Mme Nicole Bricq. Comme toujours !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous examinons donc un texte de 62 articles.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous avez pu le constater, la commission des finances n’a pas souhaité que des sujets réglés dans la loi de finances soient « recyclés », six mois après, dans le collectif budgétaire ; d’où les amendements de suppression qu’elle a déposés. Le collectif budgétaire n’est pas un outil pour remettre en cause ce qui a été négocié avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale, puis déterminé en commission mixte paritaire.
Nous reviendrons, lors de la discussion des amendements, sur les divers sujets qui se présentent. Mais soyez assurés que nous poursuivrons notre travail de suivi attentif de la réforme de la taxe professionnelle. Ainsi subsiste-t-il encore quelques scories, que nous allons corriger ; je pense en particulier aux effets indésirables ou pervers résultant du financement par la fiscalité de certains syndicats intercommunaux.
M. le président. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président du Sénat, il nous est en effet arrivé, aux uns et aux autres, de rencontrer sur nos territoires des situations assez absurdes auxquelles il convient manifestement de mettre fin,…
M. le président. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … et ce dans le respect du principe de la réforme ; puisque celle-ci doit se faire à droit constant, il n’y a aucune espèce de raison que des petites et moyennes entreprises ou des artisans subissent des prélèvements disproportionnés du fait d’une erreur technique ou d’un oubli.
J’aborderai ensuite les aspects relatifs au solde budgétaire.
Ce dernier a été détérioré à l’Assemblée nationale, notamment après la prise en compte de la garantie apportée par l’État, qui doit nécessairement jouer, à la société Thales. Cette garantie fait suite au règlement de la « vieille » affaire des frégates de Taïwan et induit donc une dépense supplémentaire de 460 millions d'euros, qu’il n’a pas été possible, vous le savez bien, monsieur le ministre du budget, de gager dans le présent collectif, son inscription n’ayant eu lieu que très peu de jours après la survenance de la décision arbitrale définitive. D’ici au projet de loi de finances rectificative de fin d’année, il faudra nécessairement, dans le respect de la programmation budgétaire, compenser ce surcoût.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous allons dans quelques jours examiner un autre collectif. Chère madame la présidente de la commission des affaires sociales, c’est naturellement votre commission qui le rapportera, puisqu’il s’agit du collectif social, du PLFRSS, comme on peut l’appeler élégamment, en d’autres termes du texte censé donner naissance à une prime pour le partage de la valeur ajoutée.
Sans me prononcer sur le fond, j’observerai malgré tout, car cela relève de notre compétence commune, que, pour les finances publiques dans leur ensemble, ce texte va se traduire par un petit déficit en 2011, de 20 millions d'euros.
Mme Nicole Bricq. Mais par un gros, par un très gros en 2012 !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Comme vous le dites très justement, chère collègue, il faut surtout souligner que le solde négatif atteindra 305 millions d'euros en 2012 pour se stabiliser, à terme, à un niveau oscillant entre 350 millions d'euros et 400 millions d'euros.
M. René-Pierre Signé. Cela vous inquiète ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un sujet qui nous soucie en effet. Cependant, je ne préjugerai pas la tournure des débats que nous aurons sur ce collectif social, car il y a certainement bien d’autres considérations à évoquer. Permettez-moi tout de même de souligner que, du point de vue des finances publiques, ce n’est pas une bonne nouvelle.
Mme Nicole Bricq. C’est un mauvais coup !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous veillerons naturellement à l’impact du PLFR et de ce collectif social sur la trajectoire pluriannuelle des finances publiques. Nous essaierons peut-être d’imaginer comment les choses fonctionneraient si la révision constitutionnelle aboutissait et que le Conseil constitutionnel avait à exercer son contrôle de conformité des lois financières par rapport aux lois-cadres d’équilibre des finances publiques.
J’en viens, pour terminer, au troisième aspect du projet de loi de finances rectificative, à savoir la réforme de la fiscalité du patrimoine.
En réalité, j’aurai peu à en dire, monsieur le ministre du budget, car la majorité de la commission des finances souscrit aux propositions que vous nous faites, en particulier telles qu’elles ont été modifiées par l’Assemblée nationale.
Voilà une réforme équilibrée, une bonne réforme qui succède à plusieurs mois de travaux préparatoires, même si ce n’est pas l’aboutissement de la grande stratégie fiscale, laquelle verra peut-être le jour…
Néanmoins, agir modestement pour faire sortir d’un impôt si critiqué…
M. François Marc. Par quelques-uns !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … entre 300 000 et 350 000 foyers fiscaux, pour enlever tout souci à 50 000 foyers supplémentaires, peut-être même à 100 000, qui n’auront plus à se préoccuper de savoir s’il leur faut ou non remplir une déclaration et évaluer la valeur de leur appartement, est-ce une aussi petite réforme que cela ? La question mérite d’être posée quand autant de personnes sont concernées et qu’il s’agit de traiter d’un sujet qui a été une antienne reprise de manière lancinante au cours de l'examen de tous nos projets de loi de finances depuis tant d’années.
Mme Marie-France Beaufils. Antienne bien entretenue !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bien entendu, la suppression du bouclier fiscal apparaît comme une évidence.
M. René-Pierre Signé. Vous avez été long à comprendre !
M. François Marc. Ce n’est pas fini !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Chers collègues, j’espère que vous souscrirez à cette réforme puisqu’elle vous semble, comme à moi-même, évidente !
M. René-Pierre Signé. Elle est insuffisante !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je rappellerai simplement que cette réforme se situe bien dans le champ, et le seul champ, de la détention et de la transmission du patrimoine. Elle n’a pas lieu d’interférer, à ce stade, sur la fiscalité des revenus, pas plus que sur la fiscalité immobilière et des plus-values, n’est-ce pas, monsieur le ministre du budget ? (M. le ministre sourit.)
La réforme est effectivement bien délimitée, bien canalisée, et nous veillerons à ce qu’elle soit équilibrée. Nous aurons des questions à poser et, d’ailleurs, des compléments à apporter pour que l’équilibre soit, si j’ose dire, un peu plus « confortable » que celui qui nous paraît ressortir de la version nous parvenant de l’Assemblée nationale.
En définitive, quels sont les gagnants et les perdants immédiats de la réforme ?
Les premiers, ce sont les contribuables de la première tranche de l’ISF, qui est supprimée. Ce sont celles et ceux qui remettront une déclaration à la fin du mois de septembre au lieu du 15 juin, qui pourront déclarer leur patrimoine de manière simplifiée, alors que, jusque-là, l’exercice pouvait être perçu comme inquisitorial et très aléatoire.
Les seconds, ce sont les bénéficiaires du bouclier fiscal, qui est également supprimé.
Certes, entre les uns et les autres, il peut y avoir des situations diversifiées : les mesures de financement figurant dans le domaine des successions et des donations, selon les événements de la vie et les choix individuels, on pourra en effet, à un moment donné, être plus ou moins gagnant ou plus ou moins perdant.
En tout état de cause, la réforme présente au moins trois mérites.
Tout d’abord, elle est conforme à une certaine cohérence économique. Les taux de l’ISF étaient en effet, jusqu’à présent, sans aucun rapport justifiable avec le rendement des actifs financiers et des patrimoines. La simplification de l’échelle des taux est assurément une bonne chose.
Ensuite, elle a le mérite de s’autofinancer.
Enfin, elle maintient une mesure de justice, prévue dans la loi de 2007, à laquelle nous étions très attachés : celle qui fait bénéficier les conjoints survivants, dans certaines limites, d’une exonération des droits de succession. Cette mesure, familiale et humaine, devait absolument être sauvegardée.
L’Assemblée nationale a accéléré l’autoliquidation obligatoire, et donc la disparition, du bouclier fiscal. Elle a modifié certaines mesures portant sur les donations et a procédé, très opportunément, à une augmentation du droit de partage.
Certains chiffrages mériteraient sans doute d’être affinés. Nous nous astreindrons à préserver la cohérence et l’équilibre budgétaire de la réforme. J’espère, mes chers collègues, que vous n’en voudrez pas trop à la commission des finances de rester vigilante sur ce point ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, corapporteur pour avis.
Mme Marie-Thérèse Hermange, corapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 22 du projet de loi de finances rectificative confie à l’ONIAM la mission de faciliter l’indemnisation des personnes ayant subi un dommage fonctionnel du fait du benfluorex. Ce système, simple mais inusité, trouve sa justification dans la crise sanitaire connue sous le nom d’« affaire du Mediator ».
Le benfluorex est le nom de la molécule commercialisée par les laboratoires Servier. Ceux-ci ont obtenu, en 1974, une autorisation de mise sur le marché, ou AMM, dans l’indication d’« adjuvant d’un régime adapté dans les hypertriglycéridémies ou dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ». Le Mediator a été commercialisé sur cette base jusqu’en 2007, date à laquelle l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a supprimé l’indication pour les hypertriglycéridémies. L’AMM a cependant été renouvelée pour le diabète jusqu’en 2009.
Le nombre total de personnes à qui l’on a prescrit le médicament n’est pas connu avec certitude ; la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, l’estime à environ 5 millions de personnes, dont plus de la moitié l’auraient pris pendant trois ans. Ce sont 300 000 personnes qui auraient été exposées, chaque année, au Mediator.
En 1999, apparaissent les premiers signalements de pharmacovigilance concernant spécifiquement ce médicament : un cas de valvulopathie aortique, puis un cas d’hypertension artérielle pulmonaire. En 2003, les laboratoires Servier retirent spontanément le médicament du marché espagnol ; en 2004, il est retiré en Italie, mais maintenu dans les préparations magistrales.
En France, il faudra pourtant attendre encore quatre ans pour que la commission d’AMM décide, en novembre 2009, la suspension temporaire de l’autorisation.
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
Mme Marie-Thérèse Hermange, corapporteur pour avis. Elle devient définitive le 10 juillet 2010, alors que la France avait retiré en 1995 le benfluorex des préparations magistrales. Nous avons adopté la démarche inverse de celle de l’Italie.
La question que se posent naturellement nos concitoyens est la suivante : pourquoi le Mediator n’a-t-il pas été retiré plus tôt du marché ?
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
Mme Marie-Thérèse Hermange, corapporteur pour avis. Ce retard apparaît d’autant plus regrettable que le service médical rendu était faible.
Cette question revêt deux aspects, l’un judiciaire, l’autre politique. Il s’agit en effet de déterminer si les laboratoires Servier ont volontairement caché aux autorités sanitaires la nature du benfluorex, comme le soutiennent l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et la CNAM, qui a engagé une action pénale à son encontre. Dans le même temps, cette affaire met en cause la manière dont est gérée la sécurité sanitaire dans notre pays, et plus spécifiquement notre système de pharmacovigilance. Aucun de ces deux aspects n’a vocation à être traité dans le cadre de ce projet de loi : il appartiendra au juge de trancher le premier ; sur le second, le Sénat a créé une mission d’information qui rendra son rapport à la fin du mois.
Comme vient de le souligner le ministre chargé de la santé, il s’agit aujourd’hui d’assurer aux personnes ayant subi un dommage du fait du benfluorex l’accès le plus rapide à l’indemnisation.
Malgré les nombreux points en discussion, notamment une querelle peut-être mal venue sur le nombre de décès, il existe un fait sur lequel tous s’accordent désormais : le Mediator a pu causer des valvulopathies et des hypertensions artérielles pulmonaires, maladies graves et souvent mortelles.
En janvier dernier, les laboratoires Servier ont reconnu ce risque et se sont déclarés « prêts à participer à la mise en œuvre d’un fonds d’indemnisation [...] dans le cadre de la législation en vigueur et selon des modalités permettant une indemnisation rapide et juste ». La Cour de cassation a alors pris contact avec ses responsables. Toutefois, le 7 avril, le ministre et les associations de patients ont jugé inacceptable leur dernière proposition concernant les conditions d’accès au fonds, car elle maintenait une indemnisation partielle ne permettant pas de couvrir l’ensemble des préjudices. C’est à la suite de cet échec que le Gouvernement a décidé d’élaborer le dispositif qui nous est soumis.
La mission consistant à établir le préjudice et à faire une proposition d’indemnisation aux victimes incombera, en application de cet article, à l’ONIAM. Il s’agit d’une nouvelle évolution du rôle de cet organisme qui avait été conçu, à l’origine, pour que la solidarité nationale garantisse l’indemnisation des victimes d’un « aléa thérapeutique », c’est-à-dire les personnes ayant subi un dommage dont le risque lié aux soins prodigués était connu, mais très peu probable.
Concrètement, comment le mécanisme d’indemnisation prévu à l’article 22 est-il appelé à fonctionner ?
Tout d’abord, qui aura accès au dispositif ? Il s’agit de toute personne ayant pris du Mediator et souffrant d’un déficit fonctionnel, c’est-à-dire d’une atteinte physique. Une personne qui aurait pris du Mediator, mais qui ne présenterait aucun symptôme physique, ne pourrait pas obtenir réparation via l’ONIAM.
Les personnes ayant déjà introduit un recours en justice ou devant les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux pourront choisir de saisir l’ONIAM au titre de cette nouvelle procédure. Ce mécanisme étant spécifique, rapide et gratuit, elles auront tout intérêt à le faire.
Ensuite, comment les dossiers seront-ils instruits ?
Un groupe d’experts chargé de l’étude des dossiers sera constitué au sein de l’ONIAM. Il comprendra une personnalité désignée par les laboratoires Servier, une autre par le Conseil national de l’ordre des médecins, et une autre encore par les associations de patients agréées. L’Assemblée nationale a apporté une importante modification au texte en précisant que ce collège serait présidé par un magistrat. Les experts se prononceront, dans les six mois, sur l’imputabilité médicale du déficit fonctionnel et sur l’ampleur du dommage subi. Ils émettront également un avis sur la responsabilité des personnes que le demandeur aura désignées au moment de déposer son dossier. C’est donc bien la responsabilité qui fonde l’obligation d’indemnisation ; nous reviendrons ultérieurement sur ce point, que contestent les laboratoires Servier.
Le responsable aura trois mois pour chiffrer l’indemnité proposée. Trois possibilités s’ouvriront alors.
Premièrement, l’offre est acceptée par la victime, qui renonce ainsi à toute autre indemnisation du fait des mêmes préjudices.
Deuxièmement, la victime juge l’offre anormalement basse, la refuse et engage une procédure judiciaire. Si le juge confirme cette appréciation, il pourra condamner le responsable à payer la réparation intégrale et ajouter une pénalité maximale de 30 %, qui sera versée à l’ONIAM.
Troisièmement, le responsable refuse de faire une offre dans les délais prévus. C’est alors l’ONIAM qui fera une offre à la victime. Si celle-ci l’accepte, l’Office sera subrogé dans ses droits et pourra se retourner contre tous ceux qu’il estime responsables. Ici encore, le juge pourra majorer les sommes dues d’une pénalité allant jusqu’à 30 % ; son montant aura partiellement pour but de compenser les frais engagés par l’ONIAM.
Afin de permettre à l’ONIAM de financer les indemnisations qu’il proposera, l’article 10 du projet de loi de finances rectificative prévoit d’abonder son budget pour 2011 de 5 millions d’euros. Des postes supplémentaires seront également ouverts pour lui permettre de traiter les dossiers.
Les laboratoires Servier, je l’ai dit, contestent le fait que le collège d’experts émette un avis sur la responsabilité des personnes mises en cause par la victime. Cependant, il est difficile d’imaginer quel pourrait être le fondement de l’obligation d’indemnisation si aucun responsable n’était désigné. On ne pourrait alors faire appel qu’à la solidarité nationale, ou à l’altruisme... Il paraît donc nécessaire que l’indemnisation soit à la charge d’une personne reconnue comme responsable du dommage.
Les laboratoires Servier seront vraisemblablement mis en cause dans tous les dossiers. Je tiens toutefois à préciser qu’une personne, ou une institution privée ou publique, qui se voit imputer un dommage a toujours la possibilité de se retourner contre tous ceux qu’elle estime en être responsables, en tout ou partie. Ce sont les actions intentées par les laboratoires contre l’État et les médecins qui permettront alors au juge de déterminer les responsabilités finales et, éventuellement, les remboursements dus aux laboratoires par les autres acteurs de santé et par l’État.
Ce dispositif a paru équilibré, dans son ensemble, aux membres de la commission des affaires sociales. Ils ont néanmoins considéré que nous ne pouvions faire l’économie d’une réflexion sur l’avenir des fonds du type de celui mis en place pour le Mediator. Si nous créons un nouveau dispositif législatif à chaque fois qu’une nouvelle affaire sanitaire éclate, nous risquons de juxtaposer les textes sans assurer leur cohérence. La commission souhaite donc obtenir du Gouvernement un rapport étudiant les conditions financières de la mise en place d’un fonds pérenne destiné à l’indemnisation des préjudices subis du fait des médicaments.
Sous réserve de cet amendement, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 22 du projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini, corapporteur pour avis.
Mme Muguette Dini, corapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre commission s’est saisie pour avis de l’article 8 du projet de loi de finances rectificative, car, outre qu’il porte sur une question relevant de notre champ de compétence, il traite d’un thème qui nous est cher, celui du développement de l’apprentissage et de l’alternance.
C’est un sujet dont nous reparlerons d’ailleurs prochainement lorsque nous examinerons la proposition de loi pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, dont cet article 8 faisait initialement partie. À cet égard, je vous prie d’excuser l’absence de Sylvie Desmarescaux, corapporteur pour avis du présent projet de loi et rapporteur de la proposition de loi que je viens d’évoquer, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui. Elle sera bien évidemment présente lorsqu’il s’agira de défendre le texte qu’elle rapporte au fond.
J’en reviens au problème de l’insertion professionnelle des jeunes.
Avec un taux de chômage au niveau intolérable de 21,4 % à la fin de 2010, il est devenu urgent d’actionner tous les leviers permettant d’assurer leur entrée rapide et durable sur le marché du travail.
La mesure présentée ici traduit les engagements du Président de la République, annoncés dans son discours du 1er mars 2011 à Bobigny. Avec comme objectif de porter à 800 000 le nombre de jeunes suivant une formation en alternance d’ici à 2015, contre 600 000 aujourd’hui, il a invité le Gouvernement à agir de manière volontariste en faveur de l’alternance.
Cet article comporte deux mesures. La première, d’ordre technique, consiste à transformer le Fonds national de développement et de modernisation de l’apprentissage, le FNDMA, en un compte d’affectation spéciale. La seconde, à visée incitative, consiste à renforcer les obligations pesant sur les employeurs en matière d’embauche d’alternants. Elle instaure, sur la base de la contribution supplémentaire à l’apprentissage, un système d’incitation fiscale de bonus-malus récompensant les comportements vertueux et sanctionnant ceux qui le sont moins.
La création d’un compte d’affectation spéciale constitue une avancée notable qu’il convient de saluer, car elle permettra de sanctuariser les moyens aujourd’hui consacrés au FNDMA.
Je vais laisser les questions de technique budgétaire au président et au rapporteur général de la commission des finances, mais nous savons qu’un compte d’affectation spéciale est le seul moyen, en droit budgétaire, d’affecter directement une recette à une dépense. Or les recettes du FNDMA provenant essentiellement de la taxe d’apprentissage, il ne me semble pas illégitime qu’elles soient affectées au financement des centres de formation d’apprentis et des actions en faveur des apprentis, d’autant que le système de bonus-malus devrait permettre une augmentation des moyens financiers disponibles chaque année.
Enfin, et ce n’est pas le moindre de ses avantages, l’information du Parlement sur les dépenses et recettes de ce compte s’en trouvera améliorée, puisqu’un projet annuel de performance et un rapport annuel de performance seront publiés à l’occasion de la présentation du budget.
Je m’attarderai davantage sur la seconde partie de l’article 8, qui traite de la réforme de la contribution supplémentaire à l’apprentissage.
L’article 8 instaure un système de bonus-malus afin de mieux calibrer la sanction applicable aux entreprises de plus de 250 salariés qui ne respectent pas le quota d’apprentis imposé par la loi : les entreprises réfractaires paieront davantage, tandis que celles qui emploient beaucoup d’alternants percevront un bonus. Cette réforme prévoit donc, d’une part, de porter de 3 % à 4 % le quota de salariés en alternance qu’une entreprise doit respecter pour ne pas être redevable de la contribution et, d’autre part, de moduler le barème de la taxe en fonction de l’écart par rapport à l’objectif, ce qui rompt avec le taux uniforme actuel.
Cette mesure de justice et d’équité enverra un signal positif aux employeurs : les entreprises qui ne feront aucun effort en matière d’alternance paieront désormais six fois plus que celles qui se rapprocheront du quota. La commission des affaires sociales y est donc favorable. Toutefois, elle a émis trois réserves.
Elle déplore tout d'abord que les modalités de mise en œuvre du bonus, et notamment son montant, ne soient pas définies par le projet de loi, mais renvoyées à un décret. Il conviendra de s’assurer que le financement du bonus ne se fera pas au détriment d’actions plus structurelles en faveur de l’apprentissage, comme les conventions d’objectifs et de moyens que l’État est en train de conclure avec les régions.
Elle regrette ensuite que la budgétisation du financement de l’alternance demeure inachevée. En effet, les crédits affectés à ce secteur proviennent de sources multiples et sont partagés entre différents postes budgétaires, ce qui nuit tant à la lisibilité de l’action publique qu’à l’évaluation de la politique en faveur de l’alternance. La question du périmètre budgétaire mériterait donc d’être reposée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012.
La commission des affaires sociales tient enfin à rappeler que, par l’accord national interprofessionnel sur l’accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, conclu le 7 juin dernier, les partenaires sociaux ont demandé au législateur d’apporter des modifications au système de bonus-malus. Ils proposent de lui substituer un régime reposant sur la fixation d’un objectif de progression du nombre de contrats en alternance à l’échelle de la branche. Or cela conduirait à exonérer de la contribution supplémentaire à l’apprentissage les entreprises peu vertueuses, mais qui appartiennent à une branche professionnelle qui l’est globalement. Dès lors, ne peut-on craindre un affaiblissement du dispositif proposé par le Gouvernement, qui combine, de manière équilibrée, incitation et sanction financières ?
Quoi qu’il en soit, l’article 8 a le mérite de relancer le débat sur le rôle de l’alternance dans l’accès des jeunes et des demandeurs d’emploi au marché du travail ainsi que sur les moyens à lui accorder. C’est la raison pour laquelle notre commission est favorable à son adoption.
Ce sujet ayant été étudié de manière plus approfondie par notre collègue Sylvie Desmarescaux, j’aborderai maintenant l’aspect auquel je me suis plus spécialement intéressée.
Au cours des débats, un article 18 bis a été ajouté au projet de loi par l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement. Cet article concerne la tarification, par les hôpitaux, des dépenses relatives à des patients couverts par l’aide médicale d’État, l’AME ; il entre donc pleinement dans le champ de compétence de la commission des affaires sociales, et c'est pourquoi celle-ci a souhaité s’en saisir.
Je décrirai brièvement l’objet de l’article 18 bis nouveau.
La mise en place de la tarification à l’activité, la fameuse T2A, a été progressive et s’est accompagnée d’une période transitoire en ce qui concerne les modalités selon lesquelles les hôpitaux facturent leurs dépenses à l’assurance maladie. De fait, les hôpitaux ont pu continuer à facturer les dépenses relatives aux patients couverts par l’AME sur la base d’une ancienne tarification, qui varie selon les établissements et que ceux-ci fixent en s’appuyant sur des critères différents de ceux à partir desquels sont établis les tarifs de la T2A. Or ce système a malheureusement perduré, de sorte que les hôpitaux facturent aujourd’hui un tarif différent selon que le patient est couvert ou non par un régime d’assurance maladie. C’est d’ailleurs ce mécanisme artificiel qui explique en grande partie l’augmentation du coût de l’AME pour l’État.
Cette absence de transparence et cette hétérogénéité entre établissements avaient conduit notre commission, sur l’initiative de son rapporteur général, Alain Vasselle, à déposer un amendement d’appel lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Notre collègue estimait en effet, à juste titre, que la mise en place de la T2A devait au contraire conduire à une convergence des tarifs, quitte à ce que des dotations forfaitaires compensent un certain nombre de situations. Au reste, depuis deux ans et demi, une dotation incluse dans l’enveloppe des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation, les MIGAC, est précisément affectée à la prise en charge des patients en situation de précarité.
L’article 18 bis vise à aligner les tarifs. Il correspond donc à ce que nous avions préconisé l’an dernier. Pour autant, il demeure insatisfaisant dans la mesure où le passage à la facturation normale ne s’accompagne d’aucun délai ni d’aucune compensation. Or la différence entre les deux tarifs est estimée à environ 130 millions d’euros par an. Qui plus est, cette somme sera concentrée sur les quelques hôpitaux qui accueillent le plus de patients couverts par l’AME. Ainsi, la suppression de la tarification dérogatoire coûterait environ 46 millions d’euros à la seule Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP, ce qui augmenterait mécaniquement son déficit de 50 % sans qu’elle ait aucun moyen de s’adapter.
La commission des affaires sociales estime que l’unification de la tarification constitue une mesure de transparence et d’équité, mais qu’elle doit être accompagnée d’une augmentation de l’enveloppe des MIGAC pour les établissements concernés, et assortie d’une période de transition. C'est pourquoi notre commission a déposé l’amendement n° 43, qui vise à reporter au 1er mars 2012 l’entrée en vigueur de cette mesure, le 1er mars étant la date habituelle de renouvellement de la tarification hospitalière. Ce délai permettra de conserver le principe de l’unification de la tarification, tout en nous donnant le temps d’élaborer un mécanisme de financement, à la fois équilibré et satisfaisant pour tous, que nous examinerons lors du débat sur le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je souhaite enfin dire un mot de l’article 20, qui, en un sens, relève également du champ de compétence de la commission des affaires sociales.
Cet article crée une contribution pour l’aide juridique d’un montant de 35 euros, perçue pour toute instance introduite devant une juridiction administrative ou devant une juridiction judiciaire en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale. Son champ d’application est donc extrêmement large.
Or, au vu des auditions que nous avons organisées ces derniers jours, je ne suis pas certaine que cette mesure convienne à toutes les situations. Dans le champ prud’homal ou social, par exemple, le public concerné est particulièrement vulnérable ; dès lors, conditionner l’accès à la justice au paiement de ces 35 euros, sauf pour les personnes bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, est manifestement inadapté dans de nombreux cas. Nous en reparlerons à l’occasion de l’examen des amendements. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)