M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais Terra Nova ne représente pas le parti socialiste !
M. Jean-Patrick Courtois. J’attends avec impatience, monsieur le rapporteur, que vous nous fassiez part clairement de vos intentions.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Patrick Courtois. Sous prétexte de parité – nous nous attristons que l’on puisse l’utiliser ainsi comme un alibi –, le parti socialiste entend garantir l’élection de ses apparatchiks (Marques d’approbation et applaudissements sur les travées de l’UMP.), quand nous entendons, pour notre part, ancrer les élus dans les territoires, en optant pour un mode de scrutin uninominal qui les rend visibles, audibles et en prise avec les préoccupations des Françaises et des Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Jean-Patrick Courtois. L’introduction de la proportionnelle est la garantie d’un affaiblissement du conseil général, que nous ne saurions accepter ni tolérer. C’est la mort programmée des communes, au profit des communautés de communes, qui n’en demandaient d’ailleurs pas tant.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Jean-Patrick Courtois. Par ailleurs, Terra Nova propose de supprimer le canton en tant que circonscription électorale,…
M. Gérard César. Absolument !
M. Jean-Patrick Courtois. … et oscille entre deux nouveaux découpages.
La première hypothèse serait d’établir la représentation proportionnelle à l’échelle départementale, assortie d’une prime majoritaire, sur le mode du scrutin régional. Il s’agit là d’une proposition ancienne du parti socialiste, qui obéit à la même logique que le scrutin régional. (Huées sur les travées de l’UMP.)
La seconde hypothèse, qui a le mérite d’être plus originale, mais est totalement irréaliste, fait des périmètres des EPCI à fiscalité propre des circonscriptions d’élection, en prévoyant soit un scrutin binominal paritaire majoritaire à deux tours, soit un scrutin de liste proportionnel. Autant dire que ce serait une usine à gaz !
M. Alain Gournac. Très juste !
M. Jean-Patrick Courtois. Cette option aurait aussi pour défaut d’associer des carpes et des lapins : alors que l’intercommunalité a pour ambition d’apporter un meilleur niveau de service public au bassin de vie qu’elle administre, tout en respectant la commune comme premier lieu d’expression de la démocratie locale, en faire une circonscription électorale la condamnerait définitivement à devenir seulement l’enjeu des politiques départementales. Il ne serait en effet plus possible d’adapter les périmètres des intercommunalités aux besoins des habitants sans modifier la carte électorale du département. Ce ne serait certainement pas rendre service aux habitants de nos communes !
Au lieu de clarifier et de rendre plus efficace l’action locale, Terra Nova, ou plutôt le parti socialiste (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.),…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Patrick Courtois. … hésite, complexifie, pour finalement étendre au maximum le scrutin proportionnel, parfois dans le cadre de circonscriptions improbables et incompréhensibles, ce qui permettrait alors toutes les combinazioni, au nez et à la barbe de l’électeur ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
À la lecture de ces propositions, je doute fortement de votre capacité réelle à gouverner… Car qu’est-ce que gouverner, sinon orienter et administrer une politique publique ?
Oui, l’administration de l’État impose parfois des choix difficiles, mais le pire service que nous pourrions rendre aujourd’hui à la décentralisation, ce serait de ne rien entreprendre, alors que nous dressons tous le même portrait d’une décentralisation vivante et utile, mais pénalisée par une trop grande complexité, qui ne facilite pas l’accès des citoyens à la démocratie locale et décourage les bonnes volontés.
Cette réforme, nous l’avons voulue pour nos institutions, mais aussi pour nos concitoyens ! Nous ne pouvons légiférer au gré d’une humeur, ni par d’ultimes moyens pour faire passer en force des textes motivés seulement par des intérêts particuliers ou par ceux d’un groupe politique.
Mes chers collègues, vous faire entendre raison me semble bien ambitieux ! En revanche, faire comprendre aux Françaises et aux Français que la création du conseiller territorial était, et reste, une idée formidable pour nos territoires et nos institutions me semble primordial ! C’est pourquoi nous défendrons trois motions de procédure afin de nous opposer à ce texte qui, pour nous sénateurs UMP, est une mauvaise farce faite aux Français, digne d’un grand prestidigitateur ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Mes chers collègues, je voudrais vous expliquer pourquoi je vais voter ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
L’honneur d’un parlementaire, c’est de voter selon ses convictions, quelle que soit l’origine du texte qui lui est soumis.
Mme Catherine Tasca. Oui !
M. Philippe Adnot. Ainsi, il est arrivé que mes amendements soient soutenus par la gauche.
La leçon que nous ont donnée les élus locaux lors des dernières élections sénatoriales semble déjà oubliée. Pourtant, au lendemain du changement de majorité sénatoriale, certains reconnaissaient qu’il aurait peut-être fallu les écouter davantage, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Certes, ceux qui siègent aujourd’hui sur les travées de droite de notre hémicycle sont passés à travers les mailles du filet… Mais bon nombre de nos anciens collègues qui n’ont pas été réélus pourraient vous dire qu’ils avaient voté la réforme des collectivités territoriales – adoptée à trois voix près ! – contraints et forcés : il ne faudrait pas l’oublier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Dans le contexte actuel, il me semble que la nation a mieux à faire qu’entreprendre cette réforme coûteuse et inutile, qui entretient la confusion et divise les Français à l’heure où il conviendrait au contraire de se rassembler et d’unir toutes les forces du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
Les forces du mal sont toujours à l’œuvre, car on ne nous a pas dit la vérité. La semaine dernière, dans l’hebdomadaire Le Point, M. Gilles Carrez exposait clairement les intentions réelles qui sous-tendent cette réforme : en fusionnant les départements et les régions, on économiserait 2,5 milliards d’euros. Mais y aura-t-il demain moins de routes à entretenir, moins de services sociaux à faire fonctionner, moins d’assistantes familiales, d’assistantes maternelles ou de pompiers à rémunérer ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Bien sûr que non !
En réalité, monsieur le ministre, une telle fusion obligerait à mettre en place des états-majors et des généraux pour diriger les services, avec les frais de fonctionnement que cela suppose. Ce sera le retour des voitures de fonction avec chauffeur,…
M. Bruno Sido. Payées par les départements !
M. Philippe Adnot. … alors que, aujourd’hui, dans les départements, ceux qui sont à la tête des services n’en ont plus ! Vous verrez que, loin de faire des économies, les collectivités devront engager des dépenses supplémentaires…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La technocratie est à l’œuvre !
M. Philippe Adnot. Je regrette que cette réalité ne vous apparaisse pas ! Mobilisons-nous plutôt pour gérer efficacement ce pays et faire en sorte que les dépenses servent à créer de la richesse.
Le Gouvernement doit remettre en cause un certain nombre de politiques qu’il a mises en œuvre et dont le bilan est désastreux : notre endettement s’est accru de 500 milliards d’euros en quatre ans ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Concentrons-nous donc sur l’essentiel ! Il faut aujourd’hui avoir le courage de détricoter ce qui a été mal tricoté.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Adnot. Il n’y a rien de pire que de persévérer dans l’erreur par orgueil. J’espère que, en votant le présent texte, nous montrerons qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, qu’il me soit permis tout d’abord de me féliciter de ce que cette proposition de loi, déposée initialement par notre groupe, puis signée par l’ensemble des sénateurs de la majorité de gauche du Sénat, vienne aujourd’hui en discussion dans notre assemblée.
Ce large rassemblement, qui peut d’ailleurs encore se renforcer – nous venons de le constater à l’instant –, reflète une vision partagée, qui nous a déjà réunis lors des débats sur la réforme des collectivités territoriales de décembre 2010.
Rappelons que ce n’est que par le biais d’un amendement de dernière minute, négocié en catimini, que la création du conseiller territorial fut finalement adoptée, sans recueillir l’assentiment de l’ensemble des élus de la majorité.
Rappelons aussi les multiples débats que nous avons eus sur l’annexe relative à la répartition des futurs conseillers territoriaux par département et par région. À chaque fois, nous sommes revenus sur le principe même de la création d’un tel élu, tant elle pose problème.
Enfin, chacun a pu mesurer, au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, combien ce nouveau type d’élu hybride était contesté par une majorité d’élus locaux. Comment s’en étonner ? Comment la disparition de 2 000 élus locaux, soit près de 50 % des élus départementaux actuels, pourrait-elle être acceptée ?
C’est pourquoi nous avions déposé cette proposition de loi, fermement décidés à la défendre, que la majorité du Sénat soit ou non passée à gauche.
En effet, nous avons toujours refusé la création de cet élu cumulard par définition et schizophrène dans ses missions.
Je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des arguments que viennent de défendre la présidente de notre groupe, Nicole Borvo Cohen-Seat, et notre rapporteur, Gaëtan Gorce.
Un sénateur de l’UMP. C’est dommage !
M. Christian Favier. Je n’étonnerai personne en soulignant que je les partage, tout comme l’ensemble des sénateurs et des sénatrices de notre groupe.
Cela étant, je voudrais revenir sur certains aspects essentiels qui justifient, à notre avis, l’abrogation des articles de la loi de décembre 2010 créant ce conseiller territorial, en attendant l’abrogation de cette loi dans son ensemble.
Il s’agit, à nos yeux, d’un recul démocratique sans précédent, d’une remise en cause totale de la décentralisation, car avec 2 000 conseillers généraux en moins, les départements ne pourront plus être gérés ni mettre en œuvre leurs missions dans des conditions satisfaisantes, faute d’un nombre d’élus suffisant.
M. Bruno Sido. Dans le Val-de-Marne ?
M. Christian Favier. Dans le Val-de-Marne, après la suppression de quatorze conseillers généraux, il n’en restera que trente-cinq pour gérer un département de 1,3 million d’habitants. Très sincèrement, je ne crois pas que ce soit suffisant !
M. Bruno Sido. C’est le président qui fait tout ! (Sourires.)
M. Christian Favier. Cette mesure, ajoutée à la perte de la compétence générale, transformera inéluctablement nos départements en de simples administrations déconcentrées de l’État.
De plus, avec la mise en place des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services entre les départements et la région, le risque est grand de voir nos départements disparaître peu à peu. Ils deviendront de simples guichets de paiement des politiques sociales définies par l’État et se transformeront en administrations territorialisées des régions.
Un sénateur de l’UMP. On verra !
M. Christian Favier. Ce serait alors la disparition de cet échelon départemental par évaporation, comme le préconisait la commission Balladur.
Pourtant, chacun reconnaît la pertinence de cet échelon pour mener avec efficacité une gestion de proximité des politiques publiques, au plus près des besoins de nos concitoyens.
Chacun sait bien ici le rôle joué par les conseillers généraux, dont le nombre, je le répète, n’est nullement pléthorique. Ce sont des élus de terrain, reconnus par les populations, ainsi que par l’ensemble des élus municipaux.
Tous savent pouvoir trouver auprès d’eux une écoute pour faire entendre et remonter, comme on dit, leurs besoins et leurs attentes, dans l’espoir que le département pourra soutenir tel ou tel projet, surtout quand il faut suppléer au désengagement de l’État. Cela fait toute la richesse démocratique de notre pays, et cette réalité, quoi qu’on en dise, est vécue aussi bien dans les territoires ruraux que dans les zones urbaines. En tant que président du conseil général d’un département fortement urbanisé, je peux en porter aujourd'hui témoignage.
Entendons tous nos conseillers généraux, ruraux et urbains, qui, dans leurs permanences, reçoivent des centaines de personnes venues exposer leurs difficultés et demander leur intervention. Écoutons ce qu’ils nous disent de la richesse des échanges au sein des divers conseils d’administration de collège, d’hôpital, de maison de retraite dont ils sont membres. Enfin, n’oublions pas que beaucoup d’entre eux conservent également une activité professionnelle : c’est là aussi une richesse et une particularité de notre pays.
Ce sont cette proximité et cette écoute qui fondent la pertinence des politiques publiques mises en œuvre à l’échelon départemental. Réduire de 50 % le nombre des conseillers généraux n’est pas seulement une mesure d’ordre quantitatif, c’est aussi un changement qualitatif, amenant une transformation totale des missions de ces élus.
Siégeant dorénavant à la fois à l’assemblée départementale et à l’assemblée régionale, ils vont devenir, de fait, des professionnels de la politique,…
M. Éric Doligé. Cela leur fera du bien !
M. Christian Favier. … accaparés par leurs nombreuses tâches politico-administratives, mobilisés quasiment en permanence, au département et à la région, par les séances et les réunions des diverses commissions.
M. Éric Doligé. Il faut s’organiser !
M. Christian Favier. En effet, ce changement de statut vaudra aussi quand ils exerceront les fonctions de conseiller régional.
D’abord, l’article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales, dont nous soutenons l’abrogation, dispose que désormais les conseils régionaux sont composés des conseillers territoriaux siégeant dans les conseils généraux de la région. C’est donc bien ès-qualité que ces derniers siégeront à l’assemblée régionale, où ils seront des représentants des départements, doublés d’élus cantonaux : il y a bien confusion des genres et changement de statut.
M. Éric Doligé. Que font-ils dans les communautés de communes ?
M. Christian Favier. Leurs missions s’en trouveront totalement bouleversées. Ils perdront de fait la proximité nécessaire à leur mission de conseillers généraux et le recul essentiel à la définition de leurs choix stratégiques en tant que conseillers régionaux.
Par ailleurs, leurs tâches seront si multiples qu’ils ne pourront plus exercer leur rôle irremplaçable d’animateurs de la vie publique locale, de notre démocratie de proximité. Ils perdront peu à peu le contact avec les forces sociales, ne pourront plus les rencontrer sur le terrain, travailler avec elles sur les projets, aller à la rencontre des habitants, participer aux événements de la vie locale.
Compte tenu des charges qu’ils assumeront, ils dépendront toujours plus de la technostructure qui les entoure. Je ne crois pas que c’est ainsi que nous réaliserons des économies ; bien au contraire, nous ne ferons que renforcer une bureaucratie toujours plus envahissante. Ils deviendront alors des gestionnaires éloignés des populations qu’ils sont censés représenter.
Comme le disait Philippe Séguin (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.), la proximité coûte cher. Cela est vrai, et c’est sans doute ce qui conduit le Gouvernement à vouloir éloigner les élus de la population, pour mieux les contraindre à réduire la dépense publique, pourtant si utile au bien commun, à réduire les services publics locaux, auxquels nos concitoyens sont attachés.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Christian Favier. Ces services publics les aident dans leur vie quotidienne, par la mise à disposition d’équipements publics…
M. Bruno Sido. C’est terminé !
M. Christian Favier. … et de prestations utiles d’une grande diversité, allant de la crèche à l’école, de la restauration scolaire aux activités socioéducatives, culturelles et sportives pour tous. Ils apportent un soutien aux familles et à nos retraités, par l’aide au maintien à domicile ou par la gestion des maisons de retraite, ils développent l’aménagement de l’espace public et les transports collectifs, ils soutiennent les travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique et de réhabilitation, ils participent à la réalisation de logements, notamment sociaux, accessibles au plus grand nombre.
C’est tout cela que le Gouvernement veut réduire.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est terminé !
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue !
M. Christian Favier. Nous proposons, tout au contraire, d’inverser cette logique de régression démocratique et sociale.
Souhaitant développer la démocratie de proximité pour toujours mieux répondre aux attentes et aux besoins de nos concitoyens, nous voterons donc, naturellement, cette proposition de loi tendant à l’abrogation du conseiller territorial. Ce faisant, loin de nous contenter de quelques aménagements partiels de la loi de décembre 2010, nous nous attaquons à l’une de ses pièces maîtresses. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Christian Favier. Nous nous félicitons, par avance, de ce qu’une majorité de sénateurs s’accordent à soutenir une telle proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre.
Un sénateur de l’UMP. Le plus grand des cumulards !
M. Bruno Sido. Huit minutes !
M. Michel Delebarre. Je vais essayer de respecter mon temps de parole, mes chers collègues, mais c’est vous qui me supplierez de continuer, vous verrez ! (Rires sur les travées de l’UMP. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Je ne reviendrai pas sur les multiples rebondissements ayant entouré la mise en place du conseiller territorial. L’intervention du Conseil constitutionnel n’a pas contribué à crédibiliser la création de cet élu mort-né.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il l’a validée !
M. Michel Delebarre. Je me contenterai d’exposer les raisons profondes qui motivent le dépôt de cette proposition de loi d’abrogation, déposée par nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat, François Rebsamen et Jacques Mézard.
La création du conseiller territorial est en quelque sorte emblématique de cette pseudo-réforme des collectivités territoriales adoptée à la fin de l’année 2010, qui revient à maltraiter les territoires et qui, à nos yeux, marque une régression significative et sans précédent de la décentralisation.
Nous sommes en effet nombreux à considérer que l’instauration du conseiller territorial ne permet pas de respecter le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage. La répartition des sièges votée avant l’été crée des écarts manifestement disproportionnés entre les régions : un conseiller territorial représentera quelque 8 000 habitants en Lorraine, 8 100 dans le Limousin, mais 29 000 dans le Nord-Pas-de-Calais et 37 800 en Île-de-France !
M. Bruno Sido. Et en Champagne-Ardennes ?
M. Michel Delebarre. Si une seule raison devait justifier la suppression du conseiller territorial, la voilà !
M. Bruno Sido. Mais non !
M. Michel Delebarre. Le Gouvernement a beau jeu de répéter que ces écarts n’ont pas d’importance tant que la cohérence entre départements d’une même région est respectée : sur quels fondements réels repose une telle affirmation, alors que rien ne peut justifier de telles disparités dans le maillage démocratique du pays ?
M. Bruno Sido. Il n’a rien compris !
M. Michel Delebarre. Comment justifier que la voix d’un citoyen puisse valoir trois ou quatre fois plus que celle d’un autre ?
M. Bruno Sido. Pas du tout !
M. Michel Delebarre. Il semble, dès lors, que des considérations électoralistes ont présidé à la mise en œuvre de ce découpage pour le moins condamnable.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est tout le contraire !
M. Michel Delebarre. Un autre mode de calcul aurait peut-être pu être utilisé, mais aujourd'hui nous n’en sommes plus là. C’est de clarté dans l’expression démocratique dont ont besoin nos concitoyens, ce qui nous conduit à soutenir la proposition de supprimer purement et simplement cet élu hybride, mi-conseiller général, mi-conseiller régional, que sera le conseiller territorial. Il ne manquera pas de souffrir d’une forme de schizophrénie : présent au conseil général le matin, il finira la journée au conseil régional ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et alors ?
M. Bruno Sido. Huit minutes !
M. Michel Delebarre. Mes chers collègues, tempérez votre enthousiasme, je n’en ai pas encore terminé ! (Sourires.)
La confusion entre les attributions, départementales et régionales, ne permettra pas au conseiller territorial d’assumer correctement son mandat.
M. Rémy Pointereau. Et vous, comment faites-vous ?
M. Bruno Sido. Il paraît qu’il y en a qui cumulent !
M. Michel Delebarre. L’invention de ce mécanisme de double représentation par un seul élu constitue un retour en arrière par rapport à ce qui fut la logique constante de la décentralisation et, d’une certaine manière, par rapport à la logique de la démocratie, qui exige une clarification des représentations et des compétences.
La création du conseiller territorial va aussi, à nos yeux, à l’encontre de l’indispensable proximité entre les citoyens et les élus. Moins d’élus, c’est souvent moins de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Non ! sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Drôle de conception de la démocratie !
M. Michel Delebarre. Notre pays a pourtant bien besoin de renforcer les liens entre les citoyens et le monde politique. Réduire les effectifs des assemblées territoriales peut maladroitement affaiblir la proximité, avec au final une moins bonne prise en compte des besoins des populations. En faisant élire les conseillers territoriaux dans le ressort de circonscriptions élargies, le Gouvernement n’aura réussi qu’à éloigner les élus locaux des électeurs, des maires, des habitants. Tout cela, à nos yeux, va de pair avec la diminution régulière de la présence de l’État dans les territoires, par application de la désormais célèbre révision générale des politiques publiques !
M. Bruno Sido. Démagogie !
M. Michel Delebarre. Non, réalisme, mon cher collègue !
La création du conseiller territorial ne viendra pas non plus clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Dans les débats précédant le vote de la réforme, l’argument des « couples » de collectivités a souvent été invoqué pour exprimer une logique sous-jacente. Il existerait ainsi une sorte de solidarité fonctionnelle entre la région et le département, à l’image de celle qui existerait entre la commune et l’intercommunalité. (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)
Pour certains, cet argument justifierait à lui seul le rapprochement du département et de la région. Mais nos collègues Yves Krattinger et Jacqueline Gourault ont eu l’occasion de rappeler, dans leur rapport au nom de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, que les régions et les départements avaient des « vocations différentes ». Il revient au département d’assurer les solidarités sociales et territoriales, tandis que la région est l’échelon naturel de la stratégie et de la préparation de l’avenir.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est pour cela qu’on les garde !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors vous n’êtes pas d’accord avec le Président de la République !
M. Michel Delebarre. L’étude d’impact du projet de loi de réforme des collectivités territoriales avait, à ce titre, parfaitement montré que l’action du département est bien plus tournée vers la dimension locale que vers l’espace régional.
M. Éric Doligé. Oui, c’est évident !
M. Michel Delebarre. En l’occurrence, si un couple existe, c’est bien celui que forment le département et le bloc communal.
La création du conseiller territorial s’expliquerait avant tout par l’impérieuse nécessité, nous dit-on, de faire des économies. Or toutes les études montrent que les économies en question sont bien dérisoires au regard du déficit budgétaire et de la dette de notre pays. De plus, on a sous-estimé volontairement ce que cette réforme coûtera en réalité. Pour notre part, à l’idéologie, nous préférons aujourd’hui opposer les notions de proximité et de prise en compte des besoins de nos territoires et de nos concitoyens.
Vous avez pu trouver exposés, dans le rapport et la brillante intervention de notre collègue Gaëtan Gorce, bien d’autres risques découlant de la création du conseiller territorial : régression de la parité, affaiblissement presque automatique de l’un des niveaux de collectivités territoriales –on ne saurait d’ailleurs dire a priori s’il s’agira de la région ou du département, la situation pouvant varier à mon sens en fonction des territoires.
Voilà pourquoi nos différents groupes politiques présentent aujourd’hui cette proposition de loi, qui permettra de mettre un terme définitif à l’aventure hasardeuse du conseiller territorial. Le vote de ce texte ne constituera qu’une première étape puisque, comme vous le savez, le président Jean-Pierre Bel a annoncé la tenue d’états généraux des élus locaux.
M. Pierre Hérisson. Il faudra inscrire cela dans vos comptes de campagne pour la présidentielle !
M. Michel Delebarre. Ils préfigureront un nouvel acte de la décentralisation, dans la lignée du formidable progrès qu’avaient représenté les lois votées sur l’initiative de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre.
Je suis persuadé que cette proposition de loi recueillera de nombreux suffrages sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée. Cela marquera le début d’une autre décentralisation, fondée réellement sur les préoccupations de nos territoires et les attentes de nos concitoyens. Chers collègues de droite, c’est pour vous la dernière chance de prendre le train en marche ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)