M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la quatrième fois, nous débattons de cette proposition de loi. Le ping-pong qui s'est instauré entre l'Assemblée nationale et le Sénat depuis maintenant un an nous a quelque peu étourdis !
Le désaccord entre nos deux assemblées porte sur la nature du lien qui est institué au sein du fichier adossé à la création de la carte d’identité biométrique.
Pour l'Assemblée nationale et le Gouvernement, comme le démontre l'amendement que le Gouvernement a déposé sur ce texte, il doit s’agir d’un lien fort entre données biométriques et civiles. À l’inverse, le Sénat souhaite instaurer un lien faible, qui ne permette pas que ce fichier soit utilisé à des fins judiciaires, mais qui le rende suffisamment exploitable pour la lutte contre l’usurpation d’identité.
Certes, l’Assemblée nationale a revu sa copie au fil des différentes lectures et des avis de la CNIL et du Conseil d’État, en apportant à l’utilisation du fichier central biométrique un certain nombre de restrictions.
Pourtant, les nouvelles garanties ne sont pas suffisantes : au lieu de travailler aux qualités intrinsèques de ce fichier, l’Assemblée nationale a fait le choix de limiter simplement les possibilités de consultation de celui-ci. Force est alors de constater que les finalités du fichier pourront être élargies à l’occasion d’une nouvelle loi, en conservant intactes ses potentialités.
De plus, en l’état de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, les limitations apportées restent incomplètes, permettant la recherche d’une identité à des fins judiciaires et non pas simplement de vérification. Pour cette raison, la commission des lois propose de rétablir un lien dit faible, plus respectueux de l’avis rendu par la CNIL le 25 octobre dernier, selon lequel la constitution d’un fichier biométrique aussi puissant et large que celui qui est prévu par la proposition de loi « doit s’accompagner de garanties solides et pérennes, qui interdisent l’utilisation de la base centrale pour un autre objet que celui pour lequel elle a été créée ».
Cependant, le fond du problème reste intact. Lien fort ou lien faible, nous estimons que c’est la création même d’un fichier permettant le fichage de l’ensemble de la population française qui pose problème. En effet, nous sommes particulièrement échaudés par la volonté de ce gouvernement de multiplier des fichiers dont les finalités sont souvent contestables puisqu’il s’agit d’instaurer un véritable contrôle social de la population.
En outre, nous n’approuvons pas que les services spécialisés, en particulier dans la lutte contre le terrorisme, soient autorisés à utiliser ce fichier. C’est en effet au nom d’une telle cause que ce gouvernement a engagé depuis plusieurs années une politique sécuritaire particulièrement attentatoire aux libertés individuelles et au respect de la vie privée de nos concitoyens.
Nous préconisons en la matière, une fois n’est pas coutume, de nous inspirer de la législation de nos voisins d’outre-Rhin, en ne constituant pas de fichier centralisé. Il s’agit à nos yeux de la solution juridique la plus équilibrée et la plus solide.
Je vous invite, à ce titre, à relire l’avis de la CNIL, selon lequel la création d’une base centrale était disproportionnée au regard de l’objectif de sécurisation des titres. La CNIL va même plus loin puisqu’elle considère comme légitime « le recours à des dispositifs de reconnaissance biométrique pour s’assurer de l’identité d’une personne, dès lors que les données biométriques sont conservées dans un support individuel exclusivement détenu par la personne concernée ».
Cela signifie bien que, a contrario, elle juge illégitime le recours à des données biométriques si celles-ci sont conservées dans un support qui ne serait pas détenu exclusivement par la personne concernée, ce qui est bien le cas en l’espèce, puisqu’un fichier centralisé est créé.
De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé à plusieurs reprises que la création de fichiers contenant des données biométriques pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucunes poursuites constituait une violation manifeste des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Pourquoi, dès lors, s’obstiner dans une voie juridiquement contestable et politiquement inadmissible ?
Les querelles liées à la nature de ce fichier centralisé ne doivent pas nous faire oublier que la création même, par cette proposition de loi, d’une carte nationale d’identité biométrique pose problème, une puce dite « e-service » devant y être intégrée, certes de manière consultative.
À ce sujet, la CNIL a également émis de sérieuses réserves, soulignant la possibilité ainsi créée de « la constitution d’un identifiant unique pour tous les citoyens français, ainsi que la constitution d’un savoir public sur les agissements privés ». Elle conclut son avis ainsi : « De telles fonctionnalités ne devraient pas permettre le suivi des personnes sur internet ou l’exploitation par l’État d’informations sur les transactions privées effectuées par les citoyens. »
Nous partageons cette analyse et ne cautionnons pas un tel mélange des finalités entre intérêt régalien et intérêt commercial. La carte nationale d’identité doit rester un titre d’identité et non un outil au service d’intérêts commerciaux privés.
Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur le coût d’un tel titre pour nos concitoyens. Sera-t-il fourni gratuitement ou sera-t-il payant ? Bien que n’ayant cessé de poser cette question simple, nous n’avons jamais eu de réponse !
Une nouvelle fois, nous alertons nos collègues sur les risques de charges supplémentaires que ces nouvelles dispositions font peser sur les collectivités, à l’image de ce qui s’est passé lors de la création du passeport biométrique. Or les collectivités sont déjà malmenées par la politique fiscale de ce gouvernement, nous sommes ici bien placés pour le savoir !
En outre, sur les 36 000 communes, seules 2 000 seront habilitées à délivrer la carte nationale d’identité électronique, ce qui laisse augurer, nous semble-t-il, de fortes disparités géographiques et renforcer l’inégalité d’accès aux services publics.
Pour finir, nous n’acceptons pas que le Gouvernement utilise une nouvelle fois une proposition de loi pour faire passer un projet gouvernemental. L’inscription de ce texte à l’ordre du jour gouvernemental apparaît ainsi comme un aveu de ce que nous n’avons eu de cesse de dénoncer. Une telle instrumentalisation du Parlement est intolérable.
Pour toutes ces raisons, nous voterons de nouveau contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, errare humanum est, perseverare diabolicum : cette sentence, qui a déjà été rappelée lors du précédent débat, s’applique parfaitement au présent texte. En effet, celui-ci a bénéficié de deux lectures tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale et de la réunion d’une commission mixte paritaire, qui n’a été que le reflet des positions divergentes des deux assemblées, sur un seul point, mais un point majeur.
Monsieur le ministre, comment ne pas regretter que, sur un thème essentiel, puisqu’il s’agit de combattre les auteurs d’usurpation d’identité, dont le nombre est évalué chaque année à plusieurs milliers, la sagesse et la mesure n’aient pas eu raison d’une tentation excessive, celle d’aller plus loin dans le durcissement d’une mesure sécuritaire ?
Je sais, comme beaucoup d’entre nous ici, quels ont été les avatars successifs des titres d’identité, qui ont permis de créer à l’envi et de diffuser par milliers des « vrais faux », malgré les mesures prises. Je sais quels efforts et quelles compétences ont mobilisé, mais aussi quelles contraintes ont imposées les différentes politiques mises en place pour contrer la propension de certains à déjouer les mesures sécuritaires, à peine celles-ci étaient-elles pensées et définies. Mais n’est-ce pas là une constante du jeu du gendarme et du voleur ?
Aussi n’avais-je pu, avec mes collègues du RDSE, que me réjouir de l’examen de cette proposition de loi, dont l’heureuse initiative, que je veux saluer, revient à nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel. Le texte initial, enrichi, il faut l’admettre, au cours des différentes lectures du Sénat et de l’Assemblée nationale, devait permettre à tout un chacun d’apporter par tout moyen la preuve de son identité. La nouvelle carte d’identité, qui reste au demeurant un titre non obligatoire, pouvait être utilisée comme un instrument non seulement d’authentification lors de démarches administratives, mais aussi de transaction commerciale sur Internet, si son propriétaire le souhaitait.
Alors que la proposition de loi initiale s’en tenait à un dispositif simple et efficace, prolongé, ce qui est bien naturel, par la création d’un fichier contenant les seules données fournies par les demandeurs de titres et figurant dans le premier compartiment du composant électronique, l’Assemblée nationale, avec l’accord du ministère de l’intérieur, pour ne pas dire sous son impulsion, a proposé la création d’une base informatique de données, pouvant être utilisée dans le cadre de vérifications d’identité, mais aussi à des fins de recherches criminelles.
Le Sénat a refusé, en toute logique, de donner à cette proposition de loi une autre finalité que celle qui était la sienne. Aujourd’hui, le tout-sécuritaire nous enserre, nous étouffe !
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Il tue petit à petit les espaces de liberté, dont le ministère de l’intérieur, en tant que garant des libertés publiques, devrait pourtant être le premier gardien !
À ce titre, la Haute Assemblée a refusé à deux reprises, et encore en commission mixte paritaire, le principe d’un fichier visant à recenser les données de l’ensemble de la population sur le territoire national ; il a refusé l’utilisation de procédés de reconnaissance faciale ; il a rétabli le principe du lien faible et limité à deux, au lieu de huit, le nombre des empreintes digitales enregistrées dans la base centrale, suivant en cela l’avis rendu par le Conseil d’État dans son arrêt du 26 octobre 2011.
Je ne reviendrai pas ici sur les puissants arguments techniques développés avec éloquence par M. le rapporteur. Ils ne peuvent que nous conduire, en tant que défenseurs des libertés publiques, à refuser un système qui nous enfermerait.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de rappeler ici que mon collègue Yves Détraigne et moi-même avions déposé une proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, dont Christian Cointat était le rapporteur. Ce texte, destiné à protéger nos citoyens de la diffusion intempestive de leurs données personnelles, et sur lequel le groupe RDSE voulait s’appuyer pour rouvrir le débat, avait été adopté dans cet hémicycle à l’unanimité. Pourtant, il n’a été jamais été examiné par l’Assemblée nationale.
Mme Nathalie Goulet. Quel dommage ! Quel gâchis ! (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)
Mme Anne-Marie Escoffier. C’est un sujet essentiel, grave, auquel nous sommes trop peu nombreux à nous intéresser, alors qu’il requiert toute notre vigilance.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Anne-Marie Escoffier. Je peux vous assurer que je mettrai toutes mes forces à lutter contre toutes les formes d’insécurité qui se développent, mais sans jamais entraver la liberté fondamentale du citoyen, notre bien le plus précieux.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme Anne-Marie Escoffier. La quasi-totalité des membres de mon groupe partage mon point de vue, regrettant avec moi l’obstination de l’Assemblée nationale et du ministère de l’intérieur, lesquels prônent une mesure excessive, que nous condamnons au regard des finalités du traitement informatisé en cause. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe UCR.)
8
Nomination de membres de deux commissions
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que les groupes et la réunion des sénateurs non inscrits ont présenté leurs candidats pour siéger au sein de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, ces listes sont ratifiées, et sont donc nommés :
Commission des affaires économiques
M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Claude Bérit-Débat, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Gérard César, Alain Chatillon, Roland Courteau, Claude Dilain, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Pierre Hérisson, Michel Houel, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, MM. Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Gérard Le Cam, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Mme Renée Nicoux, MM. Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Mme Mireille Schurch, MM. Bruno Sido, Robert Tropeano, Yannick Vaugrenard, François Vendasi.
Commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire
MM. Joël Billard, Jean Bizet, Pierre Camani, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Jacques Cornano, Gérard Cornu, Ronan Dantec, Philippe Darniche, Marc Daunis, Marcel Deneux, Mme Evelyne Didier, M. Michel Doublet, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Philippe Esnol, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Houpert, Benoît Huré, Daniel Laurent, Alain Le Vern, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Robert Navarro, Louis Nègre, Rémy Pointereau, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, MM. Henri Tandonnet, Michel Teston, Raymond Vall, Paul Vergès, René Vestri.
9
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 21 février 2012, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2012-238 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
10
Protection de l'identité
Suite de la discussion en nouvelle lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’identité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il est un reproche qu’on ne pourra pas faire à la discussion de cette proposition de loi, c’est de ne pas avoir laissé libre cours à l’expression des opinions et des convictions de chacun ! Nous avons largement sacrifié – je ne dis pas succombé – aux délices du bicamérisme puisque c’est la quatrième fois, et sans doute la dernière, que notre assemblée est saisie de cette proposition de loi, seule l’Assemblée nationale devant ensuite avoir l’occasion d’un ultime examen.
Peut-être l’alternance sénatoriale de septembre dernier et la proximité d’échéances nationales essentielles ne sont-elles pas totalement étrangères à la longueur de la procédure législative et à la redécouverte des dispositions de l’article 45 de notre Constitution...
Je consacre beaucoup de temps, avant même d’aborder les problèmes de fond, à expliquer aux médias que, après la tentative manquée d’approbation par les deux assemblées du texte élaboré par la commission mixte paritaire, une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat demeure nécessaire, avant que le Gouvernement n’ait la possibilité de demander à la chambre élue au suffrage universel direct de statuer définitivement.
Je me garderai bien d’évoquer ici la querelle, certes courtoise, qui oppose les présidents des deux commissions des lois quant à la lettre et l’esprit des dispositions concernant le rôle de la commission mixte paritaire. Pour avoir été membre de la CMP réunie sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité que de celle qui a examiné les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, j’incline aujourd’hui à penser que l’adoption d’un texte commun ou l’échec d’une CMP sont étroitement liés à l’autorité qui exerce la présidence de celle-ci et n’ont pour conséquence que l’ouverture ou non d’une lecture supplémentaire devant chaque chambre.
Tout cela ne présente d’ailleurs guère d’inconvénient, même si seul le « microcosme », comme aurait dit Raymond Barre, peut apprécier la saveur de la répétition de nos débats. (Sourires.)
Coauteur de cette proposition de loi avec mon collègue Michel Houel, j’ai eu la satisfaction de voir les points de vue de nos deux assemblées, ceux des oppositions et des majorités, se rapprocher considérablement lors des deux premières lectures. Gardons-nous de l’oublier, même si nous sommes désormais confrontés aux limites de cette convergence.
Nous partageons tous la volonté, comme le disait notre collègue Serge Blisko le 1er février dernier à l’Assemblée nationale, de « lutter contre une délinquance qui peut être particulièrement destructrice pour les victimes – l’usurpation de leur identité –, qui a des effets ravageurs et dont les conséquences économiques, sociales, fiscales voire judiciaires, peuvent se poursuivre durant des années ».
Nous partageons tous, aussi, le souci de concilier la lutte contre l’usurpation d’identité, c’est-à-dire, tout de même, la sécurité élémentaire que l’État doit à ses citoyens, avec la défense des libertés individuelles et publiques comme avec le respect de la vie privée.
C’est ainsi que l’Assemblée nationale, si elle a opté pour l’établissement d’un lien fort, univoque, entre données biométriques et données d’état civil au sein de la base TES a accompagné ce choix de garanties légales incontournables, qui vont bien au-delà des garanties demandées par la CNIL en matière d’utilisation des fichiers. Je pense à l’interdiction de croiser la base TES avec d’autres fichiers publics ; à l’exclusion explicite de la reconnaissance faciale ; à la limitation à deux du nombre d’empreintes enregistrées ; à la limitation de l’accès à la base sur réquisition judiciaire aux infractions liées à l’usurpation d’identité et à l’identification des victimes de catastrophe, dernière hypothèse qui n’est pas simplement une hypothèse d’école, le naufrage récent du Costa Concordia vient de nous le rappeler cruellement.
Nous sommes également, dans notre grande majorité, convaincus de la nécessité de créer une base de données biométriques. Nous aurions pu envisager la mise en place d’une carte à puce biométrique sans fichier central, qui aurait déjà permis d’authentifier le porteur par comparaison avec les données biométriques contenues dans la puce. Mais cette technologie n’aurait pas permis d’assurer l’unicité de l’identité lors de la délivrance du titre.
Or, en parcourant le volumineux rapport de l’Observateur national de la délinquance et des réponses pénales pour 2011, on peut lire, en ce qui concerne les identités multiples : « En 2010, 100 757 personnes ont été signalées pour l’utilisation d’au moins deux états civils différents. Depuis 2005, on constate que les données de la police technique et scientifique sur ce type de signalement ne cessent d’augmenter, en hausse de 109,9 % en cinq ans. »
Le seul véritable différend qui persiste – je concède à la fois qu’il est important et que les débats du législateur sur ce point sont loin d’être médiocres – porte sur l’architecture du fichier. Pour les uns, partisans du lien faible, la base ne peut en aucun cas avoir un lien univoque et permettre, par exemple, la connaissance de l’identité à partir des empreintes digitales. Pour les autres, seul le lien fort présente la précision technique opérationnelle, l’efficacité qui permettra non seulement de protéger ponctuellement le citoyen de l’usurpation d’identité, mais aussi de confondre les délinquants et les fraudeurs.
Dans sa grande majorité, le groupe UMP s’est rallié à la technologie du lien fort et votera donc l’amendement du Gouvernement, et cela pour plusieurs raisons.
D’une part, les garanties juridiques qui se sont multipliées au cours de la procédure législative ont retiré à cette option la dangerosité qu’elle pouvait initialement présenter et n’impose donc plus de dégrader volontairement l’outil mis en place par le recours au lien faible.
D’autre part, l’importance de la fraude à l’identité impose à l’État de réagir avec vigueur. Toujours dans le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, on peut lire que 13 141 faits de fraude documentaire et à l’identité ont été enregistrés par les services de police et de gendarmerie en 2009 et qu’en 2010 les services de la police aux frontières ont réalisé 12 097 interceptions de documents frauduleux. Et encore tout cela ne constitue-t-il, mes chers collègues, que la partie émergée de l’iceberg !
Je conclurai en évoquant la seconde puce facultative permettant de s’identifier sur les réseaux de communication électronique et de mettre en œuvre sa signature électronique.
D’une part, il ne me paraît en rien choquant que ce soit l’État qui sanctuarise, dans tous les domaines, l’identité de ses citoyens.
D’autre part, je constate la complémentarité du projet de label privé d’identité numérique IDENUM et de la carte d’identité électronique. Je cite une dernière fois le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales : « Avec ces deux projets, la France pourra combler le retard qu’elle a pris sur ses voisins européens et voir la constitution d’une industrie de la confiance numérique. La généralisation de l’utilisation de tels outils de preuve d’identité permettra enfin de lutter plus efficacement contre les usurpations d’identités ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce sujet, ce soir ou lors des lectures précédentes. Certains propos reçoivent mon plein accord, d’autres ma réprobation. C’est le cas de votre intervention, monsieur le ministre, et de celle de notre excellent collègue M. Lecerf.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la base de données à lien faible constituait une fausse solution. Je considère au contraire qu’elle représente la vraie solution, alors que la base à lien fort n’a rien de nécessaire pour faire face au problème qui nous occupe.
Vous avez également évoqué l’éventuelle défaillance du brevet du lien faible. Je vous répondrai que le lien faible implique une technique statistique, un concept mathématique qui ne dépend pas que d’un seul brevet. Peut-être une technologie s’est-elle révélée défaillante, mais cela ne signifie pas pour autant que le concept soit à jeter.
La question est de savoir s’il faut, ou non, une base de données centralisée. On peut considérer que la simple comparaison des empreintes du titulaire d’une carte d’identité numérisée avec celles de la personne qui présente la carte pouvait suffire à contrôler les identités. Le Sénat a estimé que cette comparaison n’était pas suffisante pour mener une lutte efficace contre l’usurpation d’identité. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui en nouvelle lecture a prévu d’autres mesures que l’on mentionne peu dans nos débats, mais qui permettent de limiter le nombre de fraudeurs potentiels par la sécurisation de l’obtention des documents d’état civil nécessaires à la délivrance d’un titre d’identité. Il ne faut pas oublier cette première barrière, qui a montré son efficacité dans la lutte contre l’usurpation d’identité.
Bien que d’autres pays européens, d’autres démocraties, n’aient pas fait ce choix, le Sénat veut doter la France d’une base de données centralisée pour lutter contre l’usurpation d’identité. Toutefois, il a prévu des limites afin de préserver la première des sécurités – sur ce point, je suis en désaccord avec M. Lecerf – que constitue, dans une démocratie, le fait de pouvoir aller et venir en toute liberté et en tout anonymat tant que l’on ne fait rien de répréhensible. Et ce n’est pas la même chose que de dire que l’on peut être filmé, surveillé, espionné ou tracé alors que l’on ne fait rien de répréhensible !
Or cette liberté d’aller et de venir en tout anonymat est menacée par la création d’une base de données à lien fort. Si vous allez consulter votre médecin avant de vous rendre dans une pharmacie, vous ne faites rien de répréhensible ! Si vous êtes haut fonctionnaire ou militaire et que vous assistez à une réunion publique, politique ou associative engagée, vous ne faites rien répréhensible ! Pour autant, vous n’avez pas forcément envie de laisser des traces de cette activité particulière.
Aujourd’hui, seules les empreintes digitales permettent de retracer vos activités. Certes, mais la loi est susceptible d’évoluer et, demain, de la même façon, on pourra retracer vos activités, vous reconnaître et vous identifier avec les images faciales numérisées. On y arrivera ! C’est le Big Brother que nombre d’entre nous ont déjà évoqué ici. Le droit d’aller et venir en toute liberté, en tout anonymat, est donc bien menacé par une base de données à lien fort.
La finalité de la base de données centralisée que nous avons acceptée, c’est de lutter contre l’usurpation d’identité. Je réfute l’argument selon lequel le lien faible ne permettrait pas de remonter à l’origine de la fraude, de retrouver le fraudeur. Certes, cela peut arriver mais, je le répète, il existe, en amont du lien faible, des mécanismes qui permettent de limiter ce risque.
Ensuite, le fraudeur ne pourra pas y « revenir deux fois ». S’il n’a pas été identifié la première fois, il le sera la seconde fois. Le seul cas dans lequel le fraudeur pourrait ne pas être identifié serait l’hypothèse où la personne dont l’identité a été usurpée ne figure pas dans la base de données centralisée. Avouez que ce serait vraiment de la malchance ! Dans cinq ou dix ans, ce risque aura disparu et tous les fraudeurs pourront être détectés. De la même façon, seront repérés tous ceux qui se promènent avec au moins deux identités.
La finalité est donc parfaitement respectée avec la base de données à lien faible.
J’en viens à la notion de proportionnalité. On relève, nous dit-on, 100 000 usurpations d’identité, mais on compte 60 millions de Français. Il y aura donc une base contenant 60 millions de personnes identifiables d’un simple clic, au vu des empreintes digitales qu’elles auront laissées quelque part ou au vu, demain, d’une image numérisée. Pour moi, en l’occurrence, la proportionnalité est clairement en défaveur des libertés, donc de cette sécurité élémentaire qui consiste à pouvoir aller et venir en tout anonymat.
La proportionnalité est aussi mise à mal avec le concept d’irréversibilité qui prévaut pour la base de données à lien fort. Monsieur le ministre, le risque zéro que vous prônez n’existera pas avant au moins cinq ou dix ans, c’est-à-dire le temps nécessaire à la constitution d’une base de données centralisée suffisamment renseignée.
Comme je l’ai indiqué en commission des lois, dans cinq à dix ans, la base de données centralisée à lien faible permettra de réaliser exactement le même travail qu’une base à lien fort parce que, alors, même les enfants seront enregistrés. On ne pourra donc plus usurper l’identité d’une personne sans être démasqué. M. Lecerf l’a admis en déclarant que, si la situation d’aujourd’hui était celle qui prévaudra dans dix ans, il aurait aussi été favorable au lien faible.
Alors, aujourd’hui, pour se doter d’un outil qui ne va pas être efficace à 100 % dans l’immédiat, on prend le risque de construire une bombe à retardement, uniquement parce qu’on ne veut pas attendre dix ans ! C’est aussi au regard de son caractère d’irréversibilité que cet outil me paraît complètement disproportionné par rapport aux objectifs visés.
Par ailleurs, quelles garanties pouvons-nous aujourd’hui donner aux citoyens français quant à la sécurité des données qui figureront dans ce fichier de 60 millions d’honnêtes gens ? Qui peut mettre sa main à couper qu’aucun hacker ne pénétrera dans ce fichier, que personne n’en utilisera les données ? Et l’on est tellement persuadé de l’infaillibilité de ce fichier que, si quelqu’un, un jour, forcément animé d’intentions malveillantes, parvient à forcer ce fichier pour y inscrire que vos empreintes digitales ont été relevées dans un lieu donné, vous serez inévitablement accusé et vous aurez les plus grandes peines du monde à faire admettre que vous n’étiez pas présent dans ce lieu. On oublie simplement que l’infaillibilité de la technologie, ça n’existe pas !
Cet outil, hyperpuissant, éveillera nécessairement l’intérêt des hackers. Or il ne sera pas inviolable. Les seules sécurités posées sont de nature juridique et, de même que la loi ne suffit pas à empêcher les mauvaises actions – nos prisons sont suffisamment remplies pour nous le démontrer, hélas ! –, la loi ne suffira pas à empêcher les utilisations malveillantes, les fraudes, le vol de données.
La loi n’empêchera pas non plus, on le sait bien, le mélange de genres et de casquettes comme on a pu en voir récemment, entre juillet et novembre derniers. On nous dit que le ministère de l’intérieur sera responsable de la constitution de ce fichier, cependant que le ministère de la justice contrôlera sa consultation. Or, très récemment, par échanges de circulaires et de dépêches entre ces deux ministères – avec des mots pas toujours très doux… –, le premier a voulu prendre la main sur des compétences qui relevaient du second.
Qu’est-ce qui empêchera, demain, avec ce fichier de tous les Français honnêtes, que des faits similaires se produisent ? On a déjà vu invoquer la sécurité nationale pour justifier des usages, ou plutôt des mésusages comme les « fadettes » ou les écoutes. Qu’est-ce qui empêchera, demain, n’importe quel gouvernement de brandir ce même impératif pour consulter ces fichiers, qui n’ont d’autre objet que de combattre l’usurpation d’identité, et donc d’en faire une mauvaise utilisation, ce précisément contre quoi nous luttons aujourd’hui ?
L’obstination du Gouvernement sur ce texte m’étonne ; il n’avance aucune bonne raison, il n’en a que des mauvaises ! Dans ces conditions, comment établir un climat de confiance ?
Pour l’ensemble de ces motifs, nous ne sommes évidemment pas favorables à l’amendement du Gouvernement, sauf si tous les Français, consultés par voie de référendum, acceptent, dans les conditions et avec les risques que nous venons d’expliciter, de faire figurer leurs coordonnées ainsi que leurs données biométriques et biographiques dans un tel fichier. Je ne crois pas que ce soit le cas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)