compte rendu intégral
PrÉsidence de M. Jean-Patrick courtois
vice-président
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt de documents
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat :
- en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant à la convention entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « Initiatives d’excellence en formations innovantes », publiée au Journal officiel du 26 septembre 2010 ;
- en application de l’article 46 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le rapport sur l’opportunité d’asseoir la taxe d’enlèvement des ordures ménagères sur la taxe d’habitation.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Le premier a été transmis à la commission des finances, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le second à la commission des finances et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
3
Débat sur la réforme portuaire
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme portuaire.
La parole est à M. Charles Revet, au nom de la commission de l’économie.
M. Charles Revet, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 6 juillet dernier, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire adoptait à l’unanimité le rapport du groupe de travail sur la réforme portuaire, que j’ai eu l’honneur de présider.
Ce vote unanime témoigne de la convergence de vues entre les sénateurs, toutes tendances politiques confondues, sur le sujet essentiel de la relance de nos ports. Je salue à cette occasion l’implication de mes collègues membres du groupe de travail : Mme Odette Herviaux, MM. Louis Nègre, René Vestri, Jean-Claude Merceron, Robert Navarro et Gérard Le Cam. Je voudrais également rendre hommage à M. Jean-Paul Emorine, ancien président de la commission au nom de laquelle je m’exprime, qui avait souhaité mettre en place ce groupe de travail, et à M. Daniel Raoul, nouveau président de cette commission, qui partage la même ambition pour le développement de nos ports.
Le groupe de travail s’était fixé comme objectif de dresser un premier bilan de l’application de la loi de 2008 – texte que je connais bien pour en avoir été le rapporteur au Sénat – trois ans après son adoption, puis de formuler des recommandations pour relancer nos ports à partir des exemples étrangers. Pour ce faire, nous avons effectué de nombreux déplacements en France, à Marseille, à Sète, au Havre, à Nantes-Saint-Nazaire, à Dunkerque, à Rouen ; nous sommes également allés à Hambourg, à Rotterdam, à Tanger et à Algesiras.
La philosophie de notre démarche était simple : nous avons réfléchi sur les structures, sans jamais tomber dans la facilité d’accuser tel ou tel responsable, pour décortiquer les causes objectives du déclin des ports français et trouver des remèdes.
Pourquoi parle-t-on de déclin des ports français ?
Il faut ici rappeler quelques faits cruels pour notre pays : le tonnage total du port de Rotterdam, champion européen avec 430 millions de tonnes, équivaut pratiquement au double de celui, cumulé, de nos sept grands ports maritimes ! Le port de Marseille, premier de France et de la Méditerranée, n’occupe plus que le cinquième rang en Europe pour son trafic global et ne figure qu’à la treizième place européenne pour les conteneurs. Quant au port du Havre, premier de France pour les conteneurs et porte d’entrée naturelle pour la région parisienne, il n’arrive qu’à la huitième place européenne, loin derrière les grands ports d’Europe du Nord, si bien que le trafic normand de conteneurs représente seulement le quart de celui d’Anvers ou de Hambourg et le cinquième de celui de Rotterdam.
Ce déclin est inacceptable, car la France dispose d’atouts remarquables. Elle possède la plus grande zone économique maritime au monde, juste après celle des États-Unis, quatre façades maritimes exceptionnelles, le plus long linéaire côtier d’Europe et des accès nautiques aisés. Enfin, les ports de Marseille et du Havre détiennent une position géographique, donc stratégique, sans équivalent à l’étranger.
La loi du 4 juillet 2008 avait précisément pour objet de mettre un terme à ce paradoxe français, véritable aberration économique, sociale et environnementale pour notre pays. Deux grands objectifs étaient visés.
Premièrement, il s'agissait d’unifier la chaîne de commandement pour la manutention et de mettre fin à la séparation entre la manutention dite « verticale » pour charger et décharger les navires, assurée par les portiqueurs et les grutiers, qui sont des salariés des établissements publics portuaires, et la manutention dite « horizontale », assurée par les dockers, qui sont des salariés des entreprises de manutention. Pour ce faire, il fallait vendre tous les outillages portuaires aux entreprises de manutention et transférer les quelque 1 000 salariés du public vers les entreprises de manutention.
Deuxièmement, il s’agissait de moderniser la gouvernance des ports, en créant notamment un directoire, un conseil de surveillance et un conseil de développement.
La loi de 2008 était ciblée, moderne et pragmatique.
Elle était ciblée, car elle ne visait que les sept ports autonomes – Dunkerque, Rouen, Le Havre, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Marseille-Fos –, devenus « grands ports maritimes ». Les ports décentralisés et les ports fluviaux étaient donc exclus du champ de la loi.
Elle était moderne, puisqu’elle unifiait justement la chaîne de commandement de la manutention et mettait fin à une singularité française en Europe.
Elle était pragmatique, enfin, parce qu’elle donnait la priorité à la négociation avec les entreprises pour la vente des outillages et avec les syndicats pour le transfert des personnels.
Quel bilan peut-on tirer de l’application de la loi ?
Schématiquement, le Gouvernement a pris rapidement les décrets d’application, ce qui n’est pas courant. Les difficultés se sont concentrées sur les négociations relatives au transfert du personnel.
M. Charles Revet. Un accord-cadre avait été conclu en octobre 2008, et il devait être décliné port par port pour régler les conventions de détachement de chaque salarié. Toutefois, les négociations ont été très tendues, à cause du doute sur la participation financière de l’État au dispositif et de la réforme des retraites qui s’est déroulée en parallèle.
Finalement, la nouvelle convention collective unifiée, les accords de pénibilité et les accords locaux de détachement ont été signés le même jour, le 15 avril 2011. Aujourd’hui, sur les 1 000 personnes concernées par cette évolution, environ 900 ont été effectivement transférées vers des entreprises privées, les autres ayant bénéficié du dispositif de cessation anticipée d’activité.
La loi votée il y a trois ans n’est donc effective que depuis juin dernier seulement. À l’évidence, il faudra des mois, voire des années, pour en ressentir tous les bienfaits. Pour autant, doit-on considérer que cette loi, aussi importante soit-elle, suffira à relancer nos ports ? Peut-on encore attendre, alors que nous avons déjà accumulé tant de retard ? Non, car les causes du déclin des ports français que nous avions identifiées en 2008 restent malheureusement d’actualité. Il n’existe pas une unique raison au déclin de nos ports, mais au moins quatre.
Premièrement, l’État stratège est faible. Le groupe de travail lui fait cinq reproches : il n’a pas mis en œuvre une politique ambitieuse d’investissements portuaires ; il s’est désengagé de ses obligations financières pour l’entretien des accès maritimes des ports ; il n’a pas allégé sa tutelle depuis 2008 ; il n’a toujours pas défini sa politique de dividendes ; surtout, il a failli dans l’organisation des dessertes des ports pour irriguer efficacement l’hinterland de ces derniers.
Deuxièmement, nos ports manquent de fiabilité. Ce problème est bien connu et ne doit pas être occulté, même s’il a concerné essentiellement les portiqueurs et les grutiers, et peu les dockers.
Troisièmement, les ports manquent d’ancrage sur les territoires. La nouvelle gouvernance était censée donner plus d’autonomie de décision. Manifestement, il n’en est rien et aucun projet important ne peut être engagé sans l’aval de l’État. Le statut des ports a changé, mais leur fonctionnement reste très sensiblement ce qu’il était avant la réforme.
Quatrièmement et enfin, la concurrence est faussée sur les places portuaires. Cette situation est peu connue de l’opinion publique, mais l’Autorité de la concurrence a récemment condamné des entreprises de manutention portuaire et des autorités portuaires pour entorse à la libre concurrence. Du reste, la Commission européenne vient d’ouvrir une enquête sur de possibles ententes illicites entre armateurs européens, dans sept pays de l’Union.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, les causes du déclin des ports sont nombreuses. Les forces d’inertie existent à tous les niveaux, et il revient au pouvoir politique de prendre des mesures volontaristes pour relancer les ports.
C’est pourquoi le groupe de travail s’est rendu à l’étranger pour prendre le pouls de la compétition internationale. Nous en avons tiré trois grands enseignements.
Premier enseignement, les autorités portuaires ont adopté une gouvernance entrepreneuriale, placée sous le contrôle des pouvoirs locaux plutôt que nationaux, même lorsque, comme en Espagne, l’État est propriétaire des ports.
Deuxième enseignement, l’heure est aux investissements à grande échelle et à l’aménagement du territoire au service d’une économie maritime forte. Pour ne prendre qu’un exemple, les investissements à Rotterdam s’élèvent à 3 milliards d’euros pour le projet Maasvlakte 2, qui consiste à gagner vingt kilomètres carrés sur la mer.
Troisième enseignement, les ports concurrents offrent des services complets et intégrés, du transbordement à la desserte rapide vers l’arrière-pays, avec des équipes commerciales particulièrement importantes et sans commune mesure avec celles de nos grands ports maritimes.
J’en viens maintenant aux quinze propositions du groupe de travail, qui s’articulent selon quatre grands axes.
Le premier consiste à élaborer pour nos ports une stratégie nationale, qui s’inspire de ce qui a manifestement fait la réussite des ports étrangers visités par nous, les deux mots maîtres étant « proximité » et « autonomie ».
Malgré l’engagement des hommes et des femmes que nous avons pu rencontrer dans les ports français, force est de constater que la lourdeur des processus de décision administrative bloque le développement de ces derniers ; j’insiste beaucoup sur ce point.
Nous proposons donc de décentraliser les ports grâce à une réforme à deux étages.
Le premier étage est la poursuite et l’extension aux grands ports maritimes du mouvement de décentralisation des ports amorcé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cette décentralisation s’opérerait au cas par cas, de manière pragmatique, et sans idéologie car elle ferait l’objet d’une concertation.
Il nous faut repenser le système de gouvernance. Bien entendu, l’État doit conserver une mission essentielle, mais il est indispensable de donner une place plus importante aux acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités ou des organismes économiques. Ceux-ci sont en effet directement concernés, au titre tant de l’aménagement du territoire que du développement économique et de l’emploi qui en découle. La nouvelle entité portuaire gestionnaire devrait avoir pleine compétence pour la stratégie de développement, la maîtrise d’ouvrage des travaux et le financement. C’est ce qui a été mis en place en Espagne, où les ports sont propriété de l’État mais fonctionnent de manière décentralisée.
L’État conserverait la mission de police portuaire, mais aussi celle de coordination entre les ports. La compensation financière de l’État serait garantie, tant pour le volet fonctionnement que pour le volet investissement, et indexée sur la dotation globale de décentralisation.
Le second étage du changement de gouvernance consiste à créer des conseils de coordination portuaire élargis et aux pouvoirs renforcés, dont relèveraient les grands ports maritimes décentralisés, les ports fluviaux pertinents, mais aussi les ports secondaires, ce qui constituerait une nouveauté par rapport au droit en vigueur. La mission de ces conseils élargis serait double : fixer les grandes orientations stratégiques portuaires et coordonner les investissements entre les ports. L’État aurait sa place dans les grands ports décentralisés et dans les conseils de coordination élargis, mais il ne détiendrait plus la majorité des voix.
Nous proposons également d’encourager les investissements portuaires en créant des sociétés de développement local, afin que les collectivités territoriales tirent un avantage financier de leur participation au projet des ports. En effet, ces participations se font aujourd’hui à fonds perdus, pour ainsi dire, sous forme de subventions publiques, ce qui n’incite pas les collectivités territoriales à s’intéresser au développement des ports.
Par ailleurs, il convient d’élaborer une stratégie nationale de coordination portuaire qui soit cohérente avec le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. L’Allemagne a ainsi, en 2008, établi une « feuille de route » et fixé des objectifs clairs à ses ports ; nous devons suivre cet exemple.
Le deuxième axe vise à donner à l’État un rôle de coordonnateur et de facilitateur.
Concrètement, les ports doivent avoir la maîtrise de leur politique foncière grâce à des schémas d’aménagement stratégique qui accordent au développement économique des ports le même degré de priorité qu’à la protection de la biodiversité. S’il nous faut bien sûr préserver les zones sensibles au regard de la faune et de la flore qu’elles abritent ou du caractère exceptionnel d’un site, nous devons également déterminer les espaces appropriés et indispensables au développement économique.
Sans doute est-il déjà possible, même sur un site protégé, de réaliser des projets de développement économique. Toutefois, la lourdeur des procédures qu’implique ce classement retarde souvent de plusieurs années la finalisation des projets, ce qui constitue un handicap majeur face à la concurrence à laquelle nos ports sont confrontés.
Il est urgent d’établir, pour l’ensemble des axes relevant du développement de nos grands ports maritimes, des schémas globaux, avec, en parallèle, un classement des espaces concernés. Nous disposons aujourd’hui de tous les éléments pour mener à bien ces opérations dans des délais contraints. Cela est plus qu’urgent, compte tenu du retard que nous avons accumulé par rapport à nos concurrents étrangers. Nous ne sommes plus à l’heure des études ou des colloques, mais à celle de l’action concrète. Il nous faut fixer des objectifs ambitieux, à l’image de ceux des autres ports européens, et nous donner les moyens de nos ambitions.
Nous souhaitons également que le recours aux procédures dérogatoires soit encouragé pour réaliser les projets des ports, de Réseau ferré de France et de Voies navigables de France. Je pense notamment à la procédure des projets d’intérêt général, qui a été retenue dans le cadre de la loi relative au Grand Paris.
Il est en outre nécessaire, monsieur le ministre, de modifier rapidement la réglementation des affaires maritimes, afin de permettre la desserte de Port 2000 par des barges fluviales. Nos règles sont trop complexes, plus sévères que celles qui s’appliquent en Belgique, et elles pénalisent notre transport fluvial.
Attribuer à l’État ce rôle de coordonnateur et de facilitateur implique de poursuivre la modernisation des services douaniers, en particulier en termes de communication. D’importants efforts ont été réalisés depuis 2007, notamment en matière de régime de la TVA à l’import. Cependant, ces efforts, qui doivent être approfondis, sont méconnus des entreprises, tant et si bien que l’OCDE recommande, dans un rapport récent consacré à la compétitivité des ports français, de « résoudre les obstacles à une échelle nationale, comme pour la perception de la TVA aux frontières qui pénalise les ports français par rapport aux ports belges et néerlandais ». Depuis 2004, les services douaniers ont pris des mesures qui vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas suffisamment connues de nos entreprises.
Le développement des entreprises de manutention et des zones logistiques doit également être encouragé, notamment par la création de zones franches douanières. Pour l’heure, il n’en existe qu’une seule dans notre pays, située à Bordeaux, or l’instauration de telles zones est très positive pour l’attractivité de nos ports. Je rappelle que les grands ports maritimes représentent aujourd’hui 225 000 emplois directs, indirects et induits, et que, si l’on réussissait à doubler le nombre de conteneurs traités en France – nous demeurerions alors très loin de ce qui se fait à l’étranger –, on créerait environ 30 000 emplois. Bien entendu, avec davantage d’ambition, nous pourrions espérer beaucoup plus.
Le troisième axe de réflexion du groupe de travail porte sur la nécessité de garantir une desserte de qualité de l’arrière-pays des ports par le fer, le fleuve et la route. C’est en effet actuellement l’un des gros points faibles de nos ports, alors même que, selon un adage bien connu, « la bataille de la mer se joue à terre ».
La mise en place d’une desserte de qualité passe par une meilleure représentation des opérateurs de transport ferroviaire, fluvial et routier dans les conseils de surveillance des ports, afin de favoriser le transport ferroviaire et fluvial et de mieux coordonner les investissements. Il faut à tout prix éviter de répéter « l’erreur historique » de Port 2000, projet qui a été conçu sans que soient pris en compte, en parallèle, les transports fluvial et ferroviaire. Ainsi, lorsque la première tranche de Port 2000 a été inaugurée par M. Perben, aucun train ni aucune barge ne pouvait y accéder directement. Pourtant, selon les techniciens, des aménagements simples et peu coûteux, tels que la création d’une chatière, permettraient un accès direct des barges au port toute l’année et par tout temps.
L’amélioration de la desserte de l’arrière-pays des ports passe aussi par une réforme radicale de la gestion des sillons ferroviaires, par la création systématique, dans chaque port, d’opérateurs ferroviaires de proximité, et par la mise en place rapide des corridors de fret ferroviaire européens, comme l’impose un règlement européen de septembre 2010.
Quant au transport fluvial, son renouveau implique d’autoriser la navigation en permanence sur le réseau magistral, notamment sur la Seine, et d’imposer un tarif unique pour les manutentionnaires portuaires, quel que soit le mode d’acheminement retenu pour les marchandises. Cette mutualisation des prix est en vigueur dans le nord de l’Europe, où elle rencontre un grand succès. Encore faut-il que les nouveaux contrats proposés par les ports avec les armateurs comprennent de telles clauses incitatives…
Il faut en outre encourager le développement des ports secondaires et des ports fluviaux, par une harmonisation fiscale et une réforme de la gouvernance et de la manutention, car ces ports sont indispensables pour relayer le développement des locomotives que sont les grands ports.
Le quatrième et dernier axe de nos réflexions a trait à l’amélioration du fonctionnement des ports.
Il faut créer dans chaque port une équipe de promotion commerciale dédiée à l’international et mieux anticiper les investissements futurs. À cet égard, je ne peux que regretter le retard pris par le Gouvernement dans l’élaboration du rapport sur les nouvelles installations portuaires en vallée de Seine que j’avais demandé lors de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris ; monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur ce point.
Il convient également de garantir une saine et loyale concurrence dans les ports, notamment ultramarins, par exemple en créant une entreprise privée à capitaux publics spécialisée dans la manutention des conteneurs et qui ne soit pas affiliée à un armateur en particulier. La concentration dans le domaine du transport maritime, qui conduit à ce que des opérateurs maîtrisent, au travers de filiales, les opérations de manutention, peut aboutir à dissuader certains armateurs de choisir nos ports pour faire accoster leurs navires. Là aussi, l’organisation mise en place dans certains ports étrangers mérite que l’on s’en inspire ; je pense notamment à HHLA pour le port de Hambourg.
Monsieur le ministre, la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a été une avancée incontestable, mais son application a montré ses limites. Tous, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, nous ne pouvons que constater l’immense retard pris par nos grands ports maritimes sur leurs concurrents étrangers. Il est inacceptable, je le répète, que nous soyons aujourd’hui les derniers, et de loin, alors que nous disposons du meilleur positionnement géographique, et donc stratégique, tant au nord qu’au sud de l’Europe. Il nous revient de savoir développer ces atouts en remédiant par la loi aux insuffisances ou aux incohérences que nous avons constatées.
Il y a urgence, car les autres grands ports investissent afin d’être prêts pour le redémarrage économique qui interviendra à un moment ou à un autre. Les grands opérateurs se positionnent en fonction des conditions d’accueil qui leur sont proposées. Dans cette perspective, nous devons apporter une réponse qui les incite à choisir les ports français, s'agissant tant du fonctionnement que des moyens disponibles pour l’acheminement. C’est dans cet esprit que nous avons rédigé notre rapport ; c’est dans cet esprit que nous avons élaboré les suggestions qui nous paraissent indispensables en vue d’engager la relance de nos ports. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens en préambule à me féliciter à mon tour de l’esprit dans lequel a été menée la réflexion du groupe de travail sur la réforme portuaire : son président, Charles Revet, a fait un excellent travail, grâce à son engagement et à sa liberté d’esprit.
Mes collègues Louis Nègre, René Vestri, Jean-Claude Merceron, Gérard Le Cam et Odette Herviaux ont tous eu une approche intelligente du dossier, que l’on ne peut que saluer : nous étions animés par le souci de la France, monsieur le ministre, et voulions accomplir un travail utile, propre à mettre un terme au déclin des ports français, qui n’est pas inéluctable.
Un sujet d’une telle importance mérite en effet que l’on fasse preuve de sérieux, car, derrière la question des ports, se cache celle de la place de la France dans le monde d’aujourd'hui. Être ou ne pas être une puissance dans le monde, tel est le dilemme que nous devons affronter. Dans cet esprit, les membres du groupe de travail ont souhaité se projeter dans l’avenir avec ambition.
J’ai une conviction personnelle : la situation des ports conditionne l’état de l’ensemble de notre économie ; ils en sont les poumons, les pivots, car leur rôle est central dans la vie de l’ensemble de nos filières industrielles, sachant que de 85 % à 90 % du commerce mondial se fait par la mer, et que l’Europe est l’une des premières destinations de ce trafic.
Face à la crise, et dans un contexte de montée du chômage, les ports sont une source de croissance et d’emplois inexploitée en France. Je ne comprends pas que, depuis des décennies, tous les gouvernements successifs aient négligé un tel atout pour enrichir notre pays et améliorer la situation de l’emploi.
Nous partageons tous un même constat.
Marseille, premier port de France, n’occupe plus que le cinquième rang à l’échelon européen pour son trafic global et ne figure qu’à la treizième place pour les conteneurs.
Le Havre, premier port français pour les conteneurs, n’arrive qu’au huitième rang européen, loin derrière les grands ports du continent, pour cette activité, qui est pourtant la plus stratégique, car créatrice d’emplois par effet d’entraînement sur l’implantation des entreprises.
Aujourd’hui, la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers. Ainsi, la moitié du million de conteneurs destinés chaque année à la région francilienne sont déchargés à Anvers, d’où ils arrivent par camion : c’est une absurdité économique et écologique totalement inacceptable.
Au-delà, c’est le déclin perpétuel de nos ports et de nos industries qui est inacceptable, car la France dispose d’atouts remarquables, comme l’a souligné Charles Revet.
Dans les analyses des raisons de ce déclin régulièrement présentées, le volet social est souvent l’arbre qui cache la forêt.
La première des causes du déclin, c’est la faiblesse de l’État stratège,…
M. René Garrec. Ça ne doit pas être la première…
M. Robert Navarro. … qui ne sait ni exploiter ni valoriser le potentiel de nos ports. Son manque d’engagement traduit son manque de vision stratégique : investissements, et pis entretien, font défaut depuis des décennies, sur fond de centralisation excessive. L’arrière-pays est également très insuffisamment irrigué, sur le plan tant fluvial que ferroviaire.
Organiser un Grenelle de l’environnement ne suffit pas ; il faut se donner les moyens de changer les choses ! Le manque d’ancrage sur les territoires constitue notre plus grande faiblesse par rapport à nos voisins européens. Depuis des années, nous attendons en vain la mise en place d’une nouvelle gouvernance dotant les ports de davantage d’autonomie. Aujourd’hui encore, aucun projet important ne peut être engagé sans l’aval de l’État.
Devant ce constat, notre groupe de travail a esquissé quinze propositions, consistant en mesures volontaristes pour « doper » nos ports maritimes et pour mettre à profit tout leur potentiel.
Ces mesures sont de deux types : les unes, d’ordre réglementaire et législatif, ont un coût nul ; les autres, d’ordre financier, comportent un volet « investissements » à la hauteur de l’enjeu.
Dans le secteur maritime plus encore que dans d’autres, les investissements reflètent notre vision d’une règle d’or dynamique et vertueuse, où dette et déficits n’affectent pas les dépenses d’avenir, les investissements porteurs de richesses futures.
Pour appuyer ces propositions, je ferai appel à mon expérience d’élu local, de vice-président chargé des transports d’une région à vocation profondément maritime, le Languedoc-Roussillon.
Pour la gouvernance des ports, comme dans bien d’autres secteurs, l’État doit donner la priorité aux collectivités territoriales. Nous devons modifier immédiatement le statut des grands ports maritimes afin de donner plus de poids aux collectivités territoriales concernées par le développement portuaire.
La France reste ce qu’elle est historiquement : un pays trop centralisé. Or, on le constate jour après jour, Paris a échoué à développer les ports.
Engager une véritable décentralisation des ports, à l’instar de ce que font nos voisins en Europe, est une solution : les autorités portuaires pourraient prendre la forme d’un établissement portuaire local ou d’un syndicat mixte, selon le choix des collectivités territoriales. Surtout, celles-ci doivent avoir un intérêt à investir dans les infrastructures portuaires : elles doivent profiter financièrement de leurs investissements.
Bien sûr, nous n’échapperons pas à la question des financements. Nous sommes les héritiers de décennies d’abandon. Une stratégie ambitieuse doit reposer sur un doublement – au minimum – des moyens et suppose que les investissements dans le ferroviaire et le fluvial soient en cohérence avec le développement maritime.
Or, monsieur le ministre, les contributions de l’État aux investissements portuaires dans le cadre du SNIT manquent cruellement d’ambition. Alors que le coût total des principaux projets de développement portuaire représente près de 3 milliards d’euros, la participation de l’État ne s’élèvera qu’à environ 400 millions d’euros, soit moins de 2 % de l’enveloppe globale consacrée aux nouvelles infrastructures, le solde provenant des régions et des autres collectivités territoriales ! Malgré le Grenelle de l’environnement, le gouvernement actuel privilégie donc toujours le « tout-routier »…
Pis, l’État n’a jamais remboursé l’intégralité des dépenses d’entretien et d’exploitation des accès maritimes – chenaux, écluses, dragages –, alors qu’il s’agit d’une obligation légale. Les sommes en jeu sont considérables !
Oui, les membres du groupe de travail plaident pour que les collectivités territoriales aient davantage de responsabilités dans le développement des ports, mais, bien sûr, ils n’en souhaitent pas moins que l’État paye ses dettes, compense ses manquements et ses errements !
En conclusion, j’insisterai sur deux points.
D’une part, un port doit être au service de son pays, car il n’est pas une fin en soi : cet équipement ne doit pas être refermé sur lui-même. Un port est un outil d’aménagement qui doit être ouvert sur les territoires et les entreprises, et contribuer au développement économique.
D’autre part, le déclassement des ports français n’est pas une fatalité : l’heure est à la mobilisation de tous pour que nos ports regagnent les parts de marché perdues. La Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne ont compris l’intérêt stratégique, pour ne pas dire vital, que représentent les ports pour l’économie : notre action doit être à la hauteur du potentiel que la géographie nous a offert.
Je fais ici un rêve – accessible –, celui d’une ambition pour les ports français : Marseille doit devenir dans dix ans le premier port méditerranéen pour les conteneurs et Le Havre doit concurrencer Anvers. Si nous gagnons ce pari, nous aurons fait œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)