M. le président. Cela étant, le reste de la proposition de loi subsiste et le dossier de séance doit être modifié en conséquence. Je vous propose donc que nous suspendions nos travaux, pour les reprendre à vingt-deux heures vingt.
M. Vincent Eblé. Monsieur le président, cela fait une demi-heure que Jean-Pierre Sueur demande la parole ! C’est scandaleux !
M. le président. Monsieur le sénateur, c’est à moi qu’il appartient de mener les débats. M. Sueur aura tout le loisir de s’exprimer lorsque la séance sera reprise. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je le confirme, j’ai demandé la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. Aux termes de l’article 45, alinéa 4, du règlement du Sénat, l’irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Monsieur le ministre, je ne répondrai pas à vos attaques personnelles ; je me concentre sur mon travail.
J’indique à nos collègues que la commission de la culture se réunira à vingt et une heures trente.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures vingt.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je vous remercie sincèrement de me donner la parole pour un rappel au règlement, car j’ai été quelque peu contrarié de constater que précisément ce dernier n’était point appliqué.
Notre règlement prévoit en effet que « la parole est accordée sur-le-champ à tout orateur qui la demande pour un rappel au règlement ». « Sur-le-champ » ! Belle expression française, qui dit bien ce qu’elle veut dire, n’est-ce pas, madame Troendle ?...
Mme Catherine Troendle. La séance était suspendue !
M. Jean-Pierre Sueur. Ne voulant pas abuser d’un temps tellement précieux, je me référerai simplement au sous-titre que Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais a donné à l’une de ses pièces célèbres : La Précaution inutile…
M. Pierre Martin. Oh là là !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, votre superbe lettre évoquant l’article 40 de la Constitution est arrivée quinze minutes avant le début du débat.
Alors que vous êtes ministre de l'éducation nationale – de l’« instruction publique », comme l’on disait jadis –, comment, très franchement, avez-vous pu défendre cette idée qu’en vertu de l’article 40 vous empêcheriez le débat parlementaire d’avoir lieu et Mme Cartron, comme tous mes collègues, de parler d’un sujet aussi important que celui du rôle de l’école maternelle dans notre pays ?
Le résultat a été le suivant : nous en avons parlé – j’ai compté – pendant une heure et dix-sept minutes, mais dans les pires conditions. Évidemment, nous étions en colère. Qui d’ailleurs ne l’aurait pas été ?
Et vous n’étiez pas dupe, monsieur le ministre, même dans les postures que vous avez prises, mais, quitte à aller au théâtre, autant que ce soit celui de Beaumarchais ! (Sourires.)
Dans cette affaire, monsieur le ministre, nous sommes de bonne foi, et nous avons été trompés.
Il est patent, vous êtes membre du Gouvernement et vous le savez, que le 26 octobre s’est tenue une conférence des présidents au cours de laquelle a été proposée par Mme la présidente de la commission de la culture l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans, proposition contre laquelle personne n’a formulé d’objection et qui a reçu l’accord du ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Ollier.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Si cette proposition de loi était si évidemment contraire à l’article 40, pourquoi M. Ollier ne s’en est-il pas avisé le 26 octobre ?
Au surplus, monsieur le ministre, hier, la conférence des présidents s’est de nouveau réunie, à la demande de nos collègues de l’UMP et de l’UCR. Au cours du débat sur notre ordre du jour, M. Ollier nous a demandé si nous ne craignions pas que la discussion de la proposition de loi relative à l’intercommunalité ne reprenne trop tard du fait, justement, de la discussion de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans. Donc, hier, à dix-neuf heures, M. Ollier considérait encore qu’il fallait consacrer le temps nécessaire à débattre de cette dernière.
Il s’agit donc d’une manœuvre de dernière minute,…
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. … une manœuvre dérisoire et inutile, car elle n’empêchera pas le débat d’avoir lieu,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. … une manœuvre qui nous aura fait perdre une heure et dix-sept minutes, et qui donné lieu à un lamentable spectacle.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Aussi, monsieur le ministre de l’éducation nationale, au nom du beau titre qui est le vôtre et afin que nous ayons un débat de fond, je vous demande de vous consacrer à des œuvres intellectuelles et des débats de fond, plutôt que de vous livrer à des arguties et, de surcroît, de le faire alors même, et c’est encore une fois patent, que le Gouvernement a, pendant plusieurs semaines, défendu une position contraire à celle que vous avez adoptée pour la circonstance.
Le sujet mérite mieux. Le débat va avoir lieu maintenant et nous souhaitons, monsieur le président, qu’il se déroule dans la sérénité, comme celui qui suivra, ce à quoi nous coopérerons de tout notre cœur, mais en regrettant très profondément ce qui s’est passé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur Sueur, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Nous voudrions vous interroger, monsieur le ministre, car un sentiment d’incompréhension a parcouru les travées du Sénat.
Lorsque vous avez exprimé votre souhait de voir « activer » l’article 40 de la Constitution, vous avez fondé votre argumentation sur votre évaluation du surcoût qu’occasionnerait l’arrivée de 750 000 nouveaux petits.
D’abord, nous n’avons absolument pas les mêmes chiffres. Ensuite, vous avez mal lu puisque vous avez parlé des petits de deux ans, fustigeant le fait que leur scolarisation soit évoquée dans cette proposition de loi, alors que seule figure dans le texte la mention de leur accueil potentiel. Mais le propos n’est pas là.
Vous justifiez donc le recours à l’article 40 par l’arrivée potentielle de ces 750 000 petits et mettez en perspective un coût de 1,3 milliard d’euros.
À dix-neuf heures quarante-cinq, la commission des finances, qui a toute compétence pour procéder à une évaluation technique et économique de la réalité de ces coûts, s'est réunie. Elle a supprimé, dans notre texte, des dispositions déterminantes concernant les enfants de trois ans, tout en maintenant celles qui concernent les enfants âgés de deux ans…
M. Roland Courteau. C'est bizarre !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. En conséquence, monsieur le ministre, nous vous interrogeons, sans acrimonie : quelle est la bonne cible pour l’application de l'article 40 ? Est-ce celle de la commission des finances ou la vôtre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Un ministre n’a pas à commenter une délibération de la commission des finances.
Mme Catherine Troendle. Absolument !
M. Luc Chatel, ministre. Celle-ci est absolument souveraine. Son président a souligné qu'elle avait pris à l'unanimité la décision d’opposer l’article 40 à certaines dispositions de la proposition de loi dont vous débattez ce soir. Je n'ai rien à ajouter.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour un rappel au règlement.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, il va de soi que vous n'avez pas à commenter la décision de la commission des finances. Pour autant, vous êtes là pour éclairer le législateur. Il n’est pas dans votre intérêt que tout cela semble relever d’un arbitraire total : nous attendons que vous nous exposiez un raisonnement rationnel, fût-ce selon votre propre logique.
En effet, la commission des finances ne s’est pas autosaisie de ce texte : c’est vous-même qui avez demandé qu’elle se réunisse pour statuer sur la recevabilité de certaines dispositions au regard de l’article 40 de la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est le règlement !
M. David Assouline. Pour justifier votre décision d’invoquer l'article 40, vous avez affirmé que le texte, à vos yeux, tendait quasiment à rendre la scolarité obligatoire pour les enfants de deux ans et qu’une telle mesure coûterait 1,3 milliard d'euros. Ce sont vos propres mots, vous ne pouvez plus les retirer : ils figureront au compte rendu des débats et ils ont déjà été repris par l'Agence France-Presse.
Or la commission des finances a précisément maintenu les dispositions dont vous contestiez la recevabilité au titre de l’article 40, à savoir celles qui concernent la scolarisation des enfants de deux ans, mais a censuré le dispositif relatif à la scolarisation obligatoire des enfants de trois ans, qui constituait le cœur du texte.
Monsieur le ministre, peut-être y a-t-il simplement eu un défaut de communication. Cela pourrait se comprendre, car nous travaillons tous dans la précipitation, sans avoir le temps de tout lire, et de nombreux problèmes nous occupent. Pour autant, il convient de rester rationnels, de garder à nos débats une cohérence. Il ne faudrait pas donner à penser que, ce soir, nous avons fait n’importe quoi.
La commission des finances, qui n’a disposé que de quelques minutes pour prendre sa décision, ne pourrait-elle être réunie à nouveau afin le cas échéant de revoir sa position, à la lumière de l’argumentation que vous avez développée, monsieur le ministre ?
M. Roland du Luart. Non ! C'est contraire au règlement !
M. David Assouline. Cela nous permettrait ensuite de poursuivre la discussion de la proposition de loi dans des conditions plus normales.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut tout de même respecter le règlement du Sénat et la Constitution.
Je rappelle que notre règlement prévoit que le Gouvernement doit soulever les exceptions d’irrecevabilité fondées sur l'article 40 en séance publique. Par conséquent, il ne revenait pas au ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Ollier, de le faire en conférence des présidents.
Peut-être M. le ministre aurait-il pu prévenir de ses intentions ; c'est une autre question, mais il a donc agi conformément au règlement du Sénat en invoquant l’article 40 en séance publique.
Mes chers collègues, en cette matière, le Sénat a longtemps fait preuve d’une certaine souplesse, jusqu'au jour où le Conseil constitutionnel a indiqué que les amendements tombant sous le coup de l'article 40 de la Constitution ne devaient même pas être examinés en séance publique. Si l’on commence à discuter les décisions de la commission des finances, jusqu’où ira-t-on ?
À l'Assemblée nationale, où j’ai également siégé, l'article 40 de la Constitution était appliqué avec beaucoup de rigueur ! Lorsque j'étais dans l'opposition, il est arrivé que certains de mes amendements soient écartés de la discussion pour ce motif, ce qui était tout à fait normal.
Certains contestent le dispositif de l'article 40, notamment nos collègues du groupe CRC.
M. Pierre-Yves Collombat. Moi aussi !
M. Jean-Jacques Hyest. En revanche, le groupe socialiste n’a jusqu'à présent jamais proposé de le modifier !
Cela nous renvoie au débat que nous avons eu sur la « règle d'or ». Rappelez-vous les difficultés que nous avons dû alors surmonter pour faire en sorte que l'on puisse tout de même discuter de dispositions financières hors débats budgétaires ! En effet, le dispositif initial était beaucoup plus contraignant que celui de l'article 40 !
Le ministre a le droit d’invoquer l'article 40. Dès lors que des dispositions ont été déclarées irrecevables à ce titre par la commission des finances, on n’en discute plus, même si elles constituent le cœur du texte ! Il faut respecter nos institutions, la Constitution et le règlement du Sénat : il y va de la démocratie.
Je relève d’ailleurs que certains s’attendaient tellement à ce qui s’est passé qu’ils avaient préparé leurs interventions par écrit !
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est tout de même extraordinaire ! L'étonnement n'était pas du côté que l’on croit !
En conclusion, je voudrais poser la question suivante : pourquoi nos collègues socialistes n’ont-ils pas déposé plus tôt le présent texte,…
Mme Françoise Cartron. Nous l’avons déposé il y a six mois !
M. Jean-Jacques Hyest. … par exemple lorsque la gauche était au pouvoir ? Ils auraient alors eu toute latitude pour faire voter par l’Assemblée nationale la scolarité obligatoire dès trois ans…
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi une telle précipitation subitement ? Quoi qu’il en soit, une telle mesure coûte cher,…
M. David Assouline. Combien ?
M. Jean-Jacques Hyest. … et la commission des finances a estimé qu’elle était irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution ! Il serait peut-être bon maintenant d’avancer, car il me semble que la suite de l’examen d’une autre proposition de loi du groupe socialiste a été reportée à ce soir…
M. le président. Monsieur Assouline, monsieur Hyest, je vous donne acte de vos rappels au règlement.
Nous passons maintenant à la discussion générale.
Discussion générale
Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous, sénatrices et sénateurs socialistes, avons souhaité que l’instauration de l’instruction obligatoire en France dès l’âge de trois ans soit l’une des premières dispositions examinées par la nouvelle assemblée sénatoriale. Cette mesure est soutenue, plus largement, par l’ensemble des formations de gauche.
Ainsi, cette année, trois propositions de loi portant sur l’instauration d’une obligation d’instruction dès le plus jeune âge ont été déposées au Sénat, respectivement par les socialistes et les Verts, par le groupe CRC, par les radicaux de gauche. À l’Assemblée nationale, la démarche est identique.
Je remercie Mme la présidente de la commission de la culture d’avoir retenu la présente proposition de loi et je salue l’implication et l’engagement de Mme la rapporteure, Brigitte Gonthier-Maurin.
En effet, le texte que j’ai l’honneur de présenter devant le Sénat relève de notre volonté commune de redonner toute son importance au plus jeune âge de la vie, à cette période cruciale de l’existence où se cristallisent et se sédimentent les inégalités sociales et scolaires.
Dans cette période de crise profonde qui malmène notre société, face aux restrictions budgétaires qui menacent l’équilibre de notre école de la République, il est nécessaire que nous, législateurs, reconnaissions l’école maternelle pour ce qu’elle est : une école à part entière, gratuite, ouverte à toutes et à tous.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Cartron. Par ailleurs, cette proposition de loi répond à une exigence plus grande encore : faire de la jeunesse une priorité, inscrire la génération qui vient au cœur de nos préoccupations, au cœur de notre projet pour la France.
Répondre à l’urgence du présent sans oublier de préparer l’avenir : telle est l’ambition sous-tendant le texte que j’ai déposé au nom du groupe socialiste ; telle doit être notre ambition à tous – élus de gauche, mais aussi plus largement, j'ose l'espérer, élus de tous bords qui croient en la force de l’école publique.
La loi Jules Ferry du 28 mars 1882 instaura l’obligation scolaire de six ans à treize ans. Progressivement, cette obligation fut étendue jusqu’à seize ans, mais, à ce jour, aucune avancée concernant les enfants de moins de six ans n’a été inscrite dans la loi.
Or, nous le savons, la scolarisation précoce dans une école maternelle a une influence déterminante sur le parcours de l’enfant, sur son épanouissement personnel.
M. Roland Courteau. C'est exact !
Mme Françoise Cartron. L’instauration de la scolarité obligatoire dès trois ans viendrait sanctuariser et renforcer un modèle qui participe de l’idéal républicain de l’égalité des chances.
Mes chers collègues, le texte que je vous présente ici vise non à obliger ou à contraindre, mais à protéger, à préserver et à conforter notre système public d’enseignement et tous les acteurs qui s’y investissent au quotidien : parents, enseignants, auxiliaires et emplois de vie scolaire, psychologues, médecins, etc. Ce texte a vocation à soutenir les élus locaux et le dynamisme de nos territoires ; surtout, il s’adresse à nos enfants, qu’il accompagnera dans les années à venir.
Sachant que 99 % des enfants sont déjà scolarisés à l’âge de trois ans, pourquoi en faire une obligation légale ?
Je souhaite tout d’abord revenir sur ce qui fait de l’école maternelle un lieu d’apprentissage aussi spécifique qu’indispensable.
Un enfant se construit dès le plus jeune âge. Il est nécessaire que, très tôt, il soit confronté à des stimulations de tous ordres, qui l’aideront à développer son intelligence, sa curiosité, son sens critique, son autonomie et sa maîtrise du langage.
Lieu de socialisation équilibrée, notre école maternelle excelle et est citée en référence dans le monde entier.
Face aux difficultés familiales, psychologiques ou sociales rencontrées dès la petite enfance, l’école constitue un lieu d’accompagnement et de réparation indispensable, parce qu’elle construit des parcours pédagogiques adaptés, en tenant compte des différences de rythmes et de maturité, parce qu’elle reconnaît la spécificité de chaque enfant. Elle offre ainsi un temps éducatif privilégié qu’il nous faut préserver.
Dans l’accomplissement de ses missions essentielles, elle répond au double impératif de progrès et de justice sociale, valeurs qui sont au cœur même de notre pacte républicain.
Les parents, les syndicats de l’enseignement, les professionnels de l’éducation ont tous relevé le lien positif existant entre la durée de fréquentation de l’école maternelle et la réussite des élèves à l’école élémentaire, non seulement sur le plan de l’acquisition des connaissances, mais également en termes d’épanouissement et d’autonomie.
L’école maternelle assure un temps d’apprentissage particulièrement bénéfique pour les élèves les moins favorisés, socialement ou culturellement, pour les élèves d’origine étrangère primo-arrivants et pour tous ceux qui rencontrent des difficultés dans l’apprentissage du français.
L’école maternelle, c’est l’école de la rencontre avec le langage, de la rencontre de l’autre, de la découverte du monde du sensible, de l’émotion, mais c’est aussi l’école de la confrontation avec le réel, qui permet à nos enfants de mieux comprendre leur environnement.
Dans une société qui fait le pari de la jeunesse, la sécurisation de l’école maternelle, dans sa structure et ses missions, est un impératif.
Or, depuis quelques années, la politique éducative menée par différents gouvernements est allée à l’encontre de cette ambition. Nous constatons avec inquiétude la chute, année après année, du nombre d’enfants admis à l’école avant trois ans. Alors que 35 % des enfants de deux à trois ans étaient préscolarisés en 2000, ce taux est tombé, aujourd’hui, à moins de 14 %. Dans des zones sensibles comme le département de la Seine-Saint-Denis, où les besoins sont le plus criants, il est inférieur à 5 %.
En conséquence d’une application aveugle de la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, des dizaines de milliers d’enfants ont été abandonnés dans un vide éducatif préjudiciable à leur avenir, mais aussi dans une précarité sanitaire que nous découvrons, avec effroi, au travers du retour de maladies que nous croyions définitivement éradiquées.
M. Roland Courteau. Hélas !
Mme Françoise Cartron. Là encore, l’école maternelle et ses médecins scolaires jouent un rôle irremplaçable.
De plus, les réductions drastiques du nombre de postes dans le premier degré n’ont pas non plus épargné la prise en charge des enfants de trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure proche de 100 %, c’est au prix d’une augmentation des effectifs par classe, amenant une dégradation des conditions d’accueil.
Craignons que, en raison de ces coupes budgétaires sévères, les écoles maternelles ne soient dans l’obligation, demain, d’écarter de plus en plus d’enfants.
M. Roland Courteau. C’est bien le risque !
Mme Françoise Cartron. Cela est d’autant plus à redouter que, en parallèle, tentent de se développer des structures privées et payantes, comme les jardins d’éveil. Celles-ci ne répondent ni aux mêmes exigences pédagogiques ni aux mêmes exigences de formation.
De fait, l’ambition éducative portée par l’enseignement préélémentaire en France est progressivement remise en cause.
Par ailleurs, j’entends trop souvent des justifications budgétaires au démantèlement de l’enseignement en maternelle, qui permettrait la réalisation d’économies rendues nécessaires par la crise que nous traversons. Attention, monsieur le ministre : n’ajoutons pas à la crise financière une crise éducative.
D’après des études récentes, la France est, parmi les pays comparables, celui où le nombre d’élèves par professeur est le plus important. Le sous-investissement est encore plus criant à l’école maternelle. Or, on le sait, c’est en investissant tôt dans la scolarité d’un enfant qu’on évite le mieux des échecs ou des réorientations qui coûtent cher à la société par la suite.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
Mme Françoise Cartron. Enfin, je précise que l’incidence de ce texte sur les finances de l’État et celles des communes sera marginale, la quasi-totalité des enfants étant déjà accueillis à partir de trois ans.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que la mise en œuvre de nos propositions entraînerait l’arrivée à l’école de 750 000 élèves supplémentaires. De deux choses l’une : soit vous vouliez en fait parler de la scolarisation des enfants de deux ans, soit le nombre d’enfants de trois ans non scolarisés est effectivement aussi élevé dans notre pays, et alors la situation est encore pire que nous ne l’imaginions ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Il y a bien un besoin d’école aujourd’hui, puisque des classes maternelles privées hors contrat, payantes bien sûr, se développent. Le coût est donc reporté sur les familles, déjà bien malmenées financièrement. Là encore, il y a danger !
Le 28 juin dernier, je vous interrogeais, monsieur le ministre, sur le désengagement de l’État de l’école maternelle. Vous m’aviez répondu en rappelant que l’école n’était obligatoire que de six à seize ans. Monsieur Chatel, vous aviez entièrement raison ! C’est précisément un des éléments qui ont motivé le dépôt de notre proposition de loi.
Ainsi, sur le plan symbolique, l’intégration de la maternelle dans la scolarité obligatoire permettra la reconnaissance définitive de son statut d’école à part entière, lieu privilégié où se développe l’enfant, dans le respect de sa personne, de ses besoins et de ses rythmes.
Sur le plan juridique, si cette proposition de loi est adoptée, cela imposera à l’État de déployer tous les moyens nécessaires à l’accueil et à l’instruction de l’ensemble des enfants de trois à cinq ans. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Nous y voilà !
Mme Catherine Troendle. Où trouverez-vous tous ces crédits ?
Mme Françoise Cartron. Il s’agit d’accueillir à l’école les 1 % d’enfants de trois ans qui ne sont pas déjà scolarisés : je pense que notre pays peut consentir un tel effort.
M. Alain Gournac. Combien ?
Mme Françoise Cartron. C’est un choix politique ! Dès lors, il ne sera plus possible de considérer l’école maternelle comme une simple variable d’ajustement budgétaire.
Revenons d’ailleurs sur la question des moyens.
Une scolarité maternelle longue a des effets bénéfiques sur la suite du cursus de l’enfant, à condition de garantir la qualité de l’accueil. Bien sûr, cela nécessite un investissement, que l’État doit considérer non pas comme une charge, mais comme une chance.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Cartron. Voilà presque soixante ans, Pierre Mendès-France publiait un ouvrage intitulé : Gouverner, c’est choisir.
Mme Catherine Troendle. Absolument ! C’est ce que fait le Gouvernement !
Mme Françoise Cartron. C’est cela, la noblesse de la politique : choisir des priorités. La nôtre, c’est de donner à la jeunesse de notre pays les moyens de construire son avenir, et ce dès le plus jeune âge.
Oui, des moyens humains et matériels seront nécessaires, en priorité pour les niveaux d’enseignement préélémentaires et élémentaires.
Ainsi, nous nous engageons, au travers de ce texte, à développer une vraie formation initiale et continue des personnels enseignants. Aujourd’hui, le manque de formation pratique et l’absence de modules spécifiques en sciences du langage ou en psychologie sont constatés et déplorés par les acteurs de l’éducation.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Françoise Cartron. Il est urgent de revenir sur la réforme ratée, gâchée dirais-je, de la mastérisation, en adaptant la formation pour la centrer sur le développement de l’enfant.
Nos enseignants méritent notre attention, notre estime et notre respect. Il y a urgence à leur témoigner notre confiance par des mesures concrètes.
Sur le plan pédagogique, l’occasion nous est donnée de réaffirmer la particularité de ce temps d’enseignement. L’école maternelle n’est pas le lieu d’une évaluation permanente, ni l’antichambre d’une compétition effrénée entre les enfants. Récemment, certaines initiatives malheureuses auraient pu laisser croire le contraire. En réalité, elle est un modèle éducatif qui ne se réduit pas à un mode d’accueil collectif comme les autres, ni à une classe de présélection pour l’enseignement élémentaire. Elle doit donc conserver sa pédagogie propre, de même qu’une certaine souplesse dans la prise en compte du rythme de vie de l’enfant ; cette liberté sera conservée.
En effet, d’un point de vue social, la proposition de loi rend obligatoire l’instruction. Elle ne remet nullement en cause la liberté de l’instruction et le libre choix des familles.