Conseillers territoriaux
Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.
Nous en sommes parvenus à l’examen des motions.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 10.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, fixant le nombre de conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région (n° 552, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-François Voguet, pour la motion.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objectif annoncé de la réforme des collectivités territoriales était la simplification du prétendu « millefeuille territorial » ; en fait, vous n’avez fait que rajouter plusieurs couches, rendant encore plus illisible l’organisation décentralisée de notre République !
Somme toute, ce n’est guère étonnant, puisque cette réforme n’est qu’une vaste opération de restructuration des compétences des collectivités territoriales visant à neutraliser leur pouvoir d’action.
Un coup d’arrêt a d’abord été porté à l’intervention publique locale par le biais de la fiscalité, avec la suppression de la taxe professionnelle, alors que les collectivités territoriales n’étaient déjà autonomes qu’à hauteur de 50 % environ de leurs ressources.
Et ce premier élan a ensuite été complété par cette réorganisation territoriale contraignante et autoritaire, introduite par la loi adoptée le 16 décembre 2010, dont l’objectif premier était, et reste toujours, la réduction de la dépense publique et des services publics locaux.
Une telle réforme, votée à une très courte majorité par notre Haute Assemblée, a été élaborée « à la va-vite », tout comme le tableau, introduit au matin à deux heures via un amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale, sans aucune concertation préalable en commission.
Pourtant, dans une décision du 25 juin 2009, le Conseil constitutionnel a rappelé que « les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » s’appliquaient « aux travaux des commissions ». Il faut donc considérer que ce principe s’applique a fortiori lorsque la procédure accélérée est engagée.
L’évocation du débat à l’Assemblée nationale nous offre l’occasion de rappeler que, aux termes de l’article 39 de la Constitution, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales doivent être soumis en premier lieu au Sénat.
Sur ce point, monsieur le ministre, vous avez répondu aux députés que le présent projet de loi avait « pour objet principal de « fixer le nombre de circonscriptions d’élections du nouveau conseiller territorial et non de fixer l’organisation du conseil général ou du conseil régional ». Sauf à considérer que nous sommes peu au fait des questions locales, nous savons tous ici qu’une telle nuance n’existe pas ; vous l’avez inventée.
Ainsi, nous sommes aujourd’hui réunis pour apporter un correctif exclusivement numérique au séisme que vous avez provoqué en vertu d’une posture idéologique et partisane visant à tailler une carte électorale sur mesure pour l’UMP !
Le Conseil constitutionnel, dont tout le monde connaît le mode de désignation des membres, n’a pas retenu les nombreux griefs invoqués dans le recours qui lui a été présenté. Et pourtant… Le seul qui ait été retenu, et qui vous a valu une censure, n’a même pas fait l’objet d’une véritable rectification dans le tableau que vous nous présentez aujourd’hui.
M. Jean-François Voguet. En effet, force est de constater qu’il subsiste encore une importante rupture d’égalité devant le suffrage. Les réalités démographiques ne sont pas plus prises en compte ici que dans le tableau de répartition qui nous avait été soumis pour simple validation, et ce au mépris du travail parlementaire, lors de l’examen de la réforme.
Par exemple, avec cette répartition, le département du Val-de-Marne perd quatorze cantons et n’aura plus que trente-cinq conseillers territoriaux. Dans le même temps, le Bas-Rhin, département que vous connaissez bien, monsieur le ministre, aura quarante-trois conseillers territoriaux, alors qu’il a 30 % d’habitants de moins que le Val-de-Marne.
Nous nous garderons d’énumérer l’ensemble des territoires où il existe encore de fortes disparités et des inégalités flagrantes qui demeurent dans ces opérations arithmétiques où personne ne trouve son compte ; la liste serait bien trop longue…
Depuis 1985, par deux décisions relatives à l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel s’est engagé dans le contrôle du découpage des circonscriptions électorales fondé sur le principe d’égalité du suffrage.
Il exerce son contrôle au regard du principe constitutionnel d’égalité en se fondant sur plusieurs dispositions du bloc de constitutionnalité, à savoir l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la loi « doit être la même pour tous », l’article 1er de la Constitution, qui énonce que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens » et, enfin, l’article 3 de la Constitution, aux termes duquel le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».
Le Conseil constitutionnel considère que la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée en respectant le principe d’égale représentation des populations de chacune des circonscriptions, sans pour autant – nous le savons – être astreinte à une stricte proportionnalité.
Dans deux décisions de 1986, il a considéré que, en l’espèce, l’Assemblée nationale devait « être élue sur des bases essentiellement démographiques » et que « si le législateur pouvait tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée et en fonction d’impératifs précis ».
Il a même récemment ajouté que la mise en œuvre des cas de dérogation au principe de stricte égalité devait être « strictement proportionnée au but poursuivi ».
Enfin, d’une manière générale, il veille à ce que la délimitation des circonscriptions ne procède d’« aucun arbitraire ».
Or, si ce n’est vos intérêts particuliers, comme l’a d’ailleurs souligné le Conseil constitutionnel, aucun impératif d’intérêt général ne justifie que subsistent de telles inégalités de répartition, inégalités qui relèvent précisément de l’arbitraire.
De même que rien ne justifie d’engager une procédure accélérée pour un texte modifiant en profondeur l’organisation territoriale de notre pays. Du reste, il n’y a aucune cohérence chronologique perceptible dans l’adoption des différentes dispositions de la loi.
La loi du 16 décembre 2010 entre déjà en application dans son volet consacré à la coopération intercommunale. La plupart des autres dispositions essentielles, notamment celles qui intéressent le tableau à annexer, n’entreront en vigueur qu’en 2014 ou en 2015.
En outre, les limites des nouveaux cantons n’ont pas encore été fixées. Le redécoupage n’interviendra que postérieurement à l’établissement d’un schéma départemental de coopération intercommunale, qui doit être arrêté pour la fin de l’année 2011. Pour notre part, nous jugeons ce délai bien trop court pour appréhender l’ensemble des problématiques liées à la définition du périmètre et à l’organisation des compétences des collectivités.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements qui tendent à la mise en place d’un délai supplémentaire.
Quoi qu’il en soit, comme ces découpages, élaborés pour enrayer une évolution politique qui ne vous est pas favorable, ne sont pas encore intervenus, il paraît tout à fait absurde de fixer le nombre de conseillers territoriaux.
Deux autres projets de loi portant sur le mode d’élection et sur le régime des conseillers territoriaux sont encore en sommeil sur les bureaux du Sénat. Aussi la question des conseillers territoriaux aurait-elle très bien pu être couplée à l’un de ces textes.
Alors, permettez-nous de vous demander pourquoi ce tableau, qu’on nous impose d’adopter aujourd’hui en urgence, après une seule et unique lecture par nos deux assemblées, est purement déconnecté de la loi et de ses principales dispositions, qui ne seront applicables que dans quelques années.
La réalité est que vous souhaitez supprimer l’échelon de collectivité que représentent les départements, alors même que la Constitution vous l’interdit. Vous passez alors par un moyen détourné : l’institution des conseillers territoriaux.
Or, ainsi que le reconnaît la doctrine, si une telle fusion entre deux collectivités peut a priori se justifier dans certains cas exceptionnels, comme dans les régions monodépartementales, on ne peut pas la généraliser sans avoir préalablement révisé la loi fondamentale. Le législateur ne peut pas expressément supprimer un échelon prévu par la Constitution.
Toujours est-il que vous remettez précisément en cause la distinction claire et formelle existant entre la région et le département.
Dans le même ordre d’idée, le fait que deux catégories de collectivités, qui ont pourtant une place distincte dans la Constitution, soient administrées par les mêmes élus pose encore problème au regard de l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre, principe inscrit au cinquième alinéa de l’article 72 de la Constitution.
En imposant ses décisions aux départements, la région exercera concrètement une tutelle sur les départements.
Dès lors, si le département ne devient qu’un démembrement du conseil régional, il est de fait placé sous tutelle, et ce n’est plus une collectivité territoriale telle que la Constitution les définit.
L’article 72 de la Constitution, en plus de préciser que les départements sont des collectivités à part entière, dispose que les collectivités territoriales doivent pouvoir s’administrer librement par des conseils élus.
Le respect du principe de libre administration a deux conséquences majeures.
D’une part, il implique le bénéfice de la clause générale de compétence, socle de l’action publique des collectivités. Aussi, le simple fait de l’ôter aux départements et aux régions foule donc aux pieds un tel principe et transforme ces deux collectivités de plein exercice en simples administrations déconcentrées aux pouvoirs totalement encadrés.
D’autre part, le principe de libre administration s’entend aussi comme l’exigence que chaque collectivité possède un organe délibérant qui lui soit propre, lui-même composé d’élus qui lui soient aussi propres.
La logique constitutionnelle, qui – nous l’aurons compris – n’est certes pas la vôtre, impose donc la tenue de deux élections distinctes, pour élire deux assemblées distinctes, composées d’élus également distincts.
Autre étrangeté inconstitutionnelle, qui n’a pourtant, elle non plus, pas été censurée par le Conseil Constitutionnel : le mode de scrutin choisi pour l’élection de ces conseillers.
En décidant d’opter pour le scrutin uninominal à deux tours, vous sabordez l’objectif constitutionnel de parité et vous vous inscrivez à contre-courant de la dynamique de représentation des femmes en politique.
L’exclusion des femmes sera indubitablement la conséquence directe de votre réforme, d’autant que cette dernière remet aussi en cause le principe de parité dans les exécutifs régionaux.
En guise de compensation, vous entendez élargir le régime électoral paritaire en retenant pour seuil d’application, peut-être, les communes de 500 habitants et plus, sous-entendant ainsi que la diminution de la représentation des femmes dans les assemblées départementales et régionales serait compensée par des responsabilités dans les petites communes. Je rappelle que ces petites communes, qui ne sont pas assujetties en raison de leur taille à une obligation de parité, ont déjà élu plus de 32 % de femmes aux élections municipales. En revanche, aux élections cantonales, le nombre de conseillères ne dépasse guère les 13 %.
Alors que vous nous avez récemment présenté un texte tendant à renforcer la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises, voilà que vous ne les considérez pas aptes, maintenant, à traiter des affaires départementales et régionales.
À l’instar des positions que nous avons fait valoir à l’occasion du débat sur la réforme territoriale, nous tenons, pour notre part, à ce que les prérogatives actuelles des collectivités territoriales soient maintenues et renforcées, tant ces collectivités jouent un rôle primordial dans la régulation et la prise en compte des besoins sociaux de nos concitoyens. Sans leur capacité d’intervention et d’innovation sociale, les services publics locaux, les crèches, les maisons de retraite et les clubs du troisième âge, les écoles et les centres de loisirs, les transports, les actions menées en matière d’économies d’énergie, le sport, la culture, bref, tout ce qui fait les services de proximité, qui répondent aux besoins et aux attentes des habitants, risque de disparaître pour laisser place à des marchés privés, lesquels ne s’adresseront plus qu’à ceux qui ont les moyens de se les offrir.
En vertu de notre engagement pour plus de justice sociale et parce que l’ensemble des dispositions contenues dans le texte présentent des incompatibilités manifestes avec nos normes constitutionnelles, nous défendons aujourd’hui cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion que nous vous invitons à adopter, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les arguments avancés par les auteurs de cette motion sur la non-conformité du présent texte à la Constitution sont contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
À cet égard, je rappelle que le Conseil constitutionnel a considéré que la création des conseillers territoriaux était conforme tant au principe de libre administration des collectivités, puisqu’elle « ne porte pas atteinte à l’existence de la région et du département ou à la distinction entre ces collectivités », qu’au principe de liberté du vote. Le Conseil a également validé le mode de scrutin choisi par le législateur pour l’élection des conseillers territoriaux : sur ce point, il a notamment jugé que la mise en place d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours ne portait pas « atteinte à l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
Le juge constitutionnel n’a censuré la répartition des conseillers territoriaux que dans six régions et apprécie le respect du principe d’égalité devant le suffrage non pas à l’échelle nationale, mais à l’échelle régionale : dans cette mesure, et comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans mon rapport, le projet de loi est parfaitement conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et ne soulève aucun problème juridique.
Les arguments présentés par les auteurs de la motion ne sont donc pas fondés, et la commission des lois invite le Sénat à la rejeter.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Bien évidemment, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette motion. Qu’il me soit néanmoins permis d’étayer cet avis en complétant les explications qui viennent d’être données par M. le rapporteur.
Tout d’abord, les auteurs de cette motion ont avancé l’argument de la rupture d’égalité puisque des départements de même taille démographique n’éliront pas forcément le même nombre de conseillers territoriaux. Certes, mais cela est strictement conforme aux exigences du Conseil constitutionnel (M. le rapporteur opine.), lequel a demandé que l’écart du quotient électoral par rapport à la moyenne régionale ne soit pas supérieur à 20 %. Le nombre d’élus peut donc varier entre deux départements de régions voisines puisque le seuil des plus ou moins 20 % s’applique à l’intérieur d’une région et non sur l’ensemble du territoire national. Les dispositions que nous présentons sont donc conformes aux demandes du Conseil constitutionnel.
Cette réponse vaut également pour Claude Léonard, qui a évoqué le département de la Meuse et a fait état de ses difficultés à comprendre que deux départements de deux régions différentes mais qui ont à peu près la même taille démographique puissent ne pas élire le même nombre de conseillers territoriaux. C’est le Conseil constitutionnel qui juge, et c’est lui qui a imposé que l’on ramène de dix-neuf à quinze, effectif minimal de base, le nombre de conseillers territoriaux de la Meuse. Ce n’est pas une décision du Gouvernement, et vous le savez bien. Cette mesure d’équité se comprend au niveau de la circonscription régionale, celle de la Lorraine.
Par ailleurs, les auteurs de la motion ont demandé quand serait discuté le projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Je veux redire ici, en particulier à Jacqueline Gourault et à Dominique Braye, que ce texte sera examiné à automne, ce qui nous permettra de revenir sur un certain nombre de questions. Je pense, notamment, au seuil à partir duquel sera organisée l’élection au scrutin de liste. Le Gouvernement, je veux le redire ici, sera à l’écoute du Parlement et s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée lorsque celle-ci proposera un seuil. Je pense également aux EPCI, qui auront fusionné avant le 1er juin 2013. Je le confirme, le Gouvernement s’engage à trouver avec le Sénat une procédure susceptible de garantir aux intercommunalités la prorogation jusqu’en 2014 des règles en vigueur aujourd'hui. C’était une demande formulée par Jacqueline Gourault et une proposition faite, on s’en souvient, par Dominique Braye. De la sorte, je le dis clairement pour éviter toute difficulté de compréhension, les conseillers communautaires membre de bureau concernés n’auront pas la mauvaise surprise de ne pas siéger jusqu’en 2014.
Voilà rapidement ce que je souhaitais répondre à Jean-François Voguet, qui a présenté cette motion, à l’adoption de laquelle je m’oppose.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu aux objections fondamentales qui ont été adressées à ce texte.
La première des objections est celle de la tutelle, qui est bien réelle, du département le plus peuplé sur la région, dans les régions qui comptent deux départements. Je voudrais bien que l’on m’explique comment des départements largement majoritaires, comme c’est le cas dans le Nord–Pas-de-Calais ou en Alsace, n’exerceraient pas une tutelle sur l’ensemble de la région ? Le problème, ici, n’est pas celui de la tutelle exercée par la région sur les départements, mais est celui de la tutelle d’un département sur une région dans certains cas spécifiques.
La deuxième objection est la suivante : qu’on le veuille ou non, quel que soit le mode de calcul retenu, dès lors qu’une seule et même élection désigne un conseiller général et un conseiller régional, on ne peut satisfaire simultanément le principe d’un minimum d’élus pour assurer la gestion efficace d’un département et le principe de l’égalité des suffrages. Ce n’est pas possible, si ce n’est grâce à l’entourloupe dont j’ai expliqué le mécanisme tout à l’heure, qui consiste à inscrire la proportion de conseillers territoriaux dans le fameux « tunnel », à prendre en compte dans le calcul le deuxième chiffre après la virgule et à ne pas se préoccuper des départements qui ont le minimum vital, administrativement parlant, de quinze conseillers territoriaux. J’ai comparé la Lorraine et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : votre système ne tient pas debout, sauf avec cet artifice.
Cela pose tout de même un problème de fond : qu’est-ce qui est constitutionnel ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce que dit le Conseil constitutionnel !
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà ! Aussi, je pose la question : qui jugera les juges ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le Constituant !
M. Pierre-Yves Collombat. En conclusion, votre État de droit est passablement un État… de travers !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 10, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre cette motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 226 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mirassou et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 9.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région (n° 552, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la motion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de détailler les raisons qui nous ont incités à déposer une motion tendant à opposer la question préalable, permettez-moi de m’interroger, comme d’autres l’ont fait avant moi, sur la nature du message que le Conseil constitutionnel a voulu faire passer au pays en se contentant de censurer l’article 6 du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, alors qu’il avait été saisi par les parlementaires socialistes pour atteinte à la libre administration des collectivités locales.
Nous le pensions à l’époque, et nous sommes fondés à continuer de le penser, cette réforme entraînera une confusion des genres dans notre paysage institutionnel : en raison même de sa nature hybride, le désormais tristement célèbre conseiller territorial remettra en cause, par ses décisions, l’autonomie de décision non seulement du conseil général mais aussi du conseil régional auxquels il appartiendra et portera ainsi atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
Pourtant, les Sages ont décidé de ne pas retenir cet aspect de la question et se sont contentés, à l’aide d’un microscope, de « zoomer » sur le tableau de répartition des conseillers territoriaux. Je reviendrai sur ce point tout à l’heure, car je voudrais d’abord évoquer une question de forme, déjà soulevée, mais qui conserve toute son importance.
En effet, comment se fait-il que le Sénat, procédure accélérée ou pas, soit amené, en contradiction avec l’article 39 de la Constitution, à se prononcer après l’Assemblée nationale sur un texte qui relève avant tout de ses compétences ? L’Assemblée nationale s’est déterminée le 10 mai dernier ; permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que nous voyons dans cette date anniversaire un choix funestement symbolique en ce qui concerne la nature et l’avenir même de la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. Rappelons que, le 16 décembre 2010, cette réforme n’a été adoptée que de justesse par le Sénat. Du reste, à l’issue de ce vote, une sorte de soulagement honteux était perceptible dans les rangs de la majorité car, alors qu’il avait toutes les raisons d’être rejeté, le texte avait été adopté sur injonction de l’exécutif, malgré la fronde permanente des élus locaux.
En tout état de cause, monsieur le ministre, le mépris dans lequel est tenue la Haute Assemblée sur des sujets qui la concernent au premier chef, couplé au mauvais sort que fait subir le projet de loi aux collectivités territoriales, devrait largement suffire à conduire le Sénat à rejeter ce tableau, et donc le texte.
J’en viens aux incohérences et aux imprécisions. Pour être aimable, je qualifierais de « cosmétiques » les modifications auxquelles a procédé le Gouvernement à la suite de la censure du tableau de répartition des conseillers territoriaux. Elles ne consistent en effet qu’à retirer un élu là, à en rajouter deux ici, comme on modifierait une composition florale.
Monsieur le ministre, le tableau que vous avez présenté en conseil des ministres, compte, vous l’avez indiqué, 3 493 conseillers territoriaux, soit trois de moins que celui qui avait été proposé initialement. Tout ça pour ça !...
Il est clair que ce différentiel à la baisse de trois conseillers territoriaux est largement disproportionné au regard des compétences extrêmement étendues du Conseil constitutionnel, lequel devait, ce jour-là, avoir du temps à perdre…
Dans un autre registre, voilà plus d’un an que vous tentez de justifier, vous et vos collègues du Gouvernement, cette réforme par des économies à réaliser au niveau des collectivités territoriales.
Alors qu’avec la désastreuse RGPP vous prétendez tailler dans le « gras » de l’État, vous allez créer des postes de dépenses supplémentaires pour ces collectivités, lesquelles vont bien devoir donner aux pléthoriques conseillers territoriaux des moyens pour travailler, notamment – d’autres orateurs l’ont déjà indiqué – en termes de locaux et de fonctionnement.
Cela vous permettra d’ailleurs éventuellement, dans un deuxième temps, d’instruire un nouveau procès en gabegie à l’encontre des mêmes élus locaux !
L’argument d’une réduction des coûts qui serait apportée par la création du conseiller territorial tombe donc de lui-même.
C’est dire si, en tant que membre du groupe socialiste du Sénat, je suis tout à la fois fasciné et consterné en observant la majorité présidentielle à l’œuvre sur ce dossier. Elle se proclame tout à tour ennemie des lenteurs administratives, des élus locaux trop nombreux, et pourtant elle s’échine à créer un élu chimérique en réussissant l’exploit d’aboutir tout à la fois à la multiplication des personnels, à l’addition des structures et à la complexification des procédures destinées à accompagner et rendre possible le travail des élus locaux : un vrai cauchemar administratif et un dispositif bourré d’incohérences !
La plus frappante de ces incohérences réside dans le nombre des conseillers territoriaux élus dans le cadre régional, d’une part, et dans le cadre départemental, d’autre part, le tout rapporté au poids démographique de chacune de ces circonscriptions.
Ainsi en va-t-il pour la région Midi-Pyrénées, dont le département de la Haute-Garonne désignera 90 conseillers territoriaux, soit, comme le note le président du conseil régional, Martin Malvy, autant que la composition actuelle du conseil régional pour les huit départements de la région, alors que, à l’autre bout de la chaîne, l’Ariège, au mépris des considérations démographiques et géographiques, ne sera représentée que par 15 conseillers territoriaux.
Quand on observe ces chiffres, on a l’impression de marcher sur la tête !
Encore dans un autre registre, le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région relève d’une démarche incohérente. Le tableau des conseillers territoriaux a en effet été conçu avant même que soit évoquée la configuration des nouveaux cantons. Vous en conviendrez, ce n’est pas le moindre des paradoxes !
Le Gouvernement se prépare à une nouvelle partie de plaisir – c’est un euphémisme ! – avec la définition de ces nouveaux cantons, dont les limites devront respecter celles des circonscriptions législatives ainsi que l’unité des communes de moins de 3 500 habitants.
Tout cela a conduit l’Assemblée nationale à voter en aveugle le tableau relatif au nombre de conseillers territoriaux canton par canton, alors que, à l’heure actuelle, je le répète, on n’en connaît pas encore les contours, même si je me doute que les ordinateurs du ministère de l’intérieur doivent déjà commencer à chauffer,…