compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Guillaume
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Alain Dufaut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et, d’autre part, du projet de loi de finances rectificative pour 2011 ne sont pas parvenues à l’adoption d’un texte commun.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a procédé à la nouvelle désignation des candidats qu’elle présente pour la commission mixte paritaire qui doit se réunir sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
4
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, et est disponible au bureau de la distribution.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 16 décembre 2011, deux décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2011-206 QPC et 2011-207 QPC).
Acte est donné de cette communication.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le lundi 19 décembre 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-221 QPC et 2011-222 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
7
Renvoi pour avis
M. le président. J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives (n° 33, 2011-2012), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyée pour avis, à leur demande, à la commission des affaires sociales, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des finances.
8
Rémunération pour copie privée
Adoption définitive, en procédure accélérée, d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la rémunération pour copie privée (projet n° 141, texte de la commission n° 193, rapport n° 192).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà plus de vingt-cinq ans, à la suite de la loi Lang du 3 juillet 1985, que la copie privée contribue au financement d’une part de la création artistique française, pour un montant qui s’élevait, en 2010, à environ 189 millions d’euros.
Si 75 % de ces sommes bénéficient directement aux créateurs, le reste, soit 25 % de la rémunération pour copie privée, est obligatoirement dédié, en application de la loi de 1985, à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. En s’acquittant de la rémunération, le public participe donc directement au financement de près de 5 000 manifestations culturelles dans une grande diversité de genres et de répertoires : grands et petits festivals, pièces de théâtre, concerts, spectacles de rue, courts métrages ou documentaires de création.
Cette institution remarquable est aujourd’hui menacée, notamment à la suite de l’arrêt Padawan rendu le 21 octobre 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne que le Conseil d’État a été tenu d’appliquer dans une décision du 17 juin dernier.
Sous une apparence technique, le présent projet de loi répond à un enjeu simple et circonscrit dont nous saisissons cependant tous à quel point il est impérieux : il s’agit d’éviter, à très court terme, l’effondrement d’un système essentiel pour la juste rémunération des auteurs, artistes-interprètes et producteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel, de l’image fixe et de l’écrit, et pour la vitalité de la création artistique française.
Je me réjouis, dans ce contexte, du caractère particulièrement constructif des travaux et discussions dont ce texte a fait l’objet, que ce soit lors de son examen très consensuel à l’Assemblée nationale ou, plus récemment ici, à l’occasion des débats en commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je remercie à cet égard M. le rapporteur du travail très précis et approfondi effectué malgré l’urgence qui nous contraint.
L’objet premier de ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, est donc de sécuriser le mécanisme de la copie privée, à la suite de la décision du 17 juin dernier du Conseil d’État.
Jugeant que les supports acquis pour un usage professionnel devaient être exemptés du paiement de la rémunération pour copie privée, le Conseil d’État a condamné le système mis en place par la commission copie privée qui, pour des raisons de simplicité et de prévention de la fraude, consistait à appliquer la rémunération pour copie aux supports susceptibles de servir tout à la fois pour un usage professionnel et pour un usage de copie privée – les CD-ROM, la plupart des DVD, les téléphones multimédias, les clés USB,... –, moyennant un abattement reflétant la part des usages professionnels. Cette décision emporte des effets collatéraux très graves, car elle prive notamment de fondement juridique, à compter du 22 décembre prochain, l’essentiel des barèmes de perception de la copie privée. Elle fait ainsi peser une menace immédiate sur la perception des 180 millions d’euros.
Par ailleurs, la décision du Conseil d’État entraîne un effet d’aubaine pour les redevables de la rémunération pour copie privée qui avaient engagé une action judiciaire avant le 17 juin 2011 : ils pourraient réclamer le remboursement de l’intégralité des sommes versées, soit un montant de près de 60 millions d’euros, alors même que l’essentiel de ces sommes était effectivement dû lorsque n’étaient pas en cause des supports acquis à des fins professionnelles et que la copie privée a été répercutée sur le prix acquitté par les consommateurs.
Le projet de loi permet donc de remédier au risque d’une interruption ou d’une remise en cause de la rémunération pour copie privée, lorsque celle-ci est effectivement due, en neutralisant les effets collatéraux de la décision du Conseil d’État, et cela par deux moyens.
Le premier est le maintien, au-delà du 22 décembre prochain, des barèmes de la rémunération pour copie privée, et cela jusqu’à l’adoption par la commission copie privée de nouveaux barèmes portant sur les supports en cause dans la décision n° 11 annulée par le Conseil d’État, dans la limite toutefois d’un délai maximal que l’Assemblée nationale a réduit à un an, avec l’accord du Gouvernement.
Le second moyen consiste à procéder à une validation ciblée des rémunérations antérieures au 17 juin 2011 qui font l’objet d’une action contentieuse.
Cette réponse – j’y insiste – est conforme à la Constitution et au droit européen et a donc été approuvée par le Conseil d’État lorsqu’il a examiné le projet de loi. En particulier, conçue de manière à respecter la chose jugée, elle n’empêche pas les personnes ayant acquis un support pour un usage professionnel de faire valoir leurs droits, car elle ne porte que sur des rémunérations qui ne sont pas couvertes par le motif qui fonde la décision d’annulation du Conseil d’État, en faisant notamment obstacle à ce qu’elles soient contestées du fait d’un défaut de base légale.
J’ajoute que le projet de loi, qui répond à d’évidents motifs d’intérêt général en matière de soutien à la création et à la diversité culturelle, est en réalité indispensable pour se conformer à nos obligations juridiques au regard du droit communautaire, la Cour de justice de l’Union européenne ayant en effet consacré le principe d’une obligation de compensation effective du manque à gagner lié aux actes de copie privée.
Afin de mettre en œuvre la décision du Conseil d’État, le projet de loi organise parallèlement l’exemption des supports acquis pour un usage professionnel du paiement de la rémunération pour copie privée selon deux modalités inspirées directement de la pratique actuelle de la commission concernant certains supports déjà exemptés de la rémunération : soit sur le fondement d’une convention passée entre Copie France et les professionnels, qui permettra à ceux-ci d’être exonérés de la rémunération pour copie privée lors de l’acquisition des supports, notamment dans des circuits de distribution spécialisés ; soit par une demande de remboursement présentée auprès de Copie France et assortie de justificatifs établissant la qualité de professionnel et un usage présumé du support à des fins autres que de copie privée.
Le projet de loi comporte d’autres dispositions, de portée plus limitée, qui constituent néanmoins des précisions utiles.
Il consacre ainsi la pratique de la commission copie privée en matière d’enquête d’usage.
Il tire également les conséquences d’une autre décision du Conseil d’État, en date du 11 juillet 2008, selon laquelle la rémunération pour copie privée n’a pas pour objet de compenser les pertes de revenus liées aux copies illicites d’œuvres protégées, écartant donc de l’assiette de la copie privée les copies de source illicite, effectuées à partir de fichiers piratés.
Le projet de loi a été, sur ce point, amendé à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du député Lionel Tardy, dans un sens qui ne doit pas susciter de malentendu. En insérant la même précision, relative aux copies de source illicite, au sein d’autres articles du code de la propriété intellectuelle relatifs à la définition de l’exception pour copie privée, cet amendement technique, de pure coordination, ne change pas le périmètre de l’exception pour copie privée par rapport au texte initial du Gouvernement. Dès lors que les copies de sources illicites ne sont pas dans l’assiette de la rémunération pour copie privée, il est clair, au regard non seulement du droit interne, mais aussi du droit communautaire, que ces copies ne sont pas couvertes par l’exception pour copie privée.
Le projet de loi prévoit par ailleurs l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement concernant le montant de la rémunération pour copie privée auquel il est assujetti, ce qui représente une avancée intéressante pour la compréhension par chacun du mécanisme de la copie privée et de ses enjeux.
Au regard des interrogations techniques que cette disposition a suscitées, je tiens à préciser que le Gouvernement veillera à ce que les modalités de sa mise en œuvre réglementaire soient les plus souples et les plus pragmatiques possible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, devant une situation d’extrême urgence, le projet de loi privilégie une réponse pragmatique, immédiatement applicable et respectueuse, qui plus est, des jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne.
Par-delà cette réponse de court terme, mon ministère a engagé une réflexion plus globale, plus ambitieuse – que nous appelons tous de nos vœux – quant à l’incidence des évolutions technologiques sur le mécanisme de la copie privée.
Cette réflexion nous permettra d’aborder l’ensemble des questions souvent légitimes que suscite l’avenir de ce mode de rémunération de la création. Elle est notamment conduite dans le cadre d’une commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, présidé par Sylvie Hubac, qui a été chargée d’étudier l’incidence de l’« info nuage », ou « cloud computing », sur la rémunération pour copie privée.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’il y va de l’héritage d’une loi fondatrice que nos prédécesseurs ont su, à l’époque, adopter à l’unanimité, parce qu’il y va de notre responsabilité collective à l’égard de la création, je souhaite que nous puissions parvenir à l’adoption la plus consensuelle possible de ce projet de loi essentiel, qui est avant tout un texte d’urgence. Ce sera une nouvelle fois le signe de notre réactivité, de notre engagement commun pour la défense de ceux qui inventent, de ceux qui composent, de ceux qui créent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Gattolin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis Beaumarchais notre pays a progressivement dégagé les principes juridiques visant à encadrer le droit d’auteur et ainsi à protéger toutes les œuvres de l’esprit.
Cette construction juridique s’est faite par étapes.
C’est la loi du 11 mars 1957 qui a établi le principe de la copie privée. Ses dispositions sont, pour l’essentiel, encore en vigueur aujourd’hui.
La loi du 3 juillet 1985, dite « loi Lang », a posé, quant à elle, le principe d’une rémunération de la copie privée au travers de prélèvements effectués sur la vente de certains supports d’enregistrement. Cette loi a également institué une commission de la copie privée pour gérer les modalités de ce prélèvement. Elle a par ailleurs instauré des « droits voisins » au profit des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle.
Toutes ces dispositions ont été codifiées en 1992 dans le code de la propriété intellectuelle, qui donne à l’auteur la possibilité de tirer profit de l’exploitation de son œuvre et d’exercer un contrôle sur cette exploitation. À ce titre, ce code réserve aux auteurs d’œuvres protégées la faculté d’autoriser la reproduction pour copie à usage privé et non collectif, dite « exception de copie privée ». En contrepartie, le titulaire des droits perçoit une rémunération forfaitaire destinée à compenser le manque à gagner croissant dû au développement des technologies permettant la multiplication des copies.
Lorsqu’il a écrit, en 1935, son fameux essai, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, le philosophe Walter Benjamin vivait dans un tout autre monde que le nôtre. Aujourd’hui, la technologie permet la copie à l’infini, sans perte de qualité, grâce au numérique, et à un coût marginal infime, voire nul.
Avec la révolution numérique qui a débuté il y a une quinzaine d’années, notre législation se trouve engagée dans une course de vitesse incessante pour tenter d’intégrer et d’encadrer la multiplicité des pratiques et des usages nouveaux que suscitent internet et les nouvelles technologies de l’information. Parallèlement à ce défi imposé par la technologie, notre cadre juridique national en matière de droits d’auteur et de droit d’accès à la culture et à la connaissance se doit également de répondre au défi de l’intégration du droit et de la jurisprudence établis à l’échelle de l’Union européenne. Ce n’est pas une mince affaire et, je le souligne, notre pays est régulièrement rappelé à l’ordre, voire sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne pour ses retards ou ses transpositions parfois hasardeuses des directives européennes en droit interne.
Dans le domaine qui nous intéresse spécifiquement, plusieurs directives européennes, en particulier celle du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, s’imposent désormais à nous. C’est dans ce cadre que s’inscrit le présent projet de loi ; son objet est circonscrit à la rémunération pour copie privée, dont la mise en œuvre dans notre pays est parfois contestable et souvent contestée. En effet, des contentieux ont abouti à l’annulation de plusieurs décisions de la commission de la copie privée, notamment celle fixant les barèmes de redevance applicables aux supports permettant de réaliser des copies. Ces supports vont du CD aux tablettes tactiles multimédias, en passant par certains équipements télévisuels, les baladeurs ou encore les téléphones mobiles.
Ayant pour ambition limitée de colmater les brèches qui se sont multipliées dans notre édifice juridique, le projet de loi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2011 et adopté par celle-ci le 29 novembre.
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte pour prévenir un risque d’interruption ou de remise en cause du dispositif existant à compter du 22 décembre prochain, à la suite d’une décision du Conseil d’État du 17 juin 2011. Cette décision tirait les conséquences de l’arrêt Padawan du 21 octobre 2010 de la Cour de justice de l’Union européenne. Cet arrêt précise la portée de la directive de 2001 en excluant de l’assiette de la rémunération pour copie privée les supports d’enregistrement acquis à des fins professionnelles.
Le texte qui nous est soumis vise donc un double objectif : mieux encadrer les modalités de détermination de la rémunération pour copie privée et stabiliser provisoirement un dispositif ébranlé par la rapidité des évolutions technologiques et par la jurisprudence.
Mes chers collègues, M. le ministre nous ayant exposé à la fois cette jurisprudence et le contenu du projet de loi, plutôt que de vous infliger des propos redondants dans la suite de mon intervention, je préfère vous faire part de mes convictions et de mes regrets, avant de me tourner vers l’avenir.
Mes regrets ont notamment trait au calendrier plus que contraint dans lequel le Sénat se trouve enfermé. Compte tenu de la difficulté prévisible pour la commission de la copie privée de procéder, dans le délai de six mois fixé par le Conseil d’État, à de nouvelles enquêtes d’usage plus approfondies sur les supports d’enregistrement, puis d’élaborer et d’adopter les barèmes de redevance applicables, pourquoi ne pas avoir anticipé cette échéance ? Pourquoi avoir attendu le 26 octobre pour déposer le projet de loi ?
Outre des délais très courts entre l’adoption du texte par l’Assemblée nationale et son examen par notre commission – deux semaines à peine –, la menace d’une chute de la rémunération des auteurs et autres ayants droit a été brandie comme un couperet. Pourtant – j’exprime à ce titre un nouveau regret – deux modifications au moins auraient pu améliorer le texte.
La première concerne l’article 1er.
Les dispositions introduites sur l’initiative de notre collègue député Lionel Tardy sont venues modifier le champ de l’exception pour copie privée. Elles sortent donc, à mon sens, du périmètre de ce texte. Néanmoins, la commission a rejeté l’amendement que j’avais déposé visant à les supprimer et à rétablir le texte initial du Gouvernement au prétexte de la nécessité d’un vote conforme pour pouvoir promulguer cette loi dans un délai n’affectant pas le prélèvement effectué au titre de la copie privée. Les sénateurs écologistes ont cependant déposé un amendement, que nous examinerons dans quelques instants, tendant à supprimer ces dispositions.
La seconde modification souhaitable touche l’article 3 du projet de loi.
J’ai bien entendu les remarques que M. le ministre a formulées et la considération qu’il a témoignée à ce problème. Certes, cet article vise un objectif louable, puisqu’il s’agit d’informer les acquéreurs de supports du principe et du montant de la rémunération pour la copie privée. Or l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. C’est pourquoi j’aurais souhaité que nous simplifiions la rédaction des modalités d’application de cet article afin d’atteindre au mieux cet objectif de manière adaptée à chaque support, sans créer de contrainte ou de coût disproportionné.
Monsieur le ministre, j’ai accepté de retirer mon amendement en commission sous réserve des garanties que vous nous avez apportées quant à la souplesse du décret d’application. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir les réitérer aujourd’hui.
Mes chers collègues, j’appelle également votre attention sur les risques que présente le développement d’un « marché gris », surtout pour des produits vendus à un prix facial somme toute limité, tels les CD vierges ou les clés USB, et ne nécessitant pas de service après-vente. En effet, l’insertion d’une notice spécifique intégrée à l’emballage du produit pour certains supports d’enregistrement pourrait accroître leur prix de vente, qui est déjà élevé du fait du prélèvement appliqué pour copie privée, et donc pénaliser financièrement leurs acheteurs ou les inciter à se tourner vers des offres en provenance de pays n’appliquant pas le même niveau de taxes qu’en France.
Avec l’expression de mes regrets, vous avez senti poindre celle de mes convictions.
Je l’affirme, la commission pour la rémunération de la copie privée devrait mieux intégrer certains risques encourus d’éviction du marché.
De fait, l’incidence du prélèvement effectué au titre de la copie privée sur le prix facial de vente est, aujourd’hui en France, significativement plus élevée qu’à l’étranger. Nombre de consommateurs de ces produits se tournent d’ores et déjà vers des distributeurs étrangers, ce qui se traduit par une perte sèche non seulement pour les distributeurs français, mais aussi pour les auteurs et pour l’État ; je songe notamment à la TVA qui n’est pas perçue sur ces produits achetés par des voies détournées.
À ce titre, je me suis livré à une petite recherche : pour une clé USB 2.0 de 16 gigaoctets, par exemple, la part de la rémunération pour copie privée représente 2 euros soit – selon le coût fixé par le distributeur – entre 9 % et 13 % du prix de vente. Par ailleurs, pour un CD-R 700 mégaoctets, cette somme s’élève à 3,5 euros et représente environ 23 % du prix facial de vente.
L’acceptabilité du dispositif par le public suppose que les sociétés qui en assument la responsabilité puissent assurer une gestion transparente, vertueuse et irréprochable des sommes collectées. En 2010, celles-ci s’élevaient à 189 millions d’euros hors taxes. Je rappelle en outre que la rémunération pour copie privée a progressé de 51 % entre 2002 et 2010. Or les rapports annuels de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits des auteurs, artistes-interprètes et producteurs dénoncent des pratiques persistantes, même si, il faut le relever, quelques améliorations sont progressivement observées.
Sur ce sujet, je vous invite à prendre connaissance du dernier rapport publié par cette instance en mai 2011, dont un chapitre est consacré aux mesures nécessaires de transparence économique. Il fait notamment état du cumul des frais de gestion « en cascade » et de la profonde opacité qui entoure les sommes qui échoient aux sociétés de répartition des droits. J’ai annexé ce document au rapport que j’ai rédigé au nom de notre commission.
Enfin, je tiens à vous faire part de ma conviction concernant les perspectives d’avenir qu’il me semble urgent et indispensable de tracer dans les mois qui viennent.
Je l’ai déjà souligné, l’objectif bien circonscrit du projet de loi et l’urgence dans laquelle ce texte s’inscrit ne permettent pas d’opérer une véritable remise à plat de l’ensemble du système. Celle-ci nécessitera un travail de longue haleine et sera d’autant plus nécessaire que la Commission européenne travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau cadre politique commun à ce sujet.
En souffrance depuis quelques années, le dossier de la copie privée dans le cadre communautaire vient en effet d’être à nouveau ouvert par le commissaire européen en charge du marché intérieur, M. Michel Barnier, qui a récemment procédé à la nomination d’un médiateur européen, en la personne de M. António Vitorino. Ce dernier a notamment été chargé d’adapter la directive de 2001 en incorporant les décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne et de définir le cadre d’une convergence entre les différents régimes en vigueur dans les États membres en matière de copie privée. Ses conclusions et ses recommandations seront remises au second semestre de l’an prochain et un nouveau cadre juridique communautaire devrait logiquement voir le jour dans le courant de l’année 2013. Il est donc indispensable que la commission de la culture, conjointement avec la commission des affaires européennes, se saisisse à nouveau du sujet pour en approfondir les tenants et aboutissants.
À mes yeux, les mutations en cours, pour perturbatrices qu’elles puissent paraître, doivent être considérées comme autant d’opportunités pour accroître l’accès de tous aux productions culturelles et dégager les moyens pérennes d’améliorer le financement de la création et de ses acteurs.
Ces sujets sont complexes et éminemment évolutifs.
La multiplication des usages privés, liée à l’explosion des capacités de stockage numérique, pose un défi, y compris juridique : complexité croissante du dispositif, nécessité de l’adapter aux évolutions technologiques permanentes et d’assurer la balance entre les intérêts en présence, dans la ligne du droit communautaire.
C’est un vrai défi pour les législateurs que nous sommes. Avec l’« info nuage », c’est-à-dire la possibilité d’hébergement de contenus sur des serveurs distants et dissociés des équipements personnels de l’internaute, ainsi qu’avec l’avènement annoncé de la télévision connectée, une deuxième révolution numérique est incontestablement en cours. Dans ce contexte, nous ne faisons aujourd’hui que replâtrer en urgence l’édifice. Tous les interlocuteurs que j’ai rencontrés, soit une quarantaine de personnes, ont d’ailleurs qualifié ce projet de loi de « rustine ». Pourtant, je ne nie pas la nécessité de ce texte, mais j’ai souhaité en montrer ici les limites.
Ce texte, sans lequel les barèmes perdraient toute validité juridique à compter du 22 décembre prochain, est urgent. À défaut, la redevance, qui représente une part non négligeable des perceptions des sociétés de gestion collective, ne pourrait provisoirement plus être perçue. Je n’en reste pas moins convaincu que les améliorations que j’avais proposées, en ne retardant que de trois jours l’adoption du projet de loi, n’auraient pas menacé l’équilibre financier du dispositif.
Mes chers collègues, la commission de la culture ayant opté pour l’adoption conforme du projet de loi, je vous invite, en tant que rapporteur, à suivre ses conclusions.
Sérieux et humour étant heureusement compatibles, je forme le vœu que cette « rustine » ne colle pas éternellement au code de la propriété intellectuelle, comme le sparadrap au doigt du capitaine Haddock, dans L’Affaire Tournesol (M. le ministre fait mine de s’en débarrasser.), car il nous faut désormais imaginer l’avenir et sa complexité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)