M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit au logement est l’un des plus importants qui soit. En effet, il conditionne l’accès à d’autres droits fondamentaux : le droit à la vie familiale et à son intimité ; le droit à la santé, car celle-ci est mise en jeu lorsque les personnes vivent dans des lieux dégradés ou insalubres ; le droit à l’éducation, laquelle est compromise en cas de suroccupation du logement ou de changements continuels de lieu de d’hébergement ; le droit au travail surtout, car celui-ci devient inaccessible pour des personnes ne disposant pas d’un domicile fixe.
Le logement est également une condition de l’exercice de la citoyenneté. Il est la base à partir de laquelle la personne se voit reconnaître une appartenance à la collectivité et peut développer une vie sociale.
Notre majorité a permis une avancée considérable en reconnaissant à tout citoyen français le droit à un logement opposable : c’est la loi DALO, déjà évoquée. Au droit du citoyen correspond dorénavant une obligation pleinement assumée par l’autorité publique.
Le texte que nous examinons aujourd’hui traite de l’effectivité de ce droit et de la question des expulsions locatives. Aussi est-il important de faire le point sur l’action du Gouvernement en la matière.
Contrairement aux allégations de l’opposition, cette action est remarquable en ce qui concerne tant le financement du logement social que la prévention des expulsions.
Concernant le logement social, je citerai quelques chiffres : 500 000 logements financés en cinq ans, dont 131 500 en 2010. Je rappelle que, lorsque M. Jospin était Premier ministre, le financement couvrait seulement 40 000 logements sociaux par an. Je dis bien 40 000 ! Par ailleurs, toujours en 2010, le nombre de logements destinés aux ménages les plus modestes a largement franchi le seuil symbolique de 20 000 – c’était l’objectif inscrit dans la loi DALO – pour atteindre 26 836 prêts locatifs aidés d’intégration, en progression de plus de 25 % par rapport à 2009.
S’agissant de la question des expulsions, je rappelle que M. le secrétaire d’État, dont je salue la détermination, s’est engagé à renforcer leur prévention. J’ai pu le constater dans mon département. La prévention des expulsions repose sur une logique d’intervention précoce, dès les premiers impayés. En effet, si l’action des travailleurs sociaux est trop tardive, les dettes risquent alors de s’être accumulées et il devient très difficile d’y faire face.
Grâce à la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite loi MOLLE, la constitution de commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives est désormais obligatoire dans chaque département. Ces commissions examinent les dossiers difficiles et font travailler ensemble les services de la préfecture, du conseil général et de la Caisse d’allocations familiales. L’objectif est de généraliser les solutions de médiation avant jugement et d’aider les ménages en mobilisant les aides du Fonds de solidarité pour le logement.
En ce qui concerne le développement de l’intermédiation locative, une association ou un bailleur social peut, avec l’accord du propriétaire, et à la demande du préfet, reprendre le bail, ce qui permet le maintien dans les lieux. À la fin de 2010, 2 364 logements étaient mobilisés en intermédiation locative, le Gouvernement ayant pour objectif d’atteindre 5 000 logements à la fin de l’année 2011.
Un autre élément de prévention réside dans la garantie des risques locatifs, qui a été mise en place à la demande des partenaires sociaux. Ce système permet de limiter les conséquences des impayés, grâce à un traitement social des locataires de bonne foi – j’y insiste –, ceux-ci pouvant être reconnus prioritaires au titre de la loi DALO. À la fin de 2010, 52 000 ménages ayant demandé un logement ont reçu un avis favorable d’une commission DALO et 25 000 d’entre eux ont déjà reçu une offre de logement. En Île-de-France, région où la demande est particulièrement forte, les résultats sont en nette progression par rapport aux années précédentes : 500 « ménages DALO » sont relogés chaque mois par les services de l’État, alors qu’ils n’étaient que 278 en 2009 et 81 en 2008.
Toutefois, lorsque tous les mécanismes de prévention ont été actionnés et ont échoué, la décision judiciaire d’expulsion doit être exécutée. Je tiens à souligner que le recours à la force publique ne concerne, me semble-t-il, que 11 % des décisions de justice prononçant une expulsion, et non 10 % comme l’a indiqué M. le secrétaire d’État.
Je comprends le souci de Mme le rapporteur d’améliorer la situation des personnes en situation précaire et son souhait d’éviter des expulsions. Je tiens d’ailleurs à saluer publiquement la qualité du travail qu’elle a effectué à ce sujet. Je pense cependant que les recommandations de la proposition de loi ne sont pas de bonnes réponses et auraient un effet contre-productif. Je l’ai d’ailleurs dit lors de l’examen du texte en commission : cette solution paraît formidable, généreuse, mais c’est une fausse bonne idée.
Si un propriétaire voit planer au-dessus de sa tête le risque qu’un locataire qui ne paie pas son loyer ne partira jamais, il ne louera plus son bien. Dans ma ville, beaucoup de logements privés restent inoccupés. J’essaie pourtant de convaincre les propriétaires de les proposer à la location, mais, comme ils ont certaines craintes, ils préfèrent garder le logement vide.
Limiter le recours aux expulsions serait un très mauvais signal adressé aux propriétaires. Le droit de propriété est lui aussi un droit fondamental, constitutionnel, reconnu par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je le répète, si les propriétaires privés étaient conduits à penser qu’ils ne pourront pas récupérer leur bien en cas d’impayé, ils préféreront ne pas le louer ou ils seront plus exigeants en termes de garanties, ce qui serait très dommageable pour les personnes ayant des revenus modestes.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, mon groupe ne votera pas cette proposition de loi.
Mme Annie David. Ce n’est pas un scoop !
M. Alain Gournac. Nous ne voulons pas aller dans la direction qu’elle nous indique. Le secteur du logement étant très difficile, ce serait en effet un très mauvais signal envoyé aux propriétaires de logements inoccupés, logements dont nous tant besoin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit de propriété et le droit au logement sont, certes, deux droits constitutionnels, mais force est de constater que le Gouvernement a beaucoup plus œuvré en faveur du premier que du second.
Nous sommes loin du mythe élyséen d’une France de propriétaires. Le quotidien de bon nombre de nos concitoyens est plutôt celui des difficultés de logement, du surendettement, du chômage, de la précarité galopante, voire des expulsions locatives pour les plus fragiles.
En effet, comme en témoigne la récente enquête de l’INSEE, notre pays compte aujourd’hui huit millions de pauvres – essayez de ne pas l’oublier ! –, c’est-à-dire que 13 % de la population vit avec moins de 949 euros par mois, pour une personne seule, et 2 000 euros, pour un couple. Dans ces conditions, comment accéder à un logement ou simplement s’y maintenir ?
On a évoqué la région de l’Île-de-France en général. Pour ma part, je parlerai de Paris. Selon le collectif Jeudi noir, les loyers y ont augmenté de 50 % en douze ans. L’an dernier, les prix des logements neufs ont encore bondi de près de 6 % par rapport à 2009. Malgré la crise, la spéculation se porte bien ! Ces hausses se situent bien au-delà de l’augmentation du pouvoir d’achat et de l’inflation.
Votre réponse à la crise financière et sociale que traverse notre pays consiste en toujours plus d’austérité pour la grande majorité de nos concitoyens et toujours moins de solidarité nationale. Voilà la réalité !
Ainsi, depuis 2004, si le niveau de vie des plus modestes a stagné, celui des plus aisés a progressé sous l’effet de la hausse des revenus du patrimoine. C’est ce que l’INSEE appelle un accroissement des inégalités « par le haut », accroissement des inégalités bientôt renforcé par la suppression de l’ISF. Pour celui qui se voulait le Président du pouvoir d’achat, il s’agit là d’un échec manifeste. L’effort exceptionnel en faveur du logement, pourtant annoncé, se fait également toujours attendre.
La politique du Gouvernement ne respecte pas les droits fondamentaux, notamment le droit au logement, qu’il a pourtant fait reconnaître dans la loi DALO. Il ne respecte donc pas la loi qu’il a fait voter.
Ce renoncement à mener une politique du logement ambitieuse est d’ailleurs confirmé par le Conseil d’État, dans le cadre de son rapport de 2009 intitulé Droit au logement, droit du logement. Celui-ci déclare en substance : alors que de nombreux plans de rattrapage initiés par le Gouvernement et approuvés par le Parlement supposeraient une augmentation de l’effort budgétaire en faveur du logement, on a assisté de manière paradoxale à une débudgétisation croissante des dépenses de logement, à une baisse du pouvoir « solvabilisateur » des aides personnelles, à un recul des aides à la pierre et à un recours croissant à des aides fiscales dont l’effet n’est pas mesuré. Faisant face à de sérieuses difficultés budgétaires, l’État en est même venu à puiser dans les ressources du 1 % logement, au risque de diminuer l’effort collectif en faveur du logement.
Cela a le mérite d’être clair. Voilà le résultat de votre politique !
Je ne prendrai qu’un simple exemple : la contribution de l’État au financement du logement à Paris, prévue dans la convention signée avec la ville, est passée de 660 millions d’euros pour la période comprise entre 2005 et 2010 à 500 millions d’euros pour les six ans à venir. Voilà qui s’appelle une baisse !
Par ailleurs, le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État, n’a pas souhaité donner quitus à la demande du maire de Paris d’encadrer les loyers à la relocation, au nom de la liberté du marché. Vous avez évoqué l’éventualité d’un encadrement des loyers des petites surfaces, mais nous n’avons pas vu le début du commencement d’une application concrète. (M. Alain Gournac s’exclame.)
Comment ignorer aujourd’hui les impasses de la marchandisation du logement ?
Depuis le milieu des années soixante-dix, le logement est considéré non plus comme un bien devant répondre à des besoins sociaux et humains, mais comme une marchandise. Cette politique s’est traduite par un glissement des aides de l’État en faveur de la construction de logements sociaux, qui atteignent moins de 500 millions d’euros cette année, vers un système de financement de la construction poussant à la spéculation par le biais des dispositifs Robien, Périssol ou Scellier. Et je ne compte pas les affres de la spéculation immobilière en zones tendues …
Dans ces conditions, comment respecter le fameux DALO si le nombre de logements construits ne permet pas de le garantir ? Vous être pris dans vos propres contradictions !
Vous avez également tout fait pour porter atteinte à la loi SRU en ne sanctionnant pas les maires qui la bafouent.
Là encore, je prendrai l’exemple de Paris. Les maires des VIIe et XVIe arrondissements, où la quantité de logements sociaux est proche de zéro, usent ainsi, en toute impunité, de moyens scandaleux pour s’opposer à tout programme de construction voté par la majorité du Conseil de Paris, quitte à engager des procédures judiciaires totalement indignes – elles devraient d’ailleurs être frappées d’illégalité – pour pouvoir empêcher, pendant trois ans, la construction du moindre logement social.
Ainsi, en dépit de la satisfaction ministérielle, que vous avez relayée tout à l’heure, monsieur Gournac, en vous gargarisant d’un bilan de plus de 131 000 logements sociaux construits, et ce alors même que seuls 71 000 logements sont sortis de terre, la crise du logement est à son paroxysme.
Il faut donc trouver des solutions.
S’il importe de renforcer les dotations budgétaires et de les réorienter sur les aides à la pierre, s’il convient, bien évidemment, d’agir sur les salaires et le pouvoir d’achat, je voudrais vous alerter une nouvelle fois sur une piste que le Gouvernement se refuse toujours à mettre en œuvre. Je veux parler de la réquisition de logements vides, solution à laquelle, selon une récente enquête, 74 % de nos concitoyens seraient favorables. Or, si cette réquisition est prévue dans plusieurs articles du code de la construction et de l’habitation, elle n’est pas utilisée par les préfets.
Je vous rappelle pourtant que la situation est grave, notamment à Paris : 119 467 personnes y ont fait une demande de logement social, 26 874 personnes y ont déposé un dossier de recours DALO et 12 500 ménages y attendent toujours une proposition en ayant été déclarés prioritaires par les commissions DALO.
Tout comme la Fondation Abbé Pierre, le DAL et Jeudi noir, nous demandons l’application immédiate de l’ordonnance de 1945. Il s’agit, en outre, d’un levier d’action majeur puisque, selon l’INSEE, on compte 1,8 million de logements vacants en France, dont 330 000 en Île-de-France et 122 000 à Paris. Voilà la réalité ! Il ne faut pas généraliser, avez-vous dit, mais reconnaissez que la situation est, par endroits, extrêmement tendue et difficile.
À nos yeux, la réquisition de logements vides devrait également concerner les bureaux. Actuellement, 4,5 millions de mètres carrés de bureaux sont vacants. Mieux vaudrait utiliser ces surfaces pour répondre à la crise du logement plutôt que pour obtenir un triple A. Telle est en effet la note attribuée selon le système de notation boursière aux entreprises dont 10 % au moins de leur patrimoine immobilier demeure vacant ; c’est aussi cela, la réalité !
Voilà une nouvelle preuve de la folie de l’ultralibéralisme !
La question de l’hébergement reste également problématique. Ainsi, au cours du mois de février 2011, le SAMU social a pris en charge près de 16 000 personnes logées à l’hôtel, pour une somme de 450 000 euros. Que d’argent dépensé de manière parfaitement inutile et qui pourrait être utilisé autrement !
Bien entendu, nos propositions ne s’arrêtent pas au contenu du texte que nous défendons aujourd’hui. Mais avouez tout de même que le fait de le voter permettrait au moins d’envoyer un signal : il n’y a pas que le droit à la propriété à préserver, car personne ne peut vivre sans un toit ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? …
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
Le premier alinéa de l’article L. 300-1 du code de la construction et de l’habitat est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l’article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement est garanti par l’État à toute personne qui n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir
« Toute autorité publique a qualité sur le territoire de son ressort pour s’assurer de la conduite à bonnes fins de la mise en œuvre effective de ce droit. »
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, sur l’article.
Mme Mireille Schurch. Selon un récent sondage, nos concitoyens considèrent le logement comme un problème plus important que la sécurité et estiment que cette question devrait être une priorité pour le Gouvernement, au même titre que l’emploi, le pouvoir d’achat, la santé, les retraites et l’éducation.
La crise sociale, l’augmentation du nombre de chômeurs, le sentiment accru de la précarité, l’éclatement des familles, la peur d’être un jour SDF, telle est la réalité vécue par de nombreuses personnes, comme l’ont justement souligné mes collègues.
Jamais l’immobilier, le foncier, les loyers, les charges n’ont représenté une part si élevée du budget des ménages. Les problèmes de logement concernent non plus seulement les personnes défavorisées ou très modestes, mais aussi les jeunes, les salariés, surtout les salariés pauvres, et même les classes moyennes. Le nombre de recours au Fonds de solidarité pour le logement a explosé, jusqu’à plus que doubler dans certains départements.
Pourtant, la politique du Gouvernement n’a été tournée que vers les plus favorisés : 40 % des aides publiques de l’État vont au logement locatif privé, 30 % aux propriétaires et 30 % au logement social ; autrement dit, 70 % des investissements de l’État sont orientés vers le secteur privé.
Je ne prendrai qu’un seul exemple : les allocations logement sont en baisse depuis 2002, notamment les APL, qui, de façon très significative, diminuent de 84 millions d’euros tout en perdant leur caractère rétroactif.
De même, si le droit au logement opposable est aujourd’hui consacré par la loi, si le Conseil constitutionnel le reconnaît comme un objectif à valeur constitutionnel, les expulsions locatives continuent de manière massive.
En juin 2008, la France a été condamnée par le Conseil de l’Europe pour non-respect de sa charte sociale au regard de l’insuffisance de l’offre de logements abordables, des manques des politiques de lutte contre les expulsions et de l’existence de discriminations dans l’accès au logement au détriment des immigrés et des gens du voyage. Le 1 de l’article 3 de la directive du Conseil du 29 juin 2000 prohibe en effet la discrimination selon l’origine raciale ou ethnique pour la fourniture de biens et de services, y compris en matière de logement.
En outre, dans le cadre de son rapport intitulé Droit au logement, droit du logement et destiné à illustrer la gravité de la situation du logement social en France, le Conseil d’État s’est interrogé le 10 juin 2009 : « Comment loger dignement tous les habitants et ainsi honorer le droit opposable au logement ? ».
C’est dans ce contexte de désengagement de l’État et de contravention avec le droit international que nous avons souhaité, par cet article 1er, renforcer les droits de tous les locataires, en élargissant l’accès au DALO à toute personne résidant sur le territoire national et en donnant compétence à l’ensemble des personnes publiques pour s’assurer de la mise en œuvre effective de ce droit.
En effet, la loi de 2007 était destinée à rendre concret un droit considéré comme universel par les textes internationaux, transcendant donc, comme d’autres droits fondamentaux, le statut administratif des individus. C’est pourquoi le clivage opéré entre nationaux et étrangers, entre étrangers européens et extra-européens, contredit, selon nous, l’affirmation d’un DALO garanti par l’État. La législation sur le droit au logement opposable est même plus stricte que les conditions d’attribution des logements sociaux pour les personnes d’origine étrangère.
Les droits fondamentaux, dont le droit au logement fait partie, ne peuvent souffrir d’exception ou d’application à la carte. Il ne peut y avoir de catégories « orphelines » de la protection des droits fondamentaux prévus par les textes. Le Gouvernement de la République ne saurait se contenter d’un « avec » ou « sans » en matière de respect des libertés fondamentales.
C’est pourquoi nous voulons étendre le DALO à toute personne logée sur le territoire, sans condition.
Nous souhaitons aussi assurer la légalité des arrêtés municipaux « anti-expulsion » pris par des maires garants de l’ordre public dans leurs communes pour protéger ces locataires qui sont des parents avec enfants, des personnes souvent en grande difficulté.
Une telle mesure irait dans le sens d’une plus grande solidarité et permettrait de pallier les insuffisances du DALO. De fait, le texte n’instaure qu’un mécanisme d’opposabilité restreint puisque le recours juridictionnel n’est ouvert qu’aux personnes classées prioritaires par décision administrative. Les arrêtés « anti-expulsion » permettent de rechercher des solutions pérennes de relogement dans des conditions décentes et d’assurer une meilleure concertation de tous les acteurs publics concernés par la question du logement.
L’article 1er de notre proposition de loi s’inscrit donc dans la nécessité de voir le droit au logement devenir une réalité pour tous, sans exclusive aucune.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
Article 2
Après l’article L. 613-3 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 613-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 613-3-1. - Aucun concours de la force publique ne peut être accordé lorsque la personne visée par la procédure d’expulsion locative mentionnée aux articles précédant et qui ne serait pas en mesure d’accéder à un logement par ses propres moyens ou de s’y maintenir, n’a pas obtenu de proposition de relogement adapté à ses besoins et à ses capacités. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Demontès, MM. Repentin, Daunis et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu des articles L. 613-1 et L. 613-2 du code de la construction et de l’habitation, à titre transitoire jusqu’au 16 mars 2012, aucune expulsion ne pourra être exécutée à l’encontre des personnes reconnues prioritaires par la commission de médiation conformément à l’article L. 441-2-3 du même code, et tant qu’aucune offre de logement ou d’hébergement respectant l’unité et les besoins de la famille ne leur aura été proposée par ladite commission.
La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Il s’agit de l’unique amendement déposé par les sénateurs du groupe socialiste sur cette proposition de loi.
Nous suggérons à nos collègues du groupe CRC-SPG d’adopter un dispositif certes plus souple que celui qu’ils proposent, mais aussi plus solide juridiquement.
Lors de l’examen, le 17 novembre 2009, de notre proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement, nous avions proposé de créer un moratoire de trois ans sur les expulsions. À l’époque, le rapporteur Dominique Braye – membre de la majorité – s’était dit « sensible à la philosophie » de ce texte ; d’ailleurs, tout le monde connaît sa « sensibilité » ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Thierry Repentin. Dans le même temps, il avait estimé que les solutions mises en place pour prévenir les expulsions étaient suffisantes, citant les circulaires du 14 octobre 2008 et du 5 mars 2009 et soulignant les possibilités offertes par l’intermédiation locative, principe selon lequel le propriétaire transfère le bail à une association qui sous-loue le logement et assume les impayés.
Qu’en est-il réellement ?
Selon la Fondation Abbé Pierre, 107 000 décisions d’expulsions ont été prononcées en 2009, chiffre en hausse de 5 % sur un an et de 34 % par rapport à 2000.
À l’époque, le rapporteur avait jugé que notre proposition de moratoire revenait à faire perdre des loyers aux propriétaires. Or ce n’est pas vrai. Cette proposition vise tous les ménages de bonne foi reconnus éligibles à la procédure instituée dans le cadre du DALO, en leur accordant de facto la prorogation des délais prévus par les articles du code de la construction et de l’habitation. Ces délais, vous le savez, ouvrent droit à des indemnisations pour les propriétaires.
S’agissant de l’intermédiation locative, vous savez aussi que le Gouvernement n’est pas très favorable à améliorer les avantages liés à ces dispositifs pour les propriétaires. Comment généraliser l’intermédiation locative si les propriétaires privés n’y sont pas incités ?
À nos yeux, une autre politique du logement est possible. L’idée d’un moratoire compléterait nos différentes propositions de loi : il s’agit de parer au plus pressé, à savoir la détresse des familles.
M. Braye rappelait il y a peu sur une grande chaîne de radio l’engagement de la majorité pour que soient relogés tous les demandeurs prioritaires de l’Île-de-France avant la fin de 2011. Pourquoi, alors, ne pas prévenir les catastrophes susceptibles de survenir d’ici là en acceptant ce moratoire qui ne durerait que jusqu’à l’année prochaine ?
Mes chers collègues, le sens de notre amendement, c’est la protection des familles. Nous vous invitons donc à transformer des engagements en actes concrets pour donner, enfin, des signaux aux juges.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Pasquet, rapporteur. J’observe que, concrètement, si elle était mise en œuvre, la mesure proposée dans cet amendement ne produirait ses effets que jusqu’au 31 octobre 2011. En effet, entre le 1er novembre 2011 et le 15 mars 2012 s’appliquera la trêve hivernale prévue par l’article L. 613-3 du code de la construction et de l’habitation : pendant cette période, il ne peut y avoir d’expulsion sans relogement.
Je note également que ce n’est pas la commission de médiation qui propose au demandeur les offres de logement ou d’hébergement.
Par conséquent, la commission a décidé d’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
À titre personnel, je considère que le dispositif proposé ici est très en deçà de celui de la proposition de loi. Pour cette raison, je ne le voterai pas.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Le Gouvernement, à l’instar de la commission, est défavorable à cet amendement, mais pour des raisons inverses.
M. Thierry Repentin. Je l’imagine bien !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mme le rapporteur considère que cette rédaction ne va pas assez loin ; le Gouvernement estime au contraire qu’elle va trop loin. (Sourires.)
M. Paul Blanc. Les extrêmes se rejoignent !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je le répète, le fait de renoncer à expulser les personnes relevant du DALO, quels que soient les délais prévus, est un signal dont l’impact sera particulièrement négatif et qui risque de produire des effets d’aubaine.
Je conclurai sous forme de boutade : en fait, monsieur le sénateur, vous proposez au Gouvernement de prolonger la période hivernale de six mois et de reprendre les expulsions un mois avant les élections présidentielles ... Je n’y vois aucune malice de votre part. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Thierry Repentin. Et il n’y en a pas !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Néanmoins, je me permets de souligner ce hasard de calendrier. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Par cet amendement, nos collègues socialistes souhaitent privilégier la notion de moratoire plutôt que de formuler dans la loi un principe simple : l’interdiction des expulsions locatives en l’absence de relogement pour les personnes qui ne seraient pas en mesure de s’y maintenir ou d’y accéder par leurs propres moyens.
Si nous ne sommes pas opposés à l’idée d’un moratoire, nous estimons pour autant, comme nous l’avons exposé dans notre propos liminaire, que les prescriptions internationales en termes de droit au logement comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme, directement applicables dans notre droit, ont créé l’obligation pour l’État de garantir que personne ne peut être privé de son logement en raison de conditions de ressources insuffisantes.
L’article 2 de notre proposition de loi tend simplement à garantir ces principes de manière permanente, et non plus temporaire. Une telle mesure, outre son objectif de respect de la dignité humaine, nous semble conforme aux engagements internationaux de la France et en adéquation avec le caractère constitutionnel du droit au logement.
Certains d’entre vous opposent à cette mesure la décision du Conseil constitutionnel de 1998 sur la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. À cet égard, je voudrais clarifier notre débat.
L’inconstitutionnalité d’une mesure interdisant le recours à la force publique en l’absence de relogement se discute. En effet, si le Conseil constitutionnel s’est fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, selon lequel on ne peut soumettre l’exécution d’une décision de justice à une diligence administrative, je vous rappelle que le droit au logement a également valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1995. Les juges ont donc arbitré entre deux principes de même valeur, en privilégiant l’un par rapport à l’autre.
Or, depuis cette décision, il ne faut pas non plus sous-estimer l’apport de la loi DALO et le rôle qu’elle a confié à l’État par la voie des préfets. La question de constitutionnalité se poserait donc certainement de manière très différente.
Depuis, comme cela a été indiqué dans l’exposé liminaire, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs sanctionné l’État chypriote pour le non-respect du droit au maintien dans un logement, au nom de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le contexte juridique n’est donc pas le même et l’inconstitutionnalité d’une telle mesure n’est pas avérée.
En outre, le fait de programmer ce moratoire uniquement jusqu’en 2012 ne résout en rien la question humaine, politique et sociale que posent les expulsions locatives sans relogement. De surcroît, reconnaissons-le, compte tenu de la navette parlementaire, la durée de vie de ce moratoire sera extrêmement courte, comme l’a souligné Mme le rapporteur.
De plus, malheureusement, il y a fort à parier que, au 16 mars 2012, soit dans seulement dix mois, la crise du logement dans notre pays ne sera pas résorbée au regard de la faiblesse des aides à la pierre et du décalage croissant entre la capacité contributive des ménages et le coût du logement.
La bataille de fond reste donc celle de la construction de logements et du pouvoir d’achat des ménages. À ce titre, notons que 80 % de nos concitoyens, selon un sondage réalisé pour l’Union sociale pour l’habitat, estiment qu’il n’y a pas assez de logements sociaux.
Je ne peux manquer également de vous signaler un fait inquiétant : le taux de surendettement des ménages a progressé de 17 % en seulement deux mois, entre décembre et février 2011.
Nous vivons une période sociale particulièrement douloureuse qui nous impose de garantir à chacun le respect des droits fondamentaux, et celui d’avoir un toit en fait partie.
Nous regrettons également que la rédaction proposée par cet amendement restreigne le champ d’application de cet article aux personnes reconnues prioritaires par le DALO, soit 57 000 personnes au 31 décembre 2010, et ce alors même que plus de 3 millions de personnes souffrent aujourd’hui de mal-logement dans notre pays et que plus de 1,3 million de personnes sont en attente d’un logement social.
Pour finir, je souhaiterais évoquer la question du raccourcissement des délais de sursis à l’exécution d’une décision judiciaire d’expulsion octroyés aujourd’hui par les juges.
En effet, vous le savez, depuis 2009 et l’adoption de la loi MOLLE de Mme Boutin, ces délais sont passés d’un maximum de trois années à un maximum d’une année seulement. Une telle mesure de raccourcissement des délais rend donc beaucoup plus difficile la possibilité de trouver un relogement avant le recours à la force publique.
Nous appelons donc le Gouvernement à revenir aux délais existants auparavant.
Chacun l’aura compris, malgré les bonnes intentions de nos collègues socialistes, nous nous abstiendrons sur cet amendement, qui vise à modifier l’article 2 de notre proposition de loi.