finances publiques ne permet pas à l’État de céder gratuitement des terrains qui lui appartiennent.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Mais les communes, elles, peuvent le faire !
Mme Élisabeth Lamure. Le texte du Gouvernement, rétabli par l’Assemblée nationale, a pour objet d’augmenter l’offre de logements sans peser sur la dépense publique.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Vous défendez moins les collectivités locales que l’État !
Mme Élisabeth Lamure. Pour ces raisons, le groupe UMP lui apporte son soutien et s’oppose au rétablissement du texte de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, je vous avais suggéré la semaine dernière de vous « raccrocher aux branches » pour défendre la majoration des droits à construire… Je n’y insisterai pas, mais vous n’avez pas eu la partie facile !
La proposition de M. le rapporteur va dans le bon sens et constitue un signe fort, en attendant l’indispensable mise en œuvre d’une véritable politique du logement.
De ce point de vue, le sol constitue la matière première indispensable pour produire, dans des conditions « soutenables », les logements nécessaires. Cela implique d’une part d’obtenir les terrains permettant de construire des logements à un coût compatible avec les ressources des ménages à loger, d’autre part d’envisager une forme de « socialisation du foncier » ou, à tout le moins, de parfaire les outils de la puissance publique.
Le terrain brut, potentiellement constructible, ne manque pas en France : hormis dans quelques zones urbaines saturées, il existe un gisement de terrains techniquement urbanisables. Mais encore faut-il qu’ils soient effectivement construits, et ce dans des conditions non inflationnistes.
Encore faut-il que les terrains soient effectivement construits, disais-je, car si nous disposons de toutes sortes d’outils de planification urbaine, il n’existe aucune contrainte ou incitation forte à l’ouverture effective à l’urbanisation.
Aux Pays-Bas ou en Suède, quand un terrain est classé en zone constructible, le propriétaire reçoit une lettre des services fonciers de la ville l’invitant à passer prendre son chèque en règlement du prix du terrain. Dans ces pays, c’est la collectivité qui achète les terrains ouverts à l’urbanisation, les aménage, crée les équipements, puis les revend à des prix différenciés selon l’usage.
En France, à l’encontre de ce qui est souhaitable, la rétention foncière est favorisée par une fiscalité quasiment indolore pour les détenteurs de terrains et fortement dégressive dans le temps s’agissant de la taxation des plus-values. Les PLU devraient obligatoirement comporter un échéancier prévisionnel de l’ouverture à l’urbanisation des zones constructibles et de la réalisation des équipements correspondants.
Il faut des terrains à des prix acceptables pour que les ménages puissent se loger.
Le prix du terrain représente souvent de 20 % à 25 %, parfois davantage, du prix des logements neufs, en fonction de leur localisation, mais ce n’est pas parce que les terrains sont chers que les logements sont chers : le terrain n’a pas de valeur intrinsèque, son prix dépendant surtout de sa destination – une terre agricole a la valeur de la production qu’elle permet. Le prix d’un terrain résulte donc d’une négociation.
De fait, l’on constate que ce sont les prix de l’immobilier ancien qui influencent la détermination des prix des logements neufs, ce qui se répercute sur les prix du foncier. Lorsque les prix de l’immobilier augmentent, ceux des terrains peuvent croître plus que proportionnellement.
Dans un système non régulé, les objectifs de mixité sociale que peuvent avoir les collectivités sont difficiles à atteindre. Produire des logements sociaux dans des espaces attractifs coûte cher et implique que la collectivité assume la différence entre la charge foncière ou immobilière « de marché » et le coût admissible pour équilibrer les opérations de réalisation de logements sociaux. Les collectivités locales sont de plus en plus souvent confrontées à de telles situations, absolument anormales. Ce mécanisme est en lui-même inflationniste et non soutenable.
Certes, la loi autorise maintenant la collectivité à intervenir en amont, en fixant des règles. Le PLU permet la mise en place de dispositifs pour urbaniser l’espace tout en créant de la mixité sociale ou en favorisant l’efficacité énergétique des constructions, pour ne citer que ces deux objectifs, mais ces dispositifs sont le plus souvent facultatifs, alors qu’il faudrait, selon nous, les rendre obligatoires. Une politique du logement ne se fonde pas sur de simples facultés.
En conséquence, il me semble que nous devons aller vers une plus grande socialisation du foncier.
Si l’idée peut paraître farfelue à beaucoup, elle a cependant été défendue par d’illustres économistes qui peuvent difficilement être qualifiés de révolutionnaires.
La rente ne doit en effet rien au propriétaire du terrain ou du logement, et tout à la rareté ou aux investissements consentis par la collectivité en matière d’urbanisme. C’est bien ce qui, aux yeux de Stuart Mill, posait problème. Dans ses Principes d’économie politique, publiés en 1848, il écrivait que « l’État pourrait, sans violer les principes sur lesquels la propriété privée est établie, s’approprier la totalité ou une partie de cet accroissement de richesses à mesure qu’elle se produit. Ce serait […] employer au profit de la société une augmentation de richesses créée par les circonstances au lieu de l’abandonner sans travail à une classe particulière de citoyens. » Cela n’a jamais été plus vrai qu’aujourd’hui !
Dans de nombreuses villes européennes, une grande partie du sol urbanisable est propriété publique. Cette détention publique du sol est un enjeu tout à fait fondamental, surtout pour la production de logements sociaux, car il s’agit désormais de densifier une partie de l’espace urbain, dans le respect des équilibres en termes de mixité, de qualité de l’habitat, de qualité des espaces publics, de qualité des paysages, de préservation de la nature en ville : l’urbanisme est un art !
En conclusion, nous écologistes soutenons la mesure proposée par M. le rapporteur. Elle va dans le bon sens, tout comme l’engagement qu’ont pris plusieurs candidats à l’élection présidentielle en signant le « contrat social pour une nouvelle politique du logement » proposé par la Fondation Abbé-Pierre. Ce contrat les engage, nous engage à faire du logement « un des axes prioritaires » de nos politiques, notamment par la construction en urgence des 500 000 logements nécessaires, « dont plus de 150 000 vraiment sociaux ».
La situation du logement est extrêmement grave dans notre pays : il est inacceptable que 3,6 millions de nos concitoyens, dont 600 000 enfants, souffrent du mal-logement ! Comme l’a dit l’abbé Pierre, avec qui je n’ai d’autre filiation que, le cas échéant, spirituelle (Sourires.), « l’art de la politique, c’est de rendre possible ce qui est nécessaire ». (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le logement est un bien de première nécessité. Chaque citoyen devrait pouvoir accéder à un logement décent pour un prix abordable. Or, depuis quelques années, la pénurie de logements, notamment de logements sociaux, crée, pour de très nombreuses familles, des conditions de vie extrêmement difficiles. Il est de notre devoir à tous de trouver des solutions appropriées à ces situations.
Permettez-moi de rappeler des chiffres qui ont été largement cités lors de l’examen en première lecture de ce texte : 10 millions de personnes subissent, à des titres divers, la crise du logement ; 3,6 millions d’entre elles sont mal logées ; 1,2 million de ménages attendent que leur soit attribué un logement social décent.
Pour les raisons déjà évoquées, le texte que le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture n’aura, malheureusement, aucun effet sur cette crise du logement. Pour l’essentiel, la majoration des droits à construire aggravera la rétention du foncier et contribuera à l’augmentation de la valeur vénale des terrains et des biens immobiliers. Chacun en convient, en particulier les professionnels de la construction, qui, dans leur grande majorité, aspirent à ce que ce texte ne soit, au final, jamais appliqué.
Quand le Président de la République a annoncé très solennellement la majoration de 30 % des droits à construire, à la fin du mois de janvier, nous aurions pu imaginer qu’il s’agissait là d’une véritable révolution du droit de l’urbanisme. Mais cette mesure va finalement faire « pschitt », pour reprendre une expression employée, dans un tout autre contexte, par un ancien Président de la République.
En réalité, nous ne rencontrons pas, y compris sur le terrain, de catégories de citoyens qui nous demandent de soutenir votre texte, monsieur le ministre. Ce projet de loi apparaît surtout comme un moyen d’obliger les communes à délibérer sur une mesure dont elles n’ont pas besoin. Je souligne que ces dernières et, plus largement, l’ensemble des collectivités territoriales n’ont nul besoin qu’on leur impose une telle délibération pour prendre conscience du problème du logement.
Monsieur le ministre, comme je le rappelais mercredi dernier, les élus veulent construire. Quelle que soit la taille de leur commune, les maires aspirent à une amélioration de l’habitat ancien, à la construction de nouveaux logements dans les centres-villes, ainsi qu’à un nouvel urbanisme en vue de l’extension des quartiers existants. Mais le désengagement de l’État observé ces dernières années oblige les collectivités à participer fortement au financement.
Finalement, l’article qui a été réintroduit à l’Assemblée nationale ne comporte qu’un élément nouveau : la possibilité, pour le conseil municipal, de décider par le biais d’une délibération, prise dans les neuf mois suivant l’entrée en vigueur du texte, de ne pas appliquer de majoration automatique des droits à construire. Il est injuste de donner ainsi à entendre que les collectivités qui n’utiliseront pas pleinement les possibilités de majoration des droits à construire offertes par la loi seront responsables de la crise du logement. C’est oublier que le maire et son équipe assument au quotidien la mise en œuvre d’un urbanisme acceptable et négocié avec la population ; c’est oublier l’énorme travail que représentent les études préalables à l’établissement des plans locaux d’urbanisme, toujours plus contraignants et exigeants. Monsieur le ministre, vous comprendrez aisément qu’ici, au Sénat, nous ne pouvons accepter une telle mise en cause.
Si votre projet de loi n’est pas acceptable sur le fond, il ne l’est pas davantage sur la forme. Nous l’avons dit et répété : nous ne pouvons cautionner une mesure annoncée dans l’urgence, en toute fin de mandat. Pourquoi une telle précipitation, doublée d’une évidente improvisation ? Monsieur le ministre, s’agissant de ce texte, l’amateurisme est dans votre camp ! Après cinq ans d’exercice du pouvoir, ce n’est pas rassurant…
Sur le logement, beaucoup est dit et écrit. Au cours de la prochaine législature, l’effort devra porter autant sur la construction neuve que sur la réhabilitation des quelque 2 millions de logements vacants. Dès 2007, il aurait fallu réfléchir à une loi-cadre d’envergure, issue d’une concertation avec les associations d’élus et les professionnels du secteur, constructeurs ou aménageurs. Les besoins, les types de logements évoluent avec la société. Le relâchement des liens familiaux, l’accroissement du nombre des personnes vivant seules et de celui des familles recomposées sont autant d’éléments qui devraient obliger à une refonte de la typologie des logements à construire. Cette réflexion manque aujourd'hui.
Monsieur le ministre, l’amendement qui a été à nouveau défendu en commission par M. le rapporteur devrait vous éclairer ! En effet, nous avons besoin de construire en urgence pour répondre à l’attente de nombreuses familles. La situation est terrible : le mal-logement porte atteinte à la dignité de la personne humaine.
L’État ferait œuvre utile en se ralliant à la mesure que nous proposons : il y va de la construction de milliers de logements sociaux. Oui, monsieur le ministre, une telle mesure constituerait un geste fort de la part de l’État, à l’adresse de toutes celles et de tous ceux qui souffrent du mal-logement.
Malheureusement, votre intervention liminaire manifeste que vous persistez dans votre choix initial, qui est contraire au bon sens. Cela est regrettable. Le groupe socialiste n’est toujours pas convaincu du bien-fondé de votre projet de loi, dont le dispositif permettra un effet d’aubaine pour ceux qui ont les moyens d’augmenter la surface de leur maison individuelle. C’est bien peu pour un texte qui devait prétendument fonder une nouvelle vision de l’urbanisme !
Dans ces conditions, le groupe socialiste ne peut que voter le texte présenté par la commission de l’économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Monsieur le président, je demande une suspension de séance, afin que la commission de l’économie puisse se réunir pour examiner trois amendements « innovants » déposés par le Gouvernement… (Sourires.)
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement
Article 1er A
I. – Le premier alinéa de l’article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques est ainsi rédigé :
« L'État peut procéder à l'aliénation d’immeubles bâtis ou non bâtis de son domaine privé à un prix inférieur à la valeur vénale lorsque ces immeubles sont destinés à la réalisation de programmes de constructions comportant essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social. Le montant de la décote peut atteindre 100 % de la valeur vénale de l’immeuble, pondérée par le rapport de la surface de plancher affectée au logement social à la surface de plancher totale du programme immobilier. L'avantage financier résultant de la décote est exclusivement et en totalité répercuté dans le prix de revient des logements sociaux réalisés sur l'immeuble aliéné. »
II. – La perte de recettes qui pourrait résulter pour l'État de l'application du présent article est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai simultanément les trois amendements particulièrement « innovants » déposés par le Gouvernement… (Sourires.)
L’amendement n° 3 tend à supprimer l’article 1er A, qui a été introduit par la commission.
L’amendement n° 1 vise quant à lui à rétablir le texte qui a été adopté par l’Assemblée nationale.
Enfin, l’amendement n° 2 a pour objet de revenir à l’intitulé initial du projet de loi.
Je ne doute pas que le Sénat votera, dans un élan unanime, ces trois merveilleux amendements ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Les amendements déposés par le Gouvernement sont bien sûr en totale contradiction avec le dispositif adopté par la commission de l’économie du Sénat. Par cohérence avec nos votes de la semaine dernière, je donne un avis défavorable à ces trois amendements. J’ajoute que, en les rejetant, le Sénat confirmera le vote unanime qu’il avait émis en octobre 2008, conformément à l’avis de M. Braye, contre une disposition, alors défendue par Mme Boutin, identique à celle que soutient aujourd’hui M. Apparu.
M. Charles Revet. M. Braye n’a jamais été autant cité dans cet hémicycle !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre. Je vais être taquin à mon tour, monsieur le rapporteur…
Voilà quelques instants, mon directeur de cabinet m’a informé que l’Union sociale pour l’habitat, l’USH, organisme que certains, dans cet hémicycle, connaissent particulièrement bien (Sourires.), vient de déclarer qu’augmenter les droits à construire serait une bonne solution pour produire plus de logements dans notre pays !
M. André Reichardt. Absolument !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Si cette augmentation est décidée par délibération du conseil municipal !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Monsieur le ministre, votre directeur de cabinet a fait une lecture partielle…
M. Marc Daunis. Et partiale !
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. … des déclarations de l’USH, car celle-ci préconise qu’une éventuelle augmentation des droits à construire résulte d’une délibération du conseil municipal. Cette prise de position s’inscrit dans la logique du dispositif introduit par le Sénat dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, sur l’initiative de notre ancien collègue Dominique Braye.
M. Marc Daunis. La vérité historique est rétablie !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote sur l’amendement n° 3.
M. Philippe Bas. Sur l’ensemble des travées, nous nous accordons tous pour reconnaître qu’un important effort de construction est nécessaire en France. Le Gouvernement nous soumet un texte qui, par son ampleur, est de nature à apporter une contribution intéressante à la résolution de ce problème, alors que la mise en œuvre du dispositif adopté par notre commission n’aurait, à l’évidence, que des effets cosmétiques, certainement pas à la mesure du constat, d’ailleurs exagérément sévère, dressé par les orateurs de la majorité sénatoriale.
Je voudrais insister sur la nécessité de ne pas se montrer frileux, eu égard à l’importance des besoins non satisfaits en matière de logement. Je déplore la pusillanimité de la majorité sénatoriale et constate que l’initiative se trouve aujourd’hui du côté du Gouvernement,…
M. Philippe Bas. … ce dont je le félicite.
Cela étant dit, il faut prendre la mesure exacte du texte que nous a présenté le Gouvernement.
Tout d’abord, il ne soulève aucune objection de principe. Il existe déjà des dispositions permettant de majorer les droits à construire permis par le coefficient d’occupation des sols, dans la limite de 20 %. Porter ce plafond à 30 % ne me semble pas représenter un saut dans l’inconnu !
Ensuite, contrairement aux affirmations réitérées des orateurs de la majorité sénatoriale, le texte du Gouvernement n’institue pas d’obligation : il prévoit en effet que tout conseil municipal ou organe délibérant d’établissement public de coopération intercommunale pourra s’opposer à l’application de la nouvelle mesure, totalement ou partiellement. Les élus garderont donc le pouvoir, et je remercie le Gouvernement d’avoir prévu ce verrou : c’est tout à fait essentiel.
Enfin, il a été plusieurs fois prétendu que la mise en œuvre de ce dispositif entraînerait une augmentation du coût du logement.
M. Marc Daunis. Non ! Du foncier !
M. Philippe Bas. C’est méconnaître le fonctionnement du marché du logement : accroître l’offre de logements n’a pas d’effet inflationniste, au contraire ! Cette loi économique élémentaire ne doit pas être perdue de vue.
Pour conclure, je voudrais insister sur un point qui me paraît primordial : bien sûr, la mesure proposée par le Président de la République et le Gouvernement ne règlera pas, à elle seule, tous les problèmes, mais un effort particulièrement soutenu a été accompli depuis dix ans en matière de logement social. En effet, de 1997 à 2002, on a construit, en moyenne, 43 000 logements sociaux par an, contre 120 000 actuellement ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. J’ai indiqué, lors de la discussion générale, que ce projet de loi venait cristalliser, en pleine campagne pour l’élection présidentielle, des oppositions naturelles : certains le qualifient de promesse présidentielle et lui opposent une promesse de candidat, contenue dans l’article 1er A introduit par la majorité sénatoriale.
Le Gouvernement souhaite supprimer cet article ; il est vrai que son dispositif souffre de deux lacunes.
Tout d’abord, il oppose le logement social à l’accession à la propriété, alors que la mixité est nécessaire. La décote proposée s’appliquerait uniquement au logement social, alors qu’elle pourrait aussi favoriser un effort de densification de l’habitat.
Ensuite, le dispositif de l’article 1er A souffre précisément du mal diagnostiqué par la majorité sénatoriale s’agissant du texte du Gouvernement : par une mesure unique, on prétend régler tous les problèmes ou presque, en oubliant qu’une politique ambitieuse de production de logements suppose un accompagnement global.
Cet article 1er A constitue donc bien une promesse de candidat répondant à une promesse présidentielle. Comme en commission, notre groupe s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Le groupe écologiste souscrit, pour les raisons que j’ai développées lors de la discussion générale, à la proposition de M. le rapporteur et votera donc contre le texte du Gouvernement.
Je tiens à insister sur la souffrance des personnes mal logées, en particulier sur celle des enfants. Il est vraiment urgent d’agir !
M. Charles Revet. Alors il faut voter le texte du Gouvernement !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.
(L’article 1er A est adopté.)
Article 1er
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Aux deuxième et troisième phrases du sixième alinéa de l’article L. 123-1-11 du code de l’urbanisme, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 30 % ».
II. – Après le même article L. 123-1-11, il est inséré un article L. 123-1-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 123-1-11-1. – I. – Les droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou de coefficient d’occupation des sols fixées par le plan local d’urbanisme, le plan d’occupation des sols ou le plan d’aménagement de zone sont majorés de 30 % pour permettre l’agrandissement ou la construction de bâtiments à usage d’habitation, dans les conditions prévues au présent article. Cette majoration s’applique dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan d’aménagement de zone en vigueur à la date de promulgation de la loi n° … du … relative à la majoration des droits à construire.
« La majoration de 30 % prévue au premier alinéa du présent I n’est applicable ni dans les zones A, B et C des plans d’exposition au bruit mentionnées à l’article L. 147-4, ni dans les secteurs sauvegardés. Elle ne peut avoir pour effet de modifier une règle édictée par l’une des servitudes d’utilité publique prévues à l’article L. 126-1, ni de déroger aux chapitres V et VI du titre IV du livre Ier.
« Elle ne s’applique pas si le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a pris, avant la promulgation de la loi n° … du … précitée, une délibération faisant application du sixième alinéa de l’article L. 123-1-11.
« II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … précitée, l’autorité compétente, en application de l’article L. 123-6, pour élaborer le plan local d’urbanisme met à la disposition du public une note d’information présentant les conséquences de l’application de la majoration de 30 % prévue au I du présent article sur le territoire de la ou des communes concernées, notamment au regard des objectifs mentionnés à l’article L. 121-1. Le public dispose d’un délai d’un mois pour formuler ses observations à compter de la mise à disposition de cette note.
« Les modalités de la consultation du public prévue au premier alinéa du présent II et du recueil et de la conservation de ses observations sont précisées, selon le cas, par le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent et portées à la connaissance du public au moins huit jours avant le début de cette consultation. Elles peuvent prendre la forme d’une mise en ligne du dossier de consultation ou d’une présentation au cours d’une réunion publique.
« À l’issue de la mise à disposition de la note d’information mentionnée au même premier alinéa, le président de l’établissement public ou le maire présente la synthèse des observations du public à l’organe délibérant de l’établissement public ou au conseil municipal. Cette synthèse est tenue à disposition du public. Un avis précisant le lieu dans lequel elle est tenue à disposition du public fait l’objet des mesures d’affichage et, le cas échéant, de publicité applicables aux actes modifiant un plan local d’urbanisme.
« III. – La majoration mentionnée au premier alinéa du I est applicable huit jours après la date de la séance au cours de laquelle la synthèse des observations du public a été présentée à l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou au conseil municipal et au plus tard à l’expiration d’un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … précitée, sauf si l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 123-6, le conseil municipal décide, à l’issue de cette présentation, qu’elle ne s’applique pas sur tout ou partie du territoire de la ou des communes concernées ou s’il adopte la délibération prévue au sixième alinéa de l’article L. 123-1-11.
« À tout moment, le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent peut adopter une délibération mettant fin à l’application de la majoration prévue au I du présent article sur tout ou partie du territoire de la commune ou des communes concernées. Il en est de même s’il décide d’adopter la délibération prévue au sixième alinéa de l’article L. 123-1-11. Dans les deux cas, cette délibération est précédée de la consultation du public prévue, respectivement, au II du présent article ou au sixième alinéa de l’article L. 123-1-11.
« Les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peuvent décider d’appliquer la majoration prévue au I du présent article sur leur territoire, nonobstant toute délibération contraire de l’établissement public, ou d’écarter cette application.
« IV. – Le présent article s’applique aux demandes de permis et aux déclarations déposées en application de l’article L. 423-1 avant le 1er janvier 2016. »
III. – L’article L. 128-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est de même de l’application combinée des articles L. 123-1-11-1, L. 127-1, L. 128-1 et L. 128-2. »
Cet amendement a déjà été défendu.
Je rappelle que la commission a émis un avis défavorable.
Je mets aux voix l’amendement n° 1.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.
M. le président. Je rappelle que l’intitulé du projet de loi, dans le texte de la commission, est ainsi rédigé : « projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement ».
L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, tend à le libeller ainsi :
Projet de loi relatif à la majoration des droits à construire
Je constate que cet amendement n’a plus d’objet.
En conséquence, l’intitulé du projet de loi, dans le texte de la commission, demeure inchangé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je tiens à insister sur l’intérêt du dispositif proposé par le Gouvernement. Il permettra de lever un certain nombre de difficultés rencontrées sur le terrain, notamment dans les zones tendues. Le texte du Gouvernement a une portée à la fois économique et sociale ; il mérite d’être soutenu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, dans le texte de la commission.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs qui ont participé à nos travaux.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Traitement des données à caractère personnel
Discussion d'une proposition de résolution européenne
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois et de la commission des affaires européennes, la discussion de la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des lois en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (E 7055) (proposition n° 406, rapport n° 446 et avis n° 457).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, rapporteur de la commission des lois et rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne est importante par son objet, le traitement des données à caractère personnel. C’est également la première fois, depuis la réforme de notre règlement, qu’une proposition de résolution européenne sera soumise au vote du Sénat en séance publique, ce qui conférera davantage de solennité et de poids à notre prise de position.
Le 25 janvier dernier, la Commission européenne a présenté deux textes qui procèdent à une refonte complète du cadre européen de la protection des données personnelles : une proposition de règlement européen et une proposition de directive. La proposition de règlement concerne les fichiers privés et commerciaux, et la proposition de directive les fichiers dits « de souveraineté », utilisés notamment dans le cadre de procédures pénales.
Le 8 février, en application de l’article 73 quinquies de notre règlement, la commission des lois a décidé de se saisir de ces deux textes. De son côté, la commission des affaires européennes s’en est saisie pour avis. J’ai l’honneur d’avoir été nommé à la fois rapporteur au fond pour la commission des lois et rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans les deux cas, c’était mérité !
M. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, rapporteur et rapporteur pour avis. Je vous remercie, monsieur le président.
Les deux commissions partagent la même analyse. Ces deux textes devant être adoptés selon la procédure législative ordinaire, c’est-à-dire par codécision entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, le processus de négociation entamé va durer quelque temps.
Compte tenu des brefs délais qui nous sont impartis et du fait que ces deux textes abordent des problématiques différentes, la proposition de résolution soumise à votre examen ne porte que sur la proposition de règlement relatif aux fichiers privés et commerciaux. Nous aurons l’occasion de revenir par la suite sur ces sujets, particulièrement sur la proposition de directive relative aux fichiers de souveraineté, que nous laissons aujourd’hui de côté.
Parallèlement à la présente proposition de résolution adressée au Gouvernement, la commission des affaires européennes a déposé, le 23 février dernier, sur le fondement de l’article 73 octies de notre règlement, une proposition de résolution adressée cette fois directement aux institutions européennes et portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement. Ce texte est devenu résolution du Sénat le 4 mars 2012, après son adoption par la commission des lois, compétente au fond.
La proposition de résolution qui vous est soumise aujourd’hui vise exclusivement la proposition de règlement européen relatif aux fichiers privés ou commerciaux, qui a vocation à remplacer la directive de 1995. Très largement inspiré de la législation française, pionnière en la matière, ce texte a marqué, en son temps, une avancée décisive.
Cependant, de l’avis général, il est aujourd’hui nécessaire de franchir une nouvelle étape en matière de protection européenne des données personnelles, et ce pour trois raisons.
Premièrement, la directive de 1995 n’a pas permis une harmonisation suffisante de la protection des données personnelles dans les États membres de l’Union européenne. Ainsi, par exemple, jusqu’en 2011, l’autorité de contrôle britannique ne disposait d’aucun pouvoir de sanction contre les responsables de traitement.
Deuxièmement, la directive est devenue obsolète. La révolution des nouvelles technologies, l’explosion d’internet, la multiplication des réseaux sociaux et leur place toujours grandissante, l’indexation massive des contenus publiés en ligne sont autant d’éléments qui accroissent considérablement le volume des données personnelles collectées et échangées, ainsi que les possibilités de leur consultation ou de leur exploitation à des fins notamment commerciales.
Enfin, la dernière raison qui justifie une révision de la législation communautaire tient à l’internationalisation croissante des transferts de données entre les États membres de l’Union européenne eux-mêmes, mais aussi entre ces derniers et les États tiers à l’Union européenne. Le régulateur national ne peut plus agir seul. Nous devons unir nos forces –et donc unifier notre droit – pour imposer, notamment aux États non européens, le respect des règles de protection des données relatives aux citoyens européens.
La Commission européenne s’est saisie de ce dossier. Elle a appelé, dans une communication de novembre 2010, à une approche globale de la protection des données personnelles en Europe. La proposition de règlement constitue l’aboutissement de ces travaux et doit conduire, selon elle, à une harmonisation du droit applicable sur le modèle des droits les plus avancés en la matière. C’est ce que nous a indiqué notamment la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Reding, lorsque nous l’avons auditionnée voilà quelques jours.
L’heure est décisive. En effet, le texte qui nous est présenté est une proposition de règlement. Nous n’aurons plus à en connaître, une fois adoptée, contrairement à ce qui se passe pour une directive – ou plutôt, monsieur le ministre, contrairement à ce qui devrait se passer, car le Parlement est de plus en plus souvent tenu à l’écart des transpositions de directive, mais c’est là un autre sujet, sur lequel nous reviendrons. Si nous voulons peser, c’est maintenant, dans la phase de négociation, qu’il faut agir. Il est essentiel, sur un sujet qui engage autant les droits fondamentaux de la personne, que la représentation nationale se fasse entendre.
La proposition de règlement comporte un certain nombre d’améliorations dont le texte qui vous est présenté prend acte. Elle prévoit notamment que le consentement de la personne à l’utilisation de ses données personnelles devra être exprès. Elle reconnaît aux internautes un « droit à la portabilité » de leurs données, qui leur permettra de s’affranchir de l’autorité de traitement sans perdre l’usage de leurs données. Elle réaffirme le droit d’opposition de chacun au traitement de ses données personnelles et encadre strictement la possibilité, pour les responsables de traitement, de soumettre les données qu’ils ont recueillies à un « profilage » informatique. Elle consacre un droit à l’oubli numérique, permettant à chacun d’obtenir l’effacement des données personnelles qui lui portent préjudice.
La proposition de règlement prévoit de nouvelles règles d’autorisation des fichiers reposant, notamment pour les plus sensibles d’entre eux, sur l’obligation de les soumettre à une étude d’impact. Elle modifie la réglementation relative au transfert de données vers des pays tiers à l’Union européenne.
Parallèlement, le texte fait peser sur les responsables de traitement des obligations nouvelles, comme la désignation d’un délégué à la protection des données dans les entreprises de plus de 250 salariés ou le renforcement des sanctions contre les entreprises ne respectant pas les règles fixées. La proposition de règlement adapte aussi le système de contrôle des responsables de traitement en créant notamment un comité européen de la protection des données, auquel sera associé le Contrôleur européen de la protection des données, qui se substituera à l’actuel groupe de travail réunissant les « CNIL européennes », dit « Groupe de l’article 29 » ou « G29 ».
Cette proposition de règlement contient donc de réelles avancées par rapport aux règles communautaires en vigueur. Certaines, comme l’exigence du consentement exprès, le droit d’opposition ou de rectification ou le statut d’indépendance et les pouvoirs de l’autorité de contrôle existent cependant déjà dans notre droit national. D’autres consacrent des évolutions attendues. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage au travail précurseur effectué par nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, rapporteur et rapporteur pour avis. … qui, dans leur rapport d’information sur la vie privée à l’heure des mémoires numériques, puis dans la proposition de loi issue de leurs travaux et rapportée par notre éminent collègue Christian Cointat, ont présenté certaines des évolutions aujourd’hui consacrées par la proposition de règlement, telles la reconnaissance du droit à l’oubli ou l’obligation de désignation de délégués à la protection des données.
Monsieur le ministre, on ne peut que regretter que cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité au Sénat il y a près de deux ans, n’ait jamais été examinée par l’Assemblée nationale.
Malgré ces avancées notables, le dispositif proposé comporte de réelles lacunes, qu’il revient au Sénat de dénoncer. La présente proposition de résolution a pour objet d’attirer l’attention du Gouvernement sur ces lacunes, au moment où s’engagent les négociations.
La proposition de règlement doit tout d’abord aller plus loin sur certains points : le droit à l’oubli et les moteurs de recherche, le statut juridique de l’adresse IP, l’encadrement des transferts internationaux de données, la désignation obligatoire d’un délégué à la protection des données ou le renforcement des pouvoirs des autorités de contrôle nationales.
Sur ce dernier point, j’indique que, sur l’initiative de M. Jean-Paul Amoudry et de plusieurs de ses collègues du groupe de l’Union centriste et républicaine, la proposition de résolution appelle le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance, monsieur le garde des sceaux, sur l’encadrement, trop restrictif, des pouvoirs d’investigation des autorités de contrôle nationales.
J’en viens maintenant au cœur de la proposition de résolution qui est soumise à votre examen, mes chers collègues, à savoir les deux questions de principe que soulève le texte de la Commission européenne.
La première question porte sur la marge que conserve le législateur national pour adopter des dispositions nationales plus protectrices. La Commission européenne a fait le choix d’une proposition de règlement plutôt que d’une proposition de directive afin de garantir une harmonisation complète des législations. Il est évidemment souhaitable que celle-ci se fasse par le haut, et non par le bas.
Une question fondamentale se pose donc pour des États comme la France, dont la législation en matière de protection des données personnelles est souvent pionnière. La protection apportée par ce texte constituera-t-elle un plancher ou un plafond ? Serait-il envisageable que, en élevant le niveau moyen de protection apporté à l’ensemble des citoyens européens, le règlement diminue celle dont bénéficiaient ceux qui résidaient dans un État membre ayant fait le choix de prévoir des garanties complémentaires ?
Lors de son audition par la commission des lois et par la commission des affaires européennes, le 21 février dernier, Mme Reding, commissaire européen chargée de ce dossier, nous a indiqué clairement qu’elle entendait faire respecter le principe « un continent, une règle ». Elle a même ajouté qu’elle était « entre nos mains ». Nous avons toutefois plutôt eu le sentiment que c’était l’inverse…
Or la protection des données personnelles participe de la protection de la vie privée, que le Conseil constitutionnel rattache à la liberté individuelle mentionnée à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cet ancrage constitutionnel de la protection des données personnelles justifie que celle-ci prime sur toutes autres considérations, notamment les considérations économiques que la Commission européenne met en avant pour limiter les garanties apportées aux personnes.
La présente proposition de résolution européenne invite donc le Gouvernement français à veiller à ce que l’harmonisation s’effectue sans préjudice de la possibilité, pour les États membres, d’adopter des dispositions plus favorables à la protection des données personnelles. Cela suppose notamment que de telles possibilités de dérogation allant dans le sens du « mieux disant » soient expressément mentionnées dans le règlement.
J’observe par ailleurs que la proposition de règlement ne définit même pas avec suffisamment de précision le cadre légal qu’elle vise à mettre en place. Cela se manifeste par le fait que le texte renvoie à près de cinquante reprises à des actes délégués ou à des actes d’exécution adoptés par le collège des commissaires pour préciser les modalités d’application du règlement.
Toutes les personnes que j’ai entendues ont critiqué ce renvoi massif à la législation déléguée. La proposition de résolution insiste sur la nécessité de veiller à ce que les compétences normatives des législateurs européens et nationaux ou celles des régulateurs nationaux ne soient pas ainsi abandonnées à la seule compétence de la Commission européenne.
La résolution du Sénat portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement que j’ai évoquée précédemment et qui a été adoptée par la commission des affaires européennes met particulièrement l’accent sur ce point.
Le texte pose une seconde question de principe. C’est celle qui a le plus focalisé l’attention de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, comme en a témoigné l’audition de sa présidente par la commission des lois, en novembre dernier. Le dispositif du « guichet unique » proposé par la Commission européenne attribue la compétence pour instruire les requêtes des citoyens européens à l’autorité de contrôle du pays dans lequel le responsable de traitement en cause a son principal établissement. L’objectif avoué de ce dispositif est de faciliter les démarches administratives des entreprises, qui n’auront plus qu’un interlocuteur unique à l’échelle européenne.
Cependant, il est paradoxal que le citoyen soit moins bien loti – j’insiste sur ce point – que l’entreprise responsable de traitement. Il sera en effet privé de la possibilité de voir l’ensemble de ses plaintes instruites par son autorité de contrôle nationale. Or il me semble que, lorsqu’il s’agit d’assurer la meilleure protection possible du citoyen et son droit à un recours effectif, il convient, comme en matière de consommation, de privilégier la solution permettant à l’intéressé de s’adresser à l’autorité la plus proche de lui et auprès de laquelle il a l’habitude d’accomplir ses démarches.
En outre, sans même évoquer le risque de « forum shopping » dénoncé par la CNIL, le dispositif du « guichet unique » présente de multiples inconvénients.
Sa mise en place pose la question des moyens de l’autorité de contrôle nationale : par exemple, Facebook étant installé en Irlande, l’autorité de ce pays disposera-t-elle des moyens suffisants pour faire face à l’afflux de contentieux en provenance des autres pays européens ?
Ce dispositif crée en outre une asymétrie, pour le plaignant, entre les recours administratifs exercés auprès de l’autorité étrangère dont dépend le principal établissement du responsable de traitement et les recours juridictionnels portés devant le juge national.
La Commission européenne a certes prévu des aménagements au principe du « guichet unique » : elle propose un mécanisme de coordination entre autorités de contrôle et prévoit que l’autorité nationale se chargera de la transmission de la plainte à l’autorité étrangère. Ces expédients sont cependant insuffisants. Le citoyen se trouve à la fois privé de la possibilité de voir sa demande instruite par l’autorité de contrôle qui lui est le plus proche et le plus accessible, et privé de celle de se voir appliquer les dispositions de droit national plus favorables.
C’est pourquoi la proposition de résolution appelle le Gouvernement à veiller, dans la négociation qui s’ouvre, à ce que le critère du « principal établissement » soit abandonné au profit de l’application du principe selon lequel l’autorité de contrôle compétente est celle du pays de résidence de l’intéressé.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tel est le sens de la proposition de résolution européenne que la commission des lois, unanime, vous propose d’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de l’excellent climat de coopération qui prévaut entre la commission des affaires européennes et la commission des lois. Le fait que nous puissions travailler très efficacement ensemble est tout à fait positif pour la pertinence et la clarté des avis et des résolutions que nous sommes amenés à présenter au Sénat.
J’aborderai succinctement quatre sujets, M. Sutour les ayant déjà éloquemment développés.
En premier lieu, il est des droits individuels qui sont fondamentaux. Je pense en particulier au droit à l’oubli numérique. Il est bien que le projet de règlement européen et la proposition de résolution y fassent référence, car nous savons tous que des jeunes peuvent être poursuivis des années durant par la publication, le plus souvent à leur insu, de données les concernant sur un site internet. Il est très important que la vie privée soit respectée. Pour cela, il faut donner à chacun les moyens de préserver et de garantir à tout moment son intimité ou ce qui pour lui en relève. Le droit à l’oubli est un droit essentiel de la personne, que nous devons défendre parce que son non-respect peut avoir des conséquences extrêmement lourdes et dommageables.
En deuxième lieu, le droit européen va-t-il se caler sur la législation du pays offrant le plus de garanties ou va-t-il, au contraire, s’en tenir à un plus petit dénominateur commun, ce qui serait préjudiciable à nos concitoyens, lesquels ont actuellement la possibilité de saisir la CNIL, autorité reconnue tant sur le plan national qu’européen mais dont le travail pour garantir nos libertés serait alors remis en cause ? Nous devons être très vigilants sur ce point.
Lorsque nous avons auditionné Mme Reding, nous lui avons demandé si l’harmonisation consisterait à définir un plafond, interdisant toute disposition nationale plus favorable, ou bien un plancher, comme en matière de consommation par exemple. Sa réponse a été la suivante : « Non, il n’y aura pas de niveaux de protection différents. C’est l’essence même d’un règlement : une loi identique pour tout le territoire de l’Union européenne. J’ai retenu les règles les plus protectrices des systèmes existants. » Nous verrons que tel n’est pas le cas, s’agissant en particulier du critère de l’établissement principal.
Je rappelle que la protection des données personnelles relève du champ des droits fondamentaux et que le Conseil constitutionnel considère que la protection de la vie privée fait partie des libertés individuelles fondamentales, mentionnées à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Pour sa part, la commission des lois considère, en total accord avec la commission des affaires européennes, que cet ancrage constitutionnel justifie que la protection des données personnelles et de la vie privée prime sur toute autre considération. C’est pourquoi nous demandons instamment au Gouvernement de la République – celui qui est en place et le prochain –…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’un des candidats à l’élection présidentielle a fait des propositions qui ont dû vous intéresser concernant la désignation du ministre de la justice, monsieur Mercier !
Nous demandons instamment au Gouvernement, disais-je, de préserver résolument ce qui touche à la protection des droits les plus fondamentaux de la personne, à la défense du faible contre le fort. Pour nous, la construction européenne n’a de sens que si elle élève le niveau de la protection commune, sans interdire à certains États membres d’aller au-delà avant d’être rejoints plus tard par les autres. Personne ne comprendrait, monsieur le ministre, que le règlement européen amène un recul par rapport aux dispositions qui existent aujourd'hui dans notre pays en matière de protection des libertés publiques, des libertés personnelles et de la vie privée.
En troisième lieu, je voudrais évoquer la question de la législation déléguée.
La proposition de règlement renvoie près d’une cinquantaine de fois à des actes délégués ou à des actes d’exécution adoptés par la Commission européenne pour compléter la législation européenne. Le nombre et l’importance de ces renvois posent problème au regard du principe de subsidiarité, car ils confèrent tant de pouvoir à la Commission européenne que l’on en vient à penser que c’est au détriment du législateur européen et des législateurs nationaux, ainsi que des autorités de contrôle nationales, telle la CNIL.
La présente proposition de résolution fait état de cette question, qui est aussi traitée par la proposition de résolution portant avis motivé sur la subsidiarité présentée par la commission des affaires européennes.
En quatrième et dernier lieu, je voudrais aborder la question très sensible du « guichet unique ».
Si le règlement européen devait établir que le droit applicable et les instances compétentes seront ceux du pays d’implantation de l’établissement principal du site internet concerné, cela pourrait poser un grave problème pour la défense de nos libertés.
Prenons l’exemple de Facebook, dont le siège est installé en Irlande. Aux termes de la proposition de règlement, le droit irlandais s’appliquerait en cas de litige. Or il est beaucoup moins protecteur des libertés individuelles, des libertés publiques et de la vie privée que le droit français…
Une telle situation serait incompréhensible pour les citoyens européens et pourrait entraîner une déperdition inacceptable en termes de défense de droits fondamentaux. C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement de veiller tout particulièrement à ce qu’un tel dispositif ne soit pas inscrit dans le règlement européen. Son objet principal, nous dit-on, est d’élever le niveau de protection des données personnelles, mais sa mise en œuvre serait paradoxalement plus favorable au responsable de traitement des données, qui pourrait choisir le droit en vertu duquel il sera jugé, qu’au citoyen, qui devrait obligatoirement s’adresser aux juridictions ou aux instances de contrôle et de régulation du pays où est établi son adversaire. Une telle dissymétrie est inacceptable, d’autant qu’elle se conjuguerait à la disproportion considérable des moyens des parties.
Il est déjà difficile, pour un simple citoyen, de déposer plainte contre un grand site mondial pour atteinte à la vie privée, violation du droit d’auteur, injure ou diffamation – de telles infractions sont constatées tous les jours –, mais s’il doit de surcroît aller plaider à l’étranger, par exemple en Irlande, il lui sera presque impossible de faire valoir son droit face à la partie adverse, dont les moyens sont en outre considérablement plus importants…
Nous ne pouvons pas accepter une telle insécurité juridique, nous ne pouvons pas accepter l’amoindrissement des garanties qui existent aujourd'hui en matière de protection des libertés dans la République française.
Les mécanismes de coordination prévus par le texte ne remédient pas à l’affaiblissement, par ce dispositif, du droit du citoyen européen à un recours effectif, exercé auprès de l’autorité qui lui est la plus accessible, en l’occurrence les tribunaux français ou la CNIL pour les citoyens français.
La proposition de résolution préparée par la commission des affaires européennes, débattue et votée par la commission des lois, invite par conséquent le Gouvernement à défendre avec fermeté l’abandon de ce critère d’attribution de compétence au profit du principe, déjà connu en droit de la consommation, de la compétence de l’autorité de l’État membre où réside le plaignant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais me borner à dire que le Gouvernement est heureux de constater que le Sénat tout entier soutient sa position et partage ses craintes sur cette proposition de règlement européen. Il me semble néanmoins nécessaire d’expliquer les raisons pour lesquelles le projet de la Commission européenne ne nous satisfait pas.
Voilà plus de trente ans, en adoptant la loi fondatrice du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », la France a été un précurseur en la matière qui nous occupe. Cette loi, qui est la pierre angulaire de la protection des citoyens face aux traitements de données à caractère personnel, a doté la France d’une autorité de contrôle : la CNIL. Elle a réglementé la manière dont sont collectées, exploitées et conservées les données personnelles par les entreprises, les administrations et les individus eux-mêmes.
Pour autant, le développement rapide des nouvelles technologies suscite de nouveaux défis de taille s’agissant de la protection des données à caractère personnel et, par conséquent, de la vie privée des individus.
Internet est un vecteur sans précédent de la liberté d’expression et de communication. Le Conseil constitutionnel lui-même a eu l’occasion, dans sa décision du 10 juin 2009, de relever « l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions ».
Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, eu égard au contexte de mutation technologique rapide que nous connaissons, l’effectivité du droit au respect de la vie privée suppose d’adapter les instruments juridiques propres à garantir la protection des données à caractère personnel.
Je veux rappeler que, pleinement conscient des enjeux grandissants de cette révolution numérique, le Gouvernement s’est attaché à renforcer la protection des données personnelles.
Ainsi, les droits des personnes ont été consolidés, notamment par l’ordonnance du 24 août 2011, qui interdit d’installer sur l’équipement d’un utilisateur des logiciels qui observent sa navigation sur internet sans l’en avoir informé et sans avoir recueilli son accord. Ce texte a également imposé aux fournisseurs de communications électroniques de notifier à la CNIL l’existence d’une faille de sécurité.
De même, les moyens d’action de la CNIL ont été renforcés pour que cette autorité de contrôle puisse disposer pleinement des moyens propres à garantir l’efficacité de son action au service de la protection des données personnelles.
Le budget de la CNIL a été augmenté et ses moyens d’action juridiques accrus. La loi du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits a conféré à la CNIL un droit de visite inopinée dans les locaux des responsables de traitement, droit dont l’exercice est subordonné à l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention afin de garantir le respect des droits des intéressés.
Cette même loi autorise par ailleurs la CNIL à faire publier les sanctions qu’elle prononce, même lorsque celles-ci sont infligées à des responsables de traitement défaillants dont la mauvaise foi n’a pas été établie. Cette publicité garantit une meilleure connaissance, par le grand public et les organismes éventuellement concernés, des comportements susceptibles d’être sanctionnés par la CNIL.
Si des avancées ont donc été obtenues, il est bien évident qu’il reste encore beaucoup à faire.
Précisément, le Gouvernement est aujourd’hui engagé, avec ses partenaires européens, dans la négociation de nouveaux instruments communautaires relatifs à la protection des données personnelles.
La Commission européenne a rendu publics, le 25 janvier dernier, deux projets de texte tendant à harmoniser, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, le droit applicable à la protection des données personnelles.
Le Gouvernement se félicite de cette initiative car, par définition, internet dépasse les frontières des États. C’est donc d’abord au niveau européen que doivent être redéfinis les principes applicables en la matière, pour une effectivité plus grande des droits de nos concitoyens.
La Commission européenne a proposé un projet de règlement applicable à l’ensemble des traitements de données personnelles, à l’exclusion des fichiers de police et de justice, qui font l’objet d’un projet de directive. Mme Reding, commissaire européenne, est venue elle-même vous présenter ces projets le 21 février dernier.
Alors que débute la négociation sur ces deux textes, il est d’ores et déjà possible d’identifier des évolutions positives.
Il faut ainsi saluer la volonté de la Commission européenne de rendre le droit européen véritablement opposable aux opérateurs.
Par ailleurs, le projet de règlement vise à renforcer le contrôle que les individus peuvent exercer sur leurs propres données à caractère personnel.
En outre, plusieurs dispositions, telle la consécration du principe du consentement préalable et explicite, sont de nature à assurer un renforcement des droits des personnes.
Cela étant posé, à ce stade, d’autres aspects appellent de fortes réserves de la part du Gouvernement français, réserves partagées par la commission des affaires européennes et la commission des lois du Sénat.
Tout d’abord, la Commission européenne a choisi de proposer de substituer un règlement à la directive du 24 octobre 1995 applicable au traitement des données personnelles. Nous pensons, à l’instar de nombreux autres États membres, parmi lesquels l’Allemagne, la Finlande, la Suède, la Slovénie, la Belgique, l’Estonie, l’Espagne et le Portugal, que l’harmonisation proposée au travers de ce projet de texte serait mieux mise en œuvre par le biais d’une directive détaillée, laquelle permettrait aux États membres de conserver les spécificités de leur législation nationale, qui se révèle être sur plusieurs points – je rejoins tout à fait, sur ce sujet, l’opinion de M. Sueur – plus protectrice que le projet de règlement. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) C’est là une question de principe, sur laquelle le Gouvernement entend être ferme.
En effet, un règlement européen n’a vocation ni à fixer des règles minimales ni à déterminer un objectif à atteindre. Directement applicable dans l’ordre juridique des États membres, il exclut toute forme de compétence nationale dans le domaine qu’il traite.
En réalité, l’essentiel est que le texte européen soit suffisamment précis sur les droits et obligations des responsables de traitement et des personnes concernées. En revanche, il n’est pas nécessaire de rechercher l’uniformisation du régime juridique en la matière.
Il n’y a notamment aucune raison de penser que le régime juridique de protection des données constitue le critère décisif d’investissement d’une entreprise dans tel ou tel État membre. Si c’était le cas, nous l’aurions déjà constaté dans le cadre de la mise en œuvre de la directive n° 95/46/CE. Ainsi, le risque de « forum shopping » ne doit pas être surestimé.
En conséquence, le Gouvernement considère que remplacer une directive par un règlement n’est pas la bonne option.
Sur le fond, plusieurs points doivent retenir notre attention, afin d’empêcher que ne s’amorce un recul par rapport aux protections apportées par notre droit.
Le Gouvernement, à l’instar de ses homologues de certains États membres, comme la Finlande, l’Irlande, la Suède, l’Italie, la Slovénie, l’Autriche, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Lituanie, ainsi que de vous-même, monsieur Sutour, déplore le recours systématique et excessif aux actes délégués et aux actes d’exécution, tant dans la proposition de règlement que dans la proposition de directive.
Certes, comme l’a précisé Mme Reding lors de son audition par la commission des lois et la commission des affaires européennes du Sénat, le recours à ces actes est lié à la nature même du projet de texte. Toutefois, nous sommes convaincus que, en de nombreuses occurrences, les précisions nécessaires pourraient être apportées par le règlement lui-même, sans qu’il soit nécessaire de déléguer à la Commission européenne le soin d’adopter par la suite de tels actes.
Le recours à une directive permettrait de confier en tout ou partie l’élaboration de cette réglementation aux parlements nationaux, afin de mieux tenir compte des spécificités nationales relatives au droit à la protection de la vie privée.
De surcroît, le critère du « principal établissement » retenu par la Commission européenne pour déterminer la compétence territoriale de l’organe de contrôle n’est pas pertinent.
En effet, comme certains d’entre vous l’ont souligné lors de l’audition de Mme Reding, de même d’ailleurs que les représentants de nombreux États membres à l’occasion des deux premières journées de travail à Bruxelles, les 23 et 24 février dernier, cette notion est peu claire et devrait être précisée. À défaut, elle risque d’être interprétée différemment selon les États membres.
En outre, la mise en œuvre de ce critère éloignerait l’autorité de protection des données compétente du citoyen concerné. Or il est d’une particulière importance que les personnes résidant en France puissent s’adresser à la CNIL pour les dommages subis de la part de responsables de traitement dont le principal établissement se situe dans un autre pays de l’Union européenne. Le renforcement de l’effectivité des droits garantis aux citoyens de l’Union européenne suppose de rendre plus facile à ces derniers l’exercice du droit de réclamation auprès des autorités chargées de la protection des données.
Par exemple, l’adoption de ce critère conduirait à ce que des citoyens français soient obligés de s’adresser à l’organisme de protection irlandais pour toute contestation relative au site internet d’une entreprise dont le principal établissement se trouverait en Irlande. Que la CNIL ne puisse pas faire prévaloir la loi française en dehors du territoire français est une chose, mais qu’on l’empêche d’intervenir lorsque la protection de la vie privée de citoyens français est en cause en est une autre. Une telle évolution n’irait clairement pas dans le bon sens : si l’on veut véritablement privilégier l’intérêt du citoyen, on ne peut pas conserver le critère du principal établissement pour déterminer quelles sont les autorités de protection des données à caractère personnel compétentes.
En outre, le Gouvernement, qui ne partage pas l’opinion exprimée par Mme Reding, regrette que, au nom d’un objectif, certes louable, de simplification de la vie des entreprises et de développement du marché intérieur, il soit prévu que les fichiers ne fassent même plus, dans un grand nombre de cas, l’objet d’une simple déclaration à la CNIL avant leur mise en œuvre. Cela reviendrait à priver la CNIL d’une source précieuse d’informations et amenuiserait sa capacité à orienter au mieux ses contrôles.
S’agissant de la création d’un droit à l’oubli numérique, le Gouvernement souhaite qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Si ce droit n’est certes pas expressément consacré dans notre ordre juridique, la loi « informatique et libertés » a prévu des mécanismes, tels le droit d’opposition et le droit de rectification ou d’effacement des données concernant une personne, y compris sur internet.
Cette loi permet également à la CNIL, dont je rappelle que les effectifs et les moyens budgétaires ont été renforcés, de sanctionner tout responsable de traitement qui méconnaîtrait les droits d’opposition, de rectification et de suppression des citoyens sur leurs données personnelles.
Au-delà des pétitions de principe sur la proclamation d’un nouveau droit, il convient surtout de chercher à assurer l’effectivité de celui-ci dans le contexte de l’internet.
Le projet de règlement rendu public par la Commission européenne prévoit de conférer aux internautes un droit effectif à l’oubli numérique dans l’environnement en ligne, c’est-à-dire le droit à faire effacer les données les concernant s’ils retirent leur consentement et si aucun autre motif légitime ne justifie la conservation de celles-ci.
Toutefois, Mme Reding a reconnu que de nombreux experts extérieurs à la Commission européenne doutaient de l’application effective de cette disposition : selon eux, ce droit serait techniquement difficile à mettre en œuvre. C’est pourquoi le Gouvernement veillera à ce que ces dispositions, qui doivent être soutenues, n’entraînent pas, paradoxalement, un recul des droits des personnes en dehors de la sphère numérique.
Enfin, le Gouvernement est très réservé quant à l’obligation de désigner systématiquement un délégué à la protection des données au sein des structures, publiques ou privées. Nous estimons que la mise en place de tels délégués doit demeurer facultative. En effet, le succès des correspondants à la protection des données, prévus par la loi depuis 2004, repose précisément sur le caractère facultatif de leur désignation, qui seul est de nature à favoriser la diffusion de la culture de la protection des données dans un esprit de confiance. Une logique de contrainte risquerait d’être contre-productive.
En conséquence, le projet de règlement proposé par la Commission européenne devra faire l’objet de modifications importantes, afin de garantir la meilleure protection possible de nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec le développement spectaculaire du monde numérique, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est devenue un texte fondamental pour la protection des droits de nos concitoyens. C’est en respectant l’équilibre qu’elle a établi entre la protection de la vie privée et le libre développement du traitement des données que nous ferons face au défi que représente l’essor de l’outil numérique. C’est dans cet esprit que le Gouvernement français participe activement aux travaux actuellement menés au niveau européen, auxquels les parlementaires seront bien entendu associés.
En conclusion, je voudrais dire que le Gouvernement se félicite du dépôt de cette proposition de résolution, qu’il considère comme une invitation à poursuivre sur la voie dans laquelle il s’est engagé en vue d’assurer à nos concitoyens la meilleure protection possible de leurs données personnelles, sujet particulièrement sensible à l’heure de la révolution numérique permanente. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les possibilités techniques de collecter des données personnelles, sans que les personnes concernées en soient forcément conscientes, ne cessent de croître.
Tout au long de sa vie, tout individu est susceptible d’être fiché, et ce à son insu, par la simple mise en œuvre de moyens techniques lors de ses déplacements, connexions, consultations d’informations ou transactions.
De plus, la lutte contre l’insécurité, le terrorisme et l’immigration est devenue depuis une dizaine d’années un élément de justification commode des fichages en tout genre, au mépris des libertés individuelles et publiques, dont le respect est pourtant au cœur de la démocratie.
Nous avons eu l’occasion de dénoncer ce fait à plusieurs reprises : on assiste désormais à la mise en œuvre d’une surveillance policière doublée d’un contrôle social généralisé de la population.
Ce fichage tentaculaire touche aussi bien les acteurs de l’éducation nationale, les bénéficiaires d’allocations sociales, les consommateurs, les clients des banques et des assurances, les nationaux étrangers, les personnes placées sous main de justice ou faisant l’objet d’un suivi psychiatrique.
Dans le même temps, le développement des réseaux sociaux a favorisé la mise à disposition volontaire d’informations personnelles, mais sans que l’on puisse réellement connaître et maîtriser l’usage qui en est fait, ni décider de leur retrait ultérieur.
Ainsi, les fichiers informatiques et les traitements automatisés de données à caractère personnel qui y sont associés sont devenus de véritables outils de gestion de la société, en même temps que de formidables pourvoyeurs d’une manne financière, par la commercialisation, de manière occulte et accélérée, de ces données auprès d’entreprises désireuses de cibler leurs offres publicitaires.
L’adoption voilà dix-sept ans de la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, fut l’acte fondateur de la protection de la vie privée à l’échelle communautaire, mais la modernisation de ce texte semble désormais à la fois urgente et indispensable.
La Commission européenne a fait le choix de réviser la directive européenne de 1995 par l’intermédiaire de deux instruments juridiques distincts.
L’un d’entre eux est une directive spécifique traitant des questions relevant de l’ancien « troisième pilier » communautaire, relatif à la coopération policière et judiciaire.
On peut regretter qu’il ait été choisi d’instaurer des règles spécifiques s’agissant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale : les mêmes dispositions devraient au contraire s’appliquer. Cela est d’autant plus nécessaire dans un contexte de multiplication des fichiers en matière policière et judicaire.
Lors de la transposition de cette directive, nous devrons donc veiller à faire en sorte que les règles applicables en matière de police et de justice ne soient pas moins protectrices que celles qui sont prévues par la proposition de règlement européen dont il est question aujourd'hui.
Cette proposition de règlement consacre de nouveaux droits pour l’ensemble des citoyens européens, tels que le droit à l’oubli ou l’encadrement des règles d’obtention du consentement, qui représentent de réelles avancées. Elle constitue un bon point de départ pour l’adoption des règles européennes sur la protection des données, permettant de faire face aux défis des technologies informatiques.
Néanmoins, notre collègue Simon Sutour a formulé quelques critiques, que nous partageons, via la proposition de résolution présentée aujourd’hui.
L’idée est non pas de critiquer l’ensemble du texte, qui apporte de véritables avancées, attendues et nécessaires, mais de mettre le doigt sur les dispositions qui posent problème et qui mériteront d’être corrigées.
Alors que les autorités de protection sont aujourd’hui compétentes pour l’ensemble des traitements réalisés sur le territoire de leur État, la proposition de règlement prévoit l’introduction du critère de l’établissement principal, donnant compétence à l’autorité du pays d’accueil de l’établissement principal du responsable de traitement. Ce système aboutira nécessairement à un éloignement considérable des citoyens des autorités de protection compétentes, sans compter qu’il risque de favoriser la pratique du « forum shopping » et de créer une concurrence entre États membres.
La proposition de règlement prévoit de conférer à la seule Commission européenne le pouvoir de déterminer et de préciser les conditions d’application concrètes, tant juridiques que techniques, des dispositions et des droits nouveaux, en lui attribuant des pouvoirs normatifs très importants et en limitant fortement le rôle des autorités nationales, pour aboutir à une centralisation des pouvoirs entre les mains de la Commission. Cela porte atteinte au principe de subsidiarité, et nous pensons qu’il serait plus efficace de répartir ce pouvoir normatif et de laisser aux autorités nationales le soin de décider certains actes.
J’en viens au droit à l’oubli. Tout comme la CNIL, nous déplorons le manque d’ambition de la Commission européenne, qui n’a pas inclus la possibilité d’obtenir le déréférencement d’une donnée à caractère personnel sur les moteurs de recherche, lesquels ne sont pas concernés par ce nouveau droit proposé par elle.
La proposition de résolution vise à pallier ces lacunes en prônant un renforcement du droit à l’oubli et des obligations pesant sur les moteurs de recherche. Il est également proposé que l’adresse IP soit traitée comme une donnée personnelle, que le règlement n’empêche pas les États membres d’adopter une législation plus protectrice ou que le citoyen puisse se tourner vers son autorité nationale compétente en cas de problème.
Ainsi, la multiplication des fichiers informatiques, l’augmentation de la durée de conservation des données qui y sont consignées, l’élargissement du public habilité à les consulter et le développement exponentiel de leurs interconnexions constituent autant d’atteintes aux libertés auxquelles il convient de mettre un terme.
Si la révision de la directive de 1995 est nécessaire, la proposition de règlement, assortie d’une proposition de directive européenne, est-elle satisfaisante ? Nous ne pouvons qu’en douter, la proposition de directive prévoyant l’instauration de mesures dérogatoires pour les fichiers les plus sensibles, relatifs aux matières policière et judiciaire.
Nous aurons l’occasion de nous exprimer sur ce sujet ultérieurement. Pour l’heure, nous sommes évidemment favorables à la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui. Elle va en effet dans le sens souhaité : celui d’un accroissement de la protection des données personnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi un brin de coquetterie : nous nous réjouissons de vous retrouver à ce banc une quatrième fois en moins de deux ans pour évoquer le sujet de la protection des données à caractère personnel, d’autant que le Sénat est à l’initiative de ces débats successifs sur une question que personne ne peut plus ni ne veut plus éluder.
Pourrait-on imaginer une quelconque frilosité sur ce thème du ministre de la justice et des libertés, qui est précisément garant de la liberté des citoyens, alors que l’enfermement subi, voire auto-créé, est devenu d’une banalité quotidienne ?
Nous avons été nombreux sur ces travées à signaler – un peu trop tôt probablement, c’est tout le tort des précurseurs – les dangers qui, insidieusement, menacent nos vies privées. Ces dangers sont liés, comme toujours, au progrès. Cependant, je ne disserterai pas sur le paradoxe, vieux comme le monde, des effets négatifs et parfois destructeurs du progrès.
J’évoquerai la vidéoprotection, la géolocalisation, la radio-identification, les nanotechnologies, toutes ces nouvelles techniques qui chaque jour piègent un peu plus l’homme et poussent la puissance publique à s’immiscer dans la sphère privée. En parlant de puissance publique, je ne vise pas seulement la France, l’Europe ou les États-Unis : tous les pays sont concernés, et il ne manque pas d’exemples montrant que, partout dans le monde, les États cherchent à maîtriser les nouveaux moyens d’accès aux données à caractère personnel.
Monsieur le ministre, comment ne pas dire, une fois encore, notre incompréhension devant l’attitude du Gouvernement, qui n’a pas permis à la proposition de loi cosignée par M. Détraigne et moi-même et dont M. Cointat fut le rapporteur de faire son chemin après avoir été adoptée à l’unanimité par le Sénat ? Certes, ce texte était amendable, mais il aurait pu préparer efficacement la révision de la directive européenne du 24 octobre 1995.
Nous avons été, par manque de réactivité, faute d’avoir osé être des précurseurs, rattrapés par la Commission européenne. Nous avons probablement aussi eu le tort de bousculer quelques intérêts particuliers…
La Commission européenne a pris l’initiative de refondre le cadre juridique de la directive du 24 octobre 1995. Ce cadre devait, en tout état de cause, être modifié pour tenir compte de l’évolution du contexte, mais le dispositif de la proposition de règlement européen est beaucoup moins protecteur que notre législation nationale, appliquée sous le contrôle de la CNIL.
L’Assemblée nationale a relevé les dangers de la modification proposée et a adopté une proposition de résolution européenne de M. Philippe Gosselin, qui lui a eu l’heur d’être entendu par le Gouvernement…
Avec la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui, le Sénat veut exprimer à son tour ses divergences d’analyse avec la Commission européenne et les préoccupations que lui inspire le projet de règlement élaboré sous l’autorité de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. Contrairement à elle, nous estimons que l’unification du cadre juridique européen ne doit pas avoir pour conséquence de faire reculer le niveau de protection garanti aux citoyens des États qui, à l’instar de la France, disposent d’une législation plus stricte en la matière. Cette proposition de résolution appelle donc le Gouvernement à veiller à ce que les États puissent adopter des dispositions plus protectrices que celles du règlement européen.
Nous redoutons les effets de la nouvelle gouvernance proposée, dont la mise en place affaiblirait le pouvoir de contrôle des autorités nationales et confierait la régulation des systèmes aux pays d’accueil des sièges des entreprises. L’adoption d’un tel dispositif serait un mauvais coup pour la France, qui verrait son pouvoir décisionnel affaibli, l’établissement principal des entreprises concernées étant le plus souvent installé hors de notre territoire, par exemple en Irlande ou dans des pays du nord de l’Europe. Les citoyens seraient alors privés d’un droit de recours effectif et les entreprises se trouveraient avantagées par rapport à eux, ce qui serait paradoxal au regard de l’objectif affiché du texte.
De surcroît, l’application du critère du « principal établissement » obligerait l’autorité nationale de contrôle du pays où se trouve le siège de l’entreprise à interpréter les législations d’autres États membres, dans des domaines aussi complexes que le droit du travail ou le droit de la famille.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous rallier à la proposition de résolution de M. Sutour, qui tend à restaurer le pouvoir des autorités de contrôle du pays du plaignant, à compléter le régime de protection des données personnelles en permettant la désindexation de ces dernières sur les moteurs de recherche et en faisant de l’adresse IP une véritable donnée personnelle – ce point est à nos yeux tout à fait essentiel –, et enfin à renforcer les obligations pesant sur les responsables de traitement en matière de transferts internationaux de données.
Le groupe RDSE, même s’il regrette que sa proposition d’amendement visant à protéger davantage encore les droits des personnes en fonction des technologies existantes n’ait pas été retenue, apportera son plein soutien au présent texte, pour faire barrage à un dispositif dont il prédisait depuis longtemps qu’il ne serait favorable ni à la CNIL ni à la France. Nous nous réjouissons que cette proposition de résolution soit approuvée par le Gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la protection de la vie privée et des données personnelles de nos concitoyens constitue, depuis de longues années, un enjeu majeur de politique publique dans notre pays.
La France a été l’un des premiers pays au monde à se doter d’une autorité de contrôle indépendante, la CNIL ayant été créée dès 1978. Je voudrais saluer le soutien que vous avez récemment manifesté à cette instance, monsieur le ministre.
La législation communautaire qui s’est ensuite mise en place a été fortement inspirée par l’exemple français. Le socle de la législation européenne en matière de protection des données est constitué par la directive européenne du 24 octobre 1995, mais ce texte est aujourd’hui obsolète. L’apparition d’internet, l’émergence des réseaux sociaux, l’utilisation de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques ont en effet considérablement transformé le monde numérique depuis l’adoption de cette directive, en 1995.
Les données personnelles des citoyens sont désormais traitées par différents acteurs publics et privés à l’échelon international, et non plus seulement dans un cadre national. Les 250 millions d’internautes européens utilisent de manière massive les réseaux sociaux et les moyens de stockage à distance de données. Les données à caractère personnel sont exploitées par les entreprises et précieuses pour leur activité économique.
C’est dans ce contexte en forte évolution que la Commission européenne a fait de la révision de ce cadre juridique européen une priorité stratégique de son action, l’objectif premier étant l’harmonisation et la simplification des règles applicables en Europe.
L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2010, a donné force contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 8 dispose que « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». Par ailleurs, le nouvel article 16 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne définit les règles d’adoption des textes européens visant à garantir le droit à la protection des données personnelles. De plus, le programme de Stockholm met l’accent sur la nécessité, pour l’Union européenne, de disposer d’un régime complet de protection des données personnelles, conformément aux traités.
La Commission européenne a donc déposé une proposition de règlement tendant à remplacer la directive de 1995 et à instituer un cadre général de l’Union européenne en matière de protection des données. Elle a également élaboré une proposition de directive, en vue de la substituer à la décision-cadre de 2008 du Conseil, portant sur la protection des données traitées à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuite en la matière, ainsi que d’activités judiciaires connexes.
La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui ne concerne que la réforme de la directive du 24 octobre 1995. Je ne reviendrai pas sur le fond, qui a déjà été parfaitement exposé par M. Sutour. Comme lui, je pense qu’il convient de prendre acte des avancées que recèle la proposition de règlement européen sur la protection des données personnelles, même si des améliorations peuvent y être apportées. À mon avis, il reste encore beaucoup à faire.
La commission des lois, rejointe par la commission des affaires européennes, estime que le dispositif proposé soulève deux questions, sur lesquelles elle souhaite attirer l’attention du Gouvernement : quelle marge de manœuvre doit être laissée au législateur national pour adopter des mesures plus protectrices que le règlement européen ? Quelle sera l’autorité de contrôle compétente pour assurer le respect des droits des ressortissants d’un État membre ?
Nous ne pouvons que faire nôtres ces deux préoccupations. On ne saurait raisonnablement priver les États membres de la possibilité d’adopter des dispositions nationales plus protectrices des droits individuels que celles du règlement européen. L’harmonisation proposée ne peut se faire par le bas, si j’ose dire : elle doit aller dans le sens d’une meilleure protection des personnes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean Bizet. Par ailleurs, la Commission européenne a choisi de remplacer la directive du 24 octobre 1995 par un règlement sur le traitement des données personnelles. On peut s’interroger sur l’opportunité de recourir à un texte d’application directe alors que la législation française, la plus ancienne en la matière des pays de l’Union européenne, est bien souvent plus protectrice que celles de nos partenaires.
En outre – ce point a été parfaitement développé par la commission des affaires européennes –, nous regrettons que la proposition de règlement comporte de très nombreux renvois à des actes délégués ou à des actes d’exécution de la Commission européenne pour préciser les modalités d’application du règlement. Ce renvoi massif à la législation déléguée dans un tel domaine nous paraît très critiquable. Cela montre qu’il est nécessaire d’apporter des précisions au projet de règlement, voire d’introduire des garanties nouvelles. Il serait préférable que certaines questions soient réglées directement par le législateur européen, par exemple la définition des modalités de l’exercice du droit à l’oubli numérique. À cet égard, le droit à l’oubli numérique doit avant tout être effectif, et non pas simplement consacré. Il me semble que, sur ce point, le Gouvernement peut jouer un rôle important. Lors de l’audition de Mme Reding, je n’ai pas senti une volonté très ferme de sa part sur cette question. Je me suis d’ailleurs permis de lui adresser un courrier dans les jours qui ont suivi. En tout état de cause, j’attends beaucoup de la présente proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à faire preuve d’initiative sur le sujet.
J’en viens maintenant au dispositif du « guichet unique ». L’attention de la CNIL s’est particulièrement focalisée sur ce point, non sans raison à mon avis. Le dispositif prévu par le projet de règlement européen attribue la compétence pour instruire les requêtes des citoyens européens à l’autorité de contrôle du pays dans lequel le responsable de traitement en cause a installé son principal établissement. Cela soulève un problème important, car il y a de fortes probabilités que le citoyen plaignant soit renvoyé à l’autorité de contrôle d’un autre pays. Paradoxalement, il serait donc moins bien traité que le responsable de traitement, qui aurait, lui, un interlocuteur unique.
Les aménagements prévus par la Commission européenne ne nous paraissent pas suffisants. À nos yeux, il est important de garantir à nos concitoyens une gestion de proximité de leur plainte. Retenir la compétence de l’autorité de l’État membre où réside le plaignant me semble donc une bonne solution. Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous avez déclaré ici même votre opposition de principe au critère du « principal établissement ». Il n’est en effet pas normal que la CNIL soit écartée ou empêchée d’intervenir au nom de l’harmonisation européenne, alors même que la protection de la vie privée de citoyens français est en cause.
Enfin, je voudrais évoquer brièvement l’encadrement des pouvoirs d’investigation des autorités de contrôle nationales, que j’estime beaucoup trop restrictif. La référence à un « motif raisonnable » ne me convient pas compte tenu de la suppression des formalités préalables pesant sur les responsables de traitement. On peut considérer que ces investigations constituent la principale source d’information des autorités nationales sur la mise en œuvre des traitements.
En conclusion, la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des lois reconnaît clairement que la proposition de règlement est porteuse de nombreuses avancées, attendues et nécessaires. La protection de la vie privée des citoyens est une question essentielle, et il est majeur de la garantir à l’heure du numérique.
À ce sujet, je tiens à souligner que le Gouvernement a déjà fait beaucoup de choses. Je pense notamment au renforcement considérable des moyens de la CNIL, comme je l’ai déjà dit en préambule. Reste que c’est essentiellement à l’échelon européen que la bataille pour la protection des données personnelles se situe. C’est la bataille pour le respect de la vie privée de chacun, mais cette bataille ne peut pas écarter les instances et les procédures nationales, surtout lorsque ces dernières ont une antériorité, une expérience et une vraie compétence.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les préoccupations évoquées sont unanimement partagées dans nos rangs. Le groupe de l’UMP votera donc cette proposition de résolution sans aucune retenue. J’aurais souhaité que l’ensemble de nos collègues socialistes, communistes et écologistes, qui ont voté contre le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité ou qui se sont abstenus sur ce texte – à l’exception d’André Gattolin et de Leila Aïchi –,…
M. Jean-Vincent Placé. Collusion ! (Sourires.)
M. Jean Bizet. … fassent preuve d’un peu plus de hauteur de vue dans la défense des intérêts de nos concitoyens et de notre pays. Puissiez-vous, mes chers collègues, vous en souvenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Conclusion un peu tirée par les cheveux !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, la protection des données personnelles est un droit reconnu au plus haut niveau de la législation communautaire. Elle est consacrée par l’article 16 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par l’article 8 de la charte des droits fondamentaux.
Son application concrète repose sur une directive qui date de 1995 et qui paraît, malgré ses dix-sept ans à peine, bien âgée. Il est vrai qu’une révolution technologique est intervenue depuis lors, qui est aussi une révolution sociologique et économique. Les nouvelles technologies de l’information, notamment l’internet et le développement des réseaux sociaux, ont bousculé l’ordre des choses.
Aujourd’hui, les bases de données peuvent être totalement dématérialisées. Elles se créent en permanence, s’échangent en une fraction de seconde, franchissent les frontières très rapidement. Les internautes eux-mêmes nourrissent, souvent sans s’en rendre compte, cette dynamique.
Les premiers utilisateurs d’internet étaient surtout des consommateurs de données ; ils allaient sur internet pour y trouver des informations. Ils accèdent désormais au statut de producteurs de données, car ils passent une bonne partie de leur temps à écrire et à diffuser des informations sur eux-mêmes et sur les autres, à laisser plus ou moins volontairement une multitude de traces qui permettent de dessiner leur portrait et qui font la fortune de certaines entreprises, parfois « à l’insu de leur plein gré ».
Il y a trois ans déjà, une revue française, Le Tigre, s’était amusée à dresser le portrait très détaillé d’un inconnu, Marc L., uniquement à partir des informations que ce dernier avait rendues disponibles sur internet, parfois en connaissance de cause, souvent sans le savoir. Le résultat, comme on le constate à la lecture de cet article, est absolument édifiant, « violemment impudique », comme le dit lui-même l’auteur de l’article qui a compilé les renseignements composant ce portrait. Toute la vie de cette personne a pu être exposée, à l’aide de simples recoupements de données par un tiers.
Aujourd’hui, des logiciels de plus en plus élaborés apparaissent dans l’univers numérique. Je pense ainsi à un logiciel de reconnaissance visuelle qui, en recourant à une base de données, permet de vous identifier avec une assez grande fiabilité à partir d’une photographie diffusée sur internet. Imaginez tout ce que cela peut signifier en termes de nouvelles protections pour que ces usages ne deviennent pas encore plus attentatoires à la vie privée des personnes.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté la proposition de règlement sur laquelle porte la proposition de résolution déposée par notre collègue Simon Sutour.
Cette proposition de résolution, en faveur de laquelle les écologistes voteront – elle fait d’ailleurs l’unanimité au sein de nos commissions –, souligne l’évidente actualisation de la directive de 1995, devenue largement obsolète. Elle pointe également, en dépit des avancées notables que contient le texte de la Commission européenne, les nombreux problèmes qui se posent encore.
Au titre des avancées très positives, figure notamment l’introduction, pour la première fois dans le droit communautaire, du droit à l’oubli numérique. Même s’il est précisé en bien des points, ce droit aurait toutefois mérité d’être mieux défini, plus approfondi, surtout dans la manière dont on peut le faire respecter.
J’en viens aux points qui posent problème.
Comme cela a été souligné par plusieurs orateurs, notamment le rapporteur, le président de la commission des lois et le garde des sceaux, la Commission européenne renvoie de trop nombreuses mesures à la mise en place de futurs actes délégués ou actes d’exécution. Cette procédure est non seulement discutable, mais elle revient également à priver les parlements de l’examen de ces dispositions, alors même qu’un règlement est, par définition, d’application directe dans nos législations nationales.
Le problème du « guichet unique » ayant déjà été évoqué, je n’y reviendrai donc pas. En revanche, un autre point a été peu abordé au cours de nos débats, même si le garde des sceaux en a parlé mais nous différons dans notre approche : il concerne la volonté de la Commission européenne de contraindre les entreprises de plus de 250 salariés à se doter d’un délégué à la protection des données. Celui-ci serait chargé de veiller en interne au respect de la loi et d’assurer l’interface avec les autorités et les consommateurs.
Outre que ce dispositif m’apparaît relativement lourd, le seuil de 250 salariés est aberrant : il ne correspond nullement à la réalité du monde de l’entreprise numérique. Aujourd'hui, les entreprises qui gèrent des fichiers de données personnelles sont souvent loin d’atteindre les 250 salariés. Ce sont des entreprises spécialisées, parfois des start-up, subdivisables à volonté par le biais de la sous-traitance. Il conviendrait donc définir au moins un secteur, celui qui regroupe des entreprises gérant de gros volumes de traitement.
Je rappelle, par exemple, qu’une société mondialement connue comme Twitter, qui compte aujourd'hui des millions d’utilisateurs, n’emploie à l’heure actuelle que 700 salariés et qu’elle fonctionnait il y a un an et demi avec moins de 250 salariés. Twitter pourrait donc être dispensée d’un tel dispositif tandis que certaines PME faisant un usage limité des données se verraient contraintes de le mettre en place.
En conclusion, beaucoup de travail reste à faire. Pour toutes ces raisons et pour d’autres, que le temps imparti ne me permet pas d’évoquer, il nous semble indispensable que la Commission européenne revoie sa copie, apporte des précisions ou procède aux adaptations nécessaires afin d’être plus opérante en matière de protection de la vie privée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a deux ans, en mars 2010, notre assemblée adoptait à l’unanimité la proposition de loi déposée par Anne-Marie Escoffier et moi-même visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.
Ce texte prévoyait notamment de faire de l’adresse IP une donnée personnelle et de rendre obligatoire la désignation d’un correspondant informatique et libertés dans les entreprises publiques ou privées où plus de 100 personnes ont accès à un fichier informatique ; il était proposé que ce correspondant puisse être mutualisé entre plusieurs entreprises.
Il visait en outre à rendre obligatoire, plus claire et plus accessible l’information sur la durée de conservation des données et à permettre aux personnes concernées d’exercer plus facilement leur droit de suppression et de rectification.
Il avait également pour objet de mieux encadrer la création et l’interconnexion des fichiers de police et de renforcer les pouvoirs d’enquête et de sanction de la CNIL.
Bref, il s’agissait de rendre plus transparentes et plus accessibles aux utilisateurs d’internet et autres traitements numériques les informations les concernant et de donner une réalité au fameux « droit à l’oubli ».
Adoptée à l’unanimité, notamment grâce aux améliorations apportées par son rapporteur Christian Cointat, cette proposition de loi faisait suite à un rapport d’information publié en mai 2009. Dans ce rapport étaient formulées une quinzaine de recommandations visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure des nouvelles mémoires numériques et à renforcer ainsi – car c’est bien de cela qu’il s’agit – la confiance des citoyens à l’égard de la société de l’information.
Depuis que le Sénat a débattu de cette question – sans que, malheureusement, l’Assemblée nationale y donne suite –, l’actualité n’a eu de cesse de démontrer l’urgente nécessité de légiférer dans ce domaine. On ne compte plus les exemples de salariés victimes dans leur entreprise de messages électroniques échangés sur le net ou de candidats à l’embauche qui se voient opposer par leur futur employeur des informations d’ordre privé qu’ils croyaient n’avoir transmis qu’à leurs « amis », mais qui étaient, de fait, devenues très rapidement accessibles au plus grand nombre. On pourrait aussi évoquer les systèmes illégaux de croisement de fichiers, qui permettent parfois à une entreprise d’espionner ses salariés, comme la presse s’en est fait l’écho il y a moins d’une semaine.
On ne peut donc que se réjouir de voir la Commission européenne s’emparer de cette question qui touche à nos libertés fondamentales et publier, le 25 janvier dernier, d’une part, une proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ainsi que, d’autre part, une proposition de directive, dont nous ne parlons pas en réalité aujourd'hui.
Je ne reprendrai pas toutes les dispositions de la proposition de règlement de la Commission européenne ni de la proposition de résolution de notre collègue Simon Sutour, dont je veux souligner la forte implication et la sagacité sur un sujet qui – il faut bien le dire – concerne tout le monde mais échappe au plus grand nombre. Je ne citerai que quelques exemples du contenu de la proposition de règlement européen, montrant qu’elle va incontestablement dans le bon sens.
Ainsi, elle met en place un corpus commun de règles relatives à la protection des données applicable dans toute l’Union européenne.
Elle impose davantage d’obligations aux entités procédant au traitement de données à caractère personnel, telle l’obligation de notifier à l’autorité de contrôle nationale les violations graves de ces données.
Elle prévoit que, chaque fois que le consentement de l’individu concerné est exigé pour que ses données puissent être traitées, ce consentement ne sera plus présumé mais devra être donné expressément.
Elle facilite l’accès des personnes concernées à leurs propres données.
Elle instaure un droit à l’oubli numérique pouvant permettre aux citoyens d’obtenir la suppression des informations les concernant si aucun motif valable ne justifie leur conservation.
Enfin, elle prévoit que les règles européennes devront aussi s’appliquer pour des traitements réalisés à l’étranger par des entreprises qui sont implantées sur le marché européen.
Certes, la proposition de règlement européen comporte quelques lacunes, et la présentation qui en a été faite par la commissaire européenne, qui met davantage l’accent, à mon sens, sur la nécessité de donner un coup d’accélérateur à l’économie européenne et de réduire les contraintes pesant sur les entreprises que sur la nécessité, pourtant tout aussi importante, de protéger les libertés individuelles, peut nous alerter. Il ne faudrait pas que, en voulant unifier le droit européen dans le domaine de la protection des données personnelles, on en vienne paradoxalement à compliquer les possibilités d’intervention des individus concernés et à affaiblir les autorités de contrôle nationales qui, dans de nombreux pays, dont le nôtre, ont su faire preuve, depuis de longues années, de clairvoyance et d’équilibre. Il est donc important pour notre assemblée d’évoquer explicitement ce point, parmi d’autres sujets, avec cette proposition de résolution.
La commission des lois a adopté les amendements proposés par notre collègue Jean-Paul Amoudry, qui représente notre assemblée au sein de la CNIL et qui connaît particulièrement bien ces questions. Aussi ai-je le sentiment que la proposition de résolution, en tirant les conséquences des interrogations soulevées lors de l’audition de Viviane Reding, lesquelles n’ont pas toutes, il faut bien le dire, reçu de réponse, constitue une feuille de route équilibrée pour les négociations que le Gouvernement va maintenant engager avec nos partenaires européens sur le projet de règlement de la Commission européenne.
Le groupe de l’Union centriste et républicaine approuvera donc la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, de l'UMP, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
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Nouveau témoignage d'amitié à M. Guy Fischer
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je suis très heureux d’apercevoir Guy Fischer parmi nous aujourd'hui. Guy est un ami ancien et fidèle. Un certain nombre de choses nous séparent, mais beaucoup nous rassemblent : nous partageons des valeurs et une action commune.
Cher Guy, ton courage admirable, ta force et ton envie de vivre t’ont soutenu pendant la maladie. Aujourd'hui est un jour de joie pour moi et pour toutes celles et tous ceux qui ont toujours compté sur toi pour les défendre et faire entendre leur voix, eux à qui tu tiens tant.
Le Gouvernement a de la chance d’avoir un adversaire de ta qualité. Poursuis ton combat, mon cher Guy ! C’est toujours avec plaisir que nous te retrouverons ici. (Applaudissements. – M. Guy Fischer se lève et salue l’hémicycle.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Cela fait maintenant vingt-six ans que M. Mercier et moi nous nous côtoyons au conseil général du Rhône, lui en tant que président de la collectivité et moi comme représentant de l’opposition communiste au sein du département. Au fil des années, nous avons appris à nous apprécier au-delà de nos différences politiques.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour remercier les sénatrices et sénateurs de toutes sensibilités politiques qui m’ont témoigné durant cette douloureuse épreuve de leur amitié et qui m’ont fait part de leur souhait de me voir un jour « réapparaître » au Sénat.
Aujourd'hui, c’est une joie de rencontrer des sénatrices et des sénateurs que je ne connaissais pas et de retrouver des visages plus familiers aux côtés desquels j’ai cheminé. Je pense par exemple à Jean-Pierre Sueur ou à vous-même, monsieur le président, que je suis heureux de voir accéder à de nouvelles fonctions. Soyez tous assurés que notre groupe, avec sa présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, incarnera toujours, dans certains débats, une forme de résistance. (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous remercie une fois encore du soutien dont vous m’avez assuré dans cette épreuve, à laquelle nous sommes tous malheureusement confrontés à un moment de notre vie. (Applaudissements.)
M. le président. Au cours de notre vie parlementaire, il est des moments qui comptent. Alors que la France va connaître dans quelques semaines une grande confrontation nationale, je me félicite de cet instant d’émotion, de rassemblement, d’amitié, de solidarité et de fraternité, et je remercie M. le garde des sceaux d’y avoir contribué.
Il est symbolique qu’une personnalité aussi marquante que Guy Fischer soit présente aujourd'hui pour la clôture de la session parlementaire. Aussi, je lui souhaite une nouvelle fois bon vent !
M. Guy Fischer. Merci !
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Traitement des données à caractère personnel
Suite de la discussion d'une proposition de résolution européenne
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des lois en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je m’associe bien évidemment aux vœux de bienvenue adressés à notre collègue Guy Fischer. Qu’il ne soit pas inquiet, nous continuerons, avec lui, notre travail d’opposition chaque fois que cela sera nécessaire !
Aujourd'hui cependant, la proposition de résolution européenne qui nous est soumise recueille plutôt le consensus. Ce texte, sur lequel M. Sutour a travaillé aussi bien pour la commission des lois que pour la commission des affaires européennes, porte sur l’importante question de la protection des données privées à l’ère du numérique, c'est-à-dire à une époque où, comme cela a déjà été souligné, les technologies vont plus vite que l’esprit humain et peuvent, dans certains cas, mettre en danger le droit à la vie privée et à l’anonymat des individus.
Notre débat porte sur une proposition de règlement européen relatif aux fichiers commerciaux, mais nous savons qu’une proposition de directive européenne portant sur les fichiers dits de souveraineté est également à l’étude. Je le sais bien, en évoquant les premiers, on pense ne pas parler des seconds. Toutefois, j’aimerais appeler l’attention du Gouvernement et de mes collègues sur l’absence de séparation totale entre les fichiers de souveraineté et les fameux fichiers commerciaux qui nous occupent plus particulièrement aujourd'hui. En effet, il me semble nécessaire que le parlement français fasse bloc sur ces sujets afin de peser dans les négociations qui vont se poursuivre avec la Commission et nos partenaires européens.
Comment puis-je affirmer que la distinction entre les deux types de fichiers n’est pas si complète qu’elle devrait l’être ?
Si l’on prend le cas du fichier des cartes grises, qui doit permettre de lutter contre un certain nombre d’infractions, sachez qu’il peut être vendu par l’État à des sociétés commerciales dans des conditions qui, si elles sont encadrées, ne me permettent pas pour autant d’être certaine que chaque citoyen français a bien donné, de manière volontaire, son consentement libre, exprès et éclairé. Ce fichier peut ainsi être vendu à des sociétés sur lesquelles l’État peut, de façon assez discrétionnaire, demander des enquêtes administratives. Au vu du résultat de ces enquêtes, il acceptera ou non – on ne sait pas très bien sur la base de quels critères – de vendre ce fichier.
Il y a donc là, me semble-t-il, un lien fort entre les fichiers de souveraineté et les fichiers commerciaux. À partir du moment où le fichier des cartes grises et les données personnelles y figurant sont vendus à des garages ou à des sociétés automobiles, celui-ci tombe dans le domaine commercial, c'est-à-dire sous le coup du règlement et non plus de la directive.
Je le répète, il existe bel et bien des liens étroits entre les deux types de fichiers. Lorsque nous débattrons de la directive, nous ne devrons pas oublier de nous rappeler combien il est facile que des fichiers de souveraineté tombent rapidement en toute légalité, en tout cas jusqu’à présent, dans le domaine commercial. Ce point est d’autant plus important que, voilà peu de temps, nous avons évoqué ici même – j’espère que nous aurons l’occasion d’en reparler ultérieurement et que le combat n’est pas terminé – le fichier des cartes nationales d’identité biométriques, avec la question du lien fort et du lien faible. Il est donc important de protéger les données !
Si, demain, l’État veut vendre un certain nombre de données de ce fichier centralisé, qui comporte un lien fort entre les données biométriques et les données biographiques de tous les Français, rien ne l’en empêche ! Indépendamment même de la question de la vente, comment ces fichiers pourront-ils être protégés alors que des entreprises récupèrent déjà aujourd'hui, de façon illégale, des données dans le fichier des cartes grises ou dans d’autres fichiers et se les revendent entre elles ?
Mes chers collègues, vous voyez bien qu’il existe entre les fichiers de souveraineté et les fichiers commerciaux un lien parfois légal, parfois illégal, parfois sécurisé, parfois non sécurisé. Il me paraît primordial de garder cet aspect des choses en mémoire chaque fois que nous parlerons de fichiers et de réglementation européenne, qu’il s’agisse d’une proposition de directive ou de règlement.
Parmi les autres points qui ont été abordés par les orateurs précédents, le consentement exprès et éclairé me paraît particulièrement important. Je pense notamment aux notices qui ne doivent pas tourner à un fatras d’informations traduites dans un français si approximatif que personne ne les lit.
Je ne sais pas si beaucoup d’entre vous ont lu jusqu’au bout la licence d’utilisation d’un moteur de recherche américain bien connu. Pourtant, il y est spécifié que les données privées sont conservées dans un pays tiers de confiance… Mais la confiance pour qui, pour quoi et sur la base de quels critères ? Personne n’en sait rien ! Pour moi, il ne s’agit pas là d’un consentement exprès et éclairé. Nous devrons donc rester extrêmement attentifs à ce genre de situation.
Bien évidemment, nous l’avons tous dit aussi, l’objet des textes qui nous sont soumis est d’améliorer le niveau de protection des données et, dans le même temps, de simplifier certaines formalités, notamment pour les entreprises. Personnellement, j’estime que c’est une bonne chose de simplifier les formalités des entreprises, tant qu’elles relèvent de leur gestion interne, de leur permettre de travailler en toute sécurité juridique, de leur signifier précisément ce qu’elles ont le droit de faire et ce qu’elles n’ont pas le droit de faire. Mais, dès l’instant où l’action de l’entreprise a des répercussions sur la vie privée d’un citoyen, il faut appliquer le droit de l’État de résidence de ce dernier et non le droit de l’État du siège de l’entreprise.
À ce sujet, je voudrais faire un parallèle avec le droit du travail. Quand Disney s’installe à Paris, même si l’entreprise applique sa culture américaine à son processus de fonctionnement interne, c’est bien le droit du travail français, et non le droit du travail américain, qui sera appliqué à la gestion des salariés, qu’ils soient citoyens français ou américains. Une compagnie aérienne a récemment été confrontée au même genre de déconvenue.
La proposition, émise notamment par la CNIL et reprise par notre collègue Simon Sutour, d’opérer une distinction entre la résidence du citoyen et la résidence du siège de l’entreprise, selon qu’il est question de l’entreprise ou des individus, me paraît donc extrêmement intéressante. La notion d’État principal se doit d’être nuancée selon le sujet précis dont on parle.
Le droit à l’oubli est sans doute l’omission la plus importante de la proposition de règlement européen. Il faut insister auprès de l’Europe et de nos partenaires sur le déréférencement des données privées.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Virginie Klès. Le droit à l’oubli doit être, me semble-t-il, impérativement au cœur de nos préoccupations.
En conclusion, nous voterons bien évidemment la proposition de résolution de notre collègue Simon Sutour, tout en étant bien conscients des améliorations qui peuvent être encore apportées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de règlement qui est l’objet de nos discussions arrive au bon moment, même s’il est regrettable qu’elle n’apporte pas plus de bonnes réponses. Comment en effet ne pas se réjouir d’un débat qui se fait l’écho des préoccupations croissantes de nos concitoyens ?
Une prise de conscience, me semble-t-il – nous pouvons tous nous en féliciter –, est en train de s’opérer parmi nos concitoyens, non plus seulement sur les opportunités que représente le net, mais aussi sur les risques qu’il peut faire peser, faute de précautions, sur nos libertés. L’actualité de ces derniers jours nous démontre d’ailleurs une fois de plus que la protection de nos données personnelles est loin d’être garantie, et ce d’autant plus que la quantité et la diversité des informations que l’on recense comme des « données personnelles » ne cessent de s’accroître.
Si je ne devais prendre qu’un exemple, ce serait celui des nouvelles règles de confidentialité que Google a imposées aux utilisateurs français, malgré l’avis défavorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui estime que ces règles ne respectent pas les exigences de la directive européenne en vigueur aujourd'hui. Google peut ainsi, depuis le 1er mars, croiser des informations recueillies par ses différents services concernant un même utilisateur.
Cette prise de conscience est d’autant plus fondamentale qu’elle touche au cœur de l’une des luttes centrales que devront mener nos démocraties dans les prochaines décennies, à savoir comment protéger les individus, tels qu’ils sont définis par le libéralisme politique depuis deux siècles, de la menace que représentent le poids massif, l’opacité, le pouvoir tentaculaire de très nombreuses grandes organisations publiques ou privées. La difficulté est encore accrue par le fait que l’enjeu de la sécurité semble aujourd'hui primer sur la préoccupation de la liberté. Pour assurer son confort ou sa tranquillité à l’égard de menaces potentielles, l’individu et même parfois le législateur – on l’a vu dans le débat sur le fichier biométrique – ne sont-ils pas prêts, pour se prémunir d’une menace virtuelle, à ignorer la menace bien réelle – j’allais dire « orwellienne » et concrète – d’organisations publiques ou privées capables de stocker et d’exploiter toutes les données possibles sur n’importe quelle personne ?
Cette situation doit nous conduire à nous réjouir que la Commission européenne ait décidé de se saisir de ce sujet pour faire progresser certains droits. On peut néanmoins regretter qu’elle soit restée à mi-chemin, comme partagée entre son souci de protéger les personnes contre différentes formes d’intrusion et son obsession de simplifier la tâche des entreprises. Il était donc important que la commission des lois et la commission des affaires européennes se saisissent de la proposition de règlement européen relatif à la protection de ces données, pour faire remarquer non seulement les avancées qu’elle pouvait présenter, mais aussi les points faibles rappelés par les différents intervenants et sur lesquels je n’insisterai pas : l’insuffisance du mode de contrôle, qui s’effectuera a posteriori, un large pouvoir d’exécution confié à la Commission et, naturellement, le critère de l’établissement principal.
Monsieur le garde des sceaux, nous serions plus à l’aise pour défendre votre position si, comme l’a rappelé Virginie Klès à l’instant, le ministère de l’intérieur ne vendait pas les fichiers des cartes grises,…
M. Gaëtan Gorce. … ce que nous a même reproché Mme Reding lors de l’audition à laquelle nous avons procédé, ou si le Gouvernement ne faisait pas voter une loi visant à organiser un fichage généralisé de nos concitoyens, sur la base des informations qui seront recueillies pour lutter contre les risques d’usurpation d’identité,…
M. Gaëtan Gorce. … ce qui est un danger que cette assemblée a bien ressenti, mais que le Gouvernement n’a malheureusement pas voulu retenir.
Le débat va cependant plus loin : sommes-nous encore capables, comme nos prédécesseurs voilà plus de deux siècles, de réaffirmer les droits inaliénables de l’homme face non seulement aux intérêts politiques et sécuritaires, mais aussi aux intérêts économiques et technologiques diffus, dont la nature est de chercher à échapper à tout contrôle ? Le libéralisme économique est sa propre négation s’il oublie que son fondement se trouve dans la sûreté garantie à chaque membre du corps social, que la menace vienne de l’État ou d’intérêts particuliers.
Aussi, si l’on se fait par exemple l’écho des propos du Président Obama, qui en a appelé à une Charte universelle des droits de l’homme sur internet, pourquoi notre Parlement ne prendrait-il pas l’initiative, fidèle à son histoire et à sa tradition, d’organiser un congrès européen ou mondial des parlements en vue de réaffirmer ces droits, de les faire entrer dans la réalité et le concret ? Pourquoi nos assemblées ne prendraient-elles pas l’initiative de soulever une question fondamentale sur l’avenir des droits de l’homme face à des menaces de plus en plus perçues aujourd'hui, mais insuffisamment combattues ?
La proposition de résolution que nous allons adopter aidera, je l’espère, à la prise de conscience à laquelle je faisais allusion. C’est pourquoi je remercie le président de la commission des lois et le président de la commission des affaires européennes d’avoir pris l’initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que Google fait de nouveau l’objet d’une plainte pour avoir contourné les paramètres de confidentialité de deux navigateurs de recherche et récolté ainsi des informations sur leurs utilisateurs, la protection de la vie privée de nos concitoyens doit plus que jamais faire l’objet d’une attention toute particulière. C’est pourquoi je ne peux que saluer, à mon tour, le dépôt de cette proposition de résolution européenne ayant pour objet de poser des garde-fous concernant plusieurs dispositions de la proposition de règlement européen adoptée par la Commission européenne le 25 janvier dernier.
Cette proposition de résolution est incontestablement source de progrès, et je souhaite en souligner trois mesures.
La première est la suppression pure et simple du critère du principal établissement concernant les requêtes des citoyens, critère contre lequel je m’étais élevé dans cette enceinte il y a peu. Sur ce point, j’avais bien noté, monsieur le garde des sceaux, votre position exprimée ici même le 8 février dernier. Vous aviez en effet jugé cette disposition comme n’étant pas « acceptable », prenant ainsi l’engagement que le « gouvernement français sera[it] ferme sur ce point ». Vous venez d’ailleurs de confirmer à l’instant votre position.
La deuxième mesure est la nécessité d’affirmer le maintien de la liberté de contrôle des autorités compétentes. En ce sens, il est évident que le critère du « motif raisonnable » amoindrira considérablement les pouvoirs d’enquête des autorités nationales. En effet, alors que ces autorités ont actuellement la faculté de mener des investigations dès lors qu’elles le jugent opportun, cette possibilité sera dès lors conditionnée à l’existence d’un « motif raisonnable ».
Ce motif devra permettre de présumer qu’une entreprise ne respecte pas la législation en matière de traitement des données personnelles. Ainsi, les programmes annuels de la CNIL, dans lesquels elle se fixe des objectifs de contrôle dans des grands domaines – par exemple, en 2011, la vidéoprotection ou la sécurité des données de santé – ne pourraient plus exister.
L’exigence d’un motif raisonnable préalablement à tout contrôle aura pour effet d’annihiler tout pouvoir d’investigation des autorités nationales compétentes. Combinée avec la suppression quasi totale des formalités préalables, cette disposition augmentera inexorablement les risques de violations de la protection des données personnelles.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Évidemment !
M. Claude Jeannerot. Cela reviendra aussi à privilégier les contrôles a posteriori au détriment d’une démarche plus préventive.
Enfin, la troisième mesure – les intervenants qui m’ont précédé à cette tribune l’ont souligné – est le renforcement du droit à l’oubli par la possibilité d’un déréférencement par les moteurs de recherche, qui doit constituer une priorité. J’observe que la vice-présidente de la Commission européenne, lors de son audition le 21 février dernier, est restée très laconique sur ce point, et à plus forte raison lorsqu’a été évoqué le lobbying très actif, pour ne pas dire agressif, de certains moteurs de recherche afin de se soustraire à l’obligation de déréférencement. Cette obligation apparaît pourtant nécessaire dans la recherche d’un juste équilibre entre la liberté d’expression et la protection des données personnelles.
Gilles Martin-Chauffier écrivait que « notre vie privée, c’est ce dont nous avons le droit de priver les autres ». C’est à cela que nous devons aspirer en matière de mise en œuvre de droit à l’oubli, par une possibilité effective pour les citoyens de demander et d’obtenir l’effacement des données les concernant.
En conclusion – mon collègue Jean-Pierre Sueur l’a fort bien exprimé –, si cette proposition de règlement mérite d’être soutenue, l’harmonisation qui en résulte ne doit en aucun cas se faire sur le plus petit dénominateur commun. Veillons plutôt à ce qu’elle soit un progrès pour tous dans la protection des personnes. Tel est le sens de cette proposition de résolution que je voterai avec vous tous, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. J’ai constaté que tous les orateurs avaient exprimé des sentiments voisins. Je tiens toutefois à préciser, parce que cela a été évoqué à deux reprises, que jamais le Gouvernement n’a vendu de données personnelles issues du fichier des cartes grises. Des données liées à l’immatriculation ont pu être divulguées, mais pas les noms des personnes.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de dix minutes afin que la commission puisse se réunir pour examiner l’unique amendement qui a été déposé.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
13
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour un rappel au règlement.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, avec mon collègue Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, voilà quatre ans que nous nous battons pour obtenir la vérité sur la disparition d’un opposant politique tchadien, M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. Les plus graves soupçons pèsent sur le gouvernement et sur le Président tchadiens. Un rapport d’une commission d’enquête, remis en août 2008, a en effet souligné les liens qui pouvaient exister entre les auteurs de ce forfait et les plus hauts responsables du gouvernement tchadien.
Le Président tchadien, Idriss Déby Itno, doit venir en France au début de la semaine prochaine. Or il se trouve que nous venons de recevoir du ministre de la justice tchadien une lettre, qui fait notamment référence à une résolution adoptée à l’unanimité par l'Assemblée nationale, reprochant aux parlementaires français leur ingérence et leurs manœuvres d’intimidation à l’égard de la justice tchadienne.
Mes chers collègues, la procédure est suffisamment inédite pour que je vous en informe. Je vous laisse à penser ce que recouvre une telle démarche.
Je tiens à appeler l’attention du Gouvernement sur ce dossier, car le Président de la République, que nous avions rencontré à l’époque, s’était engagé à faire en sorte que la vérité soit faite sur la disparition de M. Saleh. Or, quatre ans après, nous ignorons toujours ce qu’il est devenu. Une plainte a été déposée par la famille, et j’espère que le parquet de Paris pourra l’instruire ou, en tout cas, qu’il l’examinera avec la plus grande attention dans la mesure où la justice tchadienne n’a pas fait son travail.
Je veux dire ici que ni Jean-Pierre Sueur ni moi-même ne nous laisserons intimider par les manœuvres du gouvernement tchadien, qui n’a aucunement à masquer la vérité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
14
Traitement des données à caractère personnel
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution européenne
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des lois en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
Nous en sommes parvenus à l’examen du texte de la proposition de résolution européenne.
proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment son article 16,
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment ses articles 7 et 8,
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel,
Vu la proposition de loi de M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier (n° 81, 2009-2010) visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, adoptée par le Sénat le 23 mars 2010,
Vu le rapport d’information de M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier (n° 441, 2008-2009) au nom de la commission des lois du Sénat sur « La vie privée à l’heure des mémoires numériques : pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information »,
Vu la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (COM [2012] 11 final/n° E 7055) en date du 27 janvier 2012,
Approuve l’objectif poursuivi par la Commission européenne, en ce qu’elle souhaite promouvoir une approche globale de la protection des données personnelles, qui repose sur une harmonisation des règles applicables sur le territoire de l’Union européenne et dans les relations entre les États membres et les pays tiers ;
Prend acte des avancées que porte la proposition de règlement s’agissant, entre autres, de la promotion du droit à l’oubli numérique, de la consécration du principe du consentement exprès à l’utilisation des données personnelles, de l’obligation de portabilité des données personnelles, qui permettra à une personne de s’affranchir d’un responsable de traitement sans perdre l’usage de ses données, des limitations apportées aux possibilités de profilage à partir de ses données personnelles, de la présence obligatoire d’un délégué à la protection des données dans les entreprises de plus de 250 salariés ou de l’encadrement, notamment par des règles d’entreprise contraignantes, des transferts internationaux de données ;
Estime, toutefois, que ces garanties doivent être renforcées ;
En particulier ;
Appelle, s’agissant du droit à l’oubli, à ce que les obligations pesant sur les moteurs de recherche soient renforcées afin d’une part de prévoir l’effacement automatique des contenus indexés au bout d’un délai maximum, et, d’autre part, de permettre à l’intéressé d’obtenir la désindexation de ceux qui lui portent préjudice ;
Juge nécessaire qu’une solution équilibrée soit proposée pour obtenir, sur demande de l’intéressé, l’effacement des données personnelles publiées par un tiers, dans le respect de la liberté d’expression ;
Souligne la nécessité que l’adresse IP (Internet Protocol) soit traitée comme une donnée personnelle lorsqu’elle est utilisée pour identifier la personne concernée ;
Estime inopportunes les dérogations aux obligations pesant sur les responsables de traitement en matière de transferts internationaux de données, s’agissant notamment des transferts ni fréquents ni massifs ;
Considère que l’obligation de désignation d’un délégué à la protection des données pourrait être étendue aux entreprises dont la principale activité est celle du traitement de données personnelles ;
Estime en outre, de manière générale, que, s’agissant d’un domaine dans lequel l’atteinte portée aux droits fondamentaux d’une personne peut être considérable et compte tenu de l’inégalité de moyens entre le responsable de traitement et l’intéressé qui lui a confié ses données personnelles, l’harmonisation proposée ne doit s’effectuer que dans le sens d’une meilleure protection des personnes ; qu’elle ne saurait, pour cette raison, priver les États membres de la possibilité d’adopter des dispositions nationales plus protectrices ;
Conteste par ailleurs le nombre important d’actes délégués et d’actes d’exécution que la proposition de règlement attribue à la compétence de la Commission européenne, alors qu’un certain nombre pourraient relever soit de dispositions législatives européennes ou nationales, soit, compte tenu de leur complexité technique, d’une procédure qui associe plus fortement les autorités de contrôle nationales, regroupées au niveau européen ;
Juge l'encadrement des pouvoirs d'investigation des autorités de contrôle nationales trop restrictif, notamment l’exigence, pour engager une enquête, d’un « motif raisonnable » de supposer qu’un responsable de traitement exerce une activité contraire aux dispositions du règlement. En effet, les formalités préalables pesant sur les responsables de traitement étant supprimées, ces investigations constituent, dans le dispositif proposé, la principale source d'information de ces autorités sur la mise en œuvre des traitements ;
S’oppose, enfin, au dispositif du « guichet unique » proposé par la Commission européenne, en ce qu’il attribue compétence pour instruire les requêtes des citoyens européens à l’autorité de contrôle du pays dans lequel le responsable de traitement en cause a son principal établissement ;
Considère en effet, qu’il est paradoxal que le citoyen soit moins bien traité que l’entreprise responsable du traitement, en étant privé de la possibilité de voir l’ensemble de ses plaintes instruites par l’autorité de contrôle de son propre pays ;
Rappelle, à cet égard, que, lorsqu’il s’agit d’assurer la meilleure protection du citoyen et son droit à un recours effectif, il convient, comme en matière de consommation, de privilégier la solution permettant à l’intéressé de s’adresser à l’autorité la plus proche de lui et auprès de laquelle il a l’habitude d’accomplir ses démarches ;
Constate que le dispositif proposé présente, en dehors de cette question de principe, de multiples inconvénients pratiques :
- risque de disproportion entre les moyens alloués à l’autorité de contrôle en considération des contentieux relatifs à ses ressortissants et l’ampleur du contentieux international qu’elle pourrait être appelée à traiter ;
- asymétrie, pour le plaignant, entre les recours administratifs, exercés auprès de l’autorité étrangère, et les recours juridictionnels contre le responsable de traitement, portés devant le juge national ;
Relève que ni les mécanismes de cohérence ou de coordination entre les autorités, ni la possibilité offerte au plaignant d’adresser sa plainte à son autorité nationale, à charge pour celle-ci de la transmettre à l’autorité compétente, ne compensent les inconvénients du dispositif, ni le désavantage pour l’intéressé de ne pouvoir faire instruire sa demande par l’autorité de contrôle nationale ;
Demande, par conséquent, au Gouvernement de veiller, d’une part, à ce que la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures plus protectrices des données personnelles soit préservée, et, d’autre part, à ce que le principe de la compétence de l’autorité de contrôle du pays où le responsable de traitement a son principal établissement soit abandonné au profit du maintien de la compétence de l’autorité de contrôle du pays de résidence de l’intéressé.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Collombat, Mme Escoffier, M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Demande, lorsque plusieurs technologies peuvent être mises en œuvre pour l'élaboration des fichiers de données personnelles, que la plus protectrice des droits des personnes soit choisie.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Nous nous sommes appuyés sur les préoccupations de la commission des lois pour rédiger cet amendement. En effet, dans les conclusions figurant dans son rapport, elle souligne que « l’harmonisation proposée ne doit s’effectuer que dans le sens d’une meilleure protection des personnes », ajoutant même un peu plus loin : « En effet, pour ce qui touche aux droits les plus fondamentaux de la personne, ou à la protection du faible contre le fort, la construction européenne n’a de sens que si elle élève la protection commune, sans interdire les progrès promus par certains États membres, avant que tous les rejoignent plus tard. »
Par cet amendement, nous souhaitions donc faire en sorte que soit assurée, dans toutes les conditions, la meilleure protection. Toutefois, après avoir entendu M. le rapporteur, j’ai compris que notre amendement portait davantage sur ce que sera, demain, la directive que sur le règlement.
Aussi, si M. le garde des sceaux me confirme que notre disposition pourra être introduite dans la directive, je suis prête à retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission, qui vient de se réunir, a émis un avis défavorable sur cet amendement, non pas, comme je l’ai indiqué à Mme Escoffier, à cause de son contenu, mais tout simplement parce qu’il apporte un nouvel élément qui est sans lien avec les dispositions de la proposition de règlement européen. Il ressortit en effet plutôt à la proposition de directive.
La proposition de résolution que nous examinons en cette fin d’après-midi concerne la proposition de règlement européen. Je souhaite que la commission des lois et la commission des affaires européennes débattent ultérieurement d’une proposition de résolution sur la proposition de directive. Aussi, c’est dans ce cadre, que je vous invite, ma chère collègue, à déposer de nouveau cet amendement : il y trouvera alors toute sa place.
M. le président. Madame Escoffier, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
Mme Anne-Marie Escoffier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, rappelons que l’objet de la directive de 1995, transposée en droit français par la loi du 6 août 2004, est de mettre en place un cadre réglementaire visant à établir un équilibre entre un niveau élevé de protection de la vie privée des personnes et la libre circulation des données à caractère personnel au sein de l’Union européenne.
La nécessité de réviser cette directive ne fait aujourd’hui aucun doute – tel est l’objet de cette proposition de résolution européenne –, non seulement pour l’adapter aux technologies du XXIe siècle, au premier rang desquelles internet, mais aussi pour mieux encadrer les transferts internationaux de données personnelles et réduire les divergences entre États membres dans la mise en œuvre de cette directive.
En première analyse, il apparaît que le texte renforce les droits – portabilité, droits à l’oubli, etc. –, autant d’avancées extrêmement intéressantes. Mais, à d’autres égards, il peut susciter quelques inquiétudes.
Tout d’abord, le nouveau texte communautaire risque d’accentuer la concurrence intracommunautaire et, in fine, de diminuer le niveau de protection en matière de données personnelles.
Ensuite, il construit une gouvernance du groupe européen des autorités de protection, le G29, dans laquelle la Commission européenne retrouve énormément d’importance. Or cette forme de recentralisation de la gouvernance du G29 au niveau de la Commission ne me paraît pas en adéquation avec le monde décentralisé du numérique.
Par ailleurs, comme cela est relevé dans la proposition de résolution, la volonté de la Commission de retenir désormais le critère du « principal établissement » d’un responsable de traitement pour désigner l’autorité de protection compétente questionne le législateur national, garant des libertés individuelles. Ce critère mènerait à des situations où des atteintes à des données personnelles de nos concitoyens ne seraient plus du ressort de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Or la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés risque forcément d’interagir avec d’autres lois nationales – fiscales, ressources humaines, etc. L’autorité irlandaise, compétente dans un cas donné, l’appliquera-t-elle ? Rien n’est moins sûr...
En outre, ce texte communautaire pourrait avoir des conséquences économiques très préjudiciables, en favorisant les délocalisations d’entreprises vers des États dont les autorités de protection des données personnelles privilégient une approche plus souple et moins exigeante que celle qui est retenue par la France.
Soyons réalistes : pour les acteurs du numérique, cela conduirait à transférer la charge de régulation sur l’Irlande, le Royaume-Uni, voire le Luxembourg. Par effet induit, on risque d’avoir une baisse de la protection des données personnelles en Europe, alors que l’on est dans une situation internationale de très forte concurrence sur les questions de données personnelles.
Dans un contexte de dématérialisation des actes de la vie courante et de développement exponentiel des réseaux sociaux et des échanges de données personnelles de nos concitoyens, la protection de ces dernières doit être un sujet de préoccupation majeure du Gouvernement, et c’est bien au législateur national que revient le devoir de le lui rappeler à travers la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.
Un haut niveau de protection en Europe constitue un avantage concurrentiel. Ce n’est justement pas le moment de baisser le niveau de protection, car c’est un facteur d’attraction pour les entreprises, qui vont bénéficier d’un niveau de protection juridique qu’elles ne rencontreront nulle part ailleurs dans le monde, et, pour les consommateurs, c’est un gage de confiance.
La réflexion sur l’avenir de la protection des données personnelles et de la vie privée en Europe ne peut pas être sacrifiée sur l’autel de l’empressement européen. C’est pourquoi, comme l’ensemble des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, je vais voter cette proposition de résolution qui va incontestablement dans le bon sens et qui se situe dans la continuité des travaux importants réalisés par la commission des lois du Sénat, notamment par mon collègue centriste Yves Détraigne. (Applaudissements sur les travées de l'UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne.
(La proposition de résolution européenne est adoptée.)
M. le président. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
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Saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, le 6 mars 2012, d’une part, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution, par plus de soixante députés et soixante sénateurs, de la loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports et, d’autre part, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi de programmation pour l’exécution des peines.
Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 6 mars 2012, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2012-241 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
17
Suspension des travaux en séance publique
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour.
Dans ces conditions, le Sénat va suspendre ses travaux en séance publique, en laissant le soin à son président de le convoquer s’il y avait nécessité.
Je vous rappelle que cette suspension ne concerne que nos travaux en séance publique.
Durant cette période, notre assemblée poursuivra les divers travaux de contrôle et de réflexion engagés au sein de nos différentes commissions, délégations ou missions d’information, travaux qui sont particulièrement substantiels, puisque quatre-vingt-dix actions de contrôle ont été décidées et se dérouleront très largement pendant la période de suspension de la séance publique.
Le programme de ces importants travaux que nous avons décidé de mener figure sur le site internet du Sénat, que je vous invite à consulter.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART