M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, au mois de mars dernier, vous avez fixé un objectif minimal de 28 000 éloignements en 2011, objectif que vous souhaitez aujourd’hui dépasser.
En dépit de l’adoption de cinq lois répressives au cours des huit dernières années, les précédents objectifs n’ont pas été atteints. Pour gonfler les chiffres, vous êtes contraint de recourir à plusieurs subterfuges, dont le plus absurde est sans aucun doute l’expulsion des étrangers dont le visa est périmé et qui sont en train de rentrer chez eux spontanément !
La faiblesse du taux d’exécution des décisions d’éloignement prononcées, moins de 30 %, s’explique par le défaut de délivrance d’un laissez-passer consulaire – c’est un aspect sur lequel il est plus difficile d’agir, puisque cela dépend de la bonne ou de la mauvaise volonté des pays concernés – et par la libération des migrants placés en rétention suite à un contrôle des conditions d’interpellation.
Afin de surmonter le premier obstacle, vous avez souhaité renforcer « la pression » sur les États « qui ont un taux de délivrance inférieur à la moyenne de 31 % ».
Il est un autre obstacle plus difficile à surmonter. Dans un avis du 21 mars dernier, le Conseil d'État a considéré que la directive Retour, plus favorable que notre législation actuelle, pouvait être invoquée par les justiciables à l’encontre de l’arrêté de reconduite à la frontière les concernant. D’où votre souhait de voir aboutir l’article 34, qui allonge le délai de saisine du juge des libertés et de la détention pour la prolongation de la rétention. C’est le débat que nous venons d’avoir sur la durée de quatre jours.
Par ailleurs, vous voulez inverser l’ordre d’intervention des juges judiciaire et administratif, ce qui n’est d’ailleurs ni prévu ni recommandé par la directive Retour.
Si une telle disposition entrait en vigueur, les étrangers retenus seraient traités comme les personnes soupçonnées de liens avec une entreprise terroriste, qui peuvent être maintenues en garde à vue pendant quatre jours !
En outre, l’application de cette disposition entraînerait l’expulsion de migrants ayant fait l’objet d’une procédure irrégulière que le juge judiciaire aurait annulée.
Telles sont les remarques préliminaires que je souhaitais formuler sur l’article 34.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article est important. Il organise une refonte globale du contentieux administratif dans le domaine du droit des étrangers. De plus, il s’agit d’une disposition autonome du projet de loi, puisqu’aucun texte de directive n’exige de telles modifications. Il ne saurait donc être question ici de transposition.
Il s’agit de faire un lien avec ce que l’article 30 propose, puisque le juge administratif interviendra désormais avant le juge des libertés et de la détention.
Je le répète, on se trompe en nous affirmant que cela permet d’améliorer l’administration et le fonctionnement de la justice. En effet, les syndicats des magistrats administratifs ont clairement affirmé qu’ils ne pourraient pas faire face à l’afflux de demandes que cette disposition provoquera immanquablement. Le juge administratif devra intervenir plus fréquemment alors que les effectifs ne changeront pas. Vous voulez donc faire plus avec le même nombre, quand nos juridictions sont déjà en surchauffe. La seule conséquence en sera l’engorgement des tribunaux.
Par ailleurs, l’article 34 diffère l’intervention de l’avocat à l’arrivée de l’étranger en centre de rétention sans pour autant reporter le délai de recours contentieux, alors que ce délai est extrêmement bref.
Retarder l’intervention de l’avocat tout en maintenant la notification comme point de départ du délai de recours contentieux pèsera trop lourdement sur le droit à un recours effectif: Et ne me dites pas que les associations sont là pour aider juridiquement les étrangers ! Elles font un travail d’accompagnement, mais elles ne remplacent pas un avocat.
En peu de temps, l’étranger devra se repérer dans un vrai dédale administratif ; curieuse manière de vouloir l’aider...
Le droit au recours effectif est un droit consacré non seulement par le Conseil constitutionnel, mais aussi par la Convention européenne des droits de l’homme. J’espère que l’ensemble de nos collègues mesurent le recul que nous opérerons si nous votons cet article en l’état.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 162 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 194 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 162.
Mme Éliane Assassi. L’article 34 concerne le contentieux des étrangers, plus spécifiquement la procédure de recours devant le juge administratif des étrangers placés en rétention administrative avant éloignement.
Pour nous, cet article crée une justice expéditive pour les étrangers, privant ainsi ceux qui font l’objet d’une mesure privative de liberté d’un accès effectif au juge judiciaire par un contournement du juge des libertés et de la détention.
Dans cet article, le juge administratif intervient avant le juge judiciaire en cas de placement en rétention administrative, ce qui aboutit à une confusion des rôles. En vertu de l’article 66 de la Constitution, c’est au juge judiciaire de contrôler le respect des droits et libertés de ces personnes. Il est compétent pour statuer sur la validité de la prolongation de la rétention, qui constitue une mesure privative de liberté, et il est chargé de vérifier la régularité de la procédure d’interpellation, ainsi que l’accès de la personne retenue à l’exercice effectif de ses droits.
De plus, la nouvelle mesure d’interdiction de retour sur le territoire français sera examinée par un juge unique, ce qui nous semble inacceptable en l’absence de motif d’urgence dérogatoire. C’est une entorse au principe de la collégialité, qui est une garantie contre l’arbitraire.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 194 rectifié.
M. Jacques Mézard. Il s’agit également d’un amendement de suppression.
Nous avions eu raison contre la majorité en première lecture, en soulignant que la tenue d’audiences au sein même des centres de rétention administrative constituait une atteinte à la publicité des débats, principe qui participe de l’équité d’un procès.
C’est ce qu’a rappelé très clairement et avec force le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars dernier relative à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dans un raisonnement qui s’applique parfaitement à la rédaction de l’article 34 tel qu’il a été voté en première lecture.
La Cour de cassation avait pourtant déjà donné les premiers coups de semonce en 2008, par trois arrêts tout à fait explicites.
Si ce point a heureusement été éclairci, et de la bonne manière, il n’en demeure pas moins que le reste de l’article 34 continue de nous poser problème.
En l’état actuel, cet article organise une procédure nouvelle devant le juge administratif en matière de contentieux de l’éloignement. Aucun des griefs que nous avions soulevés n’a été écarté, puisque les deux assemblées sont globalement en accord sur l’économie du dispositif.
Ainsi en est-il du délai de recours de quarante-huit heures seulement contre les obligations de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, de l’absence de rapporteur public ou du délai démesurément court, soixante-douze heures, dans lequel le juge devra statuer.
Surtout, nous ne voyons strictement aucune justification à ce que ce soit un juge unique qui statue sur la légalité de l’interdiction de retour, la dérogation à la collégialité étant seulement justifiée par une urgence qui n’existe pas ! Il en est de même de la restriction de l’accès à l’aide juridictionnelle ; pourtant, la possibilité pour une des parties à l’instance d’en solliciter le bénéfice jusqu’à ce que la juridiction rende sa décision est un principe constant de notre droit.
En fait, derrière cet article se cache la mise en œuvre des conclusions de la commission Mazeaud pour organiser ce que nous considérons comme un recul des garanties procédurales dont devraient pourtant bénéficier les étrangers, comme tout justiciable dans un État de droit.
Nous n’acceptons pas d’entériner un tel recul.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les amendements identiques nos 162 et 194 rectifié visent à supprimer l’article 34, qui détermine les modalités de recours administratif contre les mesures d’éloignement.
La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
J’observe d’ailleurs qu’une telle suppression aurait pour effet de faire disparaître toute possibilité de recours à l’encontre des décisions d’obligation de quitter le territoire français et d’interdiction de retour, ainsi que la possibilité, nouvelle, de contester la décision de placement en rétention par une procédure spécifique.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 162 et 194 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 85, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, après la première phrase
Insérer deux phrases ainsi rédigées :
L'étranger peut également, dans un délai d'un mois suivant la notification de cette décision, exercer un recours administratif gracieux et hiérarchique. Le délai initial de trente jours pour formuler un recours contentieux devant le tribunal administratif est prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Nous proposons ici d’améliorer le projet de loi par l’instauration d’un recours administratif préalable gracieux et hiérarchique.
Tout étranger recevant de la préfecture une décision de refus ou de retrait de son titre de séjour accompagnée d’une obligation de quitter le territoire français dispose d’un délai de trente jours pour déposer un recours contentieux devant le tribunal.
En l’état actuel du droit, ce délai ne peut en aucun cas être prolongé par un recours gracieux ou hiérarchique.
Ce faisant, les étrangers qui forment un recours préalable sont peu nombreux. L’exercice de ce type de recours s’avère en général inutile puisque seul le recours contentieux permet d’empêcher l’exécution de la mesure d’éloignement.
Pourtant, en matière administrative, les recours précontentieux présentent plusieurs avantages.
Premièrement, ils permettent à un requérant de demander à l’administration un nouvel examen de sa situation.
Deuxièmement, ils ont pour effet d’alléger la charge de travail pesant sur les tribunaux, laquelle ne nous laisse pas indifférents.
La mise en place de recours administratifs préalables contre les OQTF apparaît donc souhaitable, car elle répond à la double exigence d’efficacité et de respect du droit au recours.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter le présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Cet amendement vise à instaurer un recours hiérarchique contre les mesures d’éloignement, recours qui pourrait être formé dans un délai d’un mois et prorogerait d’autant le délai de recours contentieux.
Un tel report ne semble pas souhaitable dans le cas d’une mesure devant être exécutée à brève échéance. Le Conseil d’État a d’ailleurs validé le délai d’un mois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 86, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 7, 8 et 9
Supprimer ces alinéas.
II. - Alinéa 10
1° Deuxième phrase
Supprimer les mots :
et contre la décision refusant un délai de départ volontaire,
2° Dernière phrase
Supprimer les mots :
le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire
III. - Alinéa 15, première phrase
Supprimer les mots :
auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé
IV. - Alinéa 16
1° Article L. 512-3, premier alinéa
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n’a été accordé, dès la notification de l’obligation de quitter le territoire français
2° Article L. 512-3, second alinéa, première phrase
Supprimer les mots :
ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative
V. - Alinéa 18
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. L’article 34 du présent projet de loi prévoit que les migrants qui font l’objet d’une OQTF sans délai de départ volontaire disposent d’un délai de quarante-huit heures pour en demander l’annulation.
Cette disposition pose, en pratique, de nombreuses difficultés. Je rappelle que pendant le délai de quarante-huit heures le migrant pourrait être amené à contester dans un même recours non seulement l’OQTF, mais aussi la décision relative au séjour, celle qui le prive d’un délai de départ volontaire, celle qui mentionne le pays de destination et, le cas échéant, l’interdiction de retour sur le territoire français, soit cinq décisions administratives !
Compte tenu de l’interprétation extensive des dispositions de l’article 7 de la directive Retour, il est à craindre que l’OQTF soit très souvent prononcée sans délai de départ volontaire. Nous avons eu le sentiment que tel était l’objectif du Gouvernement, la procédure étant plus facile à mettre en œuvre.
De nombreux migrants risqueraient ainsi de devoir ester en justice dans un délai très court et suivant une procédure extrêmement complexe. Je vous laisse imaginer la difficulté qu’éprouvera un étranger incarcéré dans un centre de rétention, qui ne parle pas le français, qui n’a pas d’interprète et qui ne connaît pas le droit pour formuler un recours de ce genre !
Par coordination avec les amendements que nous avons précédemment présentés, nous proposons de supprimer toutes les références à l’OQTF sans délai de départ volontaire.
M. le président. L'amendement n° 87, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
Remplacer les mots :
suivant sa notification par voie administrative
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
II. - Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
suivant sa notification
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
III. - Alinéa 16
Article L. 512-3, second alinéa, première phrase
Remplacer les mots :
suivant sa notification par voie administrative
par les mots :
à compter du moment où il a pu exercer son droit à l'assistance d'un conseil
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Si, comme le prévoient les articles 31 et 34 du projet de loi, l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat est différé jusqu’à l’arrivée de l’étranger au centre de rétention, il est anormal que le délai de recours contentieux, déjà extrêmement bref, commence à courir dès la notification de la mesure de placement en rétention, alors que plusieurs heures peuvent s’écouler avant qu’elle ne soit effectivement mise en œuvre.
L’étranger ne pouvant aucunement introduire un recours juridictionnel pendant le trajet vers le centre de rétention, il convient de traduire expressément dans la loi l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio. Admettez que nous élevons le niveau du débat et la qualité juridique de nos échanges ! (Sourires.) Je traduis, pour ceux qui auraient oublié leur latin : la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir.
Nous vous proposons donc d’appliquer ce sage adage.
Retarder l’intervention de l’avocat en maintenant la notification comme point de départ du délai de recours grèverait lourdement à la fois les droits de la défense et le droit à un recours effectif. Plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme vont dans ce sens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 86 tend à supprimer de l’article 34 les mentions relatives à l’OQTF sans délai de départ volontaire.
La commission ne peut qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement dans la mesure où le dispositif qu’il prévoit de supprimer a été mis en place par l’article 23 du texte. Émettre un autre avis serait contraire à ce que nous avons voté voilà quelques instants.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 87. Il est important que le délai commence impérativement à courir à compter de la remise à l’étranger de la notification des mesures le concernant, comme c’est d’ailleurs ordinairement l’usage en matière de décision administrative.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. L’adoption de l’amendement n° 86 aurait pour effet de faire obstacle à toute reconduite avant l’expiration du délai de recours de trente jours, alors même que l’étranger s’est déjà vu notifier l’obligation de quitter sans délai le territoire français. Cet amendement est de même inspiration que les précédents, qui ont tous pour objet de retarder l’effectivité du départ. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 87, j’observe que le délai de recours de quarante-huit heures n’est pas nouveau. Il est déjà en usage et est considéré comme raisonnable puisqu’il permet de concilier les droits de l’étranger et l’effectivité de l’éloignement. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 88, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce recours est suspensif de la décision d'éloignement sur le fondement de laquelle l'arrêté de placement en rétention est prononcé.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement se justifie par son texte même. Nous demandons qu’un recours suspensif soit possible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Il ne serait pas logique que le recours contre le placement en rétention soit suspensif de la mesure d’éloignement, car, par définition, l’exécution de la mesure d’éloignement met fin à la rétention.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission et émet un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 218, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première phrase, et alinéa 14
Remplacer les mots :
soixante-douze heures
par les mots :
quarante-huit heures
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les modifications qui ont été votées au sujet de l’intervention du juge des libertés et de la détention.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 89, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 11, deuxième et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. La justice est dans la rue ! Le 9 février dernier, 40 % des magistrats administratifs ont fait grève, ce qui est énorme pour cette profession, afin de manifester leur opposition à ce projet de loi, plus particulièrement à la disposition visant à permettre la délocalisation des audiences dans des salles spécialement aménagées à proximité immédiate des centres de rétention administrative ou en leur sein.
Le Conseil constitutionnel ayant confirmé, en censurant l’article 101 de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qu’il n’est pas possible de tenir des audiences au sein même d’un centre de rétention, M. le rapporteur a supprimé cette faculté lors de l’examen du texte en commission. Néanmoins, cette suppression ne change rien au problème puisque les audiences n’auront plus lieu dans le centre, mais dans une pièce juste à côté.
Cette mesure vise à réduire les coûts des escortes nécessaires pour conduire les étrangers des centres de rétention vers les juridictions administratives, ce qui permettrait au ministère de l’intérieur de réaliser des économies. Cependant, qu’en est-il de l’impact de cette disposition sur le budget du ministère de la justice, déjà exsangue ?
Le Gouvernement a-t-il chiffré le coût du temps perdu par les magistrats dans les transports ? Par exemple, le tribunal de Strasbourg se trouve à 180 kilomètres du centre de rétention le plus proche... Le temps que le juge passera à parcourir cette distance sera autant de temps perdu pour le traitement des dossiers, ce qui risque de désorganiser les juridictions.
Le Gouvernement a-t-il pris en compte l’impact de la délocalisation sur les autres dossiers ? Celle-ci entraînera sans aucun doute un effet d’éviction sur les autres dossiers et s’accompagnera d’un allongement des délais de jugement pour tous les contentieux autres que le contentieux des étrangers.
Le Gouvernement a-t-il prévu des postes de juges administratifs supplémentaires ou des postes de greffiers ?
Cette justice « sur place » ne satisfait ni les règles du procès équitable ni les exigences de publicité des débats. Imposer au tribunal de siéger dans un lieu relevant exclusivement de la police met gravement en doute l’indépendance et l’impartialité de la justice, qui sont au cœur du procès équitable.
Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi ne garantissent pas le respect du droit à un procès équitable, tel qu’il résulte des articles 66 de la Constitution et 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Elles sont contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans trois arrêts du 16 avril 2008, a considéré que, pour respecter les règles d’indépendance et d’impartialité, la salle d’audience doit être identifiée comme un lieu judicaire à part entière, signalisée, dans un bâtiment distinct qui n’apparaisse pas comme une extension du centre de rétention.
La justice ne saurait être rendue dans un lieu dépourvu de solennité et qui, de surcroît, appartient à l’une des parties. La tenue d’audiences délocalisées risque d’accroître la confusion parfois déjà présente dans l’esprit des justiciables entre l’administration et le juge administratif.
Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi sont également contraires au principe de la publicité des débats, qui découle de l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
D’après la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la publicité des débats « ne peut être correctement assurée dans des centres de rétention administrative dont l’accès est réglementé, contrôlé et subordonné à l’autorisation donnée par l’une des parties au procès ».
En outre, les centres de rétention étant souvent isolés, excentrés et difficiles d’accès, il est à craindre que les droits de la défense soient gravement entravés lors des audiences délocalisées. Ce type d’audiences poserait inévitablement des problèmes en termes de déplacement pour les familles et les soutiens. Elle rendrait également plus difficiles la transmission des pièces nécessaires à la défense et les conditions d’entretien avec l’avocat ou les membres de l’entourage susceptibles d’aider l’étranger à la préparation de sa défense. Quant au respect de la confidentialité de ces entretiens et l’accès de l’étranger au dossier s’il souhaite assurer seul sa défense, ils ne seraient pas non plus garantis.
Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi risquent, enfin, d’ouvrir une brèche juridique. Il est, en effet, à craindre que des audiences délocalisées soient organisées, à l’avenir, dans des établissements pénitentiaires. La mise en place d’une justice d’exception pour les étrangers placés en rétention pourrait, à terme, déboucher sur une remise en cause des droits des personnes placées en détention. Cette crainte est d’autant plus justifiée que le droit des étrangers est devenu depuis quelques années un terrain d’expérimentation pour réformer les autres pans de notre droit.
Les principes fondamentaux de notre État de droit ne sauraient être ainsi bafoués !
Monsieur le président, je vous présente mes excuses pour avoir dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais j’annonce par avance que je ne m’exprimerai pas au titre des explications de vote.